{"id":307220,"date":"2025-12-04T15:25:34","date_gmt":"2025-12-04T14:25:34","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=307220"},"modified":"2025-12-04T15:25:37","modified_gmt":"2025-12-04T14:25:37","slug":"un-extrait-de-lanniversario-dandrea-bajani","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2025\/12\/04\/un-extrait-de-lanniversario-dandrea-bajani\/","title":{"rendered":"Un extrait de \u00ab L\u2019Anniversario \u00bb d\u2019Andrea Bajani"},"content":{"rendered":"\n

Le 5 d\u00e9cembre 2025, au c\u0153ur des Alpes, le <\/em>Prix Grand Continent<\/em><\/a> sera remis \u00e0 un grand r\u00e9cit europ\u00e9en contemporain, dont il financera la traduction et la diffusion en cinq langues. \u00c0 cette occasion, nous vous offrons <\/em>des extraits des cinq finalistes de ce prix europ\u00e9en<\/em><\/a>. Aujourd\u2019hui, ce sont des bonnes feuilles de L\u2019anniversario (Feltrinelli, 2025).<\/em><\/p>\n\n\n\n

Apr\u00e8s dix ans pass\u00e9s \u00e0 subir une violence subtile et omnipr\u00e9sente entre les murs de la maison, un fils peut se retourne et raconte l\u2019histoire de sa famille malheureuse et le tabou d\u2019une censure \u00ab avec la force brutale du roman \u00bb. Le r\u00e9cit qui en r\u00e9sulte est le portrait poignant et lucide d\u2019une femme perdue, qui a tout abandonn\u00e9 pour \u00eatre quelqu\u2019un aux yeux de son mari, tandis que celui-ci la maintient, elle et ses enfants, dans un r\u00e9gime o\u00f9 la possession et la demande d\u2019amour sont les liens d\u2019un m\u00eame n\u0153ud.<\/em><\/p>\n\n\n\n

7<\/h2>\n\n\n\n

Je ne peux pas manquer de faire au moins allusion au contexte de l\u2019\u00e9migration dans lequel cette histoire doit \u00eatre replac\u00e9e. Il s\u2019agit d\u2019un mouvement anormal, de la capitale vers la p\u00e9riph\u00e9rie, et non vice versa. Il nous avait conduits du centre vers les marges, c\u2019est-\u00e0-dire de Rome vers les contreforts prosa\u00efques d\u2019un Pi\u00e9mont moiti\u00e9 rural, moiti\u00e9 tertiaire. Dans le cas de ma m\u00e8re, cela signifie \u00e9galement le passage de l\u2019anonymat m\u00e9tropolitain \u2014 un habitat sinon id\u00e9al, du moins rassurant pour toute timidit\u00e9 chronique \u2014 au village, qui se fonde au contraire sur l\u2019\u00e9chelle 1:1, sur le contr\u00f4le \u00e0 l\u2019\u0153il nu des individus pr\u00e9sents.<\/p>\n\n\n\n

Le village en question est une agglom\u00e9ration de huit cents habitants, semblable \u00e0 tant d\u2019autres. Il se d\u00e9veloppe autour d\u2019une rue principale et le long de la route nationale qui grimpe ensuite vers la montagne, se poursuit le long du col et descend directement de la province turinoise dans la France alpine. Il n\u2019y a pas de centre \u00e0 proprement parler, mais une rue en mauvais \u00e9tat qui sert de colonne vert\u00e9brale, bord\u00e9e de part et d\u2019autre de magasins de premi\u00e8re n\u00e9cessit\u00e9. Ce sont essentiellement des \u00e9tablissements \u00e0 gestion familiale : cr\u00e9merie, bureau de tabac, boulangerie, pharmacie et filiale de la caisse d\u2019\u00e9pargne. Ainsi que trois bars, dont deux dot\u00e9s \u00e0 l\u2019arri\u00e8re d\u2019un restaurant presque clandestin.<\/p>\n\n\n\n

Il n\u2019est pas n\u00e9cessaire de s\u2019attarder ici sur la vie du village, ni trop, au fond, sur les raisons pour lesquelles, alors que j\u2019avais quatre ans, nous nous retrouv\u00e2mes soudain aux marges de la carte g\u00e9ographique, au pied des Alpes occidentales. Quoi qu\u2019il en soit, le parcours concret consista en un concours au minist\u00e8re des Travaux publics, puis en des destinations \u00e9tablies par la roulette de la machine \u00e9tatique. Selon l\u2019hypoth\u00e8se la plus plausible, mon p\u00e8re entendait dispara\u00eetre des cartes avec tout son noyau familial.<\/p>\n\n\n\n

La seule allusion \u00e0 notre d\u00e9part de Rome provient de la m\u00e8re de ma m\u00e8re. Avant notre fuite vers le Nord, mon p\u00e8re \u00e9tait vendeur dans un magasin de valises et de sacs situ\u00e9 Via Nomentana. Dans un acc\u00e8s de col\u00e8re, il avait frapp\u00e9 un client, avant de d\u00e9couvrir qu\u2019il s\u2019agissait, pour ainsi dire, du mauvais client. Lequel \u00e9tait, en effet, revenu le lendemain, accompagn\u00e9, lui faire la peau, ou du moins lui rendre la monnaie de sa pi\u00e8ce, int\u00e9r\u00eats compris. La cons\u00e9quence de cet acte fut la suivante : mon p\u00e8re quitta son emploi et s\u2019enferma chez lui, terrifi\u00e9 \u2014 au dire de ma grand-m\u00e8re \u2014 \u00e0 l\u2019id\u00e9e d\u2019\u00eatre rep\u00e9r\u00e9 \u00e0 Rome. Par la suite, il \u00e9voqua une seule fois cet \u00e9pisode, se concentrant sur la bagarre et sur le fait qu\u2019elle s\u2019\u00e9tait produite pour emp\u00eacher un vol, pour neutraliser des voleurs. Il n\u00e9gligea la fuite qu\u2019elle entra\u00eena.<\/p>\n\n\n\n

Quelle qu\u2019en soit la raison, c\u2019est lui qui emm\u00e9nagea le premier dans le Nord. Je ne saurais dire combien de temps cela a dur\u00e9, mais il y eut assur\u00e9ment une p\u00e9riode o\u00f9, tandis qu\u2019il s\u2019effor\u00e7ait de se r\u00e9inventer dans un contexte diff\u00e9rent, ma m\u00e8re demeura \u00e0 Rome avec ma s\u0153ur et moi, chez la m\u00e8re de mon p\u00e8re, sous sa juridiction.<\/p>\n\n\n\n

Je dis \u00ab se r\u00e9inventer \u00bb car tel fut, je crois, le vecteur dominant le long duquel notre vie de famille commen\u00e7a \u00e0 se mouvoir. Ou, \u00e0 d\u00e9faut de l\u2019\u00eatre volontairement, cela le devint peu \u00e0 peu et entra\u00eena de nombreuses cons\u00e9quences, y compris la fin malheureuse. Les Alpes au lieu de la nature m\u00e9tropolitaine, le village \u00e0 la place de la capitale, et lui-m\u00eame implant\u00e9 au milieu de ce paysage. En se d\u00e9pla\u00e7ant aux marges de la carte, il pouvait certes dispara\u00eetre, mais surtout rena\u00eetre \u00e0 une autre vie \u2014 ou \u00e0 un autre destin. Il avait un peu moins de trente ans, c\u2019est-\u00e0-dire un \u00e2ge auquel on pouvait encore repartir de z\u00e9ro. Son emploi dans le Nord offrait tout cela. Il donnait \u00e0 mon p\u00e8re, y compris \u00e0 ses propres yeux, la possibilit\u00e9 d\u2019octroyer une forme de solidit\u00e9 \u00e0 sa femme et \u00e0 ses enfants. Et de prouver aux familles respectives qu\u2019il avait la t\u00eate sur les \u00e9paules. Avec un bonus suppl\u00e9mentaire : tenir sa m\u00e8re et sa belle-m\u00e8re \u00e0 distance.<\/p>\n\n\n\n

Son emploi, qui d\u00e9buta d\u2019abord dans un si\u00e8ge \u00e9loign\u00e9, avant de se poursuivre \u00e0 quelques kilom\u00e8tres de notre domicile, favorisait cette perception. Une fois sa journ\u00e9e de travail termin\u00e9e, il arpentait en voiture la vall\u00e9e, soit pour se ravitailler, soit pour satisfaire une sorte de faim du regard. D\u2019une certaine fa\u00e7on, il se dotait d\u2019un paysage pour consolider la version de sa personne qu\u2019il inaugurait. Sur ce nouveau paysage il disposa ensuite sa famille, avec un d\u00e9cor totalement diff\u00e9rent : les skis aux pieds, les pique-niques \u00e0 Montgen\u00e8vre, les photos devant des marmottes.<\/p>\n\n\n\n

Il est difficile de d\u00e9finir l\u2019impression qu\u2019un changement si radical suscita chez ma m\u00e8re. Je ne crois pas qu\u2019elle l\u2019interpr\u00e9ta uniquement comme une d\u00e9portation ; peut-\u00eatre \u00e9tait-elle rassur\u00e9e de voir mon p\u00e8re prendre la situation en main. De plus, cela mettait fin \u00e0 une vie quotidienne dans le foyer de sa belle-m\u00e8re. Mais, c\u2019est un fait, ce d\u00e9m\u00e9nagement alla de pair avec une nouvelle version de son mari. Elle avait choisi un \u00e9poux fougueux, passionnel \u2014 quoique dans une variante incontr\u00f4l\u00e9e \u2014, et elle eut soudain affaire \u00e0 un homme qui s\u2019appliquait m\u00e9thodiquement \u00e0 rendre r\u00e9elle une autre version de lui-m\u00eame, femme et enfants compris.<\/p>\n\n\n\n

L\u2019essentiel est que ma m\u00e8re fut plong\u00e9e du jour au lendemain dans un environnement o\u00f9 elle ne pouvait pas s\u2019enraciner et dans lequel, de fait, elle ne s\u2019enracina jamais, aupr\u00e8s d\u2019un mari renaissant, du moins en apparence, et de deux enfants qui n\u2019avaient pas souvenir d\u2019une vie ant\u00e9rieure. Pr\u00e9dispos\u00e9e \u00e0 l\u2019inexistence et \u00e0 l\u2019invisibilit\u00e9, son corollaire in\u00e9vitable, elle dut traverser chaque jour le village sous le regard de toutes les fen\u00eatres \u2014 c\u2019est du moins, j\u2019imagine, ce qu\u2019elle pensait en marchant. Son parler, cet italien pour ainsi dire standard \u2014 une sorte de langue pure, raffin\u00e9e durant les cinq ans du lyc\u00e9e \u2014, \u00e9quivalait lui aussi \u00e0 un jet de pierre contre la vitre du dialecte local, chaque fois qu\u2019elle ouvrait la bouche pour demander un litre de lait, du pain, ou une salade. C\u2019est ainsi qu\u2019elle d\u00e9cida en d\u00e9finitive de se taire.<\/p>\n\n\n\n

Non qu\u2019il n\u2019y ait pas eu d\u2019autres immigr\u00e9s. L\u2019un des trois bars \u00e9tait dit \u00ab des M\u00e9ridionaux \u00bb, surtout des Calabrais, avec l\u2019ajout de quelques Siciliens et peut-\u00eatre d\u2019une famille sarde, qui toutefois ne se m\u00ealait pas aux autres. Ils travaillaient pour la plupart dans le b\u00e2timent ou dans l\u2019une des deux usines du territoire, une fabrique de carrelage et une vitrerie. Ils se retrouvaient par vagues \u00e0 l\u2019ext\u00e9rieur du bar, pour la pause d\u00e9jeuner, en tenue de ma\u00e7ons ; puis \u00e0 l\u2019heure de l\u2019ap\u00e9ritif, d\u00e9j\u00e0 douch\u00e9s ; enfin, le samedi et le dimanche en occupation permanente. En particulier les hommes. Les femmes y allaient peu, certaines faisaient des m\u00e9nages, les autres se voyaient le week-end. Elles \u00e9taient, quoi qu\u2019il en soit, le contraire du silence de ma m\u00e8re. Dans le bar, on parlait toujours trop fort, selon une partition o\u00f9 les rixes et les rires ne diff\u00e9raient gu\u00e8re, les unes comme les autres se d\u00e9tachant, par de nombreux d\u00e9cibels, du tableau g\u00e9n\u00e9ral.<\/p>\n\n\n\n

N\u00e9anmoins l\u2019\u00e9cart entre leur condition et celle de ma m\u00e8re \u2014 plus encore que la n\u00f4tre \u2014 \u00e9tait extr\u00eamement important. Pas seulement parce que \u2014 chose non n\u00e9gligeable en soi \u2014 ces femmes reproduisaient les dynamiques classiques de toute \u00e9migration en se regroupant, alors que ma m\u00e8re \u00e9tait toujours seule. C\u2019\u00e9tait leur mouvement, leur rapport \u00e0 l\u2019\u00e9poque, qui \u00e9tait profond\u00e9ment diff\u00e9rent. Les familles calabraises ou siciliennes tentaient de se lib\u00e9rer du Sud, isol\u00e9 du pr\u00e9sent ou du syst\u00e8me de production, ou tout simplement de se doter d\u2019une existence qui offrirait une vie meilleure et une instruction \u00e0 leurs enfants. Elles cherchaient, grosso modo<\/em>, un acc\u00e8s \u00e0 l\u2019Histoire, mais sans rh\u00e9torique : uniquement le temps reli\u00e9 aux choses qui se produisent, un mouvement. Le prix \u00e0 payer n\u2019\u00e9tait autre que l\u2019\u00e9loignement et, j\u2019imagine, un peu de nostalgie.<\/p>\n\n\n\n

Le vecteur de ma m\u00e8re, au contraire, se d\u00e9pla\u00e7ait dans la direction oppos\u00e9e. En cette ann\u00e9e 1978, Rome \u00e9tait au centre de ce qui constituait alors un pr\u00e9sent turbulent et qui unissait, entre autres, la mort d\u2019Aldo Moro aux ann\u00e9es de plomb, avec le long sillage de la strat\u00e9gie de la tension. Aussi priv\u00e9 que puisse \u00eatre notre quotidien, nous vivions dans l\u2019\u0153il d\u2019un cyclone qui ne s\u2019arr\u00eaterait pas avant quelques ann\u00e9es. Quitter Rome signifia donc s\u2019extraire de l\u2019Histoire, sortir du premier centre de gravit\u00e9. Cela consista, pour ma m\u00e8re, \u00e0 \u00e9chouer dans un silence infiniment pneumatique qui, en un peu plus de sept cents kilom\u00e8tres, engloutit l\u2019espace et le temps. Ma s\u0153ur et moi nous tenions dans la temporalit\u00e9 de l\u2019\u00e9cole, mon p\u00e8re dans celle du travail et dans les raisons personnelles qui l\u2019avaient conduit \u00e0 accomplir ce choix pour nous tous. Ma m\u00e8re se tenait dans son silence.<\/p>\n\n\n\n

Il convient d\u2019ajouter \u00e0 ce tableau l\u2019absence, \u00e0 la maison, du t\u00e9l\u00e9phone, qui \u00e0 l\u2019\u00e9poque s\u2019\u00e9tait d\u00e9j\u00e0 assez largement g\u00e9n\u00e9ralis\u00e9 partout, dans les villages comme dans les villes. En l\u2019interdisant \u2014 officiellement pour limiter les d\u00e9penses \u2014, mon p\u00e8re parachevait l\u2019isolement de ma m\u00e8re, ainsi priv\u00e9e de contacts familiaux, et transformait cet emm\u00e9nagement en une condition qui devait lui appara\u00eetre, du moins \u00e0 certains moments, comme une sorte d\u2019exil, chose que la proximit\u00e9 avec la fronti\u00e8re fran\u00e7aise ne pouvait qu\u2019accentuer. Le t\u00e9l\u00e9phone \u00e0 jetons, dans la cabine, n\u2019\u00e9tait pas pour elle une v\u00e9ritable solution. Premi\u00e8rement, parce qu\u2019il lui fallait d\u2019une fa\u00e7on ou d\u2019une autre rendre compte de toute sortie, quelle que soit la somme d\u00e9pens\u00e9e \u2014 peu importait qu\u2019elle utilise son argent de poche, ou le fonds collectif. Deuxi\u00e8mement, parce que cela revenait \u00e0 admettre, provoquant ainsi la contrari\u00e9t\u00e9 de mon p\u00e8re, que cette absence lui pesait. Enfin, le fait d\u2019aller t\u00e9l\u00e9phoner \u00e0 sa m\u00e8re de la cabine publique suscitait vraisemblablement en elle une double honte : face \u00e0 ses parents, parce que cela soulignait sa condition de subalterne, c\u2019est-\u00e0-dire l\u2019impossibilit\u00e9 pour elle d\u2019avoir un appareil \u00e0 la maison ; et face au village, parce qu\u2019elle \u00e9tait oblig\u00e9e, pendant toute la dur\u00e9e de l\u2019appel, de s\u2019exposer aux projecteurs dans cette gu\u00e9rite aux parois transparentes.<\/p>\n\n\n\n

Je me demande \u2014 question que je ne me posais pas alors \u2014 comment elle passait ses journ\u00e9es, ce qu\u2019elle faisait durant toutes ces heures, quand mon p\u00e8re travaillait et que nous \u00e9tions ma s\u0153ur et moi en classe jusqu\u2019au milieu de l\u2019apr\u00e8s-midi. Certes, il y avait les t\u00e2ches m\u00e9nag\u00e8res qui, l\u00e9gitimement, l\u2019ennuyaient, je crois. Elle les effectuait en affichant presque un manque de comp\u00e9tence, plus dans le geste que dans le r\u00e9sultat, comme si elle empruntait aussi cette fonction, comme si elle refusait de croire \u00e0 la version domestique de sa personne \u00e0 laquelle mon p\u00e8re l\u2019avait pr\u00e9dispos\u00e9e. Comme si elle s\u2019y employait \u00e0 ses moments perdus. Si ce n\u2019est que le reste du temps n\u2019\u00e9tait qu\u2019une coquille vide. Par surcro\u00eet, l\u2019appartement \u00e9tait petit, deux pi\u00e8ces et une cuisine, et l\u2019entretien r\u00e9gulier acc\u00e9l\u00e9rait le processus quotidien. Bien s\u00fbr, il y avait les courses, les repas, le linge \u00e0 laver puis \u00e0 repasser. Mais cela laissait encore du temps \u2014 et un silence dense et hostile, sans t\u00e9l\u00e9phone \u2014, en dehors de rapides incursions au village lorsqu\u2019il manquait soudain quelque chose dans le r\u00e9frig\u00e9rateur. Et puis, le soir, s\u2019asseoir et \u00e9couter tout ce qui \u00e9tait arriv\u00e9 aux autres.<\/p>\n\n\n\n

(En revanche, voici que se d\u00e9tache nettement dans ma m\u00e9moire, de fa\u00e7on cristalline, un geste de protagoniste de sa part. \u00c0 son origine, un petit accident que j\u2019avais eu en bas de l\u2019immeuble, une perte d\u2019\u00e9quilibre provoqu\u00e9e par mon exub\u00e9rance et par une forme d\u2019exhibitionnisme. Ce fut en fait une l\u00e9g\u00e8ret\u00e9 d\u2019enfant, d\u2019abord un obstacle, puis une chute la t\u00eate la premi\u00e8re entre deux pierres, et enfin une profonde coupure au-dessus de l\u2019\u0153il.<\/p>\n\n\n\n

Je me rappelle le sang, mais surtout le trajet de la maison jusqu\u2019au dispensaire, assis sur le porte-bagages de la bicyclette de ma m\u00e8re. Deux cents m\u00e8tres, peut-\u00eatre trois cents, s\u00e9paraient l\u2019entr\u00e9e de la sortie du village. \u00c0 l\u2019entr\u00e9e il y avait des prairies, \u00e0 la sortie le p\u00e9riph\u00e9rique. Au milieu se trouvait ma m\u00e8re, cette jeune Romaine que personne ou presque ne connaissait, malade de timidit\u00e9, qui appuyait maintenant de toutes ses forces sur les p\u00e9dales, un mollet martyris\u00e9 par la polio. Et moi, derri\u00e8re, qui avais simplement confiance.<\/p>\n\n\n\n

Je ne suis pas capable de dire ce qu\u2019il se passa, comment elle g\u00e9ra cette situation, si elle eut peur. Mais je me souviens tr\u00e8s bien de ma bonne humeur, tandis que je me tenais agripp\u00e9 \u00e0 sa taille et qu\u2019elle p\u00e9dalait, devant. Plus de quarante ans apr\u00e8s cette sc\u00e8ne, et dix depuis ma derni\u00e8re rencontre avec ma m\u00e8re, la vue de la rue en perspective, pendant que nous nous pr\u00e9cipitions chez le m\u00e9decin, demeure ind\u00e9l\u00e9bile dans ma m\u00e9moire. Elle englobe son corps, son dos. Et le bout de mon doigt que je ne cessais de porter \u00e0 cette entaille, plus \u00e9tonn\u00e9 qu\u2019apeur\u00e9 par le fait qu\u2019il pouvait l\u2019ouvrir, qu\u2019il pouvait s\u2019y introduire.<\/p>\n\n\n\n

Voil\u00e0 ce que je conserve de cette journ\u00e9e, ainsi que la sensation \u2014 \u00e9galement physique \u2014 du fil qui suturait la plaie, qui en soudait les bords. Bref, ce succ\u00e8s de ma m\u00e8re et cette d\u00e9chirure que je cherche maintenant, tandis que je tape ces mots sur le clavier, \u00e9cartant un instant la main de l\u2019ordinateur, m\u2019immobilisant au milieu de la phrase. Et je le trouve, en diagonale : deux points de suture au sourcil gauche, \u00e0 un centim\u00e8tre de l\u2019\u0153il, pas plus.<\/p>\n\n\n\n

L\u2019\u00e9criture, qui tombe \u00e0 pr\u00e9sent sur cette sc\u00e8ne, depuis un point si lointain dans le temps et l\u2019espace, entrouvre \u00e9galement la paix qui suivit cette intervention, sur le chemin du retour vers la maison, le v\u00e9lo qu\u2019elle tenait \u00e0 la main.<\/p>\n\n\n\n

8<\/h2>\n\n\n\n

Le t\u00e9l\u00e9phone finirait par arriver chez nous, quoique pr\u00e8s de quinze ans apr\u00e8s notre emm\u00e9nagement dans le Nord. Alors que les ann\u00e9es 1990 \u00e9taient bien entam\u00e9es, apparut le mod\u00e8le standard de cette \u00e9poque, dot\u00e9 de touches en caoutchouc, du logo de la compagnie de t\u00e9l\u00e9phonie nationale imprim\u00e9 en rouge et d\u2019un combin\u00e9 d\u00e9j\u00e0 influenc\u00e9 par le design davantage que par l\u2019efficacit\u00e9. Nous saut\u00e2mes \u00e0 pieds joints par-dessus le mod\u00e8le en bak\u00e9lite gris souris, le classique \u00e0 cadran rotatif. Le t\u00e9l\u00e9phone sonnait d\u00e9j\u00e0 depuis vingt ans dans les appartements de nos familles \u00e0 Rome, et nous autres le f\u00eemes sonner pour la premi\u00e8re fois d\u00e8s que la compagnie l\u2019eut install\u00e9. Les parents de ma m\u00e8re soulev\u00e8rent le combin\u00e9 et \u00e0 l\u2019autre bout du fil se trouvait leur fille cadette.<\/p>\n\n\n\n

L\u2019appareil \u00e9choua \u00e0 la cuisine derri\u00e8re une porte en verre d\u00e9poli, flanqu\u00e9 du volumineux annuaire des abonn\u00e9s de toute la province de Turin, qui nous fut remis en mains propres quelques jours apr\u00e8s la signature du contrat. Ainsi, tandis que l\u2019Italie se pr\u00e9parait au t\u00e9l\u00e9phone portable, nous apprenions, nous, \u00e0 utiliser la ligne fixe. J\u2019\u00e9tais en seconde et je l\u2019inaugurai en comparant au bout du fil les versions latines et les \u00e9quations avec mes camarades. Ma s\u0153ur l\u2019utilisa tr\u00e8s rarement, parce qu\u2019elle pr\u00e9f\u00e9rait de toute fa\u00e7on sortir, retrouver ses amies sur la grand-place. Pour ma m\u00e8re, en revanche, il repr\u00e9senta une br\u00e8che potentielle dans notre isolement, un canal qui s\u2019ouvrait enfin entre le Pi\u00e9mont et Rome. Mon p\u00e8re, bien entendu, refusa de le voir, ou presque, d\u2019o\u00f9 son emplacement marginal, derri\u00e8re la porte, \u00e0 un endroit invisible pour quiconque n\u2019\u00e9tait pas au courant de sa pr\u00e9sence.<\/p>\n\n\n\n

Le contrat fut, d\u2019une fa\u00e7on significative, \u00e9tabli au nom de ma m\u00e8re. Ce n\u2019\u00e9tait pas pour des raisons de facturation, car elle ne poss\u00e9dait pas de revenus personnels et n\u2019\u00e9tait pas, comme je l\u2019ai d\u00e9j\u00e0 \u00e9crit, titulaire d\u2019un compte en banque. Cette d\u00e9cision, si on l\u2019analyse a posteriori<\/em>, ob\u00e9issait \u00e0 un crit\u00e8re moiti\u00e9 symbolique, moiti\u00e9 d\u00e9fensif. Le symbole \u00e9tait clair : puisque ma m\u00e8re avait voulu le t\u00e9l\u00e9phone, elle en r\u00e9pondrait de son nom. Ce qui constituait aussi, subtilement, une mise au pilori si l\u2019on consid\u00e8re la timidit\u00e9 profond\u00e9ment chronique dont elle \u00e9tait affect\u00e9e. La raison d\u00e9fensive s\u2019inscrivait dans la droite ligne de l\u2019interdiction pr\u00e9c\u00e9dente de disposer d\u2019un appareil. Mon p\u00e8re ne voulait pas \u00eatre rep\u00e9r\u00e9. Par sa m\u00e8re ? Par sa belle-m\u00e8re ? Par les types sur lesquels il \u00e9tait tomb\u00e9 en frappant \u00e0 coups de poing le mauvais client ? Quelle que soit la personne qu\u2019il fuyait, il ne devait pas \u00eatre retrouv\u00e9. Le nom de ma m\u00e8re dans l\u2019annuaire t\u00e9l\u00e9phonique \u00e9quivalait, pour mon p\u00e8re, \u00e0 une sorte d\u2019anonymat parfait. Personne ne connaissait le patronyme de ma m\u00e8re, non parce qu\u2019il avait \u00e9t\u00e9 absorb\u00e9 par celui de mon p\u00e8re, mais parce qu\u2019il n\u2019y avait aucune raison de le conna\u00eetre. Son invisibilit\u00e9 \u00e9tait telle qu\u2019aucune machine bureaucratique ne la mentionnait, si l\u2019on excepte l\u2019\u00e9tat civil auquel elle ne pouvait \u00e9chapper. Et pour les quelques autres, son pr\u00e9nom suffisait.<\/p>\n\n\n\n

Bien qu\u2019elle f\u00fbt titulaire du contrat, c\u2019est mon p\u00e8re qui fixa les r\u00e8gles d\u2019usage du t\u00e9l\u00e9phone. Elles furent la cons\u00e9quence naturelle du postulat de d\u00e9part : le t\u00e9l\u00e9phone, s\u2019il \u00e9tait in\u00e9vitable, devait r\u00e9pondre \u00e0 un imp\u00e9ratif de n\u00e9cessit\u00e9 et non servir \u00e0 un divertissement. Dans la n\u00e9cessit\u00e9 figuraient surtout les urgences li\u00e9es \u00e0 la sant\u00e9, au travail ou \u00e0 l\u2019\u00e9cole. En l\u2019absence d\u2019un besoin r\u00e9el, nous n\u2019avions pas de motif de d\u00e9crocher le combin\u00e9. Comme, par chance, il n\u2019y avait jamais, ou presque, d\u2019urgences \u00e0 affronter, le t\u00e9l\u00e9phone demeurait un objet plac\u00e9 derri\u00e8re la porte de la cuisine avec une facture pratiquement restreinte \u00e0 l\u2019abonnement mensuel, \u00e0 payer tous les trente ou soixante jours. Ce qui, au moins, ne faisait pas monter la tension \u00e0 la maison.<\/p>\n\n\n\n

Le crit\u00e8re de la n\u00e9cessit\u00e9 auquel \u00e9tait soumis l\u2019usage du t\u00e9l\u00e9phone se traduisait par le simple concept de donner ou de recevoir des nouvelles. Et donc par des appels brefs, essentiellement affirmatifs, o\u00f9 l\u2019on disait que tout allait bien avant de raccrocher.<\/p>\n\n\n\n

L\u2019arriv\u00e9e du t\u00e9l\u00e9phone fut paradoxalement une sorte de r\u00e9trocession. L\u2019appel dominical, auparavant pass\u00e9 dans la cabine, avait lieu en effet sans t\u00e9moins et, quoique sujet aux unit\u00e9s t\u00e9l\u00e9phoniques, comprenait \u00e9galement \u2014 j\u2019imagine \u2014 quelques instants de bavardage arbitraire. D\u00e9sormais, ma m\u00e8re se sentait oblig\u00e9e d\u2019appeler en pr\u00e9sence de mon p\u00e8re, ne serait-ce que pour prouver qu\u2019elle avait certes d\u00e9sir\u00e9 cet appareil, mais qu\u2019elle respectait les r\u00e8gles du jeu.<\/p>\n\n\n\n

Voil\u00e0 pourquoi elle limita de plus en plus ses propos. Elle se retira davantage, d\u2019une certaine fa\u00e7on, \u00e0 la surface, o\u00f9 rien ne risquait de s\u2019\u00e9crouler et o\u00f9 les rares \u00e9changes, comme tout ce qui est rare, ne cr\u00e9aient pas d\u2019obstacle. Elle opta, surtout par instinct de survie, pour une forme de non-engagement qui la mettait en s\u00e9curit\u00e9. Elle commen\u00e7a avec le t\u00e9l\u00e9phone, puis elle appliqua progressivement cette m\u00e9thode \u00e0 la vie quotidienne. Ses conversations \u2014 auxquelles nous assistions surtout le dimanche matin \u2014 \u00e9taient pour ainsi dire vides, compos\u00e9es de lieux communs et de petits rires distribu\u00e9s en divers points de la phrase. Ce qui, je crois, confirmait \u00e0 mon p\u00e8re l\u2019id\u00e9e que cet appareil abrutissait, avant tout.<\/p>\n\n\n\n

Toute limitation de la libert\u00e9 comporte cependant une incitation \u00e0 chercher des stratag\u00e8mes pour passer \u00e0 travers les mailles. Ainsi, si le montant de la facture \u00e9tablissait le nombre des appels qu\u2019il \u00e9tait permis d\u2019effectuer, rien n\u2019interdisait d\u2019en recevoir. S\u2019ouvrit alors l\u2019\u00e8re des sonneries, qui \u00e9taient le moyen par lequel chacun de nous lan\u00e7ait, depuis la maison, son signal au monde ext\u00e9rieur. Il suffisait d\u2019indiquer aux amis, pour ce qui \u00e9tait de ma s\u0153ur et de moi-m\u00eame, ou aux membres de la famille, dans le cas de ma m\u00e8re, que nous \u00e9tions pr\u00eats \u00e0 parler pour qu\u2019on nous appelle. Cette m\u00e9thode contournait toutes les r\u00e8gles li\u00e9es \u00e0 la dur\u00e9e. Et si la sonnerie avait lieu \u00e0 l\u2019insu de mon p\u00e8re, c\u2019\u00e9tait encore mieux : cela nous exemptait de toute forme de jugement.<\/p>\n\n\n\n

Ce syst\u00e8me fut, pour nous autres enfants, de l\u2019oxyg\u00e8ne infiltr\u00e9 dans le compartiment \u00e9tanche de la maison. Il se mua en v\u00e9ritable langage, en morse pour les oreilles. De deux sonneries, nous demandions \u00e0 \u00eatre appel\u00e9s ; d\u2019une seule, nous disions \u00e0 nos amis que nous pensions \u00e0 eux. Nous disparaissions derri\u00e8re la porte de la cuisine, composions en toute h\u00e2te le num\u00e9ro sur les touches, puis ressortions comme si de rien n\u2019\u00e9tait. Ce code fut ensuite adopt\u00e9 par nos interlocuteurs, surtout celui des bonjours. \u00c0 une sonnerie lanc\u00e9e correspondait une sonnerie re\u00e7ue. Notre foyer se changea ainsi en for\u00eat ponctu\u00e9e de sifflements t\u00e9l\u00e9phoniques. Ma s\u0153ur et moi les reconnaissions, nous savions \u00e0 qui les attribuer. Nous disions \u00ab pour moi \u00bb afin d\u2019emp\u00eacher l\u2019autre de se l\u2019approprier ou de cultiver l\u2019illusion qu\u2019on pensait \u00e0 lui. J\u2019ignore si cela aga\u00e7ait mon p\u00e8re ; chez ma s\u0153ur et moi, en tout cas, le plaisir de nous \u00eatre tir\u00e9s d\u2019affaire l\u2019emportait.<\/p>\n\n\n\n

Il en alla autrement pour ma m\u00e8re, parce qu\u2019elle n\u2019avait personne, en dehors de sa famille, \u00e0 qui lancer des signaux. C\u2019est ainsi que ses conversations avec sa propre m\u00e8re, qui l\u2019appelait d\u00e8s qu\u2019elle recevait une sonnerie, cess\u00e8rent d\u2019\u00eatre br\u00e8ves, mais continu\u00e8rent d\u2019\u00eatre superficielles, puisqu\u2019elles se d\u00e9roulaient \u00e0 port\u00e9e de voix de mon p\u00e8re. (Transgressait-elle les r\u00e8gles lorsqu\u2019il \u00e9tait absent ? Certainement pas, car elle aurait eu ensuite un fardeau d\u2019informations, n\u00e9gligeables ou importantes, \u00e0 dissimuler \u00e0 son mari.) Ces appels, je crois, lui causaient parfois un abattement et une frustration qu\u2019elle ne montrait pas ouvertement, mais qui n\u2019en \u00e9taient pas moins visibles \u00e0 l\u2019\u0153il nu. Mon p\u00e8re ayant lui-m\u00eame admis la sonnerie comme m\u00e9thode officielle, elle n\u2019avait aucune raison de t\u00e9l\u00e9phoner \u00e0 nos frais. De m\u00eame que ma s\u0153ur et moi, elle composait le num\u00e9ro, portait le combin\u00e9 \u00e0 son oreille et raccrochait apr\u00e8s la premi\u00e8re sonnerie pour \u00e9viter qu\u2019une r\u00e9ponse \u00e9ventuelle ne d\u00e9clenche la guillotine de l\u2019unit\u00e9 t\u00e9l\u00e9phonique.<\/p>\n\n\n\n

La sonnerie, toutefois, \u00e9tait par nature presque imperceptible. Et bien que nos interlocuteurs soient d\u00e9sormais entra\u00een\u00e9s \u00e0 l\u2019entendre, elle risquait pour mille raisons (un t\u00e9l\u00e9viseur allum\u00e9, une conversation, l\u2019aspirateur) de passer inaper\u00e7ue. Nous ne pouvions pas non plus avoir la certitude que les personnes dont nous essayions d\u2019attirer l\u2019attention \u00e9taient vraiment chez elles. Je me rappelle l\u2019ins\u00e9curit\u00e9, l\u2019anxi\u00e9t\u00e9 et la crainte avec lesquelles ma m\u00e8re \u2014 qui pourtant, \u00e0 cette \u00e9poque, \u00e9tait d\u00e9j\u00e0 m\u00e8re de deux adolescents, et que l\u2019on pouvait donc qualifier de \u00ab dame \u00bb \u2014 pressait encore et encore les touches sans que rien n\u2019advienne. Pour r\u00e9p\u00e9ter son geste \u00e0 plusieurs reprises, se rendre sans cesse \u00e0 la cuisine et faire sonner le t\u00e9l\u00e9phone dans une maison probablement vide. Et la patine de r\u00e9signation qu\u2019affichait son visage quand le dimanche s\u2019achevait sans qu\u2019elle ait re\u00e7u l\u2019appel qui, quoique superficiel, lui aurait apport\u00e9 la voix de sa m\u00e8re. Et le ton sur lequel mon p\u00e8re disait \u00ab tes parents n\u2019ont pas t\u00e9l\u00e9phon\u00e9 \u00bb en guise de glose.<\/p>\n\n\n\n

9<\/h2>\n\n\n\n

L\u2019image la plus r\u00e9currente que j\u2019ai des loisirs de ma m\u00e8re en pr\u00e9sence de mon p\u00e8re est celle d\u2019une femme remplissant la Settimana Enigmistica<\/em>1<\/sup>, assise sur le canap\u00e9, tandis qu\u2019il lit un livre. Elle a laiss\u00e9 glisser ses lunettes sur son nez par n\u00e9gligence, plut\u00f4t que pour mieux voir, et affiche un air ennuy\u00e9. Elle attendait qu\u2019il termine sa lecture et d\u00e9cide du laps de temps qui nous s\u00e9parait du d\u00eener. Appr\u00e9ciait-elle les mots crois\u00e9s ? L\u2019amusaient-ils ? Je crois qu\u2019ils \u00e9taient surtout un passe-temps. Dans mes souvenirs, elle est souvent distraite, le regard tourn\u00e9 vers l\u2019ext\u00e9rieur. Ou, plus fr\u00e9quemment encore, elle s\u2019endort, son crayon tombe sur la feuille de papier, sa t\u00eate pend contre le dossier du canap\u00e9 ou sur son \u00e9paule, la bouche \u00e0 moiti\u00e9 ouverte. J\u2019ignore ce qui primait chez elle, la passion d\u2019inscrire des mots dans des cases ou la volont\u00e9 de se conformer \u00e0 la version de sa personne que mon p\u00e8re avait fa\u00e7onn\u00e9e pour elle.<\/p>\n\n\n\n

\u00ab \u00c7a, c\u2019est un livre pour ta m\u00e8re \u00bb a toujours signifi\u00e9, dans la bouche de mon p\u00e8re, qu\u2019un roman ne valait rien. Cette affirmation comportait aussi une sorte d\u2019affection. Cette affection particuli\u00e8re, perverse, sinc\u00e8re et violente qui traduit, ou r\u00e9sume, l\u2019affirmation d\u2019un empire. Introduire le roman en question dans la biblioth\u00e8que domestique qu\u2019il constituait, jour apr\u00e8s jour, en autodidacte volontaire, figurait au nombre des concessions qu\u2019il lui accordait. Mais d\u00e9cr\u00e9ter qu\u2019un livre \u00e9tait pour ma m\u00e8re voulait dire avant tout que sa place la plus appropri\u00e9e \u00e9tait la poubelle.<\/p>\n\n\n\n

Je ne me rappelle pas d\u2019o\u00f9 provenaient ces romans suppos\u00e9ment de seconde cat\u00e9gorie qui entraient chez nous et finissaient tous par \u00e9chouer sur la table de nuit de ma m\u00e8re. Certains \u00e9taient des cadeaux de mon p\u00e8re, ils surgissaient du papier d\u2019emballage de la librairie pour son anniversaire ou pour No\u00ebl. Ma m\u00e8re les d\u00e9ballait et remerciait. \u00c0 un moment donn\u00e9, elle se mit \u00e0 d\u00e9clarer \u00e0 son tour \u00ab Ce sont des livres pour moi \u00bb en se regardant, d\u2019une certaine fa\u00e7on, avec les yeux de mon p\u00e8re. C\u2019est-\u00e0-dire ne conservant, \u00e0 travers l\u2019auto-humiliation, que la partie de la pr\u00e9tendue affection.<\/p>\n\n\n\n

J\u2019ignore si mon p\u00e8re lui achetait la Settimana Enigmistica<\/em>. En tout cas, il ne s\u2019opposait pas \u00e0 son achat car il \u00e9tait essentiel de tenir ma m\u00e8re occup\u00e9e, de \u00ab lui donner quelque chose \u00e0 faire \u00bb, comme il disait, de fa\u00e7on qu\u2019il ait, lui, le temps de lire les livres qu\u2019il souhaitait ou de vaquer \u00e0 ses affaires, skier de l\u2019autre c\u00f4t\u00e9 de la fronti\u00e8re fran\u00e7aise, grimper. Et pour elle, ce qui importait ce n\u2019\u00e9tait pas tant qu\u2019il puisse lire ou faire du sport, mais qu\u2019il la reconnaisse pour celle qu\u2019il avait lui-m\u00eame exig\u00e9 qu\u2019elle soit.<\/p>\n\n\n\n

Ce qui \u00e9quivalait peut-\u00eatre, dans la conception de la vie de ma m\u00e8re, \u00e0 un malheureux acte d\u2019amour. Tel fut, je le crois, l\u2019un des grands malentendus entre mes parents : mon p\u00e8re voulait qu\u2019elle ne soit rien, de fa\u00e7on \u00e0 pouvoir, lui, \u00eatre quelque chose ; et ma m\u00e8re voulait n\u2019\u00eatre rien, car n\u2019\u00eatre rien \u00e9tait au moins quelque chose. Ce qui, plus qu\u2019un malentendu peut-\u00eatre, fut d\u2019une certaine mani\u00e8re un pacte tacite, leur secret. R\u00e9sultat, elle s\u2019an\u00e9antit vraiment, et lui, face \u00e0 ce rien assis sur le canap\u00e9, amoncela ressentiment, m\u00e9pris et d\u00e9sespoir ainsi que, semaine apr\u00e8s semaine, s\u2019amoncelaient sur la table les mots crois\u00e9s qui \u00e9choueraient ensuite dans la poubelle.<\/p>\n\n\n\n

Et pourtant, des deux, ma m\u00e8re avait \u00e9t\u00e9 la seule \u00e0 s\u2019inscrire \u00e0 l\u2019universit\u00e9, d\u00e9tail qui ne fut que rarement mentionn\u00e9 dans notre histoire familiale et, ces rares fois, sous forme de reproche par mon p\u00e8re : ce qu\u2019elle aurait pu \u00eatre et qu\u2019elle ne fut pas, une femme r\u00e9duite aux mots crois\u00e9s. Fille de la petite bourgeoisie romaine, dot\u00e9e d\u2019une m\u00e8re qui avait grandi \u00e0 l\u2019orphelinat avec ses deux s\u0153urs avant d\u2019\u00eatre engag\u00e9e comme secr\u00e9taire dans un cabinet d\u2019avocats dont avec le temps elle \u00e9tait devenue, par la force des choses, la pierre angulaire, ma m\u00e8re fut la premi\u00e8re \u00e0 faire des \u00e9tudes en ayant un horizon universitaire devant elle. Elle fr\u00e9quenta un lyc\u00e9e g\u00e9n\u00e9ral renomm\u00e9. Le latin et les langues \u00e9trang\u00e8res \u00e9taient l\u2019option d\u2019une ascension sociale, d\u2019un emploi plus qualifi\u00e9 que celui de ses parents. \u00c0 quoi pensait-elle en choisissant ce parcours ? Je l\u2019ignore, personne ne l\u2019a jamais approfondi. Mais c\u2019est l\u2019indice d\u2019un choix, l\u2019hypoth\u00e8se d\u2019une version d\u2019elle-m\u00eame qui diff\u00e8re de celle de sa famille d\u2019origine.<\/p>\n\n\n\n

J\u2019imagine qu\u2019elle en avait parl\u00e9 chez elle. Sa m\u00e8re \u00e9tait titulaire d\u2019un dipl\u00f4me professionnel, son p\u00e8re \u2014 je pr\u00e9sume \u2014 du brevet d\u2019\u00e9tudes. Tous deux appuy\u00e8rent probablement le choix d\u2019une poursuite dans l\u2019enseignement secondaire, la m\u00e8re avec sans doute quelques ambitions, le p\u00e8re, par son approbation, puisque c\u2019\u00e9tait le d\u00e9sir de sa fille. Peut-\u00eatre firent-ils preuve de prudence face \u00e0 d\u2019\u00e9ventuels accidents de parcours, je ne crois pas n\u00e9anmoins que cela ait \u00e9t\u00e9 un frein. Elle n\u2019avait jamais caus\u00e9 de probl\u00e8mes, et sa tendance cong\u00e9nitale \u00e0 l\u2019acceptation des r\u00e8gles lui servait de garant.<\/p>\n\n\n\n

Savait-elle que des \u00e9tudes secondaires impliquaient des \u00e9tudes universitaires et qu\u2019elle entamait donc un parcours de dix ann\u00e9es, au moins ? Elle le savait forc\u00e9ment ; d\u2019ailleurs, sa s\u0153ur, un peu plus \u00e2g\u00e9e qu\u2019elle, avait opt\u00e9 pour une \u00e9cole professionnelle afin d\u2019\u00e9chapper \u00e0 une longue fili\u00e8re qui ne l\u2019int\u00e9ressait gu\u00e8re : elle avait effectu\u00e9 une formation qui lui permettrait de travailler dans un cabinet d\u2019expert-comptable, et elle travaillait dans le cabinet d\u2019un expert-comptable. Bref, elle avait fait ce qu\u2019elle voulait. Et ma m\u00e8re ? Ma m\u00e8re avait choisi le latin et le fran\u00e7ais. Quel avenir imaginait-elle ? Professeure de lyc\u00e9e ? M\u00e9decin ? Avocate ? Pensait-elle qu\u2019elle abandonnerait la vie de locataire de ses parents et aurait une maison \u00e0 elle ? Difficile de le dire car, je le r\u00e9p\u00e8te, ce sujet ne fut jamais abord\u00e9 dans nos conversations. En outre, tout cela diff\u00e8re tant de la femme que j\u2019allais conna\u00eetre jour apr\u00e8s jour, dans ma vie d\u2019enfant et d\u2019adulte, que j\u2019ai du mal, y compris en inventant, \u00e0 appliquer \u00e0 cette jeune fille le visage de ma m\u00e8re. Il est vrai que cette donn\u00e9e ne fut pas pass\u00e9e sous silence, et donc que j\u2019aurais pu poser des questions, enqu\u00eater, \u00e0 l\u2019\u00e9poque. Mais je me conformai moi aussi \u00e0 la version officielle que mon p\u00e8re avait mise au point, celle des mots crois\u00e9s.<\/p>\n\n\n\n

Quant \u00e0 lui, il opta pour des \u00e9tudes secondaires par inertie. Il \u00e9tait le fils d\u2019une femme substantiellement d\u00e9sh\u00e9rit\u00e9e, qui avait d\u00e9gringol\u00e9 de la bourgeoisie commerciale romaine pour \u00e9chouer dans le prol\u00e9tariat avec deux enfants \u00e0 \u00e9lever, tandis que les deux autres, fruits de son premier et plus honorable mariage, \u00e9taient demeur\u00e9s du c\u00f4t\u00e9 opulent de l\u2019Histoire, \u00e0 la t\u00eate d\u2019une activit\u00e9 partag\u00e9e dans les beaux quartiers et dot\u00e9s d\u2019une domestique \u00e0 demeure. Bref, deux vies \u2014 celles de la m\u00e8re de mon p\u00e8re \u2014 dont je ne sais pas grand-chose, au-del\u00e0 de ce que j\u2019ai glan\u00e9 \u00e0 la lueur des allusions. La premi\u00e8re vie en premi\u00e8re classe, si l\u2019on peut dire, avec une mythologie trois fois romanc\u00e9e. Par elle, \u00e0 force de regrets ; par mon p\u00e8re pour \u00e9quilibrer les comptes du roman dont il \u00e9tait le tragique protagoniste, selon la vieille m\u00e9thode du bouc \u00e9missaire ; et par moi, m\u00fb par l\u2019instinct naturel de r\u00e9\u00e9crire les existences des membres de ma famille en me fondant sur des donn\u00e9es re\u00e7ues.<\/p>\n\n\n\n

Il y avait, dans la premi\u00e8re vie de ma grand-m\u00e8re, une topographie bien d\u00e9limit\u00e9e (l\u2019Esquilin, quartier de Rome) et une activit\u00e9 commerciale lucrative, immobili\u00e8re. Que sa famille ait vendu des villas ou des pavillons importe peu ; ce qui compte, c\u2019est que sa premi\u00e8re vie comprenait de vastes superficies, peut-\u00eatre des gouvernantes et tout le corollaire d\u2019une classe qui nous \u00e9tait totalement \u00e9trang\u00e8re. Ainsi qu\u2019une certaine tendance \u00e0 la transgression, qui \u00e9tait en r\u00e9alit\u00e9 la raison de son charisme et dont d\u00e9coula la d\u00e9gringolade dans la seconde vie et dans la seconde classe. Il y eut probablement \u00e0 l\u2019origine un p\u00e9ch\u00e9 de chair, comme le triple passage dans les eaux du roman l\u2019avait \u00e9tabli, toutefois le point marquant est ailleurs : des deux vies, c\u2019est de la seconde \u2014 la chute \u2014 que nous f\u00fbmes les descendants. Ma grand-m\u00e8re se mit \u00e0 travailler au taux horaire, \u00e0 ranger les maisons des riches. Bref, elle se lan\u00e7a dans les travaux domestiques, comme on dit, elle devint femme de m\u00e9nage. De la classe d\u2019o\u00f9 elle \u00e9tait issue, elle conserva les mani\u00e8res et les ambitions, ainsi que, je pr\u00e9sume, un h\u00e9ritage qu\u2019on lui avait vers\u00e9 plus ou moins en sous-main et qui lui servait, j\u2019imagine, \u00e0 se payer de petits plaisirs, pour ainsi dire, et sa maison en bord de mer. De sa chute, en revanche, d\u00e9coula son alcoolisme, comme expression d\u2019une r\u00e9ticence \u00e0 accepter le fait que cette m\u00eame chute se fut conclue en la projetant contre le pav\u00e9 d\u2019une Rome bien peu bourgeoise.<\/p>\n\n\n\n

Mon p\u00e8re fut le principal h\u00e9ritier de ce choc. Il opta, comme je le disais, pour des \u00e9tudes secondaires, sous certains aspects un choix naturel, compte tenu de la premi\u00e8re vie de sa m\u00e8re. En d\u00e9finitive, il \u00e9tait d\u00e9j\u00e0, \u00e0 l\u2019\u00e2ge de quatorze ans, un ex-bourgeois sans conscience de classe car, de fait, sans classe d\u2019appartenance et donc sans v\u00e9ritable ambition. Et sans p\u00e8re, ou avec un p\u00e8re dont seuls quelques d\u00e9tails se sont introduits dans le roman familial (dont une mort obscure et pr\u00e9coce). \u00c0 savoir son nom et l\u2019abandon du foyer, dont l\u2019acm\u00e9 consistait en un \u00e9pisode fr\u00f4lant le comique : ma grand-m\u00e8re qui brandit la louche, lors d\u2019une dispute, et l\u2019abat violemment sur la t\u00eate de son second mari. Et un \u00e9pisode plus tardif : mon p\u00e8re jeune homme qui intime au sien de ne pas s\u2019approcher de sa s\u0153ur \u2014 de quatre ans son a\u00een\u00e9e, mais n\u00e9anmoins une fille au sein de son code viril \u2014, faute de quoi il lui cassera la figure.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"

En attendant la remise du Prix Grand Continent le 5 d\u00e9cembre, nous vous offrons des extraits des cinq \u0153uvres finalistes.<\/p>\n

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