{"id":79140,"date":"2020-07-17T16:33:32","date_gmt":"2020-07-17T14:33:32","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=79140"},"modified":"2020-07-21T17:38:13","modified_gmt":"2020-07-21T15:38:13","slug":"la-chine-afrique-est-elle-mal-partie","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2020\/07\/17\/la-chine-afrique-est-elle-mal-partie\/","title":{"rendered":"La Chine-Afrique est-elle mal partie ?"},"content":{"rendered":"\n

Les analyses des relations sino-africaines ont \u00e9t\u00e9 particuli\u00e8rement riches et nourries depuis les vingt derni\u00e8res ann\u00e9es<\/a>, plus particuli\u00e8rement depuis 2008-2009, la crise financi\u00e8re internationale et la mue de la politique \u00e9trang\u00e8re chinoise. Cette derni\u00e8re a intensifi\u00e9 l\u2019internationalisation de ses grands groupes, augment\u00e9 de mani\u00e8re tr\u00e8s significative les investissements \u00e0 l\u2019\u00e9tranger, puis avec l\u2019arriv\u00e9e au pouvoir de Xi Jinping, accentu\u00e9 le r\u00f4le de la Chine comme puissance dans le syst\u00e8me international. Dans le prolongement de la bien connue politique dite \u00ab  aller \u00e0 l\u2019ext\u00e9rieure  \u00bb (going out Policy \u2013 zouchuqu<\/em>) de Jiang Zemin en 1999, l\u2019actuelle politique africaine de la Chine est \u00e0 la crois\u00e9e des chemins entre d\u00e9pendance et puissance. Les visites d\u2019Etat se sont accumul\u00e9es depuis vingt ans, la premi\u00e8re visite de Xi Jinping \u00e0 l\u2019\u00e9tranger sera en Afrique (2013). La relation entre la Chine et l\u2019Afrique, tr\u00e8s articul\u00e9e par la \u00ab  diplomatie du ch\u00e9quier  \u00bb ou plus r\u00e9cemment qualifi\u00e9e de \u00ab  Palace diplomacy  \u00bb par Joshua Meservey <\/span>1<\/sup><\/a><\/span><\/span>, analyste politique sur l\u2019Afrique et le Moyen-Orient \u00e0 The Heritage Foundation<\/em> (aux Etats-Unis), plus encore que d\u2019autres espaces, incarne \u00e0 la fois les vell\u00e9it\u00e9s de la politique internationale chinoise dans le concert des nations et sa d\u00e9pendance colossale aux besoins en mati\u00e8res \u00e9nerg\u00e9tiques, agricoles et halieutiques. De plus en plus la Chine per\u00e7oit le continent africain comme un vaste march\u00e9 sur lequel l\u2019industrie chinoise, technologies innovantes (3G, 4G et demain 5G), en t\u00eate, peuvent constituer une alternative aux propositions occidentales, renfor\u00e7ant le d\u00e9s\u00e9quilibre tr\u00e8s important de la relation commerciale et la d\u00e9pendance croissante des Etats africains \u00e0 la Chine. L\u2019objet de cet article n\u2019est pas de faire un \u00e9tat des lieux exhaustif des relations bilat\u00e9rales tr\u00e8s asym\u00e9triques entre la Chine et ses partenaires, mais pr\u00e9cis\u00e9ment de d\u00e9gager les tendances politiques et diplomatiques du modus<\/em> operandi<\/em> du Parti-Etat dans l\u2019ensemble des pays africains. <\/p>\n\n\n\n

La relation Chine – Afrique s\u2019est intensifi\u00e9e apr\u00e8s que P\u00e9kin eut b\u00e9n\u00e9fici\u00e9 en 1989 du soutien des potentats africains. C\u2019est l\u2019\u00e9poque o\u00f9 l\u2019Occident pla\u00e7ait la Chine sous embargo et s\u2019appr\u00eatait – fin de la guerre froide oblige – \u00e0 subordonner la poursuite de son aide non seulement \u00e0 la d\u00e9mocratisation mais aussi au respect des droits de l\u2019homme sur le continent africain. \u00ab  Il n’y a pas de d\u00e9veloppement sans d\u00e9mocratie et il n’y a pas de d\u00e9mocratie sans d\u00e9veloppement  \u00bb d\u00e9clarait, dans ce contexte, Roland Dumas \u00e0 l\u2019issu du discours de La Baule<\/a> (1990) prononc\u00e9 par Fran\u00e7ois Mitterrand. La Chine, elle, depuis trente ans n\u2019a jamais cess\u00e9 d\u2019affirmer le contraire en postulant le fait qu\u2019un r\u00e9gime dictatorial fort \u00e9tait le gage d\u2019une r\u00e9ussite \u00e9conomique. On a parl\u00e9 de \u00ab  consensus de P\u00e9kin  \u00bb <\/span>2<\/sup><\/a><\/span><\/span> pour illustrer cette politique dont bon nombre de pays du Sud se sont inspir\u00e9 <\/span>3<\/sup><\/a><\/span><\/span> comme les \u00e9lites dirigeantes du Kenya <\/span>4<\/sup><\/a><\/span><\/span> qui voient \u00e0 travers le mod\u00e8le de cybercrature autoritaire chinois une v\u00e9ritable panac\u00e9e. Pour autant, la Chine est-elle capable de proposer \u00e0 l\u2019Afrique un mod\u00e8le de d\u00e9veloppement ? Il y a bien des r\u00e9ussites spectaculaires men\u00e9es par P\u00e9kin en Afrique, que ce soit dans le domaine sanitaire – lutte contre la pand\u00e9mie Ebola <\/span>5<\/sup><\/a><\/span><\/span> \u2013 celui de l\u2019\u00e9ducation, de la lutte contre le terrorisme ou encore des infrastructures, mais \u00e0 quel prix  ? Tenter d\u2019y r\u00e9pondre, c\u2019est s\u2019int\u00e9resser \u00e0 l\u2019un des enjeux les plus importants du si\u00e8cle et aux revirements toujours possibles des opinions africaines \u00e0 l\u2019encontre de la Chine comme l\u2019a r\u00e9v\u00e9l\u00e9 l\u2019impact de la Covid-19 <\/span>6<\/sup><\/a><\/span><\/span>. <\/p>\n\n\n\n

Trois principaux \u00e9l\u00e9ments de diplomatie motivent la politique africaine de la Chine <\/a> : l\u00e9gitimer l\u2019image d\u2019un \u00ab  grand pays en d\u00e9veloppement  \u00bb en continuit\u00e9 avec la conf\u00e9rence de Bandung<\/a> (1955), resserrer l\u2019\u00e9tau diplomatique autour de Taiwan et s\u00e9curiser les approvisionnements chinois (hydrocarbures, mati\u00e8res premi\u00e8res et produits agricoles). Ce choix politique de P\u00e9kin a progressivement pris la forme d\u2019un r\u00e9seau d\u2019influences tr\u00e8s diverses, repr\u00e9sent\u00e9es \u00e0 l\u2019occasion du FOCAC (Forum sur la coop\u00e9ration sino-africaine), une instance de coop\u00e9ration cr\u00e9\u00e9e en 2000 et destin\u00e9e \u00e0 asseoir dans la dur\u00e9e l\u2019emprise chinoise sur le continent africain et peser dans la gouvernance mondiale. Le sentiment d\u2019une Chine investissant massivement sur le continent africain demeure cependant une perception fantasm\u00e9e. Dans les faits, la pr\u00e9sence chinoise en Afrique, bien r\u00e9elle, est plus compliqu\u00e9e.<\/p>\n\n\n\n

Pr\u00e8s de 60 ans apr\u00e8s le premier voyage de Zhou Enlai en Afrique <\/span>7<\/sup><\/a><\/span><\/span>, la coop\u00e9ration n\u2019a cess\u00e9 de s\u2019intensifier avec la Chine. Pr\u00e8s de 546 000 organisations chinoises de toute nature (entreprises, associations\u2026) recens\u00e9es en Afrique participent \u00e0 une strat\u00e9gie de d\u00e9veloppement mise en \u0153uvre par le gouvernement chinois sur le continent africain. Ces relais s\u2019inscrivent dans le choix d\u2019une politique globale initi\u00e9e par le Pr\u00e9sident Hu Jintao, et que poursuit \u00e0 l\u2019heure actuelle son successeur Xi Jinping. Cette politique globale vise \u00e0 internationaliser la pr\u00e9sence chinoise et \u00e0 utiliser tout particuli\u00e8rement ses ONG (Organisations non gouvernementales) comme de puissants leviers. Selon Liu Hongwu, directeur de l\u2019Institut des \u00e9tudes africaines de l\u2019Universit\u00e9 normale du Zhejiang, non seulement le nombre d\u2019africanistes chinois <\/span>8<\/sup><\/a><\/span><\/span> n\u2019a cess\u00e9 de cro\u00eetre mais il existe une centaine d\u2019ONG chinoises travaillant en Afrique m\u00eame. Parmi elles, la Fondation chinoise pour la r\u00e9duction de la pauvret\u00e9 (APFC)<\/a> et la Croix-Rouge chinoise<\/a>. Elles accompagnent les nombreuses activit\u00e9s financ\u00e9es dans le cadre du programme d\u2019aide \u00e0 l\u2019Afrique. Ce programme s\u2019\u00e9levait pour l\u2019ann\u00e9e 2018 \u00e0 60 milliards de dollars <\/span>9<\/sup><\/a><\/span><\/span>. La grande majorit\u00e9 des ONG chinoises op\u00e9rant sur le continent africain est en r\u00e9alit\u00e9 des \u00ab  GONGO  \u00bb (litt\u00e9ralement  : \u00ab  Gouvernementale Organisation non-gouvernementale  \u00bb)<\/a> c\u2019est-\u00e0-dire des ONG organis\u00e9es par le gouvernement. A la diff\u00e9rence de la plupart des ONG occidentales, les GONGO sont financ\u00e9es \u00e0 la fois par des entreprises d\u2019Etat chinoises et l\u2019Etat chinois. Il est donc difficile pour ne pas dire impossible de distinguer les acteurs \u00e9tatiques et non-\u00e9tatiques concernant la pr\u00e9sence chinoise en Afrique.<\/p>\n\n\n\n

Quand souffle l\u2019esprit de \u00ab  Bandung  \u00bb <\/strong><\/h4>\n\n\n\n

Une chose est certaine en revanche  : sous couvert de ces ONG, la Chine souhaite promouvoir une voie chinoise pour le d\u00e9veloppement, \u00e0 savoir une v\u00e9ritable alternative \u00e0 la pr\u00e9sence et au \u00ab  soft power<\/em>  \u00bb occidental. L\u2019un des derniers FOCAC tenu \u00e0 Johannesburg en d\u00e9cembre 2015<\/a> \u00e9tait tr\u00e8s clair dans ses propositions  : \u00ab  l\u2019assistance de la Chine sera principalement utilis\u00e9e dans le champ du d\u00e9veloppement des infrastructures, des soins m\u00e9dicaux, de l\u2019agriculture, du changement climatique et dans des objectifs humanitaires, dans le but d\u2019aider les pays africains \u00e0 lutter contre la pauvret\u00e9, am\u00e9liorer les conditions de vie et construire un d\u00e9veloppement ind\u00e9pendant  \u00bb.<\/em> En cela, la Chine peut s\u2019appuyer sur une solidarit\u00e9 tiers-mondiste qu\u2019elle n\u2019a jamais cess\u00e9 de cultiver depuis plus de soixante ans lors de sa participation active \u00e0 la premi\u00e8re conf\u00e9rence afro-asiatique r\u00e9unie \u00e0 Bandung (1955).<\/a> M\u00eame si des voix, comme celle de l\u2019ancien Pr\u00e9sident sud-africain Thabo Mbeki<\/a>, se sont \u00e9lev\u00e9 contre les formes de \u00ab  n\u00e9o-colonialisme  \u00bb<\/em> que rev\u00eat selon lui l\u2019aide chinoise, un fait n\u2019en demeure pas moins r\u00e9el, celle-ci contribue largement au d\u00e9collage \u00e9conomique de bien des pays dans cette r\u00e9gion du monde. <\/p>\n\n\n\n

Ainsi l\u2019Ethiopie et sa capitale Addis-Abeba o\u00f9 si\u00e8ge la Commission \u00e9conomique pour l\u2019Afrique (CEA) de l\u2019Union Africaine (UA) ont b\u00e9n\u00e9fici\u00e9 depuis l\u2019an 2000 de la r\u00e9alisation de 111 projets, dans le domaine agricole notamment, financ\u00e9es par P\u00e9kin, pour un montant de 8,73 milliards de dollars. La nature de ces projets participe d\u2019une strat\u00e9gie d\u2019endiguement humanitaire visant \u00e0 pr\u00e9venir toute forme d\u2019instabilit\u00e9 qui s\u2019av\u00e9rait \u00e0 terme dommageable non seulement pour la pr\u00e9servation de la paix sociale mais aussi des int\u00e9r\u00eats chinois. En toile de fond persiste aussi, sur le th\u00e9\u00e2tre africain m\u00eame, la rivalit\u00e9 entre Ta\u00efwan et la R\u00e9publique populaire de Chine <\/span>10<\/sup><\/a><\/span><\/span>, raviv\u00e9e par les tensions que provoque l\u2019ambigu\u00eft\u00e9 des d\u00e9clarations de Donald Trump concernant la politique d\u2019une \u00ab  seule Chine  \u00bb d\u2019une part et comme l\u2019illustre d\u2019autre part le spectaculaire et non moins r\u00e9cent volte-face de Sao Tom\u00e9 et Principe<\/a> ainsi que de la Gambie<\/a> en faveur de P\u00e9kin. Toujours est-il que la pr\u00e9sence accrue de la Chine et de ses ONG en Afrique a longtemps rencontr\u00e9 un \u00e9cho largement favorable aupr\u00e8s des opinions locales<\/a>. Alors qu\u2019entre 1958 et 1970, 19 pays reconnaissaient Taiwan, puis 11 dans les ann\u00e9es 1990, il ne reste aujourd\u2019hui qu\u2019un seul Etat africain. La lutte d\u2019influence sur le continent entre Taipei et P\u00e9kin dans les ann\u00e9es 1950 et 1960 est belle et bien r\u00e9solue <\/span>11<\/sup><\/a><\/span><\/span>. En 1971, en plein contexte de guerre Froide, l\u2019Assembl\u00e9e g\u00e9n\u00e9rale de l\u2019ONU d\u00e9cide d\u2019admettre au sein des Nations Unies la Chine communiste et d\u2019expulser le r\u00e9gime de Taiwan. Cette r\u00e9solution (2758) est adopt\u00e9e par 76 voix contre 35 et 17 abstentions. Le soutien des pays fraichement d\u00e9colonis\u00e9s, notamment des 25 pays africains, est d\u00e9cisif dans ce changement g\u00e9opolitique. Rappelons que le contexte politique de la Chine communiste est polaris\u00e9 par d\u2019une part les troubles politiques en interne (les suites du fiasco et de la famine du \u00ab  Grand Bond en avant  \u00bb, et de la R\u00e9volution culturelle), et d\u2019autre part, le schisme sino-sovi\u00e9tique, la guerre du Vietnam, et l\u2019\u00e9crasement du Printemps de Prague par les troupes du Pacte de Varsovie. C\u2019est aussi l\u2019\u00e9poque des pr\u00e9mices de la diplomatie chinoise en direction des \u00c9tats-Unis. P\u00e9kin et Washington en pleine guerre Froide ont op\u00e9r\u00e9 un rapprochement pour marginaliser l\u2019URSS. L\u2019Afrique \u00e9tait alors un terrain de rivalit\u00e9 id\u00e9ologique entre Moscou et P\u00e9kin. Il est aujourd\u2019hui un terrain de rivalit\u00e9 avec les puissances occidentales ou asiatique comme le Japon et l\u2019Inde. Les importantes capacit\u00e9s commerciales chinoises comme le d\u00e9sint\u00e9r\u00eat pour la nature du r\u00e9gime politique en place ont favoris\u00e9 les fronts d\u2019offensive tous azimuts de la Chine sur le continent africain. A l\u2019instar du revirement g\u00e9opolitique de la Chine populaire \u00e0 l\u2019ONU, P\u00e9kin continue de mobiliser le \u00ab  bloc africain  \u00bb, autrement dit les voix africaines pour les \u00e9lections de poste cl\u00e9s \u00e0 l\u2019ONU ou encore de faire contre-poids \u00e0 l\u2019initiative du G4 (Japon, Allemagne, Inde et Br\u00e9sil) <\/span>12<\/sup><\/a><\/span><\/span>, largement soutenu par le Japon en 2005 pour r\u00e9former le Conseil de s\u00e9curit\u00e9 de l\u2019ONU. <\/p>\n\n\n\n

La mont\u00e9e en puissance de la pr\u00e9sence chinoise tous azimuts sur le continent africain a tr\u00e8s largement particip\u00e9 \u00e0 fragiliser encore plus les \u00e9conomies locales \u00e0 la fois dans les villes et dans les campagnes <\/span>13<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Si la pr\u00e9sence d\u2019investisseurs chinois de tr\u00e8s grandes tailles, soutenue par la diplomatie d\u2019Etat (secteur de l\u2019\u00e9nergie, infrastructures, exploitations agricoles, constructions etc.) recompose les relations g\u00e9o\u00e9conomiques inter\u00e9tatiques, la forte diss\u00e9mination des petits entrepreneurs et de petites soci\u00e9t\u00e9s chinoises sur le continent perturbent les \u00e9quilibres \u00e9conomiques, environnement et sociaux <\/span>14<\/sup><\/a><\/span><\/span>. L\u2019agence Moody\u2019s \u00e9value a pr\u00e8s de 2 500 entreprises chinoises install\u00e9es en Afrique et 114 milliards de dollars d\u2019\u00e9changes pour l\u2019ann\u00e9e 2016. La Chine est dans cette mesure, certes pourvoyeuse de nouveaux biens d\u2019\u00e9quipements, de produits de base bon march\u00e9, mais casse litt\u00e9ralement la concurrence dans des secteurs aussi vari\u00e9s que le textile, l\u2019agriculture et la paysannerie, l\u2019artisanat etc. La Chine domine le march\u00e9 du textile et a caus\u00e9 la perte de millions d\u2019emplois sur le continent <\/span>15<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Le d\u00e9veloppement agricole chinois en Afrique a acc\u00e9l\u00e9r\u00e9 pollutions, d\u00e9gradations des sols et appauvrissement des agricultures traditionnelles en Afrique subsaharienne au profit du coton, du riz ou d\u2019\u00e9levage avicole.  Il en est de m\u00eame pour le secteur de la p\u00eache <\/span>16<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Depuis plus de vingt ans, les p\u00eacheries chinoises souvent originaires du Zhejiang, Fujian et Guangdong ont fait des eaux de l\u2019Afrique de l\u2019Est et de l\u2019Ouest, des espaces surexploit\u00e9s (ill\u00e9galement) <\/span>17<\/sup><\/a><\/span><\/span>, remettant en cause l\u2019\u00e9quilibre \u00e9cologique, social et les apports nutritifs de populations enti\u00e8res. Enfin, l\u2019opacit\u00e9 dans les contrats et plus largement dans les relations, comme le recours massif \u00e0 une main d\u2019\u0153uvre chinoise contribuent \u00e0 un resserrement des connivences entre les Etats et un d\u00e9crochage avec les opinions publiques et soci\u00e9t\u00e9s civiles.<\/p>\n\n\n\n

Entre phantasmes et r\u00e9alit\u00e9s  : que p\u00e8se la pr\u00e9sence chinoise en Afrique  ?<\/strong><\/h4>\n\n\n\n

L\u2019impact de cette strat\u00e9gie est d\u2019autant plus profond qu\u2019il couvre un spectre tr\u00e8s large o\u00f9 les intrications \u00e9conomiques, diplomatiques et culturelles sont \u00e9troitement li\u00e9es. Cette strat\u00e9gie subordonne les conditions de la paix \u00e0 la politique d\u2019un d\u00e9veloppement qui ne peut \u00eatre que favorable aux int\u00e9r\u00eats commerciaux chinois. Dont acte  : la Chine est le deuxi\u00e8me contributeur<\/a> le plus important dans les op\u00e9rations de maintien de la paix en Afrique organis\u00e9es sous le mandat de l\u2019ONU. Depuis cette derni\u00e8re d\u00e9cennie, principalement sous l\u2019impulsion du Pr\u00e9sident Xi Jinping, la Chine s\u2019affirme comme un acteur majeur des OMP (Op\u00e9rations de Maintien de la Paix) en Afrique. D\u00e8s 2013, cet engagement chinois sur le continent africain est mont\u00e9 d\u2019un cran. P\u00e9kin y envoie ses premi\u00e8res troupes d\u2019infanteries au Liberia et au Mali, m\u00eame si la d\u00e9marche restait d\u00e9fensive avec pour seul objectif de prot\u00e9ger les Casques bleus et leurs installations. L\u2019un des engagements les plus importants de la RPC s\u2019est d\u00e9roul\u00e9 \u00e0 travers la Mission des Nations Unies au Soudan du Sud (UNMISS) <\/span>18<\/sup><\/a><\/span><\/span>. La Chine continue d\u2019y d\u00e9ployer des hommes ainsi qu\u2019au Mali, en RDC et au Sahara. Sans compter les appuis possibles du partenaire russe, notamment \u00e0 la fronti\u00e8re de la RDC. Environ 2000 hommes alors qu\u2019\u00e0 titre de comparaison, la seule op\u00e9ration fran\u00e7aise Barkane en comprend plus de 4500. Ce d\u00e9ploiement pour minime qu\u2019il soit est justifi\u00e9 par le nombre de ressortissants chinois qu\u2019il s\u2019agit d\u00e9sormais de prot\u00e9ger. Ils \u00e9taient 280 000 en 1982 et plus de 128 millions en 2015 de par le monde <\/span>19<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Difficile \u00e0 chiffrer, tant les flux d\u00e9mographiques sont importants et souvent sous-estim\u00e9s (immigrations clandestines importantes), la seule Afrique compterait plus d\u2019un million de ressortissants chinois, dont une majorit\u00e9 vivant en Afrique du Sud  ; un faible nombre au demeurant compar\u00e9 au 1,2 milliards d\u2019Africains. <\/span>20<\/sup><\/a><\/span><\/span> <\/p>\n\n\n\n

Toutefois, cet engagement donne \u00e0 P\u00e9kin une plus grande visibilit\u00e9 dans l\u2019ensemble du syst\u00e8me des Nations Unies, ce qui lui permet de r\u00e9aliser des gains diplomatiques dans d\u2019autres domaines <\/span>21<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Enfin, la motivation \u00e9nerg\u00e9tique de la Chine est grande  : l\u2019Afrique a 10 % des r\u00e9serves mondiales de p\u00e9trole. P\u00e9kin est particuli\u00e8rement pr\u00e9sente dans les pays producteurs tels que le Soudan (et son app\u00e9tit n\u2019est pas \u00e9tranger au drame du Darfour<\/a>\u2026), la Libye<\/a> (o\u00f9 le GNA, soutenu par Ankara<\/a> – chaque ann\u00e9e davantage plus proche de l\u2019Organisation de Coop\u00e9ration de Shanghai – a rencontr\u00e9 par neuf fois des diplomates chinois depuis quatre ans<\/a>) ou encore le Nig\u00e9ria<\/a> et l\u2019Angola<\/a>, bien que la pand\u00e9mie de la Covid-19 y ait sensiblement diminu\u00e9 les exportations p\u00e9troli\u00e8res \u00e0 destination de la Chine. A cet int\u00e9r\u00eat p\u00e9trolier s\u2019ajoute une motivation mini\u00e8re : ce qui int\u00e9resse la Chine particuli\u00e8rement, ce sont les minerais strat\u00e9giques (or, titane etc.) que l\u2019on trouve notamment en Afrique australe (Zimbabwe, Afrique du Sud, r\u00e9gions des grands lacs\u2026). D\u2019o\u00f9 le soin de la diplomatie chinoise \u00e0 cr\u00e9er un maillage de relations dont l\u2019une des r\u00e9alisations institutionnelles n\u2019est autre que le Forum de Coop\u00e9ration Chine-Afrique (FOCAC). Sa derni\u00e8re \u00e9dition eut lieu en 2018 \u00e0 P\u00e9kin. Rassemblant 53 d\u00e9l\u00e9gations venues du continent (\u00e0 l\u2019exception du dernier pays reconnaissant Taiwan, isol\u00e9 et enclav\u00e9 dans le territoire de l\u2019Afrique du Sud et frontalier du Mozambique, le Eswatini – ex-Swaziland), en plus des dirigeants de l’ONU, de l’Union africaine, et de 26 organisations africaines et internationales, ce forum avait pour th\u00e8me \u00ab  communaut\u00e9 de destin et partenariat mutuellement avantageux  \u00bb. <\/em>Il consacrait surtout la mont\u00e9e en puissance de la Chine, premier partenaire commercial de l’Afrique <\/span>22<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Le FOCAC est rapidement devenu le symbole des capacit\u00e9s et des ambitions diplomatiques chinoises faisant de l\u2019Afrique un territoire particuli\u00e8rement important dans sa politique internationale <\/span>23<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Organis\u00e9 tous les trois ans et alternant entre un pays africain et la Chine, le FOCAC a travaill\u00e9 depuis pr\u00e8s de 20 ans la feuille de route des relations sino-africaines, en mati\u00e8re de d\u00e9veloppement, d\u2019investissements et de \u00ab  dialogue Sud-Sud  \u00bb en dehors de l\u2019orbite diplomatique occidentale. <\/p>\n\n\n\n

Deux th\u00e8mes majeurs ont \u00e9t\u00e9 discut\u00e9s dans la continuit\u00e9 de la tourn\u00e9e africaine de Xi\u00a0Jinping fin juillet (sa quatri\u00e8me visite depuis son arriv\u00e9e au pouvoir en 2012) : l\u2019int\u00e9gration des pays africains au projet des\u00a0Nouvelles routes de la soie <\/span>24<\/sup><\/a><\/span><\/span>\u00a0et la construction d\u2019une \u00ab communaut\u00e9 sino-africaine \u00bb. Plusieurs\u00a0m\u00e9morandums ont \u00e9t\u00e9 sign\u00e9s la veille du lancement du sommet <\/span>25<\/sup><\/a><\/span><\/span>, en bilat\u00e9ral avec notamment la C\u00f4te d\u2019Ivoire, le Burkina Faso (r\u00e9cemment revenu dans le giron diplomatique de P\u00e9kin), le Gabon, le Nigeria ou le Cameroun, tous dans le cadre du projet chinois des routes de la soie. Xi\u00a0Jinping promettait alors une enveloppe de 60\u00a0milliards de lignes de cr\u00e9dit pour\u00a0les entreprises\u00a0chinoises qui voudraient aller en Afrique r\u00e9partie entre investissements et pr\u00eats suppl\u00e9mentaires (15\u00a0milliards de dollars d\u2019aide gratuite et de pr\u00eats sans int\u00e9r\u00eats <\/span>26<\/sup><\/a><\/span><\/span>). Le S\u00e9n\u00e9gal, pays strat\u00e9gique en Afrique de l\u2019ouest pour la Chine assurera d\u2019ailleurs la copr\u00e9sidence tournante du FOCAC et accueillera le prochain sommet en 2021.\u00a0<\/p>\n\n\n\n

\n \n \r\n \r\n \r\n \r\n \r\n <\/picture>\r\n \n <\/a>\n<\/figure>\n\n\n

Le septi\u00e8me FOCAC s\u2019inscrivait par ailleurs dans une continuit\u00e9 d\u2019initiatives tous azimuts de la Chine prises notamment dans les domaines \u00e9ducatif et culturel \u00e0 destination de l\u2019Afrique. Ainsi en accueillant au mois de juin 2018, la troisi\u00e8me r\u00e9union annuelle des commissions nationales de l\u2019UNESCO \u00e0 Shanghai, les autorit\u00e9s chinoises se faisaient les ardents d\u00e9fenseurs des Objectifs de d\u00e9veloppement durable (ODD) et offraient, pour la premi\u00e8re fois, un projet permettant \u00e0 tous les pays de participer au m\u00eame niveau. Il s\u2019agissait l\u00e0 d\u2019une rupture nette avec les objectifs pr\u00e9c\u00e9dents permettant aux seuls pays industrialis\u00e9s d\u2019agir comme bailleurs de fonds. Symboliquement, de nouvelles relations pour favoriser la coop\u00e9ration Nord-Sud et Sud-Sud pouvaient d\u00e8s lors se mettre en place et ce, avec d\u2019autant plus de facilit\u00e9 que les Etats-Unis avaient annonc\u00e9 un an auparavant, leur retrait de l\u2019UNESCO. Last but not least, <\/em>et fort du soutien des Etats africains, la Chine obtenait d\u2019Audrey Azoulay, Directrice g\u00e9n\u00e9rale de l\u2019UNESCO, la nomination d\u2019un Chinois, Yue Du, \u00e0 la t\u00eate du d\u00e9partement Afrique <\/span>27<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Cette politique \u00e0 large spectre men\u00e9e parfois dans des conditions opaques a conduit \u00e0 de tr\u00e8s graves pr\u00e9varications de hauts fonctionnaires africains et chinois <\/span>28<\/sup><\/a><\/span><\/span> contre lesquels P\u00e9kin a obtenu des demandes d\u2019extradition <\/span>29<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Dans le prolongement de l\u2019accentuation de l\u2019influence chinoise dans les instances internationales <\/span>30<\/sup><\/a><\/span><\/span>, la direction g\u00e9n\u00e9rale de la FAO, assum\u00e9e par le Chinois (ancien vice-ministre de l\u2019agriculture), Qu Dongyu participe de cette influence (en plus des modalit\u00e9s d\u2019\u00e9lection de ce dernier, avec le soutien des votes de pays africains) sur des sujets cruciaux pour la stabilit\u00e9 de l\u2019Afrique. A l\u2019ancienne directrice g\u00e9n\u00e9rale de l\u2019OMS, Mme Margaret Chan (2013 \u00e0 2016) a succ\u00e9d\u00e9 en 2017, l\u2019ancien ministre de la sant\u00e9 et des affaires \u00e9trang\u00e8res, marxiste, le docteur Tedros Adhanom Ghebreyesus. Ce dernier a depuis fort longtemps (plusieurs d\u00e9cennies) entretenu une proximit\u00e9 forte avec le r\u00e9gime du Parti-Etat chinois. Son \u00e9lection a \u00e9t\u00e9 largement soutenu par la Chine, sa direction \u00e0 l\u2019OMS l\u2019est tout autant. Les manquements de la direction de l\u2019organisation dans la gestion crise sanitaire mondiale de la Covid-19 ont largement montr\u00e9 les capacit\u00e9s d\u2019influence de la Chine. En premier lieu, l\u2019imp\u00e9ratif du r\u00e9gime \u00e0 P\u00e9kin \u00e9tait la pr\u00e9servation de son image malgr\u00e9 l\u2019ampleur de la crise, tout en marginalisant, sinon neutralisant l\u2019action de Taiwan. <\/p>\n\n\n\n

Vers un imp\u00e9rialisme chinois en Afrique  ?<\/strong><\/h4>\n\n\n\n

P\u00e9kin instrumentalise sa relation asym\u00e9trique forte avec les pays africains. Le chercheur Jean-Pierre Cabestan sugg\u00e8re que \u00ab  la Chine n\u2019est pas dans une logique n\u00e9o-coloniale mais davantage h\u00e9g\u00e9monique, voire d\u2019imp\u00e9rialisme  \u00bb <\/span>31<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Si la r\u00e9daction d\u2019un livre blanc en 2013 visait \u00e0 clarifier les relations sino-africaines et discr\u00e9diter les perceptions n\u00e9gatives de la pr\u00e9sence chinoise, il n\u2019en demeure pas moins que le sentiment tr\u00e8s r\u00e9pandu de pr\u00e9dation sur les \u00e9conomies locales et nationales, autant que sur l\u2019environnement et les ressources (en particulier halieutiques tout autour des eaux du continent) est facteur de tensions et de r\u00e9\u00e9quilibrage de la politique africaine de la Chine. L\u2019ensemble des Etats africains ont connu ces deux derni\u00e8res d\u00e9cennies une augmentation tr\u00e8s nette de leur relation avec la Chine et ce dans tous les domaines (\u00e9conomique, financier, diplomatique, culturel et militaire). Avant d\u2019\u00eatre un investisseur massif, la Chine fournit surtout des marchandises et des services. Les investissements directs \u00e9trangers (IDE) de la Chine vers l\u2019Afrique s\u2019\u00e9l\u00e8vent \u00e0 2,4 milliards de dollars en 2016 contre 2,9 milliards en 2015. Alors que la Chine est devenue en moins d\u2019une d\u00e9cennie le principal cr\u00e9ancier du continent, les incertitudes li\u00e9es \u00e0 l\u2019endettement des \u00e9conomies africaines sont de plus en plus criantes. Premier partenaire commercial du continent, la Chine investit peu au regard de ses investissement en Asie ou en Europe (idem pour le volume d\u2019\u00e9changes commerciaux), mais d\u00e9veloppe une pr\u00e9sence tous azimuts, relevant d\u2019une intelligence \u00e9conomique fine et d\u2019une strat\u00e9gie concert\u00e9e. Les infrastructures (r\u00e9seaux de transport, b\u00e2timents, h\u00f4pitaux, ports, etc.) repr\u00e9sentent probablement le premier secteur d\u2019activit\u00e9 chinoise en Afrique <\/span>32<\/sup><\/a><\/span><\/span>. A titre d\u2019exemple, en 2017, 76 projets d\u2019investissements en partenariat public-priv\u00e9 \u00e9taient sign\u00e9s avec l\u2019Afrique. La grande majorit\u00e9 de ces projets concernait les transports. Par exemple, les voies ferr\u00e9es entre Mombasa et Nairobi, entre Djibouti et l\u2019\u00c9thiopie ou encore au Nigeria sont autant de r\u00e9alisations d\u2019am\u00e9nagement du territoire que des initiatives strat\u00e9giques de connexions assur\u00e9es par deux grands acteurs, l\u2019EximBank et la Banque de D\u00e9veloppement de Chine <\/span>33<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Leurs Pr\u00e9sidents respectifs, Hu Xiaoliang et Zheng Zhijie, \u00e9taient d\u2019ailleurs pr\u00e9sents au sommet du FOCAC en 2018, signalant ainsi le poids de ces banques dans la politique \u00e9trang\u00e8re de P\u00e9kin.<\/p>\n\n\n\n

Le Fonds mon\u00e9taire international (FMI) met en garde un grand nombre de pays dont l\u2019endettement s\u2019est consid\u00e9rablement accru ces derni\u00e8res ann\u00e9es <\/span>34<\/sup><\/a><\/span><\/span> (l\u2019exemple de Djibouti est le plus \u00e9loquent, sa dette publique est pass\u00e9e de 50  % \u00e0 85  % du PIB en deux ans), notamment l\u00e0 o\u00f9 la Chine a pu investir via son projet de Nouvelles routes de la soie. La dette aupr\u00e8s de P\u00e9kin atteint 132 milliards de dollars depuis vingt ans <\/span>35<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Pour paraphraser le second Pr\u00e9sident des Etats-Unis, John Adams, bien plus que par l\u2019\u00e9p\u00e9e, P\u00e9kin a r\u00e9ussi \u00e0 soumettre la plupart des Etats africains (\u00e0 l\u2019instar d\u2019une partie de l\u2019Asie, de l\u2019Europe et demain  ? de l\u2019Am\u00e9rique latine) par la dette contract\u00e9e <\/span>36<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Les ressources naturelles aident \u00e0 rembourser la dette contract\u00e9e par hypoth\u00e8que <\/span>37<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Les minerais, les hydrocarbures ou encore les terres agricoles participent au remboursement. Ce poids \u00e9conomique de la Chine peut constituer des d\u00e9bats de politique int\u00e9rieure comme l\u2019ont montr\u00e9 les m\u00e9contentements des populations africaines r\u00e9currents, en particulier sur les questions d\u2019emplois, de tissu \u00e9conomique et industriel, et de concurrence d\u00e9loyale de la part des entreprises chinoises, sinon de d\u00e9possessions des terres agricoles et d\u2019appauvrissement des ressources halieutiques marines.<\/p>\n\n\n\n

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