{"id":79742,"date":"2020-07-25T16:31:26","date_gmt":"2020-07-25T14:31:26","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=79742"},"modified":"2020-11-08T12:46:14","modified_gmt":"2020-11-08T11:46:14","slug":"on-prefere-avoir-une-turquie-dedans-quune-turquie-dehors-entretien-avec-jean-francois-polo","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2020\/07\/25\/on-prefere-avoir-une-turquie-dedans-quune-turquie-dehors-entretien-avec-jean-francois-polo\/","title":{"rendered":"Sport et politique en Turquie\u202f\u2013\u202fconversation avec Jean-Fran\u00e7ois Polo"},"content":{"rendered":"\n
Au d\u00e9part le football arrive par les ports, par les activit\u00e9s commerciales des marins europ\u00e9ens et notamment britanniques, qui commencent \u00e0 jouer. A cette \u00e9poque, il est interdit pour les \u00e9quipes musulmanes de participer \u00e0 ce jeu, le sultan Abd\u00fclhamid II s\u2019y oppose. Ce sont surtout les \u00e9quipes non musulmanes, les Grecs, les Arm\u00e9niens, les minorit\u00e9s chr\u00e9tiennes, les Levantins, les Europ\u00e9ens qui vivent sous la tutelle ottomane mais qui ne sont pas soumis au droit musulman, qui vont jouer au football. Ce qui va bien s\u00fbr susciter l\u2019envie des \u00e9lites musulmanes pour participer elles-aussi \u00e0 ces rencontres, vers la fin du XIXe<\/sup> \u2013 d\u00e9but XXe<\/sup> si\u00e8cle.<\/p>\n\n\n\n Les \u00e9lites musulmanes vont participer \u00e0 leur tour, au d\u00e9part de mani\u00e8re un peu clandestine. Puis, le football va devenir le r\u00e9ceptacle d\u2019un investissement nationaliste, rendant le contr\u00f4le de l\u2019Etat ottoman sur la pratique du football moins fort. Ces \u00e9lites vont comprendre, d\u00e9j\u00e0 \u00e0 cette \u00e9poque, que le sport moderne peut \u00eatre un lieu d\u2019investissement, le lien d\u2019une forme d\u2019exaltation nationaliste. Peu \u00e0 peu le football va \u00eatre tol\u00e9r\u00e9, les grandes \u00e9coles vont cr\u00e9er leurs premi\u00e8res \u00e9quipes officielles et le football va se d\u00e9velopper, essentiellement encore une fois dans un rapport \u00e0 l\u2019Europe, avec ce souci, ce d\u00e9sir de se confronter \u00e0 l\u2019Europe.<\/p>\n\n\n\n L\u2019id\u00e9e est de se hisser au niveau de l\u2019excellence europ\u00e9enne. C\u2019est vrai pour l\u2019administration, c\u2019est vrai pour les r\u00e9formes politiques, pour l\u2019ambition \u00e9conomique, mais c\u2019est \u00e9galement vrai sur le plan culturel. La Turquie de la fin de l\u2019Empire ottoman et du d\u00e9but de la R\u00e9publique est dans une relation ambig\u00fce par rapport \u00e0 l\u2019Europe. L\u2019Europe est celle qui incarne la modernit\u00e9, celle qui incarne ce \u00e0 quoi on aspire. Mais ce sont aussi des puissances qui ont failli mettre un terme \u00e0 l\u2019histoire turque en Anatolie. C\u2019est une histoire de fascination, d\u2019attraction, mais \u00e9galement bien s\u00fbr une relation de m\u00e9fiance, une esp\u00e8ce de \u00ab relation amour-haine \u00bb. On veut se hisser au niveau des Europ\u00e9ens, on veut ressembler aux Europ\u00e9ens, on revendique m\u00eame finalement une identit\u00e9 europ\u00e9enne, mais on se m\u00e9fie aussi de ces Europ\u00e9ens. Les battre au football, c\u2019est la preuve que la Turquie est capable de produire des combattants, des sportifs.<\/p>\n\n\n\n Cette vision pouvait avoir une pertinence au d\u00e9but du si\u00e8cle, dans les ann\u00e9es 1930-1940. Aujourd\u2019hui, je ne crois plus en ces grandes cat\u00e9gories. Aujourd\u2019hui, les clubs sont des clubs \u00ab attrape-tout \u00bb, de la m\u00eame mani\u00e8re qu\u2019il y a des partis politiques \u00ab attrape-tout \u00bb. Dans chaque club on va trouver des \u00e9lites s\u00e9cularis\u00e9es, qui boivent de l\u2019alcool, qui ne font pas le Ramadan et qui sont anti-Erdo\u011fan ; on va retrouver des classes populaires conservatrices proches de Recep Tayyip Erdo\u011fan (R.T. Erdo\u011fan).<\/p>\n\n\n\n M\u00eame si historiquement Galatasaray est cr\u00e9\u00e9 par des anciens du lyc\u00e9e, avec un h\u00e9ritage plut\u00f4t aristocratique et \u00e9litiste, c\u2019est un club qui prend ensuite son autonomie. Aujourd\u2019hui c\u2019est un club qui accueille toutes les franges de la population. Les dirigeants, m\u00eame s\u2019ils peuvent \u00eatre critiques \u00e0 l\u2019\u00e9gard du pouvoir, savent aussi qu\u2019ils en d\u00e9pendent et qu\u2019ils n\u2019ont pas int\u00e9r\u00eat \u00e0 le critiquer. Ils ont un magnifique nouveau stade, qui a pu \u00eatre construit sur une zone qui a \u00e9t\u00e9 accord\u00e9e par la ville, avec l\u2019assentiment de R.T. Erdo\u011fan. Lorsqu\u2019il est venu inaugurer le stade en 2011, au moment de prendre la parole, il s\u2019est fait siffler. La bronca a continu\u00e9 et R.T. Erdo\u011fan a quitt\u00e9 le stade sans prononcer son discours. On voit bien que la manipulation des supporters peut \u00e9chapper aux dirigeants, au pouvoir, et que la coloration politique des clubs est \u00e0 prendre avec beaucoup de pr\u00e9caution.<\/p>\n\n\n\n Be\u015fikta\u015f a aussi \u00e9t\u00e9 pr\u00e9sent\u00e9 comme un club marqu\u00e9 par un engagement politique plut\u00f4t \u00e0 gauche, \u00ab anti-capitaliste \u00bb, autour de causes que je qualifierai de \u00ab consensuelles \u00bb. On a beaucoup vu les supporters de Be\u015fikta\u015f, notamment le club de supporters des \u00c7ar\u015f\u0131<\/em>, pendant Gezi, occuper la place et m\u00eame \u00eatre \u00e0 l\u2019avant-garde des combats pour occuper la place Taksim. Mais l\u00e0 aussi, cela rel\u00e8ve d\u2019un discours h\u00e9ro\u00efs\u00e9, qui va participer \u00e0 la l\u00e9gende des supporters de Be\u015fikta\u015f comme les supporters les plus engag\u00e9s avec leur logo qui figure un \u00ab A \u00bb anarchiste. C\u2019est la m\u00eame chose pour Fenerbah\u00e7e. Ce qui n\u2019emp\u00eache pas que l\u00e0 aussi, R.T. Erdo\u011fan peut afficher une proximit\u00e9 avec Fenerbah\u00e7e parce que c\u2019est le club qui l\u2019a un peu fait r\u00eaver, m\u00eame s\u2019il est de Kas\u0131mpa\u015fa \u00e0 l\u2019origine. Mais lui s\u2019est aussi fait siffler \u00e0 Fenerbah\u00e7e.<\/p>\n\n\n\nLes \u00ab trois grands \u00bb clubs d\u2019Istanbul se cr\u00e9ent dans ce d\u00e9but du XXe<\/sup>, Galatasaray, Fenerbah\u00e7e et Be\u015fikta\u015f, et leur l\u2019identit\u00e9 est intrins\u00e8quement li\u00e9e \u00e0 l\u2019id\u00e9ologie politique de leur quartier. Be\u015fikta\u015f repr\u00e9sente son quartier populaire et la\u00efque ; Galatasaray, les \u00e9lites europ\u00e9anis\u00e9es ; et Fenerbah\u00e7e, la petite bourgeoisie.<\/strong> Qu\u2019en est-il de cet attachement social et id\u00e9ologique aujourd\u2019hui ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n