{"id":66558,"date":"2020-04-10T14:29:18","date_gmt":"2020-04-10T12:29:18","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=66558"},"modified":"2021-03-08T11:17:16","modified_gmt":"2021-03-08T10:17:16","slug":"gaudot-charbonnier-abondance-liberte","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2020\/04\/10\/gaudot-charbonnier-abondance-liberte\/","title":{"rendered":"Penser une sortie vertueuse de l\u2019\u00e2ge moderne"},"content":{"rendered":"\n
Depuis le printemps 2020, pour une moiti\u00e9 environ de l\u2019humanit\u00e9, et selon un nuancier assez divers des restrictions nationales, nos libert\u00e9s individuelles d\u2019aller et venir sont drastiquement restreintes, tandis que leur exercice collectif est temporairement confin\u00e9 \u00e0 l\u2019espace public virtuel des m\u00e9dias et r\u00e9seaux sociaux en ligne. Parall\u00e8lement, entre commerces ferm\u00e9s, rupture des cha\u00eenes de valeur mondialis\u00e9es, transports \u00e0 l\u2019arr\u00eat, ch\u00f4mage technique et faillites r\u00e9elles, les effets n\u00e9gatifs d\u2019un ralentissement brutal de l\u2019activit\u00e9 \u00e9conomique mondiale sont d\u00e9j\u00e0 palpables, et ne laissent pas d\u2019inqui\u00e9ter.<\/p>\n\n\n\n
Le contexte de pand\u00e9mie globale du Covid-19, la crise sanitaire et ses cons\u00e9quences sociales, \u00e9conomiques et politiques, constituent une toile de fond particuli\u00e8rement propice pour la lecture du passionnant Abondance et Libert\u00e9<\/em> de Pierre Charbonnier<\/a>. Car avec la suspension de l\u2019une et la menace qui p\u00e8se sur l\u2019autre, c\u2019est tout l\u2019imaginaire de la modernit\u00e9, occidentale puis mondialis\u00e9e, qui est directement remis en question. En r\u00e9sonnance avec la probl\u00e9matique centrale de l\u2019ouvrage.<\/p>\n\n\n\n B\u00e9n\u00e9ficiant du reflux de l\u2019activit\u00e9 humaine et de ses multiples pollutions sonores, industrielles ou spatiales, le ciel et les eaux s\u2019\u00e9claircissent, laissant faune et flore s\u2019\u00e9panouir dans ce r\u00e9pit passager. \u00c0 mesure donc que l\u2019humanit\u00e9 se r\u00e9tracte comme un organisme vivant attaqu\u00e9 par un corps \u00e9tranger, on voit r\u00e9appara\u00eetre dans le champ sensoriel de l\u2019homme, ces dauphins, sangliers, oiseaux, insectes jusqu\u2019ici rel\u00e9gu\u00e9s en lointaine p\u00e9riph\u00e9rie de sa conscience : son environnement. Chass\u00e9 par notre expansion d\u00e9mesur\u00e9e, le \u00ab naturel \u00bb revient au galop.<\/p>\n\n\n\n Chass\u00e9 par notre expansion d\u00e9mesur\u00e9e, le \u00ab naturel \u00bb revient au galop.<\/p>\u00c9douard Gaudot<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n On l\u2019attendait plut\u00f4t dans les manifestations catastrophiques du d\u00e9r\u00e8glement climatique, mais c\u2019est \u00e0 la faveur de cette crise sanitaire que semble donc s\u2019affirmer encore un peu plus la prise de conscience que le territoire terrestre, comme l\u2019espace public, doit se partager entre toutes les formes de vie qui l\u2019habitent. Et l\u2019on voit fleurir, bien au-del\u00e0 de la seule sph\u00e8re intellectuelle et militante des \u00e9cologistes assum\u00e9s, les v\u0153ux et l\u2019espoir que ce changement subit de nos habitudes et de nos perspectives permette de d\u00e9passer la dichotomie majeure de la modernit\u00e9 : la s\u00e9paration entre l\u2019homme et la nature.<\/p>\n\n\n\n \u00c9crit \u00e0 l\u2019\u00e9poque historique de la d\u00e9gradation parall\u00e8le de la vie sur la plan\u00e8te et de la remise en cause de l\u2019ordre lib\u00e9ral, au moment o\u00f9 l\u2019actualit\u00e9 confirme une r\u00e9orientation des conflits sociaux autour des subsistances humaines<\/em> (6) <\/span>1<\/sup><\/a><\/span><\/span>, Abondance et Libert\u00e9<\/em> est un livre double. Il se pr\u00e9sente \u00e0 la fois comme une histoire des id\u00e9es politiques faite d\u2019une lecture chronologique d\u2019auteurs d\u2019une part ; et d\u2019autre part comme un essai de r\u00e9interpr\u00e9tation de la production de ces id\u00e9es \u2013 ainsi que de leur port\u00e9e dans l\u2019organisation de la cit\u00e9 \u2013 en fonction des formes d\u2019occupation de l\u2019espace et d\u2019usage de la terre<\/em> (7) qu\u2019elles portent.<\/p>\n\n\n\n En d\u2019autres termes, m\u00eame si la \u00ab raison \u00e9cologique \u00bb correspond au stade actuel de la conscience critique n\u00e9e avec la mont\u00e9e en puissance des id\u00e9aux d\u2019abondance et d\u2019autonomie, c\u2019est \u00e0 dire de libert\u00e9 <\/em>(39), l\u2019\u00e9cologie pr\u00e9c\u00e8de sa formulation par les \u00e9cologistes. Premi\u00e8re des trois qualit\u00e9s majeures de l\u2019ouvrage <\/strong> : Charbonnier choisit ainsi de montrer l\u2019articulation historique et philosophique de ce trilemme moderne. Le mouvement est ternaire, l\u2019histoire qu\u2019il d\u00e9crit aussi (48-50). En gros, dans la premi\u00e8re phase, la promesse d\u2019autonomie politique, et d\u2019\u00e9mancipation de l\u2019arbitraire, se double d\u2019une promesse collective et individuelle d\u2019enrichissement. Puis la constitution progressive de groupes sociaux autonomes, libres et d\u00e9termin\u00e9s \u00e0 poursuivre leurs int\u00e9r\u00eats, se traduit par un mouvement \u00e0 la fois de croissance \u00e9conomique et de conqu\u00eates d\u00e9mocratiques, enracinant profond\u00e9ment dans nos imaginaires l\u2019\u00e9quation historique entre les deux. Mais parall\u00e8lement et \u00e0 mesure que se r\u00e9v\u00e8lent les conditions de l\u2019acc\u00e8s \u00e0 l\u2019abondance, en particulier aux marges (classes populaires, colonialisme et bient\u00f4t d\u00e9gradations naturelles), s\u2019amorce le retournement critique de la relation initiale. Jusqu\u2019au moment historique o\u00f9 nous nous trouvons, quand l\u2019autonomie se trouve d\u00e9sormais menac\u00e9e par les logiques de croissance\/abondance qui l\u2019alimentaient.<\/p>\n\n\n\n Croissance, d\u00e9mocratie \u2013 et \u00e9cologie : en ajoutant cette derni\u00e8re, Charbonnier nous invite donc \u00e0 revisiter l\u2019\u00e9mergence et la consolidation historiques du projet politique moderne d\u2019\u00e9mancipation individuelle et collective adoss\u00e9e \u00e0 l\u2019essor de l\u2019industrie consid\u00e9r\u00e9 comme l\u2019inexorable marche du progr\u00e8s.<\/p>\u00c9douard Gaudot<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Croissance, d\u00e9mocratie \u2013 et \u00e9cologie : en ajoutant cette derni\u00e8re, Charbonnier nous invite donc \u00e0 revisiter l\u2019\u00e9mergence et la consolidation historiques du projet politique moderne d\u2019\u00e9mancipation individuelle et collective adoss\u00e9e \u00e0 l\u2019essor de l\u2019industrie consid\u00e9r\u00e9 comme l\u2019inexorable marche du progr\u00e8s. La Chine populaire du capitalisme autoritaire avait d\u00e9j\u00e0 prouv\u00e9 que ce couple moderne ne trace pas n\u00e9cessairement une trajectoire lin\u00e9aire, puisque l\u2019abondance peut se r\u00e9aliser en dehors de la libert\u00e9. Mais avec quarante ans d\u2019alertes scientifiques et de mobilisations civiles contre le d\u00e9r\u00e8glement du climat, la destruction du vivant et toutes les menaces syst\u00e9miques pesant sur les \u00e9quilibres \u00e9cologiques de la plan\u00e8te, l\u2019\u00e9cologie constitue \u00e0 ce jour la plus vivace des remises en cause de l\u2019association entre capitalisme et d\u00e9mocratie.<\/p>\n\n\n\n Abondance et Libert\u00e9<\/em> est ainsi \u00ab une histoire environnementale des id\u00e9es \u00bb, plac\u00e9e sous le patronage de l\u2019anthropologie (critique) de la modernit\u00e9, en particulier Bruno Latour, abondamment r\u00e9f\u00e9renc\u00e9 au cours de l\u2019ouvrage, et Philippe Descola, pionnier sur la voie du d\u00e9passement de la s\u00e9paration entre nature et culture : Plut\u00f4t que l\u2019histoire br\u00e8ve et continue de la prise de conscience environnementale, on \u00e9crira l\u2019histoire longue et pleine de ruptures des rapports entre la pens\u00e9e politique et les formes de subsistance, de territorialit\u00e9 et de connaissance \u00e9cologique <\/em>(30). Habiter, subsister, conna\u00eetre : la terre, les machines, l\u2019\u00e9nergie (naturelle, m\u00e9canique ou fossile), c\u2019est \u00e0 dire les \u00ab affordances \u00bb politiques de la terre<\/em> (53), conditionnent nos cat\u00e9gories politiques<\/em> (40) et influent sur les syst\u00e8mes id\u00e9ologiques qu\u2019elles suscitent.<\/p>\n\n\n\n Les lecteurs de l\u2019excellente et puissante somme de Thomas Piketty<\/a>, Capital et Id\u00e9ologie<\/a><\/em>, savaient d\u00e9j\u00e0 que l\u2019in\u00e9gale r\u00e9partition sociale de l\u2019abondance trouve sa l\u00e9gitimation dans le discours id\u00e9ologique dominant. Charbonnier vient opportun\u00e9ment \u00e9largir cette lecture en rappelant comment dominants et domin\u00e9s participent finalement du m\u00eame rapport au monde, \u00e0 la nature, aux ressources. Le fil historique de la relation ambivalente entre abondance et libert\u00e9 souligne ce va-et-vient de la pens\u00e9e du progr\u00e8s. En montrant que la modernit\u00e9, dans sa forme lib\u00e9rale enthousiaste ou sa forme critique socialiste proc\u00e8de d\u2019une m\u00eame fa\u00e7on de r\u00e9sider sur le territoire, d\u2019en tirer notre subsistance et d\u2019en d\u00e9crire et conna\u00eetre la nature, les propri\u00e9t\u00e9s et les liens syst\u00e9miques (405-407 ; 30), le livre nous invite \u00e0 en repenser les cat\u00e9gories fondatrices. Ainsi de la d\u00e9finition moderne au XVIIe de la propri\u00e9t\u00e9, comme cette forme proprement dite de l\u2019acc\u00e8s au sol pour l\u2019individu, du bon usage de la terre qui lui garantit l\u2019entr\u00e9e dans l\u2019espace de la souverainet\u00e9 <\/em>(87) : priv\u00e9e ou publique, le territoire est donc \u00e0 qui le met en valeur. On voit sans peine poindre la logique coloniale ou l\u2019arraisonnement de l\u2019espace productif par l\u2019\u00c9tat.<\/p>\n\n\n\n En montrant que la modernit\u00e9, dans sa forme lib\u00e9rale enthousiaste ou sa forme critique socialiste proc\u00e8de d\u2019une m\u00eame fa\u00e7on de r\u00e9sider sur le territoire, d\u2019en tirer notre subsistance et d\u2019en d\u00e9crire et conna\u00eetre la nature, les propri\u00e9t\u00e9s et les liens syst\u00e9miques, le livre nous invite \u00e0 en repenser les cat\u00e9gories fondatrices.<\/p>Pierre Charbonnier<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n In\u00e9galit\u00e9s territoriales, distribution des groupes sociaux, r\u00e9partition des manques et des abondances, etc., plus qu\u2019un mode de production, le capitalisme se pr\u00e9sente donc comme un mode de r\u00e9sidence <\/em>(405), une fa\u00e7on collective d\u2019\u00eatre-au-monde dont il faut repenser compl\u00e8tement les pr\u00e9mices, et non seulement corriger les exc\u00e8s. C\u2019est la deuxi\u00e8me qualit\u00e9 majeure de l\u2019ouvrage <\/strong> : inviter le lecteur \u00e0 d\u00e9passer l\u2019imaginaire anticapitaliste classique qu\u2019on rencontre encore trop dans une partie de la critique \u00e9cologiste de la soci\u00e9t\u00e9 ; en particulier avec la notion fort en vogue des \u00ab communs \u00bb utilis\u00e9e tr\u00e8s souvent pour simplement redorer le blason d\u2019une pens\u00e9e communiste d\u00e9valu\u00e9e par l\u2019exp\u00e9rience historique. Le rapport \u00e0 la propri\u00e9t\u00e9 des moyens de production, ou \u00e0 la r\u00e9partition des fruits de la terre ne peut pas se concevoir sans une red\u00e9finition en profondeur du sens de la propri\u00e9t\u00e9 et de l\u2019exploitation des ressources naturelles.<\/p>\n\n\n\n En donnant \u00e0 voir l\u2019impens\u00e9 \u00e9cologique de l\u2019histoire des id\u00e9es modernes, Abondance et libert\u00e9<\/em> se pr\u00e9sente donc comme une histoire alternative du triomphe occidental sur la nature, le manque et l\u2019h\u00e9t\u00e9ronomie<\/em> (c\u2019est \u00e0 dire la contrainte ext\u00e9rieure) (25). Passer de \u00ab l\u2019environnement objet \u00bb, \u00e0 \u00ab l\u2019environnement point de vue \u00bb ouvre des perspectives d\u2019interpr\u00e9tation historiques \u00e0 la fois pertinentes et essentielles. Ainsi, relire, parfois \u00e0 l\u2019aide du classique Carbon democracy<\/em> de Timothy Mitchell, l\u2019histoire des luttes sociales au nord comme au sud, \u00e0 la lumi\u00e8re des enjeux de souverainet\u00e9 des communaut\u00e9s sur leur territoire, permet de relier entre eux, dans l\u2019espace et le temps, les gr\u00e8ves charbonni\u00e8res de la Ruhr, les luttes des Mapuche au Chili ou les Zadistes de Notre Dame des Landes. Cette politisation des territoires<\/em> (405) qui les soustrait \u00e0 l\u2019arraisonnement de l\u2019espace selon les logiques administratives h\u00e9rit\u00e9es de l\u2019\u00c9tat moderne illustre bien une des facettes du chantier intellectuel et politique en cours.<\/p>\n\n\n\n Ce chantier, c\u2019est celui de sortir de l\u2019exception moderne<\/em> (ch.11), autrement dit, r\u00e9soudre par le haut le trilemme libert\u00e9\/abondance\/\u00e9cologie. En ce sens l\u2019invitation aux \u00e9cologistes \u00e0 int\u00e9grer une partie de la pens\u00e9e critique socialiste a l\u2019immense m\u00e9rite d\u2019\u00e9largir le champ de la r\u00e9flexion \u00e9cologique au-del\u00e0 des canons du discours environnementaliste trop souvent enferm\u00e9 dans une approche exclusivement centr\u00e9e sur la nature, au risque de la misanthropie, et une certaine id\u00e9e morale des m\u00e9faits du progr\u00e8s \u2013 ce qui peut expliquer probablement l\u2019absence assez \u00e9tonnante de certains penseurs, pionniers ou piliers, de l\u2019\u00e9cologie politique, en particulier dans la critique de la raison technique. Est-ce la raison pour laquelle l\u2019imaginaire anti-techniciste est manquant ?<\/p>\n\n\n\n Passer de \u00ab l\u2019environnement objet \u00bb, \u00e0 \u00ab l\u2019environnement point de vue \u00bb ouvre des perspectives d\u2019interpr\u00e9tation historiques \u00e0 la fois pertinentes et essentielles.<\/p>\u00c9douard Gaudot<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n En faisant cette impasse partielle sur les r\u00e9sistances historiques au machinisme et l\u2019imaginaire artisanal de l\u2019autolimitation et de la qualit\u00e9 du savoir-faire, au b\u00e9n\u00e9fice de l\u2019hypoth\u00e8se technocratique<\/em> avec Saint-Simon ou Veblen (ch.6), le livre maintient la question de la technologie dans l\u2019angle mort o\u00f9 une grande partie de la pens\u00e9e \u00e9cologiste, d\u00e9croissante ou post-croissante, l\u2019a abandonn\u00e9e. Or cette question est cruciale, car la vitesse et la nature des \u00e9volutions sociales et culturelles n\u00e9cessaires \u00e0 la r\u00e9solution du trilemme d\u00e9pendent aussi de la vitesse et de la nature des \u00e9volutions technologiques. Que les \u00e9cologistes le d\u00e9plorent, l\u2019ignorent ou le combattent n\u2019y changera rien : nos soci\u00e9t\u00e9s d\u00e9tiennent la science du feu nucl\u00e9aire et du code g\u00e9n\u00e9tique, et il n\u2019y a aucune raison qu\u2019elles l\u2019oublient. Quelle seront leur place, et celle de la technologie dans la soci\u00e9t\u00e9 sortie de \u00ab l\u2019exception moderne \u00bb ?<\/p>\n\n\n\n N\u00e9anmoins, le programme de r\u00e9flexion d\u00e9velopp\u00e9 en trois temps \u2013 sortir du naturalisme<\/em>, repenser l\u2019\u00e9chelle plan\u00e9taire des \u00e9changes<\/em> et penser le freinage \u00e9conomique<\/em> (374-382) r\u00e9sonne famili\u00e8rement aux oreilles \u00e9cologistes. En ce sens, tout en insistant pour en pr\u00e9ciser les concepts, passant par exemple du productivisme<\/em> (rythme et intensit\u00e9, soit surexploitation) au productionnisme <\/em>(la simple action d\u2019exploiter) (380), Charbonnier s\u2019inscrit pleinement dans le champ des penseurs de l\u2019\u00e9cologie politique. Et il s\u2019arr\u00eate, comme eux, au pied de la montagne. Sans pointer le chemin pour la gravir.<\/p>\n\n\n\n Que les \u00e9cologistes le d\u00e9plorent, l\u2019ignorent ou le combattent n\u2019y changera rien : nos soci\u00e9t\u00e9s d\u00e9tiennent la science du feu nucl\u00e9aire et du code g\u00e9n\u00e9tique, et il n\u2019y a aucune raison qu\u2019elles l\u2019oublient. Quelle seront leur place, et celle de la technologie dans la soci\u00e9t\u00e9 sortie de \u00ab l\u2019exception moderne \u00bb ?<\/p>\u00c9douard Gaudot<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Probablement parce que ce probl\u00e8me suppose une reprogrammation profonde de l\u2019imaginaire occidental. Et qu\u2019il d\u00e9passe ainsi largement l\u2019objet du livre, en complexit\u00e9 et en probl\u00e9matique. En fait, c\u2019est l\u00e0 la premi\u00e8re nuance importante, philosophique, aux qualit\u00e9s de l\u2019ouvrage : le cadre du tableau est un peu \u00e9troit. Certes, l\u2019entreprise \u00e9tait d\u00e9j\u00e0 fort ambitieuse, et \u00e0 cette aune, elle est plut\u00f4t r\u00e9ussie. Mais il faut pr\u00e9ciser : ce n\u2019est pas une \u00ab histoire environnementale des id\u00e9es politiques \u00bb, mais \u00ab des id\u00e9es de l\u2019\u00e9conomie politique \u00bb.<\/p>\n\n\n\n L\u2019aventure de la modernit\u00e9, et de l\u2019articulation entre abondance et libert\u00e9, est aussi celle du d\u00e9ploiement de la raison critique dans l\u2019histoire. Et pour le coup, s\u2019il s\u2019agit de d\u00e9passer les nombreuses et mutilantes s\u00e9parations qui nous emprisonnent homme\/nature, chair\/esprit, et m\u00eame masculin\/f\u00e9minin ou familier\/\u00e9tranger, cet intense travail de reprogrammation exige aussi une histoire environnementale de l\u2019humanisme : Pascal et Descartes, polarit\u00e9s contraires de la raison humaine aux prises avec une nature qui menace de la d\u00e9passer, ou encore les piliers de la sup\u00e9riorit\u00e9 de la rationalit\u00e9 humaine sur le r\u00e9el, la nature, l\u2019environnement.<\/p>\n\n\n\n Par ailleurs, l\u2019\u00e9mergence de la sensibilit\u00e9 et de l\u2019int\u00e9riorit\u00e9 individuelles a aussi sa traduction politique, et Rousseau, Goethe, Hugo, Byron comme les romantiques dont l\u2019engagement r\u00e9volutionnaire a scand\u00e9 le XIXe si\u00e8cle jusqu\u2019\u00e0 l\u2019effroyable boucherie industrielle et nationaliste de 1914 m\u00e9riteraient cette relecture environnementale. Enfin, les penseurs du soup\u00e7on sont certes bien l\u00e0, \u00e0 travers Marx, et Marcuse pour la dimension freudienne. Mais on pourra s\u2019\u00e9tonner de l\u2019absence des r\u00e9f\u00e9rences nietzsch\u00e9ennes \u00e0 la g\u00e9n\u00e9alogie de la morale, et \u00e0 sa di\u00e9t\u00e9tique, voire \u00e0 la pens\u00e9e de la technique heidegg\u00e9rienne sur l\u2019arraisonnement de la nature.<\/p>\n\n\n\n