dispara\u00eetre<\/a> \u00e0 la fin de la Premi\u00e8re Guerre mondiale, emport\u00e9e par la d\u00e9faite et l\u2019affirmation des nationalit\u00e9s. Mais, il remet l\u2019\u00e9v\u00e8nement \u00e0 sa juste place, \u00e0 la fin d\u2019un processus presqu\u2019imperceptible. C\u2019est ce lent d\u00e9litement, qui s\u2019\u00e9tire sur plusieurs g\u00e9n\u00e9rations, qu’il nous donne \u00e0 voir au point qu\u2019il ne raconte m\u00eame pas la chute, \u00e0 proprement parler, de l\u2019Empire, puisque le roman se cl\u00f4t avec les morts parall\u00e8les de Fran\u00e7ois-Joseph et du vieux pr\u00e9fet von Trotta, qui l\u2019a servi toute sa vie, avec tant de diligence que son visage pr\u00e9cocement vieilli rappelle celui de l’empereur octog\u00e9naire. C\u2019est le r\u00e9cit de cette d\u00e9liquescence silencieuse qui doit nous interpeller aujourd\u2019hui.<\/p>\n\n\n\nCe que Joseph Roth d\u00e9cortique, sans presque jamais l\u2019expliciter, c\u2019est la mani\u00e8re dont l\u2019id\u00e9e imp\u00e9riale se vide peu \u00e0 peu de son sens pour ne plus \u00eatre qu\u2019un songe creux, un conte de vieille femme auquel plus personne ne croit. Tout au long du roman, cette id\u00e9e s\u2019incarne dans le portrait de Fran\u00e7ois-Joseph, un motif omnipr\u00e9sent, qui fascine le jeune Charles-Joseph dans ses villes de garnison. Un portrait qui en rappelle un autre, celui de l’a\u00efeul, de l’\u00e9crasant \u00ab h\u00e9ros de Solf\u00e9rino \u00bb. Bien souvent, pourtant, son regard est aimant\u00e9 par le portrait dans les lieux les plus d\u00e9plac\u00e9s : un tripot minable \u00e0 la fronti\u00e8re russe ou un bordel pour officiers avin\u00e9s dans une ville de garnison. Ce galvaudage de l\u2019image de l\u2019empereur est une des traces de ce d\u00e9litement qui se produit sous les yeux h\u00e9b\u00e9t\u00e9s d\u2019alcool des officiers de Fran\u00e7ois-Joseph.<\/p>\n\n\n\n
Mais plus encore que les manifestations de cette d\u00e9cadence, ce que Joseph Roth saisit avec une extraordinaire acuit\u00e9 c\u2019est la c\u00e9cit\u00e9 de ceux qui incarnent l\u2019Empire et ses valeurs devant l\u2019essoufflement de celui-ci. Alors m\u00eame que le roman tourne tr\u00e8s largement autour du m\u00e9diocre Charles-Joseph, la figure du pr\u00e9fet est fascinante d\u2019aveuglement. Ce personnage n\u2019est rien d\u2019autre que sa routine. Sa promenade quotidienne, le temps pass\u00e9 \u00e0 table, le concert hebdomadaire que la fanfare lui d\u00e9die ou la lettre bimensuelle qu\u2019il envoie \u00e0 son fils le d\u00e9finissent. Il est l\u2019arch\u00e9type du fonctionnaire de l\u2019Empire : plus automate qu\u2019humain, attach\u00e9 aux formes et aux apparences qui, seules, d\u00e9terminent ce qui est bon et ce qui ne l\u2019est pas. Il est<\/em> si profond\u00e9ment les valeurs imp\u00e9riales que lorsqu\u2019il se rend compte, \u00e0 son tour, que l\u2019Empire n\u2019est plus, avant que la guerre n\u2019ait \u00e9clat\u00e9, il semble au lecteur que le dernier pilier des Habsbourg vient de s\u2019effondrer.<\/p>\n\n\n\nC\u2019est la gla\u00e7ante r\u00e9ussite de ce roman de rendre intelligible un fait crucial : l\u2019Empire \u00e9tait mort bien avant de s’effondrer. D\u00e8s les premiers pas de Charles-Joseph \u00e0 l\u2019acad\u00e9mie militaire, l\u2019illusion maintenue par son p\u00e8re est bris\u00e9e, d\u00e9voilant un Empire mort-vivant, une sorte de structure organique qui tient parce que rien ne la menace profond\u00e9ment.<\/p>\n\n\n\n
Bien s\u00fbr, Joseph Roth \u00e9crivit ce roman en 1932, et certains demi-habiles ne manqueront pas de rappeler qu\u2019il est plus facile d\u2019\u00eatre lucide et clairvoyant lorsque tout est consomm\u00e9. De m\u00eame, il est entendu qu\u2019\u00e0 aucun moment, il ne tente de faire un travail d\u2019historien. C\u2019est plut\u00f4t le contraire, tant il cherche \u00e0 se pr\u00e9munir de l\u2019histoire, ne donnant \u00e0 lire presqu\u2019aucune date ou aucun lieu pr\u00e9cis et en racontant la vie de personnages qui, m\u00eame s\u2019ils n\u2019avaient pas \u00e9t\u00e9 invent\u00e9s, n\u2019ont aucune ampleur historique. Il cherche simplement \u00e0 traduire un sentiment de d\u00e9labrement, illustr\u00e9e par cette coquille vide, l\u2019Empire, dans laquelle se d\u00e9battent des personnages m\u00e9diocres. Il ne cherche pas, du reste, \u00e0 avoir des accents path\u00e9tiques et le roman est plus souvent dr\u00f4le que m\u00e9lancolique et il est bien difficile de rester impassible devant la description sarcastique des m\u00e9caniques rouill\u00e9es du c\u00e9r\u00e9monial militaire ou du protocole imp\u00e9rial.<\/p>\n\n\n\n
Un si\u00e8cle apr\u00e8s la chute des Habsbourg, il y a quelque chose de familier dans cette image d\u2019un Empire s\u2019enivrant d\u2019une Marche de Radetzky <\/em>triomphale plut\u00f4t que de constater sa propre mort. Les fonctionnaires de l\u2019Union europ\u00e9enne devraient relire ce roman s\u2019ils ne veulent pas, comme le pr\u00e9fet von Trotta, se r\u00e9veiller un jour et constater que l\u2019Union est morte depuis des ann\u00e9es. Dans son dernier ouvrage, Le destin de l’Europe<\/em><\/a>, Ivan Krastev rappelait que les Europ\u00e9ens de l\u2019est savent mieux qu’\u00e0 l’ouest qu\u2019une structure peut s\u2019effondrer en quelques jours sans qu\u2019on s\u2019y attende. Il pensait alors \u00e0 l\u2019empire sovi\u00e9tique. En lisant la Marche de Radetzky<\/em>, on apprend que dans l\u2019ancienne Autriche-Hongrie, au moins, on sait qu\u2019un Empire peut survivre longtemps \u00e0 sa propre mort. Si longtemps, du reste, que la Marche de Radetzky<\/em> retentit toujours \u00e0 Vienne<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"Nous avons lu la Marche de Radetzky<\/em>, de Joseph Roth qui nous ram\u00e8ne \u00e0 la fragilit\u00e9 des empires, autant qu’\u00e0 leur mani\u00e8re de survivre longtemps \u00e0 leur mort. Une r\u00e9alit\u00e9 oubli\u00e9e par l’Union europ\u00e9enne.<\/p>\n","protected":false},"author":6,"featured_media":17118,"comment_status":"closed","ping_status":"open","sticky":false,"template":"templates\/post-reviews.php","format":"standard","meta":{"_acf_changed":false,"_trash_the_other_posts":false,"footnotes":""},"categories":[1728],"tags":[],"geo":[],"person":[],"acf":[],"yoast_head":"\nLa Marche de Radetzky | Le Grand Continent<\/title>\n \n \n \n \n \n \n \n \n \n \n \n\t \n\t \n\t \n \n \n \n\t \n\t \n\t \n