{"id":306996,"date":"2025-12-01T18:40:39","date_gmt":"2025-12-01T17:40:39","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=306996"},"modified":"2025-12-01T18:45:23","modified_gmt":"2025-12-01T17:45:23","slug":"lavenir-peut-et-doit-etre-construit-ici-lappel-de-mario-draghi-pour-une-revolution-technologique-europeenne","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2025\/12\/01\/lavenir-peut-et-doit-etre-construit-ici-lappel-de-mario-draghi-pour-une-revolution-technologique-europeenne\/","title":{"rendered":"\u00ab L\u2019avenir peut \u2014 et doit \u2014 \u00eatre construit ici \u00bb : l\u2019appel de Mario Draghi pour une r\u00e9volution technologique europ\u00e9enne"},"content":{"rendered":"\n
Ce lundi 1er d\u00e9cembre, \u00e0 l’occasion de l’ouverture de l’ann\u00e9e universitaire \u00e0 l’\u00c9cole polytechnique de Milan, Mario Draghi a prononc\u00e9 un discours essentiel.<\/p>\n\n\n\n
Un spectre hante l\u2019Europe : celui du d\u00e9crochage technologique. Pour l\u2019\u00e9viter, l\u2019Union doit se d\u00e9faire de ses vieilles pr\u00e9ventions.<\/p>\n\n\n\n
\u00ab Pour des raisons historiques et culturelles, l’Europe a souvent adopt\u00e9 une approche prudente, fond\u00e9e sur le principe de pr\u00e9caution. \u00bb Bridant la recherche et l\u2019innovation<\/a>, le poids des r\u00e9gulations agit comme un principe d\u2019inertie.<\/p>\n\n\n\n Cette approche ne peut que nous p\u00e9naliser : avec elle, l\u2019Union se prive du levier \u00e9conomique que pourrait \u00eatre l\u2019IA. <\/p>\n\n\n\n Alors que seul 14 % des mesures du rapport Draghi ont \u00e9t\u00e9 mises en oeuvre <\/span>1<\/sup><\/a><\/span><\/span>, l\u2019ancien pr\u00e9sident du Conseil italien nous met en garde<\/a> : \u00ab Une politique efficace dans des conditions d’incertitude exige de la flexibilit\u00e9 ; c’est l\u00e0 que l’Europe s’est enlis\u00e9e. \u00bb<\/p>\n\n\n\n Nous le traduisons.<\/p>\n\n\n\n Pendant plus de deux si\u00e8cles, l’am\u00e9lioration du niveau de vie a \u00e9t\u00e9 aliment\u00e9e par des vagues successives de progr\u00e8s technologiques. \u00c0 la fin du XVIIIe si\u00e8cle, les machines \u00e0 vapeur ont propuls\u00e9 la r\u00e9volution industrielle britannique. Au XIXe si\u00e8cle, l’\u00e9lectrification a profond\u00e9ment transform\u00e9 l’industrie et la vie domestique. Au d\u00e9but du XXe si\u00e8cle, le proc\u00e9d\u00e9 Haber-Bosch a permis d’extraire des engrais de l’air, favorisant ainsi un boom d\u00e9mographique ; plus tard, le conteneur a r\u00e9volutionn\u00e9 le commerce mondial en r\u00e9duisant consid\u00e9rablement les co\u00fbts de transport.<\/p>\n\n\n\n Aujourd’hui, la technologie reste le principal moteur de la prosp\u00e9rit\u00e9, mais deux nuances cruciales s\u2019imposent. <\/p>\n\n\n\n Premi\u00e8rement, les \u00e9conomies avanc\u00e9es ne peuvent plus compter uniquement sur le travail ou le capital pour soutenir la croissance comme elles le faisaient autrefois, ce qui rend la technologie encore plus essentielle \u00e0 la prosp\u00e9rit\u00e9 future.<\/p>\n\n\n\n Nos populations vieillissent et une grande partie des infrastructures physiques datent de plusieurs d\u00e9cennies. Comme l’a montr\u00e9 Robert Solow au milieu des ann\u00e9es 1950, une fois ce stade de d\u00e9veloppement atteint, la croissance \u00e0 long terme d\u00e9pend dans une large mesure de la productivit\u00e9, ce qui, dans la pratique, passe par la cr\u00e9ation de nouvelles technologies et la diffusion de nouvelles id\u00e9es.<\/p>\n\n\n\n Une illusion s\u00e9duisante voudrait que la croissance serait moins essentielle une fois atteint un niveau de d\u00e9veloppement \u00e9lev\u00e9 ; le d\u00e9clin d\u00e9mographique permettrait une augmentation du bien-\u00eatre m\u00eame si l’\u00e9conomie stagne. Cela n’est pourtant pas vrai en g\u00e9n\u00e9ral, et en particulier pour les pays qui tra\u00eenent un niveau d’endettement \u00e9lev\u00e9. Ce qui importe pour la viabilit\u00e9 de la dette, c’est la taille globale de l’\u00e9conomie. Si l’\u00e9conomie cesse de cro\u00eetre alors que les int\u00e9r\u00eats continuent de courir, le ratio dette\/PIB commencera \u00e0 augmenter, jusqu’\u00e0 devenir insoutenable.<\/p>\n\n\n\n \u00c0 ce stade, les gouvernements sont contraints de faire des choix douloureux entre leurs ambitions fondamentales : entre les retraites et la d\u00e9fense ; entre la pr\u00e9servation du mod\u00e8le social et le financement de la transition \u00e9cologique. De plus, la croissance est essentielle pour r\u00e9pondre aux nouveaux besoins sociaux, politiques, \u00e9conomiques et s\u00e9curitaires auxquels un \u00c9tat est constamment confront\u00e9.<\/p>\n\n\n\n Deuxi\u00e8mement, le rythme m\u00eame du changement technologique s’acc\u00e9l\u00e8re.<\/p>\n\n\n\n La question reste ouverte de savoir si les innovations d’aujourd’hui \u00e9galeront le pouvoir de transformation de celles du pass\u00e9 ; mais ce qui d\u00e9termine la rapidit\u00e9 de leur impact \u00e9conomique, c’est la vitesse \u00e0 laquelle elles se diffusent dans la soci\u00e9t\u00e9 \u2014 et sur ce plan, le monde est entr\u00e9 en territoire inconnu.<\/p>\n\n\n\n La r\u00e9volution industrielle s’est d\u00e9roul\u00e9e sur huit d\u00e9cennies ; les \u00e9conomies du monde ont mis environ trente ans \u00e0 s\u2019\u00e9lectrifier. En revanche, ChatGPT a \u00e9t\u00e9 lanc\u00e9 en novembre 2022 et, d’ici quelques ann\u00e9es, les investissements mondiaux dans les infrastructures d’IA devraient atteindre plusieurs milliers de milliards de dollars.<\/p>\n\n\n\n L’IA n’est peut-\u00eatre qu\u2019un outil, mais ce qui la rend exceptionnelle, c’est sa capacit\u00e9 \u00e0 se r\u00e9pandre dans l’\u00e9conomie beaucoup plus rapidement que les r\u00e9volutions technologiques pr\u00e9c\u00e9dentes.<\/p>\n\n\n\n Ainsi, l’\u00e9cart entre les pays qui embrassent l’innovation et ceux qui h\u00e9sitent \u00e0 le faire va se creuser consid\u00e9rablement et rapidement dans les ann\u00e9es \u00e0 venir.<\/p>\n\n\n\n C’est pourquoi l’Europe vit aujourd’hui un moment de v\u00e9rit\u00e9.<\/p>\n\n\n\n Au cours des vingt derni\u00e8res ann\u00e9es, nous sommes pass\u00e9s d’un continent qui accueillait les nouvelles technologies, r\u00e9duisant ainsi l’\u00e9cart avec les \u00c9tats-Unis, \u00e0 un continent qui a progressivement \u00e9rig\u00e9 des barri\u00e8res \u00e0 l’innovation et \u00e0 son adoption ; nous l’avons d\u00e9j\u00e0 constat\u00e9 lors de la premi\u00e8re phase de la r\u00e9volution num\u00e9rique, lorsque la croissance de la productivit\u00e9 europ\u00e9enne est tomb\u00e9e \u00e0 environ la moiti\u00e9 du rythme am\u00e9ricain, la quasi-totalit\u00e9 de cet \u00e9cart provenant du secteur technologique.<\/p>\n\n\n\n Ce sch\u00e9ma se r\u00e9p\u00e8te aujourd’hui avec la r\u00e9volution de l’IA. L’ann\u00e9e derni\u00e8re, les \u00c9tats-Unis ont produit quarante grands mod\u00e8les fondamentaux, la Chine quinze et l’Union europ\u00e9enne seulement trois. Le m\u00eame sch\u00e9ma s’observe \u00e0 propos de nombreuses autres technologies de pointe, de la biotechnologie aux mat\u00e9riaux avanc\u00e9s en passant par la fusion nucl\u00e9aire, o\u00f9 de nombreuses innovations importantes et investissements priv\u00e9s ont lieu en dehors de l’Europe.<\/p>\n\n\n\n Si nous ne comblons pas cet \u00e9cart par une adoption \u00e0 grande \u00e9chelle de ces technologies, l’Europe risque de conna\u00eetre un avenir marqu\u00e9 par la stagnation, avec toutes les cons\u00e9quences que cela implique. Compte tenu de notre profil d\u00e9mographique, si l’Union se contentait de maintenir le taux de croissance moyen de la productivit\u00e9 de la derni\u00e8re d\u00e9cennie, dans vingt-cinq ans, son \u00e9conomie aurait la m\u00eame taille qu’aujourd’hui.<\/p>\n\n\n\n Pour d\u00e9cider comment r\u00e9agir, nous devons d’abord avoir une vision claire de ce que cette nouvelle vague technologique, en particulier l’IA, offre r\u00e9ellement.<\/p>\n\n\n\n Se trouver \u00e0 l’aube d’une nouvelle r\u00e9volution technologique entra\u00eene in\u00e9vitablement une grande incertitude. Une \u00e9valuation lucide de l’IA doit reconna\u00eetre \u00e0 la fois les risques l\u00e9gitimes et les avantages potentiels significatifs dont elle est porteuse.<\/p>\n\n\n\n Des estimations cr\u00e9dibles sugg\u00e8rent que l’IA pourrait consid\u00e9rablement acc\u00e9l\u00e9rer la croissance des \u00e9conomies avanc\u00e9es. Si la diffusion de l’IA suit le mod\u00e8le du boom num\u00e9rique am\u00e9ricain de la fin des ann\u00e9es 1990, la croissance de la productivit\u00e9 pourrait \u00eatre d’environ 0,8 % par an. Si elle suit le mod\u00e8le de la diffusion de l’\u00e9lectrification dans les ann\u00e9es 1920, l’am\u00e9lioration pourrait approcher 1,3 %. M\u00eame la tranche basse de ces estimations repr\u00e9senterait l’acc\u00e9l\u00e9ration la plus importante que l’Europe ait connue depuis des d\u00e9cennies. Face \u00e0 ce potentiel, il existe pourtant un risque r\u00e9el de substitution du travail, d’augmentation des in\u00e9galit\u00e9s et d’autres dommages pour la soci\u00e9t\u00e9 tels que la fraude et les violations de la vie priv\u00e9e.<\/p>\n\n\n\n L’histoire \u00e9conomique montre que le ch\u00f4mage de masse n’est pas l’issue la plus probable. Les r\u00e9volutions technologiques pr\u00e9c\u00e9dentes n’ont pas entra\u00een\u00e9 de pertes d’emplois permanentes ; au fil du temps, de nouvelles professions, industries et demandes ont vu le jour ; mais la transition est rarement lin\u00e9aire. La discontinuit\u00e9 se fait sentir in\u00e9galement : certains travailleurs, certaines t\u00e2ches et certaines r\u00e9gions subissent le poids du remplacement, tandis que d’autres en b\u00e9n\u00e9ficient de mani\u00e8re disproportionn\u00e9e. Et si l’IA renforce la dynamique \u00ab winner takes most<\/em> \u00bb, la r\u00e9partition des gains pourrait devenir encore plus d\u00e9s\u00e9quilibr\u00e9e.<\/p>\n\n\n\n Il y a cependant deux \u00e9l\u00e9ments importants.<\/p>\n\n\n\n Premi\u00e8rement, la vitesse et l’ampleur du remplacement du travail ne sont pas seulement d\u00e9termin\u00e9es par la technologie, mais aussi par les politiques mises en \u0153uvre par les gouvernements : ce sont les choix qu’ils feront qui d\u00e9termineront si la prosp\u00e9rit\u00e9 cr\u00e9\u00e9e par l’utilisation de l’IA sera partag\u00e9e avec tous les travailleurs ou, comme c’est le cas actuellement, ne profitera qu’\u00e0 certains. Le risque de remplacement est proportionnel \u00e0 la rapidit\u00e9 avec laquelle les entreprises peuvent adopter les nouvelles technologies, un facteur qui est lui-m\u00eame influenc\u00e9 par la r\u00e9glementation, la connectivit\u00e9 num\u00e9rique, le co\u00fbt de l’\u00e9nergie et la flexibilit\u00e9 du march\u00e9 du travail.<\/p>\n\n\n\n De m\u00eame, la capacit\u00e9 des travailleurs \u00e0 \u00e9voluer vers de nouvelles fonctions d\u00e9pend des syst\u00e8mes \u00e9ducatifs, des programmes de formation et de la capacit\u00e9 des entreprises \u00e0 requalifier rapidement leur main-d’\u0153uvre.<\/p>\n\n\n\n Selon l’OCDE, la plupart des travailleurs expos\u00e9s \u00e0 l’IA n’auront pas besoin de comp\u00e9tences techniques sp\u00e9cialis\u00e9es pour en tirer profit. Les comp\u00e9tences les plus recherch\u00e9es dans les professions les plus expos\u00e9es seront li\u00e9es \u00e0 la gestion et \u00e0 l\u2019entreprenariat, des comp\u00e9tences que des millions de personnes peuvent acqu\u00e9rir avec un soutien ad\u00e9quat.<\/p>\n\n\n\n Deuxi\u00e8mement, ce qui est souvent absent des discussions sur le sujet, c’est la prise en compte des possibles contributions de ces technologies dans la r\u00e9duction de certaines des in\u00e9galit\u00e9s qui affectent le plus la vie quotidienne des gens.<\/p>\n\n\n\n Prenons l’exemple des soins de sant\u00e9. Les diff\u00e9rences dans les d\u00e9lais d’attente pour une intervention ou dans la rapidit\u00e9 avec laquelle une personne est examin\u00e9e aux urgences influencent directement la perception de l’\u00e9quit\u00e9. Pourtant, la technologie contribue d\u00e9j\u00e0 \u00e0 r\u00e9duire ces \u00e9carts.<\/p>\n\n\n\n Une \u00e9tude men\u00e9e aux \u00c9tats-Unis rapporte que les outils de triage et de gestion des flux bas\u00e9s sur l’IA ont r\u00e9duit les d\u00e9lais d’attente aux urgences de plus de 55 %, ce qui a permis d’\u00e9conomiser environ 200 heures de travail par mois, qui peuvent \u00eatre consacr\u00e9es aux soins des patients. Dans le domaine de l’imagerie diagnostique, d’autres \u00e9tudes sugg\u00e8rent que les priorit\u00e9s bas\u00e9es sur l’IA pourraient r\u00e9duire le d\u00e9lai moyen d\u2019obtention des r\u00e9sultats des cas les plus urgents d’environ 10 \u00e0 11 jours \u00e0 environ 3 jours, permettant ainsi des diagnostics beaucoup plus rapides et un service \u00e9tendu \u00e0 un plus grand nombre de patients. <\/p>\n\n\n\n Les in\u00e9galit\u00e9s sont \u00e9galement tr\u00e8s pr\u00e9sentes dans l’\u00e9ducation. Aujourd’hui, une part importante des r\u00e9sultats scolaires d\u00e9pend du hasard : rencontrer le bon enseignant au bon moment, reconna\u00eetre un talent, orienter un \u00e9l\u00e8ve vers des fili\u00e8res o\u00f9 il pourra s’\u00e9panouir.<\/p>\n\n\n\n L’IA a le potentiel de r\u00e9duire cette composante al\u00e9atoire. Les syst\u00e8mes de tutorat personnalis\u00e9 peuvent s’adapter au rythme et aux besoins de chaque \u00e9l\u00e8ve, offrant en principe \u00e0 chaque enfant l’acc\u00e8s \u00e0 une \u00e9ducation de haute qualit\u00e9. Une \u00e9tude r\u00e9cente montre que les \u00e9l\u00e8ves qui utilisent ces outils voient leurs performances s\u2019am\u00e9liorer, passant du 35e au 60e centile. Les am\u00e9liorations sont deux fois plus importantes pour les \u00e9l\u00e8ves issus de milieux d\u00e9favoris\u00e9s.<\/p>\n\n\n\n Si des syst\u00e8mes de ce type \u00e9taient adopt\u00e9s \u00e0 grande \u00e9chelle dans les syst\u00e8mes publics de sant\u00e9 et d’\u00e9ducation en Europe, ils g\u00e9n\u00e9reraient des avantages sociaux imm\u00e9diats. Ces technologies, parmi d’autres, ne gu\u00e9riront pas les soci\u00e9t\u00e9s de tous leurs maux, mais elles peuvent am\u00e9liorer leur \u00e9tat de sant\u00e9. Dans quelle mesure ? Cela d\u00e9pendra en grande partie des choix politiques qui guideront leur diffusion.<\/p>\n\n\n\n Juger et r\u00e9glementer l’IA \u00e0 l’avance n\u00e9cessite d’\u00e9valuer un large \u00e9ventail de r\u00e9sultats possibles \u2014 \u00e9conomiques, sociaux, \u00e9thiques \u2014 dans un contexte o\u00f9 la technologie elle-m\u00eame \u00e9volue rapidement.<\/p>\n\n\n\n S’il existe un fil conducteur aux difficult\u00e9s rencontr\u00e9es par l’Europe pour suivre le rythme des changements technologiques, c’est bien notre incapacit\u00e9 \u00e0 g\u00e9rer ce type d’incertitude radicale.<\/p>\n\n\n\n Pour des raisons historiques et culturelles, l’Europe a souvent adopt\u00e9 une approche prudente, fond\u00e9e sur le principe de pr\u00e9caution, selon lequel, lorsque les risques dont une nouvelle technologie est porteuse sont incertains, l’option la plus s\u00fbre consiste \u00e0 en ralentir ou \u00e0 en limiter l\u2019adoption.<\/p>\n\n\n\n Cette m\u00e9thode peut \u00eatre appropri\u00e9e dans des domaines clairement d\u00e9limit\u00e9s, comme certains secteurs de la protection de l’environnement ; elle est inad\u00e9quate pour les technologies num\u00e9riques \u00e0 usage g\u00e9n\u00e9ral telles que l’IA, o\u00f9 l’ampleur et la variabilit\u00e9 des r\u00e9sultats potentiels sont consid\u00e9rablement plus importantes. Dans de tels contextes, les r\u00e9gulateurs doivent in\u00e9vitablement formuler des jugements ex ante<\/em>, en pond\u00e9rant les risques et les avantages avant que les faits ne soient pleinement connus.<\/p>\n\n\n\n Laisser simplement les nouvelles technologies se r\u00e9pandre sans contr\u00f4le, comme cela s’est produit avec les m\u00e9dias sociaux, n’est pas une alternative responsable ; mais bloquer leur potentiel positif avant m\u00eame qu’il ne puisse \u00e9merger est tout aussi erron\u00e9.<\/p>\n\n\n\n Une politique efficace dans des conditions d’incertitude exige de la flexibilit\u00e9 : la capacit\u00e9 de revoir les hypoth\u00e8ses, de r\u00e9\u00e9quilibrer ces pond\u00e9rations, d’adapter rapidement les r\u00e8gles \u00e0 mesure que des preuves concr\u00e8tes apparaissent \u2014 s\u2019agissant des risques et des avantages.<\/p>\n\n\n\n C’est l\u00e0 que l’Europe s’est enlis\u00e9e. Nous avons trait\u00e9 les \u00e9valuations initiales et provisoires comme s’il s’agissait d’une doctrine \u00e9tablie \u2014 en les inscrivant dans des lois extr\u00eamement difficiles \u00e0 adapter aux \u00e9volutions du monde.<\/p>\n\n\n\n Prenons le R\u00e8glement g\u00e9n\u00e9ral sur la protection des donn\u00e9es (RGPD), adopt\u00e9 en 2016. Celui-ci a accord\u00e9 une tr\u00e8s grande importance \u00e0 la vie priv\u00e9e par rapport \u00e0 l’innovation ; mais l’\u00e9quilibre trouv\u00e9 en 2016 continue de nous contraindre en 2025, alors que la fronti\u00e8re technologique a progress\u00e9 beaucoup plus rapidement que le cadre r\u00e9glementaire, et que les co\u00fbts \u00e9conomiques de cette approche sont de plus en plus \u00e9vidents.<\/p>\n\n\n\n Des \u00e9tudes montrent que le RGPD a surtout p\u00e9nalis\u00e9 les petites entreprises technologiques europ\u00e9ennes en r\u00e9duisant leurs b\u00e9n\u00e9fices d’environ 12 %, en augmentant le co\u00fbt des donn\u00e9es d’environ 20 % par rapport \u00e0 leurs concurrents am\u00e9ricains et en r\u00e9duisant les investissements en capital-risque dans le secteur technologique europ\u00e9en d’environ un quart. C’est comme si, \u00e0 la premi\u00e8re \u00e9lectrocution, nos anc\u00eatres avaient d\u00e9cid\u00e9 de limiter l’\u00e9lectricit\u00e9 elle-m\u00eame, au lieu de concevoir des installations et des normes de s\u00e9curit\u00e9 permettant \u00e0 la soci\u00e9t\u00e9 d’exploiter son potentiel transformateur. <\/p>\n\n\n\n Malgr\u00e9 ces contraintes, l’innovation n’a pas disparu en Europe.<\/p>\n\n\n\n Selon de nombreux indicateurs de production scientifique, les institutions europ\u00e9ennes dans leur ensemble \u00e9galent, voire d\u00e9passent dans certains domaines, le volume de recherche am\u00e9ricain. En mati\u00e8re de demandes de brevets internationaux, l’Europe repr\u00e9sente environ un cinqui\u00e8me des demandes mondiales, soit l\u00e9g\u00e8rement plus que l’Am\u00e9rique du Nord, mais loin derri\u00e8re l’Asie. L\u2019universit\u00e9 polytechnique de Milan g\u00e9n\u00e8re plus d’activit\u00e9s de brevetage que toute autre en Italie.<\/p>\n\n\n\n Certaines des r\u00e8gles que nous nous sommes fix\u00e9es entravent pourtant la phase post\u00e9rieure \u00e0 l’innovation, en particulier pour les jeunes entreprises, qui ne disposent pas des ressources n\u00e9cessaires pour faire face \u00e0 la complexit\u00e9 juridique et \u00e0 la fragmentation des march\u00e9s des vingt-sept pays membres. Les Europ\u00e9ens qui veulent aller vite et qui comprennent la rapidit\u00e9 exceptionnelle des cycles d’innovation actuels partent donc \u00e0 l’\u00e9tranger pour se d\u00e9velopper et cro\u00eetre. Aujourd’hui, pr\u00e8s des deux tiers des start-ups europ\u00e9ennes s’\u00e9tendent aux \u00c9tats-Unis d\u00e8s la phase de pr\u00e9-amor\u00e7age ou d’amor\u00e7age, contre environ un tiers il y a cinq ans. <\/p>\n\n\n\n La premi\u00e8re \u00e9tape pour remettre l’Europe sur la voie de l’innovation consiste donc \u00e0 changer cette culture de la pr\u00e9caution : r\u00e9duire la charge de la preuve que nous imposons aux nouvelles technologies et accorder au potentiel de l’IA le m\u00eame poids qu’aux risques qu’elle comporte. Il faut surtout faire preuve d’agilit\u00e9 pour reconna\u00eetre quand la r\u00e9glementation est devenue obsol\u00e8te en raison des \u00e9volutions technologiques et la modifier rapidement.<\/p>\n\n\n\n La bonne nouvelle, c’est que ce changement a d\u00e9j\u00e0 commenc\u00e9.<\/p>\n\n\n\n Le rapport sur la comp\u00e9titivit\u00e9 europ\u00e9enne publi\u00e9 l’ann\u00e9e derni\u00e8re a analys\u00e9 en profondeur les obstacles structurels qui emp\u00eachent l’innovation de s’implanter en Europe, mettant en \u00e9vidence les causes de notre perte de position dans les secteurs technologiques clefs.<\/p>\n\n\n\n Aujourd’hui, de nombreux dirigeants europ\u00e9ens partagent ce diagnostic. Ils reconnaissent de plus en plus que, loin d’avoir d\u00e9fini une \u00ab norme d’excellence \u00bb mondiale en mati\u00e8re de r\u00e9glementation technologique, nous avons pouss\u00e9 l’innovation vers la porte de sortie et accru notre d\u00e9pendance \u00e0 l’\u00e9gard de ceux qui m\u00e8nent le d\u00e9veloppement.<\/p>\n\n\n\n En cons\u00e9quence, la Commission a commenc\u00e9 \u00e0 revoir certaines des r\u00e9glementations les plus controvers\u00e9es, dans le but de r\u00e9tablir un meilleur \u00e9quilibre. Par exemple, avec le prochain paquet \u00ab Digital Omnibus \u00bb, elle propose une d\u00e9finition plus souple des donn\u00e9es \u00e0 caract\u00e8re personnel pour l’entra\u00eenement des mod\u00e8les et a d\u00e9j\u00e0 report\u00e9 certaines des dispositions les plus strictes relatives aux syst\u00e8mes d’IA \u00e0 haut risque.<\/p>\n\n\n\n Ce n’est qu’un d\u00e9but.<\/p>\n\n\n\n M\u00eame si l’Europe supprimait toutes les r\u00e8gles qui ont frein\u00e9 l’innovation, cela ne suffirait pas \u00e0 combler le foss\u00e9. La question d\u00e9cisive est de savoir ce que nous ferons de la libert\u00e9 que nous regagnerons.<\/p>\n\n\n\n Les recherches montrent que les syst\u00e8mes d’innovation les plus efficaces ont en commun certaines caract\u00e9ristiques fondamentales.<\/p>\n\n\n\n