{"id":34225,"date":"2019-05-10T06:01:48","date_gmt":"2019-05-10T04:01:48","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=34225"},"modified":"2020-11-02T12:08:18","modified_gmt":"2020-11-02T11:08:18","slug":"demain-la-guerre-de-tous-contre-tous","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2019\/05\/10\/demain-la-guerre-de-tous-contre-tous\/","title":{"rendered":"Demain, la guerre de tous contre tous ?"},"content":{"rendered":"\n
Populisme, conspirationnisme, racisme et terrorisme seraient-ils les sympt\u00f4mes d\u2019un seul mal, la \u00ab guerre de tous contre tous \u00bb qu\u2019est en train de devenir la soci\u00e9t\u00e9 lib\u00e9rale ? C\u2019est la th\u00e8se que Raffaele Alberto Ventura propose dans son livre <\/em>La guerra di tutti<\/a> tout juste paru en Italie. Une lutte plan\u00e9taire pour la reconnaissance a commenc\u00e9 ; pour en sortir nous devrons probablement sacrifier l\u2019ancienne conception de l\u2019\u00c9tat-nation au nom d\u2019une tol\u00e9rance plus radicale. En exclusivit\u00e9 pour <\/em>Le Grand Continent, l’auteur de <\/em>Teoria della classe disagiata<\/a>, pr\u00e9sente dans ce texte in\u00e9dit quelques r\u00e9flexions tir\u00e9es de son nouvel opus.<\/em><\/p>\n\n\n\n La r\u00e9f\u00e9rence \u00e0 la \u00ab guerre civile \u00bb est r\u00e9currente dans le d\u00e9bat public des derni\u00e8res ann\u00e9es, surtout aux extr\u00eames : d\u2019une part les jihadistes<\/a> revendiquent l\u2019objectif de la d\u00e9clencher, d\u2019autre part la droite ne cesse de l\u2019\u00e9voquer<\/a>, pour ne pas mentionner l’ultra-gauche qui fantasme une insurrection<\/a>. Or nous savons par la th\u00e9orie des jeux<\/a>, con\u00e7ue dans les ann\u00e9es de la Guerre froide, qu\u2019il n\u2019y a pas de fa\u00e7on plus efficace de d\u00e9clencher un conflit que de s\u2019armer parce qu\u2019on le craint. Le d\u00e9bat autour de la guerre civile est donc toujours politique, dans le sens qu\u2019il fonctionne dans le contexte d\u2019une strat\u00e9gie de mobilisation et de d\u00e9mobilisation des \u00ab zones grises \u00bb \u2013 les mod\u00e9r\u00e9s qui deviennent extr\u00e9mistes, ou les justifient, ou leur louent un appartement\u2026 \u2013 \u00e0 travers des actions symboliques. Car tout se joue dans le symbolique. On a l\u2019habitude de croire que l\u2019issue des conflits d\u00e9pend de la force respective des blocs qui s\u2019affrontent ; elle d\u00e9pend en r\u00e9alit\u00e9, et bien en amont, de l\u2019agencement des parties qui constituent les blocs<\/em>.<\/p>\n\n\n\n Mais qu\u2019est-ce qu\u2019on entend pr\u00e9cis\u00e9ment par \u00ab guerre civile \u00bb et dans quelle mesure cette hypoth\u00e8se est-elle r\u00e9aliste ? Rien ne porte \u00e0 pouvoir envisager dans le court terme, du moins en l\u2019absence d\u2019un choc \u00e9conomique majeur, des sc\u00e9narios extr\u00eames comme ceux qu\u2019ont connus certaines r\u00e9gions d\u2019Afrique ou du Moyen Orient. Cependant on assiste partout dans les pays d\u00e9velopp\u00e9s \u00e0 un raidissement progressif des pratiques d\u2019ordre public \u2013 contr\u00f4le, pr\u00e9vention, r\u00e9pression \u2013 et plus g\u00e9n\u00e9ralement de r\u00e9gulation l\u00e9gislative : la soci\u00e9t\u00e9 civile est ainsi mise \u00ab sous tutelle \u00bb par l\u2019\u00c9tat sous un nombre croissant d\u2019aspects, dans la conviction qu\u2019elle est de moins en moins capable de s’autor\u00e9guler. De fait, la soci\u00e9t\u00e9 a externalis\u00e9 \u2013 ou a \u00e9t\u00e9 pouss\u00e9e \u00e0 externaliser \u2013 plusieurs de ses fonctions classiques. On peut parler en ce sens d\u2019un processus lent de d\u00e9sociabilisation<\/em>. Plut\u00f4t qu\u2019une guerre civile en bonne et due forme, donc, c\u2019est la menace d\u2019une \u00ab guerre de tous contre tous \u00bb qui couve toujours sous l\u2019ordre politique. Il ne s\u2019agit pas stricto sensu<\/em> d\u2019un retour \u00e0 une condition primitive, l\u2019\u00c9tat de nature hobbesien, mais comme le concevait Rousseau de la production historique d\u2019un \u00eatre humain asocial<\/em> \u2013 c\u2019est-\u00e0-dire incapable d\u2019exister sans les b\u00e9quilles d\u00e9sormais n\u00e9cessaires de l’\u00c9tat, du Droit, de la Police. Nous prenons donc au s\u00e9rieux cette intuition de Michel Foucault<\/a> : <\/p>\n\n\n\n Si le pouvoir est bien en lui-m\u00eame mise en jeu et d\u00e9ploiement d\u2019un rapport de force, plut\u00f4t que de l\u2019analyser en termes de cession, contrat, ali\u00e9nation, au lieu m\u00eame de l\u2019analyser en termes fonctionnels de reconduction des rapports de production, ne faut-il pas l\u2019analyser d\u2019abord et avant tout en termes de combat, d\u2019affrontement ou de guerre ?<\/em><\/p><\/blockquote>\n\n\n\n Car il serait inexact de croire que l\u2019ordre en apparence pacifi\u00e9 dans lequel nous vivons ne fait pas de victimes : il en fait dans les rues pendant les manifestations, dans les prisons, dans les banlieues, dans la mer M\u00e9diterran\u00e9e, sur les c\u00f4tes libyennes. Le co\u00fbt du maintien de l\u2019ordre dans cette \u00ab soci\u00e9t\u00e9 ingouvernable<\/a> \u00bb est une violence croissante, vers l’int\u00e9rieur comme vers l’ext\u00e9rieur, proportionnelle \u00e0 la violence qu\u2019on essaie d\u2019endiguer. C\u2019est pour cela que nous parlons d\u2019une \u00ab guerre de tous \u00bb, latente et administr\u00e9e : s\u2019il n\u2019est probablement pas r\u00e9aliste aujourd\u2019hui de craindre la guerre civile, on peut cependant s’inqui\u00e9ter des mesures qui sont effectivement prises pour l\u2019\u00e9viter. Faut-il donc se r\u00e9soudre \u00e0 une mont\u00e9e aux extr\u00eames ? Pour r\u00e9pondre \u00e0 cette question, nous devons avant tout d\u2019abord rappeler quelle est la source de cette violence qui \u00e9rode le lien social pour ensuite examiner l’\u00e9chec des dispositifs politiques qui \u00e9taient cens\u00e9s la contr\u00f4ler.<\/p>\n\n\n\n C\u2019est pour cela que nous parlons d\u2019une \u00ab guerre de tous \u00bb, latente et administr\u00e9e : s\u2019il n\u2019est probablement pas r\u00e9aliste aujourd\u2019hui de craindre la guerre civile, on peut cependant s’inqui\u00e9ter des mesures qui sont effectivement prises pour l\u2019\u00e9viter.<\/p>Raffaele Alberto Ventura<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n C\u2019est dans le De Cive<\/em><\/a> que Hobbes donnait sa d\u00e9finition la plus pr\u00e9cise de la guerre de tous contre tous : il s\u2019agit d\u2019un \u00e9tat dans lequel \u00ab tous ont le droit de toutes choses. \u00bb Le probl\u00e8me n\u2019est pas bien s\u00fbr dans le principe en soi, mais dans la friction entre ce droit en abstrait et la r\u00e9alit\u00e9 des rapports sociaux dans un monde o\u00f9 les ressources sont limit\u00e9es. Si chaque acte individuel d\u2019appropriation contrevient au jus omnibus in omnia<\/em>, alors il se pr\u00e9sente aussi comme une v\u00e9ritable agression qui justifie en retour le d\u00e9clenchement d\u2019une \u00ab guerre juste<\/a> \u00bb de chaque autre pour r\u00e9clamer son droit. Or c\u2019est justement cette situation paradoxale de \u00ab droit de tous en toutes choses \u00bb qui caract\u00e9rise la soci\u00e9t\u00e9 lib\u00e9rale selon la formule c\u00e9l\u00e8bre d\u2019Alexis de Toqueville<\/a>, un si\u00e8cle et demi plus tard : \u00ab Ils ont d\u00e9truit les privil\u00e8ges g\u00eanants de quelques-uns de leurs semblables ; ils rencontrent la concurrence de tous. \u00bb<\/p>\n\n\n\n Au cours du XXe<\/sup> si\u00e8cle, les progr\u00e8s sensationnels du capitalisme industriel semblaient avoir r\u00e9solu cette contradiction en mettant fin \u00e0 la p\u00e9nurie des ressources mat\u00e9rielles. Le droit sur toutes les choses pouvait tout simplement \u00eatre r\u00e9alis\u00e9 en multipliant le nombre de choses \u00e0 poss\u00e9der et \u00e0 consommer \u2013 \u00ab un frigidaire, un joli scooter, un atomixer et du Dunlopillo\u2026<\/a> \u00bb \u2013 pour que chacun soit satisfait. C\u2019\u00e9tait sans faire les comptes avec une typologie tr\u00e8s particuli\u00e8re de besoins qui ne pouvaient pas b\u00e9n\u00e9ficier des \u00e9conomies d\u2019\u00e9chelle du progr\u00e8s industriel : les besoins sociaux. \u00c0 l\u2019\u00e9poque, on prenait encore pour cr\u00e9dible la pyramide des besoins<\/a> du psychologue am\u00e9ricain Abraham Maslow \u2013 qui affirmait que l\u2019\u00eatre humain devrait satisfaire tout d\u2019abord ses exigences corporelles, comme l\u2019alimentation, pour arriver enfin \u00e0 ses besoins spirituels d’appartenance, d’estime et d’accomplissement de soi \u2013 avant de comprendre que cette pyramide devait \u00eatre compl\u00e8tement renvers\u00e9e, car le plus souvent le symbolique pr\u00e9c\u00e8de le mat\u00e9riel. C\u2019\u00e9tait le sujet d\u2019un court et brillant article de Jean Baudrillard, \u00ab La gen\u00e8se id\u00e9ologique des besoins<\/a> \u00bb, paru en 1969. Deux d\u00e9cennies plus tard, les d\u00e9bats autour de la th\u00e9matique philosophique de la reconnaissance<\/em> chez Taylor<\/a>, Honneth<\/a>, Fraser<\/a> et Fukuyama<\/a> finiront par remettre au devant de la sc\u00e8ne cette dimension symbolique de l\u2019in\u00e9galit\u00e9 sociale : si les individus s\u2019affrontent, c\u2019est dans une lutte \u00e0 mort pour le prestige, la dignit\u00e9, le statut. Ren\u00e9 Girard parlait de conflit mim\u00e9tique.<\/p>\n\n\n\n Cela n\u2019aurait pas surpris Hobbes, puisque lui-m\u00eame identifiait la source des conflits non pas dans la r\u00e9partition des ressources mat\u00e9rielles mais dans la satisfaction de besoins abstraits comme la gloire, qu\u2019avec Barbara Carnevali<\/a> nous pourrions consid\u00e9rer comme l’anc\u00eatre de l\u2019Anerkennung<\/em> chez Hegel. De m\u00eame<\/a> Carnevali attire notre attention sur l\u2019opposition chez Rousseau, notamment dans l\u2019\u00c9mile<\/em>, entre l\u2019amour de soi<\/em>, qui vise la conservation \u00e0 travers la satisfaction des besoins mat\u00e9riels, et l\u2019amour propre<\/em>, qui \u00ab exige que les autres nous pr\u00e9f\u00e8rent \u00e0 eux. \u00bb Rousseau ajoute imm\u00e9diatement : \u00ab ce qui est impossible. \u00bb <\/p>\n\n\n\n Car c\u2019est l\u00e0 justement le probl\u00e8me de la reconnaissance : il s\u2019agit d\u2019un bien structurellement rare, qui ne peut pas \u00eatre distribu\u00e9 de fa\u00e7on \u00e9quitable. L\u2019explication la plus convaincante de cette contradiction fut donn\u00e9e en 1976 par l\u2019\u00e9conomiste am\u00e9ricain Fred Hirsch dans son ouvrage Les limites sociales de la croissance<\/em><\/a> : certains biens sont positionnels<\/em>, c\u2019est-\u00e0-dire \u00ab qu\u2019on ne peut en jouir qu\u2019au d\u00e9triment d\u2019autrui<\/a>. \u00bb Hirsch cite par exemple les titres universitaires, dont la valeur de chacun est relative \u00e0 celle de tous les autres titres sur le march\u00e9. C\u2019est le cas aussi de la reconnaissance, qui est un bien positionnel dans la mesure o\u00f9 elle n\u2019a d\u2019autre valeur que de produire une distinction<\/em> entre les individus : nous ne pouvons pas \u00eatre tous les premiers, les meilleurs, les plus aim\u00e9es, les plus reconnus, ni les plus grands, les plus riches ou les plus beaux, puisque ce sont des \u00ab positions \u00bb qui d\u00e9pendent des positions des autres. Et pourtant c\u2019est bien ce que d\u00e9sire plus qu\u2019autre chose l\u2019homme d\u00e9sociabilis\u00e9 dans la soci\u00e9t\u00e9 lib\u00e9rale, et c\u2019est dans ce but qu\u2019il investit \u2013 \u00e0 perte \u2013 la plupart de ses ressources. Dans la vision de Hirsch, en m\u00eame temps qu\u2019elle satisfait de plus en plus de besoins mat\u00e9riels la soci\u00e9t\u00e9 est condamn\u00e9e \u00e0 produire une mis\u00e8re relative croissante. Cette contradiction \u00e9tait au centre de mon premier livre Teoria della classe disagiata<\/em><\/a>, o\u00f9 je soulignais aussi l\u2019\u00e9norme co\u00fbt financier de cette guerre de tous, constitu\u00e9e comme un jeu \u00e0 somme nulle<\/a>.<\/p>\n\n\n\n La civilisation humaine s\u2019est dot\u00e9e depuis toujours de dispositifs en mesure de neutraliser les cons\u00e9quences destructrices de la lutte pour la reconnaissance. Ren\u00e9 Girard<\/a> s\u2019est particuli\u00e8rement int\u00e9ress\u00e9 aux mythes et aux cultes religieux, mais, des si\u00e8cles avant lui, Aristote d\u00e9crivait d\u00e9j\u00e0 un m\u00e9canisme semblable<\/a> chez les grecs, la catharsis <\/em> : en mettant en sc\u00e8ne les cons\u00e9quences funestes des passions humaines, les trag\u00e9dies purifiaient la cit\u00e9. Le philosophe prenait le temps de d\u00e9tailler le fonctionnement du m\u00e9canisme pour montrer comment se produisait cet effet de dissuasion par la crainte<\/em>, au lieu d\u2019un effet d\u2019imitation. Or c\u2019est justement sur cette question \u2013 si le th\u00e9\u00e2tre \u00e9duque ou s\u2019il pervertit son public \u2013 que s\u2019affront\u00e8rent<\/a> les dramaturges, les commentateurs d\u2019Aristote et les gouvernant \u00e0 l\u2019\u00e2ge des guerres de religion, et encore jusqu\u2019\u00e0 aujourd\u2019hui<\/a> les critiques, les journalistes, les hommes politiques \u00e0 propos des films violents, des comics ou des jeux vid\u00e9os. Cela vaut aussi pour les religions, voire pour les id\u00e9ologies politiques, que certains accusent de provoquer la violence et d\u2019autres au contraire de l\u2019absorber. Pourtant Aristote avait d\u00e9j\u00e0 une r\u00e9ponse \u00e0 ce dilemme : la catharsis<\/em> n\u2019op\u00e8re que sous certaines conditions tr\u00e8s pr\u00e9cises, sans quoi on obtient l\u2019effet oppos\u00e9.<\/p>\n\n\n\n Si les repr\u00e9sentations peuvent servir \u00e0 purifier la soci\u00e9t\u00e9, \u00ab d\u00e9fouler \u00bb les d\u00e9sirs qui ne peuvent pas \u00eatre assouvis, elles creusent en m\u00eame temps une dette mim\u00e9tique<\/em>, comme en cr\u00e9ant une d\u00e9pendance.<\/p>Raffaele Alberto Ventura<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Si les sociologues de la communication nous ont depuis appris qu\u2019il est de bon ton de refuser tout ce qui ressemble \u00e0 une \u00ab th\u00e9orie des effets directs<\/a> \u00bb, c\u2019est-\u00e0-dire \u00e0 l\u2019id\u00e9e que les signes puissent influencer m\u00e9caniquement les comportements, l’exp\u00e9rience politique de la derni\u00e8re d\u00e9cennie nous force \u00e0 reconna\u00eetre que la r\u00e9alit\u00e9 est loin d\u2019\u00eatre imperm\u00e9able aux effets du langage. Nous avons vu des intrigues de film de science-fiction (de V for Vendetta<\/em> a Da Vinci code<\/em>) se transformer en th\u00e9ories complotistes<\/a> et des sermons populistes \u00eatre pris au pied de la lettre par des millions d\u2019\u00e9lecteurs. C\u2019est que les repr\u00e9sentations peuvent servir \u00e0 purifier la soci\u00e9t\u00e9, \u00ab d\u00e9fouler \u00bb les d\u00e9sirs qui ne peuvent pas \u00eatre assouvis, mais elles creusent en m\u00eame temps une dette mim\u00e9tique<\/em>, comme en cr\u00e9ant une d\u00e9pendance. Ainsi nos d\u00e9mocraties contemporaines ont install\u00e9 dans la rue un espace rituel o\u00f9 jouer le spectacle de l\u2019insurrection et donn\u00e9 aux gouvernants un r\u00f4le de \u00ab chefs \u00e9missaires \u00bb \u00e0 destituer en permanence<\/a>, mais ne savent plus comment r\u00e9agir lorsque la violence d\u00e9borde du temps et du lieu qui lui \u00e9taient pr\u00e9pos\u00e9s. Nous devons reconna\u00eetre la fonction cathartique de l\u2019art, de la religion et de la repr\u00e9sentation politique, et en m\u00eame temps nous devons en craindre les effets sur le long terme : il y a pr\u00e9cis\u00e9ment une \u00e9conomie de la catharsis<\/em>, avec ses investissements, ses co\u00fbts \u00e0 payer, ses dettes.<\/p>\n\n\n\n Voici au fond le probl\u00e8me avec la radicalisation des cultes religieux, qui risquent \u00e0 tout moment de d\u00e9passer leur fonction r\u00e9gulatrice pour menacer ouvertement la soci\u00e9t\u00e9 : quelle m\u00e9taphore plus efficace pour cela que le masque de Guy Fawkes, ce terroriste catholique de l\u2019ann\u00e9e 1605<\/a> devenu depuis un symbole insurrectionnel<\/a> ? Voici de m\u00eame tout le probl\u00e8me du populisme<\/a>, ce grand spectacle politique qui \u00e9tait cens\u00e9 d\u00e9tourner le ressentiment des \u00e9lecteurs vers des objectifs symboliques, mais qui dans une spirale d\u2019addiction a impos\u00e9 une surench\u00e8re continue. Lorsque le symbolique a commenc\u00e9 \u00e0 ne plus \u00eatre suffisant, ses adeptes ont r\u00e9orient\u00e9 leur violence vers des objectifs bien r\u00e9els. C\u2019est le cas de l\u2019Islam politique dans certains pays anciennement la\u00efques et c\u2019est le cas des populistes en Italie, o\u00f9 la violence verbale du ministre de l’int\u00e9rieur Matteo Salvini<\/a> a ouvert la voie \u00e0 une recrudescence de la x\u00e9nophobie et des actes d\u2019intimidation n\u00e9ofascistes. <\/p>\n\n\n\n La guerre de tous contre tous, au fond, n\u2019est rien d\u2019autre qu\u2019une crise de la dette symbolique<\/em>. La d\u00e9mocratie se trouve face \u00e0 ses cr\u00e9anciers : ils lui demandent de maintenir ses promesses et elle sait pertinemment qu\u2019elle ne peut plus en faire. C\u2019est \u00e0 ce moment l\u00e0 que les \u00e9lecteurs se tournent vers ceux qui, par mauvaise foi ou simple ignorance, sont encore pr\u00eats \u00e0 promettre l\u2019impossible. Aucun pouvoir ne parvient d\u00e9sormais \u00e0 entraver la lutte pour la reconnaissance : elle est devenue plan\u00e9taire, comme l\u2019avait pr\u00e9sag\u00e9 Frantz Fanon<\/a> en son temps.<\/p>\n\n\n\n \u00c0 terme, les dispositifs cens\u00e9s neutraliser la course positionnelle \u00e0 l’int\u00e9rieur <\/em>de chaque communaut\u00e9 peuvent finir par d\u00e9placer le conflit \u00e0 l’ext\u00e9rieur<\/em>, vers d\u2019autres communaut\u00e9s, par effet de mim\u00e9tisme. C\u2019est l\u00e0 qu\u2019est cens\u00e9 intervenir, selon Hobbes, le L\u00e9viathan : c\u2019est-\u00e0-dire un arbitre neutre qui impose aux individus de ne pas s’agresser entre eux. Lorsque le philosophe anglais \u00e9crivait, au milieu du XVIIe<\/sup> si\u00e8cle, il avait \u00e0 l\u2019esprit les int\u00e9gristes religieux de son temps : les catholiques mais aussi les puritains, tous ceux qui, plut\u00f4t que de respecter la souverainet\u00e9 de l\u2019\u00c9tat-Eglise anglican, pr\u00e9tendaient, pour citer la formule d\u2019Eric Voegelin, \u00ab rendre immanent l\u2019eschaton<\/em><\/a> \u00bb, \u00e0 savoir r\u00e9aliser les fins ultimes sur terre. On peut dire que d\u2019une certaine fa\u00e7on Hobbes \u00e9crivait son L\u00e9viathan<\/em> contre Guy Fawkes.<\/p>\n\n\n\n La guerre de tous contre tous, au fond, n\u2019est rien d\u2019autre qu\u2019une crise de la dette symbolique<\/em>.<\/p>Raffaele Alberto VEntura<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n L\u2019arbitre tire une l\u00e9gitimit\u00e9 de sa capacit\u00e9 de garantir la paix civile \u2013 en th\u00e9orie. Dans la pratique, il doit compenser les in\u00e9vitables carences de l\u00e9gitimit\u00e9 \u00ab aux marges \u00bb \u2013 provinces, banlieues, clans\u2026 \u2013 par le pur exercice de la force : voyez l\u2019\u00e9crasement des Chouans ou la lutte des gouvernements italiens contre la Mafia. Mais comme le disait Machiavel, on ne peut maintenir trop longtemps le pouvoir si l\u2019on compte exclusivement sur la force. L\u2019\u00c9tat moderne a donc d\u00fb d\u2019une part se rendre n\u00e9cessaire<\/em>, en s\u2019appropriant progressivement des fonctions sociales g\u00e9r\u00e9es par les corps interm\u00e9diaires \u2013 on parle de centralisation et de s\u00e9cularisation \u2013 et d\u2019autre part produire<\/em> ses citoyens \u00e0 l\u2019image de ce qui \u00e9tait n\u00e9cessaire \u00e0 son propre fonctionnement \u2013 on parle d\u2019assimilation. Tout est dit dans le c\u00e9l\u00e8bre discours de Stanislas de Clermont-Tonnerre<\/a> \u00e0 l\u2019Assembl\u00e9e en 1789 :<\/p>\n\n\n\n Il faut tout refuser aux Juifs comme nation et accorder tout aux Juifs comme individus ; il faut qu\u2019ils ne fassent dans l\u2019\u00c9tat ni un corps politique ni un ordre ; il faut qu\u2019ils soient individuellement citoyens. Mais, me dira-t-on, ils ne veulent pas l\u2019\u00eatre. Eh bien ! S\u2019ils veulent ne l\u2019\u00eatre pas, qu\u2019ils le disent, et alors, qu\u2019on les bannisse. Il r\u00e9pugne qu\u2019il y ait dans l\u2019\u00c9tat une soci\u00e9t\u00e9 de non-citoyens et une nation dans la nation.<\/em><\/p><\/blockquote>\n\n\n\n On touche l\u00e0 au coeur de l\u2019esprit r\u00e9publicain et de la conception fran\u00e7aise de la citoyennet\u00e9 : rien d\u2019\u00e9tonnant donc qu\u2019un \u00e9ditorialiste du Figaro<\/em> ait pu reformuler le discours<\/a> en substituant les musulmans aux juifs. Si ce n\u2019est que cette dynamique de d\u00e9ploiement de l\u2019\u00c9tat-nation au d\u00e9pens des communaut\u00e9s, que l\u2019on peut plus g\u00e9n\u00e9ralement appeler modernisation<\/em>, est extr\u00eamement co\u00fbteuse. D\u2019autant plus co\u00fbteuse que les individus ainsi d\u00e9sociabilis\u00e9s r\u00e9clament toujours leur part de reconnaissance. Et d\u2019autant moins facile \u00e0 financer que les \u00c9tats occidentaux semblent toucher \u00e0 la fin d\u2019un cycle s\u00e9culier de state-building<\/em> qui soutenait leur croissance \u00e9conomique, comme l\u2019a montr\u00e9 Robert J. Gordon pour les \u00c9tats-Unis d\u2019Am\u00e9rique<\/a>. Si on ne voulait pas passer pour catastrophistes on parlerait pour les nations europ\u00e9ennes d\u2019un tr\u00e8s lent processus de state collapse<\/em> \u2013 dont la dette publique croissante serait un indicateur objectif \u2013 que seul un changement d\u2019\u00e9chelle g\u00e9opolitique pourrait enrayer.<\/p>\n\n\n\n C\u2019est dans ce contexte que les minorit\u00e9s, qu\u2019elles soient autochtones ou allochtones, peuvent r\u00e9agir \u00e0 l\u2019assimilation par des strat\u00e9gies de dissimilation<\/em> \u2013 le mot est de Franz Rosenzweig<\/a> \u2013 visant \u00e0 remettre en question les politiques de modernisation ainsi que les id\u00e9aux universalistes qui fondent la rationalit\u00e9 de l\u2019\u00c9tat moderne. Sur le plan id\u00e9ologique, ces strat\u00e9gies s\u2019incarnent chez la nouvelle droite ainsi que dans la pens\u00e9e d\u00e9coloniale, mais le plus souvent elles se manifestent spontan\u00e9ment chez des individus non politis\u00e9s qui r\u00e9sistent \u00e0 la scolarisation, se placent en dehors de la loi ou pratiquent la violence intercommunautaire, plus rarement le terrorisme. En effet les diff\u00e9rents degr\u00e9s de dissimilation constituent de tr\u00e8s vastes zones grises qui servent de terrain de braconnage pour ceux qui voudraient mobiliser une arm\u00e9e pour combattre leur guerre civile.<\/p>\n\n\n\n La logique de la dissimilation est tout sauf essentialiste, puisqu\u2019elle pr\u00e9suppose que la diff\u00e9rence soit construite artificiellement par les individus dans le but de s\u2019extraire du pacte social. L\u2019exemple des guerres de religion du XVIe<\/sup> si\u00e8cle est en cela instructif, car celles-ci t\u00e9moignent d\u2019un surgissement de la diff\u00e9rence au c\u0153ur m\u00eame de la chr\u00e9tient\u00e9. Cette r\u00e9f\u00e9rence historique nous sugg\u00e8re de prendre au s\u00e9rieux le risque d\u2019escalade \u2013 de la violence criminelle, de la violence terroriste, de la violence x\u00e9nophobe, mais surtout de leur r\u00e9pression \u2013 impliqu\u00e9 par la logique de la guerre de tous contre tous. En comparant la situation politique actuelle d\u2019une pays comme la France avec certaines phases pr\u00e9-insurrectionnelles de son histoire, on peut \u00eatre surpris d\u2019y trouver certaines ressemblances. Olivier Christin, Denis Crouzet et Olivier Roy<\/a> l\u2019ont fait. La plus frappante est iconographique : c\u2019est la ressemblance entre les faits du 13 novembre 2015 et le massacre de Wassy en 1562, lorsque les troupes du duc de Guise entr\u00e8rent dans une grange pendant une oraison et se mirent \u00e0 tirer sur la foule, en tuant une cinquantaine de protestants. C\u2019est le coup d\u2019envoi d\u2019une quarantaine d\u2019ann\u00e9es de violences ; une gravure de l\u2019\u00e9poque<\/a> nous montre la salle bond\u00e9e avec les fid\u00e8les qui, sous le feu des terroristes, essaient de s’\u00e9chapper en grimpant \u00e0 l’\u00e9tage et en se jetant par les fen\u00eatres.<\/p>\n\n\n\n Le bilan des victimes de 1562, comme celui de 2015, est loin d\u2019\u00eatre \u00ab statistiquement repr\u00e9sentatif. \u00bb Et pourtant, quelle est sa force symbolique, sa capacit\u00e9 pernicieuse de provoquer des effets r\u00e9els sur le tr\u00e8s long terme ! Dans son manuel de contre-insurrection<\/a> inspir\u00e9 \u00e0 l\u2019exp\u00e9rience alg\u00e9rienne, David Galula affirmait qu\u2019il suffisait de \u00ab quelques centaines de personnes \u00bb pour d\u00e9clencher une guerre civile. En effet, le terrorisme agit dans le but inavou\u00e9 de susciter des repr\u00e9sailles qui puissent toucher la zone grise des ind\u00e9cis, en esp\u00e9rant que cela contribue \u00e0 les polariser et \u00e0 les mobiliser. Il sert \u00e0 provoquer la violence de l\u2019adversaire, voire \u00e0 manifester sa violence latente, \u00ab son v\u00e9ritable visage \u00bb pour reprendre les mots d’Oussama Ben Laden. Or c\u2019est pr\u00e9cis\u00e9ment le cercle vicieux des repr\u00e9sailles que la soci\u00e9t\u00e9 doit \u00e9viter \u00e0 tout prix si elle veut \u00e9loigner le spectre de la guerre civile. La spirale de la violence mim\u00e9tique doit trouver une catharsis.<\/p>\n\n\n\n Le conflit entre les diff\u00e9rents groupes et communaut\u00e9s doit \u00eatre neutralis\u00e9 par l\u2019arbitre, qui a donc lui m\u00eame depuis l\u2019aube de la modernit\u00e9 politique une fondamentale fonction cathartique, qui consiste notamment dans la r\u00e9gulation des actes de langage<\/a> : \u00e9tablir le o\u00f9<\/em>, le quand<\/em> et le comment<\/em> du dicible. Au temps des guerres de religion, il s\u2019agissait avant tout de contr\u00f4ler la parole autour de la divinit\u00e9, des sp\u00e9culations th\u00e9ologiques aux jurons de taverne, sources intarissables d\u2019altercations et repr\u00e9sailles. Successivement s\u2019imposa le principe de la\u00efcit\u00e9, qui consistait dans l\u2019expulsion de la divinit\u00e9 de l\u2019espace public<\/em>. Il faudrait aujourd\u2019hui entendre ce dispositif dans son sens plus radical : expulser la divinit\u00e9 implique de le faire surtout dans sa forme la plus destructrice, celle o\u00f9 elle est bafou\u00e9e, c\u2019est-\u00e0-dire le blasph\u00e8me. Le lecteur en comprendra ais\u00e9ment l\u2019utilit\u00e9 dans le contexte multiculturel actuel. C’est toujours dans le langage que se joue la r\u00e9p\u00e9tition g\u00e9n\u00e9rale des conflits, avant qu\u2019ils ne se d\u00e9placent dans le monde r\u00e9el.<\/p>\n\n\n\n Expulser la divinit\u00e9 implique de le faire surtout dans sa forme la plus destructrice, celle o\u00f9 elle est bafou\u00e9e, c\u2019est-\u00e0-dire le blasph\u00e8me. C’est toujours dans le langage que se joue la r\u00e9p\u00e9tition g\u00e9n\u00e9rale des conflits, avant qu\u2019ils ne se d\u00e9placent dans le monde r\u00e9el.<\/p>Raffaele Alberto Ventura<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Comment expliquer la r\u00e9surgence du fait dissimilationiste autrement que par l\u2019incapacit\u00e9 de l\u2019\u00c9tat de se rendre l\u00e9gitime en offrant une contrepartie, mat\u00e9rielle mais surtout symbolique, \u00e0 l\u2019individu qui abandonne sa communaut\u00e9 \u2013 et ses filets de protection \u2013 pour entrer dans l\u2019universel ? C\u2019est un paradoxe que Zygmunt Bauman a soulev\u00e9 notamment dans son article \u00ab Visas de sortie et billets d’entr\u00e9e : les paradoxes de l’assimilation juive<\/a>. \u00bb Les individus retrouvent dans la communaut\u00e9 cette reconnaissance que l\u2019\u00c9tat est incapable de leur donner. Et pourtant nous n\u2019avons jamais eu autant eu besoin d\u2019un L\u00e9viathan, afin d\u2019endiguer la rivalit\u00e9 entre individus d\u00e9sociabilis\u00e9s et le conflit entre communaut\u00e9s en voie de radicalisation. Mais pour pouvoir obtemp\u00e9rer \u00e0 son r\u00f4le d\u2019arbitre, celui-ci doit \u00eatre lui-m\u00eame reconnu par ses sujets,<\/em> qui de leur part ne le reconna\u00eetront pas s\u2019ils ne sont pas \u00e0 leur tour reconnus par lui<\/em>. D\u2019o\u00f9 le souci pour l’\u00c9tat moderne de garantir sa neutralit\u00e9, ce que Jean Bodin entendait par le concept de souverainet\u00e9 \u00ab absolue \u00bb<\/a>, un si\u00e8cle avant Hobbes. <\/p>\n\n\n\n Ab-solue<\/em>, c\u2019est-\u00e0-dire affranchie : \u00e0 l\u2019\u00e9poque, de l\u2019influence de la religion ; aujourd\u2019hui, de la tyrannie des valeurs des uns ou des autres, qu\u2019ils soient r\u00e9publicains, lib\u00e9raux ou r\u00e9actionnaires. L\u2019\u00c9tat postmoderne, pour ne pas continuer \u00e0 \u00eatre per\u00e7u comme le bras arm\u00e9 d\u2019une majorit\u00e9 tyrannique, devra donc renoncer \u00e0 ses vis\u00e9es \u00e9mancipatrices et abandonner la mission modernisatrice, centraliste, jacobine qu\u2019il s\u2019est donn\u00e9 en 1789. Au principe de majorit\u00e9<\/a>, opposer le pluralisme<\/a>, voire aller \u00ab au del\u00e0 de l\u2019\u00c9tat \u00bb<\/a>. \u00c0 la fiction d\u2019une \u00ab volont\u00e9 g\u00e9n\u00e9rale \u00bb qui \u00e9touffe la diversit\u00e9 des demandes politiques issues de la soci\u00e9t\u00e9 civile, opposer la seule volont\u00e9 qui peut \u00eatre v\u00e9ritablement g\u00e9n\u00e9rale, car transversale : celle de coexister dans la paix. S\u2019il veut mettre fin \u00e0 la guerre de tous contre tous, le L\u00e9viathan n\u2019a plus d\u2019autre choix que de d\u00e9poser les armes en premier pour redevenir tol\u00e9rant. <\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":" Une lutte plan\u00e9taire pour la reconnaissance a commenc\u00e9 \u2013 pour en sortir, nous devrons probablement sacrifier l\u2019ancienne conception de l\u2019\u00c9tat-nation au nom d\u2019une tol\u00e9rance plus radicale.<\/p>\n","protected":false},"author":10,"featured_media":34227,"comment_status":"closed","ping_status":"closed","sticky":false,"template":"templates\/post-editorials.php","format":"standard","meta":{"_acf_changed":false,"_trash_the_other_posts":false,"footnotes":""},"categories":[1731],"tags":[],"geo":[],"class_list":["post-34225","post","type-post","status-publish","format-standard","hentry","category-politique","staff-raffaele-alberto-ventura"],"acf":[],"yoast_head":"\n\r\n <\/picture>\r\n \n
Les limites sociales de la reconnaissance<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
Dispositifs cathartiques et dettes mim\u00e9tiques<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
L\u00e9viathan contre Guy Fawkes<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
La zone grise<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
La souverainet\u00e9 absolue comme tol\u00e9rance radicale<\/strong><\/h3>\n\n\n\n