{"id":51282,"date":"2019-11-01T18:44:59","date_gmt":"2019-11-01T17:44:59","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=51282"},"modified":"2021-03-17T17:21:52","modified_gmt":"2021-03-17T16:21:52","slug":"il-faut-faire-face-et-prendre-le-temps-une-conversation-avec-boris-lojkine","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2019\/11\/01\/il-faut-faire-face-et-prendre-le-temps-une-conversation-avec-boris-lojkine\/","title":{"rendered":"\u00ab Il faut faire face et prendre le temps \u00bb, une conversation avec Boris Lojkine"},"content":{"rendered":"\n
Camille est une journaliste, son quotidien consiste \u00e0 s\u2019occuper de ce qui se passe et donc, in\u00e9vitablement, s\u2019int\u00e9resser \u00e0 elle nous enjoint \u00e0 nous int\u00e9resser aux \u00e9v\u00e9nements. Vous ne pouvez pas vous int\u00e9resser \u00e0 elle sans vous int\u00e9resser \u00e0 ce qui se passe autour.<\/p>\n\n\n\n
En outre, au moment de l\u2019\u00e9criture, il me semblait tr\u00e8s important que la Centrafrique existe r\u00e9ellement dans le film, ce qui n\u2019est pas forc\u00e9ment le cas dans les films centr\u00e9s sur un personnage europ\u00e9en en Afrique, o\u00f9 l\u2019Afrique n\u2019est souvent qu\u2019un d\u00e9cor d\u2019arri\u00e8re-fond. Pour faire exister la Centrafrique, il fallait faire exister les Centrafricains, et pour cela cr\u00e9er des personnages de Centrafricains et leur donner une vraie importance dans l\u2019histoire. Ce n\u2019\u00e9tait pas \u00e9vident \u00e0 partir de la mati\u00e8re documentaire que j\u2019avais sur la vie de Camille. En effet, les journalistes passent souvent d\u2019une rencontre \u00e0 une autre. M\u00eame Camille, qui souhaitait vivre dans le pays, reste malgr\u00e9 tout une journaliste, c\u2019est-\u00e0-dire quelqu\u2019un qui passe et qui regarde des choses.<\/p>\n\n\n\n
C\u2019est l\u00e0 que j\u2019ai d\u00fb faire un travail de fiction. J\u2019ai cr\u00e9\u00e9 ces personnages d\u2019\u00e9tudiants centrafricains et leur ai donn\u00e9 une importance cruciale dans la trajectoire de Camille. Tous les personnages secondaires du film, que ce soit les photographes ou les Centrafricains sont des personnages fictifs, aucun n\u2019est le d\u00e9calque d\u2019un personnage r\u00e9el, m\u00eame s\u2019ils empruntent \u00e0 bien des \u00e9gards \u00e0 des personnages qui ont exist\u00e9 et qui ont crois\u00e9 le chemin de Camille.<\/p>\n\n\n\n
Camille Lepage a vraiment rencontr\u00e9 des \u00e9tudiants, elle a vraiment rencontr\u00e9 par exemple un jeune \u00e9tudiant qui avait \u00e9crit un rap sur la S\u00e9l\u00e9ka, que j\u2019ai r\u00e9utilis\u00e9 dans le film. Mais cet \u00e9tudiant n\u2019est jamais devenu Anti-balaka comme Cyril dans le film. Le groupe d\u2019\u00e9tudiants rencontr\u00e9 par Camille au d\u00e9but du film nous permet d\u2019incarner ce qu\u2019on appelle en Centrafrique les \u201c\u00e9v\u00e9nements<\/em>\u201d. Le musulman va partir en exil, la fille de double-culture se fait assassiner et ce gar\u00e7on, Cyril, devient anti-balakas ; tout cela rel\u00e8ve de l\u2019\u00e9criture de fiction. Cyril n\u2019est ni le jeune \u00e9tudiant vraiment rencontr\u00e9 par la vraie Camille, ni Fiacre Bindala qui joue son r\u00f4le (dans la vraie vie, Fiacre n\u2019a aucune sympathie pour les Anti-balaka). C\u2019est un personnage dont la trajectoire a \u00e9t\u00e9 \u00e9crite pour les besoins de dramaturgie du film.<\/p>\n\n\n\n Il est vrai qu\u2019ils ont dans le sc\u00e9nario un c\u00f4t\u00e9 arch\u00e9typique, mais le travail effectu\u00e9 au tournage permet de les incarner de mani\u00e8re plus singuli\u00e8re. J\u2019ai fait un casting de non-professionnels qui sont arriv\u00e9s au tournage porteurs d\u2019une \u00e9paisseur de r\u00e9el. Par exemple Abdouraouf, qui joue le r\u00f4le d\u2019Abdou, le jeune musulman, arrive avec son corps, son visage, sa mani\u00e8re de parler un peu diff\u00e9rente des autres, sa mani\u00e8re de se tenir, elle aussi diff\u00e9rente des autres. Pour toutes les sc\u00e8nes que je fais avec ces personnages, les dialogues \u00e9taient \u00e9crits mais ce ne sont pas ceux-l\u00e0 que l\u2019on retrouve dans le film. Tout se rejoue au tournage, en essayant d\u2019attraper ce que ces acteurs peuvent apporter. Au cin\u00e9ma, les corps eux-m\u00eames apportent quelque chose.<\/p>\n\n\n\n Oui, Cyril est celui qui a le plus d\u2019\u00e9paisseur, parce qu\u2019il a une trajectoire, il \u00e9volue, et son \u00e9volution nous pose plein de questions.<\/p>\n\n\n\n Cyril porte \u00e0 la fois l\u2019Histoire avec un grand H, le basculement de la soci\u00e9t\u00e9 centrafricaine dans la violence, et l\u2019histoire avec un petit h parce que c\u2019est l\u2019\u00e9volution de sa relation avec Camille qui montre le mieux ce que le pays peut vous renvoyer quand vous \u00eates un Europ\u00e9en, blanc, et qui plus est journaliste.<\/p>\n\n\n\n L\u2019int\u00e9r\u00eat et en m\u00eame temps la difficult\u00e9 de repr\u00e9senter un personnage comme Cyril \u00e9tait de repr\u00e9senter l\u2019irruption de la violence.<\/p>\n\n\n\n J\u2019ai beaucoup lu, je me suis beaucoup document\u00e9, mais le cin\u00e9ma n\u2019est pas un travail qui se fait comme \u00e7a. Je pense qu\u2019il est rare de trouver des cin\u00e9astes qui travaillent avec de la litt\u00e9rature abstraite pour les orienter dans leur travail. En r\u00e9alit\u00e9, on travaille de mani\u00e8re beaucoup plus concr\u00e8te. <\/p>\n\n\n\n Pour diriger Fiacre qui joue Cyril, l\u2019enjeu \u00e9tait de lui faire sortir de la col\u00e8re. D\u00e9j\u00e0 au casting il fallait trouver quelqu\u2019un chez qui on sentait cette possibilit\u00e9, m\u00eame si Fiacre Bindala n\u2019est pas un jeune homme violent et n\u2019a rien \u00e0 voir avec les Anti-balaka, qu\u2019il n\u2019a jamais fait partie d\u2019aucun groupe arm\u00e9 ni eu l\u2019envie de le faire — mais malgr\u00e9 tout j\u2019ai senti qu\u2019il portait en lui cette possibilit\u00e9 de col\u00e8re, avec laquelle on pourrait fabriquer son personnage de cin\u00e9ma.<\/p>\n\n\n\n Il est assez \u00e9tonnant de voir que beaucoup de choses dans le film sont sorties avec une facilit\u00e9 d\u00e9concertante. Chez beaucoup de gens en Centrafrique, y compris ceux qui n\u2019ont pas particip\u00e9 \u00e0 la guerre, qui n\u2019ont pas \u00e9t\u00e9 li\u00e9s \u00e0 des atrocit\u00e9s, la col\u00e8re n\u2019est jamais tr\u00e8s loin, on peut la faire sortir facilement. L\u2019explosion de col\u00e8re semble toujours tr\u00e8s proche. <\/p>\n\n\n\n \u00ab L\u2019explosion de col\u00e8re semble toujours tr\u00e8s proche. \u00bb<\/p>boris lojkine<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Camille ne tenait pas de journal. Dans ses carnets elle ne notait que des choses tr\u00e8s factuelles, des noms, des num\u00e9ros de t\u00e9l\u00e9phone, ou des indications pour \u00e9crire les l\u00e9gendes de ses photos. Donc ma source, ce sont tous les gens qui l\u2019ont connue et qui m\u2019ont chacun trac\u00e9 d\u2019elle un portrait, le portrait de leur Camille. Ceux qui l\u2019ont connue \u00e0 Angers, au Sud-Soudan ou en Centrafrique n\u2019en ont pas la m\u00eame image. Entre ses copines et ses coll\u00e8gues le regard diff\u00e8re \u00e9galement. A partir de tous ces regards crois\u00e9s, j\u2019ai fabriqu\u00e9 ma Camille, celle que je pouvais l\u2019imaginer et sur laquelle je pouvais me projeter. <\/p>\n\n\n\n Oui, bien s\u00fbr, mais il ne faut pas s\u2019en tenir l\u00e0. La question qui est au c\u0153ur du film est de savoir quel sens a cet id\u00e9alisme. S\u2019agit-il d\u2019une na\u00efvet\u00e9 de jeunesse ou est-ce la plus belle chose que l\u2019on puisse conserver ? <\/p>\n\n\n\n Le portrait que je fais des journalistes en face d\u2019elle, plus exp\u00e9riment\u00e9s, plus assis dans leur profession, n\u2019est pas un portrait tr\u00e8s flatteur. J\u2019ai clairement plus de sympathie pour Camille et sa na\u00efvet\u00e9 que pour les photographes de guerre qui ont appris \u00e0 s\u2019endurcir. Je pense souvent \u00e0 cette phrase de Schelling qui dit qu\u2019il n\u2019y a rien de pire que de perdre ses illusions de jeunesse.<\/p>\n\n\n\n Comment Camille aurait vieilli ? Serait-elle devenue cynique et am\u00e8re elle aussi ? Ou aurait-elle conserv\u00e9 cet id\u00e9alisme ? Je me le suis souvent demand\u00e9, mais c\u2019est une question sans r\u00e9ponse bien s\u00fbr…<\/p>\n\n\n\n Je construis la dramaturgie autour de cette question car c\u2019est un choix entre deux mani\u00e8res compl\u00e8tement diff\u00e9rentes de faire de la photographie. Dans l\u2019une, vous \u00eates d\u00e9pendant de la commande journalistique qui varie lorsque l\u2019attention internationale passe d\u2019un terrain de guerre \u00e0 un autre. Un jour c\u2019est la Centrafrique, mais \u00e7a ne dure jamais plus d\u2019un mois ou deux, puis c\u2019est l\u2019Ukraine, puis la Syrie, puis la Birmanie, etc. Dans ce premier cas, vous arrivez sur ces terrains de guerre, pour reprendre les mots de Cyril, vous prenez quelque chose, puis vous partez.<\/p>\n\n\n\n L\u2019autre mani\u00e8re de faire \u2013 et beaucoup de photographes travaillent comme cela \u2013 est la photographie documentaire. Dans ce cas, vous travaillez au long cours sur un terrain d\u2019adoption qui est vraiment le v\u00f4tre. Pour y travailler, vous devez jongler entre plusieurs types de commandes et financements. Une unique commande de presse ne vous permettra jamais de rester un an en Centrafrique, donc vous jonglez entre une commande de presse, un travail pour une ONG, de l\u2019institutionnel… Vous pouvez gagner une bourse d\u2019un prix de photo, mais seulement si vous \u00eates d\u00e9j\u00e0 au sommet de la profession. Aujourd\u2019hui, vous pouvez par exemple gagner le prix Camille Lepage de 6 000\u20ac qui vous permet de poursuivre un projet photo au long cours dans un pays compliqu\u00e9.<\/p>\n\n\n\n \u00ab L\u2019attention internationale passe d\u2019un terrain de guerre \u00e0 un autre. Un jour c\u2019est la Centrafrique, mais \u00e7a ne dure jamais plus d\u2019un mois ou deux, puis c\u2019est l\u2019Ukraine, puis la Syrie, puis la Birmanie, etc.\u2026 \u00bb<\/p>boris lojkine<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Je pense que tous les grands photographes sont un peu en porte-\u00e0-faux avec la commande de presse. Ils en ont besoin pour vivre et aussi pour montrer leurs photos, mais ceux qui font vraiment une \u0153uvre documentaire doivent suivre leur propre cap, et j\u2019ai l\u2019impression que c\u2019est ce vers quoi Camille tendait. A un moment donn\u00e9, en Centrafrique, son chemin a crois\u00e9 l\u2019attention de la communaut\u00e9 internationale donc elle a eu la possibilit\u00e9, d\u2019un coup, de pouvoir vendre ses photos \u00e0 la presse et d\u2019illustrer l\u2019actualit\u00e9 jour apr\u00e8s jour, semaine apr\u00e8s semaine – mais au fond, ce n\u2019\u00e9tait pas son chemin. <\/p>\n\n\n\n Elle n\u2019en a pas eu le temps. J\u2019ai l\u2019impression qu\u2019elle \u00e9tait plus avanc\u00e9e humainement que stylistiquement. Elle savait, humainement, o\u00f9 elle voulait aller, ce en quoi elle croyait, ce qu\u2019elle ne voulait pas. Elle savait donner un sens tr\u00e8s singulier \u00e0 son m\u00e9tier. Mais stylistiquement elle se cherchait encore.Moi qui ai pass\u00e9 beaucoup de temps \u00e0 \u00e9plucher toutes les photos qu\u2019elle a prises sur ses disques durs, je pense savoir assez bien vers quoi s\u2019orientait son style. Je pense que je le sais presque mieux qu\u2019elle, car j\u2019ai eu plus de temps qu\u2019elle pour r\u00e9fl\u00e9chir. Camille \u00e9tait occup\u00e9e \u00e0 faire ses photos, elle \u00e9tait toujours dans l\u2019action. En plus, les jeunes photographes sont souvent assez nuls en editing<\/em>, c\u2019est-\u00e0-dire pour choisir, dans la masse de leurs photos, les quelques unes qui permettent de raconter une histoire, d\u2019affirmer un regard. Camille, comme les autres, \u00e9tait perdue face \u00e0 cette t\u00e2che, elle avait du mal \u00e0 reconna\u00eetre ce qui \u00e9tait en train de devenir son style propre. <\/p>\n\n\n\n Une des sc\u00e8nes les plus violentes est celle o\u00f9 Camille photographie un lynchage. Les journalistes qui \u00e9taient \u00e0 Bangui en d\u00e9cembre 2013 m\u2019ont racont\u00e9 ces sc\u00e8nes de lynchage terribles. Tout est brouill\u00e9 parce que ce n\u2019est pas un groupe arm\u00e9 qui est en train de commettre une atrocit\u00e9 mais la population elle-m\u00eame. A un moment donn\u00e9, vous avez l\u2019impression que la population est devenue folle. Des gens sont tu\u00e9s comme boucs \u00e9missaires dans une irruption de violence collective.<\/p>\n\n\n\n Cette sc\u00e8ne a sur le public un effet tr\u00e8s fort. J\u2019ai vu beaucoup de gens se cacher les yeux au moment o\u00f9 l\u2019homme l\u00e8ve son parpaing. Je sais que cette sc\u00e8ne peut \u00eatre assez traumatisante et pourtant nous ne voyons pas le plus horrible. Les images les plus dures du film, par exemple les photos dans la morgue, ne sont pas celles que nous avons film\u00e9es nous-m\u00eames, ce sont des images d\u2019archives ou des photos de Camille. Mais dans ces deux cas aussi, nous n\u2019avons pas montr\u00e9 les plus dures.<\/p>\n\n\n\n La sc\u00e8ne de lynchage me semblait n\u00e9cessaire pour amener la sc\u00e8ne suivante, \u00e0 savoir la discussion des photographes sur ce qu\u2019il est l\u00e9gitime de prendre en photo, ce qu\u2019il est l\u00e9gitime de publier ensuite. Or cette discussion est la v\u00e9ritable bascule du film. Camille expliquait depuis le d\u00e9but que le photojournalisme \u00e9tait le plus beau m\u00e9tier du monde, le plus noble, elle trouvait dans ce m\u00e9tier une mission presque religieuse. Et \u00e0 un moment donn\u00e9, m\u00eame si elle ne dit rien dans la sc\u00e8ne, elle en vient \u00e0 se demander si ce qu\u2019elle fait n\u2019est pas juste quelque chose de d\u00e9gueulasse. J\u2019avais besoin que le spectateur voie cette tr\u00e8s grande violence pour qu\u2019il ne suive pas cette discussion de l\u2019ext\u00e9rieur, mais qu\u2019il la vive \u00e0 la lumi\u00e8re de ce qu\u2019il vient de ressentir dans la sc\u00e8ne de lynchage. <\/p>\n\n\n\n Non, je ne tranche aucune de ces questions. Tous les arguments propos\u00e9s dans cette sc\u00e8ne de discussion sont audibles pour moi, y compris celui qui dit qu\u2019il faut envoyer ces photos parce qu\u2019elles repr\u00e9sentent ce qu\u2019il se passe vraiment. A l\u2019origine, la sc\u00e8ne continuait \u2013 on a coup\u00e9 au montage. Un journaliste demandait : \u00ab Quelles sont les photos que tu retiens du Vietnam ? \u00bb, et il citait trois photos : l\u2019homme qui se fait ex\u00e9cuter dans la rue par la police de Sa\u00efgon, o\u00f9 vous voyez la cervelle qui explose ; les bonzes qui s\u2019immolent par le feu ; et la petite fille vietnamienne br\u00fbl\u00e9e qui court nue sur la route. Ce sont trois photos abominables, mais ce sont elles qu\u2019on retient.<\/p>\n\n\n\n L\u2019argument oppos\u00e9 reproche \u00e0 ce genre de photos de ne rien raconter d\u2019autre que la sauvagerie africaine, l\u2019\u00e9ternel vieux clich\u00e9 du C\u0153ur des t\u00e9n\u00e8bres<\/em> que nous projetons toujours sur l\u2019Afrique, et notamment l\u2019Afrique centrale. Cet argument est tout aussi audible. Mon but n\u2019est pas de trancher.<\/p>\n\n\n\n Dans le film, Camille est confront\u00e9e \u00e0 ces questions, elle n\u2019a pas de r\u00e9ponses non plus. La r\u00e9ponse personnelle, non d\u00e9finitive, qu\u2019elle propose dans la derni\u00e8re partie du film, c\u2019est son choix d\u2019accompagner les Anti-balaka. Elle se dit qu\u2019il faut aller avec ces gens qui sont repr\u00e9sent\u00e9s comme des sauvages pour arriver \u00e0 les regarder autrement. <\/p>\n\n\n\n Les dilemmes expos\u00e9s dans le film viennent des discussions entre journalistes et photographes qui \u00e9taient sur place en 2013 et qu\u2019ils m\u2019ont racont\u00e9es. Ils \u00e9taient boulevers\u00e9s, ils discutaient toute la nuit en se demandant s\u2019ils devaient envoyer les photos \u00e0 Paris, mais aussi quel \u00e9tait le sens de leur m\u00e9tier, ce qu\u2019ils faisaient l\u00e0.<\/p>\n\n\n\n Je trouve cela beau de laisser ces questionnements sans y donner de r\u00e9ponses. Personnellement, j\u2019ai beaucoup d\u2019int\u00e9r\u00eat et d\u2019admiration pour la photographie de guerre, m\u00eame si elle pose des questions lourdes. Je pense que la bonne r\u00e9ponse est la photographie documentaire, pour arriver \u00e0 nouer un rapport diff\u00e9rent avec les gens. <\/p>\n\n\n\n Les autorit\u00e9s \u00e9taient tr\u00e8s contentes de ce film. Vraiment. Nous sommes dans un pays o\u00f9 les autorit\u00e9s peuvent \u00eatre tr\u00e8s emb\u00eatantes mais elles ne sont pas dans une logique de contr\u00f4le id\u00e9ologique. Qui l\u2019exercerait ? Il n\u2019y a m\u00eame pas les fonctionnaires pour. Nous ne sommes pas dans un pays socialiste d\u2019avant la chute du mur. La RCA est un pays \u00e0 \u00c9tat faible.<\/p>\n\n\n\n \u00ab La R\u00e9publique Centrafricaine est un pays \u00e0 \u00c9tat faible \u00bb<\/p>boris lojkine<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Les autorit\u00e9s \u00e9taient tr\u00e8s satisfaites du travail de formation que fait l\u00e0-bas durant les deux ann\u00e9es qui ont pr\u00e9c\u00e9d\u00e9 le film. J\u2019ai commenc\u00e9 \u00e0 monter des ateliers de formation au film documentaire et je me suis engag\u00e9 dans un processus \u00e0 assez long terme, qui continue encore aujourd\u2019hui, pour d\u00e9velopper un cin\u00e9ma centrafricain. Lorsque je suis arriv\u00e9 au moment de faire le film, je suis all\u00e9 le voir le Pr\u00e9sident de la R\u00e9publique \u2013 autant s\u2019adresser \u00e0 la personne la plus haut plac\u00e9e possible. Je lui ai dit que nous avions d\u00e9j\u00e0 produit dix films documentaires, en lui mettant un DVD entre les mains ; que je faisais des films en Afrique, en lui mettant un autre DVD entre les mains \u2013 celui de mon film pr\u00e9c\u00e9dent qui racontait l\u2019histoire de deux migrants africains ; et que je voulais r\u00e9aliser ce film sur Camille Lepage qui, comme il le savait, aimait beaucoup son pays. Et je lui ai pr\u00e9sent\u00e9 une sorte de dossier de communication qui mettait en avant la coop\u00e9ration franco-centrafricaine dans ce projet.<\/p>\n\n\n\n Mes \u00e9tudiants, les jeunes r\u00e9alisateurs avec qui je travaillais, ont tous int\u00e9gr\u00e9 mes \u00e9quipes \u2013 cela fait partie de la poursuite de leur chemin de cin\u00e9ma. J\u2019avais donc une \u00e9quipe tr\u00e8s franco-centrafricaine. Par ailleurs, c\u2019\u00e9tait un tr\u00e8s bon signal envoy\u00e9 \u00e0 la communaut\u00e9 internationale que de montrer que dans ce pays, pourtant encore largement zone de guerre, il \u00e9tait possible de faire un film. Les autorit\u00e9s \u00e9taient donc tr\u00e8s partantes. Gr\u00e2ce \u00e0 quoi le tournage a \u00e9t\u00e9 s\u00e9curis\u00e9 par la police et la gendarmerie centrafricaines, ce qui \u00e9tait tout \u00e0 fait n\u00e9cessaire parce que nous avons bloqu\u00e9 des avenues, des carrefours…<\/p>\n\n\n\n Non, pas du tout, et c\u2019est bien dommage. Pour la premi\u00e8re sc\u00e8ne du film, nous avions besoin d\u2019un blind\u00e9 l\u00e9ger et nous avons alors discut\u00e9 avec l\u2019arm\u00e9e fran\u00e7aise pendant six mois avant le tournage. Encore la semaine avant le d\u00e9but du tournage, nous avions l\u2019espoir d\u2019avoir notre blind\u00e9 fran\u00e7ais mais il s\u2019est r\u00e9v\u00e9l\u00e9 que l\u2019arm\u00e9e fran\u00e7aise ne voulait absolument pas nous le donner. Ils avaient peur, s\u2019ils faisaient sortir un blind\u00e9 fran\u00e7ais de la base de Mpoko, que des gens prennent des photos et fassent courir des fake news <\/em>disant que l\u2019arm\u00e9e fran\u00e7aise \u00e9tait de retour, en \u00e9voquant l\u2019imp\u00e9rialisme, le colonialisme. C\u2019\u00e9tait une p\u00e9riode de forte influence russe, qui finan\u00e7ait notamment des m\u00e9dias centrafricains pour qu\u2019ils produisent ce genre de fake news<\/em> contre la France, car il y a une sorte de rivalit\u00e9 strat\u00e9gique franco-russe en Centrafrique.<\/p>\n\n\n\n L\u2019arm\u00e9e fran\u00e7aise a donc pr\u00e9f\u00e9r\u00e9 se faire tr\u00e8s discr\u00e8te et ne nous a pas aid\u00e9s. Nous avons donc tourn\u00e9 avec un blind\u00e9 des Nations Unies. Comme les blind\u00e9s des Nations Unies sont tout blancs avec l\u2019inscription \u201cUN\u201d, nous n\u2019avons tourn\u00e9 que de l\u2019int\u00e9rieur du blind\u00e9.<\/p>\n\n\n\n A la fin du conflit, lorsque les patrouilles fran\u00e7aises traversaient les villages, les gens leur criaient \u201cvoleurs de diamants ! voleurs de diamants !\u201d. Cela n\u2019a pas vraiment de base r\u00e9elle. Je ne dis pas qu\u2019il n\u2019y a pas deux ou trois soldats fran\u00e7ais qui ont achet\u00e9 des diamants en se disant qu\u2019ils allaient faire une bonne affaire, mais ce n\u2019est \u00e9videmment pas ce qui a motiv\u00e9 l\u2019intervention. Mais ce genre de rumeurs se r\u00e9pand vite en Centrafrique. L\u2019arm\u00e9e fran\u00e7aise est devenue tr\u00e8s vite impopulaire mais je ne saurais dire pourquoi. Elle intervenait de mani\u00e8re relativement d\u00e9sint\u00e9ress\u00e9e, dans un but humanitaire – il n\u2019y pas d\u2019int\u00e9r\u00eats \u00e9conomiques importants en Centrafrique. <\/p>\n\n\n\n Tout s\u2019est tr\u00e8s bien pass\u00e9 avec les Centrafricains. Cela peut faire peur, c\u2019est vrai, de reconstituer des sc\u00e8nes violentes, de guerre, dans cette ville qui est encore sous tension. Six mois avant le tournage, dans l\u2019\u00e9glise de Fatima, un quartier qui est \u00e0 la fronti\u00e8re entre des quartiers chr\u00e9tiens et le dernier quartier musulman, il y a encore eu des affrontements qui ont fait vingt morts. Suite \u00e0 cela, on a pens\u00e9 que la ville allait s\u2019embraser, comme en 2013, pendant deux semaines les gens ne sortaient plus de chez eux, des checkpoints s\u2019\u00e9tablissaient partout. M\u00eame lorsque Bangui est calme et qu\u2019on peut circuler, il y a toujours cette crainte que tout puisse de nouveau partir en explosion violente.<\/p>\n\n\n\n Donc, vu de loin, cela peut sembler fou de vouloir tourner un film l\u00e0-bas. En fait il faut juste beaucoup de pr\u00e9paration, avec les autorit\u00e9s et avec la population. Il est important que la foule qui peut se rassembler lors du tournage, parfois en nombre, sache que le projet a eu l\u2019aval des autorit\u00e9s, que ce n\u2019est pas une bande de Blancs qui vient faire n\u2019importe quoi dans leur pays. Il est important de travailler dans chaque quartier avec les personnes influentes pour leur expliquer le projet.<\/p>\n\n\n\n Un point important \u00e9tait la composition tr\u00e8s centrafricaine de l\u2019\u00e9quipe. Les Centrafricains \u00e9taient tr\u00e8s impliqu\u00e9s dans le dispositif technique — ce n\u2019\u00e9tait pas seulement les acteurs. De ce fait, nous \u00e9tions tr\u00e8s bien per\u00e7us par les badauds. Et il pouvait y en avoir beaucoup ! Par exemple, pour la sc\u00e8ne o\u00f9 les motos tournent en cercle dans la nuit avant de partir, on tournait sur un terrain de foot \u00e0 la tomb\u00e9e du jour, et tr\u00e8s vite les gens ont commenc\u00e9 \u00e0 s\u2019assembler pour voir ce que nous \u00e9tions en train de faire. Au moment o\u00f9 nous \u00e9tions pr\u00eats \u00e0 tourner, il y avait trois mille personnes autour de nous je pense, qui venaient au spectacle. L\u2019ambiance \u00e9tait tr\u00e8s bon enfant. <\/p>\n\n\n\n \u00ab Il y avait quelque chose de tr\u00e8s joyeux dans le tournage et dans la collaboration avec les Centrafricains. \u00bb<\/p>boris lojkine<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n M\u00eame si cela peut \u00eatre difficile de l\u2019imaginer en regardant le film qui est tr\u00e8s dramatique, il y avait quelque chose de tr\u00e8s joyeux dans le tournage et dans la collaboration avec les Centrafricains.<\/p>\n\n\n\n Oui, nous avons fait plusieurs projections en septembre l\u00e0-bas quand je suis all\u00e9 \u00e0 Bangui pour montrer le film, et par ailleurs j\u2019ai aussi eu des retours ici de gens de la diaspora. Forc\u00e9ment ils ont une perception du film compl\u00e8tement d\u00e9cal\u00e9e par rapport \u00e0 la n\u00f4tre. Les sc\u00e8nes en France les int\u00e9ressent peu, le destin de Camille les int\u00e9resse \u00e0 moiti\u00e9. Ce que je peux comprendre : quand on a vu mourir tant de monde dans des \u00e9v\u00e9nements dramatiques, une blanche qui se fait tuer en plus ne change pas grand chose.<\/p>\n\n\n\n Cela n\u2019implique aucune antipathie, Camille est tr\u00e8s populaire en Centrafrique. Il y a m\u00eame la l\u00e9gende \u2013 totalement infond\u00e9e, je le dis apr\u00e8s avoir men\u00e9 mon enqu\u00eate \u2013 selon laquelle elle aurait \u00e9t\u00e9 tu\u00e9e par l\u2019arm\u00e9e fran\u00e7aise, ce qu\u2019on peut voir comme une preuve de sympathie des Centrafricains pour elle.<\/p>\n\n\n\n La reconstitution de la crise centrafricaine les a plus qu\u2019int\u00e9ress\u00e9s, \u00e7a les a scotch\u00e9s. C\u2019est aussi parce qu\u2019ils ont peu l\u2019habitude du cin\u00e9ma, il n\u2019y a plus de cin\u00e9ma \u00e0 Bangui au moins depuis la crise, au moins depuis cinq ans, dix ans. Avoir la t\u00e9l\u00e9vision reste encore marginal. La projection a donc eu un effet tr\u00e8s fort. Dans les sc\u00e8nes qui reconstituent les \u00e9v\u00e9nements de Bangui de d\u00e9cembre 2013, vous pouviez sentir une grande \u00e9motion dans le public. C\u2019\u00e9tait tr\u00e8s bouleversant pour les gens de voir racont\u00e9e cette part de leur histoire. <\/p>\n\n\n\n Si, cela m\u2019a \u00e9t\u00e9 reproch\u00e9 ici par quelqu\u2019un de la diaspora. On m\u2019a demand\u00e9 pourquoi le film parlait autant des Anti-balaka et aussi peu des S\u00e9l\u00e9ka, pourquoi on voyait aussi peu les S\u00e9l\u00e9ka. J\u2019ai r\u00e9pondu que j\u2019y \u00e9tais contraint par la biographie de Camille : elle est morte en voyageant avec les Anti-balaka. Et \u00e0 partir du moment o\u00f9 elle est morte avec les Anti-balaka, c\u2019\u00e9tait une contrainte de base pour le sc\u00e9nario, il fallait raconter comment sa trajectoire personnelle allait vers les Anti-balaka. Mais il est vrai que si vous regardez le film sans vous concentrer sur l\u2019histoire de Camille, en prenant le point de vue centrafricain, vous pouvez vous demander pourquoi c\u2019est ainsi.<\/p>\n\n\n\n Cela ne fait pas sp\u00e9cialement r\u00e9f\u00e9rence \u00e0 mon exp\u00e9rience de tournage qui a \u00e9t\u00e9 assez heureuse, assez simple. En revanche, cela fait beaucoup \u00e9cho \u00e0 mon exp\u00e9rience personnelle de voyageur en Afrique. J\u2019ai pass\u00e9 beaucoup de temps \u00e0 faire des rep\u00e9rages en Afrique, au Congo Kinshasa ou en Centrafrique, et c\u2019est des choses qu\u2019on vous envoie quotidiennement \u00e0 la figure. En tant que blanc, vous \u00eates jug\u00e9 responsable de la situation tragique dans laquelle ils sont et on vous demande de faire quelque chose pour r\u00e9parer. C\u2019est assez perturbant. Vous, vous ne vous percevez pas comme \u00e7a, au d\u00e9but vous avez envie de vous d\u00e9fendre, de dire que vous n\u2019avez rien \u00e0 voir avec la colonisation, que ce n\u2019est pas votre g\u00e9n\u00e9ration, pas votre famille, que ce n\u2019est pas votre orientation politique. Mais finalement vous apprenez \u00e0 vous dire que, oui effectivement, vous \u00eates blanc, et que d\u00e8s lors, vous \u00eates un h\u00e9ritier de la colonisation, vous portez cette histoire. Il faut assumer et faire avec.<\/p>\n\n\n\n Cela demande au moins de prendre le temps de parler aux gens. Il faut faire face et prendre le temps. On le voit dans le film, Camille doit toujours faire face \u00e0 ses interlocuteurs. Je pense que tous les gens qui ont un peu l\u2019exp\u00e9rience de l\u2019Afrique le savent, et surtout les journalistes qui se baladent vraiment en terrain d\u00e9couvert c\u2019est-\u00e0-dire sans structure, sans protection, ils ne sont pas \u00e0 l\u2019abri de l\u2019enceinte d\u2019un bureau. Un journaliste m\u2019avait dit : le seul Blanc qui marche \u00e0 pied en Afrique, c\u2019est le journaliste – ou celui comme moi qui fait des rep\u00e9rages.<\/p>\n\n\n\n Vous \u00eates constamment oblig\u00e9 de vous justifier sur qui vous \u00eates, sur ce que vous faites l\u00e0. Se justifier de l\u2019h\u00e9ritage colonial mais aussi dire ce que vous, le Blanc, vous \u00eates venu faire jusque l\u00e0. Cela m\u2019est arriv\u00e9 dans des villages au Congo, qui n\u2019avaient pas vu un Blanc depuis les ann\u00e9es 1970. Quand ils en voient arriver un, ils se demandent ce que vous venez faire pour eux. Ce qui est terrible, c\u2019est que moi je ne repr\u00e9sente pas une ONG, donc je ne viens rien faire pour eux. Mais il faut quand m\u00eame trouver une justification, expliquer que vous venez faire un film, comme Camille a d\u00fb expliquer qu\u2019elle venait faire des photos, qu\u2019elle n\u2019allait pas leur donner de l\u2019argent mais peut-\u00eatre amener l\u2019attention internationale sur ce qui se passait dans cet endroit et que donc, au final, c\u2019\u00e9tait quand m\u00eame quelque chose pour eux.<\/p>\n\n\n\n \u00ab Rester dans son coin sera pris pour du m\u00e9pris. Vous devez r\u00e9pondre de qui vous \u00eates. \u00bb<\/p>boris lojkine<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Nous ne sommes pas habitu\u00e9s, dans la mani\u00e8re dont nous sommes \u00e9duqu\u00e9s, \u00e0 faire face ainsi, et \u00e0 affirmer haut et fort qui nous sommes et ce que nous faisons l\u00e0. Nous sommes plut\u00f4t \u00e9lev\u00e9s \u00e0 \u00eatre polis, discrets, silencieux. Mais \u00e7a ne marche pas en Afrique. Rester dans son coin sera pris pour du m\u00e9pris. Vous devez r\u00e9pondre de qui vous \u00eates.<\/p>\n\n\n\n Oui, cela donne cette sc\u00e8ne avec Cyril sur la colonisation mais aussi la sc\u00e8ne au d\u00e9but du film face aux \u00e9tudiants qui demandent \u00e0 Camille ce qu\u2019ils y gagnent : elle va faire des photos, gagner de l\u2019argent sur leur dos mais eux, qu\u2019y gagnent-ils ? C\u2019est une question qui \u00e9nerve profond\u00e9ment les photographes et qui m\u2019\u00e9nervait aussi quand je faisais des documentaires. J\u2019ai vu les Africains la poser \u00e0 tous les journalistes qu\u2019ils voyaient, et m\u00eame aux humanitaires. D\u00e8s qu\u2019ils voient un humanitaire, ils se disent qu\u2019il vient pour les exploiter, parce que lui a un salaire. Certes il va donner des choses, mais ne pourrait-il pas leur donner de l\u2019argent plut\u00f4t ?<\/p>\n\n\n\n Le journaliste ou l\u2019humanitaire, notamment quand il est jeune et n\u2019a pas l\u2019habitude, trouve \u00e7a choquant que la puret\u00e9 de son intention soit mise en doute. Mais si vous regardez la situation du point de vue des Africains qui sont en face, il est vrai que l\u2019humanitaire, en un sens, vit de leur mis\u00e8re puisqu\u2019il touche un salaire pour venir les aider.<\/p>\n\n\n\n Cela m\u2019avait vraiment frapp\u00e9 quand j\u2019avais fait ma premi\u00e8re fiction, Hope<\/em>. J\u2019avais fait beaucoup de castings sauvages, j\u2019\u00e9tais all\u00e9 dans beaucoup d\u2019endroits o\u00f9 habitaient les migrants camerounais et nig\u00e9rians dans les villes marocaines o\u00f9 je tournais. Leur premi\u00e8re attitude \u00e9tait tr\u00e8s m\u00e9fiante et elle s\u2019am\u00e9liorait beaucoup d\u00e8s qu\u2019ils savaient que je n\u2019\u00e9tais ni un journaliste ni un humanitaire, mais quelqu\u2019un qui pouvait \u00e9ventuellement leur donner du boulot car je faisais un casting. C\u2019est tr\u00e8s amusant de voir que leur ennemi num\u00e9ro un est le journaliste car il n\u2019y a rien \u00e0 en tirer, il ne paie pas, ensuite vient l\u2019humanitaire qui pr\u00e9tend apporter quelque chose, mais dont ils ne sont pas toujours s\u00fbrs que cela va vraiment arriver dans leur poche \u00e0 eux. Si, en revanche, vous venez leur proposer du travail, alors on peut commencer \u00e0 parler et le rapport s\u2019inverse. Camille, avec son appareil photo, est forc\u00e9ment confront\u00e9e chaque jour \u00e0 ces questions-l\u00e0. <\/p>\n\n\n\n Ce qui est s\u00fbr, c\u2019est que le Vietnam a chang\u00e9 ma vie. J\u2019ai pu faire l\u00e0-bas une exp\u00e9rience de l\u2019humanit\u00e9 qui m\u2019a suffisamment boulevers\u00e9 pour que je me dise que je laisse tomber tout ce que j\u2019avais fait avant. C\u2019est cette exp\u00e9rience de l\u2019humanit\u00e9 dans des endroits tragiques qui m\u2019int\u00e9resse et que j\u2019ai poursuivie ensuite ailleurs, bien que de mani\u00e8re chaque fois diff\u00e9rente.<\/p>\n\n\n\n J\u2019en ai eu marre du Vietnam quand j\u2019ai eu l\u2019impression que, par son ouverture, par son occidentalisation, ce pays se mettait \u00e0 ressembler aux autres. J\u2019avais moins de sentiment d\u2019aventure, je commen\u00e7ais \u00e0 penser que c\u2019\u00e9tait mieux avant et je me suis dit qu\u2019il \u00e9tait temps de partir ailleurs. J\u2019ai retrouv\u00e9 au Congo le plaisir de l\u2019aventure tr\u00e8s fort, puissance dix m\u00eame. J\u2019y ai fait deux grands voyages de rep\u00e9rages mais je n\u2019en ai rien fait, je trouvais cela trop compliqu\u00e9. J\u2019\u00e9tais totalement fascin\u00e9 par ce pays, mais je ne savais pas comment l\u2019aborder. Je n\u2019abandonne pas l\u2019id\u00e9e de faire quelque chose un jour l\u00e0-bas.<\/p>\n\n\n\n Oui, mais les diff\u00e9rences sont grandes aussi. Le Vietnam, comme la Centrafrique, est une ancienne colonie fran\u00e7aise, mais au Vietnam j\u2019ai r\u00e9ussi \u00e0 vivre sans jamais me raconter cette histoire. J\u2019avais lu la litt\u00e9rature coloniale fran\u00e7aise sur l\u2019Indochine mais c\u2019est tr\u00e8s peu pr\u00e9sent au Vietnam, mis \u00e0 part dans l\u2019architecture de Hano\u00ef. Apr\u00e8s la guerre d\u2019Indochine il y a eu la guerre du Vietnam et surtout il y a eu ensuite ces cinquante ans de communisme qui ont ajout\u00e9 une couche d\u2019histoire bien \u00e9paisse. Jamais on ne m\u2019a reproch\u00e9 quelque chose sur la colonisation, et ce n\u2019\u00e9tait pas difficile d\u2019en faire abstraction.<\/p>\n\n\n\n Alors qu\u2019en Afrique c\u2019est tout simplement impossible. Si vous allez au Congo ou en Centrafrique, la colonisation est encore pr\u00e9sente partout. Si vous allez en for\u00eat, vous tombez sur des forestiers belges ou de vieux missionnaires belges qui sont l\u00e0 depuis quarante ans. Dans ces moments, on se croirait vraiment dans Tintin. Dans ces endroits, peu de choses ont chang\u00e9 depuis l\u2019\u00e9poque coloniale, m\u00eame si d\u00e9sormais, \u00e0 c\u00f4t\u00e9 des Belges, on trouve des forestiers libanais ou congolais. Donc la colonisation est pr\u00e9sente. Bien plus, ce qui nous ram\u00e8ne au d\u00e9but de notre discussion, vous \u00eates pris \u00e0 parti, oblig\u00e9 de r\u00e9pondre des raisons de votre pr\u00e9sence.<\/p>\n\n\n\n \u00ab Pour eux, il \u00e9tait \u00e9vident que si je venais l\u00e0, c\u2019\u00e9tait pour creuser quelque part et ramener des diamants ou de l\u2019or, il leur semblait impensable que je vienne chercher autre chose. \u00bb<\/p>boris lojkine<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Au Vietnam, j\u2019ai fait un film qui s\u2019appelle Les \u00c2mes errantes, <\/em>qui raconte l\u2019histoire de Vietnamiens qui cherchent leurs morts de la Guerre du Vietnam trente ans apr\u00e8s celle-ci, car on ne leur a jamais rendu les corps et que cela repr\u00e9sente un traumatisme pour eux. Ce film, je l\u2019ai fait comme un film vietnamien, comme si j\u2019\u00e9tais un cin\u00e9aste vietnamien faisant un film vietnamien en vietnamien sur des probl\u00e9matiques vietnamiennes. C\u2019\u00e9tait possible, sans doute un peu bizarre, mais possible. Je pense que ce serait tr\u00e8s compliqu\u00e9 si ce n\u2019est impossible d\u2019avoir la m\u00eame d\u00e9marche dans un pays africain, car vous \u00eates tellement en permanence oblig\u00e9 de r\u00e9pondre de pourquoi vous, un Blanc, vous \u00eates l\u00e0. Je ne saurais dire le nombre de fois o\u00f9, au milieu d\u2019une for\u00eat au Congo, les gens m\u2019ont dit de les suivre, qu\u2019ils allaient me montrer o\u00f9 trouver du minerai. Pour eux, il \u00e9tait \u00e9vident que si je venais l\u00e0, c\u2019\u00e9tait pour creuser quelque part et ramener des diamants ou de l\u2019or, il leur semblait impensable que je vienne chercher autre chose. <\/p>\n\n\n\n J\u2019ai de nombreux projets en ce moment. J\u2019ai dans les tiroirs le projet de faire un film avec les Indiens d\u2019Amazonie. J\u2019ai l\u2019impression que ce serait le projet de ma vie, je ne sais pas par quel bout le prendre mais c\u2019est peut-\u00eatre quand m\u00eame ce que je vais faire.<\/p>\n\n\n\n Mais j\u2019ai aussi des projets africains, c\u2019est vrai. Je trouve que c\u2019est un territoire incroyablement fort, o\u00f9 il y a tant d\u2019histoires fortes \u00e0 raconter. Je suis en train de lire plein de livres sur la colonisation du Congo, et je me dis aussi que je referais bien un film en Centrafrique, maintenant que j\u2019y ai quand m\u00eame mis les deux pieds. <\/p>\n\n\n\n En revanche, je n\u2019arrive pas encore \u00e0 me motiver \u00e0 faire un film fran\u00e7ais, un vrai film fran\u00e7ais qui se passerait en France. <\/p>\n\n\n\n Oui, et je ne les l\u00e2che pas. La Centrafrique est un pays tr\u00e8s d\u00e9muni, y compris culturellement, presque sans litt\u00e9rature, sans cin\u00e9ma. Il y a eu un unique film centrafricain dans l\u2019histoire du cin\u00e9ma, et encore, il a \u00e9t\u00e9 cor\u00e9alis\u00e9 avec un Camerounais. Donc je trouve cela passionnant et enthousiasmant de former des gens dans ce pays pour qu\u2019ils arrivent \u00e0 faire leur cin\u00e9ma. <\/p>\n\n\n\n
\r\n <\/picture>\r\n \n Ces personnages incarnent des types, des situations. Mais ils sont aussi plus que cela ? <\/strong><\/h3>\n\n\n\n
Par rapport aux deux autres personnages, Cyril, lui, a quand m\u00eame plus d\u2019\u00e9paisseur.<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
Est-ce que certaines lectures ont orient\u00e9 votre travail ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
Revenons \u00e0 Camille. Quelles ont \u00e9t\u00e9 vos sources ? Un carnet, un journal ? <\/strong><\/h3>\n\n\n\n
Camille est-elle na\u00efve, id\u00e9aliste ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
Dans le film la question est aussi de savoir si elle va changer de pays pour suivre la demande m\u00e9diatique, ou rester en Centrafrique. <\/strong><\/h3>\n\n\n\n
Camille \u00e9tait-elle une grande photographe ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
Quelle signification donnez-vous aux sc\u00e8nes de violence extr\u00eame ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
Avez-vous une r\u00e9ponse \u00e0 cette question sur ce qu\u2019il est l\u00e9gitime de photographier ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
\r\n <\/picture>\r\n \n Parlons un peu des conditions du tournage. Si les acteurs centrafricains vous ont beaucoup apport\u00e9, qu\u2019en est-il des autorit\u00e9s ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
L\u2019arm\u00e9e fran\u00e7aise vous a-t-elle aid\u00e9 ? <\/strong><\/h3>\n\n\n\n
L\u2019arm\u00e9e fran\u00e7aise n\u2019est pas bien vue par les Centrafricains ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
Mais dans l\u2019ensemble, le tournage s\u2019est bien pass\u00e9 malgr\u00e9 la situation du pays ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
Avez-vous eu des retours du public centrafricain ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
Si ce n\u2019est pas Camille, qu\u2019est-ce qui int\u00e9resse le public centrafricain ? <\/strong><\/h3>\n\n\n\n
Et personne ne vous a reproch\u00e9 d\u2019avoir fait un film partial d\u2019un c\u00f4t\u00e9 ou de l\u2019autre ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
Cyril dit \u00e0 Camille : \u201cTu es comme les Fran\u00e7ais, tu viens, tu prends, et tu pars\u201d. Est-ce quelque chose que l\u2019on vous a dit ? <\/strong><\/h3>\n\n\n\n
Comment faire face ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
A la fois se justifier de son rapport \u00e0 la colonisation, et de ne pas donner d\u2019argent ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
\r\n <\/picture>\r\n \n Vous avez commenc\u00e9 comme r\u00e9alisateur de documentaires au Vietnam. Vous aviez \u00e0 l\u2019\u00e9poque l\u2019attitude de Camille ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
Pourquoi avoir quitt\u00e9 le Vietnam pour aborder l\u2019Afrique ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
C\u2019est la m\u00eame exp\u00e9rience de l\u2019humanit\u00e9 que vous retrouvez \u00e0 travers les continents ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
\r\n <\/picture>\r\n \n Donc d\u00e9sormais vos projets tournent autour de l\u2019Afrique ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
En attendant, les Centrafricains que vous avez form\u00e9s r\u00e9alisent des films.<\/strong><\/h3>\n\n\n\n