{"id":49583,"date":"2019-10-19T16:42:23","date_gmt":"2019-10-19T14:42:23","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=49583"},"modified":"2019-10-19T16:42:26","modified_gmt":"2019-10-19T14:42:26","slug":"evo-morales-et-le-moralismo-entre-phenomene-politique-et-mutations-socio-economiques-durables-en-bolivie","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2019\/10\/19\/evo-morales-et-le-moralismo-entre-phenomene-politique-et-mutations-socio-economiques-durables-en-bolivie\/","title":{"rendered":"Evo Morales et le moralismo<\/em> :\u00a0entre ph\u00e9nom\u00e8ne politique et mutations socio-\u00e9conomiques durables en Bolivie"},"content":{"rendered":"\n

Le 20 octobre prochain auront lieu les \u00e9lections pr\u00e9sidentielles en Bolivie. Ce scrutin \u00e9lectoral est peut-\u00eatre le plus compliqu\u00e9 de tous ceux qu\u2019a d\u00fb affronter le pr\u00e9sident sortant, Evo Morales. Ce dernier s\u2019appr\u00eate \u00e0 faire face au retour sur le devant de la sc\u00e8ne politique de son pr\u00e9d\u00e9cesseur, Carlos Mesa Gisbert (pr\u00e9sident de 2003 \u00e0 2005, lib\u00e9ral, historien de profession), mais aussi et surtout au contournement de la Constitution de 2009, qu\u2019il a lui-m\u00eame contribu\u00e9 \u00e0 mettre en place, mais qui limite le nombre de mandats pr\u00e9sidentiels \u00e0 trois, freinant ainsi les ambitions politiques de son instigateur. Dans une Am\u00e9rique latine en pleine recomposition sur le plan politique, le maintien de Morales au pouvoir intrigue. <\/p>\n\n\n\n

La victoire d\u2019Evo Morales Ayma le 18 d\u00e9cembre 2005 a constitu\u00e9 une rupture dans l\u2019histoire contemporaine bolivienne, tant en termes de politique int\u00e9rieure que de politique ext\u00e9rieure. Morales s\u2019est tr\u00e8s vite impos\u00e9 comme un leader populiste de gauche, novateur, dont les prises de position fortes permettent la reconnaissance des multiples peuples et langues de Bolivie. On retient \u00e9galement de ses ann\u00e9es de pr\u00e9sidence de nombreuses frasques diplomatiques, dont les derni\u00e8res en date, qui concernent ses relations avec le pr\u00e9sident chilien Sebasti\u00e1n Pi\u00f1era, impliquent jusqu\u2019au roi d\u2019Espagne, et font le buzz sur la toile. Certaines continuit\u00e9s avec les gouvernements boliviens pr\u00e9c\u00e9dents peuvent \u00eatre toutefois not\u00e9es : respect des droits de l\u2019homme et de la d\u00e9mocratie ; meilleure int\u00e9gration \u00e9conomique de la Bolivie \u00e0 une \u00e9chelle r\u00e9gionale par le biais de la coop\u00e9ration transfrontali\u00e8re ; lutte contre le narcotrafic et revendication d\u2019un acc\u00e8s au Pacifique, en opposition au trait\u00e9 de 1904 conclu \u00e0 la suite de la guerre du Pacifique de 1879-1884. <\/p>\n\n\n\n

Il s\u2019agit donc d\u2019aller au-del\u00e0 des discours partisans et des id\u00e9es pr\u00e9con\u00e7ues \u00e0 l\u2019\u00e9gard de Morales pour comprendre la complexit\u00e9 du personnage qu\u2019est l\u2019actuel pr\u00e9sident bolivien, et les raisons de la durabilit\u00e9 de son syst\u00e8me politique, entre r\u00e9volution id\u00e9ologique, r\u00e9formes socio-\u00e9conomiques et continuit\u00e9s politiques.<\/p>\n\n\n\n

Morales au pouvoir, une politique int\u00e9rieure singuli\u00e8re : avanc\u00e9es sociales, continuit\u00e9 politique et contestations <\/span>1<\/sup><\/a><\/span><\/span><\/h2>\n\n\n\n

Evo Morales est un dirigeant atypique, tant \u00e0 l\u2019\u00e9gard de ses pr\u00e9d\u00e9cesseurs que des autres dirigeants actuels d\u2019Am\u00e9rique du Sud. N\u00e9 en 1959, dans une famille de pasteurs aymaras<\/em>, Morales ne peut b\u00e9n\u00e9ficier d\u2019une \u00e9ducation th\u00e9orique tr\u00e8s pouss\u00e9e. Cependant, comme le reconna\u00eet ais\u00e9ment l\u2019un de ses opposants, Juan Ignacio Siles del Valle, ancien ministre des Affaires Ext\u00e9rieures de Carlos Mesa, ce sont d\u2019autres qualit\u00e9s exceptionnelles qui le conduisent au pouvoir <\/span>2<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Ces derni\u00e8res sont \u00e0 chercher du c\u00f4t\u00e9 de sa jeunesse, dans ses exp\u00e9riences de briquetier ou de boulanger qui lui font tr\u00e8s t\u00f4t d\u00e9couvrir le march\u00e9 du travail, et en particulier des m\u00e9tiers \u00e0 la fois p\u00e9nibles et peu valoris\u00e9s. Coupl\u00e9es \u00e0 un sens aigu du leardership, ces exp\u00e9riences lui permettent de devenir un syndicaliste cocalero<\/em> <\/span>3<\/sup><\/a><\/span><\/span> reconnu. Ce poste n\u2019est pas anodin. La feuille de coca est en effet un \u00e9l\u00e9ment constitutif de la vie politique bolivienne. C\u2019est gr\u00e2ce \u00e0 cette derni\u00e8re que Morales peut se constituer un r\u00e9seau (syndicalistes cocaleros<\/em>, producteurs, routiers) dans les r\u00e9gions rurales productrices comme au sein des villes principales du pays, comme \u00e0 La Paz <\/span>4<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Il gagne ensuite en l\u00e9gitimit\u00e9 au sein du mouvement syndical en s\u2019opposant \u00e0 la politique du Pr\u00e9sident Hugo Banzer <\/span>5<\/sup><\/a><\/span><\/span>, tant par son exp\u00e9rience carc\u00e9rale que sa capacit\u00e9 \u00e0 diriger. Ce dernier avait promis aux \u00c9tats-Unis qu\u2019il \u00e9radiquerait toute culture de la coca, dans le cadre de la lutte anti-drogue. Son incarc\u00e9ration en 1994, alors que la Conf\u00e9d\u00e9ration syndicale unique des travailleurs paysans de Bolivie (CSTUCB) r\u00e9clame la cr\u00e9ation d’un parti politique qui permettrait la participation des syndicats paysans au jeu \u00e9lectoral, le transforme en symbole de la lutte. <\/p>\n\n\n\n

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Ce virage politique de la lutte de cocaleros<\/em> pousse Morales \u00e0 fusionner son mouvement syndical avec le Mouvement vers le socialisme (MAS) en 1997. Ce dernier joue un r\u00f4le tr\u00e8s important durant la guerre du gaz en 2003. Ce parcours politique se conclut par l\u2019\u00e9lection de Morales en 2005, \u00e0 l\u2019issue d\u2019une campagne centr\u00e9e sur la nationalisation des entreprises exploitant les hydrocarbures au nom de la souverainet\u00e9 territoriale, et la revendication d\u2019une plus grande visibilit\u00e9 des communaut\u00e9s indig\u00e8nes (quechua et aymara en premier lieu), dont il est lui-m\u00eame issu et qui avaient toujours \u00e9t\u00e9 maintenues \u00e0 l\u2019\u00e9cart du pouvoir depuis la r\u00e9volution de 1952 <\/span>6<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n

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Le MAS au pouvoir<\/h3>\n\n\n\n

Arriv\u00e9 au pouvoir, l\u2019objectif du MAS est d\u2019instaurer un d\u00e9bat public afin de r\u00e9diger une nouvelle Constitution. Un climat extr\u00eamement conflictuel se d\u00e9veloppe sous l\u2019impulsion du \u00ab vieux pouvoir \u00bb (anciens partisans de Banzer, propri\u00e9taires latifundiaires), fait de risques de coups d\u2019\u00c9tat et d\u2019agressions racistes, mais une mobilisation populaire contre ces tentatives de renversement de Morales, la tenue du r\u00e9f\u00e9rendum constitutionnel en 2008 ainsi que la ratification de la nouvelle Constitution marquent une pacification relative de la politique int\u00e9rieure bolivienne. Cette constitution est sans doute l\u2019\u0153uvre politique la plus marquante de Morales et du MAS. Elle rompt avec la d\u00e9nomination traditionnelle de \u00ab R\u00e9publique bolivienne \u00bb pour mettre en avant \u00ab l’\u00c9tat Plurinational de Bolivie \u00bb, qui pr\u00e9tend refl\u00e9ter un mod\u00e8le d\u2019organisation politique d\u2019inspiration d\u00e9coloniale, d\u2019\u00e9mancipation des peuples et nations indig\u00e8nes. L\u2019article 2 de la Constitution reconna\u00eet par exemple \u00ab leur droit \u00e0 l\u2019auto-gouvernement, \u00e0 la libre d\u00e9termination ainsi qu\u2019\u00e0 des institutions qui leur sont propres <\/span>7<\/sup><\/a><\/span><\/span> \u00bb. Les langues indig\u00e8nes (aymara, quechua, guarani entre autres) sont \u00e9galement reconnues par les institutions officielles. Elles-m\u00eames tentent d\u2019ailleurs de se r\u00e9approprier des \u00e9l\u00e9ments culturels indig\u00e8nes, comme la figure de Tupac Katari ou la wiphala, drapeau des peuples andins. Cette Constitution promeut \u00e9galement le Suma Quama\u00f1a, que l\u2019on pourrait traduire par \u00ab Bon Vivre \u00bb, au m\u00eame titre que la solidarit\u00e9 et l\u2019\u00e9galit\u00e9. C\u2019est une fa\u00e7on de rompre avec les cultes modernes et occidentaux de la croissance, du progr\u00e8s et de l\u2019individualisme <\/span>8<\/sup><\/a><\/span><\/span>. La pens\u00e9e indig\u00e8ne (quechua<\/em> en l\u2019occurrence) est ainsi r\u00e9adapt\u00e9e par les dirigeants de l\u2019\u00c9tat plurinational et r\u00e9inscrite dans un discours anti-imp\u00e9rialiste et contre-h\u00e9g\u00e9monique. Il convient cependant de souligner les limites de cette politique : la participation des indig\u00e8nes au sein de l\u2019ex\u00e9cutif reste limit\u00e9e, et la prise de d\u00e9cision au sein des autonomies <\/span>9<\/sup><\/a><\/span><\/span> reste soumise aux d\u00e9cisions du pouvoir central.<\/p>\n\n\n\n

L\u2019arriv\u00e9e au pouvoir de Morales modifie \u00e9galement fortement la politique \u00e9conomique bolivienne. Un Plan National de D\u00e9veloppement men\u00e9 entre 2006 et 2009 marque le retour d\u2019un \u00c9tat interventionniste. Son influence se fait en particulier sentir dans les secteurs strat\u00e9giques. Cela s\u2019illustre en 2006 par la nationalisation des hydrocarbures, des entreprises m\u00e9tallurgiques ou t\u00e9l\u00e9phoniques, au d\u00e9triment de multiples firmes transnationales \u00e9trang\u00e8res, et par une forte augmentation de la taxation du secteur minier. La Loi de Reconduction Communautaire de la R\u00e9forme Agraire, vot\u00e9e en 2006, permet \u00e0 l\u2019\u00c9tat de r\u00e9cup\u00e9rer les terres non-exploit\u00e9es sans avoir \u00e0 verser d\u2019indemnisations \u00e0 leur propri\u00e9taire. La nouvelle Constitution encadre cependant fortement ces nouvelles dispositions, en pr\u00e9cisant que ces nouvelles mesure ne peuvent \u00eatre appliqu\u00e9es aux exploitations pr\u00e9existantes, pr\u00e9venant ainsi une expropriation pure et simple des propri\u00e9taires latifundiaires au profit des paysans sans terre. \u00c0 ces mesures \u00e9conomiques s\u2019ajoute la mise en place d\u2019importants programmes d\u2019aide, comme la pension universelle de vieillesse, l\u2019aide \u00e0 la scolarisation primaire, l\u2019aide aux femmes enceintes, ou encore l\u2019instauration du Tarif Dignit\u00e9, un tarif minimal encadr\u00e9 permettant au plus grand nombre d\u2019acc\u00e9der \u00e0 l\u2019\u00e9lectricit\u00e9.<\/p>\n\n\n\n

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La r\u00e9\u00e9lection de Morales en 2009, b\u00e9n\u00e9ficiant d\u2019un soutien plus net qu\u2019en 2005 (64 % des suffrages contre 54 %, 3 millions de voix contre 1,5 millions, contr\u00f4le total des deux chambres l\u00e9gislatives), est autant b\u00e9n\u00e9fique au MAS qu\u2019\u00e0 son leader : elle est le marqueur d\u2019une nouvelle h\u00e9g\u00e9monie politique en Bolivie. Cela est d\u00fb \u00e0 la fois \u00e0 la capacit\u00e9 de Morales \u00e0 affaiblir la droite (en attribuant notamment des responsabilit\u00e9s au sein du MAS \u00e0 certaines figures politiques d\u2019opposants), et \u00e0 la durabilit\u00e9 de l\u2019application d\u2019un programme ambitieux durant le premier mandat. Les conflits politiques se d\u00e9placent alors au sein-m\u00eame du mouvement \u00ab indig\u00e9no-populaire \u00bb ayant men\u00e9 Morales \u00e0 la pr\u00e9sidence. Des militants de la premi\u00e8re heure questionnent la centralisation du pouvoir, le manque de d\u00e9mocratie participative \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur du parti comme dans le reste de la vie publique nationale <\/span>10<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Les politiques de d\u00e9veloppement du pays, centr\u00e9es sur des projets miniers et gazif\u00e8res, se heurtent \u00e9galement aux exigences environnementales des citoyens boliviens, ainsi qu\u2019\u00e0 celles de certaines associations internationales. Concilier essor socio-\u00e9conomique et pr\u00e9servation culturo-environnementale semble autant crucial que compliqu\u00e9 dans un contexte politique aussi pr\u00e9caire. Il est en effet n\u00e9cessaire de concilier \u00e0 la fois les int\u00e9r\u00eats des pro-d\u00e9veloppements comme ceux des indianistes pacham\u00e1micos<\/em> qui ont tous sign\u00e9 le Pacte d\u2019Unit\u00e9 ayant port\u00e9 et reconduit le MAS au pouvoir. Afin de d\u00e9samorcer ces conflits, les dirigeants du MAS oscillent entre des critiques ad hominem<\/em> directes et une utilisation des mouvements sociaux loyaux afin de d\u00e9cr\u00e9dibiliser les plus critiques.<\/p>\n\n\n\n

\u00ab C\u2019est dans un contexte de stabilit\u00e9 socio-\u00e9conomique et d\u2019affaiblissement de l\u2019opposition qu\u2019Evo Morales est une deuxi\u00e8me fois r\u00e9\u00e9lu en 2014. Cela lui permet de gouverner le pays jusqu\u2019aux \u00e9lections de 2019 et devenir le plus long r\u00e9sident du Palacio Quemado. \u00bb<\/p>ANNE-PRISCILLE DESBARRES, GUILLAUME DESBARRES<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

Sur le plan \u00e9conomique, le bilan des deux premiers mandats de Morales est plut\u00f4t bon : le PIB du pays a augment\u00e9 de 4,8 % entre 2006 et 2012, contre 2,6 % entre 1999 et 2005 ; l\u2019inflation est rest\u00e9e stable au vu des ann\u00e9es pr\u00e9c\u00e9dentes (autour de 6,8 % entre 2006 et 2012, contre 400 % entre 1985 et 2005) ; la quantit\u00e9 de cr\u00e9dits et de d\u00e9p\u00f4ts en monnaie nationale a fortement augment\u00e9, de m\u00eame que le salaire minimum ; le ch\u00f4mage a diminu\u00e9 (5,5 % en 2005, 3,5 % aujourd\u2019hui, seuil \u00e0 2,25 % atteint en 2012 et 2014) ; l\u2019acc\u00e8s aux biens de premi\u00e8re n\u00e9cessit\u00e9 comme l\u2019eau potable, l\u2019\u00e9lectricit\u00e9 et les combustibles a \u00e9t\u00e9 fortement am\u00e9lior\u00e9 ; le taux de pauvret\u00e9 et les in\u00e9galit\u00e9s ont diminu\u00e9 (indice de Gini de 58,5 en 2005, 46,0 en 2011). <\/p>\n\n\n\n

C\u2019est donc dans un contexte de stabilit\u00e9 socio-\u00e9conomique et d\u2019affaiblissement de l\u2019opposition qu\u2019Evo Morales est une deuxi\u00e8me fois r\u00e9\u00e9lu en 2014. Cela lui permet de gouverner le pays jusqu\u2019aux \u00e9lections de 2019 et devenir le plus long r\u00e9sident du Palacio Quemado <\/span>11<\/sup><\/a><\/span><\/span> de l\u2019histoire <\/span>12<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n

Fragilit\u00e9 et durabilit\u00e9<\/h3>\n\n\n\n

Si Morales a su calmer les conflits sociaux puis l\u00e9gitimer sa politique dans une certaine mesure, l\u2019opposition n\u2019a pour autant jamais disparu. Celle-ci se structure autour de deux p\u00f4les antagonsites : des syndicats \u2013 comme la COB (Centrale Ouvri\u00e8re Bolivienne) ou ADEPCOCA (Association D\u00e9partementale des Producteurs de Coca), d\u2019une part, et la communaut\u00e9 bolivienne \u00e0 l\u2019\u00e9tranger, notamment aux \u00c9tats-Unis ou en Espagne, d\u2019autre part. Les critiques qu\u2019ils adressent \u00e0 Morales concernent la verticalit\u00e9 du pouvoir, la corruption, la non-s\u00e9paration des pouvoirs judiciaire et l\u00e9gislatif <\/span>13<\/sup><\/a><\/span><\/span>, ainsi que la non-prise en compte de certaines revendications, comme ce fut le cas de la p\u00e9nalisation des fautes m\u00e9dicales entre novembre et janvier dernier <\/span>14<\/sup><\/a><\/span><\/span>, r\u00e9solue par l\u2019immigration de m\u00e9decins cubains. Plus largement, c\u2019est la r\u00e9ussite d\u2019une transition d\u00e9mocratique anti-imp\u00e9rialiste, contre-h\u00e9g\u00e9monique et fond\u00e9e sur des discours indig\u00e9nistes qui est questionn\u00e9e. Malgr\u00e9 toutes les avanc\u00e9es sociales et \u00e9conomiques qu\u2019a pu repr\u00e9senter l\u2019arriv\u00e9e au pouvoir de Morales, sa volont\u00e9 de se maintenir au pouvoir \u00e0 tout prix et l\u2019usage d\u2019une rh\u00e9torique suppos\u00e9ment d\u00e9mocratique posent d\u00e9sormais question <\/span>15<\/sup><\/a><\/span><\/span>. La possible r\u00e9\u00e9lection de l\u2019actuel pr\u00e9sident cette semaine a g\u00e9n\u00e9r\u00e9 d\u2019importants d\u00e9bats en Bolivie. Morales cherche de son c\u00f4t\u00e9 \u00e0 modifier la Constitution qui limite le nombre de mandats successifs possibles \u00e0 deux. Une consultation lanc\u00e9e en 2016 \u00e9choue : les Boliviens rejettent cette possibilit\u00e9, ce que le MAS ne manque pas de contester, pour mieux le contourner par la suite. C\u2019est bien Evo Morales qui est le candidat du MAS, lors des \u00e9lections pr\u00e9sidentielles qui ont lieu cette semaine. Carlos Mesa, ancien pr\u00e9sident de la R\u00e9publique bolivienne et principal opposant \u00e0 Morales, qualifie d\u2019ailleurs cette d\u00e9cision du tribunal \u00e9lectoral de \u00ab blessure mortelle pour la d\u00e9mocratie <\/span>16<\/sup><\/a><\/span><\/span> \u00bb.<\/p>\n\n\n\n

Une autre question fondamentale est celle de sa succession, tant au sein du MAS qu\u2019\u00e0 la t\u00eate de la Pr\u00e9sidence. En effet, Morales a tellement personnalis\u00e9 son pouvoir que l\u2019hypoth\u00e9tique arriv\u00e9e au pouvoir de l\u2019un de ses collaborateurs ne ferait ressembler qu\u2019encore plus la politique int\u00e9rieure bolivienne \u00e0 celle du Venezuela d\u2019il y a quelques ann\u00e9es, alors que le contexte continental a profond\u00e9ment chang\u00e9. Si la figure d\u2019Alvaro Garc\u00eda Linera semble se d\u00e9tacher, elle reste fondamentalement associ\u00e9e \u00e0 ses fonctions de vice-pr\u00e9sident depuis 2005 et surtout d\u2019id\u00e9ologue du moralisme. R\u00e9ciproquement, \u00e0 qui profiterait, tant dans une perspective int\u00e9rieure qu\u2019ext\u00e9rieure, l\u2019arriv\u00e9e au pouvoir de l\u2019un de ses opposants ? L\u2019ancien pr\u00e9sident de la R\u00e9publique bolivienne Carlos Mesa (2003-2005), sous la banni\u00e8re de l\u2019alliance politique Comunidad ciudadana [Communaut\u00e9 citoyenne], semble \u00eatre son plus s\u00e9rieux opposant <\/span>17<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Cela signifierait-il un rejet complet des avanc\u00e9es sociales qu\u2019a pu conna\u00eetre la Bolivie depuis 2005, \u00e0 d\u00e9faut d\u2019une nette am\u00e9lioration de sa condition \u00e9conomique ?<\/p>\n\n\n\n

Les mutations d\u2019un \u00e9lectorat indig\u00e8ne acquis<\/h3>\n\n\n\n

\u00ab L\u2019int\u00e9gration progressive de populations d\u2019origine indig\u00e8ne au sein de la classe moyenne est sans doute la clef de cet \u00e9quilibre instable sur lequel repose le moralisme. Le capitalisme andino-amazonique qui s\u2019est d\u00e9velopp\u00e9 ces quinze derni\u00e8res ann\u00e9es en Bolivie s\u2019est fond\u00e9 sur d\u2019importants investissements de la part de l\u2019\u00c9tat, afin qu\u2019il alimente l\u2019\u00e9conomie interne, favorise la consommation des populations les moins ais\u00e9es et g\u00e9n\u00e8re ainsi de la redistribution. \u00bb<\/p>ANNE-PRISCILLE DESBARRES, GUILLAUME DESBARRES<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

Par-del\u00e0 les enjeux politiques, le moralisme semble \u00eatre entre deux eaux, \u00e0 la fois victime de son succ\u00e8s et rattrap\u00e9 par ses contradictions entre positions rh\u00e9toriques et exercice du pouvoir. Les t\u00e9nors du moralismo<\/em> continuent ainsi, \u00e0 la suite d\u2019Alvaro Garc\u00eda Linera, de pr\u00f4ner une r\u00e9volution marxiste centr\u00e9e sur la justice sociale, alors que cette redistribution des terres \u00e9voqu\u00e9e par le gouvernement bolivien n’est que partielle en r\u00e9alit\u00e9. Morales s’accommode en effet tr\u00e8s bien de l’apparition de syst\u00e8mes agro-capitalistes, afin d’asseoir son pouvoir politique \u00e0 terme. Cette constatation est particuli\u00e8rement vraie pour les r\u00e9gions de l’Oriente ou les Yungas, physiquement proche de la capitale et des institutions \u00e9tatiques. Les r\u00e9cents incendies <\/span>18<\/sup><\/a><\/span><\/span> de la Sierra de Santa Cruz ont d\u2019ailleurs r\u00e9cemment prouv\u00e9, s\u2019il en \u00e9tait encore besoin, que latifundisme est plus que jamais en vigueur. Morales se montre \u00e9galement peu vell\u00e9itaire en ce qui concerne la mise au pas du secteur agro-industriel \u2013 li\u00e9 au syst\u00e8me latifundiaire \u2013, et celle du secteur informel <\/span>19<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Ce dernier correspond en effet \u00e0 l’\u00e9conomie chola<\/em>, qui forme la majorit\u00e9 de son \u00e9lectorat traditionnel.<\/p>\n\n\n\n

\n \n \r\n \r\n \r\n \r\n \"Morales\"\r\n <\/picture>\r\n \n <\/a>\n<\/figure>\n\n\n

\u00ab Une autre question fondamentale est celle de sa succession, tant au sein du MAS qu\u2019\u00e0 la t\u00eate de la Pr\u00e9sidence. En effet, Morales a tellement personnalis\u00e9 son pouvoir que l\u2019hypoth\u00e9tique arriv\u00e9e au pouvoir de l\u2019un de ses collaborateurs ne ferait ressembler qu\u2019encore plus la politique int\u00e9rieure bolivienne \u00e0 celle du Venezuela d\u2019il y a quelques ann\u00e9es, alors que le contexte continental a profond\u00e9ment chang\u00e9. \u00bb<\/p>ANNE-PRISCILLE DESBARRES, GUILLAUME DESBARRES<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

D\u2019un point de vue institutionnel, si les discriminations raciales mais aussi culturelles se sont estomp\u00e9es ces derni\u00e8res ann\u00e9es, la Bolivie reste un \u00c9tat profond\u00e9ment racialis\u00e9 <\/span>22<\/sup><\/a><\/span><\/span>. En Bolivie, l\u2019ethnie est un formidable vecteur de coh\u00e9sion mais \u00e9galement de division politique <\/span>23<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Elle peut \u00eatre \u00e9galement utilis\u00e9e afin de l\u00e9gitimer une position sociale <\/span>24<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Il s\u2019agit ici de pointer un racisme non-h\u00e9rit\u00e9 de l\u2019\u00e9poque coloniale. En effet, les rivalit\u00e9s entre diverses ethnies sont encore nombreuses, \u00e0 l\u2019image de celle opposant les Amayas aux Urus Chipayas. Ces derniers sont syst\u00e9matiquement \u00e9cart\u00e9s des mandats \u00e9lectifs locaux. Cela peut \u00e9galement s\u2019illustrer par une forte r\u00e9ticence \u00e0 avoir pour conjoint ou m\u00eame pour voisin un individu d\u2019une autre ethnie <\/span>25<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Ces conflits d\u2019int\u00e9r\u00eat opposent \u00e9galement les indig\u00e8nes des Andes aux indig\u00e8nes des plaines. Les premiers, plus nombreux, exigent des routes et des infrastructures permettant de mieux acheminer la coca, sans vouloir \u00e9couter les revendications d\u2019autres ethnies dont les int\u00e9r\u00eats divergent. De ce fait, l\u2019arbitrage entre une pr\u00e9servation du patrimoine naturel bolivien et l\u2019exploitation de ses diverses ressources ne consiste pas en la r\u00e9solution d\u2019un simple conflit d\u2019int\u00e9r\u00eats entre divers groupes d\u2019acteurs aux vis\u00e9es \u00e9conomiques divergentes. Elle consiste \u00e9galement \u00e0 arbitrer entre les int\u00e9r\u00eats fortement divergents de deux peuples diff\u00e9rents. Dans une certaine mesure, la c\u00e9l\u00e9bration de l\u2019\u00c9tat plurinational semble avoir renforc\u00e9 les particularismes et le racisme ordinaire entre peuples indig\u00e8nes au d\u00e9triment de la coh\u00e9sion nationale <\/span>26<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n

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Une politique ext\u00e9rieure renouvel\u00e9e \u00e0 l\u2019arriv\u00e9e au pouvoir de Morales ?<\/h2>\n\n\n\n

Les discontinuit\u00e9s concernant la politique ext\u00e9rieure doivent \u00eatre reli\u00e9es au fort renouvellement de la politique int\u00e9rieure que nous \u00e9voquions pr\u00e9c\u00e9demment. Les r\u00e9formes de la politique \u00e9trang\u00e8re bolivienne s\u2019inscrivent en effet dans un continuum<\/em> id\u00e9ologique avec le reste des politiques publiques <\/span>27<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Il s\u2019agit tout d\u2019abord de rappeler l\u2019importance de la Nouvelle Politique \u00c9conomique. Mise en place en 1985 par le pr\u00e9sident de l\u2019\u00e9poque, Victor Paz Estenssoro, cette politique favorise et renforce la mise en \u0153uvre de directives n\u00e9olib\u00e9rales pr\u00e9existantes. \u00c0 l\u2019aube des ann\u00e9es 1990, d\u2019autres mesures s\u2019imposent, dans la droite ligne de celles expos\u00e9es par l\u2019\u00e9conomiste John Williamson dans le consensus de Washington. C\u2019est l\u00e0 un choix plus pragmatique qu\u2019id\u00e9ologique de la part du chef de l\u2019\u00c9tat. \u00c0 l\u2019\u00e9poque, la Bolivie se doit en effet de rester un \u00c9tat \u00ab certifi\u00e9 \u00bb par les \u00c9tats-Unis d\u2019Am\u00e9rique, afin de pouvoir y exporter ses produits \u00e0 un prix libre, comme expos\u00e9 dans le Andean Trade Promotion and Drug Eradication Act de 1991. La contrepartie est double : appliquer les termes du consensus, et coop\u00e9rer dans la lutte contre le narcotrafic. La politique ext\u00e9rieure bolivienne des ann\u00e9es 1990 est ainsi fortement marqu\u00e9e par les programmes \u00e9tats-uniens, ainsi que par les ajustements demand\u00e9s par le FMI et la Banque mondiale.<\/p>\n\n\n\n

La politique ext\u00e9rieure de Morales peut \u00eatre ainsi lue comme une r\u00e9action \u00e0 la politique ext\u00e9rieure de ses pr\u00e9d\u00e9cesseurs. Cette politique renouvel\u00e9e, qui s\u2019appuie sur les notions de \u00ab changement \u00bb et de \u00ab bon vivre \u00bb, se d\u00e9cline en trois axes : l\u2019indig\u00e9nisme, l\u2019environnementalisme et l\u2019anti-imp\u00e9rialisme, lui-m\u00eame tr\u00e8s proche de l\u2019anti-capitalisme, si l\u2019on en croit la rh\u00e9torique de Morales et de ses partisans. La politique ext\u00e9rieure n\u2019est ainsi que l\u2019autre face du mod\u00e8le de d\u00e9veloppement pr\u00f4n\u00e9 par le leader syndicaliste, qui vise \u00e0 lutter contre les in\u00e9galit\u00e9s et iniquit\u00e9s sociales et \u00e0 favoriser le bien commun gr\u00e2ce \u00e0 un \u00c9tat ayant recouvr\u00e9 sa souverainet\u00e9 et sa capacit\u00e9 d\u2019action. Quatre piliers de cette nouvelle mani\u00e8re de gouverner s\u2019appuie sur quatre points : <\/p>\n\n\n\n

L\u2019int\u00e9gration progressive de populations d\u2019origine indig\u00e8ne au sein de la classe moyenne est sans doute la clef de cet \u00e9quilibre instable sur lequel repose le moralisme. Le capitalisme andino-amazonique qui s\u2019est d\u00e9velopp\u00e9 ces quinze derni\u00e8res ann\u00e9es en Bolivie s\u2019est fond\u00e9 sur d\u2019importants investissements de la part de l\u2019\u00c9tat, afin qu\u2019il alimente l\u2019\u00e9conomie interne, favorise la consommation des populations les moins ais\u00e9es et g\u00e9n\u00e8re ainsi de la redistribution. Le dynamisme du march\u00e9 int\u00e9rieur et la paix sociale semblent \u00eatre conditionn\u00e9s \u00e0 la poursuite de la croissance de l\u2019\u00e9conomie nationale. Toutefois, deux dangers guettent le moralisme. Tout d\u2019abord, comment poursuivre un processus r\u00e9volutionnaire dans le cadre d\u2019une hausse substantielle du niveau de vie, et d\u2019une meilleure (bien que toujours imparfaite) r\u00e9partition des richesses ? Quid \u00e9galement de l\u2019impact politique des cholos, ces individus am\u00e9rindiens de sang espagnol, plut\u00f4t urbanis\u00e9s, dont la r\u00e9ussite peut se mesurer \u00e0 leur consommation galopante <\/span>20<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Se rendre au sein des malls r\u00e9cemment construits \u00e0 La Paz en empruntant le nouveau t\u00e9l\u00e9ph\u00e9rique depuis El Alto <\/span>21<\/sup><\/a><\/span><\/span> devient ainsi la nouvelle marque de distinction au sein de la soci\u00e9t\u00e9 bolivienne. A l\u2019inverse de leurs parents, qui ont massivement vot\u00e9 pour Morales pour des raisons ethniques et pour le volontarisme d\u2019\u00c9tat affich\u00e9 par ce dernier, les enfants du moralismo n\u2019ont que de vagues souvenirs de la guerre de l\u2019eau (2000) ou de la guerre du gaz (2003). Ils semblent en cons\u00e9quence se d\u00e9sint\u00e9resser de la politique. L\u2019\u00c9tat est alors moins associ\u00e9 \u00e0 l\u2019am\u00e9lioration des infrastructures publiques qu\u2019\u00e0 une hausse progressive des imp\u00f4ts.<\/p>\n\n\n\n