{"id":47818,"date":"2019-09-21T01:15:22","date_gmt":"2019-09-20T23:15:22","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=47818"},"modified":"2019-09-21T01:15:25","modified_gmt":"2019-09-20T23:15:25","slug":"nouvelles-elections-en-espagne-et-abdication-du-leadership-politique","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2019\/09\/21\/nouvelles-elections-en-espagne-et-abdication-du-leadership-politique\/","title":{"rendered":"Nouvelles \u00e9lections en Espagne et abdication du leadership politique"},"content":{"rendered":"\n

Madrid<\/em>. En juillet dernier, nous soutenions que le syst\u00e8me politique espagnol s’acheminait directement vers une dynamique d\u2019ingouvernabilit\u00e9 <\/span>1<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Il \u00e9tait en effet devenu \u00e9vident que le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez (PSOE) \u00e9tait incapable de parvenir \u00e0 un accord pour une coalition stable avec Pablo Iglesias, dirigeant du parti de gauche Unidas Podemos. Au cours des deux derniers mois, pl\u00e9thore de n\u00e9gociations ont eu lieu, \u00e0 un rythme hebdomadaire, mais rien qui ne puisse constituer une nouvelle majorit\u00e9 pour la gouvernance n\u2019en est sorti. Cela n\u2019a pas emp\u00each\u00e9, au d\u00e9but de cette semaine, certains des observateurs les plus importants d\u2019esp\u00e9rer, et de se bercer d\u2019illusions, sur un revirement de derni\u00e8re minute (dans la \u201cminute 93 des heures suppl\u00e9mentaires\u201d, r\u00e9f\u00e9rence \u00e0 un message envoy\u00e9 par le conseiller politique de Sanchez, Iv\u00e1n Redondo), qui aurait pu permettre au gouvernement d’\u00e9viter l\u2019\u00e9ch\u00e9ance de nouvelles nouvelles \u00e9lections nationales.\u00a0<\/p>\n\n\n\n

Lorsque Pedro Sanchez a annonc\u00e9 ce mardi, depuis le Palais de la Moncloa, que les derni\u00e8res n\u00e9gociations avec les hauts responsables de gauche et de droite avaient \u00e9chou\u00e9 (Albert Rivera, de Ciudadanos, dont l’opposition f\u00e9roce a marqu\u00e9 le mois dernier, a pourtant essay\u00e9 de dialoguer jusque dans les derniers jours) <\/span>2<\/sup><\/a><\/span><\/span>, il est apparu qu’une nouvelle phase politique s’ouvrait. Une nouvelle phase en contraste frappant apr\u00e8s ce qui, en avril, avait d\u00e9j\u00e0 boulevers\u00e9 la donne : une classe politique polaris\u00e9e entre partis anti-establishment et le rel\u00e2chement du r\u00e9gime bipartisan qui dominait le pays depuis le tournant d\u00e9mocratique de 1978.\u00a0 Cette nouvelle phase qui s\u2019ouvre, sera sans doute d\u00e9finie par une m\u00e9fiance populaire g\u00e9n\u00e9rale \u00e0 l’\u00e9gard des \u00e9lites politiques, qui ont abdiqu\u00e9 dans leur mission de r\u00e9pondre non seulement aux besoins de la soci\u00e9t\u00e9, mais plus fondamentalement au contrat social d\u00e9mocratique fond\u00e9 sur le dialogue, le compromis et la r\u00e9forme. Ces derni\u00e8res ann\u00e9es, beaucoup d\u2019analyses voyaient en Espagne une sorte d\u2019\u00a0\u00bbexception politique \u00bb dans la zone euro <\/span>3<\/sup><\/a><\/span><\/span>, en partie \u00e0 cause de la pr\u00e9sence insignifiante du populisme d’extr\u00eame droite dans le spectre politique. Mais ce que cette nation partage avec l’horizon g\u00e9n\u00e9ral de notre \u00e9poque, est un penchant clair vers un moment de d\u00e9sengagement politique, non plus exprim\u00e9e dans les rues ou dans les revendications populaires, mais plut\u00f4t comme une attitude omnipr\u00e9sente dans les \u00e9lites politiques elles-m\u00eames.\u00a0<\/p>\n\n\n\n

Il ne fait aucun doute que l’une des caract\u00e9ristiques de la crise politique espagnole, et du \u201cd\u00e9ficit d\u00e9mocratique\u201d de la classe politique, incapable de se r\u00e9former politiquement, vient d’une classe politique stagnante, qui a h\u00e9rit\u00e9 de la vision catholique de l’immobilisme fond\u00e9e sur le concept th\u00e9ologique et politique du kat\u00e9chon<\/em>, qui cherche \u00e0 retenir le mouvement du temps historique. L\u2019\u00e9chec dans la stabilit\u00e9 des gouvernements, signifie cette fois-ci, c’est que ce \u201cd\u00e9ficit d\u00e9mocratique\u201d est aussi latent chez les nouveaux dirigeants politiques, bien qu\u2019ils aient commenc\u00e9 leur carri\u00e8re avec l’intention de transformer les institutions d\u00e9fectueuses. D’une certaine mani\u00e8re, c’est ce que Pedro Sanchez et Pablo Iglesias ont en commun : le premier est la figure de la r\u00e9silience du PSOE depuis 2016, le second est un nouveau venu dans le syst\u00e8me politique, dont la devise populiste \u00e9tait pr\u00e9cis\u00e9ment \u00ab nous sommes venus ici pour changer la vie des gens \u00bb. Ce qui semble \u00e9puis\u00e9 dans ce dernier cycle politique espagnol, est pr\u00e9cis\u00e9ment l’illusion que deux nouveaux visages de l’\u00e9lite peuvent\u00a0 \u00eatre capables de transformer les habitudes et la culture politique qui ont dominent la logique des partis et la technicit\u00e9 de l’appareil d’Etat. En d’autres termes, la d\u00e9connexion entre la logistique de l’\u00c9tat et les exigences du peuple – ou, en termes th\u00e9oriques plus abstraits, les relations entre le pouvoir constitu\u00e9 et le pouvoir constituant – est maintenant marqu\u00e9 par un foss\u00e9 grandissant qui favorise l’immobilisme du gouvernement et qui l\u2019emp\u00eache de g\u00e9rer, d\u2019administrer et de diriger le court et le long terme de l’avenir du pays.\u00a0<\/p>\n\n\n\n

Mais ainsi, quelles raisons ont contribu\u00e9 \u00e0 l’affaiblissement des \u00e9lites politiques de gauche en Espagne ? On peut r\u00e9pondre \u00e0 cette question \u00e0 la fois en \u00e9largissant la port\u00e9e de notre analyse, mais aussi en tenant compte de la sp\u00e9cificit\u00e9 du cas espagnol. Premi\u00e8rement, la th\u00e8se g\u00e9n\u00e9raliste est une th\u00e8se du philosophe politique Carlo Galli, qui affirme dans un essai r\u00e9cent <\/span>4<\/sup><\/a><\/span><\/span> que la ruine du leadership politique est une cons\u00e9quence directe de l’administration technique croissante, et d’un nouveau sens du \u00ab leadership \u00bb. Au fur et \u00e0 mesure que la politique devient une question d’orientation technique (nombre de sondages, analyse statistique, archives, r\u00e9sultats pr\u00e9visibles et calculables), la force du charisme s’\u00e9rode, rendant ainsi impossible pour le politicien de faire face \u00e0 des risques de second ordre qui pourraient l’exposer \u00e0 une situation impr\u00e9visible, et pour laquelle il n’a aucun plan pr\u00e9d\u00e9fini. Cette dimension technique du personnalisme politique contribue profond\u00e9ment \u00e0 l’abdication des \u00e9lites devant la complexit\u00e9 de la chose.\u00a0<\/p>\n\n\n\n

Deuxi\u00e8mement, et de fa\u00e7on plus sp\u00e9cifique, dans le cas de l’Espagne, les conseillers politiques et les \u00ab doreurs d’image politiques \u00bb (political spin doctors<\/em>) ont exerc\u00e9 une tr\u00e8s forte influence, de l\u2019int\u00e9rieur, sur les dirigeants politiques. Pour le \u201cdoreur d’image politique\u201d, la politique, au sens grec du terme, est une condition secondaire de la politique. En effet, pour le conseiller technique, le but est de recr\u00e9er et d’influencer profond\u00e9ment la fa\u00e7on dont la r\u00e9alit\u00e9 est comprise. Pour le doreur d’image technique, ce qui devient central, c’est la fa\u00e7on dont le jeu politique est con\u00e7u, \u00e0 la mani\u00e8re \u201cGame of Thrones\u201d qui, selon l’analyste politique Carlos Cue <\/span>5<\/sup><\/a><\/span><\/span>, est le cadre mental partag\u00e9 \u00e0 la fois par Ivan Redondo et Pablo Iglesias. Comme nous le savons, Iglesias est m\u00eame all\u00e9 jusqu’\u00e0 \u00e9crire une sorte d\u2019Art de la n\u00e9gociation (\u00e9crit par Donald Trump en 1987), intitul\u00e9 Ganar o Morir (Gagner ou mourir), dans lequel il explique son processus d\u00e9cisionnel \u00e0 travers une s\u00e9rie TV. <\/span>6<\/sup><\/a><\/span><\/span><\/p>\n\n\n\n

L’abdication du charisme politique est propuls\u00e9e par cet avatar de m\u00e9diatisation de la prise de d\u00e9cision par rapport \u00e0 la r\u00e9alit\u00e9 et aux autres acteurs politiques, o\u00f9 la lutte pour obtenir un r\u00f4le h\u00e9g\u00e9monique devient l’objectif supr\u00eame et central. Compte tenu de la fragmentation croissante de l’\u00e9ventail politique en Espagne, nous devons supposer que le format du \u201cjeu de tr\u00f4nes\u201d pour une repr\u00e9sentation h\u00e9g\u00e9monique absolue conduira toujours \u00e0 une impasse et \u00e0 une d\u00e9sapprobation croissante de la soci\u00e9t\u00e9 envers les \u00e9lites politiques. La culture de la \u00ab paralysie exasp\u00e9rante \u00bb <\/span>7<\/sup><\/a><\/span><\/span> est \u00e9galement rendue possible par un blocage institutionnel en termes de r\u00e9forme constitutionnelle, de loyaut\u00e9s territoriales et \u00e9tatiques f\u00e9d\u00e9rales, ou par une absence totale de culture de rassemblement par rapport aux autres r\u00e9alit\u00e9s politiques en Europe (le sc\u00e9nario italien de ces derni\u00e8res semaines donne une image contrast\u00e9e du blocage espagnol, comme Carlo de Nuzzo l\u2019a montr\u00e9 sur ces colonnes) <\/span>8<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n

En ce sens, il n’y a aucune raison de croire que les nouvelles \u00e9lections de novembre changeront beaucoup l\u2019\u00e9tat de paralysie actuelle qui traverse les principaux acteurs de l’establishment politique. Pour certains \u00e0 gauche, le changement ne sera possible que si une nouvelle formation politique \u00e9merge. En particulier, on pense au M\u00e1s Madrid d’\u00cd\u00f1igo Errej\u00f3n, mais \u00e0 l’heure actuelle, l’ancien leader du Podemos ne semble pas int\u00e9ress\u00e9 par un saut dans un environnement \u00e9lectoral hautement toxique. Cependant, il est vrai que le \u00ab facteur Errej\u00f3n \u00bb <\/span>9<\/sup><\/a><\/span><\/span>, qui inclut \u00e9galement dans la formule la populaire ancienne mairesse Manuela Carmena, pourrait tout \u00e0 fait briser l’impasse en dynamisant le centre, qui reste tr\u00e8s anim\u00e9. L’entr\u00e9e d’\u00cd\u00f1igo Errej\u00f3n dans le sc\u00e9nario national, plus important encore, marginaliserait imm\u00e9diatement les r\u00e9cits concurrents en cours d’\u00e9laboration, charg\u00e9s de trouver les coupables et de d\u00e9signer les acteurs irresponsables de la politique espagnole pour nuire \u00e0 leur image. Qu’Errejonismo se sente ou non \u00e0 l’aise pour s’attaquer \u00e0 la politique nationale, le fait est que sa pr\u00e9sence g\u00e9n\u00e8re de nouvelles aspirations, qui semblaient auparavant s’estomper devant les d\u00e9bats du Congr\u00e8s. D\u00e9sormais, l’Espagne devra entamer une phase de r\u00e9forme qui devra commencer par une transformation radicale de la mentalit\u00e9 de toute sa classe politique.<\/p>\n\n\n\n

Perspectives\u00a0<\/strong> :<\/p>\n\n\n\n