{"id":302285,"date":"2025-10-23T06:00:00","date_gmt":"2025-10-23T04:00:00","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=302285"},"modified":"2025-10-22T20:17:51","modified_gmt":"2025-10-22T18:17:51","slug":"stablecoins-menace-banque-centrale-europeenne","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2025\/10\/23\/stablecoins-menace-banque-centrale-europeenne\/","title":{"rendered":"Les stablecoins sont-ils en train de d\u00e9truire la Banque centrale europ\u00e9enne ?"},"content":{"rendered":"\n

Du gouverneur de la Banque de France<\/a> \u00e0 Mario Draghi<\/a>, la g\u00e9opolitique ne peut faire l’\u00e9conomie de la monnaie. Pour trouver les bonnes analyses et soutenir une r\u00e9daction dynamique en plein d\u00e9veloppement, abonnez-vous au Grand Continent<\/a><\/em><\/p>\n\n\n\n

Ignor\u00e9s jusqu\u2019\u00e0 r\u00e9cemment du public mais aussi des banquiers et des banquiers centraux, les stablecoins<\/a> sont devenus un sujet d\u2019\u00e9tude d\u2019une vaste ampleur, que ce soit sous l\u2019angle \u00e9conomique, mon\u00e9taire ou politique <\/span>1<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n

Les travaux les concernant soulignent tous le r\u00f4le majeur de ces nouveaux actifs mon\u00e9taires comme outil de g\u00e9opolitique pour de nombreux pays, mais aussi de financement de la dette pour les \u00c9tats-Unis<\/a> ; ils pointent bien s\u00fbr les risques que ces instruments pourraient faire courir \u00e0 l\u2019\u00e9conomie mondiale.<\/p>\n\n\n\n

Ce constat est particuli\u00e8rement flagrant en ce qui concerne les tr\u00e8s nombreux rapports, \u00e9tudes et autres documents publi\u00e9s par la Banque centrale europ\u00e9enne (BCE) qui, depuis qu\u2019elle s\u2019int\u00e9resse \u00e0 ce ph\u00e9nom\u00e8ne, consid\u00e8re que les stablecoins constituent une menace pour la souverainet\u00e9 mon\u00e9taire, la stabilit\u00e9 financi\u00e8re et plus largement pour l\u2019\u00e9conomie mondiale <\/span>2<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n

L\u2019attention de la BCE et des autres banques centrales porte pour l\u2019essentiel sur les stablecoins de d\u00e9tail \u2014 c\u2019est-\u00e0-dire ceux utilis\u00e9s pour les op\u00e9rations de paiement courantes \u2014 et non les stablecoins dits de gros, utilis\u00e9s sur les march\u00e9s financiers mais surtout sur les plateformes de crypto-actifs <\/span>3<\/sup><\/a><\/span><\/span>. <\/p>\n\n\n\n

Dans la continuit\u00e9 de cette approche, nous ne traiterons donc ici que des \u00ab stablecoins de d\u00e9tail \u00bb. <\/p>\n\n\n\n

Les interrogations de la BCE sont l\u00e9gitimes compte tenu de son r\u00f4le et de ses missions : il est de son devoir de mesurer les impacts potentiels d\u2019une nouvelle technologie li\u00e9s aux paiements et \u00e0 la monnaie sur le syst\u00e8me mon\u00e9taire europ\u00e9en, dont elle assure la supervision au titre de la mission confi\u00e9e par l\u2019article 127 du Trait\u00e9 sur le fonctionnement de l\u2019Union europ\u00e9enne.<\/p>\n\n\n\n

La concurrence aux banques centrales<\/strong><\/h2>\n\n\n\n

Les questionnements parfois critiques de la BCE sont ceux que la plupart des autres banques centrales et organisations internationales <\/span>4<\/sup><\/a><\/span><\/span> formulent aussi, \u00e0 l\u2019exception notable toutefois de la R\u00e9serve f\u00e9d\u00e9rale des \u00c9tats-Unis qui, il est vrai, se trouve dans une position diff\u00e9rente du fait du r\u00f4le quasi exclusif du dollar comme actif sous-jacent de plus de 99 % des stablecoins \u00e9mis et circulant dans le monde. <\/p>\n\n\n\n

Parmi ces r\u00e9serves des banques centrales, sont point\u00e9s du doigt \u00e0 la fois les risques sur la souverainet\u00e9 mon\u00e9taire \u2014 du fait que les \u00e9metteurs de stablecoins sont des entreprises priv\u00e9es et non une banque centrale \u2014 et le risque macro\u00e9conomique li\u00e9 \u00e0 la d\u00e9tention de ces stablecoins par les agents \u00e9conomiques, en cas de \u00ab ru\u00e9e vers les guichets \u00bb (bank run<\/em>) quand un \u00e9metteur de stablecoins se trouve en situation financi\u00e8re fragile, voire en faillite.<\/p>\n\n\n\n

Les banques centrales soulignent aussi que le transfert des d\u00e9p\u00f4ts bancaires vers les stablecoins s\u2019accompagne d\u2019un affaiblissement corr\u00e9latif de la situation financi\u00e8re des banques, avec des cons\u00e9quences sur le financement de l\u2019\u00e9conomie.<\/p>\n\n\n\n

Bien que cela ne soit pas dit aussi clairement, elles se sentent aussi menac\u00e9es par la concurrence que ces stablecoins porteraient au projet de cr\u00e9ation d\u2019une monnaie num\u00e9rique de banque centrale.<\/p>\n\n\n\n

En Europe la BCE s\u2019inqui\u00e8te ainsi des cons\u00e9quences de leur utilisation sur le projet d\u2019euro num\u00e9rique<\/a>.<\/p>\n\n\n\n

Toutes ces interrogations \u2014 ou objections \u2014 ne sont pas sans fondement. Notons toutefois qu\u2019en Europe, l\u2019essentiel des \u00e9tudes effectu\u00e9es est le plus souvent issu de la BCE elle-m\u00eame, et plus rarement le cas de travaux de recherches universitaires ind\u00e9pendants <\/span>5<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n

La principale difficult\u00e9 dans laquelle se trouve la BCE face \u00e0 ce ph\u00e9nom\u00e8ne est en effet celle d\u2019\u00eatre \u00e0 la fois juge et partie. Juge, parce qu\u2019elle est charg\u00e9e par les trait\u00e9s europ\u00e9ens de la promotion du bon fonctionnement des syst\u00e8mes de paiement, mais aussi de la supervision des banques commerciales au titre du M\u00e9canisme de supervision unique (MSU) ; partie, car elle est selon ces m\u00eames trait\u00e9s seule en charge avec les banques centrales nationales de la conduite de la politique mon\u00e9taire et de l\u2019\u00e9mission de la monnaie fiduciaire.<\/p>\n\n\n\n

La BCE se trouve ainsi dans la situation d\u00e9licate de devoir porter un jugement sur une activit\u00e9 qui peut potentiellement entrer en concurrence avec ses missions.<\/p>\n\n\n\n

Cette situation assez unique porte en elle une question riche au plan th\u00e9orique : une banque centrale jouit-elle d\u2019un r\u00f4le monopolistique ou concurrentiel ? Du fait des caract\u00e9ristiques particuli\u00e8res de la technologie blockchain, ce probl\u00e8me a priori<\/em> incongru m\u00e9rite pourtant d\u2019\u00eatre pos\u00e9 en ces termes <\/span>6<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n

Dans nos soci\u00e9t\u00e9s modernes, le r\u00f4le d\u2019une banque centrale est double <\/span>7<\/sup><\/a><\/span><\/span> : d\u2019une part, c\u2019est un institut d\u2019\u00e9mission charg\u00e9 de frapper la monnaie fiduciaire ; d\u2019autre part, il m\u00e8ne la politique mon\u00e9taire. Si le premier r\u00f4le est celui qui, historiquement, a conduit \u00e0 la cr\u00e9ation des banques centrales, le second est beaucoup plus r\u00e9cent.<\/p>\n\n\n\n

Ces deux fonctions fondamentales sont-elles menac\u00e9es par l\u2019apparition des stablecoins et leur essor ? \u00c0 \u00e9couter \u00e0 tout le moins le discours de la BCE, mais aussi celui que tiennent parfois des institutions internationales comme la Banque des r\u00e8glements internationaux, le FMI ou le Conseil de stabilit\u00e9 financi\u00e8re, tel semblerait \u00eatre le cas. Ne faut-il pourtant pas plut\u00f4t voir dans ce discours une prudence excessive, et les craintes formul\u00e9es ne jouent-elles pas le r\u00f4le d\u2019\u00e9pouvantails pour justifier les projets de monnaies num\u00e9riques de banques centrales ? Ou bien sont-elles au contraire face \u00e0 un p\u00e9ril qui met en jeu leur raison d\u2019\u00eatre ?<\/p>\n\n\n\n

Les stablecoins face au pouvoir d\u2019\u00e9mission mon\u00e9taire<\/strong><\/h2>\n\n\n\n

Le pouvoir de frapper monnaie a toujours appartenu au Prince, c\u2019est-\u00e0-dire \u00e0 la personne ou l\u2019institution qui d\u00e9tient le pouvoir politique (auctoritas<\/em> <\/span>8<\/sup><\/a><\/span><\/span>) sur un espace g\u00e9ographique et les personnes qui y vivent. Il lui est \u00e0 ce point associ\u00e9 que la frappe de la monnaie constitue l\u2019un des attributs de la souverainet\u00e9 d\u2019un \u00c9tat.<\/p>\n\n\n\n

Ce n\u2019est qu\u2019\u00e0 partir du XIXe si\u00e8cle que le pouvoir de frapper monnaie est transf\u00e9r\u00e9 de fa\u00e7on d\u00e9finitive aux banques centrales comme un privil\u00e8ge d\u2019\u00e9mission. Celles-ci sont d\u2019ailleurs, du point de vue historique, de cr\u00e9ation assez r\u00e9cente : pour ne citer que les trois premi\u00e8res, la Banque de Su\u00e8de est cr\u00e9\u00e9e en 1668, la Banque d\u2019Angleterre en 1694 et la Banque de France en 1800. Ce sont l\u00e0 trois institutions d\u2019abord \u00e0 capitaux priv\u00e9s, dot\u00e9es de privil\u00e8ges r\u00e9galiens. <\/p>\n\n\n\n

Les \u00e9missions de stablecoins portent-elles atteinte au pouvoir de battre monnaie ? \u00c0 premi\u00e8re vue, il semblerait que tel soit le cas : avec les stablecoins, une entreprise commerciale, parfois m\u00eame non r\u00e9gul\u00e9e par le superviseur bancaire, \u00e9met des instruments num\u00e9riques dont les fonctionnalit\u00e9s s\u2019apparentent \u00e0 celles de la monnaie <\/span>9<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n

\u00c0 y regarder de plus pr\u00e8s, il faut plut\u00f4t distinguer selon les situations que l\u2019on rencontre dans l\u2019Union <\/span>10<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n

Le premier cas de figure est celui des \u00e9metteurs de stablecoins qui n\u2019ont pas le statut d\u2019\u00e9tablissements de cr\u00e9dit, mais d\u2019\u00e9tablissements de monnaie \u00e9lectronique (EME) <\/span>11<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Ceux-ci n\u2019\u00e9mettent pas de la monnaie, puisqu\u2019ils doivent \u00eatre garantis par la mise en place d\u2019une r\u00e9serve 1:1 pour chaque unit\u00e9 mon\u00e9taire \u00e9mise, r\u00e9serve qui est obligatoirement plac\u00e9e aupr\u00e8s d\u2019un \u00e9tablissement de cr\u00e9dit.<\/p>\n\n\n\n

La deuxi\u00e8me situation concerne le cas des \u00e9metteurs de stablecoins ayant le statut d\u2019\u00e9tablissement de cr\u00e9dit (banque). Ici, les sommes re\u00e7ues en contrevaleur de l\u2019\u00e9mission des stablecoins sont assimilables \u00e9conomiquement \u00e0 des d\u00e9p\u00f4ts bancaires, rentrant ainsi dans les diff\u00e9rents ratios prudentiels <\/span>12<\/sup><\/a><\/span><\/span> permettant au superviseur bancaire mais aussi \u00e0 la banque centrale de contr\u00f4ler le respect de ces ratios et l\u2019\u00e9volution de la masse mon\u00e9taire en circulation.<\/p>\n\n\n\n

Autrement dit, ici, les banques \u00e9mettrices de stablecoins se trouvent dans la m\u00eame situation que lorsqu\u2019elles \u00e9mettent de la monnaie scripturale. Ainsi, dans le premier cas (\u00e9mission de stablecoins par des EME) l\u2019agr\u00e9gat mon\u00e9taire M0 (la \u00ab masse mon\u00e9taire banque centrale \u00bb <\/span>13<\/sup><\/a><\/span><\/span>) n\u2019est pas impact\u00e9e, contrairement \u00e0 M1 (M0 + d\u00e9p\u00f4ts \u00e0 vue) <\/span>14<\/sup><\/a><\/span><\/span> ; dans le second cas, si M0 n\u2019est pas impact\u00e9e non plus, M1 l\u2019est et M3 peut l\u2019\u00eatre de la m\u00eame mani\u00e8re que toute cr\u00e9ation mon\u00e9taire scripturale <\/span>15<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n

Ce qui est important pour une banque centrale est de contr\u00f4ler l\u2019\u00e9volution de la masse mon\u00e9taire afin de conduire sa politique mon\u00e9taire. \u00c0 cette fin, d\u00e8s lors que les acteurs priv\u00e9s sont sous pouvoir de supervision, c\u2019est-\u00e0-dire agr\u00e9\u00e9s comme tel, la Banque centrale dispose des moyens de suivre l\u2019\u00e9volution de la masse mon\u00e9taire, et donc de conduire sa politique mon\u00e9taire.<\/p>\n\n\n\n

Au sein de l\u2019Union, seuls des \u00e9tablissements r\u00e9gul\u00e9s comme \u00e9tablissements de cr\u00e9dit ou EME peuvent \u00e9mettre et distribuer des stablecoins. La BCE n\u2019est d\u00e8s lors pas g\u00ean\u00e9e ni perturb\u00e9e dans la conduite de sa politique mon\u00e9taire lorsqu\u2019il s\u2019agit de stablecoins en euros <\/span>16<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n

\u00c0 ce premier constat quant \u00e0 un \u00e9ventuel risque vis-\u00e0-vis de la BCE de perte du pouvoir d\u2019\u00e9mission mon\u00e9taire, on peut ajouter un \u00e9l\u00e9ment plus quantitatif soulignant l\u2019absence de risque quant \u00e0 la stabilit\u00e9 financi\u00e8re au sein de l\u2019Union. En effet, le montant en circulation des stablecoins en euros est encore tr\u00e8s faible, autour de 500 millions d\u2019euros. M\u00eame si celui-ci venait \u00e0 repr\u00e9senter l\u2019\u00e9quivalent en circulation des stablecoins en dollars de l\u2019agr\u00e9gat mon\u00e9taire M1 aux \u00c9tats-Unis (18,80 trillions de dollars en juin 2025), soit 1,25 %, cela ne repr\u00e9senterait que 130 milliards d\u2019euros sur un total de 10,8 trillions d\u2019euros de l\u2019agr\u00e9gat M1 \u2014 \u00e0 comparer aux coussins de liquidit\u00e9 des banques syst\u00e9miques supervis\u00e9es par la BCE, s\u2019\u00e9levant \u00e0 4 950 milliards d\u2019euros.<\/p>\n\n\n\n

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