{"id":52319,"date":"2019-11-13T06:28:07","date_gmt":"2019-11-13T05:28:07","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=52319"},"modified":"2021-05-06T14:44:03","modified_gmt":"2021-05-06T12:44:03","slug":"le-territoire-de-la-cour-de-justice","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2019\/11\/13\/le-territoire-de-la-cour-de-justice\/","title":{"rendered":"Une Cour peut r\u00e9guler la mondialisation"},"content":{"rendered":"\n
Atypique . Mais dans un contexte o\u00f9 les juges doivent reconqu\u00e9rir un \u00e9tat de droit dans une \u00e9conomie mondialis\u00e9e livr\u00e9e \u00e0 un nouvel \u00e9tat de nature, c\u2019est pr\u00e9cis\u00e9ment la connaissance et le langage de cette \u00ab mati\u00e8re \u00bb qui peut permettre \u00e0 la Cour de s\u2019imposer comme une des grandes forces r\u00e9gulatrices de cette mondialisation, et un organe incontournable pour que l\u2019Europe trouve sa place dans le monde.<\/em><\/p>\n\n\n\n Dans un article important publi\u00e9 en 2002, Martin Shapiro <\/span>1<\/sup><\/a><\/span><\/span> observait que la mondialisation avait pour effet de repousser les juges \u00e0 la p\u00e9riph\u00e9rie (du fait que leur juridiction restait li\u00e9e \u00e0 un territoire national tandis que le march\u00e9 s\u2019unifiait), alors que le c\u0153ur des relations mondiales \u00e9tait tenu par d\u2019autres institutions, techniques ou \u00e9conomiques. L\u2019avenir lui a donn\u00e9 raison. M\u00eame le r\u00e8glement des litiges, autrefois pr\u00e9rogative des juridictions, est aujourd\u2019hui confi\u00e9 de plus en plus souvent \u00e0 l\u2019arbitrage priv\u00e9 ou \u00e0 des organes non-juridictionnels \u00e9ph\u00e9m\u00e8res comme les panels.<\/p>\n\n\n\n Le monde westphalien n\u2019arrivait \u00e0 conserver tant bien que mal le droit au centre que par une articulation du national et de l\u2019international op\u00e9r\u00e9e par les droits internationaux public et priv\u00e9. Mais la mati\u00e8re du monde n\u2019est plus ordonn\u00e9e par le territoire et sa concr\u00e9tude ; elle se compose d\u2019entit\u00e9s circulantes plus difficilement saisissables comme les signaux mon\u00e9taires ou num\u00e9riques. C\u2019est ainsi que l\u2019on assiste \u00e0 une curieuse coexistence entre un droit territorialis\u00e9 de plus en plus p\u00e9riph\u00e9rique et une sorte d\u2019\u00e9tat de nature central. La mondialisation juridique prend ainsi la forme d\u2019une couronne : le centre est occup\u00e9 par des nouveaux modes de r\u00e9gulation, la plupart du temps discrets et peu analys\u00e9s, alors que les juridictions classiques n\u2019occupent que la p\u00e9riph\u00e9rie. <\/p>\n\n\n\n \u00ab La mati\u00e8re du monde n\u2019est plus ordonn\u00e9e par le territoire et sa concr\u00e9tude ; elle se compose d\u2019entit\u00e9s circulantes plus difficilement saisissables comme les signaux mon\u00e9taires ou num\u00e9riques. \u00bb<\/p>Antoine Garapon<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n L\u2019originalit\u00e9 de la Cour de Justice de l\u2019Union europ\u00e9enne (CJUE) est d\u2019avoir mis d\u2019embl\u00e9e un pied dans ce centre vide. Rappelons qu\u2019\u00e0 l\u2019instar de l\u2019Union, elle s\u2019est construite d\u2019abord avec la mati\u00e8re<\/em> (le charbon et l\u2019acier) et la concurrence autour de cette mati\u00e8re (avec le r\u00f4le de diff\u00e9rentiel de puissance). Elle part de l\u2019\u00e9conomique, c\u2019est-\u00e0-dire de la r\u00e9union des territoires non pas sur un projet politique mais sur ce qu\u2019il a y de plus mat\u00e9riel : \u00e0 savoir le charbon, l\u2019acier et plus largement l\u2019\u00e9conomie comme circulation r\u00e9pondant \u00e0 son r\u00e9gulateur naturel qu\u2019est le march\u00e9. Et ce qui apparaissait comme un pr\u00e9requis a minima<\/em> pour construire une puissance se pr\u00e9sente aujourd\u2019hui comme <\/em>une puissance.<\/p>\n\n\n\n La CJUE existe en tension avec l\u2019autre juridiction \u00ab europ\u00e9enne \u00bb, la CEDH, qui quant \u00e0 elle se fonde sur un concept universel \u2013 l\u2019id\u00e9e de droits de l\u2019Homme et de libert\u00e9s fondamentales \u2013 lui permettant de d\u00e9passer les contraintes du territoire. De son c\u00f4t\u00e9, la CJUE se limite \u00e0 la mati\u00e8re<\/em> sans spiritualiser sa vision du monde. Et alors que la CEDH a une vocation d\u2019expansion territoriale quasi-infinie du fait de cette id\u00e9e universelle (Azerba\u00efdjan, Turquie, Russie, autant d\u2019autres pays o\u00f9 l\u2019on voudrait prot\u00e9ger l\u2019id\u00e9e de droits de l\u2019Homme), la CJUE se cantonne \u00e0 un territoire sp\u00e9cifique politiquement d\u00e9fini. <\/p>\n\n\n\n Or c\u2019est bien de sa mati\u00e8re que vient la force de la CJUE, de sa mat\u00e9rialit\u00e9, de la dimension strictement et fondamentalement \u00e9conomique de sa comp\u00e9tence, par rapport \u00e0 l\u2019extension \u00e0 l\u2019universel que caract\u00e9rise la sauvegarde des droits de l\u2019homme et des libert\u00e9s fondamentales. Cette tension se joue dans une opposition entre le droit mat\u00e9riel de la CJUE et le droit naturel<\/em> de la CEDH. Ce qui nous int\u00e9resse, c\u2019est la mani\u00e8re dont la CJUE approche<\/em> cette mati\u00e8re avec laquelle elle doit faire du droit. Tandis que le juge de la CEDH \u00e9volue d\u2019embl\u00e9e dans un univers juridico-\u00e9tatique traditionnel, l\u2019univers, le monde de la CJUE est beaucoup moins facile \u00e0 cerner : elle aborde d\u00e9sormais sa mati\u00e8re sous contrainte des droits fondamentaux. <\/p>\n\n\n\n Cet antagonisme s\u2019est en effet affaibli du fait, entre autre, de la Charte des droits fondamentaux. Gr\u00e2ce \u00e0 cette nouvelle comp\u00e9tence, la CJUE n\u2019est plus cantonn\u00e9e purement et simplement au mat\u00e9riel, c\u2019est-\u00e0-dire \u00e0 la bonne r\u00e9gulation du march\u00e9 unique, mais s\u2019empare des droits fondamentaux (dans le domaine des relations de travail par exemple comme le montre l\u2019arr\u00eat Achbita<\/em> sur le voile islamique au sein des entreprises priv\u00e9es <\/span>2<\/sup><\/a><\/span><\/span>). <\/p>\n\n\n\n \u00ab C\u2019est bien de sa mati\u00e8re que vient la force de la CJUE, de sa mat\u00e9rialit\u00e9, de la dimension strictement et fondamentalement \u00e9conomique de sa comp\u00e9tence, par rapport \u00e0 l\u2019extension \u00e0 l\u2019universel que caract\u00e9rise la sauvegarde des droits de l\u2019homme et des libert\u00e9s fondamentales. \u00bb<\/p>Antoine Garapon<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n La seconde singularit\u00e9 \u00e0 envisager est la capacit\u00e9 de r\u00e9flexivit\u00e9 permise par la juridiction communautaire. \u00c0 cet \u00e9gard, la d\u00e9cision Schneider<\/em> du 11 juillet 2007 doit servir de point de d\u00e9part. Dans cette affaire, le Tribunal de premi\u00e8re instance (TPI) a pour la premi\u00e8re fois condamn\u00e9 la Commission \u00e0 payer des dommages-int\u00e9r\u00eats \u00e0 l\u2019entreprise Schneider qui consid\u00e9rait qu\u2019elle avait ill\u00e9galement interdit sa fusion avec la soci\u00e9t\u00e9 Legrand. Si la d\u00e9cision de 2007 fut partiellement annul\u00e9e par un arr\u00eat de la CJUE du 16 juillet 2009, ce dernier ne donnait nullement tort au TPI dans son principe, mais revenait sur le fond du dossier <\/span>3<\/sup><\/a><\/span><\/span>. La CJUE s\u2019ouvrait donc par cette voie la possibilit\u00e9 de se reconna\u00eetre comme instance de recours contre les d\u00e9cisions de la Commission.<\/p>\n\n\n\n Cette \u00e9tape, qui n\u2019est peut-\u00eatre qu\u2019un signal faible, est d\u2019importance. Quand on regarde la m\u00e9canique des pouvoirs europ\u00e9ens, tout se passe comme si la mutualisation ne pouvait aboutir qu\u2019\u00e0 une centralisation du pouvoir. Comme si les pouvoirs ex\u00e9cutifs de l\u2019Union ne pouvaient que produire \u00e0 Bruxelles un sur-centre<\/em> op\u00e9ratoire, un pouvoir instrumental qui n\u2019avait en quelque sorte pour seule vocation que d\u2019agir. Les pouvoirs ex\u00e9cutifs ne peuvent d\u00e9l\u00e9guer autre chose que leur propre forme. En tant qu\u2019addition de pouvoirs (au d\u00e9triment de toute autorit\u00e9 propre), le pouvoir bruxellois ne pouvait b\u00e9n\u00e9ficier des attributs symboliques des \u00c9tats, ind\u00e9l\u00e9gables, qui restaient bloqu\u00e9s en quelque sorte au plan interne. Il manquait \u00e0 ce pouvoir instrumental une possibilit\u00e9 de s\u00e9paration ou de division interne, et donc une r\u00e9f\u00e9rence pour le faire. <\/p>\n\n\n\n Un grand pas a \u00e9t\u00e9 franchi avec le Parlement et le renforcement de sa l\u00e9gitimit\u00e9 et de ses attributions. C\u2019est une incontestable source de l\u00e9gitimit\u00e9 mais pas de r\u00e9flexivit\u00e9. \u00c0 terme, l\u2019enjeu du pouvoir europ\u00e9en, en s\u2019affirmant, en se raffinant, va donc \u00eatre de trouver ses distances internes<\/em>, sa r\u00e9flexivit\u00e9 propre, pour constituer un pouvoir dot\u00e9 d\u2019une v\u00e9ritable autorit\u00e9 (poss\u00e9dant une nature propre qui ne se confond pas avec la repr\u00e9sentativit\u00e9). Il cesserait alors d\u2019\u00eatre un pouvoir purement instrumental ou op\u00e9ratoire, cantonn\u00e9 \u00e0 sa dimension ex\u00e9cutive. <\/p>\n\n\n\n Un pouvoir ainsi mutualis\u00e9<\/em> de la Commission a une tendance naturelle \u00e0 devenir un pouvoir condens\u00e9<\/em>, sauf \u00e0 introduire, sous l\u2019impulsion du Parlement, des consid\u00e9rations proprement politiques, comme peuvent l\u2019\u00eatre les droits de l\u2019homme ou l\u2019\u00e9cologie. On y voit donc se d\u00e9velopper des r\u00e9f\u00e9rents universels du genre de ceux qui caract\u00e9risent le droit. Au niveau organique, ce pouvoir peut donc se diff\u00e9rencier, se s\u00e9parer en instances clairement identifiables : parquet europ\u00e9en, Parlement, Cour de justice, etc. <\/p>\n\n\n\nUne cour qui parle le langage de la mondialisation <\/h3>\n\n\n\n
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Droit mat\u00e9riel contre droit naturel<\/h3>\n\n\n\n
L\u2019institution d\u2019une distance interne au pouvoir europ\u00e9en<\/h3>\n\n\n\n