establishment<\/em>.<\/p>\n\n\n\nOn ne doit pas autoriser une canaille \u00e0 aller trop loin pour la simple raison qu’il est une canaille. Mais quand tout autour de vous, il n’y a que des canailles, on est oblig\u00e9 d’utiliser des canailles pour retenir d’autres canailles. D\u00e9loger une canaille pour y placer une autre canaille, c\u2019est combattre le mal par le mal… Or il existe autant de canailles que de r\u00e8gles alambiqu\u00e9es, et elles sont toutes con\u00e7ues pour amortir les conflits et en arriver \u00e0 un r\u00e9sultat nul. C’est ainsi qu’un syst\u00e8me bienfaisant de pouvoirs et de contre-pouvoirs voit le jour \u2013 un \u00e9quilibre de m\u00e9chancet\u00e9 et d’avarice, une harmonie de tromperie. Si l\u2019une de ces canailles commence cependant \u00e0 jouer selon ses propres r\u00e8gles et rompt l\u2019harmonie, l\u2019\u00c9tat profond, toujours vigilant, se pr\u00e9cipite \u00e0 la rescousse et d\u2019une main invisible entra\u00eene le ren\u00e9gat dans les abysses.<\/p>\n\n\n\n
Il n’y a rien de particuli\u00e8rement effrayant dans l\u2019image propos\u00e9e de la d\u00e9mocratie occidentale. Il suffit de changer un peu de perspective, et l\u2019effroi se dissipe. Mais cette image laisse un go\u00fbt amer au citoyen occidental, qui d\u00e8s lors commence \u00e0 se tourner vers des mod\u00e8les alternatifs et une nouvelle fa\u00e7on d\u2019\u00eatre. Et il voit la Russie.<\/p>\n\n\n\n
Notre syst\u00e8me, comme tout ce qui vient de chez nous, ne semble pas plus distingu\u00e9. En revanche, il est plus honn\u00eate. Et bien que l’expression \u00ab plus honn\u00eate \u00bb ne soit pas synonyme de \u00ab mieux \u00bb pour tout le monde, l’honn\u00eatet\u00e9 a ses charmes.<\/p>\n\n\n\n
Notre \u00c9tat n’est pas divis\u00e9 en deux parties, occulte et visible ; son ensemble, ses parties et ses traits sont visibles \u00e0 l\u2019ext\u00e9rieur. Les \u00e9l\u00e9ments les plus brutaux de sa \u00ab charpente de force \u00bb sont int\u00e9gr\u00e9s dans la fa\u00e7ade et ne se cachent derri\u00e8re aucun ornement architectural. La bureaucratie, m\u00eame lorsqu’elle essaie de faire quelque chose en cachette, ne s’efforce pas de couvrir ses traces, comme si elle supposait qu\u2019en fin de compte, \u00ab tout le monde a d\u00e9j\u00e0 tout compris \u00bb.<\/p>\n\n\n\n
La grande tension interne provoqu\u00e9e par la n\u00e9cessit\u00e9 de contr\u00f4ler des espaces g\u00e9ographiques immenses et h\u00e9t\u00e9rog\u00e8nes, ainsi que par la participation assidue aux diff\u00e9rentes luttes g\u00e9opolitiques, a fait des fonctions militaires et polici\u00e8res de l\u2019\u00c9tat les plus importantes et d\u00e9cisives. Traditionnellement, l\u2019\u00c9tat ne les occulte pas, mais s\u2019en revendique au contraire ; car les marchands, qui consid\u00e8rent les activit\u00e9s militaires comme moins importantes que le commerce, n\u2019ont jamais dirig\u00e9 la Russie (ou presque jamais, \u00e0 l\u2019exception de quelques mois en 1917 et quelques ann\u00e9es dans les ann\u00e9es 1990), pas plus que les lib\u00e9raux (compagnons de route des marchands), dont les enseignements sont bas\u00e9s sur le rejet de tout ce qui est plus ou moins \u00ab policier \u00bb. Il n’y avait donc personne pour draper la r\u00e9alit\u00e9 d\u2019illusions, en rel\u00e9guant au second plan et en occultant la fonction immanente de tout \u00c9tat d’\u00eatre une arme de d\u00e9fense et d’attaque.<\/p>\n\n\n\n
Il n’y a pas d’\u00c9tat profond en Russie, tout y est expos\u00e9 au grand jour, mais il existe cependant un peuple profond.<\/p>\n\n\n\n
L\u2019\u00e9lite russe est brillante et occupe la sc\u00e8ne nationale. Si\u00e8cle apr\u00e8s si\u00e8cle, elle a activement impliqu\u00e9 le peuple (il faut lui rendre son d\u00fb !) dans ses diverses entreprises \u2013 r\u00e9unions du parti, guerres, \u00e9lections, exp\u00e9riences \u00e9conomiques. Le peuple prend part \u00e0 ces manifestations, mais reste en retrait et ne monte jamais \u00e0 la surface, menant une toute autre vie dans ses profondeurs. Les deux existences nationales, l’une \u00e0 la surface et l\u2019autre dans les profondeurs, tant\u00f4t divergent et tant\u00f4t convergent vers le m\u00eame objectif, mais ne fusionnent jamais.<\/p>\n\n\n\n
Le peuple profond est toujours m\u00e9fiant au possible, inaccessible aux enqu\u00eates sociologiques, imp\u00e9n\u00e9trable face \u00e0 l’agitation, aux menaces ou \u00e0 toute autre forme d’influence directe. La compr\u00e9hension de ce qu’il est, de ce qu’il pense et de ce qu’il veut vient souvent trop tard et trop subitement, et cette connaissance n\u2019est jamais donn\u00e9e \u00e0 ceux qui pourraient y faire quelque chose.<\/p>\n\n\n\n
Rare est le sociologue qui se risquerait \u00e0 d\u00e9finir si ce peuple profond repr\u00e9sente l\u2019ensemble de la population ou s\u2019il en constitue uniquement une partie et, le cas \u00e9ch\u00e9ant, quelle partie. Selon l\u2019\u00e9poque, on disait que c\u2019\u00e9tait les paysans, le prol\u00e9tariat, les non-membres du parti, les hipsters<\/em>, les agents du gouvernement. On le \u00ab cherchait \u00bb, on allait vers lui. On l\u2019appelait tant\u00f4t le peuple \u00e9lu de Dieu, tant\u00f4t l’oppos\u00e9. On le d\u00e9clarait parfois fictif et non avenu, et lan\u00e7ait des r\u00e9formes galopantes sans en tenir compte, mais ces r\u00e9formes butaient rapidement dessus et force \u00e9tait d’admettre que \u00ab quelque chose existait vraiment \u00bb. Plus d’une fois, ce peuple a recul\u00e9 sous la pression des conqu\u00e9rants nationaux ou \u00e9trangers, mais il est toujours revenu.Fort de sa masse gigantesque, le peuple profond cr\u00e9e une force irr\u00e9sistible de gravitation culturelle qui unit la Nation. Il attire et retient sur terre (sur la terre natale) l’\u00e9lite, quand de temps \u00e0 autre celle-ci, cosmopolite, tente de prendre son envol.<\/p>\n\n\n\nLa vie nationale (narodnost<\/em>), quelle qu’en soit la signification pr\u00e9cise, pr\u00e9c\u00e8de \u00e0 l’\u00c9tat, en pr\u00e9d\u00e9termine la forme, limite les fantaisies des \u00ab th\u00e9oriciens \u00bb et contraint les \u00ab praticiens \u00bb \u00e0 y entreprendre certaines actions. La vie nationale en Russie est une puissante attraction vers laquelle convergent toutes les orientations politiques. Par n\u2019importe o\u00f9 que l\u2019on commence en Russie, que ce soit le conservatisme, le socialisme ou le lib\u00e9ralisme, on retrouve, en fin de parcours, \u00e0 peu pr\u00e8s la m\u00eame chose : ce qui existe vraiment.<\/p>\n\n\n\nLa capacit\u00e9 d’entendre et de comprendre le peuple, de le lire \u00e0 livre ouvert, jusqu\u2019\u00e0 ses recoins les plus profonds, et d’agir en ad\u00e9quation \u2013 telle est la vertu principale et unique dans son genre de l\u2019\u00c9tat de Poutine. Cet \u00c9tat est adapt\u00e9 \u00e0 son peuple et avance dans le m\u00eame sens, ce qui lui permet d\u2019\u00e9viter des surcharges destructrices face aux courants \u00e0 rebours de l\u2019histoire. C\u2019est cela qui le rend efficace et durable.Dans le nouveau syst\u00e8me, toutes les institutions desservent cette t\u00e2che principale : communication de confiance et interaction entre le gouvernant supr\u00eame et les citoyens. Les diff\u00e9rentes branches du pouvoir convergent vers le dirigeant : celles-ci n\u2019ont de valeur que dans la mesure o\u00f9 elles servent \u00e0 assurer le lien avec lui. En outre, des canaux informels court-circuitent des structures formelles et des \u00e9lites. Lorsque la b\u00eatise, les m\u0153urs obsol\u00e8tes ou la corruption cr\u00e9ent des interf\u00e9rences dans les communications avec la population, des mesures \u00e9nergiques sont prises pour restaurer ce lien.<\/p>\n\n\n\n