{"id":69606,"date":"2020-04-23T15:11:30","date_gmt":"2020-04-23T13:11:30","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=69606"},"modified":"2020-04-23T16:56:09","modified_gmt":"2020-04-23T14:56:09","slug":"covid-19-que-faire-des-dettes-souveraines-petit-lexique-juridique","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2020\/04\/23\/covid-19-que-faire-des-dettes-souveraines-petit-lexique-juridique\/","title":{"rendered":"Covid-19 : que faire des dettes souveraines ? Petit lexique juridique"},"content":{"rendered":"\n
Paris.<\/em> Les dettes publiques (en attendant les dettes priv\u00e9es) s\u2019envolent. Le niveau d\u2019endettement atteint des seuils que l\u2019on n\u2019avait plus vus depuis la sortie de la deuxi\u00e8me guerre mondiale.<\/p>\n\n\n\n D\u2019o\u00f9 la question : que faire de toutes ces dettes ? Les \u00e9conomistes se divisent. Certains estiment que le seuil de soutenabilit\u00e9 a \u00e9t\u00e9 atteint et qu\u2019il faut les \u00ab annuler \u00bb <\/span>1<\/sup><\/a><\/span><\/span> ; d\u2019autres consid\u00e8rent que tant que l\u2019Etat paye le service de la dette, le montant en principal importe peu <\/span>2<\/sup><\/a><\/span><\/span>. D\u2019autres encore rappellent que toute dette doit \u00eatre rembours\u00e9e. <\/span>3<\/sup><\/a><\/span><\/span><\/p>\n\n\n\n Dans ces d\u00e9bats techniques in\u00e9dits o\u00f9 la r\u00e9alit\u00e9 vers vient bouleverser les certitudes et les dogmes mon\u00e9taires, la plupart des \u00e9tudes \u00e9conomiques emploient des termes juridiques sans toujours bien en saisir le sens. Ainsi, \u00ab annulation \u00bb, \u00ab suspension \u00bb, \u00ab remise \u00bb, \u00ab effacement \u00bb, \u00ab r\u00e9pudiation \u00bb, \u00ab abandon \u00bb sont par exemple utilis\u00e9s sans bien en cerner les contours juridiques. Certes, un terme juridique s\u2019inscrit dans une culture juridique, laquelle diff\u00e8re selon les grands syst\u00e8mes de droit (anglo-am\u00e9ricain versus germano-civiliste). Mais certaines notions juridiques transcendent ces diff\u00e9rences culturelles, ne serait-ce certaines sp\u00e9cificit\u00e9s propres mais qui n\u2019affectent pas la substance de la notion. Il est vrai cependant que la question des \u00ab annulations \u00bb des dettes souveraines est juridiquement complexe et s\u2019\u00e9carte parfois des d\u00e9finitions juridiques classiques.<\/p>\n\n\n\n L\u2019objet de cet article est d\u2019essayer de reprendre ces notions juridiques et d\u2019en expliquer le contenu.<\/p>\n\n\n\n S\u2019agissant de dettes (publiques ou priv\u00e9es), il existe plusieurs techniques juridiques disponibles lorsque le d\u00e9biteur fait face \u00e0 des difficult\u00e9s de remboursement ou de paiement de sa dette.<\/p>\n\n\n\n La dette souveraine prend g\u00e9n\u00e9ralement soit la forme d\u2019une dette n\u00e9gociable, sous forme d\u2019\u00e9missions obligataires (en monnaie locale ou en devises) \u00e9mise sur les march\u00e9s financiers internationaux, soit celle de contrats de financement (avec des institutions financi\u00e8res internationales ou des cr\u00e9anciers priv\u00e9s). Si dans les deux cas, il s\u2019agit bien de contrat de dette, la forme obligataire ou contrat de pr\u00eat conduit \u00e0 des diff\u00e9rences dans le r\u00e9gime juridique de chacun de ces contrats, notamment dans les conditions de modification des termes du contrat originel.<\/p>\n\n\n\n Parmi les diff\u00e9rentes techniques juridiques pass\u00e9es en revue pour all\u00e9ger le poids de la dette, on peut classer celles-ci en trois cat\u00e9gories : (i) celles o\u00f9 le d\u00e9biteur refuse d\u2019honorer son engagement ; (ii) celle o\u00f9 le cr\u00e9ancier consent par un acte oblatif un abandon de cr\u00e9ance, (iii) et enfin, les diff\u00e9rentes situations o\u00f9 la dette est n\u00e9goci\u00e9e, de la suspension ou moratoire en passant par la remise de dette ou la ren\u00e9gociation des conditions de la dette.<\/p>\n\n\n\n Pour certains, la dette avilit et se compare \u00e0 un esclavage <\/span>4<\/sup><\/a><\/span><\/span>. D\u00e8s lors, toutes les conditions pour s\u2019en lib\u00e9rer sont non seulement possibles mais justifi\u00e9es pour sortir de ce carcan. Ici, le d\u00e9biteur, s\u2019affranchit de son engagement contractuel et refuse de rembourser sa dette au nom de la justice humaine.<\/p>\n\n\n\n La r\u00e9pudiation de la dette est le refus volontaire de reconnaitre les cons\u00e9quences d\u2019une dette par le d\u00e9biteur qui d\u00e9cide unilat\u00e9ralement de ne plus respecter le contrat et ne rembourse plus le capital et ni les int\u00e9r\u00eats. L\u2019existence de la dette n\u2019est pas remise en cause, mais ce sont ses effets pour le futur qui sont remis en cause. On est ici dans la situation de la r\u00e9volte o\u00f9 le d\u00e9biteur d\u00e9cide de rompre son engagement. Non pas pour cause d\u2019endettement immoral ou de dette injuste <\/span>5<\/sup><\/a><\/span><\/span>, mais tout simplement parce que les conditions \u00e9conomiques ne permettent plus le respect de l\u2019engagement originel. Le budget est plus fort que la loi et la justice sociale prime sur le contrat. L\u2019exemple le plus fameux est celui tir\u00e9 du discours sur la dette prononc\u00e9 par Thomas Sankara, le pr\u00e9sident du Burkina-Fasso, \u00e0 Addis-Abeba, le 29 juillet 1987, deux mois avant d\u2019\u00eatre assassin\u00e9. <\/span>6<\/sup><\/a><\/span><\/span><\/p>\n\n\n\n Certaines ONG avancent des arguments juridiques comme la force majeure, le changement de circonstances ou l\u2019\u00e9tat de n\u00e9cessit\u00e9 pour justifier le refus de rembourser une dette souveraine <\/span>7<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Ces notions juridiques se pr\u00eatent toutefois mal \u00e0 la situation d\u2019une dette souveraine.<\/p>\n\n\n\n Ces situations de refus d\u2019honorer la dette contract\u00e9e sont rares, dans la mesure o\u00f9 les Etats qui r\u00e9pudient leurs dettes se mettent d\u2019eux-m\u00eames au banc des institutions internationales et de la communaut\u00e9 des Etats.<\/p>\n\n\n\n Encore appel\u00e9 \u00ab effacement de dette \u00bb dans le langage courant, l’abandon de cr\u00e9ance est la renonciation par un cr\u00e9ancier \u00e0 exercer les droits que lui conf\u00e8re l’existence d’une cr\u00e9ance. L\u2019abandon de cr\u00e9ance est une renonciation unilat\u00e9rale \u00e0 un droit, ce que l\u2019on appelle un acte abdicatif. Dans la rh\u00e9torique de certaines ONG, on parle aussi d\u2019\u00ab annulation \u00bb de dettes.<\/p>\n\n\n\n L\u2019effacement des dettes s\u2019analyse en mode d\u2019extinction de l\u2019obligation li\u00e9e au contrat de dette sans satisfaction du cr\u00e9ancier. Dans certains droits nationaux, l\u2019effacement de dette n\u2019est pas consenti par le cr\u00e9ancier, mais doit \u00eatre impos\u00e9e par un tribunal, ce qui n\u2019est gu\u00e8re possible en mati\u00e8re de dette souveraine. Avec un effacement, la dette effac\u00e9e n\u2019a plus \u00e0 \u00eatre pay\u00e9e ; le cr\u00e9ancier ne peut plus contraindre \u00e0 l\u2019avenir le d\u00e9biteur \u00e0 le rembourser.<\/p>\n\n\n\n L\u2019illustration la plus significative de cet effacement est celle connue comme l\u2019initiative Jubil\u00e9e 2000. Celle-ci est n\u00e9e de diff\u00e9rentes ONG d’inspiration chr\u00e9tienne qui, \u00e0 l’occasion du mill\u00e9naire, demand\u00e8rent \u00e0 ce que les pays les plus pauvres puissent \u00ab repartir de z\u00e9ro \u00bb en termes de dette, par une d\u00e9cision des cr\u00e9anciers d\u2019 \u00ab effacer \u00bb leurs dettes. Compte-tenu de l\u2019ampleur prise par ce mouvement (lors du sommet du G8 qui a eu lieu en juin 1999 \u00e0 Cologne en Allemagne, 24 millions de signatures d\u2019une p\u00e9tition demandant l\u2019annulation de la dette des pays les plus pauvres sont remises \u00e0 Gerhard Schr\u00f6der, le chancelier allemand), les organisations financi\u00e8res internationales comme le FMI et le club de Paris se sont jointes \u00e0 cette initiative, dans le sillage de certains gouvernements occidentaux. C\u2019est suite \u00e0 cette initiative, que le G8 a annonc\u00e9 en 2005 l\u2019 \u00ab annulation \u00bb totale de la dette des pays les plus pauvres de la plan\u00e8te. Promesse non enti\u00e8rement tenue : le principal de la dette n\u2019a pas \u00e9t\u00e9 totalement annul\u00e9.<\/p>\n\n\n\n La remise de dette est une expression juridique principalement utilis\u00e9e en droit des contrats qui permet \u00e0 un cr\u00e9ancier de ne pas r\u00e9clamer la totalit\u00e9 de sa cr\u00e9ance aupr\u00e8s de son d\u00e9biteur. En pratiquant une remise de dette, le cr\u00e9ancier lib\u00e8re son d\u00e9biteur de son obligation de remboursement <\/span>8<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Il s\u2019agit aussi d\u2019un mode d\u2019extinction de l\u2019obligation sans satisfaction du cr\u00e9ancier. La remise de dette peut porter sur l’ensemble de la dette restant due ou sur une partie simplement. La remise de dette ne doit pas \u00eatre confondue avec la renonciation. En effet, la remise de dette implique l’accord des deux parties alors que la renonciation implique simplement la volont\u00e9 du cr\u00e9ancier.<\/p>\n\n\n\n On parle aussi souvent de moratoire de la dette. Ainsi, le G20 a annonc\u00e9 en avril 2020 un moratoire <\/span>9<\/sup><\/a><\/span><\/span> sur la dette des pays les plus pauvres du monde <\/span>10<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Etymologiquement, un moratoire est une d\u00e9cision unilat\u00e9rale des cr\u00e9anciers de suspension de leurs droits. Un moratoire n\u2019est pas une annulation. Il peut concerner le principal et les int\u00e9r\u00eats, ou seulement le service de la dette.<\/p>\n\n\n\n La plupart des discussions autour des dettes souveraines ont lieu au sein de deux institutions informelles que sont le Club de Paris (cr\u00e9anciers publics), et le Club de Londres (cr\u00e9anciers priv\u00e9s). Dans les deux cas, il s\u2019agit d\u2019une enceinte o\u00f9 d\u00e9biteur et cr\u00e9anciers se retrouvent pour ren\u00e9gocier la dette souveraine. La ren\u00e9gociation de la dette souveraine est soumise \u00e0 la conditionnalit\u00e9 d\u2019un accord du FMI.<\/p>\n\n\n\n Ces discussions peuvent donner lieu \u00e0 des r\u00e9\u00e9chelonnements (il s\u2019agit de repousser dans le futur les \u00e9ch\u00e9ances d\u2019un pr\u00eat), des suspensions de paiement (moratoire <\/span>11<\/sup><\/a><\/span><\/span>), voire m\u00eame des annulations partielles ou totales.<\/p>\n\n\n\n Le sort de la dette publique lorsque celle-ci atteint un niveau tel que son remboursement pose difficult\u00e9 se caract\u00e9rise par l\u2019utilisation de diff\u00e9rentes techniques ou instruments juridiques. Inspir\u00e9s du droit des contrats, ces instruments doivent toutefois \u00eatre adapt\u00e9s \u00e0 la situation particuli\u00e8re du d\u00e9biteur, Etat souverain. C\u2019est d\u2019ailleurs bien l\u00e0 le paradoxe de l\u2019expression \u00ab dette souveraine \u00bb, laquelle laisse entendre une sorte d\u2019oxymore <\/span>12<\/sup><\/a><\/span><\/span> entre la n\u00e9cessit\u00e9 d\u2019un contrat r\u00e9gissant les relations et l\u2019imp\u00e9ratif de la souverainet\u00e9 qui caract\u00e9rise les Etats. Ces expressions juridiques utilis\u00e9es dans le cas des dettes souveraines peuvent d\u00e8s lors recevoir une acception l\u00e9g\u00e8rement diff\u00e9rente qu\u2019en droit des contrats. Mais les principes demeurent. A savoir, soit la dette n\u2019est pas n\u00e9goci\u00e9e, mais le d\u00e9biteur ou les cr\u00e9anciers prennent une d\u00e9cision unilat\u00e9rale de ne pas rembourser (r\u00e9pudiation) ou de renoncer \u00e0 leurs cr\u00e9ances (effacement) ; soit cette dette est n\u00e9goci\u00e9e entre les parties au contrat, le cas \u00e9ch\u00e9ant avec un tiers (le Club de Paris et le Club de Londres) aux fins d\u2019en modifier les termes d\u2019origines. Dans tous les cas, il faut aller pr\u00e9cis\u00e9ment v\u00e9rifier derri\u00e8re les mots le contenu de ces d\u00e9clarations.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":" Sous l’impact du Covid-19, les dettes publiques s’envolent pour atteindre des seuils inconnus depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Alors que les \u00e9conomistes s’opposent sur le sort \u00e0 leur r\u00e9server, Hubert de Vauplane vient proposer un lexique juridique pour mieux cerner les contours des solutions propos\u00e9es.<\/p>\n","protected":false},"author":175,"featured_media":69607,"comment_status":"closed","ping_status":"closed","sticky":false,"template":"templates\/post-briefings.php","format":"standard","meta":{"_acf_changed":false,"_trash_the_other_posts":false,"footnotes":""},"categories":[1935,2210],"tags":[2281],"geo":[1917],"class_list":["post-69606","post","type-post","status-publish","format-standard","hentry","category-droit","category-sante-publique","tag-coronavirus","staff-hubert-de-vauplane","geo-europe"],"acf":[],"yoast_head":"\n
Rappelons tout d\u2019abord une \u00e9vidence : une dette de somme d\u2019argent est un contrat synallagmatique aux termes duquel le pr\u00eateur met \u00e0 disposition une certaines sommes d\u2019argent contre r\u00e9mun\u00e9ration, et l\u2019emprunteur s\u2019engage \u00e0 rembourser le capital et les int\u00e9r\u00eats selon les modalit\u00e9s d\u00e9termin\u00e9es au contrat. Autrement dit, une dette engage son d\u00e9biteur \u00e0 rembourser. Et engage le pr\u00eateur \u00e0 respecter les termes du contrat.<\/p>\n\n\n\nLa dette reni\u00e9e ou la r\u00e9pudiation de dette<\/strong><\/h4>\n\n\n\n
\r\n <\/picture>\r\n \n <\/a>\n<\/figure>\n\n\n
La dette oubli\u00e9e ou l\u2019abandon de cr\u00e9ance<\/h4>\n\n\n\n
La dette n\u00e9goci\u00e9e dans ses diff\u00e9rentes formes<\/h4>\n\n\n\n
Conclusion<\/h4>\n\n\n\n