{"id":306187,"date":"2025-11-25T16:19:07","date_gmt":"2025-11-25T15:19:07","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=306187"},"modified":"2025-11-25T16:35:39","modified_gmt":"2025-11-25T15:35:39","slug":"russie-poutine-sanctions-industrie","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2025\/11\/25\/russie-poutine-sanctions-industrie\/","title":{"rendered":"En Russie, pourquoi les sanctions n\u2019ont-elles pas d\u00e9truit l\u2019industrie de Poutine ?"},"content":{"rendered":"\n
Abonnez-vous \u00e0 la premi\u00e8re hypoth\u00e8se de revue europ\u00e9enne intellectuelle, plurilingue, multiscalaire, ind\u00e9pendante \u2014 d\u00e9couvrez <\/em>toutes nos offres pour recevoir le Grand Continent<\/em><\/a><\/p>\n\n\n\n En f\u00e9vrier 2022, alors que les dirigeants am\u00e9ricains et europ\u00e9ens imposaient de vastes sanctions \u00e9conomiques \u00e0 la Russie \u00e0 la suite de l’invasion de l’Ukraine, ils s’engageaient \u00e0 \u00e9craser l’\u00e9conomie russe, en particulier l’industrie.<\/p>\n\n\n\n Alors que la guerre approche de son quatri\u00e8me anniversaire, de nouvelles sanctions<\/a> continuent d’\u00eatre impos\u00e9es aux grandes entreprises russes.<\/p>\n\n\n\n Les mesures prises contre les g\u00e9ants p\u00e9troliers Lukoil et Rosneft, qui font d\u00e9sormais l’objet de sanctions secondaires am\u00e9ricaines, marquent une nouvelle phase importante dans cette offensive.<\/p>\n\n\n\n Si l’\u00e9conomie russe n’a pas \u00e9t\u00e9 an\u00e9antie, les pr\u00e9visions budg\u00e9taires, les projections de croissance et les enqu\u00eates de confiance des entreprises indiquent toutes que l’augmentation progressive de la pression \u00e9conomique commence \u00e0 poser des probl\u00e8mes aigus<\/a> aux d\u00e9cideurs politiques russes.<\/p>\n\n\n\n Ce ralentissement tardif de l’\u00e9conomie avait \u00e9t\u00e9 annonc\u00e9 : Maria Shagina a \u00e9t\u00e9 l’une des premi\u00e8res analystes \u00e0 red\u00e9finir les attentes <\/span>1<\/sup><\/a><\/span><\/span> quant aux r\u00e9sultats que la coercition \u00e9conomique pourrait obtenir en Russie. Dans un article publi\u00e9 en 2023, elle sugg\u00e9rait qu’avec le temps, l’\u00e9conomie russe serait confront\u00e9e \u00e0 une \u00ab \u00e9rosion lente \u00bb due aux sanctions. Confirmant sa th\u00e8se, les d\u00e9cideurs politiques russes sont aujourd\u2019hui confront\u00e9s aux limites structurelles inh\u00e9rentes au \u00ab keyn\u00e9sianisme militaire \u00bb qui a temporairement stimul\u00e9 la croissance du pays face au durcissement des sanctions.<\/p>\n\n\n\n C’est pourtant trop peu \u2014 et trop tard.<\/p>\n\n\n\n Lors d’une r\u00e9cente table ronde <\/span>2<\/sup><\/a><\/span><\/span>, l’historien Niall Ferguson \u2014 qu’on ne peut pas accuser d’\u00eatre sensible \u00e0 la propagande de Moscou \u2014 a d\u00e9clar\u00e9 que \u00ab le r\u00e9gime de sanctions a compl\u00e8tement \u00e9chou\u00e9 \u00bb \u00e0 modifier le cours de la guerre. Il a ensuite qualifi\u00e9 <\/span>3<\/sup><\/a><\/span><\/span> le plan en 28 points du pr\u00e9sident Trump pour mettre fin \u00e0 la guerre de \u00ab base raisonnable pour des n\u00e9gociations \u00bb.<\/p>\n\n\n\n En priv\u00e9, les responsables occidentaux admettent que les armes \u00e9conomiques ne peuvent pas faire pencher la balance dans une guerre d’usure : l’\u00e9conomie russe est trop importante et l’\u00e9conomie ukrainienne trop faible pour que les sanctions aient un impact sur le champ de bataille.<\/p>\n\n\n\n Bien qu’elle n’ait entrepris qu’une militarisation partielle de l\u2019\u00e9conomie, la production industrielle russe reste robuste<\/a> et les usines du pays continuent de produire des armes et des munitions. Il faudrait un effondrement spectaculaire de la production industrielle pour \u00e9galiser les chances avec l’Ukraine. Aujourd’hui, certes, la production se contracte <\/span>4<\/sup><\/a><\/span><\/span> dans les deux tiers des sous-secteurs manufacturiers russes. Pour autant, cette contraction ne pr\u00e9sage pas un effondrement.<\/p>\n\n\n\n Comme l’a r\u00e9cemment fait valoir Alexandra Prokopenko <\/span>5<\/sup><\/a><\/span><\/span>, \u00ab le paradoxe de l’\u00e9conomie de guerre russe est qu’elle est \u00e0 la fois forte et fragile \u00bb. <\/p>\n\n\n\n La mobilisation d\u00e9centralis\u00e9e des capacit\u00e9s industrielles, impliquant aussi bien les g\u00e9ants publics que les petites entreprises priv\u00e9es, repose sur la r\u00e9organisation r\u00e9ussie des cha\u00eenes d’approvisionnement afin de maintenir les stocks n\u00e9cessaires de mati\u00e8res premi\u00e8res et, surtout, de biens d’\u00e9quipement.<\/p>\n\n\n\n La principale adaptation a consist\u00e9 en un passage rapide et d\u00e9cisif des fournisseurs industriels europ\u00e9ens aux fournisseurs chinois<\/a>. En 2021, seulement 30 % des importations russes de biens d’\u00e9quipement provenaient de Chine. L’ann\u00e9e derni\u00e8re, ce chiffre \u00e9tait de 75 %. Une certaine d\u00e9pendance \u00e0 l’\u00e9gard des pi\u00e8ces et \u00e9quipements europ\u00e9ens persiste ; n\u00e9anmoins, lorsque ces biens ne sont pas disponibles directement, ils peuvent \u00eatre achet\u00e9s en tant qu’importations parall\u00e8les via<\/em> des pays tiers.<\/p>\n\n\n\n Le recours aux sanctions a \u00e9t\u00e9 une strat\u00e9gie irr\u00e9aliste, permettant aux gouvernements occidentaux d’\u00e9viter un v\u00e9ritable engagement politique et militaire en faveur de la victoire ukrainienne.<\/p>Esfandyar Batmanghelidj<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Une adaptation secondaire a vu les entreprises russes se lancer dans une industrialisation par substitution des importations. En g\u00e9n\u00e9ral, cette substitution <\/span>6<\/sup><\/a><\/span><\/span> est \u00ab technologiquement r\u00e9gressive \u00bb, ce qui signifie que les produits contenant davantage de pi\u00e8ces locales sont g\u00e9n\u00e9ralement moins performants ou de moindre qualit\u00e9. Il est difficile d’\u00e9valuer l’ampleur de la r\u00e9gression technologique, car la qualit\u00e9 et la sophistication des produits finis ne sont pas mesur\u00e9es dans les statistiques de production ; sur le front cependant, la Russie d\u00e9pend de plus en plus de drones de faible technologie et de v\u00e9hicules militaires sovi\u00e9tiques remis \u00e0 neuf, ce qui refl\u00e8te les limites technologiques de l’\u00e9conomie de guerre.<\/p>\n\n\n\n Compte tenu de la volont\u00e9 de sacrifier les technologies les plus avanc\u00e9es, il n’est pas surprenant que les entreprises industrielles russes aient r\u00e9ussi \u00e0 d\u00e9velopper de nouvelles cha\u00eenes d’approvisionnement et \u00e0 maintenir leur production. De nombreux intrants manufacturiers sont petits, relativement bon march\u00e9 et produits dans de nombreux pays. Les sanctions et les contr\u00f4les \u00e0 l’exportation ne peuvent ainsi pas limiter de mani\u00e8re d\u00e9cisive l’acc\u00e8s de la Russie \u00e0 ces biens interm\u00e9diaires.<\/p>\n\n\n\n La production industrielle ne d\u00e9pend cependant pas uniquement des intrants : les biens d’\u00e9quipement sont la colonne vert\u00e9brale de toute \u00e9conomie industrialis\u00e9e. Peu importe que l’entrep\u00f4t d’une entreprise soit rempli de pi\u00e8ces si un \u00e9quipement essentiel, tel qu’une machine CNC ou une presse hydraulique, tombe en panne et ne peut \u00eatre r\u00e9par\u00e9 ou remplac\u00e9.<\/p>\n\n\n\n En ce sens, la question de savoir si une \u00e9conomie industrielle est confront\u00e9e \u00e0 la \u00ab lente \u00e9rosion \u00bb des sanctions d\u00e9pend principalement de la relation entre la disponibilit\u00e9 des biens d’\u00e9quipement, l\u2019entretien de ceux d\u00e9j\u00e0 acquis et la production industrielle. Si les sanctions compromettent la capacit\u00e9 du pays vis\u00e9 \u00e0 r\u00e9parer ou \u00e0 renouveler ses biens d\u2019\u00e9quipement \u2014 les machines, les v\u00e9hicules, les outils et les b\u00e2timents utilis\u00e9s pour produire des biens \u2014, la production industrielle diminuera in\u00e9vitablement au fil du temps.<\/p>\n\n\n\n\n Cette relation est clairement illustr\u00e9e par l’impact des sanctions sur le stock de capital en Iran.<\/p>\n\n\n\n L’imposition de sanctions financi\u00e8res et \u00e9nerg\u00e9tiques majeures en 2012, puis leur r\u00e9imposition en 2018, ont constitu\u00e9 deux chocs pour l’\u00e9conomie iranienne<\/a> qui ont d\u00e9grad\u00e9 le stock de capital du pays. Les sanctions ont \u00e9t\u00e9 associ\u00e9es \u00e0 une baisse importante de la formation de capital fixe.<\/p>\n\n\n\n Dans l’ensemble, les sanctions cr\u00e9ent une incertitude macro\u00e9conomique, d\u00e9clenchent l’inflation et augmentent le co\u00fbt du capital, autant de facteurs qui entravent l’investissement <\/span>7<\/sup><\/a><\/span><\/span>. En Iran, la formation brute de capital fixe a stagn\u00e9 depuis l’imposition de sanctions importantes et reste inf\u00e9rieure de 40 % \u00e0 son pic de 2012. Comme l’a averti un r\u00e9cent \u00e9ditorial <\/span>8<\/sup><\/a><\/span><\/span> publi\u00e9 dans le principal journal financier iranien, \u00ab la diminution de la formation de capital fixe est un signal d’alarme pour les perspectives de croissance \u00e9conomique dans les ann\u00e9es \u00e0 venir \u00bb.<\/p>\n\n\n\n Outre leur impact sur l’investissement, les sanctions ont \u00e9galement limit\u00e9 la disponibilit\u00e9 des biens d’\u00e9quipement, ce qui signifie que m\u00eame les entreprises iraniennes disposant de liquidit\u00e9s \u00e0 investir peuvent avoir du mal \u00e0 accro\u00eetre leur capacit\u00e9 de production. Si ces entreprises se sont tourn\u00e9es vers des fournisseurs industriels chinois plut\u00f4t qu’europ\u00e9ens \u00e0 la suite des sanctions, m\u00eame les fabricants chinois de machines et d’\u00e9quipements restent r\u00e9ticents \u00e0 traiter avec des clients iraniens <\/span>9<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n Ces contraintes ont conduit \u00e0 une situation surprenante o\u00f9 il est moins co\u00fbteux de construire une nouvelle usine en Iran que d’acheter une installation industrielle existante ; les investisseurs paient un suppl\u00e9ment pour \u00e9viter l’incertitude et les retards li\u00e9s \u00e0 l’achat et \u00e0 l’importation de nouvelles machines industrielles et parcourent le pays \u00e0 la recherche de machines \u00e0 acheter sur le march\u00e9 secondaire.<\/p>\n\n\n\n Lorsque les sanctions occidentales n’ont pas r\u00e9ussi \u00e0 affaiblir les usines russes, l’Ukraine a cherch\u00e9 \u00e0 les d\u00e9truire : c\u2019est l\u00e0 une approche plus r\u00e9aliste.<\/p>Esfandyar Batmanghelidj<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Il faut noter qu’\u00e0 la suite des chocs li\u00e9s aux sanctions de 2012 et 2018, la baisse des importations de biens d’\u00e9quipement en Iran a \u00e9t\u00e9 plus forte que celle de la production industrielle. En 2004, \u00e0 l’apog\u00e9e de l’industrialisation iranienne, la valeur totale des importations de biens d’\u00e9quipement \u00e9quivalait \u00e0 14 % de la valeur de la production industrielle. En 2024, cette proportion est tomb\u00e9e en dessous de 5 %. En maximisant leur production sans r\u00e9parer, remplacer ou moderniser de mani\u00e8re ad\u00e9quate leurs machines industrielles, les entreprises iraniennes ont en fait acc\u00e9l\u00e9r\u00e9 la d\u00e9pr\u00e9ciation de leur stock de capital.<\/p>\n\n\n\n Cette r\u00e9alit\u00e9 montre comment les sanctions peuvent induire des p\u00e9riodes de pression pour l\u2019industrie qui, \u00e0 terme, conduisent \u00e0 un d\u00e9clin permanent de la production industrielle. Les r\u00e9centes p\u00e9nuries d’\u00e9lectricit\u00e9 en Iran sont peut-\u00eatre l’exemple le plus visible de ce ph\u00e9nom\u00e8ne : la production d’\u00e9lectricit\u00e9 n’a pas r\u00e9ussi \u00e0 suivre la demande croissante pr\u00e9cis\u00e9ment parce que les sanctions emp\u00eachent les autorit\u00e9s iraniennes de moderniser les centrales \u00e9lectriques <\/span>10<\/sup><\/a><\/span><\/span> et le r\u00e9seau du pays.<\/p>\n\n\n\n\nLes raisons d\u2019une r\u00e9silience<\/h2>\n\n\n\n
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\n <\/picture>\n L\u2019\u00ab \u00e9rosion lente \u00bb d\u2019une \u00e9conomie sanctionn\u00e9e : le cas iranien<\/h2>\n\n\n\n
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