{"id":52195,"date":"2019-11-14T16:46:10","date_gmt":"2019-11-14T15:46:10","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=52195"},"modified":"2019-11-14T16:49:09","modified_gmt":"2019-11-14T15:49:09","slug":"le-printemps-chilien-la-fin-du-modele-neoliberal","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2019\/11\/14\/le-printemps-chilien-la-fin-du-modele-neoliberal\/","title":{"rendered":"Le printemps chilien : la fin du mod\u00e8le n\u00e9olib\u00e9ral ?"},"content":{"rendered":"\n
La hausse de 30 pesos du prix du ticket de m\u00e9tro a plong\u00e9 le Chili dans une crise sociale in\u00e9dite depuis la fin de la dictature du g\u00e9n\u00e9ral Augusto Pinochet en 1990. Cette mesure, annonc\u00e9e par le gouvernement d\u00e9but octobre, a d\u00e9clench\u00e9 des manifestations sociales initi\u00e9es par les \u00e9tudiants, rapidement rejoints par diff\u00e9rents mouvements sociaux <\/span>1<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Pour apaiser la situation, le pr\u00e9sident conservateur Sebasti\u00e1n Pi\u00f1era a instaur\u00e9 l’\u00e9tat d’urgence et un couvre-feu <\/span>2<\/sup><\/a><\/span><\/span> dans diff\u00e9rentes villes du pays, mobilisant ainsi les forces arm\u00e9es dans la rue. Ces derni\u00e8res ont cristallis\u00e9 les tensions et les violences, ravivant les souvenirs d\u2019une \u00e9poque dictatoriale qui n’a pas encore \u00e9t\u00e9 surmont\u00e9e par le pays. En r\u00e9alit\u00e9 cette crise in\u00e9dite va toutefois au-del\u00e0 d\u2019un simple refus de la hausse du prix des transports en commun. Ces mobilisations spontan\u00e9es et apolitiques qui traversent le pays sont plut\u00f4t l\u2019expression profonde d\u2019un ras-le-bol g\u00e9n\u00e9ral face aux in\u00e9galit\u00e9s historiques et multidimensionnelles, dans un pays o\u00f9 1 % de la population, centile dont fait partie le pr\u00e9sident Pi\u00f1era, concentre 26,5 % des richesses.<\/p>\n\n\n\n Malgr\u00e9 l\u2019annulation de cette hausse <\/span>3<\/sup><\/a><\/span><\/span> et l\u2019annonce d\u2019un \u00ab Agenda Social \u00bb compos\u00e9 de mesures visant \u00e0 r\u00e9pondre aux demandes de la soci\u00e9t\u00e9 et faire cesser les mouvements de contestation <\/span>4<\/sup><\/a><\/span><\/span>, le pr\u00e9sident Sebasti\u00e1n Pi\u00f1era a \u00e9chou\u00e9 dans sa tentative d’apaiser la crise. Alors qu\u2019un tiers de ses ministres a d\u00fb d\u00e9missionner <\/span>5<\/sup><\/a><\/span><\/span>,<\/strong>\u00a0 l’insatisfaction des citoyens persiste\u00a0 : ils sont d\u00e9termin\u00e9s \u00e0 rester dans la rue tant que le pr\u00e9sident, dont la popularit\u00e9 est tomb\u00e9e \u00e0 9,1 % (taux le plus bas observ\u00e9 depuis le retour de la d\u00e9mocratie) <\/span>6<\/sup><\/a><\/span><\/span>, n\u2019aura pas propos\u00e9 des changements structurels, voire d\u00e9missionn\u00e9. Au contraire, les d\u00e9clarations controvers\u00e9es du gouvernement, comme celles des ministres de l’\u00c9conomie et du Tr\u00e9sor, Juan Andr\u00e9s Fontaine et Felipe Larra\u00edn, selon lesquels les Chiliens devraient \u00ab se lever plus t\u00f4t pour payer le tarif moins cher du m\u00e9tro \u00bb, ont mis encore plus de feu \u00e0 la crise <\/span>7<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/strong> En 48 heures, <\/strong>les manifestations se sont \u00e9tendues \u00e0 l\u2019ensemble du pays, transformant les manifestations en un conflit social sans sortie de crise en vue, malgr\u00e9 les tentatives du gouvernement.<\/p>\n\n\n\n \u00ab Cette crise in\u00e9dite va au-del\u00e0 d\u2019un simple refus de la hausse du prix des transports en commun. \u00bb<\/p>Francisca Corona-Ravest<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Selon la derni\u00e8re enqu\u00eate men\u00e9e par Activa Research <\/span>8<\/sup><\/a><\/span><\/span>, 83,6 % des Chiliens soutiennent les manifestations ainsi que les revendications affich\u00e9es. Le pays a d\u00fb renoncer non seulement \u00e0 l’organisation de l’APEC <\/span>9<\/sup><\/a><\/span><\/span>, mais aussi \u00e0 celle de la COP25, pr\u00e9vue en d\u00e9cembre 2019. Quant \u00e0 la communaut\u00e9 internationale, elle suit de pr\u00e8s les cons\u00e9quences politiques et \u00e9conomiques que cette crise pourrait entra\u00eener, non seulement au niveau national, mais \u00e9galement \u00e0 l’\u00e9chelle r\u00e9gionale. Au-del\u00e0 des revendications sociales, les r\u00e9centes manifestations semblent faire \u00e9tat de l\u2019\u00e9chec du mod\u00e8le d\u00e9mocratique et n\u00e9olib\u00e9ral h\u00e9rit\u00e9 de la dictature et perp\u00e9tu\u00e9 par le gouvernement de Pi\u00f1era, un mod\u00e8le devenu incapable d\u2019endiguer des in\u00e9galit\u00e9s toujours croissantes.<\/p>\n\n\n\n Les manifestations actuelles sont l’\u00e9piph\u00e9nom\u00e8ne d\u2019un mal bien plus profond, v\u00e9ritable bombe \u00e0 retardement. Les Chiliens ne manifestent aujourd\u2019hui pas uniquement contre l\u2019augmentation du ticket de m\u00e9tro de $30 pesos, mais contre trente ans de n\u00e9olib\u00e9ralisme durant lesquels les in\u00e9galit\u00e9s n\u2019ont cess\u00e9 de cro\u00eetre <\/span>10<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Le m\u00e9tro de Santiago est l\u2019un des plus chers de la r\u00e9gion, juste derri\u00e8re celui de Brasilia. Plus de trois millions de passagers l’utilisent quotidiennement, d\u00e9boursant entre 0,79\u20ac et 1\u20ac, selon l\u2019heure, par trajet. \u00ab Derri\u00e8re le pr\u00e9tendu miracle du mod\u00e8le \u00e9conomique mis en place par les Chicago Boys<\/em> de Milton Friedman lors de la dictature, de profondes in\u00e9galit\u00e9s coexistent avec les richesses canalis\u00e9es par les \u00e9lites politique et \u00e9conomique du pays. \u00bb<\/p>Francisca Corona-Ravest<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Depuis le 19 octobre, les manifestations ont mis en lumi\u00e8re la d\u00e9gradation du mod\u00e8le \u00e9conomique qui suscitait l\u2019int\u00e9r\u00eat mondial depuis plus de quarante ans. La crise n\u2019a cess\u00e9 de s’aggraver et le pr\u00e9sident Pi\u00f1era n\u2019a pas h\u00e9sit\u00e9 \u00e0 qualifier la situation de \u00ab guerre contre un ennemi puissant et implacable, qui ne respecte rien ni qui que ce soit \u00bb <\/span>21<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Selon les donn\u00e9es officielles du gouvernement <\/span>22<\/sup><\/a><\/span><\/span>, 77 stations de m\u00e9tro ont \u00e9t\u00e9 endommag\u00e9es et 20 d\u2019entre elles ont \u00e9t\u00e9 incendi\u00e9es. Les multiples pillages et incendies pourraient mettre en p\u00e9ril plus de 100 000 emplois. 11 des 16 r\u00e9gions ont \u00e9t\u00e9 soumises au couvre-feu jusqu’au samedi 26 octobre. Rien que dans la capitale, plus de 9 000 soldats ont \u00e9t\u00e9 d\u00e9ploy\u00e9s et la bourse de Santiago a cl\u00f4tur\u00e9 la semaine du 25 octobre dans le rouge, enregistrant une baisse de 4,78 % <\/span>23<\/sup><\/a><\/span><\/span>. <\/strong> \u00ab Bien que les mesures pr\u00e9sent\u00e9es par le gouvernement soient ax\u00e9es sur les principales revendications des manifestants, 61 % d\u2019entre eux estiment qu’elles ne contribuent pas \u00e0 faire \u00e9voluer la soci\u00e9t\u00e9 chilienne vers une plus grande \u00e9quit\u00e9. \u00bb<\/p>Francisca Corona-Ravest<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Bien que les mesures pr\u00e9sent\u00e9es par le gouvernement soient ax\u00e9es sur les principales revendications des manifestants, 61 % d\u2019entre eux estiment qu’elles ne contribuent pas \u00e0 faire \u00e9voluer la soci\u00e9t\u00e9 chilienne vers une plus grande \u00e9quit\u00e9. Et pour cause : ces mesures ne pr\u00e9sentent pas de changements structurels. Elles correspondent en r\u00e9alit\u00e9 \u00e0 des mesures de correction qui ne r\u00e9solvent pas le probl\u00e8me sous-jacent : la structure et le fonctionnement in\u00e9galitaires du mod\u00e8le \u00e9conomique chilien, au fondement de la violation des droits \u00e0 l’\u00e9ducation, \u00e0 la sant\u00e9 et \u00e0 l’eau, entre autres. L’acc\u00e8s \u00e0 ces derniers est soumis \u00e0 de nombreux co\u00fbts, repr\u00e9sentant un budget suppl\u00e9mentaire pour les Chiliens. Alors que le Chili d\u00e9veloppe son \u00e9nergie solaire, les m\u00e9nages chiliens doivent payer des factures d\u2019\u00e9lectricit\u00e9 qui ont augment\u00e9 de 19,7 % au cours de la derni\u00e8re ann\u00e9e <\/span>27<\/sup><\/a><\/span><\/span>. La loi garantit un rendement de 10 % aux entreprises qui la distribuent. Dans le m\u00eame temps, l\u2019eau demeure une ressource privatis\u00e9e. Le Code de l\u2019eau<\/em> \u00e9tabli en 1981 dispose que les individus peuvent constituer des droits perp\u00e9tuels sur l\u2019eau et peuvent ensuite transf\u00e9rer ou transmettre ces droits, comme s\u2019il s\u2019agissait d\u2019une propri\u00e9t\u00e9 <\/span>28<\/sup><\/a><\/span><\/span>. <\/strong>\u00c0 titre d’exemple, les manifestations de 2006 et de 2011 sur la qualit\u00e9 et l\u2019acc\u00e8s \u00e0 l’\u00e9ducation ont r\u00e9v\u00e9l\u00e9 l\u2019\u00e9puisement structurel d’une soci\u00e9t\u00e9 ext\u00e9nu\u00e9e par les effets d’un syst\u00e8me \u00e9conomique qui consid\u00e8re les citoyens comme des consommateurs uniquement. Le manque de ressources \u00e9conomiques a conduit les Chiliens \u00e0 emprunter dans un pays o\u00f9 le cr\u00e9dit est facilement accessible. Selon le rapport sur la dette du premier trimestre 2017 de DICOM-EQUIFAX USS<\/em>, l’endettement des m\u00e9nages a atteint un record de 74,3 % de leur revenu disponible <\/span>29<\/sup><\/a><\/span><\/span>. L’int\u00e9gration et la mobilit\u00e9 sociale d\u00e9coulent de la consommation, mais le pouvoir d’achat est maintenu sur la base de l’endettement.<\/p>\n\n\n\n L\u2019in\u00e9galit\u00e9 au Chili pourrait \u00eatre combattue en r\u00e9formant l\u2019acc\u00e8s \u00e0 l\u2019\u00e9ducation, ce qui faciliterait la mobilit\u00e9 sociale. Cependant le syst\u00e8me \u00e9ducatif chilien est paradoxalement l\u2019une des principales causes de l\u2019in\u00e9galit\u00e9 qui affecte le pays en raison de son degr\u00e9 de privatisation. Alors que pour certains, la privatisation contribue \u00e0 combler les lacunes de l’offre \u00e9ducative, pour d’autres, cette tendance a un impact n\u00e9gatif sur la jouissance du droit \u00e0 l’\u00e9ducation du fait des frais de scolarit\u00e9. Le cas du Chili a non seulement attir\u00e9 l\u2019attention de la communaut\u00e9 internationale, mais il est devenu l\u2019exemple par excellence des cons\u00e9quences d\u00e9sastreuses que peut causer une privatisation excessive <\/span>30<\/sup><\/a><\/span><\/span>. \u00ab Le cas du Chili a non seulement attir\u00e9 l\u2019attention de la communaut\u00e9 internationale, mais il est devenu l\u2019exemple par excellence des cons\u00e9quences d\u00e9sastreuses que peut causer une privatisation excessive. \u00bb<\/p>Francisca Corona-Ravest<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Le syst\u00e8me de sant\u00e9 chilien est compos\u00e9 d’un mod\u00e8le mixte opposant diam\u00e9tralement deux secteurs : le public, compos\u00e9 d\u2019une assurance appel\u00e9e Fonds National de la Sant\u00e9 (FONASA) et, le priv\u00e9, o\u00f9 les Institutions de S\u00e9curit\u00e9 Sociale (ISAPRE) proposent plusieurs formules <\/span>39<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Selon la derni\u00e8re enqu\u00eate nationale sur la caract\u00e9risation socio\u00e9conomique (CASEN), 18 % des Chiliens ont acc\u00e8s au syst\u00e8me priv\u00e9 ISAPRE et peuvent donc payer pour des soins de meilleure qualit\u00e9, tandis que ceux affili\u00e9s \u00e0 FONASA, repr\u00e9sentant 78 % de la population, doivent \u00eatre trait\u00e9s dans un syst\u00e8me qui viole le droit constitutionnel de couverture et d\u2019acc\u00e8s \u00e0 la sant\u00e9. <\/span>40<\/sup><\/a><\/span><\/span>.Le prix du ticket de m\u00e9tro : \u00e9l\u00e9ment d\u00e9clencheur de l’explosion du mal-\u00eatre chilien<\/h3>\n\n\n\n
Bien que le Chili ait le PIB le plus \u00e9lev\u00e9 de la r\u00e9gion (US$ 25.222 en PPP) <\/span>11<\/sup><\/a><\/span><\/span>, cette hausse n\u2019est pas anodine pour la population chilienne dans un pays o\u00f9 le salaire minimum mensuel est de 373\u20ac <\/span>12<\/sup><\/a><\/span><\/span>, montant duquel doivent \u00eatre d\u00e9duites les cotisations de retraite et de sant\u00e9. Le budget destin\u00e9 aux frais de transport repr\u00e9sente plus de 13 % du revenu d\u2019un individu percevant le salaire minimum <\/span>13<\/sup><\/a><\/span><\/span>. 50 % des travailleurs chiliens gagnent 496 \u20ac \u2014 ou moins \u2014 par mois, et 1 % de la population, soit environ 180 000 personnes, touche pr\u00e8s d\u2019un quart du revenu national <\/span>14<\/sup><\/a><\/span><\/span>. \u00c0 l\u2019inverse, les d\u00e9put\u00e9s et les s\u00e9nateurs de la R\u00e9publique sont pay\u00e9s entre 13 650 \u20ac et 24 815 \u20ac par mois. Il s\u2019agit des parlementaires les mieux r\u00e9mun\u00e9r\u00e9s de tous les pays de l\u2019OCDE : leur salaire \u00e9quivaut \u00e0 33 salaires minimums, bien plus que leurs semblables europ\u00e9ens, qui gagnent entre 3 et 5 salaires minimums <\/span>15<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Face \u00e0 de telles in\u00e9galit\u00e9s \u00e9conomiques, 87,1 % des personnes interrog\u00e9es par Activa Research consid\u00e8rent les salaires des travailleurs comme la principale cause des manifestations, imm\u00e9diatement suivie du prix des services de premi\u00e8re n\u00e9cessit\u00e9 comme l\u2019eau ou l\u2019\u00e9lectricit\u00e9 (86,3 %), du montant des pensions de retraite (85,7 %) et des in\u00e9galit\u00e9s \u00e9conomiques au sein de la population chilienne (85,2 %) <\/span>16<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Consid\u00e9r\u00e9 il y a encore trois semaines comme un mod\u00e8le de stabilit\u00e9 politique et \u00e9conomique en Am\u00e9rique latine, le Chili \u00e9tait compar\u00e9 par le pr\u00e9sident Pi\u00f1era \u00e0 une \u00ab oasis \u00bb dans une r\u00e9gion en crise <\/span>17<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/strong> Pourtant le pays est l\u2019un des dix plus in\u00e9gaux au monde selon l\u2019indice de Gini <\/span>18<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Derri\u00e8re le pr\u00e9tendu miracle du mod\u00e8le \u00e9conomique mis en place par les Chicago Boys<\/em> de Milton Friedman lors de la dictature, de profondes in\u00e9galit\u00e9s coexistent avec les richesses canalis\u00e9es par les \u00e9lites politique et \u00e9conomique du pays <\/span>19<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Pendant des d\u00e9cennies, le Chili a connu une croissance soutenue qui lui a permis d\u2019atteindre une inflation annuelle de 2 %, un taux de pauvret\u00e9 de 8,6 % et un taux de croissance du PIB qui devrait atteindre 2,5 % en 2019, lui permettant d’int\u00e9grer le groupe restreint des pays qui composent l’OCDE. Or trois secteurs essentiels pour le d\u00e9veloppement et le bien-\u00eatre humain, tels la sant\u00e9, l’\u00e9ducation et les pensions de retraite, sont monopolis\u00e9s presque exclusivement par le secteur priv\u00e9 <\/span>20<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Leur qualit\u00e9 et leur acc\u00e8s d\u00e9pendent donc exclusivement du pouvoir d’achat des Chiliens. Cette marchandisation a surv\u00e9cu aux sept gouvernements d\u00e9mocratiques. En effet, la Constitution politique en vigueur depuis 1980, quintessence de l\u2019\u00e9poque Pinochet, articule la vie sociale, politique, culturelle et administrative autour des lois du march\u00e9.<\/p>\n\n\n\nL’implosion d’un mod\u00e8le<\/h3>\n\n\n\n
C\u2019est cependant l’usage excessif de la force par les militaires et la police qui inqui\u00e8te le plus la soci\u00e9t\u00e9 chilienne et la communaut\u00e9 internationale,. Selon l’Institut National des Droits de l’Homme (INDH), 20 personnes sont mortes depuis le 17 octobre, dont 5 par des coups de feu tir\u00e9s par les forces arm\u00e9es. Au cours de la m\u00eame p\u00e9riode, 5 629 personnes ont \u00e9t\u00e9 arr\u00eat\u00e9es et 2 009 personnes bless\u00e9es ou victimes d’armes \u00e0 feu. Sur les 283 poursuites engag\u00e9es, il y a 5 plaintes pour homicide et 52 pour violences sexuelles (d\u00e9shabillage, menaces, attouchements, viol) <\/span>24<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Le Haut-Commissaire de l’Organisation des Nations Unies pour les droits de l’homme et ancienne pr\u00e9sidente du Chili, Michelle Bachelet, ainsi qu’Amnesty International, ont d\u00e9cid\u00e9 d’envoyer des commissions charg\u00e9es de v\u00e9rifier si des violations des droits de l’homme ont \u00e9t\u00e9 commises au Chili <\/span>25<\/sup><\/a><\/span><\/span>.
Pour sortir de la crise, le gouvernement a pr\u00e9sent\u00e9 un \u00ab Agenda Social \u00bb, qui se d\u00e9ploie dans diff\u00e9rents champs <\/span>26<\/sup><\/a><\/span><\/span> <\/strong> :
En mati\u00e8re de sant\u00e9 et m\u00e9dicaments
<\/em>
– Priorit\u00e9 donn\u00e9e \u00e0 la discussion du projet de loi envoy\u00e9 par le gouvernement au Congr\u00e8s pour la cr\u00e9ation d\u2019une assurance contre les maladies dites \u00ab catastrophiques \u00bb afin de garantir un montant maximum de d\u00e9penses pour la sant\u00e9 des familles chiliennes. Les d\u00e9penses d\u00e9passant ce maximum seront couvertes par l\u2019assurance.
– Cr\u00e9ation d’une assurance couvrant une partie des d\u00e9penses en m\u00e9dicaments des familles chiliennes, non couvertes par des programmes tels que les Garanties de Sant\u00e9 Explicites (GES), ensemble de prestations garanties par la loi pour les personnes affili\u00e9es au syst\u00e8me de sant\u00e9 publique FONASA, ou la loi Ricarte Soto, un syst\u00e8me de protection financi\u00e8re pour les diagnostics et les traitements qualifi\u00e9s de \u00ab tr\u00e8s chers \u00bb.
– Extension de l’accord entre FONASA et les pharmacies pour r\u00e9duire le prix des m\u00e9dicaments, dont b\u00e9n\u00e9ficieraient plus de 12 millions de personnes.
Concernant le syst\u00e8me de retraites
<\/em>
– Augmentation imm\u00e9diate de 20 % de la pension \u00ab Pensi\u00f3n de Solidaridad de Base<\/em> \u00bb, un avantage \u00e9conomique mensuel pour les personnes \u00e2g\u00e9es de plus de 65 ans n’ayant droit \u00e0 une pension dans aucun r\u00e9gime existant, dont b\u00e9n\u00e9ficieraient 590 000 retrait\u00e9s. La \u00ab Pensi\u00f3n de Solidaridad de Base<\/em> \u00bb passerait ainsi de 137 \u20ac \u00e0 164,6 \u20ac.
– Augmentation imm\u00e9diate, d\u00e8s l\u2019approbation du projet de loi, de 20 % des retraites, dont b\u00e9n\u00e9ficieraient 945 000 retrait\u00e9s.
– Augmentation suppl\u00e9mentaire des retraites, en 2021 et 2022, pour les retrait\u00e9s de plus de 75 ans.
– Cr\u00e9ation d\u2019aides fiscales pour compl\u00e9ter l’\u00e9pargne retraite de la classe moyenne et des femmes qui travaillent et cotisent, afin d’augmenter leurs pensions au moment de la retraite, ce qui favoriserait 500 000 travailleurs.
– Cr\u00e9ation d\u2019aides fiscales pour am\u00e9liorer les retraites des personnes \u00e2g\u00e9es non autonomes.
Revenu minimum garanti
<\/em>
– Cr\u00e9ation du \u00ab Revenu Minimum Garanti \u00bb de 435,6 \u20ac par mois pour tous les travailleurs \u00e0 temps plein. Les travailleurs ayant un revenu inf\u00e9rieur \u00e0 435,6 \u20ac auront droit \u00e0 une allocation qui leur permettra d\u2019atteindre ce Revenu Minimum Garanti. Cette prestation sera appliqu\u00e9e proportionnellement aux personnes \u00e2g\u00e9es de moins de 18 ans et de plus de 65 ans.
Prix de l\u2019\u00e9lectricit\u00e9
<\/em>
– Cr\u00e9ation d’un m\u00e9canisme de stabilisation des prix de l\u2019\u00e9lectricit\u00e9 \u2014 annulant sa r\u00e9cente augmentation de 9,2 % \u2014 ramenant la valeur des tarifs d’\u00e9lectricit\u00e9 au niveau du premier semestre de 2019.
Imp\u00f4ts plus \u00e9lev\u00e9s pour les secteurs \u00e0 revenu \u00e9lev\u00e9
<\/em>
– Cr\u00e9ation d’une nouvelle tranche de la \u00ab Taxe Globale Compl\u00e9mentaire \u00bb de 40 % pour les revenus sup\u00e9rieurs \u00e0 9 957\u20ac, ce qui augmentera le recouvrement de l’imp\u00f4t d\u2019environ 200 millions d\u2019euros.<\/p>\n\n\n\nL’acc\u00e8s \u00e0 l’\u00e9ducation, un facteur d’in\u00e9galit\u00e9s<\/h3>\n\n\n\n
Avant la dictature de Pinochet, tout l\u2019enseignement chilien \u00e9tait gratuit et administr\u00e9 par l\u2019\u00c9tat, par l\u2019interm\u00e9diaire du minist\u00e8re de l\u2019\u00c9ducation. Cependant, en 1981, des politiques de privatisation de l’\u00e9ducation ont \u00e9t\u00e9 men\u00e9es dans le cadre d’une restructuration n\u00e9olib\u00e9rale majeure guid\u00e9e par la logique de march\u00e9 appliqu\u00e9e \u00e0 l’\u00e9conomie, \u00e0 l’\u00c9tat et \u00e0 d’autres services sociaux. Le noyau de ces r\u00e9formes est rest\u00e9 apr\u00e8s la fin de la dictature, malgr\u00e9 une s\u00e9v\u00e8re critique de ce mod\u00e8le depuis 2006.
L’un des aspects qui contribuent \u00e0 la s\u00e9gr\u00e9gation socio-\u00e9conomique r\u00e9side dans le processus d’admission. En plus de la s\u00e9lection op\u00e9r\u00e9e par les frais de scolarit\u00e9 \u2014 et bien que la \u00ab Loi G\u00e9n\u00e9rale sur l\u2019Enseignement et la Loi d\u2019Inclusion \u00bb interdise la s\u00e9lection des \u00e9l\u00e8ves dans les \u00e9coles et les lyc\u00e9es \u2014 les examens d\u2019entr\u00e9e jouent un r\u00f4le important dans le choix d\u2019une \u00e9cole. En th\u00e9orie, les \u00e9coles publiques ont l’obligation d’accepter tous les enfants, cependant les processus de s\u00e9lection dans les \u00e9coles priv\u00e9es ne sont toujours pas r\u00e9glement\u00e9s par la loi <\/span>31<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Les entretiens aux parents sont toujours en place et de nombreux documents sont demand\u00e9s en vue de conna\u00eetre les ressources financi\u00e8res, la croyance religieuse et \u00ab l\u2019intellect \u00bb des \u00e9tudiants concern\u00e9s au travers des tests psychologiques et comportementaux <\/span>32<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Ce type de s\u00e9lection emp\u00eache toute mixit\u00e9 sociale. Face \u00e0 ces nombreuses exigences et aux frais de scolarit\u00e9 \u00e9lev\u00e9s, les jeunes les plus d\u00e9favoris\u00e9es ne peuvent qu\u2019opter pour les \u00e9coles publiques ou subventionn\u00e9es.
Cependant, dans le top 10 des meilleurs \u00e9coles chiliennes, les neuf premi\u00e8res sont priv\u00e9es et se situent \u00e0 Santiago. En plus de facturer des frais de constitution de dossier \u00e9lev\u00e9s, ces \u00e9coles facturent \u00e9galement des frais d’inscription ainsi que des frais de scolarit\u00e9 pouvant aller de 3 000 \u20ac \u00e0 15 850 \u20ac par an, devenant impossible pour un enfant venant d\u2019une famille percevant le salaire minimum d\u2019int\u00e9grer l’une des ces neuf \u00e9coles <\/span>33<\/sup><\/a><\/span><\/span>. <\/strong>De m\u00eame, seulement quatre \u00e9tablissements publics figurent parmi la liste des 100 meilleures \u00e9coles. Cela conditionne non seulement leur apprentissage, mais limite leurs chances de succ\u00e8s au test de s\u00e9lection universitaire (PSU), \u00e0 leur entr\u00e9e \u00e0 l\u2019universit\u00e9 ou pour l\u2019obtention d\u2019une bourse acad\u00e9mique d\u2019excellence. Selon les r\u00e9sultats de l\u2019\u00e9preuve PISA 2015, contrairement aux \u00e9l\u00e8ves des \u00e9coles priv\u00e9s, un pourcentage \u00e9lev\u00e9 d’\u00e9tudiants appartenant au groupe socio\u00e9conomique le plus d\u00e9favoris\u00e9 n’a pas d\u00e9velopp\u00e9 les comp\u00e9tences minimales en math\u00e9matiques, en sciences et en lecture <\/span>34<\/sup><\/a><\/span><\/span>. <\/strong>
L’in\u00e9galit\u00e9 \u00e9conomique exacerbe et, par cons\u00e9quent, conditionne l’in\u00e9galit\u00e9 en mati\u00e8re d’\u00e9ducation. Selon l\u2019OCDE, les niveaux les plus \u00e9lev\u00e9s de s\u00e9gr\u00e9gation sociale (faible degr\u00e9 de diversit\u00e9 sociale dans les \u00e9coles) sont observ\u00e9s au Chili, ainsi qu\u2019en Argentine, en Colombie, au Mexique et au P\u00e9rou. Ainsi faut-il au moins six g\u00e9n\u00e9rations pour qu\u2019un enfant chilien n\u00e9 dans une famille d\u00e9favoris\u00e9e atteigne le revenu moyen <\/span>35<\/sup><\/a><\/span><\/span>.
La s\u00e9gr\u00e9gation est \u00e9galement pr\u00e9sente dans le cas de l’enseignement sup\u00e9rieur, lequel suscite le plus de controverses. Celui-ci est consid\u00e9r\u00e9 comme l’un des plus co\u00fbteux au monde en comparant le salaire minimum du pays avec les co\u00fbts des frais de scolarit\u00e9 : les \u00e9tudiants doivent payer entre 700 \u20ac et 10 400 \u20ac par an <\/span>36<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Le choix d\u2019\u00e9tudier repose donc pour la plupart des Chiliens sur les syst\u00e8mes de cr\u00e9dit disponibles, tel le \u00ab Cr\u00e9dito con Aval del Estado<\/em> \u00bb (CAE) \u2014 Pr\u00eat avec Garantie de l\u2019\u00c9tat \u2014 ou les diff\u00e9rents pr\u00eats \u00e9tudiants propos\u00e9s par les banques conventionnelles, ayant des int\u00e9r\u00eats similaires aux cr\u00e9dits \u00e0 la consommation. La grande majorit\u00e9 des \u00e9tudiants chiliens sont donc endett\u00e9s et, une fois leur dipl\u00f4me obtenu, ils doivent payer leurs \u00e9tudes pendant des ann\u00e9es, voire des d\u00e9cennies <\/span>37<\/sup><\/a><\/span><\/span>.
Accabl\u00e9s par cette situation, les lyc\u00e9ens sont descendus dans la rue en 2006 dans le cadre de la \u00ab R\u00e9volution des Pingouins \u00bb (en raison des uniformes scolaires noir et blanc des \u00e9l\u00e8ves des \u00e9coles publiques), puis en 2011, en revendiquant une meilleure \u00e9ducation publique, la justice sociale, des r\u00e9formes du syst\u00e8me \u00e9ducatif, mais \u00e9galement la gratuit\u00e9 de l\u2019enseignement universitaire. En cons\u00e9quence, le pays a fait un grand pas en avant vers l’\u00e9galit\u00e9 en 2015 lorsque, sous le deuxi\u00e8me gouvernement de Michelle Bachelet, le Congr\u00e8s a approuv\u00e9 la gratuit\u00e9 de l\u2019enseignement pour les plus d\u00e9favoris\u00e9s, laissant ainsi la place \u00e0 un projet qui serait r\u00e9alis\u00e9 en plusieurs \u00e9tapes. Gr\u00e2ce \u00e0 l’approbation de la loi \u00ab Ley Corta<\/em> \u00bb, 27,5 % des \u00e9tudiants universitaires ont pu b\u00e9n\u00e9ficier en 2016 de la gratuit\u00e9 de l\u2019enseignement <\/span>38<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Toutefois l\u2019\u00e9ducation reste encore un bien de consommation au Chili.<\/p>\n\n\n\nChoisir entre le priv\u00e9 ou les longues listes d’attente : un syst\u00e8me de sant\u00e9 en crise<\/h3>\n\n\n\n
Ce syst\u00e8me non seulement g\u00e9n\u00e8re une in\u00e9galit\u00e9 pour ce qui de l’acc\u00e8s \u00e0 une sant\u00e9 de qualit\u00e9, mais aussi une diff\u00e9rence concernant la couverture des maladies. Bien que FONASA garantisse la couverture de certaines pathologies, il en reste encore beaucoup qui ne le sont pas, laissant la population d\u00e9munie dans un pays o\u00f9 74 % des adultes souffrent de surpoids ou d’ob\u00e9sit\u00e9, et donc de maladies chroniques telles que l\u2019hypertension ou le diab\u00e8te <\/span>41<\/sup><\/a><\/span><\/span>.
Pour leur part, les ISAPRE \u2014 en plus de g\u00e9n\u00e9rer des profits pour leurs propri\u00e9taires et donc de b\u00e9n\u00e9ficier du droit \u00e0 la sant\u00e9 \u2014 \u00e9tablissent certaines conditions pour fixer le prix mensuel \u00e0 payer pour l\u2019abonnement sant\u00e9 choisi. Une femme jeune en \u00e2ge de procr\u00e9er paye par exemple plus qu’une femme qui ne l’est pas ou un homme du m\u00eame \u00e2ge. Cependant, le niveau de couverture des soins de sant\u00e9 n\u2019atteint pas 100 %, obligeant les Chiliens \u00e0 payer un pourcentage \u00e0 chaque fois.
D\u2019apr\u00e8s l’OCDE, alors que les d\u00e9penses sociales moyennes des pays appartenant au groupe repr\u00e9sentent 20 % du PIB, le Chili est l’un des trois pays qui investit le moins (10,9 %), un pourcentage qui est rest\u00e9 relativement stable depuis 1990. Parmi ce pourcentage, seuls 4,2 % sont destin\u00e9s au secteur de la sant\u00e9 <\/span>