{"id":77823,"date":"2020-07-02T14:45:19","date_gmt":"2020-07-02T12:45:19","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=77823"},"modified":"2020-07-02T19:29:27","modified_gmt":"2020-07-02T17:29:27","slug":"cartographier-litalie-limpact-du-coronavirus-sur-le-systeme-politique-italien","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2020\/07\/02\/cartographier-litalie-limpact-du-coronavirus-sur-le-systeme-politique-italien\/","title":{"rendered":"Cartographier l’Italie : l’impact du coronavirus sur le syst\u00e8me politique italien"},"content":{"rendered":"\n

La grande centralisation de Conte. <\/strong>La figure du Premier ministre monopolise l’attention politique. Conte a exploit\u00e9 la pand\u00e9mie non seulement pour centraliser la prise de d\u00e9cision dans son bureau du Palazzo Chigi, mais aussi pour renforcer sa position centrale. Le Premier ministre s’est entour\u00e9 de groupes de travail, de comit\u00e9s et de techniciens. Au cours de ces semaines, il a re\u00e7u de Vittorio Colao, un ancien cadre sup\u00e9rieur qu’il a nomm\u00e9 conseiller \u00e9conomique sp\u00e9cial, un vaste programme que le gouvernement devrait mettre en \u0153uvre. En outre, il a convoqu\u00e9 les acteurs sociaux (syndicats et associations d’entreprises) aux \u00ab \u00c9tats g\u00e9n\u00e9raux de l’\u00e9conomie \u00bb, afin de partager les propositions et les politiques avec les repr\u00e9sentants de ces organismes et des travailleurs. Par son action, le Premier ministre fait de l’ombre \u00e0 ses ministres et, surtout, aux partis de la majorit\u00e9 au pouvoir. La strat\u00e9gie de Conte est claire : occuper enti\u00e8rement le centre de la sc\u00e8ne politique, en partageant les responsabilit\u00e9s avec les acteurs non politiques (technocrates, associations et syndicats) et en devenant indispensable pour la majorit\u00e9. Il veut \u00e9viter toute tentation des dirigeants politiques de la coalition de se d\u00e9barrasser de lui si la crise \u00e9conomique s’aggrave. <\/p>\n\n\n\n

La nervosit\u00e9 du PD. <\/strong>Le Partito Democratico<\/em> (PD), et en particulier son secr\u00e9taire Nicola Zingaretti, s’impatiente face au Premier ministre. L’\u00e9t\u00e9 dernier, Zingaretti a accept\u00e9 contre son gr\u00e9, de former une coalition avec le Mouvement 5 \u00e9toiles et de confirmer Conte au poste de Premier ministre, uniquement parce qu’il pensait pouvoir le contr\u00f4ler en termes politiques et exploiter la nouvelle majorit\u00e9 pour relancer le PD. Mais aujourd’hui, le parti est coinc\u00e9 autour de 20 % d’opinion favorable, sans croissance significative, et le Premier ministre en est devenu le leader. Le PD et ses ministres sont moins pr\u00e9sents dans les m\u00e9dias et dans le processus gouvernemental qu’ils ne l’\u00e9taient il y a quelques mois. La pand\u00e9mie a aid\u00e9 Conte, qui joue son propre jeu et g\u00e8re personnellement toutes les initiatives. De plus, Conte a \u00e9t\u00e9 lanc\u00e9 par le Mouvement 5 \u00e9toiles en tant que figure technique et le Premier ministre reste attentif aux demandes du parti de Di Maio, notamment sur certaines politiques cruciales comme la demande d’acc\u00e8s au M\u00e9canisme Europ\u00e9en de Stabilit\u00e9 (le Mouvement 5 \u00e9toiles est contre, le PD est pour, Conte fait volte-face). Depuis le d\u00e9but, la strat\u00e9gie du PD a consist\u00e9 \u00e0 mettre Conte sur son orbite, \u00e0 le soustraire \u00e0 l’influence du M5S et \u00e0 le transformer en un Premier ministre fiable et d\u00e9mocratique. Mais aujourd’hui, Conte est de plus en plus ind\u00e9pendant des partis. Les rumeurs se multiplient \u00e0 Rome sur la possibilit\u00e9 que le Premier ministre forme son propre parti, ce qui poserait un probl\u00e8me au PD en termes \u00e9lectoraux. Conte est probablement encore ind\u00e9cis, mais il alimente les rumeurs et les utilise pour faire pression sur la majorit\u00e9. TINA (There Is No Alternative<\/em>) est le slogan officieux de Conte pour garder son poste, mais les partis sont de plus en plus d\u00e9senchant\u00e9s. <\/p>\n\n\n\n

Une magistrature politis\u00e9e<\/strong>. De plus, un nouveau scandale mine les institutions italiennes. Une enqu\u00eate r\u00e9v\u00e9lant l\u2019utilisation d’enregistrements sur certains procureurs et juges r\u00e9v\u00e8le la politisation de la magistrature italienne en termes de nominations et de carri\u00e8res, et l’utilisation des enqu\u00eates criminelles comme outil politique (en l’occurrence contre le chef de la Ligue, Matteo Salvini, pendant la p\u00e9riode o\u00f9 il \u00e9tait au gouvernement). Les magistrats sont organis\u00e9s en un certain nombre d’associations qui repr\u00e9sentent les diff\u00e9rentes tendances politiques au sein de la profession. Toutefois, le niveau de partisanerie au sein du pouvoir judiciaire est tr\u00e8s \u00e9lev\u00e9 et, par cons\u00e9quent, la concurrence pour le pouvoir est tr\u00e8s vive pour atteindre les \u00e9chelons sup\u00e9rieurs de l’institution. \u00c0 la suite de ce scandale, de nombreux hommes et femmes politiques (en particulier dans l’opposition) et faiseurs d’opinion, r\u00e9clament la r\u00e9forme (voire la dissolution) du Consiglio Superiore della Magistratura<\/em> (CSM), l’organe supr\u00eame ind\u00e9pendant de direction du pouvoir judiciaire. Le CSM est officiellement pr\u00e9sid\u00e9 par le pr\u00e9sident de la R\u00e9publique Sergio Mattarella, qui a sugg\u00e9r\u00e9 une initiative du Parlement pour r\u00e9former le syst\u00e8me judiciaire et r\u00e9duire le niveau de politisation. Cependant, cela semble tr\u00e8s difficile \u00e0 r\u00e9aliser et le gouvernement ne semble pas int\u00e9ress\u00e9 par une r\u00e9forme substantielle de la magistrature. Dans ce sc\u00e9nario, la politisation du syst\u00e8me judiciaire reste un facteur d’instabilit\u00e9 pour la politique italienne et l’administration publique. <\/p>\n\n\n\n

L’avenir politique incertain de Salvini. <\/strong>Les derniers sondages montrent une baisse significative du soutien \u00e0 la Ligue. Le parti de Salvini reste le plus important, mais les sondages sont d\u00e9sormais constamment inf\u00e9rieurs \u00e0 30 % et son concurrent, le parti italien des fr\u00e8res de Giorgia Meloni, gagne du terrain (aux alentours de 15 %). Salvini est coinc\u00e9 entre ses deux identit\u00e9s : d’un c\u00f4t\u00e9, l’approche pragmatique de son principal conseiller Giancarlo Giorgetti et des gouverneurs de la r\u00e9gion Nord, qui semblent plus ouverts \u00e0 un \u00e9ventuel accord pour un gouvernement d’unit\u00e9 nationale qui maintiendrait un niveau mod\u00e9r\u00e9 d’euroscepticisme ; de l’autre, la nouvelle Ligue, ancr\u00e9e dans le Sud et au Parlement, qui d\u00e9fend son programme sans euro et une approche plus radicale de la politique. Cette faction ne tol\u00e9rerait gu\u00e8re la coop\u00e9ration pour un gouvernement d’union nationale en cas d’urgence \u00e9conomique. Salvini s’est montr\u00e9 incapable de choisir entre ces deux \u00e2mes et cette ind\u00e9cision p\u00e8se sur sa cote d’approbation et sur le soutien de son parti. Le risque pour le leader est d’\u00eatre consid\u00e9r\u00e9 comme trop mod\u00e9r\u00e9 par des \u00e9lecteurs d\u00e9\u00e7us (en particulier les anciens euro-sceptiques et nationalistes du M5S) et trop extr\u00e9miste et politiquement br\u00fbl\u00e9 par les \u00e9lecteurs mod\u00e9r\u00e9s de la droite classique. De plus, le leader de la Ligue continue de payer pour l’effondrement du gouvernement de la Ligue avec les 5 \u00e9toiles l’\u00e9t\u00e9 dernier, lorsqu’il a perdu contre Giuseppe Conte et n’a pas obtenu d’\u00e9lections rapides. Il s’est ainsi retrouv\u00e9 dans l’opposition, et Salvini est d\u00e9sormais per\u00e7u comme peu fiable par une partie des \u00e9lecteurs de droite, qui lui pr\u00e9f\u00e8rent Giorgia Meloni. La dirigeante des Fr\u00e8res d’Italie, toujours dans l’opposition depuis la naissance du parti, est consid\u00e9r\u00e9 comme coh\u00e9rente et d\u00e9cisive. Il y a deux ans, elle a refus\u00e9 une coalition avec le Mouvement 5 \u00e9toiles ; elle n’a jamais fait campagne pour quitter la zone euro ; elle est rest\u00e9e fid\u00e8le \u00e0 son approche de conservatisme national. Cela implique qu’\u00e0 l’avenir, la Ligue restera le principal parti de la coalition de droite, mais elle pourrait \u00eatre contrainte de partager davantage les r\u00eanes du pouvoir avec Meloni. En outre, comme le montre le cas de Renzi, lorsqu’un dirigeant a perdu sa \u00ab touche magique \u00bb, la chute peut \u00eatre tr\u00e8s rapide. Pour ces raisons, l’avenir de Salvini semble s\u2019assombrir.<\/p>\n\n\n\n

Sc\u00e9nario <\/strong><\/h4>\n\n\n\n

Apparemment, le sc\u00e9nario politique est vou\u00e9 \u00e0 l’immobilit\u00e9, au moins pendant l’\u00e9t\u00e9, mais diverses fissures sont d\u00e9j\u00e0 perceptibles. Nous savons qu\u2019il semble qu’il n’y ait pas d’alternative au gouvernement Conte ou du moins au Premier ministre. Cependant en Italie, les gouvernements tombent souvent sans que personne n’ait d’id\u00e9es pr\u00e9cises sur l’avenir. Il est clair que Giuseppe Conte, un navigateur comp\u00e9tent, a besoin de trois conditions pour maintenir sa position. Premi\u00e8rement, que l’alliance fondamentale sur laquelle repose ce gouvernement, celle entre le PD et M5S, se poursuive. Deuxi\u00e8mement, que le consensus dont Conte a b\u00e9n\u00e9fici\u00e9 pendant les mois de blocage avec l’opinion publique en qu\u00eate de s\u00e9curit\u00e9 soit prolong\u00e9 autant que possible : maintenant que nous sortons de l’urgence, les sondages montrent l’inexorable d\u00e9clin de sa popularit\u00e9. Troisi\u00e8mement, que la meilleure \u2013\u202fet non la pire\u202f\u2013 perspective sur la reprise \u00e9conomique arrive \u00e0 r\u00e9alisation. Le monde industriel se montre pr\u00e9occup\u00e9 et a lanc\u00e9 des accusations sur l’inefficacit\u00e9 et la lenteur des politiques. Le Premier ministre sait que les ressources du Fonds de relance n’arriveront pas avant quelques mois, quand il sera peut-\u00eatre trop tard. C’est pourquoi nous ne pouvons pas exclure un retour rapide au M\u00e9canisme de sauvegarde d’urgence, pour amortir les difficult\u00e9s du budget du gouvernement. <\/p>\n\n\n\n

Et l\u00e0, toute la fragilit\u00e9 et le manque de fiabilit\u00e9 qui caract\u00e9risent la majorit\u00e9 peuvent se manifester. Les repr\u00e9sentants du PD demandent un climat de collaboration de la part de toutes les forces politiques. Une sorte de \u00ab pacte parlementaire \u00bb \u00e0 large spectre, \u00e0 relier \u00e0 un \u00ab pacte social \u00bb, conclu avec les associations d’entreprises et les syndicats. Non pas un accord articul\u00e9 pour un gouvernement d’unit\u00e9 nationale, mais un accord sur de bonnes intentions. Une proposition qui est peut-\u00eatre trop faible pour engager l’opposition. D’autre part, cette conception d’utiliser tous les outils et les fonds europ\u00e9ens disponibles semble trop complexe pour en confier la r\u00e9alisation \u00e0 l’actuel Premier ministre, et \u00e0 une majorit\u00e9 dans laquelle le poids du Mouvement 5 \u00e9toiles est pr\u00e9pond\u00e9rant, en raison tant de son nombre de parlementaires que de son \u00e9thique populiste et eurosceptique originale. Luigi Di Maio et sa faction s’opposent toujours \u00e0 l’\u00e9ventuelle conditionnalit\u00e9 autour des r\u00e9formes qui pourraient arriver avec le financement du MES. Tant que Di Maio et une grande partie des d\u00e9put\u00e9s M5S resteront sceptiques vis-\u00e0-vis des solutions de l’Union europ\u00e9enne, les tensions sont destin\u00e9es \u00e0 se poursuivre et, probablement, \u00e0 s’accro\u00eetre. <\/p>\n\n\n\n

Ce sont les fissures de la majorit\u00e9. Le m\u00e9lange entre le bouleversement social redout\u00e9 et le calendrier de la r\u00e9ponse europ\u00e9enne reste \u00e0 d\u00e9finir. D\u00e8s que les proportions de la crise \u00e9conomique et sociale seront connues, le sc\u00e9nario deviendra plus facile \u00e0 d\u00e9chiffrer. Cette \u00e9volution d\u00e9terminera \u00e9galement qui r\u00e9gnera \u00e0 Rome dans un avenir proche.<\/p>\n\n\n\n

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