{"id":62096,"date":"2020-03-04T15:55:10","date_gmt":"2020-03-04T14:55:10","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=62096"},"modified":"2020-03-04T16:04:34","modified_gmt":"2020-03-04T15:04:34","slug":"ulrike-guerot","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2020\/03\/04\/ulrike-guerot\/","title":{"rendered":"\u00ab L’Europe doit devenir une R\u00e9publique \u00bb, conversation avec Ulrike Gu\u00e9rot"},"content":{"rendered":"\n
2017 \u00e9tait une ann\u00e9e particuli\u00e8re pour l\u2019Europe, dans un contexte de crise, de mont\u00e9e des populismes et nationalismes, avec l\u2019\u00e9lection d\u2019Emmanuel Macron. Je venais de publier Warum Europa eine Republik werden muss<\/em> <\/span>3<\/sup><\/a><\/span><\/span> (Pourquoi l\u2019Europe doit devenir une R\u00e9publique) et, avec Robert Menasse<\/a> <\/span>4<\/sup><\/a><\/span><\/span>, nous d\u00e9veloppions une offre de discours proposant une Europe post-nationale<\/a> (nachnational<\/em>). Ce livre a eu une certaine exposition publique, avec plusieurs traductions, un tirage de 50 000 exemplaires, et j\u2019\u00e9tais en train de cr\u00e9er un sillon afin de promouvoir ma R\u00e9publique europ\u00e9enne. Cependant, Menasse et moi \u00e9tions accus\u00e9s de vouloir cr\u00e9er de ce fait une Europe en tant que super-\u00c9tat, \u00e9crasant les identit\u00e9s locales. On nous ass\u00e9nait que le supranational et le post-national ne pouvaient fonctionner. <\/p>\n\n\n\n J’ai pris conscience pendant la promotion de ce discours un peu partout en Europe, qu\u2019effectivement cette notion de nachnational<\/em> ne fonctionnait pas. Et c\u2019est pour \u00e7a que j\u2019ai \u00e9crit cette petite phrase au d\u00e9but de Was ist die Nation  ?<\/em> disant que post-national sonne un peu comme v\u00e9gan<\/em> pour ceux qui mangent de la viande. Il semblerait qu\u2019il y ait quelque chose d\u2019\u00e9motionnel dans la notion de Nation<\/a>, comme dans le fait de manger de la viande rouge. <\/p>\n\n\n\n Il semblerait qu\u2019il y ait quelque chose d\u2019\u00e9motionnel dans la notion de Nation, comme dans le fait de manger de la viande rouge. <\/strong><\/p>Ulrike Gu\u00e9rot<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n C\u2019est pour cela que, pour pouvoir continuer \u00e0 \u0153uvrer pour ma R\u00e9publique europ\u00e9enne, je me suis d\u00e9cid\u00e9e \u00e0 modifier ma grille de lecture afin d\u2019y int\u00e9grer l\u2019id\u00e9e de Nation<\/a> plut\u00f4t que de la rejeter. \u00c0 ce moment, en 2018, je trouve les fragments de Marcel Mauss consacr\u00e9s \u00e0 La Nation<\/em> <\/span>5<\/sup><\/a><\/span><\/span>, <\/em>datant des ann\u00e9es 1920. Il y r\u00e9fl\u00e9chit sur cette notion de Nation et dans ces \u00e9crits il y a finalement beaucoup d\u2019actualit\u00e9, et ce n\u2019est pas un hasard que cet ouvrage ait \u00e9t\u00e9 traduit en allemand cette ann\u00e9e pr\u00e9cis\u00e9ment. Il estime que ce qui cr\u00e9e une Nation c\u2019est l\u2019aspiration \u00e0 l\u2019institutionnalisation de la solidarit\u00e9. Il fait l\u2019abstraction de l\u2019ethnie, de la langue<\/a>, de l\u2019identit\u00e9, qui sont des substances pr\u00e9sociales. Ceux qui se rendent compte qu\u2019ils sont dans un tissu socio-\u00e9conomique inextricable forment une Nation. Ce livre a \u00e9t\u00e9 comme une r\u00e9v\u00e9lation pour moi, et il m\u2019a convaincu de r\u00e9utiliser cette d\u00e9finition pour explorer son applicabilit\u00e9 \u00e0 l\u2019Union europ\u00e9enne telle qu\u2019elle existe aujourd\u2019hui. <\/p>\n\n\n\n Ainsi mon chemin aura \u00e9t\u00e9 de comprendre que la notion de Nation est n\u00e9cessaire dans l\u2019esprit des citoyens<\/a>, que la rejeter totalement n\u2019est pas souhaitable, et en reprenant la d\u00e9finition propos\u00e9e par Mauss, l\u2019int\u00e9grer \u00e0 mon projet europ\u00e9en.<\/p>\n\n\n\n Dans la mesure o\u00f9 je ne pense pas que la crise<\/a> soit r\u00e9ellement r\u00e9solue, je ne pense pas qu\u2019il faille en attendre une nouvelle. Nous n\u2019avons toujours pas de vraie union bancaire, ni d\u2019union politique. Depuis 2009, nous n\u2019avons finalement rien fait de substantiel. Il faut r\u00e9soudre d\u00e9j\u00e0 cette crise, peut-\u00eatre avec la Conf\u00e9rence sur l\u2019avenir de l\u2019Europe voulue par Ursula von der Leyen<\/a>. <\/p>\n\n\n\n Dans mon livre effectivement, j\u2019argumente que, selon la d\u00e9finition que nous nous sommes donn\u00e9s, l\u2019Europe est d\u00e9j\u00e0 dans un processus de nation-building<\/em>. Max Weber dit au Congr\u00e8s de sociologie de 1912 qu\u2019apr\u00e8s tout, on ne peut nommer Nation qu\u2019un groupe de gens qui d\u00e9cident par leurs sentiments de cr\u00e9er un \u00c9tat. Je me dis que d\u2019une certaine fa\u00e7on on y est  : on est 500 millions d\u2019Europ\u00e9ens<\/a>, avec une citoyennet\u00e9 commune, r\u00e9fl\u00e9chissant ensemble \u00e0 l\u2019avenir de l\u2019Europe, il ne reste donc plus qu\u2019\u00e0 d\u00e9cider de se donner un \u00c9tat pour devenir une Nation. La question de se doter d\u2019un \u00c9tat est aujourd\u2019hui sur la table, de nombreuses personnes r\u00e9clament dans le cadre de la Conf\u00e9rence \u00e0 venir, que nous aboutissions \u00e0 une Constitution pour l\u2019Europe, et cela implique n\u00e9cessairement la constitution d\u2019un \u00c9tat. On voit donc que le processus de nation-building<\/em> est le r\u00e9sultat d\u2019une dialectique avec celui de state-building<\/em>. L\u2019\u00c9tat fait la Nation et la Nation fait l\u2019\u00c9tat.<\/p>\n\n\n\n L’Europe est d\u00e9j\u00e0 dans un processus de nation-building<\/em><\/p>Ulrike Gu\u00e9rot<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Une Nation ne tombe pas du ciel, pas m\u00eame la Nation fran\u00e7aise, toutes ont \u00e9t\u00e9 form\u00e9es par des Garibaldi, et autres Napol\u00e9on. La Nation a deux \u00e9l\u00e9ments  : une substance pr\u00e9-politique et pr\u00e9sociale ainsi que l\u2019acte de constitution d\u2019un \u00c9tat. En Europe \u00e0 travers le march\u00e9 commun, des biens communs comme l\u2019Euro, une recherche scientifique commune (favoris\u00e9e par ailleurs par les diff\u00e9rents volets du programme Erasmus<\/a>), un budget, un Parlement, des institutions, nous avons le premier \u00e9l\u00e9ment. Il ne manque plus que le second \u00e9l\u00e9ment, \u00e0 travers la transformation de cette substance initiale en une R\u00e9publique europ\u00e9enne<\/a> et donc devenir une Nation. Quand la Nation devient \u00c9tat, elle ne peut se constitutionnaliser qu\u2019en tant que R\u00e9publique. <\/p>\n\n\n\n J\u2019aime beaucoup le mod\u00e8le fran\u00e7ais<\/a> et je pense qu\u2019il a beaucoup \u00e0 offrir \u00e0 l\u2019Europe. Je pense en particulier \u00e0 un livre magnifique dirig\u00e9 par Patrick Savidan appel\u00e9 La R\u00e9publique ou l\u2019Europe ? <\/span>6<\/sup><\/a><\/span><\/span>. L\u2019essai principal est de lui, brillant, comme pratiquement seuls les intellectuels fran\u00e7ais peuvent en produire. Il y d\u00e9cortique les rapports entre Kant et Rousseau sur l\u2019id\u00e9e de R\u00e9publique et y discute la question de savoir si telle que vue par Rousseau, elle doit \u00eatre mono-ethnique, et si de Kant \u00e0 Habermas on ne cherchait pas \u00e0 contraster cela par une id\u00e9e d\u2019un R\u00e9publique multi-ethnique. Il y conclut en rejoignant Marcel Mauss en disant que si on con\u00e7oit la R\u00e9publique par l\u2019\u00e9galit\u00e9 devant la loi, avec une emphase sur le domaine social, le r\u00e9sultat de la R\u00e9volution fran\u00e7aise doit n\u00e9cessairement tendre vers une R\u00e9publique europ\u00e9enne. En 1789<\/a> l\u2019\u00e9galit\u00e9 devant la loi s\u2019est arr\u00eat\u00e9e pour des raisons historiques aux fronti\u00e8res de France, mais le r\u00e9sultat conceptuel de Libert\u00e9, Egalit\u00e9, Fraternit\u00e9<\/em>, est la citoyennet\u00e9 europ\u00e9enne. D\u00e8s lors qu\u2019il est possible de cr\u00e9er une essence sociale europ\u00e9enne, la R\u00e9publique sera n\u00e9cessairement europ\u00e9enne. Les Fran\u00e7ais \u00e0 l\u2019\u00e9poque du Trait\u00e9 constitutionnel de 2003, \u00e9taient d\u00e9j\u00e0 l\u00e0, \u00e0 avoir une id\u00e9e r\u00e9publicaine de l\u2019Europe, mais elle n\u2019est malheureusement pas parvenue \u00e0 franchir le Rhin. On a de fait un dialogue de sourds sur la question de l\u2019union politique europ\u00e9enne entre la France et l\u2019Allemagne du fait de lignes politiques ancestrales, li\u00e9 \u00e0 l\u2019opposition entre \u00c9tat r\u00e9publicain fran\u00e7ais et \u00c9tat f\u00e9d\u00e9ral allemand, qui est relay\u00e9 dans les philosophies politiques respectives.\u00a0<\/p>\n\n\n\n En 1992, lors du Trait\u00e9 de Maastricht, alors que l\u2019on discutait d\u2019Union toujours plus \u00e9troite, les Allemands se perdaient dans des d\u00e9bats de autour de qui doit disposer de la Kompetenz-kompetenz<\/em>  : la comp\u00e9tence pour r\u00e9partir les comp\u00e9tences entre \u00c9tats-membres et Union, une question centr\u00e9e sur une id\u00e9e de type f\u00e9d\u00e9rale. Au m\u00eame moment, les Fran\u00e7ais avaient un autre regard sur les \u00e9volutions n\u00e9cessaires pour faire avancer le projet europ\u00e9en, port\u00e9 par l\u2019id\u00e9e r\u00e9publicaine voire sur cette \u00e9galit\u00e9 sociale des citoyens. Les premiers 70 ans de la construction europ\u00e9enne \u00e9taient con\u00e7us \u00e0 travers le paradigme f\u00e9d\u00e9raliste, mais le principe r\u00e9publicain port\u00e9 par la recherche acad\u00e9mique a \u00e9t\u00e9 d\u00e9laiss\u00e9, alors m\u00eame que c\u2019est lui qui structure une constitution comme le montre l\u2019ouvrage de Karsten Nowrot sur le sujet. Selon Cic\u00e9ron, le principe r\u00e9publicain r\u00e9sulte de la soumission volontaire \u00e0 un m\u00eame r\u00e9gime juridique<\/a>, ind\u00e9pendamment de l\u2019origine. Il s\u2019agit d\u2019une condition indispensable \u00e0 toute d\u00e9mocratie. <\/p>\n\n\n\n Il faut changer la perspective pour l’avenir de l’Europe en rajoutant la lentille r\u00e9publicaine \u00e0 celle du f\u00e9d\u00e9ralisme.<\/p>Ulrike Gu\u00e9rot<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n D\u00e8s lors avec mon livre, j\u2019en tire les cons\u00e9quences en disant que nous avons une chance d\u2019obtenir une d\u00e9mocratie europ\u00e9enne, une R\u00e9publique europ\u00e9enne, si on cesse d\u2019opposer principes r\u00e9publicains et f\u00e9d\u00e9raux, mais si on les croise. Dans cette fusion des deux, le principe r\u00e9publicain doit primer, la question du f\u00e9d\u00e9ralisme n\u2019\u00e9tant finalement que secondaire, car non indispensable \u00e0 la notion de R\u00e9publique. Si un \u00c9tat veut \u00eatre une d\u00e9mocratie constitutionnelle, il doit n\u00e9cessairement \u00eatre une R\u00e9publique, il n\u2019a pas n\u00e9cessairement besoin d\u2019\u00eatre f\u00e9d\u00e9ral, il peut par exemple aussi \u00eatre une r\u00e9publique centralis\u00e9e comme la Pologne ou la France. C\u2019est \u00e0 partir de cela que je dis qu\u2019il faut changer la perspective pour l\u2019avenir de l\u2019Europe en rajoutant la lentille r\u00e9publicaine \u00e0 celle du f\u00e9d\u00e9ralisme. <\/p>\n\n\n\n Oui, il est n\u00e9cessaire de parler dans le d\u00e9bat public d\u2019\u00c9tat europ\u00e9en<\/a>. Parlons d\u2019un \u00c9tat europ\u00e9en  !<\/p>\n\n\n\n D\u2019abord, c\u2019est clair que les avanc\u00e9es historiques ne se font jamais par le haut. Si on veut un changement de syst\u00e8me par le haut, cela passerait par une modification des trait\u00e9s, mais la question est plus philosophique. <\/p>\n\n\n\n Ce qu\u2019on appelle l\u2019Histoire, c\u2019est le constat qu\u2019une p\u00e9riode est termin\u00e9e. On peut par exemple dire aujourd\u2019hui que la R\u00e9publique de Weimar a commenc\u00e9 en 1918 et a pris fin en 1933. On ne pouvait pas le voir \u00e0 ce moment-l\u00e0. Stefan Zweig a dit que les contemporains ne peuvent pas savoir dans quel processus historique ils se trouvent. On peut estimer aujourd\u2019hui qu\u2019une \u00e9tape a commenc\u00e9 au moment de la chute du mur et du trait\u00e9 de Maastricht avec la r\u00e9unification de l\u2019Europe autour de l\u2019id\u00e9e d\u2019Union toujours plus \u00e9troite. La p\u00e9riode est ouverte et n\u2019est pas encore close. On a tous un sentiment de crise li\u00e9 au fait que l\u2019ancien ne meurt pas et le nouveau ne parvient pas encore \u00e0 \u00e9merger, c\u2019est d\u2019ailleurs tout le d\u00e9fi. Cela s\u2019exprime par des crises de la d\u00e9mocratie, le n\u00e9onationalisme, etc. On voit qu\u2019un cycle est en train de finir. La question est alors de savoir si cette transition se fera pacifiquement, de fa\u00e7on planifi\u00e9e, ou non. La r\u00e9ponse historique est que cela ne se planifie pas, et comme le disait John Lennon, \u00ab  Life is what happens to you while you\u2019re busy making other plans<\/em>  \u00bb. De m\u00eame on pourrait dire que l\u2019Histoire est ce qui se passe pendant qu\u2019on pense \u00e0 comment on veut l\u2019\u00e9crire. <\/p>\n\n\n\n Ce qu\u2019on appelle l\u2019Histoire, c\u2019est le constat qu\u2019une p\u00e9riode est termin\u00e9e.<\/p>Ulrike Gu\u00e9rot<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Pour revenir sur cette Conf\u00e9rence sur l\u2019avenir de l\u2019Europe, je pense que nous devons donc la voir avec plus d\u2019humilit\u00e9, je ne suis pas convaincue que les gens fassent r\u00e9ellement l\u2019Histoire, mais ils peuvent pr\u00e9parer quelque chose. Ainsi la r\u00e9unification allemande n\u2019a pas eu lieu parce que Messieurs Honecker et Kohl on fait un trait\u00e9 mais car \u00e0 un moment donn\u00e9, Schabowski, en r\u00e9pondant \u00e0 un journaliste ne savait pas quoi r\u00e9pondre \u00e0 la question de la date d\u2019ouverture du mur de Berlin<\/a>, et a dit en fouillant dans ses papiers \u00ab  Autant que je sache, imm\u00e9diatement  \u00bb. Cet acte non planifi\u00e9<\/a> \u00e0 ouvert un nouveau cycle historique en permettant l\u2019unification europ\u00e9enne \u00e0 travers la r\u00e9unification allemande<\/a>. Mais cela a aussi \u00e9t\u00e9 possible car pendant la division, nous avions pr\u00e9par\u00e9 une vision utopique tendant \u00e0 dire que si jamais un jour le Mur venait \u00e0 tomber, alors nous ferions cette double unit\u00e9. <\/p>\n\n\n\n On d\u00e9termine ce qu\u2019on veut avoir, mais pas le moment, ni la m\u00e9thode. Je ne pense \u00e0 aucun moment que Macron, Merkel et Kurz vont signer un trait\u00e9 instaurant la R\u00e9publique europ\u00e9enne, mais le fait qu\u2019ils ne le fassent pas ne veut pas dire qu\u2019elle ne pourra pas se r\u00e9aliser, \u00e0 la suite d\u2019un \u00e9v\u00e9nement qu\u2019on ne pr\u00e9voit pas aujourd\u2019hui. L\u2019Histoire permet des choses qu\u2019un jour auparavant on croyait impossibles, et tout le travail intellectuel que j\u2019essaie de mettre en place va dans ce sens.<\/p>\n\n\n\n La conf\u00e9rence peut donc apporter un Denkraum<\/em>, \u00e0 partir duquel on sache quoi faire le moment venu. On a su quoi faire le lendemain du 9 novembre 1989, car cela faisait 40 ans que l\u2019on pr\u00e9parait le terrain th\u00e9orique. <\/p>\n\n\n\n Tout le monde sait que l\u2019Union europ\u00e9enne est d\u00e9sormais une entit\u00e9 fragile, la R\u00e9publique europ\u00e9enne pourrait \u00e9merger \u00e0 travers un moment de destruction cr\u00e9atrice pour reprendre les mots de Schumpeter. Au moment o\u00f9 l\u2019Union ne pourra plus continuer telle quelle, une chose nouvelle arrivera. La conf\u00e9rence n\u2019aura pas ce r\u00f4le, mais pr\u00e9parera le discours public pour ouvrir le d\u00e9bat sur le projet collectif que nous souhaiterions avoir pour le continent. C\u2019est en cela que je trouve tr\u00e8s bien que l\u2019on fasse une grande agora, de nombreux d\u00e9bats aux quatre coins de l\u2019Europe, avec les citoyens tir\u00e9s au sort, etc. Je ne suis pas certaine que les citoyens ainsi choisis au hasard aient des formules pr\u00e9cises sur l\u2019avenir de l\u2019Europe, \u00e7a serait m\u00eame \u00e9trange. Mais cela pr\u00e9parera, je l\u2019esp\u00e8re, un terrain et un contexte permettant de faire avancer le syst\u00e8me europ\u00e9en vers le r\u00e9publicanisme, bas\u00e9 sur l\u2019\u00e9galit\u00e9 des citoyens europ\u00e9ens devant la loi dans tous les domaines, notamment le vote, le volet fiscal et celui de l\u2019acc\u00e8s aux droits sociaux.<\/p>\n\n\n\n Oui, je le pense, car les politiques europ\u00e9ennes que l\u2019on a d\u00e9velopp\u00e9es, de l\u2019Euro<\/a> \u00e0 l\u2019aust\u00e9rit\u00e9<\/a>, nous ont homog\u00e9n\u00e9is\u00e9 dans nos modes de vie, nos coutumes, nos supermarch\u00e9s. Entre Barcelone, Lyon et Varsovie il ne reste que peu de diff\u00e9rences lorsqu\u2019on a en m\u00e9moire celles qui existaient encore il y a trente ans.<\/p>\n\n\n\n La monnaie en tant que contrat social, a d\u00e9j\u00e0 amorc\u00e9 cette europ\u00e9anisation des coutumes. On a une harmonisation des politiques sociales par exemple entre la France et l\u2019Allemagne, autour d\u2019une moyenne des deux, la France baissant ses d\u00e9penses sociales et r\u00e9duisant son \u00c9tat providence, lorsque l\u2019Allemagne au contraire, a d\u00e9cid\u00e9 de faire plus pour les cr\u00e8ches, etc. Dans les faits de nombreux processus de ce type ont lieu, m\u00eame en l\u2019absence de toute r\u00e9gulation, par exemple avec une convergence des taux de natalit\u00e9 depuis l\u2019introduction de la monnaie unique.<\/p>\n\n\n\n La soci\u00e9t\u00e9 europ\u00e9enne est d\u00e9j\u00e0 un tout structur\u00e9 par ces oppositions, et une personne en Europe sera mieux d\u00e9finie selon son appartenance \u00e0 ces crit\u00e8res, que selon la nationalit\u00e9 de son passeport.<\/p>Ulrike Gu\u00e9rot<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Je pose dans mon livre \u00e9galement la question contraire  : est-ce que ce que l\u2019on appelle aujourd\u2019hui Nation l\u2019est encore  ? Selon la d\u00e9finition de solidarit\u00e9 institutionnalis\u00e9e propos\u00e9e par Marcel Mauss, la r\u00e9ponse est clairement non  ! O\u00f9 est la solidarit\u00e9 entre la France macroniste et la France des gilets jaunes  ? O\u00f9 est la solidarit\u00e9 dans la soci\u00e9t\u00e9 italienne \u00e0 l\u2019heure de la Ligue  ? Sans m\u00eame parler de la Grande-Bretagne  ! Ces soci\u00e9t\u00e9s sont fragment\u00e9es, morcel\u00e9es. Mon argument principal est que les politiques de l\u2019Euro ont structur\u00e9 nos soci\u00e9t\u00e9s et les rompues et nivel\u00e9es \u00e0 la foi, selon de nouvelles lignes de fracture, qui ne sont plus nationales. Aujourd\u2019hui un banquier de Francfort a bien plus en commun avec son coll\u00e8gue turinois, qu\u2019avec un paysan du Mecklembourg, qui a probablement plus en commun \u00e0 son tour avec un paysan roumain ou de la Beauce. Pour finir, les fronti\u00e8res nationales, facteur d\u2019une coh\u00e9sion sociale pour un temps donn\u00e9, se superposent aujourd\u2019hui \u00e0 des fractures sociales qui cassent la solidarit\u00e9 telle qu\u2019elle \u00e9tait. Aujourd\u2019hui les Europ\u00e9ens<\/a> sont partag\u00e9s entre m\u00e9tropole et p\u00e9riurbain, entre jeunes et personnes \u00e2g\u00e9es, plus que jamais entre pauvres et riches comme le montre Piketty<\/a>. La soci\u00e9t\u00e9 europ\u00e9enne est d\u00e9j\u00e0 un tout structur\u00e9 par ces oppositions, et une personne en Europe sera mieux d\u00e9finie selon son appartenance \u00e0 ces crit\u00e8res, que selon la nationalit\u00e9 de son passeport. Quand on voit le nombre de Porsche Cayenne immatricul\u00e9s \u00e0 Bucarest qui circulent \u00e0 Vienne aujourd\u2019hui, ne me dites pas que la Roumanie est un pays pauvre  ! La vraie question est : qu\u2019est-ce que la Roumanie  ?<\/a><\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":" R\u00e9publique, plut\u00f4t que f\u00e9d\u00e9ration  ? Nous avons rencontr\u00e9 la politiste Ulrike Gu\u00e9rot, qui, en red\u00e9couvrant les concepts de Nation et d’\u00c9tat, pose \u00e0 nouveaux frais la question du f\u00e9d\u00e9ralisme europ\u00e9en.<\/p>\n","protected":false},"author":10,"featured_media":62104,"comment_status":"closed","ping_status":"closed","sticky":false,"template":"templates\/post-interviews.php","format":"standard","meta":{"_acf_changed":false,"_trash_the_other_posts":false,"footnotes":""},"categories":[1731],"tags":[],"geo":[534],"class_list":["post-62096","post","type-post","status-publish","format-standard","hentry","category-politique","staff-francois-hublet","staff-theophile-rospars","geo-bulles"],"acf":[],"yoast_head":"\nDans votre livre vous expliquez que le processus de nation-building<\/em> europ\u00e9en a d\u00e9j\u00e0 commenc\u00e9, mais que la crise \u00e9conomique que nous avons connu ces dix derni\u00e8res ann\u00e9es est toutefois une occasion rat\u00e9e d\u2019acc\u00e9l\u00e9rer ce mouvement. Faut-il attendre une nouvelle crise pour esp\u00e9rer voir \u00e9merger d\u00e9finitivement la Nation europ\u00e9enne  ? Est-elle un moment, ou une construction continue  ?<\/h3>\n\n\n\n
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\r\n        <\/picture>\r\n                \n                    Vous revendiquez un parall\u00e9lisme entre les notions de R\u00e9publique europ\u00e9enne et de f\u00e9d\u00e9ralisme, tout en opposant la F\u00e9d\u00e9ration comme Union d\u2019\u00c9tats avec la R\u00e9publique comme Union des citoyens. Quel \u00e9quilibre faut-il donc trouver au sein de votre R\u00e9publique europ\u00e9enne  ?<\/h3>\n\n\n\n
Vos notions de R\u00e9publique europ\u00e9enne et de Nation europ\u00e9ennes, sont donc deux notions compl\u00e9mentaires dans la construction d\u2019un \u00c9tat europ\u00e9en.<\/h3>\n\n\n\n
Vous d\u00e9celez une forme de volont\u00e9 populaire pour aller dans la direction de cet \u00c9tat europ\u00e9en, et vous consid\u00e9rez que le principal frein est la volont\u00e9 politique des dirigeants. Refus du principe de Spitzenkandidat<\/em>, absence de volont\u00e9 politique, peut-on vraiment attendre des pouvoirs politiques qu\u2019ils aillent dans cette direction  ?<\/h3>\n\n\n\n
Vous dites dans votre livre que l\u2019on est d\u00e9j\u00e0 dans une soci\u00e9t\u00e9 europ\u00e9enne<\/a>.<\/h3>\n\n\n\n