{"id":304883,"date":"2025-11-13T19:26:33","date_gmt":"2025-11-13T18:26:33","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=304883"},"modified":"2025-11-13T20:28:24","modified_gmt":"2025-11-13T19:28:24","slug":"brainrot-geopolitique-de-la-realite-cassee","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2025\/11\/13\/brainrot-geopolitique-de-la-realite-cassee\/","title":{"rendered":"\u00ab Brainrot \u00bb : g\u00e9opolitique de la r\u00e9alit\u00e9 cass\u00e9e"},"content":{"rendered":"\n

Le monde qui nous entoure devient vertigineux, il semble incompr\u00e9hensible \u2014 mais il n’est pas vain d’essayer de le d\u00e9crire et de l’analyser. Pour soutenir la premi\u00e8re r\u00e9daction ind\u00e9pendante d’une revue europ\u00e9enne, abonnez-vous au Grand Continent<\/a><\/em><\/p>\n\n\n\n

Tout autour de nous, les opinions exprim\u00e9es sur les r\u00e9seaux sociaux \u2014 des \u00ab coups de gueule \u00bb viraux aux vid\u00e9os \u00e9c\u0153urantes et aux hallucinations g\u00e9n\u00e9r\u00e9es par l’intelligence artificielle provenant d’utilisateurs priv\u00e9s du monde entier \u2014 semblent d\u00e9terminer compl\u00e8tement le discours politique.<\/p>\n\n\n\n

Dans les d\u00e9mocraties lib\u00e9rales, les gouvernements sont d\u00e9sormais oblig\u00e9s de recourir \u00e0 des politiques \u00e0 courte vue et inefficaces pour tenter d’endiguer le flot d\u2019une opinion forg\u00e9e par les affects.<\/p>\n\n\n\n

Les \u00e9motions ont pris le pas sur la r\u00e9alit\u00e9. <\/p>\n\n\n\n

Le probl\u00e8me ne r\u00e9side pas simplement dans l’irrationalit\u00e9 ou la nature intrins\u00e8quement corrosive des r\u00e9seaux sociaux.<\/p>\n\n\n\n

La disparition des espaces communs qui servaient autrefois de m\u00e9diateurs pour les opinions et donnaient du pouvoir au collectif ont ouvert une faille profonde : le r\u00e9el se fissure.<\/p>\n\n\n\n

Si elle n\u2019est pas colmat\u00e9e, cette br\u00e8che pourrait provoquer un effondrement.<\/p>\n\n\n\n

Le cycle de l’irr\u00e9alit\u00e9 sur Internet pourrait devenir incontr\u00f4lable.<\/p>\n\n\n\n

Comment en est-on arriv\u00e9s l\u00e0 ?<\/p>\n\n\n\n

Un nouveau mal du si\u00e8cle : la n\u00e9buleuse du ressentiment<\/h2>\n\n\n\n

L\u2019histoire que nous allons raconter commence en Russie.<\/p>\n\n\n\n

Nous sommes dans les ann\u00e9es 1860. Le protagoniste anonyme des Carnets du sous-sol<\/em> de Dosto\u00efevski, <\/em>g\u00e9n\u00e9ralement appel\u00e9 de fa\u00e7on lapidaire \u00ab l’homme du sous-sol \u00bb, est un ancien fonctionnaire de Saint-P\u00e9tersbourg, rong\u00e9 par le ressentiment.<\/p>\n\n\n\n

Mesquin, autodestructeur et hostile aux projets des utopistes rationalistes de son temps \u2014 les socialistes qui imaginent que leurs prescriptions apporteront le salut aux masses \u2014, il choisit d’habiter un monde int\u00e9rieur, souterrain, o\u00f9 l\u2019affect prime sur la raison.<\/p>\n\n\n\n

Dans son monde, ce sont les intensit\u00e9s pr\u00e9cognitives des sentiments \u2014 la col\u00e8re, la peur, l\u2019humiliation, l\u2019espoir \u2014 qui prennent le dessus, qui fa\u00e7onnent la pens\u00e9e et l’action avant m\u00eame qu’elles ne soient pleinement articul\u00e9es en tant qu’id\u00e9es.<\/p>\n\n\n\n

L’homme du sous-sol, qui se proclame \u00ab malade \u00bb et \u00ab rancunier \u00bb <\/span>1<\/sup><\/a><\/span><\/span>, se compla\u00eet ainsi dans un ressentiment mesquin.<\/p>\n\n\n\n

Il cherche la querelle pour un rien et s’insurge furieusement contre la r\u00e9alit\u00e9, allant jusqu\u2019\u00e0 exiger, dans un effort de volont\u00e9 triomphant sur la raison, que deux plus deux fassent cinq : \u00ab Que m’importent les lois de la nature et l’arithm\u00e9tique quand, pour une raison quelconque, je n’aime pas ces lois ou \u2018deux et deux font quatre\u2019 ? \u00bb<\/p>\n\n\n\n

Partout o\u00f9 il le peut, il choisit la m\u00e9chancet\u00e9 plut\u00f4t que la rationalit\u00e9.<\/p>\n\n\n\n

Mais aussi dangereuse et violente qu’elle puisse para\u00eetre, la r\u00e9bellion de l’homme du sous-sol contre la modernit\u00e9 ne quitte jamais son appartement exigu de Saint-P\u00e9tersbourg.<\/p>\n\n\n\n

Sa folie rageuse est ignor\u00e9e en public \u2014 il tente de se venger d’une insulte per\u00e7ue en s’habillant d’un manteau sophistiqu\u00e9 et en bousculant le pr\u00e9tendu transgresseur, qui ne le remarque m\u00eame pas. Sa r\u00e9bellion est insignifiante en dehors de sa propre volont\u00e9. Sa malveillance est corrosive pour sa propre personnalit\u00e9, mais elle reste limit\u00e9e, confin\u00e9e aux comm\u00e9rages, aux querelles de taverne et, surtout, au monologue priv\u00e9.<\/p>\n\n\n\n

L’environnement num\u00e9rique d\u2019aujourd\u2019hui a boulevers\u00e9 le monde de l\u2019homme du sous-sol.<\/p>\n\n\n\n

Les pens\u00e9es violentes, la rage et l’\u00e9go\u00efsme, autrefois rumin\u00e9es dans la solitude, peuvent d\u00e9sormais \u00eatre projet\u00e9es instantan\u00e9ment dans de vastes r\u00e9seaux globaux qui alimentent \u00e0 la fois l’opinion publique et la politique mondiale.<\/p>\n\n\n\n

Les affects ne sont plus limit\u00e9s mais amplifi\u00e9s : ils sont imm\u00e9diatement mis en circulation, repris et refl\u00e9t\u00e9s dans le discours mondial comme s’ils relevaient du sens commun.<\/p>\n\n\n\n

Nos r\u00e9gimes politiques semblent aujourd\u2019hui aux prises avec une nouvelle vague d’\u00ab hommes du sous-sol \u00bb malveillants qui, \u00e0 l’\u00e8re des smartphones, sont capables de noyer le discours public pour configurer une politique de la d\u00e9raison.<\/p>\n\n\n\n

Dans un \u00e9ther num\u00e9rique de plus en plus chaotique, les exemples choquants de ce ph\u00e9nom\u00e8ne ne manquent pas.<\/p>\n\n\n\n

Prenons-en un.<\/p>\n\n\n\n

En septembre 2025, le financier et milliardaire Bill Ackman relaie sur X \u2014 l\u2019ex-Twitter \u2014 une vid\u00e9o virale de Shabana Mahmood, la nouvelle ministre britannique de l’Int\u00e9rieur <\/span>2<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n

Le message original, dans le style rh\u00e9torique incendiaire devenu la langue v\u00e9hiculaire de la plateforme, insinue que la ministre avait appel\u00e9 \u00e0 \u00ab mondialiser l’Intifada \u00bb.<\/p>\n\n\n\n

La \u00ab preuve \u00bb jointe est une vieille vid\u00e9o qui ne montre rien de tel.<\/p>\n\n\n\n

Recontextualis\u00e9e, cette vid\u00e9o est ajout\u00e9e \u00e0 la s\u00e9rie de craintes exprim\u00e9es par Ackman sur son fil d’actualit\u00e9 concernant le conflit isra\u00e9lo-palestinien.<\/p>\n\n\n\n

Ind\u00e9pendamment du bien-fond\u00e9 de ce conflit et des opinions politiques de Mahmood et Ackman, l’empressement de ce dernier \u00e0 partager un message irrationnel, dans lequel les preuves pr\u00e9sent\u00e9es ne cherchaient m\u00eame pas \u00e0 \u00e9tayer l’affirmation qui venait d\u2019\u00eatre faite, semble incarner ce que certains pourraient appeler une nouvelle \u00e8re de ce que l\u2019on a appel\u00e9 le brainrot<\/em> <\/span>3<\/sup><\/a><\/span><\/span> \u2014 litt\u00e9ralement, un \u00ab pourrissement \u00bb, une nouvelle maladie du cerveau.<\/p>\n\n\n\n

Ce terme d\u00e9signe l’id\u00e9e que la surexposition \u00e0 des \u00ab contenus superficiels et r\u00e9p\u00e9titifs \u00bb sur les r\u00e9seaux sociaux \u2014 amplifi\u00e9s par les tonalit\u00e9s apocalyptiques de l\u2019IA \u2014 aurait pathologiquement raccourci notre capacit\u00e9 d’attention et r\u00e9duit les capacit\u00e9s de notre cerveau.<\/p>\n\n\n\n

Le message d’Ackman sur les r\u00e9seaux sociaux ne semble pourtant pas \u00eatre un mensonge au sens courant du terme. Ce n\u2019est pas non plus de la \u00ab d\u00e9sinformation \u00bb au sens strict.<\/p>\n\n\n\n

Malgr\u00e9 l\u2019absurdit\u00e9 \u00e9vidente du contenu, Ackman semble tout \u00e0 fait sinc\u00e8re dans ce qu’il partage.<\/p>\n\n\n\n

Diagnostiquer cela comme relevant du brainrot <\/em>revient \u00e0 recycler un truisme paresseux <\/span>4<\/sup><\/a><\/span><\/span> selon lequel des \u00e9lecteurs \u00ab peu inform\u00e9s \u00bb \u2014 les \u00ab d\u00e9plorables \u00bb de Trump, pi\u00e9g\u00e9s dans la caverne de Platon \u2014 seraient responsables des maux de la politique.<\/p>\n\n\n\n

\n \n \r\n \r\n \r\n \r\n \r\n \r\n \r\n \r\n <\/picture>\r\n \n
L’environnement num\u00e9rique d\u2019aujourd\u2019hui a boulevers\u00e9 le monde de l\u2019homme du sous-sol.<\/figcaption>\n <\/a>\n<\/figure>\n\n\n

Nous vivons dans une simulation<\/h2>\n\n\n\n

Ce diagnostic nous semble erron\u00e9.<\/p>\n\n\n\n

Ackman est un homme qui a tr\u00e8s bien r\u00e9ussi sa vie. Il n’est pas stupide. Son esprit n\u2019est pas min\u00e9 par les \u00e9crans. Son cerveau n\u2019est pas malade. Il n\u2019est pas une victime passive du brainrot<\/em>.<\/p>\n\n\n\n

Son tweet est plut\u00f4t symptomatique d’une transformation plus profonde de l\u2019espace politique.<\/p>\n\n\n\n

On pourrait d\u00e9crire cette transformation de la mani\u00e8re suivante : la fronti\u00e8re entre les sentiments priv\u00e9s et le discours public s’est effondr\u00e9e.<\/p>\n\n\n\n

Les impulsions irrationnelles et malveillantes qui existaient auparavant dans la solitude circulent d\u00e9sormais \u00e0 grande \u00e9chelle, transformant rapidement le champ politique gr\u00e2ce \u00e0 leur viralit\u00e9.<\/p>\n\n\n\n

\u00c0 une autre \u00e9poque, lorsque les r\u00e9seaux m\u00e9diatiques \u00e9taient domin\u00e9s par des arbitres centralis\u00e9s du discours tels que les \u00c9tats et les conglom\u00e9rats, le message d’Ackman serait rest\u00e9 \u00ab en sous-sol \u00bb.<\/p>\n\n\n\n

Mais dans l\u2019atmosph\u00e8re malsaine des r\u00e9seaux sociaux, o\u00f9 les r\u00e9actions instinctives, les comportements gr\u00e9gaires haineux et les \u00e9motions l\u2019emportent sur la raison \u2014 comme si la m\u00e9chancet\u00e9 dosto\u00efevskienne pr\u00e9c\u00e9dait la rationalit\u00e9 \u2014, il n\u2019a fallu que deux semaines apr\u00e8s sa publication pour que le message soit vu par 2,5 millions de personnes. <\/p>\n\n\n\n

Aujourd’hui, un homme instruit et prosp\u00e8re comme Ackman \u2014 sa fortune avoisine les 10 milliards de dollars \u2014 n\u2019est pas le seul \u00e0 se pr\u00eater au jeu.<\/p>\n\n\n\n

S\u2019il publie des flots de messages dont l\u2019argumentation est bancale et irrationnelle, mais qui inspirent une grande confiance en raison de ses liens suppos\u00e9s avec le pouvoir, n’importe qui peut s’emparer du m\u00e9gaphone des r\u00e9seaux sociaux et \u2014 contrairement \u00e0 l’homme du sous-sol dont le ressentiment \u00e9tait confin\u00e9 \u00e0 une mansarde sordide de Saint-P\u00e9tersbourg \u2014 diffuser sa ranc\u0153ur au monde entier.<\/p>\n\n\n\n

\u00c0 leur tour, les d\u00e9cideurs politiques et les m\u00e9dias r\u00e9agissent de plus en plus \u00e0 cette atmosph\u00e8re malsaine comme si elle recouvrait quelque chose de r\u00e9el, alimentant ainsi la r\u00e9ponse en ligne dans un cycle sans fin d\u2019affects.<\/p>\n\n\n\n

Un discours cass\u00e9 se renouvelle sans fin.<\/p>Ian Garner<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

La r\u00e9alit\u00e9 est remplac\u00e9e par l\u2019\u00e9motion qui r\u00e9pond \u00e0 l’\u00e9motion ; selon les mots de Dosto\u00efevski, la ranc\u0153ur fait place encore plus de ranc\u0153ur.<\/p>\n\n\n\n

La politique est alors guid\u00e9e par une forme pr\u00e9-rationnelle de reproduction du texte \u2014 ce qui ressemble \u00e0 un jeu d\u2019acteur pour le public en ligne s\u2019incorpore \u00e0 la r\u00e9alit\u00e9 d\u2019une mani\u00e8re performative <\/span>5<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n

Dans les ann\u00e9es 1980, Jean Baudrillard sugg\u00e9rait que la r\u00e9alit\u00e9 se doublait progressivement de strates, dont l\u2019\u00e9rosion se faisait \u00e9galement par \u00e9tapes.<\/p>\n\n\n\n

D’abord, une premi\u00e8re carte pouvait refl\u00e9ter le territoire r\u00e9el ; ensuite, une nouvelle carte, bas\u00e9e sur la premi\u00e8re, la masquait et la d\u00e9formait ; puis une autre carte coupait les liens avec toute r\u00e9alit\u00e9 sous-jacente.<\/p>\n\n\n\n

Il ne restait alors que la carte sans le territoire \u2014 autor\u00e9f\u00e9rentielle, flottant librement, une copie sans original.<\/p>\n\n\n\n

Nous vivons aujourd’hui, pour reprendre le vocabulaire de Baudrillard, \u00e0 l’\u00e8re de la simulation <\/span>6<\/sup><\/a><\/span><\/span> : ce dont nous parlons dans le discours politique ne fait plus r\u00e9f\u00e9rence \u00e0 aucune r\u00e9alit\u00e9. Les r\u00e9cits d\u00e9passent et remplacent le r\u00e9el.<\/p>\n\n\n\n

C\u2019est parce que ni le public ni les d\u00e9cideurs politiques ne pr\u00eatent attention \u00e0 autre chose qu’\u00e0 la qualit\u00e9 affective des deux c\u00f4t\u00e9s de l’\u00e9quation que nous sommes s\u00e9duits par une existence dans laquelle deux plus deux peuvent vraiment faire cinq.<\/p>\n\n\n\n

Ce n’est pas l’\u00e9mergence d’une politique de l’affect qui distingue le XXIe si\u00e8cle des autres : elle \u00e9tait d\u00e9j\u00e0, au si\u00e8cle dernier, \u00e0 l\u2019origine des exc\u00e8s terrifiants du totalitarisme. <\/p>\n\n\n\n

Ce qui change, c\u2019est qu\u2019on voit na\u00eetre une politique fa\u00e7onn\u00e9e par des couches infinies d’irr\u00e9alit\u00e9 affective et qui les fa\u00e7onne en retour.<\/p>\n\n\n\n

Toutes les parties prenantes, gr\u00e2ce \u00e0 la connectivit\u00e9 permanente et \u00e0 la diffusion mondiale des r\u00e9seaux sociaux, expriment leur \u00ab ranc\u0153ur \u00bb dosto\u00efevskienne envers les autres.<\/p>\n\n\n\n

Ce qui est en jeu ici, ce n’est pas tant le brainrot<\/em>, la \u00ab maladie \u00bb dont souffrent les cerveaux, qu\u2019une forme corrompue de la r\u00e9alit\u00e9 \u2014 un pourrissement g\u00e9n\u00e9ralis\u00e9. <\/p>\n\n\n\n

Non pas une d\u00e9composition des facult\u00e9s, mais une nouvelle mani\u00e8re dont la r\u00e9alit\u00e9 est \u00e9labor\u00e9e, partag\u00e9e et contest\u00e9e.<\/p>\n\n\n\n

L’effondrement discursif ne se contente pas de corrompre les conditions du d\u00e9bat ; sa reproduction incessante d\u2019irr\u00e9alit\u00e9s se r\u00e9pondant les unes aux autres nous fait ignorer des questions fondamentales sur les conditions mat\u00e9rielles <\/em>de ce d\u00e9bat.<\/p>\n\n\n\n

Apaiser la foule virale : la politique moins la r\u00e9alit\u00e9<\/h2>\n\n\n\n

Infrastructures, \u00e9ducation, soci\u00e9t\u00e9 : la r\u00e9alit\u00e9 se fissure ; un discours cass\u00e9 se renouvelle sans fin.<\/p>\n\n\n\n

Pour illustrer le cycle discursif qui alimente cette politique de la simulation, prenons un autre exemple effrayant : la r\u00e9cente vague de discours anti-immigr\u00e9s en Angleterre. <\/p>\n\n\n\n

Des vagues de manifestations de petite envergure ont \u00e9t\u00e9 organis\u00e9es et amplifi\u00e9es par les r\u00e9seaux sociaux. Une poign\u00e9e de personnes dans de petites villes de banlieue autour de Londres \u2014 des noms comme Epping ou Croydon ne diront rien \u00e0 la plupart des gens ne vivant pas dans la ceinture p\u00e9riurbaine de la capitale britannique \u2014 se sont rassembl\u00e9es pour manifester devant les soi-disant \u00ab h\u00f4tels pour migrants \u00bb h\u00e9bergeant des demandeurs d’asile <\/span>7<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n

Dans leurs villes l\u00e9thargiques, ces petits groupes font \u00e9cho \u00e0 l’homme du sous-sol vivant aux marges.<\/p>\n\n\n\n

Pourtant, les images et les interpr\u00e9tations de ces manifestations, pleines du rouge aveuglant des fumig\u00e8nes, du choc des foules en col\u00e8re, lan\u00e7ant des insultes, de la vague ondulante des drapeaux britannique et anglais, se sont rapidement propag\u00e9es dans le monde occidental.<\/p>\n\n\n\n

Les m\u00e9dias nationaux et internationaux se sont pr\u00e9cipit\u00e9s sur l\u2019affaire, tandis que les politiciens locaux et nationaux r\u00e9agissaient en temps r\u00e9el sur Internet.<\/p>\n\n\n\n

Ce concert de r\u00e9actions avait une chose en commun. On parlait non pas de ce qui se passait mais de la repr\u00e9sentation <\/em>virale de ce qui \u00e9tait en train de se passer.<\/p>\n\n\n\n

Gr\u00e2ce \u00e0 Internet, de petites manifestations, aliment\u00e9es par un engagement aux proportions virales et dop\u00e9es par des influenceurs de droite, pouvaient se transformer en soul\u00e8vements nationaux.<\/p>\n\n\n\n

C’\u00e9tait la valeur affective de ces \u00e9v\u00e9nements qui comptait, pas leur r\u00e9alit\u00e9 mat\u00e9rielle.<\/p>\n\n\n\n

Le gouvernement s’est senti oblig\u00e9 de r\u00e9agir : un remaniement minist\u00e9riel, des \u00e9l\u00e9ments de langage de plus en plus durs \u00e0 l’\u00e9gard des demandeurs d’asile et des mises en sc\u00e8ne symboliques.<\/p>\n\n\n\n

Parmi ces derni\u00e8res, on vit des discours en appelant au sentiment national et des interviews m\u00e9diatiques ; le point culminant fut la d\u00e9claration de la ministre de l’Int\u00e9rieur de l’\u00e9poque <\/span>8<\/sup><\/a><\/span><\/span>, Yvette Cooper, un propos aussi d\u00e9connect\u00e9 de la r\u00e9alit\u00e9 que les tweets dignes d\u2019un cerveau malade de Bill Ackman : \u00ab J’ai des drapeaux, des banderoles avec la croix de saint Georges. J’ai aussi des banderoles avec la rose blanche d\u2019York. J’ai des drapeaux et des nappes Union Jack, nous avons tout ce qu’il faut. \u00bb<\/p>\n\n\n\n

Ces gestes c\u00e9dant \u00e0 l\u2019\u00e9motion n’ont pas reconnu la r\u00e9alit\u00e9 des manifestations ni r\u00e9pondu aux griefs sous-jacents : il n’y a eu aucune discussion significative, ni au Parlement, ni dans les nombreux journaux britanniques, sur l’ampleur r\u00e9elle de l’immigration clandestine, des demandes d’asile et des syst\u00e8mes qui la limitent, ni sur le co\u00fbt, les contraintes ou les impacts de l\u2019h\u00e9bergement sur fond public.<\/p>\n\n\n\n

Pourtant l\u2019agenda public change, la frustration s’intensifie, de nouvelles manifestations se tiennent : \u00e0 la mi-septembre, une marche pour \u00ab Unir le Royaume \u00bb (Unite the Kingdom<\/em>) de taille mod\u00e9r\u00e9e a \u00e9t\u00e9 organis\u00e9e \u00e0 Londres <\/span>9<\/sup><\/a><\/span><\/span> \u2014 gr\u00e2ce \u00e0 de vastes r\u00e9seaux d\u2019acteurs du monde entier et \u00e0 l\u2019aide d\u2019images g\u00e9n\u00e9r\u00e9es par l\u2019IA, elle fut imm\u00e9diatement amplifi\u00e9e jusqu\u2019\u00e0 prendre des proportions excessives et \u00eatre pr\u00e9sent\u00e9e comme la plus grande manifestation de l’histoire britannique.<\/p>\n\n\n\n

\n \n \r\n \r\n \r\n \r\n \r\n \r\n \r\n \r\n <\/picture>\r\n \n
Ce qui est en jeu ici, ce n’est pas la \u00ab  maladie  \u00bb dont souffrent les cerveaux, mais une forme corrompue de la r\u00e9alit\u00e9 \u2014 un pourrissement g\u00e9n\u00e9ralis\u00e9.<\/figcaption>\n <\/a>\n<\/figure>\n\n\n

Ce cycle qui se r\u00e9p\u00e8te illustre comment la r\u00e9alit\u00e9 se d\u00e9truit peu \u00e0 peu.<\/p>\n\n\n\n

Le d\u00e9bat politique est d\u00e9corr\u00e9l\u00e9 de la raison ou de la rationalit\u00e9, motiv\u00e9 par des vagues de demandes elles-m\u00eames motiv\u00e9es par l\u2019\u00e9motion \u2014 par la clameur des \u00ab hommes du sous-sol \u00bb qui font foule sur les r\u00e9seaux \u2014 alors que ces m\u00eames r\u00e9ponses politiques aggravent souvent les probl\u00e8mes qu’elles sont cens\u00e9es r\u00e9soudre, entra\u00eenant davantage d’indignation, de frustration et de violence gr\u00e9gaire.<\/p>\n\n\n\n

C\u2019est ainsi que le cycle recommence.<\/p>\n\n\n\n

Plus les clameurs sont fortes, plus l’indignation est irrationnelle, plus les politiques semblent \u00e9chouer. Les internautes pensent qu’en exprimant leur \u00ab ranc\u0153ur \u00bb sur les r\u00e9seaux sociaux, ils exercent un pouvoir. Au contraire, les gouvernements pensent que ce sont eux qui m\u00e8nent les affaires. En r\u00e9alit\u00e9, les uns et les autres sont pris au pi\u00e8ge dans un palais des glaces : chacun r\u00e9agit \u00e0 ce que l\u2019autre montre de ses \u00e9motions ressenties.<\/p>\n\n\n\n

La r\u00e9alit\u00e9 ne cesse pas pour autant d\u2019exister \u2014 seulement, personne ne la prend plus en compte.<\/p>\n\n\n\n

Et les autoritaires sont les premiers \u00e0 avoir compris comment exploiter ce cycle de d\u00e9litement.<\/p>\n\n\n

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\n\t\t
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\n\t\t\t\t\t\n\t\t\t\t\t\tTrump et ses id\u00e9ologues\t\t\t\t\t<\/a>\n\t\t\t\t\t\t\t\t\t\t\t
\n\t\t\t\t\t\t\t

\u00ab  L’Empire de l’ombre. Guerre et terre au temps de l’IA  \u00bb<\/p>\n

Sous la direction de Giuliano da Empoli. Postface par Benjam\u00edn Labatut.<\/p>\n

Avec les contributions de Daron Acemo\u011flu, Sam Altman, Marc Andreessen, Lorenzo Castellani, Adam Curtis, Mario Draghi, He Jiayan, Marietje Schaake, Vladislav Sourkov, Peter Thiel, Svetlana Tikhanovska\u00efa, Jianwei Xun et Curtis Yarvin.<\/p>\n

\u00c0 d\u00e9couvrir en librairie et en s’abonnant \u00e0 la revue.<\/p>\n\t\t\t\t\t\t<\/div>\n\t\t\t\t\t\n\t\t\t\t\t\t\t\t\t\t\t

\n\t\t\t\t\t\t\t\t\t\t\t\t\t\t\t\u2192<\/span> Commandez le num\u00e9ro<\/a>\n\t\t\t\t\t\t\t\t\t\t\t\t\t\t\t\u2192<\/span> D\u00e9couvrez toutes nos offres<\/a>\n\t\t\t\t\t\t\t\t\t\t\t\t\t<\/div>\n\t\t\t\t\t\n\t\t\t\t\t\n\t\t\t\t<\/div>\n\t\t\t\t\t\t\t\t\t\t\t\n\t\t\t\t\t\t\t
\n\t\t\t\t\t\t\t\t\n\t\t\t\t\t\t\t\t\t\n\t\t\t\t\t\t\t\t<\/a> \n\t\t\t\t\t\t\t<\/div>\n\n\t\t\t\t\t\t\t\t\t\t\t\t\t\t\n\t\t\t<\/div>\n\t\t<\/div>\n\t<\/div>\n<\/section>\n\n\n\n

Le jour o\u00f9 nous sommes devenus hypernormaux<\/h2>\n\n\n\n

Cette histoire aussi commence en Russie.<\/p>\n\n\n\n

Mais cette fois-ci, c\u2019est celle de Vladimir Poutine.<\/p>\n\n\n\n

Dans les ann\u00e9es 2000, Vladislav Sourkov<\/a>, alors chef de la propagande et \u00e9minence grise de Poutine, a con\u00e7u un syst\u00e8me sophistiqu\u00e9 de politique par le th\u00e9\u00e2tre, bas\u00e9 sur les m\u00e9thodes modernes de divertissement et de marketing<\/em> qu\u2019il emprunta \u00e0 la culture populaire occidentale et au th\u00e9\u00e2tre d\u2019avant-garde : mises en sc\u00e8ne, r\u00e9cits contradictoires et dramaturgie politique.<\/p>\n\n\n\n

Ces repr\u00e9sentations furent diffus\u00e9es d’abord par les m\u00e9dias traditionnels contr\u00f4l\u00e9s ou domin\u00e9s par l’\u00c9tat, puis par toute une gamme de moyens num\u00e9riques.<\/p>\n\n\n\n

Devenues un dispositif \u00e0 la mesure de la Russie, elles ont fini par saturer le champ de la perception.<\/p>\n\n\n\n

La politique r\u00e9elle et les d\u00e9cisions rationnelles ont \u00e9t\u00e9 r\u00e9\u00e9crites pour servir \u00e0 la fa\u00e7on dont le Kremlin r\u00e9gule l\u2019information.<\/p>\n\n\n\n

Cela a conduit \u00e0 des r\u00e9sultats d\u00e9sastreux. Raconter une bonne histoire est parfois devenu plus important que sauver des vies.<\/p>\n\n\n\n

Cette m\u00e9tamorphose du r\u00e9el au prisme du spectaculaire a connu au moins une illustration dramatique : la r\u00e9ponse apport\u00e9e \u00e0 la prise d’otages du th\u00e9\u00e2tre de Moscou, o\u00f9 l’assaut donn\u00e9 par les forces sp\u00e9ciales par du gaz incapacitant a entra\u00een\u00e9 la mort de plus d’une centaine de personnes innocentes \u2014 sous le regard avide des cam\u00e9ras de t\u00e9l\u00e9vision du Kremlin <\/span>10<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n

\u00c0 son tour, le d\u00e9bat public a tourn\u00e9 autour de r\u00e9actions instinctives au terrorisme \u2014 alimentant le soutien \u00e0 la guerre violente en cours en Tch\u00e9tch\u00e9nie, men\u00e9e mille cinq cents kilom\u00e8tres plus au sud.<\/p>\n\n\n\n

Ces spectacles n’\u00e9taient pas \u00ab faux \u00bb au sens o\u00f9 ils \u00e9taient invraisemblables.<\/p>\n\n\n\n

Au contraire, ils ont fonctionn\u00e9 parce qu’ils ont d\u00e9tach\u00e9 le discours politique de la r\u00e9alit\u00e9, rempla\u00e7ant celle-ci par une mise en sc\u00e8ne des \u00e9motions \u00e0 l\u2019effet cathartique : les t\u00e9l\u00e9spectateurs ordinaires pouvaient voir leurs propres \u00e9motions \u00e0 l’\u00e9cran.<\/p>\n\n\n\n

Peu importait que l\u2019assaut soit pr\u00e9cis et cibl\u00e9 \u2014 tant qu\u2019il y avait un assaut, tant qu\u2019il se passait quelque chose.<\/p>\n\n\n\n

Devant leurs \u00e9crans, les citoyens de la F\u00e9d\u00e9ration de Russie \u00e9taient les t\u00e9moins et les consommateurs d\u2019un spectacle retransmis en direct<\/a>.<\/p>\n\n\n\n

C’est le d\u00e9veloppement de l’interactivit\u00e9 num\u00e9rique dans la communication politique qui a fourni aux h\u00e9ritiers de Sourkov la recette pour donner au plus grand nombre l\u2019illusion qu\u2019ils faisaient partie du drame.<\/p>\n\n\n\n

Cette apparence de participation est devenue bien plus convaincante qu\u2019auparavant : aujourd’hui, les r\u00e9seaux sociaux donnent aux utilisateurs russes l’impression qu’ils fa\u00e7onnent leur propre monde en s’abonnant, en commentant, en laissant un \u00ab J\u2019aime \u00bb et en partageant leurs opinions et leurs go\u00fbts <\/span>11<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n

Bien s\u00fbr, ils ne font rien de tel : la sph\u00e8re des r\u00e9seaux sociaux russes est un monde factice, soigneusement construit et aliment\u00e9 par le Kremlin.<\/p>\n\n\n\n

En contr\u00f4lant les r\u00e9seaux sociaux gr\u00e2ce \u00e0 la propri\u00e9t\u00e9 des plateformes et des algorithmes, l’\u00c9tat est en mesure de donner aux Russes ordinaires le sentiment qu’ils ont la main sur leur vie priv\u00e9e.<\/p>\n\n\n\n

Le Kremlin cr\u00e9e ainsi une apparence d\u2019autonomie qui, dans cet \u00c9tat n\u00e9o-totalitaire, n\u2019a aucune r\u00e9alit\u00e9.<\/p>\n\n\n\n

Alors m\u00eame que les manifestations anti-immigration se d\u00e9roulaient \u00e0 Londres et que l’Am\u00e9ricain Bill Ackman intervenait dans le d\u00e9bat britannique sur l’immigration, des fid\u00e8les orthodoxes \u00e9taient film\u00e9s en train de d\u00e9filer \u00e0 Moscou <\/span>12<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n

La vid\u00e9o a connu une grande diffusion en ligne, tant en Russie qu’\u00e0 l’\u00e9tranger.<\/p>\n\n\n\n

\u00c0 premi\u00e8re vue, la marche semblait \u00eatre une v\u00e9ritable mobilisation de ferveur religieuse venue des citoyens ; ces banderoles et ces symboles prenaient place dans un espace performatif d\u2019apparence spontan\u00e9e, celui de la d\u00e9votion f\u00e9minine \u00e0 la tradition religieuse en soutien \u00e0 la guerre en cours contre l’Ukraine.<\/p>\n\n\n\n

En r\u00e9alit\u00e9, cet espace est l\u2019objet d\u2019un contr\u00f4le \u00e9troit. <\/p>\n\n\n\n

Les citoyens russes consomment ces images en ligne dans un tourbillon flou de contenus recycl\u00e9s, diffus\u00e9s \u00e0 tout va sur chaque fil d\u2019actualit\u00e9. Tout le monde alimente ce flux, des influenceurs aux commentateurs s\u2019adressant \u00e0 la \u00ab base \u00bb, en passant par les politiciens et les vastes r\u00e9seaux de bots<\/em> et de trolls<\/em>.<\/p>\n\n\n\n

Le brainrot<\/em> n’est pas en nous<\/em>, mais entre nous<\/em>.<\/p>Ian Garner<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

Dans cette atmosph\u00e8re malsaine, o\u00f9 l\u2019on r\u00e9agit par instinct, la marche elle-m\u00eame et sa r\u00e9ception deviennent \u00ab populaires \u00bb. <\/p>\n\n\n\n

L’important n’est pas tant la manifestation elle-m\u00eame que ses r\u00e9percussions.<\/p>\n\n\n\n

Les images diffus\u00e9es sur les r\u00e9seaux sociaux suscitent des discussions, de l’empathie, voire de l’indignation \u00e0 l’\u00e9gard de ceux qui ne <\/em>participent pas : de nouveaux cycles d’affects, chacun cr\u00e9ant sa propre boucle.<\/p>\n\n\n\n

Cette seconde vie de l\u2019\u00e9v\u00e9nement d\u00e9clenche alors \u00e0 son tour de nouvelles vagues de r\u00e9actions par l\u2019image et le m\u00e8me<\/em>.<\/p>\n\n\n\n

Survient enfin une action politique de l’\u00c9tat en faveur de ses propres objectifs traditionalistes, moralistes et militaristes.<\/p>\n\n\n\n

La politique et le discours \u00e9manent d’une r\u00e9alit\u00e9 mise en sc\u00e8ne ; la performance produit les r\u00e9actions m\u00eames qui la soutiennent. <\/p>\n\n\n\n

C’est ce qu’avait intuitivement compris Vladislav Sourkov : la politique m\u00e9diatis\u00e9e n’a pas besoin d’\u00eatre une question de v\u00e9rit\u00e9 ou de mensonge ; elle peut simplement \u00eatre l’orchestration d’un cycle sans fin de mises en sc\u00e8ne qui semblent authentiques.<\/p>\n\n\n\n

Si le cycle est suffisamment cr\u00e9dible, la machine suffisamment rod\u00e9e et le dispositif suffisamment ing\u00e9nieux, l’affect finit par remplacer compl\u00e8tement la rationalit\u00e9. <\/p>\n\n\n\n

\u00c0 notre \u00e9poque, l\u2019homme du sous-sol a l’impression que sa voix ne se limite pas \u00e0 sa mansarde, mais prend au contraire une signification symbolique capable de toucher le monde entier ; cette apparence de pouvoir peut alors commencer \u00e0 titiller l’imagination des dirigeants et des dirig\u00e9s.<\/p>\n\n\n\n

La m\u00e9diatisation sourkovienne trouve ainsi son origine dans le monde \u00ab hypernormalis\u00e9 \u00bb <\/span>13<\/sup><\/a><\/span><\/span> de la fin de l’\u00e8re sovi\u00e9tique, o\u00f9 un fantasme ouvertement reconnu recouvre la r\u00e9alit\u00e9, alors m\u00eame que les gens ordinaires poursuivent leur vie quotidienne.<\/p>\n\n\n\n

\n \n \r\n \r\n \r\n \r\n \r\n \r\n \r\n \r\n <\/picture>\r\n \n
La r\u00e9alit\u00e9 n\u2019a pas cess\u00e9 d\u2019exister \u2014 seulement, personne ne la prend plus en compte.<\/figcaption>\n <\/a>\n<\/figure>\n\n\n

Cette m\u00e9diatisation va cependant plus loin aujourd\u2019hui, et c\u2019est l\u00e0 le point crucial : dans ce simulacre, tant les puissants que les masses commencent \u00e0 perdre de vue les limites \u2014 l\u00e0 o\u00f9 commence et l\u00e0 o\u00f9 s\u2019arr\u00eate la r\u00e9alit\u00e9. <\/p>\n\n\n\n

En Occident, et bien que notre h\u00e9misph\u00e8re se croie fermement ancr\u00e9 dans la rationalit\u00e9, les autoritaires en devenir adoptent de plus en plus cette strat\u00e9gie pour prendre le pouvoir et le garder.<\/p>\n\n\n\n

La logique sourkovienne s’est banalis\u00e9e dans le fonctionnement des plateformes, des m\u00e9dias et des acteurs politiques \u00e0 travers l’Europe et l’Am\u00e9rique du Nord \u2014 en particulier chez les milliardaires d\u2019extr\u00eame-droite qui se sont enrichis gr\u00e2ce aux nouvelles technologies <\/span>14<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n

Mais le ph\u00e9nom\u00e8ne d\u00e9passe les techno-r\u00e9actionnaires<\/a>.<\/p>\n\n\n\n

Dans un Occident qui, contrairement \u00e0 la Russie, jouit de la libert\u00e9 d’expression, le probl\u00e8me \u00e9merge du mouvement de \u00ab ranc\u0153ur \u00bb qui sort d\u2019un espace isol\u00e9 ; il entre alors dans le courant de la politique mondiale et des propositions concr\u00e8tes, puis en ressort.<\/p>\n\n\n\n

Bill Ackman, le gouvernement britannique et les manifestants anti-immigration du Royaume-Uni s’imaginent tous participer \u00e0 des processus politiques significatifs ; de m\u00eame, les hommes de l’ombre, les puissants politiques et les commentateurs intellectuels s’imaginent tous s’engager dans une politique significative \u2014 mais leurs propositions circulent d\u2019abord et avant tout en ligne.<\/p>\n\n\n\n

Ils jouent ainsi un r\u00f4le dans un cycle qui est d\u2019abord et avant tout un spectacle, au sens o\u00f9 l\u2019entendait Sourkov : ils contribuent aussi \u00e0 l’\u00e9crire.<\/p>\n\n\n\n

Sous le vernis, la r\u00e9alit\u00e9 \u2014 qu\u2019on n\u00e9glige et sur laquelle on n\u2019a plus prise \u2014 continue de se casser.<\/p>\n\n\n\n

Nous sommes tous pris dans ce cycle dont aucune \u00e9tape n’est possible sans l’autre. M\u00eame ceux d’entre nous qui s\u2019en consid\u00e8rent d\u00e9tach\u00e9s et \u00e0 l\u2019abri \u2014 intellectuels, experts, d\u00e9cideurs politiques \u2014 sont emport\u00e9s par le courant, sans m\u00eame se rendre compte que la r\u00e9alit\u00e9 est ailleurs.<\/p>\n\n\n\n

Il ne s’agit pas juste d’individus dont le cerveau serait cass\u00e9<\/a>. <\/p>\n\n\n\n

Le brainrot<\/em> n’est pas en nous<\/em>, mais entre nous<\/em>.<\/p>\n\n\n\n

Ce n\u2019est pas simplement un \u00ab probl\u00e8me de r\u00e9seaux sociaux \u00bb que l’on pourrait r\u00e9gler en prenant le contr\u00f4le des g\u00e9ants de la Silicon Valley \u2014 si tant est que cela soit possible.<\/p>\n\n\n\n

\u00c0 la racine du probl\u00e8me se trouve la question tr\u00e8s d\u00e9battue de la d\u00e9fiance croissante envers les centres de pouvoir, ceux qui traditionnellement impulsaient les politiques et dominaient le discours \u00e0 leur sujet.<\/p>\n\n\n\n

Dans les pays de l’OCDE en 2023, seuls 39 % des citoyens d\u00e9claraient faire confiance \u00e0 leur gouvernement national <\/span>15<\/sup><\/a><\/span><\/span>, et seuls 41 % pensaient que les gouvernements s’appuyaient sur les meilleures donn\u00e9es disponibles pour prendre leurs d\u00e9cisions politiques. Les chiffres concernant la confiance dans les m\u00e9dias traditionnels \u2014 l’espace o\u00f9 se d\u00e9roule le discours politique, fa\u00e7onnant ensuite la politique et les formes de gouvernement \u2014 sont tout aussi catastrophiques. Bien s\u00fbr, la confiance ne peut qu\u2019\u00eatre faible lorsque les questions \u00e0 l\u2019ordre du jour sont \u00e9labor\u00e9es pour r\u00e9pondre \u00e0 un tourbillon d\u2019affects.<\/p>\n\n\n\n

Parall\u00e8lement, et surtout depuis que la pand\u00e9mie de Covid a acc\u00e9l\u00e9r\u00e9 la transition vers une soci\u00e9t\u00e9 enti\u00e8rement en ligne, l’ali\u00e9nation sociale est devenue plus palpable : selon l’Ofcom, au Royaume-Uni, les adultes passent d\u00e9sormais plus de quatre heures par jour en ligne \u2014 soit une augmentation de plus de quarante minutes par rapport \u00e0 2023. C\u2019est encore davantage pour les jeunes. <\/p>\n\n\n\n

Le partage de vid\u00e9os et la messagerie dominent la communication interpersonnelle quotidienne, la vie professionnelle et la consommation d’informations.<\/p>\n\n\n\n

Il est facile de pointer du doigt un brainrot<\/em> qui toucherait le cerveau de certains, et de sugg\u00e9rer que nous devenons tous plus vuln\u00e9rables \u00e0 l’irr\u00e9alit\u00e9. Invoqu\u00e9 avec l’autorit\u00e9 lassante des faits m\u00e9dicaux, ce nouveau mal du si\u00e8cle semble fournir \u00e0 la fois le diagnostic et le traitement des maux de notre \u00e9poque, alors que des l\u00e9gions de journalistes publi\u00e9s, d’experts universitaires et de pr\u00e9tendus ma\u00eetres \u00e0 penser \u2014 des hommes et des femmes c\u00e9l\u00e9br\u00e9s pour leur perspicacit\u00e9 \u2014 se livrent publiquement \u00e0 des fantasmes et \u00e0 des complots ; ceux-ci sont si \u00e9loign\u00e9s de la r\u00e9alit\u00e9 empirique que la raison et la connaissance semblent \u00eatre devenus \u2014 sous le poids de la \u00ab machine \u00e0 scandales \u00bb <\/span>16<\/sup><\/a><\/span><\/span> qu\u2019est Twitter \u2014 tout \u00e0 fait accessoires.<\/p>\n\n\n\n

Dans cette perspective, les gens ordinaires que nous sommes, avec notre cerveau ordinaire, devraient \u00eatre \u00e9cras\u00e9s par le poids des algorithmes qu\u2019utilisent les r\u00e9seaux sociaux.<\/p>\n\n\n\n

Pourtant, contrairement \u00e0 ce que certains pr\u00e9conisent <\/span>17<\/sup><\/a><\/span><\/span>, la solution n’est pas de supprimer ou de limiter les r\u00e9seaux sociaux. Si l’on en croit l’exp\u00e9rience des \u00c9tats autoritaires, cela s’av\u00e9rerait d\u2019ailleurs impossible \u00e0 mettre en \u0153uvre en Occident <\/span>18<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n

Des hommes sans lieu : la soci\u00e9t\u00e9 du sous-sol<\/h2>\n\n\n\n

Pourquoi la politique qui se joue en ligne est-elle devenue si attrayante ?<\/p>\n\n\n\n

C’est ici que la parabole de Dosto\u00efevski sur l’homme du sous-sol est utile.<\/p>\n\n\n\n

Aujourd’hui, le temps pass\u00e9 en ligne a progressivement remplac\u00e9 la vie civique et sociale qui se d\u00e9roule dans le monde physique.<\/p>\n\n\n\n

Comme le protagoniste de Dosto\u00efevski, nous vivons et travaillons seuls avec nos pens\u00e9es, dans des espaces de vie exigus et avec de moins en moins de contacts sociaux. Nos smartphones ont remplac\u00e9 les liens que nous avions avec les lieux et r\u00e9alit\u00e9s qui nous entourent.<\/p>\n\n\n\n

Cependant, alors que l’homme du sous-sol reconna\u00eet que les pens\u00e9es irrationnelles qu\u2019il charrie sont vaines, notre participation incessante \u00e0 ces cycles d\u2019\u00e9motions relay\u00e9es en ligne en est venue \u00e0 forger un simulacre d’action politique. <\/p>\n\n\n\n

Nous jouissons d’un sentiment<\/em> de pouvoir qui est autrement absent de la politique d\u00e9mocratique moderne ; celle-ci nous donne plut\u00f4t l\u2019impression d\u2019\u00eatre marginalis\u00e9s, ignorants et impuissants. <\/p>\n\n\n\n

La r\u00e9alit\u00e9, ignor\u00e9e par les d\u00e9cideurs et la politique publique, n\u00e9glig\u00e9e par les foules qui vivent dans le tourbillon de la socialisation en ligne, est ainsi pr\u00eate \u00e0 se fissurer \u2014 elle n\u2019est plus gu\u00e8re plus qu\u2019une distraction qui nous d\u00e9tourne d\u2019une existence \u00ab en sous-sol \u00bb : c\u2019est cette derni\u00e8re qui semble pleine de sens.<\/p>\n\n\n\n

En ce sens, en tant que sujets politiques modernes, nous souffrons inconsciemment de la rage malveillante de l’homme du sous-sol tout en nous imaginant \u00eatre les Don Quichotte d\u2019aujourd\u2019hui. <\/p>\n\n\n\n

Nous ne sombrons pas dans la folie par stupidit\u00e9 \u2014 mais parce que nous avons trop lu dans une chambre solitaire.<\/p>\n\n\n\n

Seul avec ses romans de chevalerie, le Don Quichotte de Cervant\u00e8s<\/a> a \u00e9t\u00e9 s\u00e9duit par un monde fantasm\u00e9 \u00e0 quelques pas du monde r\u00e9el \u2014 il s’est mis \u00e0 combattre des moulins \u00e0 vent tandis que ses propres terres \u00e9taient laiss\u00e9es \u00e0 l’abandon. Contrairement au sujet politique de la fin de l’\u00e8re sovi\u00e9tique \u2014 et m\u00eame au sujet tel que le con\u00e7oit Sourkov \u2014 nous sommes des Don Quichotte qui avons compl\u00e8tement perdu le contact avec la r\u00e9alit\u00e9.<\/p>\n\n\n\n

La d\u00e9cadence des institutions et des espaces qui stabilisaient autrefois le r\u00e9el \u2014 offrant \u00e0 la fois un moyen aux \u00ab hommes du sous-sol \u00bb de partager leurs pens\u00e9es et aux autres d’y r\u00e9pondre \u2014 est bien plus significative pour la corrosion g\u00e9n\u00e9ralis\u00e9e que je d\u00e9cris que l’\u00e9mergence des r\u00e9seaux sociaux.<\/p>\n\n\n\n

La stabilit\u00e9 politique de l’Occident d’apr\u00e8s-guerre \u00e9tait maintenue par ce que le sociologue Ray Oldenburg appelait les \u00ab tiers-lieux \u00bb : biblioth\u00e8ques, clubs de jeunes, pubs, salles syndicales, terrains de sport.<\/p>\n\n\n\n

Les biblioth\u00e8ques, les parcs, les centres pour la jeunesse et les espaces communs rel\u00e8vent de notre politique de s\u00e9curit\u00e9. Ils constituent des remparts contre une forme de guerre non lin\u00e9aire et non cin\u00e9tique.<\/p>Ian Garner<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

Dans ces lieux, les gens ordinaires testaient leurs id\u00e9es, revenaient sur leurs d\u00e9saccords ou leurs points de convergence ; ils y pratiquaient aussi l’art de la citoyennet\u00e9 en s’appuyant sur la sph\u00e8re publique bourgeoise \u2014 celle qui avait \u00e9merg\u00e9 en Europe au XIXe si\u00e8cle et l\u00e9gitim\u00e9 la d\u00e9mocratie.<\/p>\n\n\n\n

Selon la vision habermassienne <\/span>19<\/sup><\/a><\/span><\/span>, ces lieux anciens \u2014 les caf\u00e9s, les salons, les clubs \u2014 encourageaient la persuasion par la raison et l’argumentation plut\u00f4t que la coercition et le spectacle.<\/p>\n\n\n\n

Dans les \u00ab tiers-lieux \u00bb du XXe si\u00e8cle, les \u00e9motions individuelles se sont pourtant vues attribuer un r\u00f4le plus large dans la sph\u00e8re publique ; elles furent reconnues comme une source pr\u00e9cieuse de sentiments l\u00e9gitimes \u2014 m\u00eame si elles \u00e9taient mod\u00e9r\u00e9es.<\/p>\n\n\n\n

L’homme du sous-sol pouvait s’engager dans une soci\u00e9t\u00e9 ouverte, faire entendre sa voix au sein des structures de pouvoir \u2014 organisations politiques, communaut\u00e9s, r\u00e9seaux locaux \u2014 qui informaient clairement le pouvoir national.<\/p>\n\n\n\n

C’est ainsi que la r\u00e9alit\u00e9 \u00e9tait collectivement fa\u00e7onn\u00e9e.<\/p>\n\n\n\n

Depuis la crise financi\u00e8re mondiale, l’aust\u00e9rit\u00e9 et la privatisation ont d\u00e9pouill\u00e9 une grande partie de cette infrastructure.<\/p>\n\n\n\n

Jusqu’au point de rupture.<\/p>\n\n\n\n

En Grande-Bretagne, le financement par le gouvernement d\u2019institutions locales a chut\u00e9 de pr\u00e8s de 30 % entre 2010 et 2024 <\/span>20<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Plus de 800 biblioth\u00e8ques publiques ont ferm\u00e9 leurs portes depuis 2010, ainsi qu’au moins un millier de centres de jeunes et d’innombrables pubs et salles communautaires. Les clubs ouvriers d’autrefois ont pratiquement disparu <\/span>21<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Il ne reste plus qu’un paysage social vid\u00e9 de sa substance, o\u00f9 les citoyens passent plus de temps \u00e0 socialiser et \u00e0 discuter avec de fausses entit\u00e9s en ligne, plut\u00f4t qu’avec leurs voisins.<\/p>\n\n\n\n

La perte de ces espaces quotidiens explique en partie le succ\u00e8s que gagne un sentiment sourd, celui que \u00ab tout va mal \u00bb \u2014 amplifi\u00e9 par les autoritaires dans une grande partie de l’Europe et de l’Am\u00e9rique du Nord, en France <\/span>22<\/sup><\/a><\/span><\/span>, en Roumanie <\/span>23<\/sup><\/a><\/span><\/span>, en Pologne <\/span>24<\/sup><\/a><\/span><\/span> et au Canada <\/span>25<\/sup><\/a><\/span><\/span> comme ailleurs. Pour ceux qui souhaitent mener la guerre informationnelle, c’est un terrain fertile <\/span>26<\/sup><\/a><\/span><\/span> \u2014 de m\u00eame pour ceux qui cherchent \u00e0 orchestrer, pour leurs propres fins, ce simulacre d\u2019action politique.<\/p>\n\n\n\n

Les utilisateurs des r\u00e9seaux sociaux d’aujourd’hui ne sont pas stupides. Ils ne sont pas les victimes passives d\u2019un brainrot<\/em> g\u00e9n\u00e9ralis\u00e9.<\/p>\n\n\n\n

Ils sont d\u00e9sorient\u00e9s et priv\u00e9s de pouvoir parce que l’architecture communautaire qui ancrait autrefois la r\u00e9alit\u00e9 et la production du pouvoir dans la r\u00e9alit\u00e9 locale s’est d\u00e9labr\u00e9e.<\/p>\n\n\n\n

Dans un monde virtuel, les cuisines, les salons et les chambres \u00e0 coucher, autrefois les lieux privil\u00e9gi\u00e9s de la discussion, sont devenus les nouveaux \u00ab tiers-lieux \u00bb.<\/p>\n\n\n\n

\n \n \r\n \r\n \r\n \r\n \r\n \r\n \r\n \r\n <\/picture>\r\n \n
La vitesse et l’ampleur \u00e0 laquelle la r\u00e9alit\u00e9 se d\u00e9grade ont de quoi d\u00e9courager. Le cynisme est bon march\u00e9  ; l’app\u00e9tit pour le spectacle semble in\u00e9puisable.<\/figcaption>\n <\/a>\n<\/figure>\n\n\n

En l’absence de laboratoires communautaires o\u00f9 les id\u00e9es priv\u00e9es peuvent \u00eatre \u00e9labor\u00e9es, les plateformes num\u00e9riques restent la seule agora disponible.<\/p>\n\n\n\n

La s\u00e9paration entre le priv\u00e9 et le public s’estompe \u00e0 mesure que les r\u00e9seaux num\u00e9riques font entrer l’individu dans ce que l’on appelle parfois le \u00ab march\u00e9 mondial des id\u00e9es \u00bb. <\/p>\n\n\n\n

Le \u00ab tiers-lieu \u00bb num\u00e9rique peut fournir une connexion, mais il ne peut pas fournir de stabilit\u00e9 ; sans pont commun entre les r\u00e9actions \u00e9motionnelles et le forum public, entre l’individu et le collectif, entre ceux d\u00e9pourvus de pouvoir et ceux qui en ont, chaque grief devient existentiel, g\u00e9n\u00e9ral et source de divisions. <\/p>\n\n\n\n

L’homme du sous-sol prosp\u00e8re sur Internet parce que rien ne peut le ralentir.<\/p>\n\n\n\n

La t\u00e2che qui incombe aux gouvernements \u2014 quelle que soit l\u2019\u00e9chelle du gouvernement en question \u2014 n’est donc pas de restaurer un \u00e2ge d’or fantasm\u00e9 o\u00f9 le d\u00e9bat aurait \u00e9t\u00e9 rationnel, ni de se retirer du num\u00e9rique. Il s’agit d’ancrer celui-ci dans une vie communautaire renouvel\u00e9e : reconstruire les lieux et les rituels o\u00f9 les affects rencontrent des r\u00e9sistances, o\u00f9 la r\u00e9alit\u00e9 peut \u00e0 nouveau \u00eatre construite ensemble, et o\u00f9 les gens ordinaires constituent une forme de pouvoir politique.<\/p>\n\n\n\n

Sans ces ancrages, nous aggravons la temp\u00eate.<\/p>\n\n\n\n

Nous nous enfon\u00e7ons dans le vortex de la r\u00e9alit\u00e9 cass\u00e9e.<\/p>\n\n\n\n

Nous devenons vuln\u00e9rables \u00e0 chaque d\u00e9lire, chaque manipulation.<\/p>\n\n\n\n

Le XXIe si\u00e8cle ne sera pas fa\u00e7onn\u00e9 uniquement par des algorithmes. Il sera d\u00e9termin\u00e9 par notre capacit\u00e9 \u00e0 inventer de nouvelles formes d’ancrage, aussi efficaces que ces algorithmes le sont.<\/p>\n\n\n\n

Les enjeux ne sont pas seulement culturels ou accessoires.<\/p>\n\n\n\n

L’Europe d’apr\u00e8s-guerre a autrefois cultiv\u00e9 la propri\u00e9t\u00e9 collective du pouvoir, gr\u00e2ce \u00e0 sa capacit\u00e9 \u00e0 maintenir une vision commune de la r\u00e9alit\u00e9, fond\u00e9e sur des institutions qui privil\u00e9giaient les preuves, la d\u00e9lib\u00e9ration et une proc\u00e9dure fixe, sans pour autant nier les \u00e9motions individuelles ou les ravaler au rang de simples \u00ab pourritures \u00bb. Aujourd’hui, les r\u00e9cits viraux et les mouvements aliment\u00e9s par les m\u00e8mes surpassent la d\u00e9lib\u00e9ration bureaucratique, les op\u00e9rations de v\u00e9rification des faits, entre autres processus. Les acteurs de l\u2019ext\u00e9rieur exploitent facilement cette vuln\u00e9rabilit\u00e9 : les op\u00e9rations d’information russes et chinoises prosp\u00e8rent dans cette r\u00e9alit\u00e9 cass\u00e9e.<\/p>\n\n\n\n

Pendant ce temps, nos propres politiciens semblent incapables de reconna\u00eetre le simulacre qu’ils co-construisent.<\/p>\n\n\n\n

Nous souffrons inconsciemment de la rage malveillante de l’homme du sous-sol tout en nous imaginant \u00eatre les Don Quichotte d\u2019aujourd\u2019hui.<\/p>Ian Garner<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

Reconstruction ou d\u00e9composition<\/h2>\n\n\n\n

Le d\u00e9fi pour l’Europe n’est pas simplement de discr\u00e9diter plus rapidement les faux r\u00e9cits ou de mieux mod\u00e9rer.<\/p>\n\n\n\n

Il s’agit de prendre en compte la transformation des conditions m\u00eames dans lesquelles la r\u00e9alit\u00e9 peut \u00eatre maintenue.<\/p>\n\n\n\n

L’investissement dans les infrastructures sociales devrait \u00eatre consid\u00e9r\u00e9 comme une strat\u00e9gie, aussi vitale pour la survie de la d\u00e9mocratie qu\u2019une alliance militaire.<\/p>\n\n\n\n

Les biblioth\u00e8ques, les parcs, les centres pour la jeunesse et les espaces communs ne sont pas une denr\u00e9e co\u00fbteuse et inutile. Ils rel\u00e8vent de notre politique de s\u00e9curit\u00e9. Ils constituent des remparts contre une forme de guerre non lin\u00e9aire et non cin\u00e9tique.<\/p>\n\n\n\n

Certes, le fantasme quasi-m\u00e9dical du brainrot<\/em> a quelque chose d\u2019apaisant, de rassurant : il pr\u00e9serve la foi en la souverainet\u00e9 de l’esprit individuel ; la foi que ce qui est bris\u00e9 peut \u00eatre restaur\u00e9, avec suffisamment de discipline ou une d\u00e9sintoxication des \u00e9crans.<\/p>\n\n\n\n

Mais le probl\u00e8me est plus profond. Nous vivons clairement dans une r\u00e9alit\u00e9<\/em> cass\u00e9e.<\/p>\n\n\n\n

Comment la r\u00e9parer ?<\/p>\n\n\n\n

Sans doute pas en pensant avec nostalgie au bon vieux temps ou en rejetant toute existence num\u00e9rique.<\/p>\n\n\n\n

Le g\u00e9nie est d\u00e9j\u00e0 hors de la lampe \u2014 il virevolte au-dessus de nous. Et une grande partie de ce qu’il apporte \u2014 de v\u00e9ritables liens sociaux <\/span>27<\/sup><\/a><\/span><\/span>, la mobilit\u00e9, de nouvelles solidarit\u00e9s \u2014 ne peut et ne doit pas \u00eatre rejet\u00e9e en bloc. <\/p>\n\n\n\n

Ce que l’\u00e8re num\u00e9rique menace le plus, c’est la possibilit\u00e9 de s’ancrer : de ralentir, de se rassembler, de tester les mots et les sentiments face \u00e0 la r\u00e9sistance et \u00e0 la r\u00e9action des autres, de retrouver la friction qui permet aux faits de prendre forme et aux fictions de raconter un monde que nous voulons habiter.<\/p>\n\n\n\n

Il n’y a aucune raison pour que la construction de \u00ab tiers-lieux \u00bb num\u00e9riques <\/span>28<\/sup><\/a><\/span><\/span> autour des communaut\u00e9s de proximit\u00e9 ne soit pas soutenue par les sociaux-d\u00e9mocrates comme un rempart contre le d\u00e9clin d\u00e9mocratique ; des mod\u00e8les de r\u00e9seaux sociaux d\u00e9centralis\u00e9s sont d\u00e9j\u00e0 largement disponibles <\/span>29<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n

Reconstruire ces espaces ne sera pas facile. Cela ne r\u00e9soudra certainement pas tous les probl\u00e8mes qui affligent les d\u00e9mocraties lib\u00e9rales dans nos ann\u00e9es Vingt.<\/p>\n\n\n\n

La vitesse et l’ampleur \u00e0 laquelle la r\u00e9alit\u00e9 se d\u00e9grade ont de quoi d\u00e9courager. <\/p>\n\n\n\n

Le cynisme est bon march\u00e9 ; l’app\u00e9tit pour le spectacle semble in\u00e9puisable ; pourtant, les cons\u00e9quences de cette option devraient nous effrayer davantage : une politique \u00e0 la d\u00e9rive, vuln\u00e9rable \u00e0 tous les d\u00e9lires et \u00e0 toutes les manipulations, incapable de nommer et d’affronter la r\u00e9alit\u00e9 \u2014 sombrant dans les \u00e9chos sans fin de la \u00ab ranc\u0153ur \u00bb dosto\u00efevskienne.<\/p>\n\n\n\n

\u00c0 la fin du r\u00e9cit de Dosto\u00efevski, l\u2019anti-h\u00e9ros se d\u00e9compose dans son logement sordide. L’homme du sous-sol laisse pourrir sa propre personne<\/em> : \u00ab Tous, nous sommes d\u00e9shabitu\u00e9s de la vie, nous boitons tous, plus ou moins. Nous en sommes d\u00e9shabitu\u00e9s \u00e0 un tel point, que par moments nous avons une esp\u00e8ce de d\u00e9go\u00fbt pour la vie r\u00e9elle, et c\u2019est pour cela que nous d\u00e9testons qu\u2019on nous y fasse penser. \u00bb<\/p>\n\n\n\n

Acceptant son sombre destin, il reste seul, \u00ab \u00e0 demi mort de souffrance morale \u00bb, pench\u00e9 sur un manuscrit inachev\u00e9 et inachevable.<\/p>\n\n\n\n

C\u2019est parce que nous ignorons le r\u00e9el probl\u00e8me que nous sommes menac\u00e9s. Un ph\u00e9nom\u00e8ne largement interpr\u00e9t\u00e9 comme une polarisation politique et un brainrot <\/em>reproduit \u00e0 large \u00e9chelle le sort de l’homme du sous-sol, us\u00e9 jusqu\u2019\u00e0 la corde.<\/p>\n\n\n\n

Un monde d\u2019\u00e9motions malveillantes \u00e9merge \u00e0 la fois du sommet et de la base, de la p\u00e9riph\u00e9rie et du c\u0153ur du pouvoir.<\/p>\n\n\n\n

Les attaques incessantes qu\u2019il g\u00e9n\u00e8re r\u00e9pondent aux cris d\u2019un adversaire imaginaire. <\/p>\n\n\n\n

La politique du vide \u00e9loigne de plus en plus la soci\u00e9t\u00e9 du sous-sol du monde r\u00e9el.<\/p>\n\n\n\n

La r\u00e9alit\u00e9 n\u2019a pas encore totalement disparu de l\u2019horizon \u2014 mais elle est de plus en plus difficile \u00e0 discerner.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"

N\u00e9e sur Internet, une soci\u00e9t\u00e9 du sous-sol est en train de contaminer le monde.<\/p>\n

Comment r\u00e9parer le r\u00e9el  ? <\/p>\n

Une pi\u00e8ce de doctrine sign\u00e9e Ian Garner. <\/p>\n","protected":false},"author":10,"featured_media":305028,"comment_status":"closed","ping_status":"closed","sticky":false,"template":"templates\/post-editorials.php","format":"standard","meta":{"_acf_changed":true,"_trash_the_other_posts":false,"footnotes":""},"categories":[3412],"tags":[],"geo":[],"class_list":["post-304883","post","type-post","status-publish","format-standard","hentry","category-puissances-de-lia","staff-ian-garner"],"acf":[],"yoast_head":"\n\u00abBrainrot\u00bb : g\u00e9opolitique de la r\u00e9alit\u00e9 cass\u00e9e | Le Grand Continent<\/title>\n<meta name=\"robots\" content=\"index, follow, max-snippet:-1, max-image-preview:large, max-video-preview:-1\" \/>\n<link rel=\"canonical\" href=\"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2025\/11\/13\/brainrot-geopolitique-de-la-realite-cassee\/\" \/>\n<meta property=\"og:locale\" content=\"fr_FR\" \/>\n<meta property=\"og:type\" content=\"article\" \/>\n<meta property=\"og:title\" content=\"\u00abBrainrot\u00bb : g\u00e9opolitique de la r\u00e9alit\u00e9 cass\u00e9e | Le Grand Continent\" \/>\n<meta property=\"og:description\" content=\"N\u00e9e sur Internet, une soci\u00e9t\u00e9 du sous-sol est en train de contaminer le monde. 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