{"id":82566,"date":"2020-09-02T12:37:00","date_gmt":"2020-09-02T10:37:00","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=82566"},"modified":"2020-11-14T16:24:14","modified_gmt":"2020-11-14T15:24:14","slug":"dollar-breen-red","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2020\/09\/02\/dollar-breen-red\/","title":{"rendered":"La comp\u00e9tence am\u00e9ricaine fond\u00e9e sur le dollar : r\u00e9alit\u00e9 juridique ou construction politique ?"},"content":{"rendered":"\n
L\u2019internationalisation des \u00e9changes, coupl\u00e9e \u00e0 la d\u00e9mat\u00e9rialisation des technologies et des flux financiers, ont drastiquement accentu\u00e9 la dilution de la territorialit\u00e9 du droit et favoris\u00e9 l\u2019av\u00e8nement de normes dot\u00e9es d\u2019une large port\u00e9e extraterritoriale <\/span>1<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Extraterritorialit\u00e9 parfois heureuse, lorsqu\u2019un \u00c9tat \u00ab champion du droit \u00bb obtient en mati\u00e8re de r\u00e9pression des r\u00e9sultats, l\u00e0 o\u00f9 d\u2019autres \u00e9chouent par manque de moyens ou de volont\u00e9. Extraterritorialit\u00e9 souvent f\u00e2cheuse, lorsque la r\u00e9pression extraterritoriale semble n\u2019\u00eatre que l\u2019instrument d\u2019une volont\u00e9 de puissance \u00e9conomique ou de d\u00e9voiements politiques.<\/p>\n\n\n\n En confrontation avec la souverainet\u00e9 des \u00c9tats, les lois et poursuites extraterritoriales sont souvent am\u00e9ricaines, bien que les \u00c9tats-Unis n\u2019en aient pas l\u2019exclusivit\u00e9. Elles alimentent depuis nombreuses ann\u00e9es les d\u00e9bats, notamment \u00e0 propos des affaires dans lesquelles on peine \u00e0 apercevoir le lien avec le territoire ou la nationalit\u00e9 de l\u2019\u00c9tat r\u00e9gulateur permettant l\u2019exercice l\u00e9gitime de sa comp\u00e9tence. En effet, plus ces liens sont t\u00e9nus, plus l\u2019application de ces normes semble excessive et contestable en droit comme en opportunit\u00e9. Encore tr\u00e8s r\u00e9cemment, dans les transactions \u00e0 3,6 milliards d\u2019euros conclues simultan\u00e9ment par Airbus et les autorit\u00e9s de trois pays (Royaume-Uni, \u00c9tats-Unis et France), l\u2019observateur ext\u00e9rieur ne parvient pas \u00e0 identifier, sur le volet de la corruption, quel est le titre de comp\u00e9tence des \u00c9tats-Unis. <\/p>\n\n\n\n Cette incertitude semble d\u2019ailleurs parfaitement assum\u00e9e par les autorit\u00e9s am\u00e9ricaines : \u00ab La soci\u00e9t\u00e9 [Airbus], est-il \u00e9crit dans les premiers paragraphes de la transaction, n\u2019est ni un \u00e9metteur am\u00e9ricain ni une entit\u00e9 am\u00e9ricaine et la comp\u00e9tence territoriale [am\u00e9ricaine] relative \u00e0 la conduite corruptive est limit\u00e9e<\/em> \u00bb <\/span>2<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n Les \u00c9tats-Unis ont en effet tr\u00e8s rapidement saisi les enjeux que repr\u00e9sentaient de telles normes et ont d\u00e9velopp\u00e9, \u00e0 la faveur de leur puissance \u00e9conomique et politique, un arsenal l\u00e9gislatif et une pratique de poursuite largement extraterritoriaux dans de nombreux domaines aussi vari\u00e9s que la lutte contre la corruption d\u2019agents publics \u00e9trangers ou les embargos et autres sanctions \u00e9conomiques.<\/p>\n\n\n\n Durement frapp\u00e9s par cette r\u00e9pression venue d\u2019ailleurs, les Fran\u00e7ais sont nombreux, dans le sillage de l\u2019affaire Alstom, \u00e0 crier \u00e0 l\u2019instrumentalisation du droit et du syst\u00e8me judiciaire am\u00e9ricains. Depuis cette affaire, d\u2019ailleurs, le m\u00e9pris de plus en plus clairement affich\u00e9 par le Pr\u00e9sident Trump pour le droit et la justice de son propre pays ne peut que continuer \u00e0 alimenter le soup\u00e7on. <\/p>\n\n\n\n Or si les \u00c9tats-Unis sont aujourd\u2019hui mis au d\u00e9fi de prouver la r\u00e9silience de leur \u00c9tat de droit, celui-ci subsiste encore et continue \u00e0 puiser aux sources d\u2019une forte tradition juridique. C\u2019est pourquoi il faut \u2013 plus que jamais \u2013 prendre le droit am\u00e9ricain au s\u00e9rieux et ne pas se laisser prendre au jeu des postures.<\/p>\n\n\n\n C\u2019est dans ce contexte qu\u2019il faut \u00e9tudier de pr\u00e8s la question de savoir si, comme cela est souvent dit en France, le seul fait de r\u00e9aliser une transaction en dollars am\u00e9ricains suffit, en droit am\u00e9ricain, \u00e0 assujettir la transaction et les conduites sous-jacentes \u00e0 la l\u00e9gislation p\u00e9nale am\u00e9ricaine. La m\u00eame question peut \u00eatre pos\u00e9e \u00e0 propos de l\u2019envoi d\u2019un courriel transitant par des serveurs am\u00e9ricains.<\/p>\n\n\n\n Or ces id\u00e9es largement accept\u00e9es en France ne r\u00e9sistent que partiellement \u00e0 une analyse juridique pr\u00e9cise.<\/p>\n\n\n\n Les \u00c9tats-Unis ont en effet tr\u00e8s rapidement saisi les enjeux que repr\u00e9sentaient de telles normes et ont d\u00e9velopp\u00e9, \u00e0 la faveur de leur puissance \u00e9conomique et politique, un arsenal l\u00e9gislatif et une pratique de poursuite largement extraterritoriaux dans de nombreux domaines aussi vari\u00e9s que la lutte contre la corruption d\u2019agents publics \u00e9trangers ou les embargos et autres sanctions \u00e9conomiques.<\/p>emmanuel breen<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Qui n\u2019a pas entendu dire \u00e0 la tribune d\u2019une conf\u00e9rence professionnelle en France que le seul fait d\u2019effectuer une transaction en dollars, ou de faire transiter un courriel par un serveur am\u00e9ricain, suffisait \u00e0 l\u2019assujettir \u00e0 la comp\u00e9tence des juridictions p\u00e9nales am\u00e9ricaines ? Ceci est certes \u00ab maintes fois \u00e9voqu\u00e9<\/em> \u00bb <\/span>3<\/sup><\/a><\/span><\/span>, et l\u2019id\u00e9e a fait son chemin jusque dans les recommandations de l\u2019Agence Fran\u00e7aise Anticorruption qui semble y faire r\u00e9f\u00e9rence lorsqu\u2019elle \u00e9nonce, au titre des facteurs de risque, que \u00ab la devise est [\u2026] un \u00e9l\u00e9ment \u00e0 prendre en consid\u00e9ration du fait de l\u2019extraterritorialit\u00e9 de certains l\u00e9gislations anticorruption \u00e9trang\u00e8res<\/em> \u00bb <\/span>4<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n Or un jeu de citations internes \u00e0 la France fait parfois l\u2019\u00e9conomie d\u2019une \u00e9tude critique de premi\u00e8re main du droit am\u00e9ricain. Avant d\u2019en venir \u00e0 cette analyse, notons d\u00e9j\u00e0 que cette th\u00e9orie de la \u00ab comp\u00e9tence-dollar \u00bb se d\u00e9veloppe en France dans un contexte tr\u00e8s politique susceptible de favoriser les exag\u00e9rations.<\/p>\n\n\n\n D\u2019abord, bien s\u00fbr, les procureurs am\u00e9ricains ont tout int\u00e9r\u00eat \u00e0 grossir le trait pour justifier leur intervention dans des affaires sans rattachement naturel aux \u00c9tats-Unis o\u00f9 ils entendent purement et simplement d\u00e9rouler une politique p\u00e9nale globale <\/span>5<\/sup><\/a><\/span><\/span><\/p>\n\n\n\n .<\/p>\n\n\n\n Les procureurs am\u00e9ricains ont tout int\u00e9r\u00eat \u00e0 grossir le trait pour justifier leur intervention dans des affaires sans rattachement naturel aux \u00c9tats-Unis o\u00f9 ils entendent purement et simplement d\u00e9rouler une politique p\u00e9nale globale.<\/p>emmanuel breen<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Plusieurs m\u00e9canismes concourent \u00e0 conforter en France la cr\u00e9dibilit\u00e9 des interpr\u00e9tations extensives que les procureurs am\u00e9ricains donnent de leur propre comp\u00e9tence et qui, sinon, pourraient n\u2019appara\u00eetre que comme de simples rodomontades : le relais de ces exag\u00e9rations dans les conf\u00e9rences professionnelles par des prestataires qui vendent leurs services en agitant l\u2019\u00e9pouvantail am\u00e9ricain, ou le retard pris par l\u2019universit\u00e9 fran\u00e7aise dans l\u2019enseignement et la recherche sur les droits \u00e9trangers, au profit d\u2019une vision souvent trop strictement nationale. Retard qui rend la communaut\u00e9 juridique fran\u00e7aise parfois d\u00e9munie face \u00e0 un droit am\u00e9ricain qu\u2019elle doit prendre en compte mais sur lequel elle peine \u00e0 porter un regard suffisamment inform\u00e9.<\/p>\n\n\n\n Mais il y a plus : dans la logique de transaction qui domine le fonctionnement du syst\u00e8me p\u00e9nal am\u00e9ricain, l\u2019\u00e9tendue de la coop\u00e9ration de l\u2019entreprise au cours de l\u2019enqu\u00eate et des n\u00e9gociations est un \u00e9l\u00e9ment pris en compte par les procureurs pour conclure le \u00ab deal<\/em> \u00bb \u00e0 des conditions plus favorables \u00e0 l\u2019entreprise <\/span>6<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Cette valorisation de la coop\u00e9ration dans une logique de justice n\u00e9goci\u00e9e a d\u2019ailleurs fait son entr\u00e9e en France, avec les lignes directrices du Parquet national financier et de l\u2019Agence fran\u00e7aise anti-corruption en mati\u00e8re de CJIP <\/span>7<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Mais il est assez troublant, du point de vue des droits de la d\u00e9fense, d\u2019observer que le fait de contester la comp\u00e9tence du droit am\u00e9ricain puisse \u00eatre assimil\u00e9 \u00e0 un d\u00e9faut de coop\u00e9ration. <\/p>\n\n\n\n Coop\u00e9rer, oui, mais jusqu\u2019au point d\u2019accepter de n\u00e9gocier avec une autorit\u00e9 potentiellement incomp\u00e9tente ? L\u2019entreprise ou les individus poursuivis peuvent certes en th\u00e9orie engager un combat judiciaire aux \u00c9tats-Unis sur la comp\u00e9tence mais le risque et la pression sont forts : \u00e9chouer \u00e0 d\u00e9montrer devant le juge l\u2019incomp\u00e9tence de l\u2019autorit\u00e9, c\u2019est risquer de perdre des \u00ab points de coop\u00e9ration \u00bb lorsque la n\u00e9gociation reprendra. Ou m\u00eame, c\u2019est risquer de mettre purement et simplement fin \u00e0 la n\u00e9gociation et de ne conserver comme issue qu\u2019un proc\u00e8s co\u00fbteux et al\u00e9atoire <\/span>8<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Si le lien fait entre acceptation de la comp\u00e9tence am\u00e9ricaine et r\u00e9compense de la coop\u00e9ration n\u2019a pas \u00e9t\u00e9 \u00e0 ma connaissance explicit\u00e9 par les autorit\u00e9s am\u00e9ricaines, il existe cependant en pratique. Il vient par ailleurs d\u2019\u00eatre consacr\u00e9 de mani\u00e8re spectaculaire \u2014 et \u00e0 mon sens contestable \u2014 par la justice britannique dans l\u2019affaire Airbus <\/span>9<\/sup><\/a><\/span><\/span>. <\/p>\n\n\n\n La pression qui s\u2019exerce sur l\u2019entreprise pour qu\u2019elle accepte la comp\u00e9tence d\u2019une autorit\u00e9 de poursuite \u00e9trang\u00e8re peut \u00eatre accentu\u00e9e en cas de conflit d\u2019int\u00e9r\u00eats des dirigeants, d\u00e8s lors que ceux-ci pourraient \u00eatre incit\u00e9s \u00e0 coop\u00e9rer totalement au titre de leurs fonctions sociales, en \u00e9change de leur immunit\u00e9 \u00e0 titre personnel <\/span>10<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Il s\u2019agirait l\u00e0 d\u2019une distorsion tr\u00e8s forte de l\u2019id\u00e9e de justice. Mais qu\u2019on ne s\u2019y trompe pas : elle rel\u00e8verait d\u2019une d\u00e9faillance de la gouvernance des entreprises objet des poursuites tout autant que d\u2019une critique qui pourrait \u00eatre adress\u00e9e au syst\u00e8me p\u00e9nal am\u00e9ricain.<\/p>\n\n\n\n Enfin, la vision d\u2019une comp\u00e9tence fond\u00e9e sur le dollar rencontre en France un courant de pens\u00e9e anti-am\u00e9ricain qui est tent\u00e9 d\u2019exag\u00e9rer la puissance des \u00c9tats-Unis pour mieux la d\u00e9noncer <\/span>11<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Ainsi, par une sorte d\u2019effet miroir, ceux qui ont int\u00e9r\u00eat \u00e0 exercer une forme de surpuissance juridique et ceux qui la condamnent peuvent s\u2019entendre au moins sur une pr\u00e9sentation du droit plus ou moins d\u00e9form\u00e9e.<\/p>\n\n\n\n Par une sorte d\u2019effet miroir, ceux qui ont int\u00e9r\u00eat \u00e0 exercer une forme de surpuissance juridique et ceux qui la condamnent peuvent s\u2019entendre au moins sur une pr\u00e9sentation du droit plus ou moins d\u00e9form\u00e9e.<\/p>Emmanuel breen<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Il est int\u00e9ressant en particulier de noter \u00e0 cet \u00e9gard la r\u00e9currence du th\u00e8me de l\u2019instrumentalisation des poursuites am\u00e9ricaines au service des int\u00e9r\u00eats \u00e9conomiques am\u00e9ricains. Ainsi en particulier, pour Rapha\u00ebl Gauvain, \u00ab une collusion organique, quasi-institutionnelle entre les milieux \u00e9conomiques et les autorit\u00e9s f\u00e9d\u00e9rales renforce les doutes voire les craintes d\u2019une instrumentalisation des proc\u00e9dures judiciaires am\u00e9ricaines \u00e0 des fins \u00e9conomiques ou commerciales<\/em> \u00bb <\/span>12<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Donc ainsi, pour le d\u00e9put\u00e9, \u00ab la r\u00e8gle de droit (\u2026) est devenue aujourd\u2019hui une arme de destruction dans la guerre \u00e9conomique que m\u00e8nent les \u00c9tats-Unis contre le reste du monde, y compris contre leurs alli\u00e9s traditionnels en Europe<\/em> \u00bb <\/span>13<\/sup><\/a><\/span><\/span>. L\u2019id\u00e9e \u00e9tait d\u00e9j\u00e0 l\u00e0 trois ans plus t\u00f4t, bien que de mani\u00e8re moins accus\u00e9e, dans le rapport Lellouche-Berger : \u00ab Le rachat de la branche \u00e9nergie d\u2019Alstom par General Electric a \u00e9galement suscit\u00e9 des interrogations sur une \u00e9ventuelle instrumentalisation des proc\u00e9dures pour corruption engag\u00e9es contre Alstom en vue de convaincre ses dirigeants de choisir l\u2019offre am\u00e9ricaine plut\u00f4t que celle de Siemens et de Mitsubishi<\/em> \u00bb <\/span>14<\/sup><\/a><\/span><\/span><\/p>\n\n\n\n L\u2019heure serait donc aujourd\u2019hui venue du \u00ab lawfare <\/em> \u00bb et l\u2019extraterritorialit\u00e9 figurerait en bonne place des \u00ab nouvelles armes de guerre \u00e9conomique \u00bb avec lesquelles ce combat se m\u00e8ne <\/span>15<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Peut-\u00eatre, soit, mais sans que cela dispense d\u2019aller interroger pr\u00e9cis\u00e9ment la r\u00e8gle de droit. Car une partie de ce qui se joue aujourd\u2019hui tient pr\u00e9cis\u00e9ment dans la capacit\u00e9 de la communaut\u00e9 juridique internationale \u00e0 tenir bon le cap du droit dans un contexte g\u00e9opolitique tendu.<\/p>\n\n\n\n Il est bien \u00e9vident que la \u00ab comp\u00e9tence-dollar \u00bb, si elle constituait v\u00e9ritablement un principe g\u00e9n\u00e9ral du droit am\u00e9ricain, reviendrait \u00e0 abolir \u00e0 peu de choses pr\u00e8s la notion m\u00eame de comp\u00e9tence. Comme l\u2019observe R\u00e9gis Bismuth, \u00ab accepter une vision aussi extensive de la souverainet\u00e9 mon\u00e9taire qui ne trouve pas de fondement en droit international reviendrait, pour une devise telle que le dollar qui b\u00e9n\u00e9ficie d\u2019une position privil\u00e9gi\u00e9e \u2014 ou plut\u00f4t d\u2019un \u00ab privil\u00e8ge exorbitant \u00bb \u2014 dans le r\u00e8glement des transactions \u00e9conomiques internationales, \u00e0 conf\u00e9rer aux \u00c9tats-Unis une forme de comp\u00e9tence quasi universelle sur celles-ci<\/em> \u00bb <\/span>16<\/sup><\/a><\/span><\/span>. <\/p>\n\n\n\n Or rien ne serait plus \u00e9loign\u00e9 non seulement des principes du droit international, mais aussi et surtout des principes m\u00eames du droit f\u00e9d\u00e9ral des \u00c9tats-Unis. En fait, les tenants fran\u00e7ais de la th\u00e9orie de la \u00ab comp\u00e9tence-dollar \u00bb partagent g\u00e9n\u00e9ralement deux pr\u00e9suppos\u00e9s, qui sont tous deux inexacts au regard du droit am\u00e9ricain. <\/p>\n\n\n\n D\u2019une part, ils pr\u00e9tendent d\u00e9velopper un discours d\u2019ordre g\u00e9n\u00e9ral : la pr\u00e9sence du dollar (ou encore d\u2019un serveur am\u00e9ricain) serait un facteur g\u00e9n\u00e9ral de comp\u00e9tence. Or s\u2019il existe bien un principe g\u00e9n\u00e9ral en mati\u00e8re d\u2019extraterritorialit\u00e9 en droit am\u00e9ricain, c\u2019est un principe exactement contraire : celui de la \u00ab pr\u00e9somption contre<\/em> l\u2019extraterritorialit\u00e9 \u00bb. Pour le reste, c\u2019est une question d\u2019interpr\u00e9tation textuelle au cas par cas, pour chaque l\u00e9gislation : l\u2019\u00e9tendue de l\u2019extraterritorialit\u00e9 du FCPA n\u2019est pas la m\u00eame que celle de tel ou tel type de sanctions \u00e9conomiques, du wire fraud<\/em>, du RICO <\/span>17<\/sup><\/a><\/span><\/span> ou de toute autre l\u00e9gislation dans le domaine de la criminalit\u00e9 d\u2019affaires.<\/p>\n\n\n\n D\u2019autre part, beaucoup d\u2019auteurs fran\u00e7ais ne tirent qu\u2019imparfaitement les cons\u00e9quences du fait que la plupart des affaires qui illustrent \u2014 souvent de mani\u00e8re spectaculaire \u2014 l\u2019application extraterritoriale du droit am\u00e9ricain rel\u00e8vent de transactions p\u00e9nales dans lesquelles la comp\u00e9tence est accept\u00e9e par les d\u00e9fendeurs mais non d\u00e9montr\u00e9e juridiquement. Chacun convient que, dans ces affaires, le droit n\u2019est pas dit. En effet, \u00ab les arguments relatifs \u00e0 la comp\u00e9tence des autorit\u00e9s am\u00e9ricaines sont tr\u00e8s rarement \u00e9voqu\u00e9s devant les Cours f\u00e9d\u00e9rales, car les poursuites en mati\u00e8re de corruption internationale suivent un parcours transactionnel (menant \u00e0 un \u00ab accord \u00bb), qui permet au DoJ d\u2019invoquer une interpr\u00e9tation tr\u00e8s large et arbitraire de sa propre comp\u00e9tence, sans qu\u2019il soit soumis \u00e0 aucun contr\u00f4le du juge<\/em> \u00bb. <\/span>18<\/sup><\/a><\/span><\/span> Ces transactions constituent donc une situation de fait sans doute significative \u00e0 bien des \u00e9gards, mais dont on ne peut donc absolument rien tirer en termes d\u2019analyse juridique.<\/p>\n\n\n\n Si la jurisprudence est certes rare en mati\u00e8re p\u00e9nale aux \u00c9tats-Unis, cela tient \u00e0 la nature m\u00eame du syst\u00e8me p\u00e9nal am\u00e9ricain : \u00ab la justice p\u00e9nale am\u00e9ricaine aujourd\u2019hui consiste pour la plus grande part en un ensemble de transactions et non en un ensemble de proc\u00e8s<\/em> \u00bb <\/span>19<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Mais cette jurisprudence existe, et est d\u2019autant plus significative lorsqu\u2019elle finit par intervenir. Arguer de l\u2019extraterritorialit\u00e9 de fait<\/em> des poursuites am\u00e9ricaines pour d\u00e9montrer l\u2019extraterritorialit\u00e9 du droit<\/em> am\u00e9ricain rel\u00e8ve d\u2019un raisonnement politique plus que juridique <\/span>20<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n L\u2019\u00e9tude de la question de l\u2019extraterritorialit\u00e9 du droit am\u00e9ricain d\u2019un point de vue juridique<\/em> fait ainsi rapidement ressortir que celle-ci est d\u2019abord gouvern\u00e9e par un principe d\u2019interpr\u00e9tation des textes de loi au cas par cas.<\/p>\n\n\n\n La question de l\u2019application territoriale ou extraterritoriale de la l\u00e9gislation am\u00e9ricaine revient en effet tr\u00e8s r\u00e9guli\u00e8rement dans les affaires soumises \u00e0 la Cour supr\u00eame <\/span>21<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Celle-ci ainsi pris position notamment sur l\u2019application extraterritoriale du Sherman Act <\/em>(droit de la concurrence) <\/span>22<\/sup><\/a><\/span><\/span>, du droit du travail <\/span>23<\/sup><\/a><\/span><\/span>, de la responsabilit\u00e9 civile en mati\u00e8re de fraude boursi\u00e8re <\/span>24<\/sup><\/a><\/span><\/span>, de l\u2019Alien Tort Statute<\/em> (ATS, responsabilit\u00e9 civile pour des violations du droit des gens) <\/span>25<\/sup><\/a><\/span><\/span>, ou encore des garanties de la proc\u00e9dure p\u00e9nale et de l\u2019habeas corpus<\/em> dans le contexte de la lutte anti-terroriste et des d\u00e9tentions \u00e0 Guantanamo ou dans d\u2019autres lieux \u00e0 l\u2019\u00e9tranger <\/span>26<\/sup><\/a><\/span><\/span>. <\/p>\n\n\n\n D\u00e9gag\u00e9e par la Cour supr\u00eame d\u00e8s les origines du droit am\u00e9ricain en mati\u00e8re de droit douanier et de piraterie, la pr\u00e9somption contre l\u2019extraterritorialit\u00e9 a \u00e9t\u00e9 r\u00e9affirm\u00e9e au d\u00e9but du XXe<\/sup><\/abbr> si\u00e8cle, au sujet du droit de la concurrence naissant, par le c\u00e9l\u00e8bre juge et th\u00e9oricien du droit Oliver Wendell Holmes Jr. dans l\u2019arr\u00eat American Banana Co. v. United Fruit Co<\/em>. <\/span>27<\/sup><\/a><\/span><\/span> Le principe a cependant perdu en vigueur tout au long du XXe<\/sup> si\u00e8cle, notamment en mati\u00e8re de droit de la concurrence, au point qu\u2019en 1987 le troisi\u00e8me Restatement<\/em> n\u2019en faisait plus aucune mention <\/span>28<\/sup><\/a><\/span><\/span>. <\/p>\n\n\n\n C\u2019est pourquoi le retour sur le devant de la sc\u00e8ne du principe et les formules cisel\u00e9es du juge Scalia dans l\u2019arr\u00eat Morrison<\/em> et du pr\u00e9sident Roberts dans l\u2019arr\u00eat Kiobel<\/em> ont \u00e9t\u00e9 largement comment\u00e9es aux \u00c9tats-Unis comme \u00e0 l\u2019\u00e9tranger <\/span>29<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Les juges de la Cour supr\u00eame semblent vouloir \u00e9viter que des strat\u00e9gies de forum shopping <\/em>ne conduisent \u00e0 \u00e9riger le syst\u00e8me judiciaire am\u00e9ricain en v\u00e9ritable juridiction universelle ou, pour reprendre le trait d\u2019esprit du juge Scalia, en v\u00e9ritable \u00ab Shangri-La \u00bb des contentieux transnationaux <\/span>30<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n Le principe de \u00ab la pr\u00e9somption contre l\u2019extraterritorialit\u00e9 \u00bb signifie que le silence d\u2019une loi sur son \u00e9ventuelle application extraterritoriale vaut absence d\u2019extraterritorialit\u00e9. Or force est de constater qu\u2019aucune des l\u00e9gislations am\u00e9ricaines g\u00e9n\u00e9ralement mobilis\u00e9es par les tenants de la th\u00e9orie de la \u00ab comp\u00e9tence-dollar \u00bb ne d\u00e9finit express\u00e9ment, dans son texte m\u00eame, son champ d\u2019application par l\u2019utilisation de la devise am\u00e9ricaine. <\/p>\n\n\n\n Si le texte de ces l\u00e9gislations \u00e9tait invoqu\u00e9, ce ne serait que dans le cadre d\u2019un raisonnement par extension. Comme le notent tr\u00e8s justement Pierre Lellouche et Karine Berger, \u00ab l\u2019application de fait extraterritoriale de certaines l\u00e9gislations am\u00e9ricaines n\u2019est pas fond\u00e9e sur une revendication d\u00e9lib\u00e9r\u00e9e d\u2019extraterritorialit\u00e9, mais sur des interpr\u00e9tations larges, voire \u00ab tir\u00e9es par les cheveux \u00bb, du crit\u00e8re de comp\u00e9tence territoriale \u2013 ainsi du raisonnement selon lequel toute op\u00e9ration bancaire libell\u00e9e en dollars dans le monde finit par donner lieu \u00e0 une compensation effectu\u00e9e sur le sol am\u00e9ricain<\/em> \u00bb <\/span>31<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Or c\u2019est pr\u00e9cis\u00e9ment cela que le principe de la \u00ab pr\u00e9somption contre l\u2019extraterritorialit\u00e9 \u00bb entend combattre.<\/p>\n\n\n\n Si la Cour supr\u00eame ne s\u2019est pas \u00e0 ma connaissance prononc\u00e9e \u00e0 ce jour sur la question \u00e0 propos du r\u00f4le du dollar (ou des serveurs am\u00e9ricain) pour l\u2019\u00e9ventuelle application extraterritoriale du FCPA, des sanctions \u00e9conomiques ou d\u2019autres l\u00e9gislations en mati\u00e8re de criminalit\u00e9 d\u2019affaires, les juges f\u00e9d\u00e9raux semblent n\u00e9anmoins avoir d\u00e9j\u00e0 bien int\u00e9gr\u00e9 l\u2019id\u00e9e que le principe de la pr\u00e9somption contre l\u2019extraterritorialit\u00e9 s\u2019applique \u00e0 ces l\u00e9gislations et n\u2019h\u00e9sitent pas \u00e0 d\u00e9savouer les interpr\u00e9tations parfois abusivement extensives du D\u00e9partement of Justice<\/em>. Le juge \u00e9crit ainsi en 2018, dans l\u2019affaire Hoskins, un ancien cadre d\u2019Alstom poursuivi sur le fondement du FCPA : \u00ab Notre syst\u00e8me juridique pose en principe fondamental que, de mani\u00e8re g\u00e9n\u00e9rale, le droit des \u00c9tats-Unis s\u2019applique nationalement mais ne r\u00e9git pas le monde entier. Les tribunaux ne doivent donc appliquer le droit des \u00c9tats-Unis de mani\u00e8re extraterritoriale que si c\u2019est l\u00e0 l\u2019intention expresse et non ambig\u00fce du Congr\u00e8s (unless the affirmative intention of the Congress [is] clearly expressed<\/em>). Ce principe tient au risque de conflits non souhait\u00e9s entre notre droit et celui d\u2019autres nations, qui pourraient causer une discorde internationale \u00bb <\/span>32<\/sup><\/a><\/span><\/span>. <\/p>\n\n\n\n Les juges de la Cour supr\u00eame semblent vouloir \u00e9viter que des strat\u00e9gies de forum shopping <\/em>ne conduisent \u00e0 \u00e9riger le syst\u00e8me judiciaire am\u00e9ricain en v\u00e9ritable juridiction universelle ou, pour reprendre le trait d\u2019esprit du juge Scalia, en v\u00e9ritable \u00ab Shangri-La \u00bb des contentieux transnationaux.<\/strong><\/p>Emmanuel breen<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Dans ce contexte, et dans l\u2019attente d\u2019une clarification jurisprudentielle indiscutable, le point de rep\u00e8re du juriste ne peut \u00eatre que le texte des lois am\u00e9ricaines. On constate \u00e0 cet \u00e9gard que le FCPA et les textes instituant les sanctions \u00e9conomiques <\/span>33<\/sup><\/a><\/span><\/span>, pour limiter ici l\u2019analyse \u00e0 ces deux exemples, sont r\u00e9dig\u00e9s de mani\u00e8re assez diff\u00e9rente, au regard de la question de leur \u00e9ventuelle application extraterritoriale. <\/p>\n\n\n\n Il en r\u00e9sulte que si la th\u00e9orie de la \u00ab comp\u00e9tence-dollar \u00bb (ou de la \u00ab comp\u00e9tence-serveur \u00bb) n\u2019a absolument aucune base textuelle en mati\u00e8re de FCPA, et y rel\u00e8ve donc d\u2019un v\u00e9ritable mythe, la situation est plus nuanc\u00e9e pour les textes instituant les sanctions \u00e9conomiques dont certains peuvent fournir un point d\u2019appui \u00e0 une th\u00e9orie causale de la comp\u00e9tence, th\u00e9orie dont un juge am\u00e9ricain pourrait \u00e9ventuellement un jour d\u00e9duire celle du dollar ou du serveur.<\/p>\n\n\n\n Le rapport Gauvain, et ce n\u2019est pas le moindre de ses m\u00e9rites, proc\u00e8de \u00e0 une v\u00e9ritable analyse textuelle du FCPA. Mais les conclusions qu\u2019il en tire sont \u00e0 mon sens erron\u00e9es et trahissent le sens naturel de ce texte. Or, compte-tenu du principe de la pr\u00e9somption contre l\u2019extraterritorialit\u00e9, c\u2019est bien ce sens naturel qui sera le seul guide d\u2019un juge am\u00e9ricain le jour o\u00f9 il lui sera demand\u00e9 de se prononcer pour ou contre la th\u00e9orie de la \u00ab comp\u00e9tence-dollar \u00bb ou de la \u00ab comp\u00e9tence-serveur \u00bb.<\/p>\n\n\n\n Il est utile de faire ici une large citation du rapport Gauvain, afin de bien identifier la source de la confusion.<\/p>\n\n\n\n \u00ab Le \u00ab FCPA \u00bb couvre trois cat\u00e9gories de personnes : <\/em><\/p>\n\n\n\n
<\/a>T\u00e9l\u00e9charger<\/a><\/div>\n\n\n\nI. La comp\u00e9tence fond\u00e9e sur le dollar, une id\u00e9e largement relay\u00e9e en France<\/strong><\/h2>\n\n\n\n
II. Un principe g\u00e9n\u00e9ral du droit am\u00e9ricain : la pr\u00e9somption contre l\u2019extraterritorialit\u00e9<\/strong><\/h2>\n\n\n\n
III. Distinguer le FCPA et les sanctions \u00e9conomiques<\/strong><\/h2>\n\n\n\n
1. Le cas du FCPA<\/em><\/h3>\n\n\n\n