<\/p>\n\n\n\n
Ce blocage a \u00e9t\u00e9 partiellement d\u00e9pass\u00e9 durant les deux semaines qui ont suivi l\u2019annonce du mariage princier. En quelques jours, en effet, le gouvernement de Theresa May a fait des concessions importantes, notamment sur la question du ch\u00e8que de d\u00e9part et de la fronti\u00e8re irlandaise. Des concessions qu\u2019une partie de l\u2019\u00e9lectorat et du parti conservateur, partisans d\u2019une politique d\u2019intransigeance vis-\u00e0-vis de Bruxelles, auraient pu interpr\u00e9ter comme une capitulation. C\u2019est cette vague de protestation que le palais de Buckingham, \u00e0 la demande du gouvernement, aurait voulu d\u00e9samorcer en annon\u00e7ant les fian\u00e7ailles du prince Harry.
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Il est bien s\u00fbr impossible de savoir si cette co\u00efncidence a \u00e9t\u00e9 voulue par le gouvernement de Theresa May. Ses \u00e9changes avec la reine sont secrets et il est improbable que cette th\u00e9orie soit jamais confirm\u00e9e. Il n\u2019en reste pas moins que le mariage de Harry a distrait l\u2019opinion \u00e0 un moment o\u00f9 le gouvernement britannique faisait un nouvel aveu de faiblesse. Comment ne pas se demander, alors, si la monarchie, ses rituels et son incarnation dans les membres de la famille royale, n\u2019est pas l\u2019un des derniers atouts g\u00e9opolitiques d\u2019une puissance en d\u00e9clin ? Quels sont les ressorts de l\u2019\u00e9vidence qu\u2019inspire cette institution aux opinions nationale et internationale ?
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David Cannadine, grand historien britannique, donna un d\u00e9but r\u00e9ponse dans un article lumineux de 1983 : \u00ab Contexte, performance et signification d\u2019un rituel : le cas de la Monarchie britannique (1820-1877) \u00bb <\/span>1<\/sup><\/a><\/span><\/span>1<\/a>. Il y regrettait l\u2019absence de travaux historiques, pour la p\u00e9riode contemporaine, sur les rituels monarchiques britanniques, c’est-\u00e0-dire l’ensemble des manifestations publiques rythmant la vie du souverain et de sa famille. <\/p>\n\n\n\n Jusque-l\u00e0, ce travail avait \u00e9t\u00e9 laiss\u00e9 \u00e0 des sociologues qui se limitaient \u00e0 une analyse internaliste de ces rites, donnant l\u2019impression, fausse selon lui, qu\u2019ils \u00e9taient d\u00e9nu\u00e9s d\u2019historicit\u00e9 et qu\u2019ils consistaient en la r\u00e9p\u00e9tition de gestes et de paroles imm\u00e9moriales. Au contraire, Cannadine d\u00e9fendait l\u2019id\u00e9e selon laquelle les rites monarchiques, pour lesquels les Britanniques semblaient si dou\u00e9s, n\u2019\u00e9taient intelligibles que s\u2019ils \u00e9taient finement resitu\u00e9s dans un contexte social, politique et diplomatique. Ainsi, loin d\u2019\u00eatre une institution immobile et anhistorique, la monarchie \u00e9tait profond\u00e9ment en phase avec la construction progressive de la nation et de l\u2019identit\u00e9 britannique. Le rituel monarchique, notamment mis en valeur dans la c\u00e9r\u00e9monie du sacre, permettait de d\u00e9finir et de red\u00e9finir le visage que le Royaume-Uni offrait \u00e0 son peuple et au reste du monde. Cannadine distinguait quatre moments, entre les ann\u00e9es 1820 et 1983, pendant lesquels on pouvait enregistrer des \u00e9volutions marquantes. A la surprise du lecteur contemporain, habitu\u00e9 \u00e0 ce que le savoir-faire britannique en mati\u00e8re de c\u00e9r\u00e9monial soit c\u00e9l\u00e9br\u00e9 partout dans le monde, la premi\u00e8re p\u00e9riode, des ann\u00e9es 1820 aux ann\u00e9es 1870, est celle d\u2019un \u00ab rituel mal dirig\u00e9, ex\u00e9cut\u00e9 dans une soci\u00e9t\u00e9 encore essentiellement locale, provinciale et pr\u00e9industrielle \u00bb. Dans un pays au fa\u00eete de sa puissance militaire et diplomatique apr\u00e8s la victoire de Waterloo et o\u00f9 la prosp\u00e9rit\u00e9 \u00e9conomique et le d\u00e9veloppement industriel participent \u00e0 l\u2019affirmation de l\u2019individu et de la soci\u00e9t\u00e9 bourgeoise, les rites monarchiques sont mal organis\u00e9s, chaotiques, et parfois moqu\u00e9s. Ils ne suscitent aucun enthousiasme, au point que l\u2019hymne britannique n\u2019est m\u00eame pas chant\u00e9 au couronnement de Victoria ! Ces nombreux rat\u00e9s rituels sont aussi la cons\u00e9quence des crises constitutionnelles qui frappent le royaume entre la fin du r\u00e8gne de Georges III et les ann\u00e9es 1870. Gu\u00e8re menac\u00e9 par les autres puissances europ\u00e9ennes, le Royaume-Uni semblait presque pouvoir se passer de monarques impopulaires (Georges IV, Guillaume IV et m\u00eame Victoria pendant la premi\u00e8re partie de son r\u00e8gne) et de leurs rites malhabiles. Alors que le retrait de la reine, apr\u00e8s la mort d\u2019Albert, et les scandales r\u00e9p\u00e9t\u00e9s provoqu\u00e9s par le prince de Galles conduisent \u00e0 l\u2019accumulation des fiascos dans les ann\u00e9es 1860 et 1870, l\u2019image de la monarchie et de ses rites se modifie compl\u00e8tement entre le couronnement de Victoria comme imp\u00e9ratrice des Indes, en 1877, et la fin de la Premi\u00e8re Guerre mondiale. Au cours de ces quelques d\u00e9cennies, ils deviennent populaires et c\u00e9l\u00e9br\u00e9s dans le monde entier. Cannadine avance deux explications \u00e0 ce bouleversement. <\/p>\n\n\n\n D\u2019une part, la monarchie s\u2019affaiblit politiquement apr\u00e8s 1880. Victoria, comme son fils, \u00c9douard VII, qui devient roi \u00e0 59 ans, sont de moins en moins impliqu\u00e9s dans le gouvernement du pays et de son empire. Cette neutralisation politique, qui se traduit par une popularit\u00e9 croissante, permet un r\u00e9investissement des rites monarchiques. Selon Cannadine, le c\u00e9r\u00e9monial est r\u00e9nov\u00e9 avec une \u00ab habilet\u00e9 et un charme qui faisaient d\u00e9faut avant \u00bb. Ce renouveau rituel, popularis\u00e9 par la presse et la litt\u00e9rature populaire, sert \u00e9galement \u00e0 c\u00e9l\u00e9brer la nation britannique dans un contexte de comp\u00e9tition diplomatique, militaire et coloniale renforc\u00e9e entre les puissances europ\u00e9ennes. Alors que la France, seul grand pays r\u00e9publicain du continent, est affaiblie, les c\u00e9l\u00e9brations monarchiques, sacres, mariages, fun\u00e9railles, sont autant de fa\u00e7ons d\u2019affirmer la puissance nationale. \u00c0 ce jeu, les Britanniques d\u00e9montrent une habilet\u00e9 r\u00e9elle qui contribue \u00e0 cristalliser le sentiment national britannique autour de la monarchie.<\/p>\n\n\n\n \u00ab La Premi\u00e8re Guerre mondiale conduit \u00e0 l\u2019effondrement d\u2019un nombre important de monarchies europ\u00e9ennes. Alors que les Hohenzollern, les Habsbourg prenaient la route de l\u2019exil et que les Romanov \u00e9taient massacr\u00e9s, la maison de Windsor demeurait. Seule monarchie \u00e0 survivre parmi les nations europ\u00e9ennes de premier plan, la Grande-Bretagne \u00e9tait d\u00e9sormais presque une exception institutionnelle. \u00bb<\/p>Baptiste Roger-Lacan<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n La Premi\u00e8re Guerre mondiale conduit \u00e0 l\u2019effondrement d\u2019un nombre important de monarchies europ\u00e9ennes. Alors que les Hohenzollern, les Habsbourg prenaient la route de l\u2019exil et que les Romanov \u00e9taient massacr\u00e9s, la maison de Windsor demeurait. Seule monarchie \u00e0 survivre parmi les nations europ\u00e9ennes de premier plan, la Grande-Bretagne \u00e9tait d\u00e9sormais presque une exception institutionnelle. Dans ce contexte, et tandis que la soci\u00e9t\u00e9 britannique se transformait, comme en t\u00e9moigne l\u2019expansion rapide du droit de vote entre 1910 et 1928, les rites monarchiques incarn\u00e8rent la continuit\u00e9 et la singularit\u00e9 britannique dans un monde boulevers\u00e9. C\u2019est \u00e0 cet \u00e9poque que les Britanniques se persuadent de leur talent particulier pour ce genre de c\u00e9r\u00e9monial. Aux c\u00e9l\u00e9brations traditionnelles viennent s\u2019ajouter de nouveaux rites qui t\u00e9moignent de l\u2019adaptation pr\u00e9cautionneuse de l\u2019institution monarchique \u00e0 son \u00e9poque. Les deux plus importantes de ces innovations sont la comm\u00e9moration de l\u2019Armistice et le discours de No\u00ebl, radiodiffus\u00e9 dans tout l\u2019Empire \u00e0 partir de 1932. La TSF permet \u00e0 la famille royale d\u2019augmenter largement l\u2019audience de ses c\u00e9r\u00e9monies publiques. Par l\u2019ampleur de leur diffusion, les rituels monarchiques deviennent un \u00e9l\u00e9ment clef dans la fabrique du consensus britannique. <\/p>\n\n\n\n Pour Cannadine, cette p\u00e9riode se cl\u00f4t avec le sacre d\u2019\u00c9lisabeth II en 1953. Ce nouveau tournant est caract\u00e9ris\u00e9 par l\u2019affaiblissement britannique sur la sc\u00e8ne internationale apr\u00e8s 1945 et par l\u2019apparition de la t\u00e9l\u00e9vision, qui transforme de nouveau la perception de la monarchie britannique. Alors que le Royaume-Uni sort exsangue de la Deuxi\u00e8me Guerre mondiale et que son Empire est remplac\u00e9 en quelques ann\u00e9es par un Commonwealth qui masque mal sa perte d\u2019influence progressive au profit de l\u2019ancienne colonie am\u00e9ricaine, le rituel monarchique prend une dimension nouvelle. \u00c0 cette perte de poids g\u00e9opolitique s\u2019ajoutent les transformations profondes de la soci\u00e9t\u00e9 britannique qui, entre les ann\u00e9es 1950 et la publication de l\u2019article en 1983, devient une soci\u00e9t\u00e9 multiraciale et multiculturelle qui voit le consensus largement \u00e9voluer sur des questions comme la libert\u00e9 sexuelle, l\u2019homosexualit\u00e9 ou la peine de mort. Dans ce contexte, la t\u00e9l\u00e9vision permet deux choses. D\u2019une part, elle garantit la permanence du prestige de l\u2019institution. L\u2019anachronisme cisel\u00e9 de ces c\u00e9r\u00e9monies, jusqu\u2019aux carrosses dignes d\u2019une vir\u00e9e \u00e0 Central Park ou Disneyland, cherche \u00e0 renforcer l\u2019\u00e9clat de l\u2019institution en invoquant un pass\u00e9 splendide et mythifi\u00e9. Pourtant, la multiplication des apparitions des Windsor, aussi bien aux informations que dans des \u00e9missions d\u00e9di\u00e9es comme \u00ab La Famille Royale \u00bb, permet \u00e9galement de donner l\u2019image presque normale d\u2019une famille de la classe moyenne britannique. La t\u00e9l\u00e9vision permet, en somme, de mat\u00e9rialiser la vision qu\u2019avait Georges V de son m\u00e9tier de roi : conjuguer probit\u00e9 et priv\u00e9e et grandeur publique, laissant entrevoir une actualisation bourgeoise des deux corps du roi. Sur cette quatri\u00e8me p\u00e9riode, David Cannadine conc\u00e9dait qu\u2019elle \u00e9tait trop r\u00e9cente pour qu\u2019une analyse historique f\u00fbt satisfaisante. Il semble n\u00e9anmoins que les intuitions, d\u00e9j\u00e0 tr\u00e8s \u00e9tay\u00e9es, qu\u2019il pr\u00e9sentait au d\u00e9but des ann\u00e9es 1980 se sont largement confirm\u00e9es : la singularit\u00e9 de la monarchie britannique s\u2019est renforc\u00e9e dans le monde tandis que la famille royale a continu\u00e9 d\u2019ent\u00e9riner les \u00e9volutions de la soci\u00e9t\u00e9 britannique, au point que le prince Harry se voit autoriser \u00e0 faire ce qui avait co\u00fbt\u00e9 son tr\u00f4ne \u00e0 son arri\u00e8re-grand-oncle, \u00c9douard VIII : \u00e9pouser une Am\u00e9ricaine divorc\u00e9e. Sans aucun doute, les intuitions de David Cannadine ont \u00e9t\u00e9 confirm\u00e9es. Mais si, justement, cette seconde partie du r\u00e8gne le plus long de l\u2019histoire britannique formait un cinqui\u00e8me moment ? En effet, le Royaume-Uni n\u2019a pas moins chang\u00e9 entre les ann\u00e9es 1950 et les ann\u00e9es 1980 qu\u2019entre celles-ci et aujourd\u2019hui. Le passage d\u2019une \u00e9conomie encore largement marqu\u00e9e par la pr\u00e9dominance de l\u2019industrie \u00e0 une \u00e9conomie de services a durablement marqu\u00e9 le pays. \u00c0 la r\u00e9volution de la t\u00e9l\u00e9vision est venue s\u2019ajouter celle de l\u2019internet. \u00c0 peine entr\u00e9e dans la Communaut\u00e9 \u00e9conomique europ\u00e9enne dans les ann\u00e9es 1970, la Grande-Bretagne a d\u00e9cid\u00e9 de sortir de l\u2019Union europ\u00e9enne en 2017, tandis que le mouvement ind\u00e9pendantiste \u00e9cossais, presque inexistant quand Margaret Thatcher est arriv\u00e9e au pouvoir, a perdu de peu un r\u00e9f\u00e9rendum sur l\u2019ind\u00e9pendance de l\u2019\u00c9cosse. Au cours de ces trente-cinq ann\u00e9es, le pays s\u2019est polaris\u00e9 politiquement, \u00e9conomiquement et socialement : le durcissement du parti conservateur renvoie \u00e0 celui des travaillistes et \u00e0 la quasi-disparition des lib\u00e9raux d\u00e9mocrates durant ces derni\u00e8res ann\u00e9es. C\u2019est en partie la cons\u00e9quence de d\u00e9cennies paradoxales pendant lesquelles une part de la population, notamment \u00e0 Londres et dans le sud du pays, a consid\u00e9rablement profit\u00e9 des r\u00e9formes structurelles de l\u2019\u00e9conomie port\u00e9es Margaret Thatcher, alors m\u00eame que les anciens centres industriels connaissaient un d\u00e9clin et une paup\u00e9risation rapides. En un peu plus de trente ans, le Royaume-Uni perdit sa r\u00e9putation d\u2019\u00ab homme malade du continent \u00bb, pour semble-t-il la regagner apr\u00e8s le r\u00e9f\u00e9rendum sur la sortie de l\u2019Union Europ\u00e9enne. \u00c0 ce peuple divis\u00e9, dont la d\u00e9sunion a \u00e9t\u00e9 brutalement r\u00e9v\u00e9l\u00e9e par le r\u00e9f\u00e9rendum, r\u00e9pond l\u2019affaiblissement g\u00e9opolitique de la Grande-Bretagne. Encore consid\u00e9r\u00e9e comme une puissance militaire importante, d\u00e9tentrice de l\u2019arme nucl\u00e9aire, au d\u00e9but des ann\u00e9es 1990 le Royaume-Uni a vu son outil militaire se d\u00e9grader durant les ann\u00e9es 2000. Les guerres d\u2019Afghanistan et d\u2019Irak ont us\u00e9 le mat\u00e9riel, tandis que le recrutement est de plus en plus difficile. Les trait\u00e9s sign\u00e9s avec l\u2019alli\u00e9 am\u00e9ricain ont mis les services secrets comme l\u2019arsenal atomique sous tutelle am\u00e9ricaine. Enfin, avec Gordon Brown, David Cameron et Theresa May, la Grande-Bretagne a parfois donn\u00e9 l\u2019impression \u00e0 ses alli\u00e9s qu\u2019elle souhaitait se mettre en retrait diplomatiquement. \u00c0 la m\u00eame \u00e9poque, le mariage rat\u00e9 du prince Charles avec Diana Spencer et la mort de celle-ci firent chanceler la monarchie. Pour de nombreux observateurs, ce fut l\u2019une des pires \u00e9preuves que la Couronne britannique ait eu \u00e0 affronter depuis l\u2019abdication d\u2019\u00c9douard VIII. On reprocha \u00e0 la reine et au prince de Galles de s\u2019\u00eatre r\u00e9fugi\u00e9s derri\u00e8re le protocole \u00e0 l\u2019annonce de la mort de la princesse et d\u2019avoir agi de mani\u00e8re inhumaine avec elle avant et apr\u00e8s le divorce. Certains, dont le p\u00e8re de l\u2019amant de Diana, le milliardaire \u00e9gyptien Mohamed Al-Fayed, accus\u00e8rent m\u00eame le duc d\u2019\u00c9dinbourg d\u2019avoir commandit\u00e9 l\u2019assassinat de son ex-belle fille. La mort de la \u00ab princesse du Peuple \u00bb, comme la surnomma opportun\u00e9ment Tony Blair, fut donc un fiasco pour la famille royale. La reine apparut en complet d\u00e9calage avec l\u2019image de modernit\u00e9 que Diana avait r\u00e9ussi \u00e0 construire par ses engagements caritatifs et son charisme. L\u2019institution \u00e9tait \u00e9branl\u00e9e de l\u2019int\u00e9rieur par celle dont le r\u00f4le, en \u00e9pousant Charles, \u00e9tait de la perp\u00e9tuer. L\u2019image de la monarchie s\u2019en ressentit durement, d\u2019autant plus que, pour la premi\u00e8re fois, les journaux britanniques ne prot\u00e9g\u00e8rent pas la famille royale. Sans que le tr\u00f4ne mena\u00e7\u00e2t jamais r\u00e9ellement de s\u2019effondrer, la mort de Diana obligeait \u00e0 repenser la monarchie et ses rites. Pour la reine, il fallut d\u2019abord r\u00e9affirmer le compromis trouv\u00e9 par Georges V en lissant l\u2019image de la famille. Apr\u00e8s les divorces de sa s\u0153ur, Margaret, et de trois de ses quatre enfants, la famille royale ne devait plus faire de vagues. C\u00e9l\u00e9brations et comm\u00e9morations servirent \u00e9galement \u00e0 redorer l\u2019image de la reine et de sa famille. En 2000, le centi\u00e8me anniversaire de la \u00ab Queen Mum \u00bb, l\u2019immuable m\u00e8re d\u2019\u00c9lisabeth II, symbole de la t\u00e9nacit\u00e9 britannique durant la Deuxi\u00e8me Guerre mondiale, fut l\u2019occasion d\u2019une parade dont les images furent largement retransmises en Grande-Bretagne et \u00e0 l\u2019\u00e9tranger. En rappelant qu\u2019\u00c9lisabeth \u00e9tait la fille de Georges VI, un monarque ador\u00e9, ces c\u00e9r\u00e9monies contribuaient \u00e0 restaurer son image. Le jubil\u00e9 d\u2019or de la reine, deux ans plus tard, acheva de rappeler qu\u2019elle \u00e9tait l\u2019incarnation vivante du Commonwealth, dont elle fit la tourn\u00e9e. Mais cette nouvelle mue de la monarchie et de ses rites ne se limitent pas \u00e0 ces c\u00e9r\u00e9monies d\u2019anniversaires dont la fonction est de c\u00e9l\u00e9brer le pass\u00e9 de l\u2019institution. Celle-ci va b\u00e9n\u00e9ficier de deux facteurs qui vont de nouveau transformer la fonction et la perception des rituels : la nouvelle g\u00e9n\u00e9ration de la famille royale et l\u2019apparition d\u2019internet. Ce sont d\u2019abord les deux petits-fils de la reine, William et Harry, qui grandissent. Aur\u00e9ol\u00e9s du souvenir de leur m\u00e8re, ils incarnent le futur de la Couronne. S\u2019ils repr\u00e9sentent toujours une Grande-Bretagne traditionnelle, ils affichent une forme de normalit\u00e9 qui alimente leur popularit\u00e9 : m\u00eame les frasques de jeunesse du prince Harry, qui eut notamment la mauvaise id\u00e9e de se d\u00e9guiser en officier de l\u2019Afrika Korps, ne l\u2019emp\u00eachent pas d\u2019\u00eatre r\u00e9guli\u00e8rement cit\u00e9 comme la troisi\u00e8me figure la plus populaire de la famille royale apr\u00e8s la reine et son fr\u00e8re. Par leurs mariages, enfin, les deux fr\u00e8res manifestent la capacit\u00e9 de l\u2019institution \u00e0 accommoder la tradition \u00e0 une forme de modernit\u00e9 en \u00e9pousant des roturi\u00e8res, issues de la classe moyenne. Malgr\u00e9 cela, le mariage du prince William et de Kate Middleton r\u00e9affirme \u00e9galement l\u2019anachronisme des rites de la monarchie, quel que soit le rang de la mari\u00e9e. Alors m\u00eame qu’il est c\u00e9l\u00e9br\u00e9 en 2011, ce sont des carrosses et des costumes dignes d\u2019un film d\u2019\u00e9poque de la BBC qui sont mis en avant. Ce d\u00e9corum soigneusement \u00e9tudi\u00e9 signifie bien que ce n\u2019est pas tant la monarchie qui se rapproche de ses sujets lorsque le futur roi \u00e9pouse l\u2019une des leurs que le peuple britannique tout entier qui est \u00e9lev\u00e9 par ce mariage. Bien que l\u2019h\u00e9ritier du tr\u00f4ne, depuis le prince Charles, n\u2019\u00e9pouse plus de princesse \u00e9trang\u00e8re, son mariage rev\u00eat pourtant un sens profond : de la m\u00eame mani\u00e8re que l\u2019union entre les rejetons de deux dynasties scellait ou renfor\u00e7ait l\u2019alliance entre deux nations, le mariage du prince William et de Kate Middleton est une mani\u00e8re de refaire l\u2019union du pays autour de la Couronne, d\u2019o\u00f9 son immense succ\u00e8s populaire.<\/p>\n\n\n\n Ce rapprochement de la famille royale est aussi facilit\u00e9 par l\u2019apparition des r\u00e9seaux sociaux. De fait, l\u2019histoire de la monarchie depuis le d\u00e9but du XIXe<\/sup> peut se lire au prisme de l\u2019histoire des m\u00e9dias. Lointaine et peu appr\u00e9ci\u00e9e quand les journaux, jusque dans les ann\u00e9es 1870, \u00e9taient limit\u00e9s \u00e0 une petite \u00e9lite fortun\u00e9e, la famille royale est devenue un ph\u00e9nom\u00e8ne m\u00e9diatique jamais d\u00e9menti par l\u2019apparition de nouvelles formes de communication. Il en a \u00e9t\u00e9 de m\u00eame avec internet, qui a permis de donner \u00e0 voir encore un peu plus des rituels quotidiens auxquels participent la reine et sa famille. Les comptes Instagram de la famille royale (@theroyalfamily) ou du palais de Kensington (@kensingtonroyal), qui chronique les activit\u00e9s de William, Kate et Harry, ont une double fonction. <\/p>\n\n\n\n En plus de leur permettre de contr\u00f4ler int\u00e9gralement une image qui pouvait leur \u00e9chapper dans les journaux comme \u00e0 la t\u00e9l\u00e9vision, Instagram est une formidable caisse de r\u00e9sonnance des petits rituels (remises de d\u00e9coration, inauguration de b\u00e2timents, etc.) auxquels participe quotidiennement la famille royale. Les images mises en ligne ont en quelque sorte remplac\u00e9 les m\u00e9dailles comm\u00e9moratives qui \u00e9taient frapp\u00e9es \u00e0 l\u2019occasion des grandes c\u00e9r\u00e9monies qui rythmaient la vie du souverain (mariage, sacre, jubil\u00e9, fun\u00e9railles). Seule l\u2019audience a chang\u00e9 : aux quelques centaines de destinataires soigneusement choisis se sont substitu\u00e9s des millions de followers<\/em>. C\u2019est toute la force de la monarchie aujourd\u2019hui : savoir adapter un anachronisme soigneusement \u00e9tudi\u00e9 aux pratiques de communication les plus contemporaines.<\/p>\n\n\n\n Mais le succ\u00e8s du rite monarchique ne s\u2019arr\u00eate pas aux fronti\u00e8res britanniques. Il est m\u00eame possible que la famille royale fascine encore plus \u00e0 l\u2019\u00e9tranger qu\u2019au Royaume-Uni, tant les Britanniques savent temp\u00e9rer d\u2019ironie leur soutien \u00e0 la reine. Par rapport aux couronnes espagnole ou scandinaves, la monarchie britannique a une place \u00e0 part aux yeux du monde : elle aurait un talent unique et le go\u00fbt d\u2019organiser des c\u00e9r\u00e9monies grandioses et surann\u00e9es. En 2011, pour le mariage du prince William et de Kate Middleton, pr\u00e8s de soixante millions d\u2019Am\u00e9ricains, dix millions de Fran\u00e7ais ou encore cinq millions d\u2019Australiens regard\u00e8rent un moment ou un autre des festivit\u00e9s. Et c\u2019\u00e9tait un vendredi ! \u00c0 cet \u00e9gard, la Couronne est un atout du soft power<\/em> britannique. Tant que la demande pour la famille royale ne faiblit pas \u00e0 l\u2019\u00e9tranger, elle contribuera \u00e0 forger l\u2019image de marque du Royaume-Uni. Les grandes enseignes britanniques, les professionnels du tourisme ou Netflix, dont la s\u00e9rie The Crown <\/em>raconte la vie d\u2019\u00c9lisabeth II depuis deux saisons, ne s\u2019y sont pas tromp\u00e9s. C\u2019est le rapport singulier qu\u2019entretiendraient les Britanniques avec le pass\u00e9, ancr\u00e9 dans sa tradition monarchique, qui est sans cesse mis en avant. Cette singularit\u00e9 surann\u00e9e est bien s\u00fbr extr\u00eamement rentable.
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<\/p>\n\n\n\n![\"George](\"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/wp-content\/uploads\/sites\/2\/2017\/12\/Georges-V-a\u0300-Noe\u0308l-1934-125x83.jpg\")
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<\/p>\n\n\n\n![\"JK](\"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/wp-content\/uploads\/sites\/2\/2017\/12\/Capture-d\u2019e\u0301cran-2017-12-12-a\u0300-23.52.24-125x80.png\")
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