{"id":307022,"date":"2025-12-02T06:30:00","date_gmt":"2025-12-02T05:30:00","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=307022"},"modified":"2025-12-01T20:46:06","modified_gmt":"2025-12-01T19:46:06","slug":"comment-sortir-leurope-du-silence-une-conversation-avec-barbara-cassin","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2025\/12\/02\/comment-sortir-leurope-du-silence-une-conversation-avec-barbara-cassin\/","title":{"rendered":"Comment sortir l’Europe du silence ? une conversation avec Barbara Cassin"},"content":{"rendered":"\n
Vous nous lisez de plus en plus souvent ? Soutenez la premi\u00e8re revue europ\u00e9enne ind\u00e9pendante et abonnez-vous au Grand Continent<\/a><\/em><\/p>\n\n\n\n Mon livre pr\u00e9c\u00e9dent, L\u2019Odyss\u00e9e au Louvre<\/em> <\/span>1<\/sup><\/a><\/span><\/span>, \u00e9tait un tr\u00e8s beau \u00ab roman graphique \u00bb reprenant mes conf\u00e9rences du Louvre, avec textes de l\u2019Odyss\u00e9e<\/em> et images de vases. C’\u00e9tait un livre de culture, m\u00eame s’il parle plus largement de la mani\u00e8re dont un homme ordinaire se construit \u2014 et en particulier un homme grec.<\/p>\n\n\n\n Au sujet de ce livre, j\u2019ai \u00e9t\u00e9 invit\u00e9e \u00e0 faire une intervention \u00e0 Istanbul, devant des lyc\u00e9ens et des \u00e9tudiants ; on m\u2019avait demand\u00e9 de leur parler d\u2019Ulysse et d\u2019Hom\u00e8re. Tous m\u2019\u00e9coutaient attentivement, mais je ne pouvais m\u2019emp\u00eacher de penser aux choses tr\u00e8s dures qui se passent en Turquie, aux atrocit\u00e9s \u00e0 Gaza, \u00e0 Kiev.<\/p>\n\n\n\n J’ai eu soudain honte de leur parler d’Hom\u00e8re, mais j\u2019ai song\u00e9 ensuite \u00e0 une mani\u00e8re de le justifier : il faut parler de culture \u2014 car elle seule peut r\u00e9sister.<\/p>\n\n\n\n Oui, c\u2019est ainsi que je l\u2019ai compris. J\u2019ai eu envie de changer d\u2019approche, de chercher quelque chose qui diff\u00e8re de la beaut\u00e9 d’un livre comme celui sur Hom\u00e8re. <\/p>\n\n\n\n J’ai souhait\u00e9 que mon livre soit abordable et parle d’aujourd’hui. Je voulais qu\u2019il s\u2019inscrive pleinement dans le r\u00e9el. <\/p>\n\n\n\n Au fond, c\u2019est une fa\u00e7on de justifier mon existence : je me dis que je suis une philologue de biblioth\u00e8que, certes, mais que cette philologie peut donner des armes pour r\u00e9sister \u00e0 ce dont on ne veut pas.<\/p>\n\n\n\n J\u2019ai pu dire dans mon ouvrage que \u00ab la langue est politique \u00bb ; cette phrase vient d\u2019Hannah Arendt \u2014 qui est, pour moi, une figure fondamentale. <\/p>\n\n\n\n Pour Arendt, le go\u00fbt est une facult\u00e9 politique, de m\u00eame que le langage est politique. C\u2019est lorsqu\u2019on l\u2019ignore que le populisme a sur nous une prise.<\/p>\n\n\n\n Pendant un certain temps, j\u2019ai trouv\u00e9 les Am\u00e9ricains que je connaissais tr\u00e8s silencieux. <\/p>\n\n\n\n Lors du premier mandat de Trump, le mouvement \u00ab Not My President \u00bb s\u2019est vraiment fait remarquer ; d\u00e9sormais, et maintenant que le pr\u00e9sident entame un deuxi\u00e8me mandat, je trouve terrifiant de voir comment les pressions financi\u00e8res ont su faire taire l\u2019opinion. Columbia a c\u00e9d\u00e9 tout de suite ; Yale et Harvard ont r\u00e9sist\u00e9 un peu davantage parce qu’elles avaient plus de moyens, mais elles lui ont embo\u00eet\u00e9 le pas<\/a>.<\/p>\n\n\n\n Ces universit\u00e9s commencent maintenant \u00e0 bouger : leurs enseignants ne se contentent pas de partir \u2014 ils bougent et r\u00e9sistent pour de bon. Pour ceux-ci, l\u2019image qu\u2019ils renvoient \u00e0 l\u2019international compte beaucoup.<\/p>\n\n\n\n L’Europe est silencieuse. Elle laisse les autres discourir \u00e0 sa place, sans proposer de parole ou de r\u00e9cit alternatif.<\/p>Barbara Cassin<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Au d\u00e9but du deuxi\u00e8me mandat de Trump, j\u2019ai \u00e9t\u00e9 \u00e9c\u0153ur\u00e9e de voir qu’ils c\u00e9daient presque tous ; nous \u00e9tions nombreux \u00e0 ressentir la m\u00eame chose. Les choses ont chang\u00e9<\/a> : maintenant, les Am\u00e9ricains non-trumpistes commencent \u00e0 se sentir soutenus. <\/p>\n\n\n\n La premi\u00e8re condition pour r\u00e9sister aux discours de Trump et Poutine est de ne pas se laisser sid\u00e9rer ; la deuxi\u00e8me, ne rien laisser passer. <\/p>\n\n\n\n Il faut dire ce qu’on voit et ce qu’on veut ; or aujourd\u2019hui, on n\u2019entend pas assez de gens parler. Nous devrions \u00eatre assourdis par les paroles contre Trump et contre Poutine.<\/p>\n\n\n\n Absolument ! C\u2019est grave \u2014 et ce d’autant plus que nous n\u2019avons m\u00eame pas un r\u00e9cit structur\u00e9 sur le pr\u00e9sent.<\/p>\n\n\n\n La question doit alors \u00eatre celle-ci : que veut-on ? On doit pouvoir r\u00e9pondre \u00e0 cette question pour ensuite passer \u00e0 la deuxi\u00e8me \u00e9tape : que doit-on faire ?<\/p>\n\n\n\n La r\u00e9ponse \u00e0 ces discours doit se faire par ce qu\u2019on peut \u00eatre. <\/p>\n\n\n\n La culture europ\u00e9enne<\/a> n’est \u00e9videmment pas la seule culture, et il est essentiel de r\u00e9fl\u00e9chir de nouveau \u00e0 la mani\u00e8re dont les diff\u00e9rentes cultures communiquent entre elles. C\u2019est quelque chose qui n\u2019est pas assez mis en \u0153uvre. Au Coll\u00e8ge de France, on s’y consacre en ce moment \u2014 mais ce n\u2019est jamais suffisant.<\/p>\n\n\n\n Pour ma part, afin de r\u00e9fl\u00e9chir \u00e0 cette communication, je passe par les langues mais rencontre aussi des difficult\u00e9s. Par exemple, le Dictionnaire des intraduisibles<\/em> <\/span>2<\/sup><\/a><\/span><\/span> est traduit, en tout ou en partie, dans une dizaine de langues, dont l\u2019ukrainien et le russe. Il a d\u00e9j\u00e0 \u00e9t\u00e9 traduit en arabe, il est en cours de traduction en wolof ; il faudrait que je m\u2019occupe activement de sa traduction en chinois.<\/p>\n\n\n\n Quand je dis que ce dictionnaire a \u00e9t\u00e9 \u00ab traduit \u00bb, cela veut dire qu\u2019il a \u00e9t\u00e9 r\u00e9invent\u00e9. On m\u2019a \u00e9galement propos\u00e9 de r\u00e9fl\u00e9chir \u00e0 une version japonaise, mais l\u00e0 encore, il faudrait que je m\u2019y implique davantage. Cela est indispensable.<\/p>\n\n\n\n J\u2019ai pass\u00e9 du temps en Inde et j\u2019ai eu l\u2019id\u00e9e de faire traduire un m\u00eame extrait dans quatre ou cinq des principales langues du pays afin qu\u2019elles puissent dialoguer entre elles. <\/p>\n\n\n\n Il faut r\u00e9inventer toute cette communication<\/a> en s\u2019aidant de l’intelligence artificielle, ce qui n’est pas chose ais\u00e9e. Mon id\u00e9e serait de cr\u00e9er une IA traductive nourrie des intraduisibles<\/em> et qui soit donc, d’une certaine mani\u00e8re, n\u00e9vros\u00e9e. Je lui demanderais ensuite : \u00ab Alors, comment fais-tu maintenant ? \u00bb Ce serait une exp\u00e9rience \u00e0 observer.<\/p>\n\n\n\n Il faudrait r\u00e9fl\u00e9chir \u00e0 la mani\u00e8re de catastropher l’intelligence artificielle. Nous devons pour cela travailler le rapport entre l\u2019IA et l’image. <\/p>Barbara Cassin<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Je me sens capable de mener ces petits projets, partiels, exp\u00e9rimentaux et presque symptomatiques. Je ne saurais pas en revanche, aborder les choses par le grand bout, c\u2019est-\u00e0-dire par celui de la conjoncture politique. <\/p>\n\n\n\n C\u2019est bien cela ; je ne peux cependant pas dire : je d\u00e9fends la v\u00e9rit\u00e9, je d\u00e9fends la beaut\u00e9, je d\u00e9fends le juste ; je ne suis pas Platon. D\u2019ailleurs, je pense que c\u2019est l\u2019aspect le plus dangereux du platonisme. <\/p>\n\n\n\n La force du langage est d\u2019autant plus manifeste que l\u2019administration Trump m\u00e8ne une r\u00e9pression contre les mots : lorsqu\u2019ils suppriment un mot, ils croient pouvoir supprimer la chose. La liste des 140 mots \u00ab d\u00e9conseill\u00e9s \u00bb est ubuesque, \u00ab inclusion \u00bb, \u00ab d\u00e9r\u00e8glement climatique \u00bb, \u00ab femme \u00bb \u2014 bien qu\u2019ils aient r\u00e9int\u00e9gr\u00e9 celui-l\u00e0\u2026<\/p>\n\n\n\n Cela fait \u00e9cho \u00e0 mon travail sur la Commission V\u00e9rit\u00e9 et R\u00e9conciliation<\/em> : j\u2019ai revu Albie Sachs <\/span>3<\/sup><\/a><\/span><\/span> il y a quelques jours, dont le pays a \u00e9t\u00e9 fabriqu\u00e9 par des \u00e9changes de mots. Cet \u00e9change est tr\u00e8s important : la Rainbow Nation a \u00e9t\u00e9 cr\u00e9\u00e9e par cette Commission. <\/p>\n\n\n\n C\u2019est une condition sine qua non<\/em> pour bien nommer : en un mot, cela s\u2019appelle d\u00e9sessentialiser.<\/p>\n\n\n\n Une fois cette op\u00e9ration accomplie, nous pouvons alors recommencer. Il faut donc d\u2019abord nommer, puis d\u00e9sessentialiser \u2014 et peut-\u00eatre recommencer. <\/p>\n\n\n\n Dans cette \u00e9quation, le temps est une force puissante ; nous avons tendance \u00e0 ne pas en tenir assez compte. Une chose, \u00e0 un moment donn\u00e9 ou un autre, n’est pas la m\u00eame.<\/p>\n\n\n\n La temporalit\u00e9 dans laquelle nous sommes peut sembler s\u2019\u00e9couler tr\u00e8s vite \u2013 mais elle le fait en pi\u00e9tinant. Il faut donc essayer de mener une r\u00e9flexion sur le temps, qui aille plus loin que les questions sur l\u2019Homme. <\/p>\n\n\n\n Je le pense. J\u2019y suis particuli\u00e8rement expos\u00e9e car je passerais bien ma vie au casino aussi. Entre les casinos et les r\u00e9seaux sociaux, il y a l\u2019ordinateur \u2014 que je n\u2019utilise que pour travailler. <\/p>\n\n\n\n De m\u00eame, je d\u00e9teste aller au cin\u00e9ma en journ\u00e9e : en sortir et qu\u2019il fasse nuit\u2026 Je trouve cela scandaleux. Ce n’est pas possible de ne pas profiter du jour. Je vais au cin\u00e9ma uniquement le soir, ou en plein air ; en Corse, il y en a de temps en temps. Au moins, il y a le ciel et l\u2019air \u2014 c\u2019est mieux qu\u2019une salle obscure.<\/p>\n\n\n\n L\u2019exp\u00e9rience du m\u00e9tro est pour moi similaire : je pr\u00e9f\u00e8re donc marcher ou prendre le bus. <\/p>\n\n\n\n Si l\u2019on me demandait ce qu\u2019il y a de plus laid, ou plut\u00f4t ce qui nie la vie, je dirais que c\u2019est de ne pas voir la lumi\u00e8re du jour. Pour moi, \u00eatre en vie c\u2019est ph\u00f4s<\/em>, \u00ab le mortel \u00bb qui, \u00e0 l’accent pr\u00e8s, veut aussi dire \u00ab la lumi\u00e8re \u00bb \u2014 un terme qui est li\u00e9 \u00e0 ph\u00eami<\/em> qui veut dire \u00ab parler \u00bb. Cette double \u00e9tymologie de la lumi\u00e8re et de la parole est ce qui caract\u00e9rise un mortel. <\/p>\n\n\n\n Pour Arendt, le go\u00fbt est une facult\u00e9 politique ; c\u2019est lorsqu\u2019on l\u2019ignore que le populisme a sur nous une prise.<\/p>Barbara Cassin<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Il y a une cinquantaine d\u2019ann\u00e9es, on m\u2019avait demand\u00e9 de d\u00e9finir le bonheur dans Lib\u00e9ration<\/em>. J\u2019avais r\u00e9pondu : \u00ab Voir la lumi\u00e8re et parler \u00e0 quelqu\u2019un. \u00bb Les journalistes avaient illustr\u00e9 ma r\u00e9ponse par une tr\u00e8s belle photographie \u2014 pas de moi, mais d\u2019une femme qui aurait pu \u00eatre moi, assise au bord de la mer, un enfant \u00e0 ses c\u00f4t\u00e9s.<\/p>\n\n\n\n C\u2019est exact : il faudrait aussi porter plus d\u2019attention aux \u00e9volutions dans le temps. \u00c0 ce sujet, plus le temps avance, plus on me demande ce que je pense de la mort\u2026 Je r\u00e9ponds que je pense d’abord que le soleil et la mort ne se regardent pas en face ; ceci \u00e9tant dit, je veux toujours voir les choses le plus possible et le plus longtemps possible jusqu\u2019au bout \u2014 y compris la mort \u00e0 venir. <\/p>\n\n\n\n Je me souviens qu\u2019au moment o\u00f9 ma m\u00e8re est morte, j’ai trouv\u00e9 qu\u2019elle avait l\u2019air \u00e9tonn\u00e9e par ce qu’elle voyait. C\u2019est pour cela que je dis que je pense beaucoup de bien de la mort : elle nous \u00e9tonne. <\/p>\n\n\n\n On n’a pas le temps de s’\u00e9tonner en naissant \u2014 alors qu’en mourant, on peut le faire. Si l\u2019on me demande maintenant ce que je pense de la mort, je dirai cela : un dernier \u00e9tonnement pour la route. <\/p>\n\n\n\n Tous les hommes politiques ont fait usage de performatifs : \u00ab Je vous ai compris \u00bb, \u00ab Yes, we can<\/em> \u00bb, \u00ab Wir schaffen das<\/em> \u00bb\u2026 Ceux-l\u00e0 sont des performatifs magnifiques. <\/p>\n\n\n\n Ce qui est diff\u00e9rent avec Trump et Poutine, c\u2019est que ceux-ci l’ont int\u00e9gr\u00e9 au discours quotidien de leurs partisans. On passe ainsi du performatif inaugural \u00e0 l’imposition d’un pouvoir absolutiste ; \u00e0 ce dernier se greffent les faits alternatifs et le mensonge : l\u2019administration Trump parle d\u2019\u00ab alternative truth<\/em> \u00bb. <\/p>\n\n\n\n Ces mensonges proc\u00e8dent comme on fait de la fiction : le mod\u00e8le est sans doute les dr\u00f4les et g\u00e9niales Histoires vraies <\/em>de Lucien de Samosate <\/span>4<\/sup><\/a><\/span><\/span> : l\u2019auteur y explique ce qu\u2019il est en train de faire, pourquoi ce qu\u2019il dit est faux et pourquoi l\u2019auteur doit croire que c\u2019est vrai.<\/p>\n\n\n\n\u00ab J\u2019ai eu besoin comme jamais d\u2019\u00e9crire ce livre-ci \u00bb est la premi\u00e8re phrase de votre dernier ouvrage, La Guerre des mots<\/em>. Pourriez-vous revenir sur les raisons qui, pr\u00e9cis\u00e9ment, vous ont pouss\u00e9 \u00e0 l\u2019\u00e9crire ? <\/h3>\n\n\n\n
\u00ab R\u00e9sister \u00bb est justement le titre de la troisi\u00e8me partie de votre ouvrage. Avez-vous \u00e9crit ce livre comme un manuel de r\u00e9sistance ?<\/h3>\n\n\n\n
Le langage est au c\u0153ur de vos travaux, mais aussi des dispositifs de Trump<\/a> et de Poutine<\/a>. Ce livre en lui-m\u00eame t\u00e9moigne-t-il d\u2019une volont\u00e9 d\u2019embrasser ce langage qui semble nous \u00e9chapper quand de tels hommes s\u2019en emparent ? Vous \u00e9crivez dans votre ouvrage : \u00ab On n\u2019entend qu\u2019eux puisqu\u2019ils font taire les autres. \u00bb (p. 21)<\/h3>\n\n\n\n
Dans votre livre, il est question de la dimension performative des discours de Trump et Poutine, dont la convergence est \u00e0 maintes reprises soulign\u00e9e. Que nous faut-il pour y r\u00e9sister ? La r\u00e9ponse doit-elle passer par la d\u00e9fense de la culture europ\u00e9enne ?<\/h3>\n\n\n\n
Vous \u00e9crivez p. 45 : \u00ab Il faut fabriquer le meilleur r\u00e9cit pour rendre cr\u00e9dible l\u2019avenir \u00e0 promouvoir, proposer un r\u00e9cit d\u2019avenir. \u00bb Est-ce l\u00e0 que Peter Thiel et ses amis<\/a> ont \u2014 pour le moment \u2014 pris de l\u2019avance sur nous, en proposant un r\u00e9cit structur\u00e9 sur l\u2019avenir, alors que nous peinons \u00e0 proposer un r\u00e9cit attractif ? <\/h3>\n\n\n\n
La r\u00e9ponse doit-elle se faire par la d\u00e9fense de la culture europ\u00e9enne ?<\/h3>\n\n\n\n
Ce qui ressort \u00e0 la lecture du livre, n\u2019est-ce pas la d\u00e9fense d’un art de vivre europ\u00e9en ?<\/h3>\n\n\n\n
On a parfois l\u2019impression que nous avons du mal \u00e0 nommer ce que nous sommes, ce que nous d\u00e9fendons, ce qu\u2019est l\u2019Europe. Quand vous vous interrogez l\u00e0-dessus (p. 143), vous \u00e9crivez : \u00ab On peut toujours s\u2019en sortir, comme avec la th\u00e9ologie n\u00e9gative, en disant que ce \u2018ne pas savoir\u2019 est notre chance et constitue notre identit\u00e9 m\u00eame \u00bb. Peut-on vraiment s’en tenir \u00e0 cela ou faut-il essayer d’aller plus loin pour trouver les mots ?<\/h3>\n\n\n\n
Dans votre livre, vous faites r\u00e9f\u00e9rence aux rouages algorithmiques de la m\u00e9thode Trump, o\u00f9 aller vite est voulu : il faut aller de d\u00e9cision en d\u00e9cision afin de cr\u00e9er de la sid\u00e9ration, une sorte de vertige qui ne laisse pas le temps de r\u00e9flexion. L\u2019usage des r\u00e9seaux sociaux que fait le pr\u00e9sident s\u2019inscrit dans cette strat\u00e9gie de contagion ; vous dites pr\u00e9f\u00e9rer ne pas les utiliser de peur de finir inexorablement par jouer, \u00ab comme dans un casino \u00bb. Pensez-vous que personne ne puisse rester imperm\u00e9able \u00e0 ces outils une fois entr\u00e9 en contact avec eux ?<\/h3>\n\n\n\n
R\u00e9sister impliquerait donc aussi de r\u00e9instaurer une certaine temporalit\u00e9 ? <\/h3>\n\n\n\n
Lorsque vous traitez la novlangue de Trump et de Poutine, vous mettez en place une sorte de chiasme : pour le premier, \u00ab c\u2019est le national qui compte, l\u2019international suivra \u00bb ; pour le second, \u00ab c\u2019est l\u2019international qui compte, le national suivra \u00bb. Dans les deux cas, ce \u00ab suivra \u00bb semble \u00eatre un performatif contre lequel il faut donc lutter. <\/h3>\n\n\n\n
Comment ces mensonges cr\u00e9ent-ils un pi\u00e8ge en entretenant un flou autour du peu de vrai qui sert parfois de point de d\u00e9part ? <\/h3>\n\n\n\n