![\"Couverture](\"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/wp-content\/uploads\/sites\/2\/2020\/01\/Les-champs-de-la-Shoah-125x190.jpg\")
\r\n <\/picture>\r\n \n La plupart des Juifs furent massacr\u00e9s au bord de fosses communes, de ravins, de tranch\u00e9es antichar, aux abords de leurs villages, dans leur potager, sur la place du march\u00e9, en somme dans un univers familier. En l\u2019espace d\u2019une journ\u00e9e, le champ d\u2019un fermier ou le cimeti\u00e8re devinrent un site d\u2019ex\u00e9cution. La mobilit\u00e9 des tueurs impliqua que la mort vint aux victimes, et s\u2019inscrivit de fait dans un quotidien et un paysage intime. En l\u2019espace de quelques semaines d\u2019occupation allemande, ceux qui avaient \u00e9t\u00e9 voisins, coll\u00e8gues, camarades de classe, se retrouv\u00e8rent profond\u00e9ment d\u00e9chir\u00e9s. Les Juifs furent parqu\u00e9s dans des ghettos, parfois de simples b\u00e2timents comme une \u00e9curie ou l\u2019\u00e9cole, dans une mis\u00e8re terrible, en proie \u00e0 la famine, au froid, \u00e0 l\u2019arbitraire de leurs gardes. Toutes les \u00e9tapes de la Shoah \u00e0 l\u2019Est \u2013 arrestation, rassemblement, marche jusqu\u2019au site d\u2019ex\u00e9cution, fusillade \u2013 se d\u00e9roul\u00e8rent sous le regard des voisins de ces Juifs, qui devinrent assassins, complices, profiteurs, d\u00e9nonciateurs, sauveurs. Les probl\u00e9matiques de la Shoah \u00e0 l\u2019Est s\u2019imbriqu\u00e8rent dans un quotidien, dans une histoire locale et terriblement humaine.<\/p>\n\n\n\n
Les bourreaux vont aux victimes<\/h2>\n\n\n\n
La Shoah sur les territoires sovi\u00e9tiques s\u2019articula autour de plusieurs points. Tout d\u2019abord, elle se distingua par le fait que les bourreaux all\u00e8rent aux victimes. Les principales unit\u00e9s responsables des massacres \u2013 les Einsatzgruppen, les bataillons de police, la Waffen-SS, la Wehrmacht \u2013 \u00e9taient mobiles. Ce d\u00e9ploiement entra\u00eena la multiplication des lieux d\u2019extermination des Juifs. Cette m\u00e9thode n\u00e9cessita un recours \u00e0 des forces polici\u00e8res et des mains-d\u2019\u0153uvre locales, \u00e0 qui l\u2019on confia r\u00e9guli\u00e8rement diff\u00e9rentes \u00e9tapes de l\u2019extermination et la logistique \u2013 creusement de la fosse, acheminement des victimes, rassemblement des biens\u2026 La mobilit\u00e9 et la rapidit\u00e9 d\u2019action des Einsatzgruppen et autres unit\u00e9s de tuerie reposaient sur l\u2019expertise des autochtones : leur connaissance du terrain et des habitants. Une autre clef pour appr\u00e9hender le g\u00e9nocide dans ces territoires est sa chronologie. La mise en application de l\u2019extermination des Juifs sovi\u00e9tiques fut ant\u00e9rieure \u00e0 celle des autres Juifs d\u2019Europe. Les fusillades d\u00e9but\u00e8rent d\u00e8s le 22 juin 1941. \u00c0 partir de la fin ao\u00fbt de la m\u00eame ann\u00e9e, les Einsatzgruppen \u00e9voluant vers l\u2019Est en suivant l\u2019arm\u00e9e enclench\u00e8rent l\u2019an\u00e9antissement syst\u00e9matique de toute la population juive rencontr\u00e9e, hommes, femmes et enfants. En d\u00e9cembre 1941, l\u2019Einsatzgruppe D d\u2019Otto Ohlendorf avait ex\u00e9cut\u00e9 90 000 personnes, dont une majorit\u00e9 de Juifs. Christopher Browning employa l\u2019expression implied genocide, \u00ab g\u00e9nocide sous-entendu \u00bb, pour qualifier les massacres de Juifs \u00e0 l\u2019Est . En d\u00e9pit des rumeurs circulant sur le sort r\u00e9serv\u00e9 aux Juifs en Pologne sous occupation allemande \u00e0 partir de 1939, l\u2019extr\u00eame brutalit\u00e9 des premi\u00e8res semaines de la guerre prit de court les populations juives, foudroy\u00e9es par l\u2019ampleur des assassinats et des premi\u00e8res mesures antijuives. Enfin, il faut prendre en compte l\u2019imbrication dans l\u2019id\u00e9ologie hitl\u00e9rienne de la guerre contre le bolchevisme et l\u2019assassinat des Juifs sovi\u00e9tiques, r\u00e9sum\u00e9e dans la lutte contre \u00ab le jud\u00e9o-bolchevisme \u00bb. Hitler croyait qu\u2019en s\u2019attaquant aux Juifs, on effriterait les piliers du pouvoir sovi\u00e9tique et h\u00e2terait son effondrement. Par ailleurs, le territoire de l\u2019Est \u00e9tait envisag\u00e9 comme un Lebensraum, un \u00ab espace vital \u00bb destin\u00e9 \u00e0 \u00eatre exploit\u00e9 et colonis\u00e9 par le Troisi\u00e8me Reich.<\/p>\n\n\n\n
Images des massacres<\/h2>\n\n\n\n
L\u2019occupation nazie s\u2019\u00e9tendit \u00e0 une vitesse fulgurante \u00e0 travers la Bi\u00e9lorussie et les pays Baltes, suivie imm\u00e9diatement des premi\u00e8res ex\u00e9cutions de Juifs. Les premiers Einsatzkommandos des Einsatzgruppen et des bataillons de police impliqu\u00e9s trouv\u00e8rent un appui certain aupr\u00e8s de la population locale, aux motivations multiples. En Lituanie, les \u00ab brassards blancs \u00bb, ainsi qu\u2019on appelait commun\u00e9ment les \u00ab partisans \u00bb lituaniens \u2013 qui n\u2019avaient rien en commun avec la r\u00e9sistance sovi\u00e9tique \u2013, \u00e9taient, pour une partie d\u2019entre eux, de fervents nationalistes, mais la seule politique ne pouvait expliquer l\u2019ampleur de la collaboration. En Lettonie, un commando se forma autour de la personne de Viktors Arajs, pour devenir le \u00ab commando Arajs \u00bb, compos\u00e9 de volontaires, qui fut particuli\u00e8rement actif lors des premi\u00e8res tueries de Juifs \u00e0 Liepaja. Dans la mesure du possible, comme l\u2019\u00e9crivit Stahlecker, chef de l\u2019Einsatzgruppe A, dans son rapport : \u00ab \u00c0 Kaunas et Riga des preuves ont \u00e9t\u00e9 r\u00e9colt\u00e9es par des films et des photographies pour documenter les premi\u00e8res ex\u00e9cutions spontan\u00e9es de Juifs et de communistes men\u00e9es par des Lituaniens et des Lettons. \u00bb<\/p>\n\n\n\n
Seule une poign\u00e9e de photographies surv\u00e9curent \u00e0 la guerre. Sur l\u2019une d\u2019elles, on distingue un peloton d\u2019ex\u00e9cution, compos\u00e9 d\u2019au moins une huitaine d\u2019hommes arm\u00e9s de carabines. Ils sont pench\u00e9s en avant, en direction de la fosse en contrebas, creus\u00e9e dans un terrain sableux. En retrait, un homme est debout, les bras le long du corps. Il pourrait \u00eatre celui qui donne l\u2019ordre de tirer. On acc\u00e8de \u00e0 la fosse par une pente ; un autre homme en uniforme se trouve \u00e0 l\u2019entr\u00e9e de la fosse. Dans la fosse, on distingue quelques t\u00eates d\u2019hommes, debout. Le clich\u00e9 fut pris au moment o\u00f9 la balle toucha les victimes. Les balles rico\u2011 ch\u00e8rent sur la paroi sableuse, dans un nuage de poussi\u00e8re. Au-dessus de la fosse, au loin, une foule regarde l\u2019ex\u00e9cution. Les contours des bourreaux sont nets, des tireurs jusqu\u2019aux deux hommes en uniforme qui semblent jouer un r\u00f4le organisationnel. Ils posent. Cette photographie fut prise \u00e0 Liepeja, en Lettonie, durant l\u2019\u00e9t\u00e9 1941. Un film amateur, probablement tourn\u00e9 le m\u00eame jour par un marin allemand, Reinhard Wiener \u2013 une base de la Kriegsmarine se trouvait dans ce port de la Baltique \u2013, informe sur le processus d\u2019ex\u00e9cution : les victimes visibles sous l\u2019\u0153il de la cam\u00e9ra, des hommes, avec de larges carr\u00e9s clairs cousus au dos de leurs v\u00eatements, descendent de la plate-forme d\u2019un camion ouvert. L\u2019homme \u00e0 l\u2019entr\u00e9e de la fosse les guide vers le fond. Le commando d\u2019ex\u00e9cution s\u2019approche et tire. Les victimes s\u2019effondrent sur le sol. Des silhouettes en retrait, munies de pelles, s\u2019avancent et jettent sommairement du sable sur les corps depuis le haut de la fosse. Un petit chien, excit\u00e9 par le bruit des tirs, court dans tous les sens.<\/p>\n\n\n\n
La derni\u00e8re nuit dans le ghetto<\/h2>\n\n\n\n
La derni\u00e8re nuit dans le ghetto \u00e9tait le vestibule de la mort. L\u2019insomnie et l\u2019angoisse \u00e9taient les derniers compagnons des d\u00e9tenus. Tr\u00e8s souvent, peu de Juifs \u00e9taient dupes, en d\u00e9pit des efforts des Allemands pour ne laisser filtrer aucune information dans le ghetto. Il arrivait d\u00e9j\u00e0 que, quelques jours auparavant, des paysans non juifs avertissent les Juifs d\u2019une prochaine fusillade. Ils \u00e9taient parmi les premiers au courant, en tout \u00e9tat de cause : on pouvait difficilement manquer de rep\u00e9rer des fosses communes fra\u00eechement creus\u00e9es aux alentours, d\u2019autant plus quand les autorit\u00e9s allemandes, via<\/em> les starostes, avaient r\u00e9quisitionn\u00e9 la main-d\u2019\u0153uvre locale pour le faire.<\/p>\n\n\n\n Les rumeurs \u2013 fausses ou vraies \u2013 se r\u00e9pandaient comme tra\u00een\u00e9es de poudre, en d\u00e9pit des barbel\u00e9s et des palissades. L\u2019une des parades de la Gestapo consistait \u00e0 persuader les Juifs qu\u2019ils \u00e9taient encore n\u00e9cessaires \u00e0 l\u2019\u00e9conomie du Reich et \u00e0 brusquement multiplier les \u00e9gards. Il ne s\u2019agissait que d\u2019endormir toute vell\u00e9it\u00e9 de fuite, notamment dans les r\u00e9gions foresti\u00e8res o\u00f9 il y avait d\u00e9j\u00e0 fort \u00e0 faire avec le mouvement partisan. \u00c0 Joloudek, dans l\u2019ouest de la Bi\u00e9lorussie, le ghetto avait \u00e9t\u00e9 encercl\u00e9 et il \u00e9tait d\u00e9fendu de sortir des maisons ; les volets devaient rester clos. Le soir, une soixantaine de chariots, des gens avec des pelles se regroup\u00e8rent pr\u00e8s du poste de police : il s\u2019agissait des r\u00e9quisitionn\u00e9s. R\u00e9quisitionn\u00e9s pour le transport des victimes, r\u00e9quisitionn\u00e9s pour le creusement des fosses. Le lendemain, les Juifs du ghetto furent tous rassembl\u00e9s sur la place. Les Allemands arriv\u00e8rent. On lut \u00e0 voix haute une liste de noms. Ce fut ainsi que la s\u00e9lection s\u2019op\u00e9ra. D\u2019un c\u00f4t\u00e9, 86 personnes \u00e9pargn\u00e9es pour le moment, de l\u2019autre un millier. Les Allemands, hilares, lurent ensuite un texte : un ordre de Hitler condamnant les Juifs \u00e0 mort. Les cris et les pleurs \u00e9clat\u00e8rent et la colonne de Juifs condamn\u00e9s se mit en marche sous les coups et les tirs. Isoler les Juifs \u00e0 la veille des Aktionen<\/em> permettait que les informations de l\u2019ext\u00e9rieur ne filtrent pas, notamment concernant le creusement de fosses en p\u00e9riph\u00e9rie de la localit\u00e9.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":" Marie Moutier-Bitan est sp\u00e9cialiste du front oriental pendant la Seconde Guerre mondiale et de ses cons\u00e9quences sur les populations civiles. Dans les champs de la Shoah, son deuxi\u00e8me livre elle enqu\u00eate avec minutie et \u00e0 hauteur d\u2019homme sur les protagonistes des crimes de masse commis par l\u2019arm\u00e9e allemande et ses auxiliaires contre les Juifs d\u2019Union sovi\u00e9tique. Nous en publions quelques extraits.<\/p>\n","protected":false},"author":10,"featured_media":57982,"comment_status":"closed","ping_status":"closed","sticky":false,"template":"templates\/post-angles.php","format":"standard","meta":{"_acf_changed":false,"_trash_the_other_posts":false,"footnotes":""},"categories":[2024],"tags":[],"geo":[],"class_list":["post-57893","post","type-post","status-publish","format-standard","hentry","category-histoire","staff-marie-moutier-bitan"],"acf":[],"yoast_head":"\n