{"id":70777,"date":"2020-05-02T06:33:00","date_gmt":"2020-05-02T04:33:00","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=70777"},"modified":"2020-11-04T23:13:12","modified_gmt":"2020-11-04T22:13:12","slug":"la-presence-americaine-au-moyen-orient-apres-le-coronavirus","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2020\/05\/02\/la-presence-americaine-au-moyen-orient-apres-le-coronavirus\/","title":{"rendered":"La pr\u00e9sence am\u00e9ricaine au Moyen-Orient apr\u00e8s le coronavirus"},"content":{"rendered":"\n

La crise du coronavirus semble r\u00e9v\u00e9ler les limites de la strat\u00e9gie de l’administration Trump au Moyen-Orient. Alors que Donald Trump avait r\u00e9serv\u00e9 sa premi\u00e8re visite officielle \u00e0 Riyad en mai 2017, se pr\u00eatant assid\u00fbment \u00e0 la traditionnelle danse des sabres Al-Adhra sous l\u2019oeil des cam\u00e9ras, la r\u00e9cente chute des cours du p\u00e9trole, en partie favoris\u00e9 par une guerre des prix men\u00e9e entre l’Arabie saoudite et la Russie, a mis \u00e0 rude \u00e9preuve le partenariat entre les deux pays <\/span>1<\/sup><\/a><\/span><\/span>. En parall\u00e8le, le renforcement des sanctions \u00e0 l’encontre de l’Iran, en d\u00e9pit de la crise sanitaire qui frappe durement le pays, en partie en raison des grandes difficult\u00e9s que le gouvernement iranien conna\u00eet pour acheter du mat\u00e9riel m\u00e9dical, creuse les dissensions entre les Etats-Unis et ses alli\u00e9s europ\u00e9ens <\/span>2<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Enfin, l\u2019administration am\u00e9ricaine semble proche de reconna\u00eetre, au d\u00e9triment du droit international, l\u2019annexion des colonies isra\u00e9liennes en Cisjordanie et de la vall\u00e9e du Jourdain qui pourrait intervenir dans les prochains mois <\/span>3<\/sup><\/a><\/span><\/span>. <\/p>\n\n\n\n

Dans ces circonstances, il semble n\u00e9cessaire, dans la suite de la note que nous avons consacr\u00e9e au dossier iranien<\/a>, d’expliquer comment la crise du coronavirus acc\u00e9l\u00e8re la remise en cause des fondements de l’influence am\u00e9ricaine dans la r\u00e9gion. <\/p>\n\n\n\n

Il convient avant tout de rappeler ici que la politique de Washington au Moyen-Orient a \u00e9t\u00e9 influenc\u00e9e par une multitude de facteurs parmi lesquels figurait l\u2019endiguement du communisme jusqu\u2019en 1990 puis la lutte contre le terrorisme \u00e0 partir de 2001. Toutefois, ces d\u00e9terminants restent conjoncturels et sont le fruit des rivalit\u00e9s g\u00e9opolitiques \u00e0 l\u2019\u0153uvre dans un contexte particulier sur une p\u00e9riode donn\u00e9e. En revanche, depuis que les Etats-Unis sont une superpuissance mondiale et que les puissances mandataires fran\u00e7aises et britanniques ont formellement quitt\u00e9 la r\u00e9gion, Washington n\u2019a cess\u00e9 d\u2019inclure la s\u00e9curisation des approvisionnements en hydrocarbures et la s\u00e9curit\u00e9 de l\u2019Etat d\u2019Isra\u00ebl dans son \u00e9quation strat\u00e9gique au Moyen-Orient. <\/p>\n\n\n\n

A l\u2019heure du recul am\u00e9ricain dans cette r\u00e9gion <\/span>4<\/sup><\/a><\/span><\/span>, ces paragraphes proposent un \u00e9tat des lieux des dynamiques \u00e0 l\u2019\u0153uvre sur ces deux piliers structurels de l\u2019action ext\u00e9rieure de Washington au Moyen-Orient.<\/p>\n\n\n\n

Une alliance robuste avec l\u2019Arabie Saoudite au service des besoins \u00e9nerg\u00e9tiques am\u00e9ricains<\/strong><\/h4>\n\n\n\n

Le premier pilier est \u00e9nerg\u00e9tique. Il a men\u00e9 d\u00e8s 1945 le pr\u00e9sident am\u00e9ricain Frankin D. Roosevelt \u00e0 conclure avec le roi Ibn S\u00e9oud le c\u00e9l\u00e8bre \u00ab pacte du Quincy \u00bb qui vient ent\u00e9riner l\u2019assurance d\u2019une protection militaire \u00e0 la monarchie saoudienne en \u00e9change d\u2019un acc\u00e8s aux gisements p\u00e9troliers <\/span>5<\/sup><\/a><\/span><\/span>. L\u2019Arabian American Oil Company<\/em> (Aramco), qui existe d\u00e9j\u00e0 depuis 1933 <\/span>6<\/sup><\/a><\/span><\/span>, se voit alors octroyer un monopole d\u2019exploitation pour une dur\u00e9e de soixante ans en contrepartie du versement d\u2019un loyer \u00e0 Riyad. D\u00e8s lors, la stabilit\u00e9 de la p\u00e9ninsule arabique va progressivement \u00eatre appr\u00e9hend\u00e9e par les strat\u00e8ges de Washington comme un int\u00e9r\u00eat vital des Etats-Unis dans la mesure o\u00f9 ses approvisionnements en hydrocarbures sont une condition indispensable au d\u00e9veloppement du pays. L\u2019interd\u00e9pendance entre Riyad et Washington s’accentue m\u00eame en 1979 lorsque T\u00e9h\u00e9ran, autre alli\u00e9 p\u00e9trolier sur lequel les Etats-Unis pouvaient jusqu\u2019alors s\u2019appuyer, sera le berceau d\u2019une r\u00e9volution islamique donnant naissance \u00e0 un r\u00e9gime profond\u00e9ment anti-am\u00e9ricain et antisioniste.  <\/p>\n\n\n\n

Au fil des ann\u00e9es, l\u2019Iran s\u2019impose comme la puissance r\u00e9gionale concurrente de l\u2019Arabie Saoudite en s’appuyant sur une rivalit\u00e9 plus ou moins construite tant\u00f4t entre perses et arabes <\/span>7<\/sup><\/a><\/span><\/span>, chiites et sunnites, pro-am\u00e9ricains et anti-imp\u00e9rialistes, ou monarchie r\u00e9actionnaire contre r\u00e9publique r\u00e9volutionnaire. Cette situation accentue in\u00e9vitablement la solidit\u00e9 du lien strat\u00e9gique qui unit Riyad et Washington et renforce, outre le partenariat \u00e9nerg\u00e9tique, une alliance militaro-s\u00e9curitaire de plus en plus indispensable pour le r\u00e9gime saoudien. Ainsi, la relation am\u00e9ricano-saoudienne s\u2019est construite sur une convergence objective d\u2019int\u00e9r\u00eats et non sur une communaut\u00e9 de valeurs. Les chocs p\u00e9troliers de 1973 et 1974, l\u2019assassinat du roi Fay\u00e7al en 1975, la r\u00e9volution iranienne et r\u00e9volte de La Mecque en 1979, la chute progressive de l\u2019URSS entre 1989 et 1991, la premi\u00e8re guerre du Golfe, les attentats anti-occidentaux en 1995 et 1996, le(s) conflit(s) isra\u00e9lo-palestinien(s), aucun de ces \u00e9v\u00e9nements, malgr\u00e9 quelques tensions, n\u2019a \u00e9branl\u00e9 l\u2019alliance entre Washington et Riyad <\/span>8<\/sup><\/a><\/span><\/span>. M\u00eame les attentats du 11 septembre 2001 ont eu un impact limit\u00e9 sur cette relation. En revanche, dans la mesure o\u00f9 elle est une des causes de la chute de la demande mondiale d\u2019hydrocarbures, la crise sanitaire in\u00e9dite que traverse le monde pourrait contribuer \u00e0 d\u00e9t\u00e9riorer la qualit\u00e9 de la relation saoudi-am\u00e9ricaine.<\/p>\n\n\n\n

\n \n \r\n \r\n \r\n \r\n \"Menaces\r\n <\/picture>\r\n \n <\/a>\n<\/figure>\n\n\n

D\u2019un partenaire embarrassant \u00e0 un alli\u00e9 strat\u00e9gique, le rapprochement multidimensionnel de Washington avec Isra\u00ebl<\/strong><\/h4>\n\n\n\n

Le second pilier repose sur une alliance strat\u00e9gique avec l\u2019Etat d\u2019Isra\u00ebl. Contrairement \u00e0 ce que l\u2019on pourrait croire, il est erron\u00e9 de penser que cette alliance va n\u00e9cessairement de soi et que sa solidit\u00e9 est in\u00e9branlable. D\u2019un partenaire embarrassant <\/span>9<\/sup><\/a><\/span><\/span> dans les ann\u00e9es 1950 <\/span>10<\/sup><\/a><\/span><\/span>, Isra\u00ebl s\u2019est progressivement impos\u00e9 aux yeux de Washington comme l\u2019alli\u00e9 de r\u00e9f\u00e9rence au Moyen-Orient. Pendant la guerre froide, alors que les Etats arabes s\u2019arment majoritairement aupr\u00e8s de l\u2019URSS, les Etats-Unis voient dans le conflit Isra\u00e9lo-Arabe une vitrine de choix pour la mise en valeur de ses armements tout en assurant l\u2019\u00e9quilibre militaire dans la r\u00e9gion. C\u2019est plus tard, dans les ann\u00e9es 1980, alors que Washington perd un alli\u00e9 \u00e0 T\u00e9h\u00e9ran et voit l\u2019arm\u00e9e russe envahir l\u2019Afghanistan que la coop\u00e9ration entre les deux pays se pr\u00e9cise. La nouvelle donne g\u00e9opolitique propulse alors Isra\u00ebl d\u2019un statut de partenaire privil\u00e9gi\u00e9 \u00e0 celui d\u2019alli\u00e9 strat\u00e9gique <\/span>11<\/sup><\/a><\/span><\/span> aux yeux des strat\u00e8ges de Washington <\/span>12<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Si le r\u00f4le du tr\u00e8s influent lobby pro-isra\u00e9lien American Israel Public Affair Committee<\/em> (AIPAC) aupr\u00e8s de la classe politique am\u00e9ricaine est de toute \u00e9vidence fondamental dans l\u2019ind\u00e9fectible soutien des Etats-Unis <\/span>13<\/sup><\/a><\/span><\/span>, d\u2019autres facteurs, de nature plus id\u00e9ologiques que strat\u00e9giques, expliquent le rapprochement structurel de Washington avec Tel-Aviv. <\/p>\n\n\n\n

L\u2019Am\u00e9rique des ann\u00e9es 1980 se caract\u00e9rise par la forte mont\u00e9e en nombre des fid\u00e8les au sein des \u00e9glises \u00e9vang\u00e9liques<\/a> <\/span>14<\/sup><\/a><\/span><\/span>, qui va se traduire par un renforcement du soutien \u00e0 Isra\u00ebl pour deux raisons. D\u2019une part, le poids \u00e9lectoral des \u00e9vang\u00e9listes am\u00e9ricains, tr\u00e8s pr\u00e9sents au sein du parti r\u00e9publicain, va supplanter les Juifs am\u00e9ricains, traditionnellement plus proches du parti d\u00e9mocrate, comme premier groupe de soutien \u00e0 Isra\u00ebl <\/span>15<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Ce christianisme sioniste croit fermement que le retour des Juifs en Isra\u00ebl fut proph\u00e9tis\u00e9 par la Bible il y a des milliers d\u2019ann\u00e9es. Conform\u00e9ment \u00e0 la Gen\u00e8se, ces adeptes croient que le Cr\u00e9ateur accordera sa b\u00e9n\u00e9diction \u00e0 ceux qui viennent en aide aux Juifs et punira ceux qui les pers\u00e9cutent. D\u2019autre part, ces courants religieux se retrouveront, dans des registres et des modes op\u00e9ratoires diff\u00e9rents, chez des pr\u00e9sidents am\u00e9ricains \u00e0 plusieurs reprises. Ainsi l\u2019observant (non \u00e9vang\u00e9lique) Ronald Reagan (1980-1988), le baptiste temp\u00e9r\u00e9 Bill Clinton (1992-2000), et surtout le m\u00e9thodiste born again<\/em> George W. Bush (2000-2008) s\u2019inscrivent dans ce soutien \u00e0 l\u2019Etat d\u2019isra\u00ebl pour des raisons g\u00e9ostrat\u00e9giques mais aussi en tant que chr\u00e9tien <\/span>16<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Sans pour autant fantasmer ce param\u00e8tre, il participe \u00e0 l\u2019explication du renforcement du lien qui unit Washington et Tel-Aviv depuis les ann\u00e9es 1980. <\/p>\n\n\n\n

Enfin, si ce crit\u00e8re religieux est particuli\u00e8rement saillant au sein de l\u2019\u00e9lectorat r\u00e9publicain, il l\u2019est moins pour le camp d\u00e9mocrate. En revanche, une caract\u00e9ristique des administrations d\u00e9mocrates fut de favoriser Isra\u00ebl en raison d\u2019une forte identification \u00e0 son r\u00e9gime d\u00e9mocratique, \u00e0 la proximit\u00e9 de sa classe politique avec l\u2019\u00e9thique socialiste et de leur empathie pour le sort des juifs pendant l\u2019Holocauste <\/span>17<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Ainsi, la nature du lien \u00e9troit qui existe entre Washington et Tel-Aviv est aussi bien le fruit d\u2019une d\u00e9couverte progressive d\u2019int\u00e9r\u00eats g\u00e9ostrat\u00e9giques communs que d\u2019une proximit\u00e9 civilisationnelle <\/span>18<\/sup><\/a><\/span><\/span> fabriqu\u00e9e et rendue possible par la r\u00e9-\u00e9mergence des identit\u00e9s ethno-religieuses <\/span>19<\/sup><\/a><\/span><\/span> d\u00e8s la fin du 20\u00e8me si\u00e8cle. Elle ne saurait se r\u00e9sumer \u00e0 la simple action de l\u2019AIPAC \u00e0 Washington. Le lobby pro-isra\u00e9lien faisant plut\u00f4t office de courroie de transmission capable de faciliter l\u2019\u00e9mergence et le d\u00e9veloppement des deux param\u00e8tres \u00e9voqu\u00e9s ci-dessus. <\/p>\n\n\n\n

De nouvelles dynamiques <\/strong><\/h4>\n\n\n\n

Au cours de la d\u00e9cennie 2010, le \u00ab pacte du Quincy \u00bb, pourtant renouvel\u00e9 en 2005 pour une dur\u00e9e de soixante ans, devient de plus en plus fragile. En cause, les progr\u00e8s technologiques et l\u2019utilisation combin\u00e9e du forage \u00e0 l\u2019horizontal et de la fracturation hydraulique qui rendent profitable l\u2019exploitation du gaz et du p\u00e9trole de schiste aux Etats-Unis \u00e0 partir de 2007. Les Etats-Unis deviennent alors rapidement le premier producteur mondial d\u2019hydrocarbures et sont m\u00eame comp\u00e9titifs \u00e0 l\u2019export depuis quelques ann\u00e9es gr\u00e2ce \u00e0 la mise en service de nouveaux pipelines <\/span>20<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Alors qu\u2019il d\u00e9passe les 80$ en 2014, le seuil de rentabilit\u00e9 (breakeven price<\/em>) du baril de p\u00e9trole des op\u00e9rateurs am\u00e9ricains oscille entre 48$ et 54$ fin 2019. Certaines compagnies am\u00e9ricaines se permettent m\u00eame de venir concurrencer le p\u00e9trole saoudien sur les march\u00e9s asiatiques avant le d\u00e9but de l\u2019actuelle crise sanitaire. Malgr\u00e9 cela, Washington ne s\u2019affranchit pas pleinement de sa relation de d\u00e9pendance \u00e9nerg\u00e9tique avec le p\u00e9trole du Golfe. En effet, les risques de p\u00e9nurie restent critiques aux Etats-Unis et les producteurs de schiste am\u00e9ricain n\u2019ont pas une capacit\u00e9 de r\u00e9action suffisante en cas de crise. Par ailleurs, comme le p\u00e9trole est un produit de base n\u00e9goci\u00e9 \u00e0 l\u2019\u00e9chelle mondiale cela signifie qu\u2019une panne d\u2019approvisionnement d\u2019un c\u00f4t\u00e9 de la plan\u00e8te peut faire grimper les prix de l\u2019autre, comme aux \u00c9tats-Unis. Cela explique en partie le niveau d\u2019alerte \u00e9lev\u00e9 des Etats-Unis sur les perturbations dans le d\u00e9troit d\u2019Ormuz <\/span>21<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Enfin, le syst\u00e8me de raffinage am\u00e9ricain fonctionne plus efficacement avec une dose de p\u00e9trole lourd. Or le schiste am\u00e9ricain est l\u00e9ger. C\u2019est pourquoi les Etats-Unis continuent d\u2019importer du p\u00e9trole lourd de l\u2019\u00e9tranger <\/span>22<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Ainsi, bien que les Etats-Unis ne soient pas pleinement autonomes, leur nouvelle situation \u00e9nerg\u00e9tique rebat tout de m\u00eame les cartes de sa relation avec Riyad. <\/p>\n\n\n\n

Loin d\u2019ignorer cette nouvelle donne, Riyad tente de compenser cette baisse de la d\u00e9pendance am\u00e9ricaine aux hydrocarbures du Golfe par la signature de contrats d\u2019armements aux montants faramineux <\/span>23<\/sup><\/a><\/span><\/span> <\/span>24<\/sup><\/a><\/span><\/span>, bien souvent synonyme de r\u00e9assurance en mati\u00e8re de s\u00e9curit\u00e9. Un glissement de la proximit\u00e9 p\u00e9tro-diplomatique \u00e0 une relation militaro-industrielle d\u00e9fendant les int\u00e9r\u00eats commerciaux am\u00e9ricains et les int\u00e9r\u00eats strat\u00e9giques saoudiens peut expliquer pourquoi l\u2019alliance perdure <\/span>25<\/sup><\/a><\/span><\/span>. L\u2019Arabie Saoudite se doit de conserver un certain niveau d\u2019interd\u00e9pendance avec Washington \u00e0 l\u2019heure o\u00f9 son environnement r\u00e9gional se caract\u00e9rise par une instabilit\u00e9 chronique (Irak, Syrie, Libye, Y\u00e9men\u2026) et que sa rivalit\u00e9 avec l\u2019Iran atteint r\u00e9guli\u00e8rement des niveaux de tension critiques. Dans ce contexte, elle ne peut pas se permettre de voir son alliance avec Washington s\u2019\u00e9tioler. De fait, c\u2019est sans doute autant pour s\u2019attirer les faveurs de la Maison Blanche que par convergence d\u2019int\u00e9r\u00eat avec Tel-Aviv que le prince h\u00e9ritier saoudien Mohamed ben Salman (MBS) a fait plusieurs gestes en direction d\u2019Isra\u00ebl <\/span>26<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Pour certains, il s\u2019agirait m\u00eame d\u2019un pr\u00e9-requis \u00e0 la vente d\u2019armements am\u00e9ricains au royaume wahhabite <\/span>27<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Tr\u00e8s discret, ce rapprochement pourrait co\u00fbter cher politiquement \u00e0 la monarchie saoudienne sur un sujet aussi sensible encore capable de cristalliser les traumatismes des populations de la r\u00e9gion. Notons que gr\u00e2ce \u00e0 son acc\u00e8s facile au p\u00e9trole brut, l\u2019Arabie conserve malgr\u00e9 tout le r\u00f4le de \u00ab swing producer<\/em> \u00bb (en mesure d\u2019augmenter ou de diminuer son offre \u00e0 un co\u00fbt suppl\u00e9mentaire minime) lui conf\u00e9rant le pouvoir appr\u00e9ciable de contr\u00f4ler rapidement l\u2019offre mondiale et par cons\u00e9quent le prix du baril. Cependant, cet avantage n\u2019est plus aussi net qu\u2019au cours des pr\u00e9c\u00e9dentes d\u00e9cennies et Riyad se voit donc pri\u00e9 de faire des concessions in\u00e9dites \u00e0 Washington dans ce nouveau rapport de force qui lui est ind\u00e9niablement d\u00e9favorable. <\/p>\n\n\n\n

Pas de rupture donc. Si l\u2019Arabie Saoudite et les Etats-Unis n\u2019ont pas divorc\u00e9, des distances se creusent, les m\u00e9fiances s\u2019installent et des divergences de point de vue apparaissent. Le nombre de f\u00e2cheries entre les deux Etats se multiplie depuis les attentats du 11 septembre 2001. Ce jour l\u00e0, 15 des 19 membres du commando d’Al Qa\u00efda sont de nationalit\u00e9 saoudienne.  En 2003, le retrait des soldats am\u00e9ricains pr\u00e9sents sur le sol saoudien parle de lui-m\u00eame. Le Pentagone ne se sent plus en s\u00e9curit\u00e9 chez son alli\u00e9 <\/span>28<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Ensuite, les ann\u00e9es Obama (2008 – 2016) vont largement illustrer cette volont\u00e9 de r\u00e9\u00e9quilibrer la posture am\u00e9ricaine dans la r\u00e9gion au grand dam de Riyad et de Tel-Aviv. Prenant quelques distances avec ses alli\u00e9s traditionnels, l\u2019administration Obama a impos\u00e9 une d\u00e9diabolisation de l\u2019ennemi iranien et amorc\u00e9 sa r\u00e9int\u00e9gration dans le commerce international \u00e0 travers l\u2019accord de Vienne sign\u00e9 en 2015 <\/span>29<\/sup><\/a><\/span><\/span>. M\u00eame sous la pr\u00e9sidence de Donald Trump, qui prend le contre-pied de la politique \u00e9trang\u00e8re d\u2019Obama, quelques accrocs mettent en lumi\u00e8re le foss\u00e9 qui s\u00e9pare Riyad de Washington. Au premier rang de ceux-ci, l\u2019assassinat de Jamal Khashoggi augmente la m\u00e9fiance de la classe politique am\u00e9ricaine \u00e0 l\u2019\u00e9gard du prince h\u00e9ritier saoudien MBS <\/span>30<\/sup><\/a><\/span><\/span>. <\/p>\n\n\n\n

Par ailleurs, le contexte \u00e9nerg\u00e9tique mondial ne plaide pas en faveur d\u2019une am\u00e9lioration de la relation entre Riyad et Washington. En effet, la r\u00e9cente chute des prix du p\u00e9trole r\u00e9sulte de la volont\u00e9 de la compagnie saoudienne d\u2019hydrocarbures Saudi ARAMCO de s\u00e9curiser ses parts de march\u00e9 en Asie, march\u00e9 sur lequel les op\u00e9rateurs de schiste am\u00e9ricain commen\u00e7aient \u00e0 devenir de plus en plus offensifs. Cette d\u00e9gradation brutale de la conjoncture a d\u00e9j\u00e0 contraint de nombreuses compagnies ind\u00e9pendantes <\/strong>\u00e0 r\u00e9duire ou interrompre leurs activit\u00e9s. Les plus f\u00e9briles d\u2019entre elles, souvent d\u00e9j\u00e0 tr\u00e8s endett\u00e9s du fait des co\u00fbteux investissements dans les techniques d\u2019extractions du gaz et du p\u00e9trole de schiste, pourraient m\u00eame \u00eatre amen\u00e9es \u00e0 mettre la cl\u00e9 sous la porte. De fait, les op\u00e9rateurs am\u00e9ricains vont devoir se concentrer sur leur demande domestique et s\u2019\u00e9loigner un temps des march\u00e9s asiatiques sur lesquelles Riyad, d\u00e9j\u00e0 concurrenc\u00e9 en Europe par la Russie, entend rester le principal fournisseur. <\/p>\n\n\n\n

\n \n \r\n \r\n \r\n \r\n \"la\r\n <\/picture>\r\n \n <\/a>\n<\/figure>\n\n\n

L\u2019impuissance de la puissance<\/strong>, vers une sortie par la petite porte ? <\/strong><\/h4>\n\n\n\n

Longtemps, les Etats-Unis ont consid\u00e9r\u00e9 qu\u2019ils avaient strat\u00e9giquement besoin d\u2019une r\u00e9solution du conflit isra\u00e9lo-palestinien <\/span>32<\/sup><\/a><\/span><\/span>, que les peuples Arabes, dans l\u2019ensemble, parviendront finalement \u00e0 consid\u00e9rer comme juste. <\/span>33<\/sup><\/a><\/span><\/span> Nombreuses sont les administrations am\u00e9ricaines \u00e0 avoir investi beaucoup d\u2019efforts afin d\u2019amener repr\u00e9sentants isra\u00e9liens et arabes (puis palestiniens) \u00e0 la table des n\u00e9gociations avec les maigres succ\u00e8s et les \u00e9checs r\u00e9p\u00e9titifs que l\u2019on conna\u00eet. En cela, le dernier plan de paix propos\u00e9 par Jared Kushner <\/span>34<\/sup><\/a><\/span><\/span> en janvier 2020 illustre ostensiblement les limites de la puissance des Etats-Unis sur ce dossier. En s\u2019alignant pleinement sur les exigences isra\u00e9liennes (reconnaissance des colonies isra\u00e9liennes, souverainet\u00e9 isra\u00e9lienne sur la vall\u00e9e du Jourdain, J\u00e9rusalem comme capitale indivisible d\u2019Isra\u00ebl, d\u00e9militarisation du futur Etat palestinien\u2026) <\/span>35<\/sup><\/a><\/span><\/span>, il est difficile d\u2019imaginer ce plan avoir une post\u00e9rit\u00e9 heureuse. Il semble plut\u00f4t montrer l\u2019abdication de Washington \u00e0 \u0153uvrer en faveur d\u2019une solution juste aux yeux de la partie palestinienne et de surcro\u00eet, des peuples arabes. Cette attitude semble esquisser les pr\u00e9mices du d\u00e9sengagement am\u00e9ricain \u00e0 venir. <\/p>\n\n\n\n

Ultime sujet qui pr\u00e9occupe aussi bien Riyad que Tel-Aviv, le nucl\u00e9aire iranien appara\u00eet comme \u00e9tant le dernier v\u00e9ritable dossier sur lequel Washington ne peut pas se permettre de se d\u00e9filer. Outre l\u2019antiam\u00e9ricanisme profond du r\u00e9gime iranien, T\u00e9h\u00e9ran est la principale menace des alli\u00e9s isra\u00e9liens et saoudiens de Washington. Par cons\u00e9quent, la politique am\u00e9ricaine au Moyen-Orient se r\u00e9duit logiquement de plus en plus \u00e0 la lutte contre l\u2019Iran et \u00e0 la constitution d\u2019une alliance entre p\u00e9tromonarchies et Isra\u00ebl pour contrer l\u2019Iran <\/span>36<\/sup><\/a><\/span><\/span>. La strat\u00e9gie de \u00ab pression maximale \u00bb mise en \u0153uvre par l\u2019administration Trump depuis son arriv\u00e9e au pouvoir esp\u00e8re \u00e0 minima ramener l\u2019Iran \u00e0 la table des n\u00e9gociations en vue de signer un accord bien plus contraignant. Au mieux elle vise \u00e0 provoquer un changement de r\u00e9gime \u00e0 T\u00e9h\u00e9ran. <\/p>\n\n\n\n

Jusqu\u2019\u00e0 pr\u00e9sent, l\u2019Iran parvient \u00e0 faire preuve de r\u00e9silience malgr\u00e9 la r\u00e9cente accumulation des difficult\u00e9s pour le r\u00e9gime (crise du coronavirus, chute du prix du p\u00e9trole, sanctions \u00e9conomiques). Le temps semble jouer en sa faveur. En effet, si la \u00ab pression maximale \u00bb est principalement d\u2019ordre \u00e9conomique, il ne fait aucun doute que le retrait souhait\u00e9 des troupes am\u00e9ricaines d\u2019Irak et d\u2019Afghanistan diminuera les marges de man\u0153uvre de Washington en mati\u00e8re de dissuasion. Guid\u00e9 par des int\u00e9r\u00eats politiques, le pr\u00e9sident Trump esp\u00e8re avoir enclench\u00e9 ce retrait avant de retourner en novembre 2020 devant des \u00e9lecteurs am\u00e9ricains las des guerres co\u00fbteuses et inefficaces dans la r\u00e9gion. Par ailleurs, son futur rival pour la Maison Blanche, Joe Biden, ancien vice-pr\u00e9sident d\u2019Obama, se d\u00e9clare, pour sa part, favorable \u00e0 une solution diplomatique plus conforme \u00e0 l\u2019accord de Vienne <\/span>37<\/sup><\/a><\/span><\/span> t\u00e9moignant ainsi d\u2019une alternative \u00e0 la doctrine trumpienne. <\/p>\n\n\n\n

La m\u00e9thode agressive de Trump de \u00ab pression maximale \u00bb vis-\u00e0-vis de T\u00e9h\u00e9ran ne serait alors qu\u2019une parenth\u00e8se d\u2019une sur-implication de Washington sur un dossier qui devrait l\u2019int\u00e9resser de moins en moins si trois dynamiques se poursuivent. Premi\u00e8rement, la poursuite de la rivalit\u00e9 sino-am\u00e9ricaine confirmant ainsi le r\u00e9\u00e9quilibrage de la politique \u00e9trang\u00e8re am\u00e9ricaine vers l\u2019Asie. Deuxi\u00e8mement, la survie du secteur p\u00e9trolier am\u00e9ricain qui d\u00e9pendra en partie de la reprise \u00e9conomique mondiale et du niveau de la production des membres du groupe OPEP+ <\/span>38<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Troisi\u00e8mement, la mod\u00e9ration des ambitions r\u00e9gionales de T\u00e9h\u00e9ran qui devrait probablement s\u2019autolimiter du fait des difficult\u00e9s internes auxquelles le pays fait face. <\/p>\n\n\n\n

Il ne faut pas s\u2019y m\u00e9prendre, la pr\u00e9sence conventionnelle am\u00e9ricaine au Moyen-Orient restera significative pour longtemps (bases au Qatar, en Turquie, en Jordanie, \u00e0 Bahre\u00efn, aux Emirats Arabes Unis et \u00e0 Oman). Le d\u00e9sengagement militaire d\u2019Irak<\/a> et d\u2019Afghanistan souhait\u00e9 n\u2019est pas encore effectif et ne serait en aucun cas synonyme d\u2019une disparition. Cependant,  ces paragraphes ambitionnent de d\u00e9crypter certaines \u00e9volutions de la politique am\u00e9ricaine qui s\u2019inscrivent dans le temps long : il appara\u00eet que les int\u00e9r\u00eats des Etats-Unis vont \u00eatre amen\u00e9s \u00e0 d\u00e9croitre dans la r\u00e9gion et que, par cons\u00e9quent, leur volont\u00e9 d\u2019implication faiblira \u00e9galement. On peut alors lire l\u2019agressivit\u00e9 de l\u2019administration Trump sur le dossier iranien et le soutien plus net que jamais \u00e0 Isra\u00ebl comme une tentative de pr\u00e9cipiter unilat\u00e9ralement les \u00ab derni\u00e8res volont\u00e9s \u00bb g\u00e9opolitiques de Washington au Moyen-Orient. <\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"

Comment les concepts de \u00ab  d\u00e9sengagement  \u00bb, \u00ab  pression maximale  \u00bb et de \u00ab  r\u00e9\u00e9quilibrage  \u00bb expliquent-ils les \u00e9volutions de la politique moyen-orientale des Etats-Unis  ? 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Ainsi, malgr\u00e9 la r\u00e9inscription des Etats-Unis dans une posture plus en phase avec ses alli\u00e9s isra\u00e9liens et saoudiens depuis 2016, il n\u2019est pas impossible que la prise de distance amorc\u00e9e par Obama s\u2019inscrive plus durablement dans la diplomatie am\u00e9ricaine, ne serait-ce que parce que le d\u00e9sengagement am\u00e9ricain dans la r\u00e9gion semble in\u00e9luctable. Si les mani\u00e8res de faire des administrations d\u2019Obama puis de Trump n\u2019ont pas fait l\u2019unanimit\u00e9 outre-atlantique, la classe politique am\u00e9ricaine est en revanche unanime sur la n\u00e9cessit\u00e9 de se d\u00e9sengager du Moyen-Orient pour porter ses efforts plus \u00e0 l\u2019est dans la zone pacifique ou la Chine se fait de plus en plus mena\u00e7ante. Au Moyen-Orient, Washington tente de se d\u00e9marquer de cette image de gendarme et consid\u00e8re que ses alli\u00e9s r\u00e9gionaux doivent se d\u00e9brouiller davantage seuls. <\/span>31<\/sup><\/a><\/span><\/span><\/p>\n\n\n\n