{"id":34915,"date":"2019-05-17T07:45:42","date_gmt":"2019-05-17T05:45:42","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=34915"},"modified":"2019-05-31T05:11:05","modified_gmt":"2019-05-31T03:11:05","slug":"les-mots-de-la-campagne","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2019\/05\/17\/les-mots-de-la-campagne\/","title":{"rendered":"Les mots de la campagne"},"content":{"rendered":"\n
Le terme \u00ab populisme \u00bb est devenu omnipr\u00e9sent dans le d\u00e9bat politique, intellectuel et scientifique. Face au foisonnement d\u2019usages et \u00e0 leur intensification d\u00e9termin\u00e9e par la s\u00e9quence ouverte par le Brexit et l\u2019\u00e9lection de Donald Trump, on peut se demander : que faut-il retenir du terme ? Que faudrait-il faire de cette notion lors de la campagne europ\u00e9enne qui nous attend ?<\/p>\n\n\n\n On remarque d’abord que le mot donne lieu \u00e0 des oppositions devenues structurantes : <\/p>\n\n\n\n En Europe, l\u2019opposition aux populistes est devenue une polarisation commode et fonctionnelle. Elle semble dou\u00e9e d\u2019une efficacit\u00e9 certaine, car chaque p\u00f4le para\u00eet satisfait de son r\u00f4le au sein de ce clivage. Pourtant qui s\u2019oppose r\u00e9ellement au populisme ? Les lib\u00e9raux ? Les mod\u00e9r\u00e9s ? Qui peut v\u00e9ritablement se passer d\u2019une r\u00e9f\u00e9rence au populisme ?<\/p>\n\n\n\n La litt\u00e9rature scientifique la plus r\u00e9cente (Cass Mudde, Jan-Werner M\u00fcller, Yascha Mounk) permet de distinguer les attributs du populisme autour de quelques crit\u00e8res caract\u00e9ristiques de cette notion.<\/p>\n\n\n\n Le \u00ab populisme \u00bb renvoie d\u2019abord \u00e0 la d\u00e9nonciation des \u00ab \u00e9lites \u00bb \u2013 politiques, \u00e9conomiques, m\u00e9diatiques et intellectuelles \u2013 stigmatis\u00e9es parce qu\u2019elles auraient confisqu\u00e9 et trahi le pouvoir et la volont\u00e9 du \u00ab peuple \u00bb, seul fondement valable d\u2019une autorit\u00e9 l\u00e9gitime. Mais de quel \u00ab peuple \u00bb s\u2019agit-il (\u00ab peuple classe \u00bb ? \u00ab peuple nation \u00bb ? \u00ab peuple souverain \u00bb ? pour reprendre les expressions de Fran\u00e7ois Dubet). Par ailleurs, de quelles \u00ab \u00e9lites \u00bb s\u2019agit-il ? <\/span>1<\/sup><\/a><\/span><\/span> En outre, que faire \u00e9galement de la tendance technopopuliste<\/a> contemporaine ? Comme le montre le cas des administrations locales du MoVimento 5 Stelle, par exemple, on remarque une convergence entre l\u2019appareil technocratique et les mouvements adoptant une m\u00e9thode populiste de prise du pouvoir qui insiste souvent sur l\u2019inefficacit\u00e9 des classes politiques traditionnelles.<\/p>\n\n\n\n Au-del\u00e0 de cette composante \u00ab anti-\u00e9litiste \u00bb, le populisme se caract\u00e9rise par un \u00ab anti-pluralisme. \u00bb Le populisme pr\u00e9tend en effet d\u00e9tenir le monopole de la volont\u00e9 populaire : les populistes se posent ainsi en \u00ab vrais d\u00e9mocrates \u00bb et en deviennent anti-pluralistes. Ils pr\u00e9tendent porter la voix de la \u00ab vraie \u00bb majorit\u00e9 contre des minorit\u00e9s (politiques, ethniques, religieuses) trop avantag\u00e9es dans les d\u00e9mocraties. Certains auteurs en d\u00e9duisent que \u00ab le populisme tend m\u00eame sans doute \u00e0 \u00eatre anti-d\u00e9mocratique \u00bb <\/span>2<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n Le populisme se caract\u00e9rise enfin par un \u00ab anti-lib\u00e9ralisme \u00bb\nsur le plan politique par l\u2019\u00e9vocation constante de la l\u00e9gitimit\u00e9 populaire et\nde la d\u00e9mocratie directe aux d\u00e9pens d\u2019autres formes de l\u00e9gitimit\u00e9s pourtant\ntout aussi importantes au fondement des d\u00e9mocraties constitutionnelles\norganis\u00e9es autour de contre-pouvoirs. <\/p>\n\n\n\n Le populisme est enfin le plus souvent incarn\u00e9 par une figure, un tribun, un homme fort \u2013 mais la crise en France des \u00ab gilets jaunes \u00bb montre que ce n\u2019est pas non plus toujours le cas. <\/p>\n\n\n\n Au-del\u00e0 de ces attributs, l\u2019\u00e9tude \u00e0 travers l\u2019histoire\nde la notion de populisme (des Narodniki \u00e0 Berlusconi) et une attention \u00e0 ses\nvariantes g\u00e9ographiques actuelles (de Duterte aux Philippines \u00e0 Orban en\nHongrie) montrent qu\u2019il demeure compliqu\u00e9 de d\u00e9terminer en quoi consiste l\u2019essence<\/em> du populisme, \u00e0 travers des\nattributs invariants et des tendances constantes. <\/p>\n\n\n\n Un d\u00e9tour par la philosophie permet d\u2019aborder le populisme par une toute autre approche. Dans les Recherches philosophiques,<\/em> le philosophe autrichien Wittgenstein est confront\u00e9 \u00e0 un probl\u00e8me similaire, quand il se demande comment \u00ab savoir ce qu\u2019est un jeu, qu\u2019est-ce que cela signifie ? \u00bb Comme pour le populisme, il ne semble pas \u00e9vident de savoir quels \u00e9l\u00e9ments communs partagent la culbute et les \u00e9checs, un but de Ronaldo et le roi du silence. Pour le dire avec Wittgenstein, en effet : \u00ab Comment donc expliquer \u00e0 quelqu\u2019un ce qu\u2019est un jeu ? Nous pourrions, je crois, d\u00e9crire \u00e0 son intention certains jeux et ajouter ceci : \u00ab nous nommons \u2018jeux\u2019 ces choses-l\u00e0, et d\u2019autres qui leur ressemblent. \u00bb \u00bb <\/p>\n\n\n\n Le concept de Wittgenstein \u00ab d\u2019air de famille \u00bb\npermettrait d\u2019approcher la question des populismes sans essentialiser leurs\nsimilitudes : il y a quelque chose de semblable, comme un \u00ab air de famille \u00bb\nentre la culbute et un but de Ronaldo, donc entre Salvini, Duterte et le\ng\u00e9n\u00e9ral Boulanger au XIXe si\u00e8cle en France. <\/p>\n\n\n\n Afin d\u2019\u00e9tudier la ressemblance, le flux et le\ndevenir, plut\u00f4t que l\u2019essence, la stabilit\u00e9 et l\u2019attribut, on peut aussi\nrecourir \u00e0 la philosophie politique italienne. On pense \u00e0 Machiavel pour qui la\nquestion est de savoir comment on devient<\/em>\nPrince. De cette fa\u00e7on, il devient possible de parler de styles populistes<\/em> plut\u00f4t que d\u2019un principe populiste d\u00e9ploy\u00e9 autour\nd\u2019une s\u00e9rie d\u2019attributs. Le populisme devient une m\u00e9thode de prise de pouvoir\ndans des p\u00e9riodes d\u2019instabilit\u00e9, o\u00f9 prendre et perdre le pouvoir sont deux\nmoments rapproch\u00e9s par la crise de la reproduction des \u00e9lites et du pouvoir.<\/p>\n\n\n\n Cette approche permet de comprendre que le style\npopuliste est distribu\u00e9 d\u2019une mani\u00e8re plus ou moins homog\u00e8ne, m\u00eame aupr\u00e8s des\npersonnalit\u00e9s qui pr\u00e9tendent s\u2019y opposer. On peut penser \u00e0 Matteo Renzi qui\ns\u2019est ind\u00e9niablement servi d\u2019un style populiste dans son entreprise de conqu\u00eate\ndu Partito Democratico, en proposant dans des discours tr\u00e8s virulents, de \u00ab mettre\n\u00e0 la caisse \u00bb (rottamare<\/em>) les\ndirigeants de sa formation. La campagne pr\u00e9sidentielle d\u2019Emmanuel Macron a\naussi \u00e9t\u00e9 qualifi\u00e9e de populiste.<\/p>\n\n\n\n Ce style populiste se retrouve aussi dans une\nculture m\u00e9diatique ambiante pouvant v\u00e9hiculer, dans l\u2019imm\u00e9diatet\u00e9 et \u00e0 grande\n\u00e9chelle, clich\u00e9s, dramatisations et simplifications \u00e0 outrance.<\/p>\n\n\n\n Si le style populiste est dou\u00e9 d\u2019un certain\nsucc\u00e8s en notre \u00e9poque, il est nourri par des causes \u00e9conomiques, sociales,\nterritoriales et institutionnelles, que l\u2019on retrouve \u00e0 des degr\u00e9s variables\nselon les pays.<\/p>\n\n\n\n Le populisme se d\u00e9veloppe souvent sur fond de corruption, afin de d\u00e9gager les corrompus \u2013 mais que faire alors du populisme de Berlusconi ou de Donald Trump ? <\/p>\n\n\n\n La mont\u00e9e des in\u00e9galit\u00e9s ressort comme l\u2019une des\nsources alimentant le populisme. Les pays les plus touch\u00e9s par les populismes\nsont le plus souvent ceux o\u00f9 les filets de s\u00e9curit\u00e9 sociale sont les plus\nfaibles. La r\u00e9volution technologique appara\u00eet comme une cause majeure de cette\nmont\u00e9e des in\u00e9galit\u00e9s.<\/p>\n\n\n\n Les in\u00e9galit\u00e9s territoriales, qui en d\u00e9coulent en\npartie, ont impos\u00e9 des nouveaux clivages : cosmopolite contre identitaire,\nouverture contre fermeture, nomades contre s\u00e9dentaires.<\/p>\n\n\n\n Au-del\u00e0 du d\u00e9fi constitu\u00e9 par l\u2019accroissement des in\u00e9galit\u00e9s sociales et territoriales entre les soci\u00e9t\u00e9s europ\u00e9ennes et \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur de celles-ci, il faut s\u2019int\u00e9resser au caract\u00e8re relatif <\/em>du sentiment de d\u00e9classement exprim\u00e9 par de nombreux citoyens, sur fond d\u2019extension du th\u00e9\u00e2tre de la comparaison \u00e0 toute l\u2019Europe. L\u2019un des grands paradoxes de l’int\u00e9gration europ\u00e9enne, avec ses corollaires d\u2019interd\u00e9pendance \u00e9conomique, de mobilit\u00e9 accrue et d\u2019\u00e9largissement des horizons, est en effet qu\u2019elle cr\u00e9e du m\u00eame coup de nouvelles perspectives pour l’expansion de la ranc\u0153ur sociale, de l\u2019envie et de l\u2019animosit\u00e9. Le paradoxe n’est qu’apparent. Comme l\u2019a rappel\u00e9 Pierre Hassner, le probl\u00e8me qui se pose \u00e0 l\u2019Europe aujourd\u2019hui \u00ab est moins de faire coexister des syst\u00e8mes, des alliances, ou des superpuissances que des \u00c9tats nationaux et, plus encore, des communaut\u00e9s \u00e9conomiques, sociales et culturelles dans la vie quotidienne. \u00bb Si l\u2019on distingue entre trois niveaux de relations en Europe \u2013 l’interaction strat\u00e9gique, l’interd\u00e9pendance \u00e9conomique et l’interp\u00e9n\u00e9tration socioculturelle \u2013 le potentiel de conflit et d\u2019irruption nationaliste d\u00e9coule moins de nos jours du premier niveau que des deux autres, et notamment de leur combinaison. <\/p>\n\n\n\n Le ressentiment\nengendr\u00e9 par la perception <\/em>des\nin\u00e9galit\u00e9s sur fond g\u00e9opolitique n\u2019est pas pr\u00e9gnant seulement dans les soci\u00e9t\u00e9s\nd\u2019Europe centrale et orientale ; on entend aujourd\u2019hui ce sentiment d\u2019\u00eatre\ndes citoyens \u00ab de seconde zone \u00bb exprim\u00e9, par exemple, par des\nfigures du premier rang du gouvernement italien.<\/p>\n\n\n\n Autre source de mont\u00e9e du populisme, un sentiment de frustration, de col\u00e8re chez une partie des \u00e9lectorats qui se traduit par une d\u00e9saffection des partis traditionnels, un \u00ab d\u00e9gagisme \u00bb qui s\u2019accompagne d\u2019une valorisation des discours plus tranchants. On peut alors parler de crise politique, que l\u2019on peut lier \u00e0 une crise de la souverainet\u00e9. Cela facilite l\u2019\u00e9mergence de leaders forts dans lesquels les citoyens placent leurs attentes dans un contexte de crise des corps interm\u00e9diaires, accompagn\u00e9e par la perte de leur fonction. <\/p>\n\n\n\n M\u00eame si on relativise leur mont\u00e9e aux prochaines \u00e9lections europ\u00e9ennes, il est probable que les formations qui accepteront de se d\u00e9crire comme populistes constitueront tout de m\u00eame une force politique face \u00e0 laquelle il faudra proposer une coalition transversale. <\/p>\n\n\n\n Cette note r\u00e9sulte d\u2019un \u00e9change entre des membres groupe de travail de l\u2019Institut Jacques Delors sur les \u00e9lections europ\u00e9ennes (Pascal Lamy, S\u00e9bastien Maillard, Christine Verger, Thierry Chopin, Genevi\u00e8ve Pons, Pervenche B\u00e9r\u00e8s, Aziliz Gouez) et des membres du Groupe d\u2019\u00e9tudes g\u00e9opolitiques (Ramona Bloj, Carlo De Nuzzo, Gilles Gressani)<\/em><\/p>\n\n\n\n On peut distinguer d\u2019une mani\u00e8re tr\u00e8s sch\u00e9matique trois formes de\nnationalisme qui sont successivement apparues depuis l\u2019\u00e2ge des R\u00e9volutions au\nXVIIIe<\/sup> si\u00e8cle :<\/p>\n\n\n\n La m\u00e9thode g\u00e9opolitique fournit une perspective int\u00e9ressante pour comprendre de quoi le nationalisme est le nom aujourd\u2019hui. Quand on parle de nationalisme il faut en effet toujours expliciter quel espace, quelle \u00ab repr\u00e9sentation du territoire national \u00bb et \u00ab des rivalit\u00e9s \u00bb <\/span>3<\/sup><\/a><\/span><\/span> sont mobilis\u00e9s parfois inconsciemment par les acteurs qui se r\u00e9clament du concept de nation. <\/p>\n\n\n\n On peut remarquer ainsi une rupture entre les nationalismes\nclassiques en Europe et les n\u00e9onationalismes europ\u00e9ens contemporains. <\/p>\n\n\n\n Le nationalisme classique europ\u00e9en produisait une grande\ndivergence. Les nationalistes fran\u00e7ais s\u2019opposaient aux nationalistes allemands\n\u00e0 partir d\u2019une s\u00e9rie de repr\u00e9sentations territoriales qui engendraient des\nrivalit\u00e9s g\u00e9ographiquement situ\u00e9es : on peut penser \u00e0 l\u2019Alsace ou \u00e0 la Lorraine\npar exemple. <\/p>\n\n\n\n En revanche, le discours nationaliste contemporain (n\u00e9onationaliste) se construit d\u2019une mani\u00e8re fortement convergente (en r\u00e9action et) \u00e0 Bruxelles. Effet paradoxal de l\u2019europ\u00e9anisation du politique, la plupart des leaders n\u00e9onationalistes ont trouv\u00e9 au Parlement europ\u00e9en une tribune dans laquelle ils peuvent confortablement attaquer les institutions qui les accueillent, en contribuant \u00e0 \u00e9changer sur leurs tactiques, sur des symboles communs (batailles de L\u00e9pante, Poitiers…) ou sur leurs m\u00e9thodes. On constate ainsi que si les partis nationalistes ont trouv\u00e9 dans l\u2019euroscepticisme un moyen pour constituer une ligne politique commune, la sortie de l\u2019euro ne para\u00eet plus \u00eatre une fin revendiqu\u00e9e. D\u2019o\u00f9 un paradoxe qui doit \u00eatre soulign\u00e9 : il est de plus en plus rare de voir des n\u00e9onationalistes pr\u00f4ner une sortie d\u00e9finitive de l\u2019Union ou m\u00eame simplement une sortie de l\u2019euro. <\/p>\n\n\n\n La rupture entre les nationalismes classiques et le\nn\u00e9onationalisme semble se caract\u00e9riser par un changement d\u2019\u00e9chelle allant du\ncadre national vers le cadre continental et par un d\u00e9placement de la ligne\npolitique vers des th\u00e9matiques communes et europ\u00e9ennes : la question de\nl\u2019accueil des migrants, la critique des \u00e9lites, l\u2019Islam, l\u2019Europe blanche et\nchr\u00e9tienne de Viktor Orb\u00e1n…<\/p>\n\n\n\n Que penser de ce ph\u00e9nom\u00e8ne ? Il peut en tout cas nous faire dire\nque les nationalismes ont fermement pris place dans le cadre europ\u00e9en. Ajoutons\nque m\u00eame si ce tournant important pourrait \u00eatre plus d\u00fb \u00e0 l\u2019opportunisme des\nleaders n\u00e9onationalistes qu\u2019\u00e0 une \u00e9volution de leurs convictions,\nl\u2019europ\u00e9anisation des n\u00e9onationalismes a contribu\u00e9 \u00e0 r\u00e9aligner certaines de\nleurs propositions vers des positionnements plus centraux. On a pu\nremarquer les parall\u00e8les entre le discours de Sebastian Kurz lors de son\nd\u00e9placement en Chine et celui d\u2019Emmanuel Macron prononc\u00e9 quelques mois plus\nt\u00f4t. <\/p>\n\n\n\n Il reste encore \u00e0 d\u00e9terminer si l\u2019usage de th\u00e8mes nationalistes ne sert pas surtout la tactique politique attentive \u00e0 l\u2019efficacit\u00e9 des styles populistes <\/span>4<\/sup><\/a><\/span><\/span> dans le contexte d\u2019une s\u00e9quence \u00e9lectorale mondiale marqu\u00e9e par la victoire d\u2019offres politiques qui r\u00e9clament la priorit\u00e9 de la nation (Trump, Bolsonaro ou le Brexit). <\/p>\n\n\n\n Notons la contradiction qui existe en Europe entre ces n\u00e9onationalistes\nqui convergent \u00e0 une \u00e9chelle continentale et leurs r\u00e9f\u00e9rences id\u00e9ologiques,\nleurs repr\u00e9sentations territoriales potentiellement conflictuelles, leurs\nint\u00e9r\u00eats politiques souvent divergents et qui se nourrissent de la rivalit\u00e9 de\nlong terme entre \u00c9tats voisins. <\/p>\n\n\n\n Un retour des nationalismes guerriers europ\u00e9ens para\u00eet pour autant\ntrop compliqu\u00e9 \u00e0 imaginer. On n\u2019assisterait pas tant \u00e0 une r\u00e9surrection du\nnationalisme qu\u2019\u00e0 une d\u00e9construction de tous les corps politiques. La paix\nperp\u00e9tuelle amen\u00e9e par l\u2019Union a peut-\u00eatre sonn\u00e9 le glas d\u2019une inimiti\u00e9\neurop\u00e9enne au profit de souverainet\u00e9s plus individualistes et corporatistes.\nDemeure la question : sommes-nous capables de vivre dans une Europe en paix ? <\/p>\n\n\n\n Prenant pour preuve la fragmentation des partis d\u2019extr\u00eame-droite\nau sein du Parlement europ\u00e9en et les nombreuses contradictions de leurs\ndiscours (entre Salvini et Kurz, par exemple), on peut douter actuellement des\ncapacit\u00e9s des nationalistes \u00e0 former des alliances transnationales\nperformantes. Toutefois on ne doit pas sous-estimer la capacit\u00e9 des mouvements\nn\u00e9onationalistes \u00e0 mettre de c\u00f4t\u00e9 leurs dissensions au profit d\u2019agendas plus\ntransversaux. Des pr\u00e9c\u00e9dents sont pr\u00e9sents dans l\u2019histoire. Que l\u2019on pense \u00e0\nl\u2019alliance des dictatures fascistes (Allemagne, Italie) et nationalistes\n(Japon, Hongrie, Roumanie) dans la seconde partie des ann\u00e9es 1930. <\/p>\n\n\n\n Par ailleurs, la nation invoqu\u00e9e par les n\u00e9onationalistes est tr\u00e8s abstraite et ses contours sont souvent confus (chaque nation a le secret de sa propre unit\u00e9 : la nation n\u2019existe pas, les<\/em> nations existent) mais un point commun existe dans leur revendication d\u2019\u00c9tats plus souverains. On pourrait alors sugg\u00e9rer l\u2019id\u00e9e que les mouvements n\u00e9onationalistes partagent ou en tout cas profitent de la cristallisation d\u2019une utopie souverainiste dans une partie des populations europ\u00e9ennes. \u00c0 Bruxelles se substituerait donc l\u2019id\u00e9e d\u2019une \u00ab Europe des Nations \u00bb qui construirait l\u2019unit\u00e9 europ\u00e9enne sans cadre f\u00e9d\u00e9rateur.<\/p>\n\n\n\n Notons tout de m\u00eame que des clivages importants demeurent :\nsur le rapport au libre-\u00e9change, sur les questions soci\u00e9tales et sur des\nquestions purement g\u00e9opolitiques (la division des n\u00e9onationalistes entre\nAtlantistes et pro-Russes, par exemple). \n<\/p>\n\n\n\n \u00c0 l\u2019\u00e9chelle europ\u00e9enne, une des niches pour les\nnationalismes se trouve dans une des contradictions inh\u00e9rentes au projet\neurop\u00e9en : celle qui oppose l\u2019id\u00e9e d\u2019une Europe universelle (qui serait\nune super organisation d\u2019inspiration onusienne) \u00e0 l\u2019Europe particuli\u00e8re (de\nvaleurs sp\u00e9cifiquement europ\u00e9ennes). \u00c0 cet \u00e9gard, la nation avait r\u00e9ussi \u00e0\ncombiner universalisme et particularit\u00e9. Cette combinaison n\u2019existe pas encore\nau niveau europ\u00e9en et elle n\u2019existe plus au niveau national. C\u2019est dans cette tension\nque pourrait se nicher le nouveau discours nationaliste. <\/p>\n\n\n\n Con\u00e7ue comme le cadre d\u2019expression privil\u00e9gi\u00e9 de\nl\u2019autonomie politique, la nation a longtemps \u00e9t\u00e9 la clef de vo\u00fbte de la\nd\u00e9mocratie. \u00c0 ce titre, il est imp\u00e9ratif pour l\u2019Europe de r\u00e9pondre \u00e0\nl\u2019inqui\u00e9tude d\u00e9mocratique qu\u2019elle suscite chez une partie de ses citoyens qui\nse sentent d\u00e9poss\u00e9d\u00e9s de leur pouvoir souverain par des institutions qu\u2019ils\njugent lointaines et trop peu transparentes. <\/p>\n\n\n\n Le d\u00e9ficit d\u2019un sens de communaut\u00e9, d\u2019une identit\u00e9\neurop\u00e9enne reposant sur des valeurs communes renforce les positionnements\nidentitaires et les d\u00e9sirs d\u2019identit\u00e9s ferm\u00e9es. <\/p>\n\n\n\n Du c\u00f4t\u00e9 des nationalismes r\u00e9gionaux, la construction\neurop\u00e9enne est clairement apparue comme une promesse dans laquelle se sont\nr\u00e9fugi\u00e9s les ind\u00e9pendantistes, le\nsyst\u00e8me de repr\u00e9sentation des nations peut en effet encourager l\u2019\u00e9largissement\ninterne.<\/p>\n\n\n\n La difficult\u00e9 \u00e0 penser la nation au sein de l\u2019Union europ\u00e9enne n\u2019a pas encore \u00e9t\u00e9 surmont\u00e9e et la proposition de superposition des patriotismes europ\u00e9ens et nationaux propos\u00e9e par le Pr\u00e9sident Juncker n\u2019a pas vraiment port\u00e9 ses fruits. <\/p>\n\n\n\n D\u00e8s lors, comment r\u00e9pondre aux n\u00e9onationalistes ? Par le raisonnement, ou par les symboles ? La r\u00e9ponse est d\u2019autant plus complexe que les n\u00e9onationalistes s\u2019imposent de plus en plus dans le d\u00e9bat m\u00e9diatique, dont ils ma\u00eetrisent excellemment les codes et les pratiques.<\/p>\n\n\n\n Cette note r\u00e9sulte d\u2019un \u00e9change entre des membres groupe de travail de l\u2019Institut Jacques Delors sur les \u00e9lections europ\u00e9ennes (Jean-Louis Bourlanges, Thierry Chopin, Alain Lamassoure, Pascal Lamy, S\u00e9bastien Maillard, Genevi\u00e8ve Pons, Christine Verger) et des membres du Groupe d\u2019\u00e9tudes g\u00e9opolitiques (Ramona Bloj, Carlo De Nuzzo, Gilles Gressani, Baptiste Roger-Lacan)<\/em><\/p>\n\n\n\n La notion de progressisme doit \u00eatre comprise en fonction de notre rapport au temps. <\/p>\n\n\n\n Dans une conception circulaire ou cyclique de la temporalit\u00e9, le passage du temps ne co\u00efncide pas avec l\u2019id\u00e9al d\u2019une am\u00e9lioration progressive de l\u2019humanit\u00e9 et de l\u2019\u00e9tat du monde. L\u2019\u00c2ge d\u2019or \u00e9tait derri\u00e8re les Latins et les Grecs. Le retour r\u00e9current des saisons et des \u00e9v\u00e9nements laissaient peu de place \u00e0 la croyance en un sens de l\u2019Histoire. <\/p>\n\n\n\n La notion de progressisme est indissociable de la vision lin\u00e9aire du temps issue du Christianisme <\/span>5<\/sup><\/a><\/span><\/span>. La croyance en la naissance du Messie introduit un point de rupture dans la circularit\u00e9 du temps. On commence \u00e0 compter<\/em> les ann\u00e9es \u00e0 partir de la naissance du Christ, en orientant le temps suspendu entre sa naissance et l\u2019attente de son retour. L\u2019Histoire a un sens. <\/p>\n\n\n\n Cette conception progressive du temps lin\u00e9aire et orient\u00e9 vers le Salut a d\u00e9bord\u00e9 le cadre id\u00e9ologique chr\u00e9tien : <\/p>\n\n\n\n La croyance en un temps conduisant d\u2019une mani\u00e8re lin\u00e9aire au progr\u00e8s semble aujourd\u2019hui tomb\u00e9e en d\u00e9su\u00e9tude. Si la crise de l\u2019historicisme se situe sur une dur\u00e9e plus longue <\/span>6<\/sup><\/a><\/span><\/span>, deux \u00e9l\u00e9ments paraissent avoir intensifi\u00e9 la crise du progr\u00e8s depuis une trentaine d\u2019ann\u00e9es. <\/p>\n\n\n\n Exception notable, les entreprises de haute technologie continuent \u00e0 mobiliser la notion de progr\u00e8s qui leur fournit une justification puissante : nous d\u00e9sirons un nouveau smartphone car il passe, en quelques ann\u00e9es, de sa version 5 \u00e0 sa version 10. Doit-on en ce sens parler d\u2019une siliconvalleysation<\/em> du progr\u00e8s ?<\/p>\n\n\n\n Que reste-t-il donc du progressisme politique aujourd\u2019hui ? On peut affirmer que le progressisme est le mouvement d\u2019id\u00e9es qui cherche \u00e0 rem\u00e9dier aux injustices sociales produites par le capitalisme tout en ne croyant plus en la lin\u00e9arit\u00e9 du sens de l\u2019Histoire. Par cons\u00e9quent, \u00e0 la perspective r\u00e9volutionnaire, le progressisme pr\u00e9f\u00e8re la recherche d\u2019alternatives au mod\u00e8le du lib\u00e9ralisme \u00e9conomique, dans la conviction que, sans correction, le capitalisme finit par creuser les in\u00e9galit\u00e9s et les injustices au point de menacer sa propre survie. <\/p>\n\n\n\n La crise internationale de 2008 a \u00e9t\u00e9 un moment de drastique remise en question d\u2019une s\u00e9rie d\u2019\u00e9l\u00e9ments auxquels les progressistes, surtout apr\u00e8s la chute du Mur, avaient fini par se rallier :<\/p>\n\n\n\n Si le progressisme est entendu comme un synonyme d\u2019une transformation lin\u00e9aire et positive, en s\u2019opposant au conservatisme et \u00e0 l\u2019inertie, il devient urgent de s\u2019interroger sur sa contestation contemporaine. Sauvegarder la nature, prot\u00e9ger la d\u00e9mocratie, d\u00e9fendre les droits acquis rel\u00e8ve-t-il d\u2019une attitude conservatrice ou d\u2019une attitude progressiste ? C\u2019est l\u00e0 une des limites manifestes de l\u2019usage du mot progressisme dans cette phase historique. Le progr\u00e8s ne peut en effet plus \u00eatre synonyme n\u00e9cessairement de \u00ab plus \u00bb ou de \u00ab nouveau \u00bb, sur le mode lin\u00e9aire qui l\u2019a caract\u00e9ris\u00e9 depuis le temps des Lumi\u00e8res. <\/p>\n\n\n\n Depuis sa campagne victorieuse de 2017 jusqu\u2019\u00e0 sa Tribune adress\u00e9e aux citoyens de l\u2019Europe le 5 mars 2019, Emmanuel Macron insiste sur la nature progressiste de son mouvement et de ses propositions. Mais de quel progressisme s\u2019agit-il ? <\/p>\n\n\n\n Le progressisme para\u00eet une mani\u00e8re pour le Pr\u00e9sident fran\u00e7ais de se donner une identit\u00e9 politique qui d\u00e9passe la simple identification \u00e0 sa personne, gr\u00e2ce \u00e0 une notion attrape-tout. <\/p>\n\n\n\n Se r\u00e9clamer du progressisme, \u00e0 l\u2019\u00e9chelle nationale et continentale, c\u2019est se poser en adversaire des mouvements n\u00e9onationalistes <\/span>10<\/sup><\/a><\/span><\/span>, tout en occupant un p\u00f4le central dans le jeu politique. De plus, cette notion a l\u2019avantage de permettre de continuer d\u2019activer le clivage qui oppose non pas les partisans de la soci\u00e9t\u00e9 ouverte et ceux de la fermeture, mais plut\u00f4t les partisans du changement \u00e0 ceux de l\u2019ordre. Par ailleurs, l\u2019\u00e9vocation du progr\u00e8s, ou plut\u00f4t de l\u2019am\u00e9lioration de l\u2019\u00e9tat des choses plus ou moins volontariste, permet une coloration tr\u00e8s floue et plut\u00f4t grand public.<\/p>\n\n\n\n Est-ce que le progressisme, de ce point de vue, est suffisant pour configurer l\u2019ensemble des \u00e9l\u00e9ments qui composent les soutiens du Pr\u00e9sident fran\u00e7ais ? Est-ce une notion suffisamment f\u00e9d\u00e9ratrice ? <\/p>\n\n\n\n Ce n\u2019est pas certain. D\u2019abord, chez les opposants au progressisme on trouve des partisans de la construction europ\u00e9enne. Ensuite, on n\u00e9glige la difficult\u00e9 pour les citoyens des pays de l\u2019Est de comprendre l\u2019usage du mot progressisme dans une rupture avec les \u00e9l\u00e9ments de langage utilis\u00e9s par le socialisme r\u00e9el. Enfin et surtout, on prend le risque d\u2019attribuer en retour une tribune excessive aux nationalistes sans \u00e9puiser la complexit\u00e9 du clivage classique gauche\/droite. <\/p>\n\n\n\n Aussi, l\u2019utilisation par le pr\u00e9sident Macron du terme \u00ab progressisme \u00bb, oppos\u00e9 dans son expression au \u00ab souverainisme \u00bb ou au \u00ab nationalisme \u00bb, constitue un curieux retour du concept de progr\u00e8s, qui soul\u00e8ve plusieurs interrogations. Est-il pertinent de fonder un discours politique sur ce clivage de mots en \u00ab ismes \u00bb relevant de cat\u00e9gories h\u00e9t\u00e9rog\u00e8nes ? Faut-il y voir un simple subterfuge rh\u00e9torique utilis\u00e9 par l\u2019homme politique qui a fait du \u00ab en m\u00eame temps \u00bb sa marque de fabrique ? D\u2019un apanage des forces de gauche, le progressisme est-il en train de devenir un masque du lib\u00e9ralisme ? <\/p>\n\n\n\n Le \u00ab mieux \u00bb (efficacit\u00e9 \u00e9nerg\u00e9tique, redistribution fiscale) et le \u00ab durable \u00bb (pr\u00e9servation des ressources) ont, par le biais \u00e9cologique, remplac\u00e9 les deux credo<\/em> du capitalisme, le \u00ab plus \u00bb et le \u00ab nouveau \u00bb. Cette nouvelle configuration peut-elle se lier \u00e0 une forme renouvel\u00e9e de \u00ab progressisme \u00bb ? Et la politique d\u2019Emmanuel Macron en fait-elle des priorit\u00e9s ? Alors que pour les sociaux-d\u00e9mocrates la lutte contre les in\u00e9galit\u00e9s et la prise en compte de la transition \u00e9cologique sont les deux priorit\u00e9s encore en mesure de structurer une action au nom du progr\u00e8s, l\u2019usage du mot progressisme<\/em> en opposition au souverainisme<\/em> court le risque de transformer l\u2019expression en faux-nez du lib\u00e9ralisme, comme elle le fut du communisme avant 1989.<\/p>\n\n\n\n Pour comprendre la formule \u00ab souverainet\u00e9 europ\u00e9enne \u00bb il peut \u00eatre utile de commencer par cerner le concept de souverainet\u00e9, en notant la proximit\u00e9 \u00e9tymologique \u00e9tonnante entre les mots \u00ab souverain \u00bb et \u00ab soprano<\/em>. \u00bb Si la voix d\u2019un soprano<\/em> est en effet la plus haute, est souverain celui qui d\u00e9cide en derni\u00e8re instance. <\/p>\n\n\n\n On remarque que l\u2019\u00c9tat moderne europ\u00e9en s\u2019est historiquement d\u00e9fini dans la recherche d\u2019\u00e9l\u00e9ments permettant de rendre efficace et visible son contr\u00f4le sur la derni\u00e8re instance : l\u2019arm\u00e9e, la monnaie ou les appareils policiers sont devenus des moyens r\u00e9galiens \u00e0 disposition des fins du souverain. L\u2019exercice du pouvoir \u00e9tatique a ainsi fini par se confondre avec la notion de souverainet\u00e9. En France, il a m\u00eame fini par devenir le synonyme de contr\u00f4le sur le fonctionnement de l\u2019\u00c9tat, de puissance publique.<\/p>\n\n\n\n Cependant, depuis plusieurs d\u00e9cennies, on constate une tendance qui va \u00e0 l\u2019encontre de cette juxtaposition entre \u00c9tat et souverainet\u00e9. Le pouvoir, la puissance et la d\u00e9cision en derni\u00e8re instance concernent d\u00e9sormais un champ bien plus large que celui des comp\u00e9tences d\u2019un \u00c9tat. D\u2019un c\u00f4t\u00e9 on assiste \u00e0 l\u2019\u00e9mergence du non-r\u00e9galien (l\u2019environnement, le cyberespace) de l\u2019autre on constate la progressive \u00e9mancipation de sph\u00e8res autrefois reli\u00e9es au r\u00e9galien (le commerce, en partie la monnaie). <\/p>\n\n\n\n Face \u00e0 cette dilution de la souverainet\u00e9 \u00e9tatique, comme par un mouvement de contrecoup, se r\u00e9pand une id\u00e9ologie \u00ab souverainiste \u00bb : les partisans du Brexit affirment une volont\u00e9 de \u00ab take back control \u00bb<\/em>, Donald Trump d\u00e9fie les puissances commerciales internationales \u00e0 partir du mot d\u2019ordre \u00ab America first<\/em>. \u00bb En Europe continentale on retrouve \u00e9galement cette tendance, m\u00eame si les souverainistes europ\u00e9ens, contraints par des leviers d\u2019action plus limit\u00e9s, doivent souvent avoir recours \u00e0 l\u2019appui d\u2019une puissance ext\u00e9rieure, comme en Italie, et ne paraissent pas toujours int\u00e9ress\u00e9s par la sortie de l\u2019Union. <\/p>\n\n\n\n Plus g\u00e9n\u00e9ralement cette volont\u00e9 de regagner le sentiment d\u2019avoir le choix profite de la confusion entre ind\u00e9pendance et souverainet\u00e9 et de l\u2019amalgame entre consommateurs et citoyens, qui peut \u00eatre reproch\u00e9 aux politiques europ\u00e9ennes.<\/p>\n\n\n\n La campagne fran\u00e7aise pour la pr\u00e9sidentielle a relanc\u00e9 le d\u00e9bat sur la souverainet\u00e9 europ\u00e9enne. Si on peut d\u00e9sormais reconna\u00eetre une certaine tendance gaulliste chez Macron, sa proposition politique se situait alors parfaitement dans la lign\u00e9e mitterrandienne de \u00ab la Grande France \u00bb au sein de l\u2019Europe. On remarque que parler de souverainet\u00e9 est souvent le seul moyen de parler d\u2019Europe en France et Emmanuel Macron mise d\u00e9sormais sur cette formule comme un moyen pour prendre position face \u00e0 Marine Le Pen et Jean-Luc M\u00e9lenchon qui cherchent \u00e0 mobiliser ce th\u00e8me \u00e0 l\u2019\u00e9chelle nationale.<\/p>\n\n\n\n Peut-on pour autant prolonger l\u2019usage de ce concept au-del\u00e0 du cadre \u00e9lectoral fran\u00e7ais ? Le probl\u00e8me a \u00e9t\u00e9 de ne pas l\u2019adapter, notamment \u00e0 la r\u00e9ception du point de vue des pays de l\u2019ancien bloc de l\u2019Est o\u00f9 la notion d\u2019empire est venue perturber le sens de ce concept. Avec l\u2019id\u00e9e d\u2019empire, c\u2019est le principe d\u2019une ob\u00e9issance des \u00c9tats f\u00e9d\u00e9r\u00e9s qui est mise en avant, voire, par l\u2019in\u00e9vitable glissement s\u00e9mantique vers la notion d\u2019imp\u00e9rialisme, d\u2019extension territoriale par la conqu\u00eate, ce qui est aux antipodes de l\u2019histoire et de l\u2019esprit de la construction europ\u00e9enne.<\/p>\n\n\n\n La r\u00e9ception de la lettre du pr\u00e9sident Macron dans les pays de l\u2019ancien bloc communiste est \u00e0 cet \u00e9gard indicative, car on retrouve \u00e0 la fois une vieille tendance fran\u00e7aise \u00e0 projeter une vision de l\u2019Europe comme projection de la force de l\u2019\u00c9tat (fran\u00e7ais) \u00e0 l\u2019\u00e9chelle europ\u00e9enne, et dans les nations jeunes que sont les anciens pays du bloc de l\u2019Est, on retrouve une volont\u00e9 d\u2019affranchissement d\u2019un pouvoir ext\u00e9rieur et supranational, une volont\u00e9 d\u2019exercer, enfin, une pleine souverainet\u00e9 \u00e0 la taille de l\u2019ind\u00e9pendance enfin reconquise.<\/p>\n\n\n\n Au-del\u00e0 des consid\u00e9rations linguistiques, c\u2019est l\u2019application du principe de souverainet\u00e9 \u00e0 l\u2019Union europ\u00e9enne qui pose probl\u00e8me. Est-ce que la souverainet\u00e9 est une souverainet\u00e9 totale ? Si elle existe, est-elle partielle ? Comment d\u00e9limiter ce partage sans effectuer un saut qualitatif vers la dimension f\u00e9d\u00e9rale ?<\/p>\n\n\n\n On doit d\u2019abord reconna\u00eetre que l\u2019Europe r\u00e9galienne est partielle et \u00e9volutive, et que la souverainet\u00e9 est, au mieux, en partage avec les souverainet\u00e9s nationales. Jacques Delors parlait paradoxalement d\u2019une \u00ab F\u00e9d\u00e9ration d\u2019\u00c9tats nations. \u00bb Ce paradoxe traduisait une id\u00e9e fondamentale : au sein de l\u2019Union Europ\u00e9enne, la souverainet\u00e9 se doit d\u2019\u00eatre multimodale et capable d\u2019articuler plusieurs \u00e9chelles. Il est possible de sch\u00e9matiser la souverainet\u00e9 europ\u00e9enne comme suit :<\/p>\n\n\n\n D\u00e8s lors, l\u2019objectif, \u00e0 terme, d\u2019une v\u00e9ritable souverainet\u00e9 europ\u00e9enne est de transformer ce c\u00f4ne en cylindre. Un discours plus ambitieux sur la souverainet\u00e9 europ\u00e9enne est en effet un moyen d\u2019ouvrir la voie vers un sentiment d\u2019appartenance, d\u2019apporter une r\u00e9ponse \u00e0 la question identitaire et d\u2019affirmer le principe du \u00ab continuer \u00e0 s\u2019int\u00e9grer pour devenir souverain. \u00bb<\/p>\n\n\n\n De ce point de vue, la notion de bien souverain, de bien public europ\u00e9en, est n\u00e9cessaire pour donner corps \u00e0 un contenu, \u00e0 une Europe r\u00e9galienne. L\u2019int\u00e9r\u00eat des enjeux r\u00e9galiens, c\u2019est qu\u2019ils permettent de distinguer entre un \u00ab dedans<\/em> \u00bb et un \u00ab dehors<\/em> \u00bb, et donc d\u2019ouvrir la voie \u00e0 la constitution, \u00e0 terme, d\u2019un sentiment d\u2019appartenance. <\/p>\n\n\n\n Cette note r\u00e9sulte d\u2019un \u00e9change entre des membres groupe de travail de l\u2019Institut Jacques Delors sur les \u00e9lections europ\u00e9ennes (Pascal Lamy, Christine Verger, Jean-Louis Bourlanges, Pervenche B\u00e9r\u00e8s, Alain Lamassoure, Thierry Chopin, Genevi\u00e8ve Pons, Matthieu Meunier) et des membres du Groupe d’\u00e9tudes g\u00e9opolitiques (Gilles Gressani, Ramona Bloj, Vera Marchand). <\/em><\/p>\n\n\n\n La formule \u00ab l\u2019Europe qui prot\u00e8ge \u00bb pr\u00e9sente une ambigu\u00eft\u00e9 structurelle. <\/p>\n\n\n\n Il s\u2019agit d’abord d\u2019un \u00e9l\u00e9ment mobilis\u00e9 lors d\u2019une s\u00e9rie de campagnes \u00e9lectorales et qui a fini par devenir \u00e0 plusieurs reprises un \u00e9l\u00e9ment du dispositif rh\u00e9torique politique. Comme telle, elle a \u00e9t\u00e9 p\u00e9riodiquement reprise par des personnalit\u00e9s politiques diff\u00e9rentes : de Fran\u00e7ois Mitterrand, en 1992 lors de la campagne pour le R\u00e9f\u00e9rendum de Maastricht, \u00e0 Nicolas Sarkozy en 2008 ou, jusqu\u2019\u00e0 aujourd\u2019hui, Emmanuel Macron. La formule sert alors un int\u00e9r\u00eat politique imm\u00e9diat qui trouve tout son sens dans un contexte politique d\u00e9termin\u00e9.<\/p>\n\n\n\n Pourtant m\u00eame dans cet usage politique circonscrit \u00e0 une occasion limit\u00e9e, cette expression pr\u00e9sente une ambition bien plus large. Point dans cette formule une doctrine g\u00e9opolitique partiellement incompl\u00e8te et encore \u00e0 expliciter compl\u00e8tement, bien qu\u2019elle ait \u00e9t\u00e9 illustr\u00e9e par une s\u00e9rie de contributions r\u00e9centes. <\/p>\n\n\n\n Ainsi quand on aborde la question de \u00ab l\u2019Europe qui prot\u00e8ge \u00bb, il devient important de comprendre si son usage pr\u00e9sente une vis\u00e9e politique imm\u00e9diate ou si elle contribue \u00e0 l\u2019\u00e9laboration d\u2019une doctrine plus articul\u00e9e dans le temps.<\/p>\n\n\n\n Prot\u00e9ger les citoyens europ\u00e9ens est devenu un lieu commun des politiques nationales et europ\u00e9enne. <\/p>\n\n\n\n Sous-jacentes \u00e0 la notion d\u2019\u00ab Europe qui prot\u00e8ge \u00bb comme strat\u00e9gie \u00e9lectorale, on trouve les peurs et les craintes des citoyens, la prise en compte d\u2019une faiblesse dans le monde actuel \u00e0 laquelle il faudrait r\u00e9pondre par le passage \u00e0 l\u2019\u00e9chelon sup\u00e9rieur d\u2019une Europe envisag\u00e9e \u00e0 tour \u00e0 tour comme multiplicateur de puissance (Mitterrand) ou comme forteresse (Sarkozy).<\/p>\n\n\n\n Cependant, si cette notion fonctionne rationnellement, elle peine encore \u00e0 faire son chemin \u00e9motionnellement aupr\u00e8s des \u00e9lecteurs. En effet, la protection d\u00e9sir\u00e9e ne parvient pas toujours \u00e0 passer outre le fait que la protection est souvent associ\u00e9e \u00e0 un d\u00e9sir de proximit\u00e9 auquel l\u2019Europe dans son \u00e9tendue a du mal \u00e0 r\u00e9pondre. Trop \u00e9loign\u00e9e, trop technocratique, du moins en apparence, l\u2019Europe para\u00eet mal arm\u00e9e pour r\u00e9pondre \u00e0 un d\u00e9sir de protection qui passe souvent par l\u2019attachement au local contre un global devenu inqui\u00e9tant parce que mal ma\u00eetris\u00e9.<\/p>\n\n\n\n On doit remarquer l’ambigu\u00eft\u00e9 de la formule quand elle laisse entendre que l\u2019Europe qui prot\u00e8ge devrait \u00eatre protectionniste. Or le protectionnisme, au moins dans le cas europ\u00e9en, ne saurait nous prot\u00e9ger. Il faudrait donc peut-\u00eatre doubler la notion de protection par quelque chose de plus ambitieux, tourn\u00e9 vers une strat\u00e9gie : \u00ab Une Europe qui prot\u00e8ge et qui montre la voie vers l\u2019avenir ? \u00bb <\/p>\n\n\n\n Par ailleurs, quelle Europe s\u2019agit-il de prot\u00e9ger ? Et avec quels moyens ? <\/p>\n\n\n\n \u00c0 ce sujet, le manque d\u2019articulation de projet est criant. La formule \u00e9lectorale c\u00e8de le pas \u00e0 l\u2019exigence de la construction d\u2019une doctrine capable de r\u00e9pondre \u00e0 la questions des moyens et des int\u00e9r\u00eats (qu\u2019est-ce qui nous permet de nous projeter vers l\u2019avenir ?) et \u00e0 celle des valeurs et des objectifs (est-ce la d\u00e9fense et l\u2019illustration du mode de vie europ\u00e9en ?).<\/p>\n\n\n\n De fa\u00e7on plus concr\u00e8te, l\u2019Europe qui prot\u00e8ge serait celle qui d\u00e9fend juridiquement les plus \u00ab petits \u00bb : ce terme flou, tr\u00e8s connot\u00e9 politiquement, pourrait cependant permettre d\u2019englober les r\u00e9gions pauvres, les petits \u00c9tats, les consommateurs, les PME dont l\u2019activit\u00e9 para\u00eet parfois menac\u00e9e par les multinationales, etc. Pourtant la d\u00e9fense des petits ne risque-t-elle pas d\u2019arr\u00eater tout projet de grandeur, en condamnant l\u2019Europe \u00e0 ne jamais disposer d\u2019un agenda offensif, \u00e0 l\u2019oublier comme lieu des grandes politiques du futur ?<\/p>\n\n\n\n On peut \u00e9galement remarquer la difficult\u00e9 cruciale qui consiste \u00e0 construire une doctrine europ\u00e9enne de la protection qui parte d\u2019une simple addition de 27 int\u00e9r\u00eats nationaux qui divergent et ont historiquement diverg\u00e9, au moins en partie, sur une s\u00e9rie de questions essentielles. Quand on observe la doctrine intergouvernementale du Quai d\u2019Orsay, par exemple, on remarque que si elle a longtemps promu un discours protectionniste et d\u00e9fensif, c\u2019\u00e9tait sur fond d\u2019une confusion avec un discours sur la d\u00e9fense des int\u00e9r\u00eats fran\u00e7ais. Ce qui ne manque pas de susciter les reproches d\u2019une partie des autres Europ\u00e9ens. L\u2019impression r\u00e9currente est alors que l\u2019Europe n\u2019est con\u00e7ue par les Fran\u00e7ais que comme une grande France. <\/p>\n\n\n\n Or s\u2019il para\u00eet impossible de concevoir une Europe qui prot\u00e8ge sans parvenir \u00e0 penser une Europe qui se projette, c\u2019est que les \u00e9l\u00e9ments divergents entre les int\u00e9r\u00eats des diff\u00e9rents \u00c9tats-membres apparaissent plus clairement quand leur rivalit\u00e9 se place au-del\u00e0 des r\u00e8gles de l\u2019intergouvernementalit\u00e9. On peut en ce sens penser au cas de la Libye et au \u00ab face-\u00e0-face franco-italien \u00bb qui a contribu\u00e9 \u00e0 l\u2019amplification de la crise <\/span>11<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n M\u00eame si certains peuvent regretter l\u2019utilisation d\u2019un terme moins passif ou n\u00e9gatif (comme solidarit\u00e9 ou s\u00e9curit\u00e9), il y a manifestement une attente dans les opinions publiques europ\u00e9ennes vis-\u00e0-vis de la protection (s\u00e9curit\u00e9, \u00e9co-social, \u00e9tat de droit, etc.). <\/p>\n\n\n\n Dans le champ politique europ\u00e9en ces attentes, pour certains, supposent qu\u2019on mette sur la table les limites du lib\u00e9ralisme afin de revoir les \u00e9quilibres entre libert\u00e9s et protection, posant n\u00e9cessairement la question d\u2019un entre-deux, d\u2019un \u00e9quilibre entre biens publics et march\u00e9s).<\/p>\n\n\n\n Voil\u00e0 peut-\u00eatre le projet commun que l\u2019Europe peut se donner, mais ce qu\u2019on entend par \u00ab protections \u00bb diverge largement entre les \u00c9tats membres. \u00c0 ce premier point d\u2019achoppement s\u2019ajoute la question des sommes que chaque \u00c9tat membre est pr\u00eat \u00e0 investir dans cette protection, faisant \u00e9merger de profonds d\u00e9saccords. <\/p>\n\n\n\n Il n\u2019en demeure pas moins que l\u2019Union a arm\u00e9 les Europ\u00e9ens dans la mondialisation ; et l\u2019\u00e9volution de la mondialisation entra\u00eene le besoin de nouvelles protections pour l\u2019Europe. Une approche qu\u2019il faut imm\u00e9diatement nuancer en remarquant que l\u2019on ne peut pas tout attendre de l\u2019Europe, alors que dans certains domaines celle-ci est \u00e0 m\u00eame de prot\u00e9ger les citoyens plus efficacement que les \u00c9tats-membres.<\/p>\n\n\n\n Cette \u00e9change r\u00e9sulte d’un \u00e9change entre les membres du groupe de travail de l’Institut Jacques Delors sur les \u00e9lections europ\u00e9ennes (Pascal Lamy, Christine Verger, Pervenche B\u00e9r\u00e8s, Alain Lamassoure, Genevi\u00e8ve Pons, S\u00e9bastien Maillard, Thierry Chopin, Matthieu Meunier) et des membres du Groupe d’\u00e9tudes g\u00e9opolitiques (Gilles Gressani, Ramona Bloj).<\/em><\/p>\n\n\n\n En r\u00e9sum\u00e9, c\u2019est celle qui repose sur les h\u00e9ritages gr\u00e9co-romains, du christianisme et des Lumi\u00e8res. Celle qui ressort des styles roman, gothique, Renaissance, baroque et classique fa\u00e7onnant le patrimoine artistique du continent. Les r\u00e9actions \u00e0 l\u2019incendie de Notre-Dame de Paris, survenu durant la campagne \u00e9lectorale, ont soulign\u00e9 un attachement commun \u00e0 ce \u00ab symbole de la culture europ\u00e9enne \u00bb, selon la r\u00e9action d\u2019Angela Merkel. Les villes et leur art de vivre en offrent un \u00e9loquent cadre quotidien. Mais cette Europe, peut-\u00eatre plus manifeste aux yeux des non-Europ\u00e9ens, est aussi celle hant\u00e9e par la m\u00e9moire des deux guerres mondiales, dont elle fut le principal th\u00e9\u00e2tre et qui portent une t\u00e2che ind\u00e9l\u00e9bile \u00e0 une civilisation qui, avec Paul Val\u00e9ry, sait qu\u2019elle est mortelle.<\/p>\n\n\n\n \u00ab Bruxelles \u00bb synth\u00e9tise cette Europe \u00e9rig\u00e9e par les trait\u00e9s. Le mot Europe renvoie ici aux institutions propres \u00e0 l\u2019Union europ\u00e9enne, \u00e0 ses r\u00e8glements et directives, \u00e0 ses grandes r\u00e9alisations, comme le march\u00e9 int\u00e9rieur, Schengen et l\u2019euro. Elle poss\u00e8de ses codes et son champ lexical. Elle est autant une construction juridique qu\u2019une puissante r\u00e9alit\u00e9 \u00e9conomique.<\/p>\n\n\n\n Concr\u00e9tis\u00e9 par les \u00ab p\u00e8res fondateurs \u00bb, le projet d\u2019Europe unie leur est ant\u00e9rieur. Kant ou l\u2019abb\u00e9 de Saint-Pierre figurent parmi les penseurs de l\u2019unit\u00e9 europ\u00e9enne que furent plus tard un Victor Hugo ou un Richard Coudenhove-Kalergi. Les expressions \u00ab faire l\u2019Europe \u00bb ou \u00ab construction europ\u00e9enne \u00bb font de l\u2019Europe non un point de d\u00e9part mais d\u2019arriv\u00e9e, tra\u00e7ant l\u2019unit\u00e9 comme horizon vers lequel tendre. Ces trois d\u00e9finitions sont autant d\u2019approches de l\u2019Europe. La premi\u00e8re est tourn\u00e9e vers le pass\u00e9, la deuxi\u00e8me, vers le pr\u00e9sent, la troisi\u00e8me vers le futur. La premi\u00e8re fait appel \u00e0 la passion, la deuxi\u00e8me \u00e0 la raison, la troisi\u00e8me \u00e0 la conscience. La premi\u00e8re est \u00e9tudi\u00e9e par les historiens, sociologues et anthropologues ; la deuxi\u00e8me, par les juristes et \u00e9conomistes ; la troisi\u00e8me, par les philosophes et prospectivistes.<\/p>\n\n\n\n Ces trois d\u00e9finitions de l\u2019Europe butent chacune sur des malentendus et risquent leur d\u00e9rive propre. L\u2019Europe comme civilisation se heurte \u00e0 des nationalisations a posteriori et anachroniques de ses \u0153uvres. Elle sert aussi de support \u00e0 une notion d\u2019identit\u00e9 europ\u00e9enne, qui doit s\u2019articuler avec la pluralit\u00e9 de ses expressions, au risque d\u2019une caract\u00e9risation \u00e9triqu\u00e9e, voire \u00e0 une d\u00e9finition ethno-centr\u00e9e. L\u2019extr\u00eame-droite, durant la campagne, a fait sienne cette approche, non sans d\u00e9tourner et s\u2019approprier, comme Matteo Salvini le 18 mai \u00e0 Milan, les symboles chr\u00e9tiens. De son c\u00f4t\u00e9, Emmanuel Macron se r\u00e9f\u00e8re volontiers aussi \u00e0 la notion de civilisation europ\u00e9enne, comme dans son adresse aux citoyens d\u2019Europe du 4 mars, mais pour en valoriser l\u2019esprit critique et la diversit\u00e9.<\/p>\n\n\n\n L\u2019Europe institutionnelle doit, elle, sans cesse r\u00e9pondre aux proc\u00e8s m\u00e9diatis\u00e9s en ill\u00e9gitimit\u00e9 et \u00e9loignement, ce \u00e0 quoi les \u00e9lections europ\u00e9ennes au suffrage universel direct cherchent pr\u00e9cis\u00e9ment \u00e0 r\u00e9pondre. Son risque propre est une d\u00e9rive bureaucratique et, ici aussi, un r\u00e9tr\u00e9cissement dans ce qui est commun\u00e9ment d\u00e9nonc\u00e9e comme la \u00ab bulle bruxelloise \u00bb. Ce que des intellectuels conservateurs europ\u00e9ens d\u00e9peignent comme \u00ab la fausse Europe \u00bb. \u00c0 gauche, c\u2019est une d\u00e9rive d\u2019abord marchande, financi\u00e8re et \u00ab aust\u00e9ritaire \u00bb qui est d\u00e9nonc\u00e9e \u00e0 travers cette Europe.<\/p>\n\n\n\n Enfin, l\u2019Europe comme id\u00e9al d\u2019unit\u00e9 a pour double d\u00e9fi de toujours devoir clarifier son projet et de susciter des vocations politiques pour le porter, au risque sinon de n\u2019\u00eatre que synonyme d\u2019utopie, un vieux r\u00eave caress\u00e9 par des f\u00e9d\u00e9ralistes. <\/p>\n\n\n\n Mais la d\u00e9rive dont p\u00e2tissent avant tout ces trois d\u00e9finitions de l\u2019Europe est d\u2019\u00eatre pens\u00e9es s\u00e9par\u00e9ment et donc insuffisamment articul\u00e9es ensemble.<\/p>\n\n\n\n Le socle g\u00e9ographique. Tant l\u2019Europe civilisationnelle et institutionnelle que son projet d\u2019unit\u00e9 requi\u00e8rent un espace pour se d\u00e9finir. Mais ce dernier est controvers\u00e9 \u00e0 circonscrire. Les logiques g\u00e9ographiques conventionnelles (\u00ab l\u2019Europe de l\u2019Atlantique \u00e0 l\u2019Oural \u00bb) et la diversit\u00e9 des environnements ne refl\u00e8tent pas la r\u00e9alit\u00e9 territoriale de l\u2019Union europ\u00e9enne. Le projet europ\u00e9en ne s\u2019ins\u00e8re pas n\u00e9cessairement dans un cadre territorial fixe. Les trait\u00e9s europ\u00e9ens ne mentionnent d\u2019ailleurs jamais la notion de territoire et la notion d\u2019\u00e9largissement renvoie \u00e0 un processus d\u2019extension ind\u00e9fini. La question des limites territoriales doit \u00eatre pos\u00e9e. C\u2019est la condition pour penser la distinction entre un \u00ab dedans \u00bb et un \u00ab dehors \u00bb constitutif du sentiment d\u2019appartenance \u00e0 une communaut\u00e9 politique.<\/p>\n\n\n\n Au-del\u00e0, des rep\u00e8res dans le temps sont \u00e9galement n\u00e9cessaires. Il semble que la coexistence d\u2019une unit\u00e9 culturelle et de la pluralit\u00e9 \u00e9tatique et nationale soit une dualit\u00e9 constitutive de l\u2019\u00ab Europe \u00bb que l\u2019on retrouve \u00e0 chaque \u00e9tape de la formation de l\u2019\u00ab esprit europ\u00e9en \u00bb <\/span>12<\/sup><\/a><\/span><\/span>. C\u2019est peut-\u00eatre dans cette dualit\u00e9 que se situe l\u2019 \u00ab identit\u00e9 interm\u00e9diaire \u00bb caract\u00e9ristique de l\u2019\u00ab Europe \u00bb : \u00ab cette identit\u00e9 consiste \u00e0 trouver une voie m\u00e9diane entre le global et le local, entre la dilution et le repliement sur soi, \u00e0 \u00e9viter autant qu\u2019elle le peut une confrontation brutale entre une interd\u00e9pendance mondiale effr\u00e9n\u00e9e et un isolement born\u00e9, x\u00e9nophobe et st\u00e9rile \u00bb <\/span>13<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n Au-del\u00e0 de cette difficult\u00e9 \u00e0 relever, des liens entre les trois d\u00e9finitions de l\u2019Europe doivent \u00eatre renou\u00e9s, leur articulation valoris\u00e9e. Par exemple, les r\u00e9centes l\u00e9gislations europ\u00e9ennes sur la protection des donn\u00e9es personnelles (RGPD) ou pour limiter les \u00e9missions de CO2 des v\u00e9hicules ne sont pas que les derni\u00e8res r\u00e9alisations de l\u2019Europe institutionnelle. Ces normes nouvelles reposent sur une approche de la vie priv\u00e9e et de l\u2019environnement qui trouvent son fondement dans l\u2019Europe civilisationnelle. Et elles sont \u00e9rig\u00e9es dans le cadre d\u2019un projet d\u2019unit\u00e9 qui se justifie aujourd\u2019hui davantage par des enjeux de puissance dans un monde multipolaire, la n\u00e9cessit\u00e9 d\u2019affirmer des principes et int\u00e9r\u00eats communs face aux menaces externes. <\/p>\n\n\n\n Seule une forte articulation des trois d\u00e9finitions de l\u2019Europe donne \u00e0 ce mot toute sa substance, n\u00e9cessaire \u00e0 une compr\u00e9hension en profondeur du projet europ\u00e9en et \u00e0 lui redonner tout son sens. Le risque, \u00e0 l\u2019inverse, est une Europe \u00e9triqu\u00e9e et illisible.<\/p>\n\n\n\n Cette \u00e9change r\u00e9sulte d’un \u00e9change entre les membres du groupe de travail de l’Institut Jacques Delors sur les \u00e9lections europ\u00e9ennes (Thierry Chopin,<\/em> S\u00e9bastien Maillard, Matthieu Meunier) et des membres du Groupe d’\u00e9tudes g\u00e9opolitiques (Gilles Gressani).<\/em><\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":" Durant cette campagne des europ\u00e9ennes, des mots ont flott\u00e9 dans le d\u00e9bat : populisme, nationalisme, progressisme ou encore souverainet\u00e9, qui dessinent aujourd\u2019hui les lignes de force d\u2019un v\u00e9ritable champ de confrontations politiques. Trop souvent, l\u2019utilisation fr\u00e9quente de ces notions dans les d\u00e9bats publics ne refl\u00e8te pas suffisamment la complexit\u00e9 de leur d\u00e9finition et doit conduire \u00e0 un travail indispensable d\u2019analyse et de clarification. Ces derniers mois, des membres du Groupe d\u2019\u00e9tudes g\u00e9opolitiques et de l\u2019Institut Jacques Delors se sont r\u00e9unis r\u00e9guli\u00e8rement pour tenter de clarifier cette notion. \u00ab Les mots de la campagne \u00bb est le rapport qui rend compte de leurs discussions.<\/p>\n","protected":false},"author":10,"featured_media":34980,"comment_status":"closed","ping_status":"closed","sticky":false,"template":"templates\/post-angles.php","format":"standard","meta":{"_acf_changed":false,"_trash_the_other_posts":false,"footnotes":""},"categories":[1731],"tags":[],"geo":[],"class_list":["post-34915","post","type-post","status-publish","format-standard","hentry","category-politique","staff-groupe-detudes-geopolitiques","staff-institut-jacques-delors"],"acf":[],"yoast_head":"\n\r\n <\/picture>\r\n \n
Les attributs du populisme<\/h3>\n\n\n\n
\r\n <\/picture>\r\n \n
Le populisme comme\nstyle politique<\/h3>\n\n\n\n
Aux sources du\npopulisme <\/h3>\n\n\n\n
\r\n <\/picture>\r\n \n
#NATIONALISME<\/h2>\n\n\n\n
Trois types de nationalismes\nhistoriques<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
D\u00e9finir le nationalisme aujourd\u2019hui<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
Le n\u00e9onationalisme est-il un\neurop\u00e9isme ? <\/strong><\/h3>\n\n\n\n
Une internationalisation des\nnationalismes ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
Les responsabilit\u00e9s de l\u2019Union<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
\r\n <\/picture>\r\n \n
#PROGRESSISME<\/h2>\n\n\n\n
Brefs \u00e9l\u00e9ments sur la notion de progr\u00e8s <\/strong><\/h3>\n\n\n\n
La crise du progr\u00e8s apr\u00e8s la chute du Mur <\/strong><\/h3>\n\n\n\n
Vers un progressisme non lin\u00e9aire ? <\/strong><\/h3>\n\n\n\n
Macron, progressiste ? <\/strong><\/h3>\n\n\n\n
\r\n <\/picture>\r\n \n
#SOUVERAINET\u00c9<\/h2>\n\n\n\n
Sur la notion de souverainet\u00e9 <\/strong><\/h3>\n\n\n\n
L\u2019exercice du pouvoir \u00e9tatique et la souverainet\u00e9 <\/strong><\/h3>\n\n\n\n
Crise de la souverainet\u00e9, \u00e9mergence du souverainisme<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
Le d\u00e9bat sur la souverainet\u00e9 europ\u00e9enne <\/strong><\/h3>\n\n\n\n
Une souverainet\u00e9 europ\u00e9enne ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
Le principe de subsidiarit\u00e9, en effet, assure le partage de comp\u00e9tences entre les \u00c9tats-membres et les institutions europ\u00e9ennes. La souverainet\u00e9 europ\u00e9enne d\u00e9pend du partage des comp\u00e9tences \u00e9tabli par les Trait\u00e9s. L\u2019Europe ne peut pas d\u00e9clencher une guerre et mobiliser une arm\u00e9e, mais elle peut d\u00e9clencher une guerre commerciale. Elle varie donc largement selon les domaines et le principe du vote \u00e0 l\u2019unanimit\u00e9 est souvent un frein \u00e0 son expression et ce m\u00eame si de rares passerelles vers le vote \u00e0 majorit\u00e9 qualifi\u00e9e existent. <\/p>\n\n\n\n\r\n <\/picture>\r\n \n <\/a>\n<\/figure>\n\n\n
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#PROTECTION<\/h2>\n\n\n\n
Entre strat\u00e9gie \u00e9lectorale et doctrine strat\u00e9gique<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
La protection : d\u00e9sir symptomatique des inqui\u00e9tudes qui traversent le continent<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
Difficult\u00e9s d\u2019une doctrine de la protection europ\u00e9enne<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
Quelques perspectives pour la protection<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
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#EUROPE(S)<\/h2>\n\n\n\n
Les trois d\u00e9finitions de l\u2019Europe<\/h3>\n\n\n\n
L\u2019Europe comme civilisation<\/h4>\n\n\n\n
L\u2019Europe comme institutions<\/h4>\n\n\n\n
L\u2019Europe comme id\u00e9e<\/h4>\n\n\n\n
Limites et d\u00e9rives<\/h3>\n\n\n\n
Socles et liens communs<\/h3>\n\n\n\n