{"id":301087,"date":"2025-10-12T06:00:00","date_gmt":"2025-10-12T04:00:00","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=301087"},"modified":"2025-10-12T00:42:47","modified_gmt":"2025-10-11T22:42:47","slug":"geopolitique-europe-strategie-declin","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2025\/10\/12\/geopolitique-europe-strategie-declin\/","title":{"rendered":"Comment l’Europe peut gagner : une strat\u00e9gie pour d\u00e9jouer le d\u00e9clin"},"content":{"rendered":"\n
Pour soutenir une r\u00e9daction ind\u00e9pendante de la premi\u00e8re revue europ\u00e9enne, d\u00e9couvrez nos offres pour s’abonner au Grand Continent<\/a><\/em><\/p>\n\n\n\n Les fronts pour l\u2019Europe se multiplient.\u00a0L\u2019Union doit d\u00e9sormais faire face \u00e0 des \u00c9tats qui lui sont hostiles ou ne sont pas des alli\u00e9s \u2014 comme la Russie n\u00e9o-imp\u00e9riale ou la Chine du Parti communiste \u2014 mais aussi \u00e0 celle qui \u00e9tait, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, sa plus grande d\u00e9mocratie alli\u00e9e : les \u00c9tats-Unis. D\u00e9sormais, le pr\u00e9sident Donald Trump consid\u00e8re que l\u2019Union europ\u00e9enne a \u00e9t\u00e9 cr\u00e9\u00e9e pour \u00ab entuber \u00bb les \u00c9tats-Unis <\/span>1<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n La plupart des responsables europ\u00e9ens paraissent prendre la mesure du d\u00e9fi ; c\u2019est l\u00e0 un point positif.<\/p>\n\n\n\n Comme le montre la s\u00e9rie d\u2019\u00e9tudes Eurobazooka<\/a>, les opinions publiques s\u2019inqui\u00e8tent aussi profond\u00e9ment de la situation. <\/p>\n\n\n\n Dans cette situation, les d\u00e9fis de l\u2019Europe ne sont pas ceux auxquels on pense n\u00e9cessairement.<\/p>\n\n\n\n Il convient d\u2019abord de mettre de c\u00f4t\u00e9 un probl\u00e8me souvent cit\u00e9 : la d\u00e9mographie.<\/p>\n\n\n\n Certes, l’Europe est dans une situation d\u00e9mographique extr\u00eamement difficile<\/a> et nombreux sont ceux, notamment aux \u00c9tats-Unis, qui y voient la premi\u00e8re et la plus profonde des causes d\u2019un d\u00e9clin suppos\u00e9 irr\u00e9versible. Pourtant, tous les \u00c9tats industrialis\u00e9s connaissent ce probl\u00e8me ; plus g\u00e9n\u00e9ralement, les deux tiers de la population mondiale demeurent d\u00e9sormais dans des \u00c9tats o\u00f9 le taux de f\u00e9condit\u00e9 est inf\u00e9rieur au seuil de renouvellement.<\/p>\n\n\n\n Les \u00c9tats-Unis sont aujourd’hui dans une situation d\u00e9mographique comparable \u00e0 celle de la France dans la p\u00e9riode post-Covid \u2014 et les mesures de l’administration Trump contre l’immigration ne vont pas am\u00e9liorer la situation. <\/p>\n\n\n\n Au Japon, en Chine, \u00e0 Ta\u00efwan, en Cor\u00e9e du Sud, \u00e0 Singapour, la situation d\u00e9mographique est pire qu\u2019en Europe : la Cor\u00e9e du Sud, avec 0,7 enfants par femme, a le plus faible taux de f\u00e9condit\u00e9 du monde.<\/p>\n\n\n\n La Chine conna\u00eet un v\u00e9ritable effondrement d\u00e9mographique : l\u2019ONU pr\u00e9voit que, dans les soixante-quinze ans qui viennent, elle pourrait avoir perdu la moiti\u00e9 de sa population. <\/p>\n\n\n\n Plus au Nord, la Russie est en d\u00e9clin d\u00e9mographique depuis plus d\u2019un tiers de si\u00e8cle. <\/p>\n\n\n\n La situation europ\u00e9enne est donc loin d\u2019\u00eatre singuli\u00e8re. La conjoncture d\u00e9mographique de l’Europe n\u2019est pas le facteur discriminant expliquant son d\u00e9clin pr\u00e9sent ou la condamnant \u00e0 un d\u00e9clin futur. La vraie question est de savoir si elle se donnera les moyens de g\u00e9rer ce d\u00e9fi d\u2019une meilleure fa\u00e7on que les autres pays vieillissants.<\/p>\n\n\n\n Les \u00c9tats-Unis sont aujourd’hui dans une situation d\u00e9mographique comparable \u00e0 celle de la France dans la p\u00e9riode post-Covid.<\/p>Fran\u00e7ois Heisbourg<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n L\u2019Europe se singularise par autre chose. <\/p>\n\n\n\n Les \u00c9tats-Unis sont encore aujourd\u2019hui la seule v\u00e9ritable superpuissance faisant usage, \u00e0 l\u2019\u00e9chelle mondiale, de l\u2019ensemble des moyens d\u2019influence et de coercition. Aussi est-ce par l\u2019empire am\u00e9ricain que doit commencer tout examen de notre propre situation g\u00e9opolitique.<\/p>\n\n\n\n Force est de constater que cet empire est menac\u00e9, et d\u2019abord par lui-m\u00eame<\/a> <\/span>2<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Reconna\u00eetre la puissance am\u00e9ricaine et parler en m\u00eame temps de suicide peut para\u00eetre paradoxal, mais l\u2019histoire des grands empires nous rappelle que ceux-ci sont mortels.<\/p>\n\n\n\n Le suicide de l\u2019empire am\u00e9ricain a commenc\u00e9 avant le pr\u00e9sident Trump.<\/p>\n\n\n\n On peut situer le d\u00e9marrage de ce processus au tournant du XXe et du XXIe si\u00e8cles, lors de la guerre d’Irak : \u00e0 ce moment-l\u00e0, les \u00c9tats-Unis ont d\u00e9montr\u00e9 que, dor\u00e9navant, le sort de leur r\u00e9seau d’alliances dans le monde leur paraissait moins important que les desseins qu\u2019ils pouvaient nourrir vis-\u00e0-vis d’un dictateur irakien. Certes, Saddam Hussein \u00e9tait particuli\u00e8rement d\u00e9plaisant, mais son importance strat\u00e9gique \u00e9tait marginale. Les priorit\u00e9s des \u00c9tats-Unis, d\u00e9sireux de venger d\u2019une mani\u00e8re ou d\u2019une autre les attaques terroristes du 11 septembre 2001, ont commenc\u00e9 \u00e0 changer \u00e0 partir de ce moment-l\u00e0.<\/p>\n\n\n\n Ce processus s’est amplifi\u00e9 et aggrav\u00e9 au fil des pr\u00e9sidents successifs. Barack Obama, notamment, a jou\u00e9 un r\u00f4le majeur : en particulier, il a judicieusement d\u00e9plac\u00e9 le centre de gravit\u00e9 des int\u00e9r\u00eats strat\u00e9giques am\u00e9ricains de l’Europe vers l’Asie Pacifique, cr\u00e9ant un vide strat\u00e9gique au Moyen-Orient \u2014 que remplit la Russie. Dans ce m\u00eame ordre d\u2019id\u00e9es, Obama a aussi refus\u00e9 d\u2019intervenir apr\u00e8s que la Syrie a franchi les lignes rouges qu\u2019il avait fix\u00e9es, lorsque le r\u00e9gime d\u2019Assad a fait usage d\u2019armes chimiques contre des civils.<\/p>\n\n\n\n Pendant la premi\u00e8re pr\u00e9sidence Trump et sous le pr\u00e9sident Biden, ce mouvement de repli s\u2019est confirm\u00e9 ; mais il a pris une ampleur nouvelle depuis la r\u00e9\u00e9lection de Donald Trump.<\/p>\n\n\n\n Durant son second mandat, Trump para\u00eet se consacrer tout entier \u00e0 son \u0153uvre de d\u00e9litement des alliances am\u00e9ricano-centr\u00e9es et de d\u00e9mant\u00e8lement des grandes r\u00e9gulations internationales \u00e9tablies apr\u00e8s la Seconde Guerre mondiale. Une majorit\u00e9 d\u2019\u00e9lecteurs am\u00e9ricains a vot\u00e9 pour ces choses, sans que les candidats d\u00e9mocrates n\u2019y aient oppos\u00e9 une r\u00e9sistance convaincante.<\/p>\n\n\n\n En janvier 2029, lorsque Trump arrivera au terme de ce qui devrait \u00eatre son dernier mandat, les facteurs essentiellement int\u00e9rieurs qui expliquent le suicide de l\u2019empire am\u00e9ricain ne dispara\u00eetront pas subitement.<\/p>\n\n\n\n Les d\u00e9cisions et les positionnements adopt\u00e9s sous Obama et sous Biden, notamment pendant la guerre d’Ukraine, ne contredisent pas forc\u00e9ment le mouvement g\u00e9n\u00e9ral de d\u00e9sengagement de ce d\u00e9but de si\u00e8cle. Force est par ailleurs de constater que le discr\u00e9dit politique d\u2019un Parti d\u00e9mocrate arc-bout\u00e9 sur la d\u00e9fense du statu quo<\/em> s\u2019est aggrav\u00e9 plus qu\u2019il ne s\u2019est r\u00e9duit depuis l\u2019arriv\u00e9e au pouvoir des r\u00e9publicains.<\/p>\n\n\n\n Il est aussi possible que ce mouvement de d\u00e9sengagement ne devienne encore plus profond.<\/p>\n\n\n\n Si J. D. Vance devenait pr\u00e9sident avant ou apr\u00e8s janvier 2029, le processus de suicide de l\u2019empire am\u00e9ricain issu des guerres mondiales pourrait s\u2019acc\u00e9l\u00e9rer. Vance a pour lui la jeunesse et l’\u00e9nergie ; il a l’habilet\u00e9 et la structure mentale d\u2019un id\u00e9ologue radical<\/a>.<\/p>\n\n\n\n En attendant, c\u2019est \u00e0 Trump que nous avons \u00e0 faire, sans doute jusqu\u2019au terme de son mandat \u00e9lectif le 20 janvier 2029.<\/p>\n\n\n\n Or il faut ici dissiper une illusion.<\/p>\n\n\n\n Trump est souvent pr\u00e9sent\u00e9 comme un homme transactionnel et il se compla\u00eet \u00e0 poser en dealmaker<\/em>.<\/p>\n\n\n\n Une Am\u00e9rique purement transactionnelle serait certes un pays sans alli\u00e9s p\u00e9rennes et sans r\u00e9seaux stables d\u2019alliances, un empire fait d\u2019une certaine dose de cynisme o\u00f9 toute relation est donnant-donnant. Mais un empire transactionnel n’est pas un acteur sans r\u00e8gles claires et rationnelles \u2014 sinon, les deals<\/em> ne peuvent pas tenir.<\/p>\n\n\n\n M\u00eame la Mafia a ses r\u00e8gles.<\/p>\n\n\n\n Reconna\u00eetre la puissance am\u00e9ricaine et parler en m\u00eame temps de suicide peut para\u00eetre paradoxal, mais l\u2019histoire des grands empires nous rappelle que ceux-ci sont mortels.<\/p>Fran\u00e7ois Heisbourg<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Or ce \u00e0 quoi l\u2019on assiste sous ce mandat est radicalement diff\u00e9rent.<\/p>\n\n\n\n Trump est bien moins un dealmaker<\/em> qu\u2019un pr\u00e9dateur<\/a> ou un vandale. Ce sont ses pulsions individuelles et un principe de jouissance personnel qui commandent son comportement politique et strat\u00e9gique. Ainsi, ce qui se passe en mati\u00e8re de d\u00e9mant\u00e8lement du syst\u00e8me des \u00e9changes commerciaux internationaux n’est pas un acte de pr\u00e9dation, c’est un acte de mutilation et d’automutilation, l\u2019oppos\u00e9 d\u2019une Realpolitik<\/em> ou d\u2019un transactionnalisme pragmatique.<\/p>\n\n\n\n Donald Trump m\u00e9prise les faibles et s\u2019incline devant les forts : sensible \u00e0 la flatterie, il abhorre cependant les flagorneurs jug\u00e9s impuissants. Cela vaut sp\u00e9cialement pour les alli\u00e9s europ\u00e9ens : nous paierons cher l\u2019obs\u00e9quiosit\u00e9 manifest\u00e9e lors du r\u00e9cent sommet de l\u2019OTAN \u00e0 La Haye<\/a>. <\/p>\n\n\n\n Ces diff\u00e9rents \u00e9l\u00e9ments, qui sapent les \u00c9tats-Unis, sont d\u2019initiative am\u00e9ricaine \u2014 d\u2019o\u00f9 le terme de suicide. On retrouve un processus semblable dans bien d’autres domaines que celui du commerce international.<\/p>\n\n\n\n La Chine ou la Russie peuvent \u00eatre tent\u00e9s d\u2019assister ce suicide, mais ils n\u2019en sont pas la cause principale.<\/p>\n\n\n\n Le cas de la Russie et de son autocrate Vladimir Poutine est assez diff\u00e9rent.<\/p>\n\n\n\n Tout d\u2019abord, en dehors du domaine nucl\u00e9aire, la Russie n\u2019a pas les facteurs de puissance que continuent de poss\u00e9der les \u00c9tats-Unis, \u00e9conomiquement forts et technologiquement innovants. Au plan \u00e9conomique, la Russie ne fait pas le poids : elle a le PIB de l\u2019Espagne.<\/p>\n\n\n\n Vladimir Poutine nous rappelle qu’il faut toujours \u00e9couter les dictateurs lorsqu\u2019ils d\u00e9crivent leurs projets.<\/p>\n\n\n\n En 2021, c\u2019est ce que fit le ma\u00eetre du Kremlin au sujet de l\u2019Ukraine ou de l\u2019avenir de l\u2019Europe.<\/p>\n\n\n\n En l’absence d’un syst\u00e8me o\u00f9 le d\u00e9bat d\u00e9mocratique permet de faire \u00e9merger une d\u00e9cision, l’autocrate est amen\u00e9 \u00e0 d\u00e9crire \u00e0 ses subordonn\u00e9s quelle est la direction dans laquelle il faut aller. Poutine ne parle pas pour ne rien dire : ses discours ne sont pas qu\u2019une op\u00e9ration de communication<\/a>.<\/p>\n\n\n\n Nous avons pens\u00e9 le contraire et ne l\u2019avons pas pris au s\u00e9rieux lors de son c\u00e9l\u00e8bre discours de Munich en 2007, o\u00f9 le pr\u00e9sident russe annon\u00e7ait le retour de la Russie sur la sc\u00e8ne internationale, mettant en garde les autres \u00c9tats. De m\u00eame, en 2014, lorsque la Russie a envahi et annex\u00e9 un territoire \u00e9tranger \u2014 la Crim\u00e9e \u2014 nous n’avons pas r\u00e9agi avec la vigueur n\u00e9cessaire alors m\u00eame que la Russie n\u2019avait pas encore les moyens militaires de ses ambitions.<\/p>\n\n\n\n Le pr\u00e9c\u00e9dent \u00e9tait pourtant redoutable, puisqu\u2019il s\u2019agissait de la premi\u00e8re annexion de vive force en Europe depuis 1945, alors m\u00eame que le caract\u00e8re ukrainien de la Crim\u00e9e avait \u00e9t\u00e9 reconnu par les trait\u00e9s. En 1994, dans ce qu’on a appel\u00e9 le \u00ab M\u00e9morandum de Budapest \u00bb, les \u00c9tats-Unis, le Royaume-Uni et la Russie avaient non seulement reconnu les fronti\u00e8res de l’Ukraine telle qu\u2019elle \u00e9tait alors, mais s’en \u00e9taient port\u00e9s garants. On sait ce qu’il en est advenu.<\/p>\n\n\n\n De m\u00eame, en juillet 2021, juste avant le d\u00e9but de l\u2019invasion \u00e0 grande \u00e9chelle du territoire ukrainien en f\u00e9vrier 2022, nous n’avons pas suffisamment pr\u00eat\u00e9 attention aux \u00e9crits \u00e9labor\u00e9s de Poutine concernant la nature de l’Ukraine. Le pr\u00e9sident russe faisait valoir sur le site du Kremlin que l\u2019Ukraine n’\u00e9tait pas un peuple, ni une nation, ni un \u00c9tat ; il soutenait qu\u2019elle faisait partie de la Russie.<\/p>\n\n\n\n C’\u00e9tait l\u00e0 un signe pr\u00e9curseur fort de ce qui allait se passer l’ann\u00e9e suivante.<\/p>\n\n\n\n Plus important peut-\u00eatre, peu de temps apr\u00e8s, la Russie d\u00e9posait en d\u00e9cembre 2021 deux trait\u00e9s dits de s\u00e9curit\u00e9 que la F\u00e9d\u00e9ration voulait imposer sur le mode de l’ultimatum. Ces trait\u00e9s furent confi\u00e9s aux \u00c9tats-Unis et \u00e0 l’OTAN plut\u00f4t qu\u2019\u00e0 leurs \u00ab domestiques europ\u00e9ens \u00bb, pour reprendre les mots de l\u2019ancien pr\u00e9sident Dimitri Medvedev<\/a>. S’ils avaient \u00e9t\u00e9 accept\u00e9s, ils auraient eu pour effet de ramener la situation strat\u00e9gique \u00e0 ce qu’elle avait \u00e9t\u00e9 \u00e0 la fin de la guerre froide.<\/p>\n\n\n\n On a depuis largement oubli\u00e9 ce signe pr\u00e9curseur de la guerre en Ukraine. Pourtant, les trait\u00e9s avaient alors ciment\u00e9 une rare unanimit\u00e9 parmi tous les alli\u00e9s euro-am\u00e9ricains. M\u00eame la Hongrie de Viktor Orb\u00e1n avait compris que ce n’\u00e9tait pas une bonne id\u00e9e que la Russie redevienne le centre d’un empire recr\u00e9\u00e9 qui serait devenu la premi\u00e8re puissance d’Europe.<\/p>\n\n\n\n Cette ambition n’a pas disparu et nous aurions bien tort de faire comme si elle n’existait pas.<\/p>\n\n\n\n Vladimir Poutine nous rappelle qu’il faut toujours \u00e9couter les dictateurs lorsqu\u2019ils d\u00e9crivent leurs projets.<\/p>Fran\u00e7ois Heisbourg<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Le 24 f\u00e9vrier 2022, les forces russes tentent d\u2019envahir l\u2019Ukraine et sa capitale. Les Ukrainiens repoussent l\u2019assaut \u2014 mal con\u00e7u, mal pr\u00e9par\u00e9 et mal ex\u00e9cut\u00e9.<\/p>\n\n\n\n L\u2019arm\u00e9e russe a certes \u00e9norm\u00e9ment souffert pendant la guerre d’Ukraine ; le combat lui a n\u00e9anmoins appris beaucoup de choses.<\/p>\n\n\n\n Les forces russes se sont adapt\u00e9es et, aujourd’hui, aucun \u00c9tat europ\u00e9en pris isol\u00e9ment ne pourrait fournir un effort comparable \u00e0 celui de la Russie depuis maintenant trois ans et demi.<\/p>\n\n\n\n Si elle devait l’emporter contre l\u2019Ukraine, il y a fort \u00e0 parier, h\u00e9las, qu’elle en tirerait la conclusion que la reconstitution de l\u2019empire des Tsars est \u00e0 port\u00e9e de main, d\u2019autant que ses voisins imm\u00e9diats n\u2019ont ni les capacit\u00e9s militaires, ni la population, ni la superficie de l\u2019Ukraine.<\/p>\n\n\n\n D\u00e8s lors que les \u00c9tats-Unis ne seraient plus le garant inconditionnel de la s\u00e9curit\u00e9 de l’Europe, prendre la Lituanie, la traverser pour \u00e9tablir la continuit\u00e9 territoriale avec l\u2019enclave de Kaliningrad, c’est infiniment moins difficile que de s’en prendre \u00e0 l\u2019Ukraine, un pays plus grand que la France. <\/p>\n\n\n\n C\u2019est dans cette direction-l\u00e0 que nous allons.<\/p>\n\n\n\n Il n’y a pas de raison particuli\u00e8re pour que la Russie s’abstienne de pousser son avantage au plan militaire et politique, notamment pour remplir son agenda tel que d\u00e9fini dans les trait\u00e9s de s\u00e9curit\u00e9 de d\u00e9cembre 2021.<\/p>\n\n\n\n Quant \u00e0 l’\u00e9conomie russe<\/a>, elle n’est pas en tr\u00e8s bon \u00e9tat. Cependant, si les sanctions sont d\u00e9sagr\u00e9ables, elles n\u2019emp\u00eachent pas la Russie de faire une guerre qui p\u00e8se \u00e0 peine plus sur elle que ne le faisait jadis la guerre d\u2019Alg\u00e9rie pour la France, qui ne s\u2019arr\u00eata pas parce que la R\u00e9publique manquait d\u2019hommes ou d\u2019argent \u2014 500 000 soldats et 6 % du PIB \u2014 mais parce que le g\u00e9n\u00e9ral de Gaulle eut le courage politique et personnel, et en d\u00e9pit des grandes difficult\u00e9s que cela amenait, de tourner notre pays vers d\u2019autres horizons apr\u00e8s sept ans de combats imp\u00e9riaux.<\/p>\n\n\n\n Poutine n\u2019est pas de Gaulle.<\/p>\n\n\n\n\n Venons-en \u00e0 la Chine, le seul rival strat\u00e9gique de la superpuissance am\u00e9ricaine.<\/p>\n\n\n\n Une premi\u00e8re question se pose ici : avons-nous atteint \u2014 comme le pr\u00e9tendent certains experts \u2014 le \u00ab peak China<\/em> \u00bb ?<\/p>\n\n\n\n Selon cette notion, la Chine aurait atteint le maximum de sa puissance relative par rapport aux \u00c9tats-Unis. Or si le Parti communiste chinois, auquel ob\u00e9it directement l\u2019Arm\u00e9e populaire de lib\u00e9ration, devait parvenir \u00e0 cette conclusion, il ne faudrait pas s\u2019attendre \u00e0 ce que la Chine s\u2019assagisse.<\/p>\n\n\n\n Au contraire, cela pourrait pr\u00e9cipiter certaines actions, notamment vis-\u00e0-vis de Ta\u00efwan.<\/p>\n\n\n\n Une analogie avec le Japon des ann\u00e9es 1930 doit nous alerter. Ayant atteint le pic de ses capacit\u00e9s militaires, l\u2019empire japonais avait d\u00e9cid\u00e9 qu’il fallait frapper plus t\u00f4t que tard les forces am\u00e9ricaines et britanniques. Aujourd\u2019hui, pour la Chine et le Parti communiste chinois en particulier, le pr\u00e9tendu retour de Ta\u00efwan \u00e0 la m\u00e8re patrie est un imp\u00e9ratif cat\u00e9gorique ; il convient de l\u2019accomplir de gr\u00e9 ou de force, et de pr\u00e9f\u00e9rence sous Xi Jinping, qui a \u00e9t\u00e9 sacr\u00e9 successeur institutionnel et id\u00e9ologique de Mao Zedong.<\/p>\n\n\n\n Or l\u00e0 o\u00f9 le pr\u00e9sident Biden \u00e9voquait la garantie de d\u00e9fense am\u00e9ricaine vis-\u00e0-vis de Ta\u00efwan, Trump ne mentionne rien de tel : les ingr\u00e9dients d\u2019un accident strat\u00e9gique, n\u00e9 d\u2019une erreur de calcul chinoise ou am\u00e9ricaine quant aux intentions de l\u2019adversaire, sont ainsi en train d\u2019\u00eatre r\u00e9unis.<\/p>\n\n\n\n Cet incident ne conduira pas forc\u00e9ment \u00e0 la guerre, la Chine pouvant esp\u00e9rer s\u2019approprier Ta\u00efwan par d\u2019autres formes de pression ; pourtant, dans le rapport de force strat\u00e9gique entre la Chine et les \u00c9tats-Unis dans la r\u00e9gion Indo-Pacifique, la mani\u00e8re dont sera scell\u00e9 le sort de Ta\u00efwan jouera un r\u00f4le important. <\/p>\n\n\n\n Aucun \u00c9tat europ\u00e9en pris isol\u00e9ment ne pourrait fournir un effort comparable \u00e0 celui de la Russie depuis maintenant trois ans et demi.<\/p>Fran\u00e7ois Heisbourg<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Les interactions entre les trois grands p\u00f4les de puissance \u2014 Chine, Russie et \u00c9tats-Unis \u2014 peuvent \u00eatre lourdes de cons\u00e9quences.<\/p>\n\n\n\n La premi\u00e8re grande interaction, celle entre la Chine et la Russie, est peut-\u00eatre la plus importante \u00e0 l\u2019heure actuelle : contrairement aux sc\u00e9narios impliquant Ta\u00efwan, elle est r\u00e9elle et non virtuelle.<\/p>\n\n\n\n Nous savons que la Chine et la Russie s’\u00e9paulent diplomatiquement et qu\u2019il existe entre elles un partenariat strat\u00e9gique. Celui-ci est important et solide ; il est une donn\u00e9e d’entr\u00e9e pour tout ce qui existe aujourd’hui, et pour tout ce qui viendra dans les prochaines ann\u00e9es. La Chine et la Russie ont un ennemi commun : les \u00c9tats-Unis en particulier, et les d\u00e9mocraties en g\u00e9n\u00e9ral.<\/p>\n\n\n\n Ce partenariat n\u2019est pourtant pas une alliance : il ne faut pas partir du principe que la Chine deviendra un cobellig\u00e9rant en Ukraine, ou que la Russie deviendra un cobellig\u00e9rant avec la Chine contre ses ennemis en Asie-Pacifique. Chacun conserve ses mains libres par rapport \u00e0 ses objectifs nationaux particuliers.<\/p>\n\n\n\n C’est pr\u00e9cis\u00e9ment ce qui donne une forme de r\u00e9silience \u00e0 ce partenariat ; s’il s’agissait d’une alliance, la situation pourrait devenir ing\u00e9rable. Somme toute, mieux vaut respecter la diff\u00e9rence de priorit\u00e9s r\u00e9gionales de chacun, si l\u2019on ne perd pas de vue l\u2019essentiel : affaiblir l\u2019Occident, et en particulier les \u00c9tats-Unis. On s\u2019accorde alors, notamment en Asie centrale, pour ne pas pousser ses pions trop brutalement, au d\u00e9triment du partenaire ; ce m\u00eame s\u2019il est manifeste que la Chine tient un plus grand b\u00e2ton que la Russie.<\/p>\n\n\n\n En effet, le partenariat sino-russe a de tr\u00e8s fortes raisons d’\u00eatre<\/a> : il ne sera pas facile de le briser, ni de l\u2019ignorer tant il est important.<\/p>\n\n\n\n Cette \u00ab amiti\u00e9 \u00bb continuera \u00e0 structurer le syst\u00e8me international, en tentant d\u2019y adjoindre des dictatures complices (Cor\u00e9e du Nord, Iran), ou m\u00eame l\u2019Inde immense que Trump a voulu humilier strat\u00e9giquement et \u00e9conomiquement, sans autre raison que son impulsion vandale.<\/p>\n\n\n\n L\u2019autre interaction ma\u00eetresse \u2014 primordiale pour l\u2019Europe \u2014 concerne les relations transatlantiques. La plan\u00e8te MAGA dans son ensemble<\/a>, tout comme Trump en particulier, m\u00e9prise l’Europe. Pour des raisons id\u00e9ologiques, le vice-pr\u00e9sident Vance a exag\u00e9r\u00e9 cette ligne dans son discours anti-europ\u00e9en et anti-lib\u00e9ral \u00e0 Munich<\/a>, en f\u00e9vrier 2025. <\/p>\n\n\n\n Dans un monde brutal mais transactionnel, les relations euro-am\u00e9ricaines pourraient \u00e9voluer vers un sch\u00e9ma simple et rationnel : le protecteur am\u00e9ricain reprocherait aux Europ\u00e9ens de ne pas payer assez pour leur s\u00e9curit\u00e9, pour l\u2019achat d\u2019armes produites aux \u00c9tats-Unis ou la pr\u00e9sence de soldats am\u00e9ricains sur le continent.<\/p>\n\n\n\n Un tel discours n\u2019est pas le monopole de Trump ou des R\u00e9publicains. Il comporte quelques \u00e9l\u00e9ments v\u00e9ridiques \u2014 la plupart des pays europ\u00e9ens paient moins pour notre s\u00e9curit\u00e9 que les \u00c9tats-Unis \u2014, d\u2019autres n\u2019ayant que l\u2019apparence de la v\u00e9rit\u00e9 : les bases am\u00e9ricaines en Europe servent surtout pour assurer la logistique des forces am\u00e9ricaines au Moyen-Orient et dans l\u2019oc\u00e9an Indien ; de m\u00eame, l\u2019industrie de d\u00e9fense am\u00e9ricaine est \u00e0 la peine pour assurer les besoins des \u00c9tats-Unis<\/a>.<\/p>\n\n\n\n Si la pression am\u00e9ricaine n\u2019\u00e9tait que cela, la situation serait d\u00e9sagr\u00e9able pour l\u2019Europe, mais elle saurait ce qu\u2019il lui convient de faire. Un nom a \u00e9t\u00e9 donn\u00e9 pour cette solution : l\u2019autonomie strat\u00e9gique.<\/p>\n\n\n\n La r\u00e9alit\u00e9 et les perspectives sont d\u2019ores et d\u00e9j\u00e0 au-del\u00e0 de ce sch\u00e9ma. Les \u00c9tats-Unis ont cess\u00e9 d\u2019aider l\u2019Ukraine : ils vendent d\u00e9sormais, sans faire de cadeaux. Trump a certes accept\u00e9 le langage du sommet de La Haye sur l\u2019article 5 d\u2019assistance mutuelle de l\u2019OTAN ; il a cependant indiqu\u00e9 la veille qu\u2019il y avait diverses fa\u00e7ons d\u2019interpr\u00e9ter le sujet : selon lui, dans cette transaction, l\u2019Europe paie sans que les \u00c9tats-Unis s\u2019engagent \u00e0 garantir la s\u00e9curit\u00e9. Ce n\u2019est pas non plus un secret que le manque d\u2019opposition de l\u2019Union aux droits de douane am\u00e9ricains est largement d\u00fb \u00e0 la crainte que Trump ne prenne des repr\u00e9sailles dans le domaine de la s\u00e9curit\u00e9.<\/p>\n\n\n\n Il ne fait pas bon d\u2019\u00eatre un alli\u00e9 des \u00c9tats-Unis dans ces circonstances.<\/p>\n\n\n\n Il faudra \u00e0 l\u2019Europe beaucoup de chance.<\/p>Fran\u00e7ois Heisbourg<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Dans une sorte d\u2019alliance \u00e0 revers, on pourrait envisager une mont\u00e9e en puissance des relations euro-chinoises.<\/p>\n\n\n\n L\u2019Europe et la Chine sont d\u00e9j\u00e0 des partenaires commerciaux extr\u00eamement importants : la Chine commerce plus avec l\u2019Europe qu\u2019avec les \u00c9tats-Unis.<\/p>\n\n\n\n Cette d\u00e9pendance n\u2019est pas \u00e0 sens unique : l\u2019Allemagne, premi\u00e8re puissance \u00e9conomique europ\u00e9enne, est fortement d\u00e9pendante de ses exportations industrielles vers la Chine, en particulier pour ce qui touche au secteur automobile. <\/p>\n\n\n\n Certains esp\u00e8rent que se constitue un front du refus \u2014 opposant la Chine et l\u2019Europe aux \u00c9tats-Unis \u2014 mais celui-ci n\u2019adviendra pas : il n\u2019entre pas dans les vues de P\u00e9kin.<\/p>\n\n\n\n La Chine se montre commercialement pr\u00e9datrice, comme en attestent sa politique en mati\u00e8re de contr\u00f4le des exportations de terres rares ou son agressivit\u00e9 \u00e0 l\u2019encontre de l\u2019industrie automobile allemande.<\/p>\n\n\n\n P\u00e9kin n\u2019a pas pour objectif de faciliter nos rapports avec les \u00c9tats-Unis, ni sur le plan commercial, ni sur le plan strat\u00e9gique ; elle ambitionne plut\u00f4t d\u2019approfondir sa relation avec la Russie, qui lui est fortement avantageuse. <\/p>\n\n\n\n L\u2019Europe peut certes faire jouer au coup par coup le facteur chinois<\/a> contre telle ou telle pr\u00e9tention am\u00e9ricaine, mais il ne peut s\u2019agir d\u2019une strat\u00e9gie de substitution.<\/p>\n\n\n\n Face \u00e0 cette situation et aux d\u00e9fis tripolaires dont elle est assortie, l\u2019Europe n\u2019est pas pour l’instant ce \u00ab grand corps malade \u00bb que se complaisent \u00e0 d\u00e9crire \u2014 parfois avec une d\u00e9lectation morose \u2014 de nombreux commentateurs. Elle n\u2019est pas sans quelques atouts que l\u2019intelligence et la volont\u00e9 lui permettront de valoriser, profitant de ce que les \u00c9tats-Unis, la Russie et la Chine ne sont pas toujours dans une forme \u00e9blouissante, ni ne sont infaillibles. <\/p>\n\n\n\n Il faudra n\u00e9anmoins \u00e0 l\u2019Europe beaucoup de chance.<\/p>\n\n\n\n Consid\u00e9rons d\u2019abord l\u2019\u00e9conomie, les finances publiques et l\u2019innovation technologique. <\/p>\n\n\n\n Les \u00c9tats-Unis ont une dette publique digne de la France et un d\u00e9ficit budg\u00e9taire et une balance commerciale pire encore que ceux de ce pays. L\u2019Union et la zone euro dans leur ensemble font mieux.<\/p>\n\n\n\n Certes, les \u00c9tats-Unis continuent de b\u00e9n\u00e9ficier du privil\u00e8ge exorbitant du dollar ; on ne sait cependant si cet avantage pourra \u00eatre maintenu ; la Chine s\u2019achemine vers des taux de croissance r\u00e9els plus modestes sur fond de d\u00e9s\u00e9quilibres financiers internes. Ensemble, les deux g\u00e9ants dominent la nouvelle fronti\u00e8re qu\u2019est l\u2019IA : l\u2019entreprise Mistral \u00e0 elle seule ne fait pas un printemps europ\u00e9en en la mati\u00e8re \u2014 ou du moins pas encore.<\/p>\n\n\n\n Toutefois, l\u2019instinct trumpien d\u2019automutilation ouvre de nouvelles perspectives : avec des visas de travail H1B am\u00e9ricains d\u00e9sormais vendus \u00e0 100 000 dollars, les \u00c9tats-Unis am\u00e8neront de nombreux techniciens ing\u00e9nieurs, chercheurs des pays du Sud, \u00e0 se pr\u00e9senter sur des march\u00e9s du travail plus accueillants \u2014 comme ceux de l\u2019Union. <\/p>\n\n\n\n Nombre de doctorants am\u00e9ricains et non-am\u00e9ricains sont d\u00e9courag\u00e9s de s\u2019inscrire dans des universit\u00e9s punies par l\u2019administration Trump : la capacit\u00e9 d\u2019innovation am\u00e9ricaine en souffrira. Saurons-nous leur d\u00e9rouler le tapis rouge ?<\/p>\n\n\n\n Il existe d\u2019autres perspectives pour l\u2019Europe.<\/p>\n\n\n\n Mario Draghi<\/a> et Enrico Letta<\/a> ont fort bien dress\u00e9 la feuille de route dont l\u2019Europe a besoin en termes de comp\u00e9titivit\u00e9 \u00e9conomique, de puissance financi\u00e8re et d\u2019innovation ; malheureusement, il n\u2019en est pas advenu grand-chose : d\u2019apr\u00e8s le think tank European Policy Innovation Council, \u00e0 peine 11 % des recommandations du rapport Draghi ont fait l\u2019objet d\u2019une amorce d\u2019ex\u00e9cution.<\/p>\n\n\n\n La situation est diff\u00e9rente dans le domaine de la d\u00e9fense.<\/p>\n\n\n\n Or l\u2019avenir de notre continent se joue d\u00e9sormais sur ce terrain-l\u00e0, apr\u00e8s un tiers de si\u00e8cle \u00e0 toucher les \u00ab dividendes de la paix \u00bb, \u00e0 jouir aussi d\u2019un argent trop bon march\u00e9 dont l\u2019Europe n\u2019a pas su faire bon usage pour assurer sa s\u00e9curit\u00e9.<\/p>\n\n\n\n Les nouvelles sur le front de la d\u00e9fense sont certes ambigu\u00ebs, selon que l\u2019on consid\u00e8re le court ou le moyen terme.<\/p>\n\n\n\n En ce moment, du point de vue militaire, l’Europe est dans une situation de d\u00e9pendance extr\u00eame vis-\u00e0-vis des \u00c9tats-Unis, et dans une situation de faiblesse mortif\u00e8re vis-\u00e0-vis de la Russie.<\/p>\n\n\n\n L’Europe n’a pas aujourd’hui en sa possession la masse d\u2019\u00e9quipements n\u00e9cessaire pour assurer la d\u00e9fense de l\u2019Ukraine ou la sienne propre ; il lui manque ce qu\u2019on appelle dans les termes de l\u2019OTAN les \u00ab enablers<\/em> \u00bb, c’est-\u00e0-dire les moyens militaires rendant possible la conduite des op\u00e9rations \u00e0 l’\u00e9chelle strat\u00e9gique.<\/p>\n\n\n\n Nos capacit\u00e9s sont insuffisantes en mati\u00e8re de ravitaillement au vol, de transport a\u00e9rien \u00e0 long rayon d’action, de collecte et d\u2019exploitation \u00e0 grande \u00e9chelle du renseignement, ou de d\u00e9fense a\u00e9rienne contre les drones et les missiles russes. C\u2019est moins le savoir-faire qui nous manque que les proc\u00e9dures et les infrastructures permettant le passage \u00e0 l\u2019\u00e9chelle industrielle, en temps et en heure.<\/p>\n\n\n\n Aujourd\u2019hui, l\u2019Europe n’est pas en situation de remplacer militairement les \u00c9tats-Unis si ces derniers retirent leur soutien \u00e0 l’Ukraine \u2014 et se d\u00e9sengagent plus g\u00e9n\u00e9ralement de la d\u00e9fense de l’Europe. Nous n\u2019avons ni l\u2019effet de masse am\u00e9ricain, ni la capacit\u00e9 de mobilisation militaire de la Russie, ni l\u2019agilit\u00e9 militaro-industrielle de l\u2019Ukraine.<\/p>\n\n\n\n En revanche, si l\u2019on se projette cinq ou dix ans en avant, et au vu des engagements de d\u00e9penses pris par les pays europ\u00e9ens les plus importants, nous saurons nous prendre en charge militairement.<\/p>\n\n\n\n Nous ma\u00eetrisons les technologies n\u00e9cessaires. <\/p>\n\n\n\n L\u2019Allemagne est en train de tripler ses d\u00e9penses militaires.<\/p>\n\n\n\n La France, puissance nucl\u00e9aire de l\u2019Union, a augment\u00e9 les siennes de moiti\u00e9 depuis la fin de la derni\u00e8re d\u00e9cennie.<\/p>\n\n\n\n La Pologne leur consacre pr\u00e8s de 5 % de son PIB \u2014 c\u2019est largement plus que les 3,3 % du PIB que consacrent les \u00c9tats-Unis aux d\u00e9penses militaires pour faire face \u00e0 leurs obligations \u00e0 l\u2019\u00e9chelle de la plan\u00e8te.<\/p>\n\n\n\n La prise en charge par l\u2019Europe de sa s\u00e9curit\u00e9 est donc possible dans cinq ou dix ans. <\/p>\n\n\n\n Malheureusement, la Russie le sait comme nous ; il est possible qu\u2019elle ne reste pas l\u2019arme au pied durant cet intervalle de temps. Force nous sera non seulement de redoubler d\u2019efforts, mais de puiser aussi chez des fournisseurs non-Europ\u00e9ens : \u00c9tats-Unis, Cor\u00e9e du Sud, pays du Sud global.<\/p>\n\n\n\n Le Royaume-Uni est une puissance europ\u00e9enne.<\/p>Fran\u00e7ois Heisbourg<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n En termes strat\u00e9giques, trois ou quatre pays vont faire ou d\u00e9faire la capacit\u00e9 de l’Europe \u00e0 r\u00e9soudre le probl\u00e8me \u00e0 trois corps que nous vivons.<\/p>\n\n\n\n Le premier pays \u00e0 jouer un r\u00f4le est naturellement l’Allemagne.<\/p>\n\n\n\n Celle-ci a su proc\u00e9der, en l’espace de quelques mois et avant m\u00eame que le nouveau gouvernement soit en place, \u00e0 une vaste r\u00e9vision constitutionnelle, notamment en ce qui concerne le recours \u00e0 la dette et au financement des d\u00e9penses militaires ; cette r\u00e9vision s\u2019est faite en partant d\u2019un syst\u00e8me constitutionnel et \u00e9lectoral \u00e0 rebours du syst\u00e8me fran\u00e7ais.<\/p>\n\n\n\n Un tel changement est une bonne nouvelle ; toutefois, vu la progression en Allemagne des partis pro-russes<\/a> \u2014 notamment l’AfD que soutient J. D. Vance \u2014 on peut se demander si la coalition au pouvoir saura tenir la distance. <\/p>\n\n\n\n D\u2019un autre c\u00f4t\u00e9, l\u2019Europe peut compter sur la France, avec ses excellentes forces arm\u00e9es et son arme nucl\u00e9aire. Chacun conna\u00eet cependant la situation politique du pays et les incertitudes qui en d\u00e9coulent ; \u00e0 la diff\u00e9rence du gouvernement Meloni en Italie, un \u00e9ventuel gouvernement dirig\u00e9 par le Rassemblement national en France ne serait peut-\u00eatre pas force de proposition pour la d\u00e9fense du continent face \u00e0 la pouss\u00e9e russe. Quant \u00e0 l’extr\u00eame gauche, sa complaisance vis-\u00e0-vis des dictateurs chinois, latino-am\u00e9ricains ou russes, est bien document\u00e9e. <\/p>\n\n\n\n Le Royaume-Uni est une autre puissance europ\u00e9enne. La France vient de signer avec lui les accords de Northwood, qui dessinent pour la premi\u00e8re fois la perspective d\u2019une dissuasion nucl\u00e9aire europ\u00e9enne commune, alors m\u00eame que la garantie nucl\u00e9aire am\u00e9ricano-otanienne pourrait ne pas \u00eatre maintenue.<\/p>\n\n\n\n Ce partenaire britannique est un avantage solide ; en l\u2019absence d\u2019\u00e9lections g\u00e9n\u00e9rales pr\u00e9vues au Royaume-Uni durant les prochaines ann\u00e9es, on pourrait penser que sa stabilit\u00e9 strat\u00e9gique et politique est assur\u00e9e. Il y a cependant lieu d\u2019en douter, car la majorit\u00e9 gouvernementale travailliste souffre d\u2019une d\u00e9saffection croissante \u2014 et son opposition conservatrice se divise comme un puzzle en ses pi\u00e8ces. Les sondages placent d\u00e9sormais le parti Reform de Nigel Farage en t\u00eate des intentions de vote<\/a>.<\/p>\n\n\n\n D\u2019un autre c\u00f4t\u00e9, la Pologne \u2014 qui est devenue le p\u00f4le militaire de l\u2019Union en Europe centrale \u2014 est elle aussi profond\u00e9ment divis\u00e9e au plan politique, avec une cohabitation particuli\u00e8rement dure entre le Premier ministre Tusk et le pr\u00e9sident Nawrocki.<\/p>\n\n\n\n Si d\u2019autres pays europ\u00e9ens ont un poids consid\u00e9rable, notamment l\u2019Italie de Giorgia Meloni, c\u2019est d\u2019abord \u00e0 Berlin, Paris, dans le Londres du Brexit et \u00e0 Varsovie que se joue le regain ou le d\u00e9clin de l\u2019Europe.<\/p>\n\n\n\n Il est heureux que ces quatre-l\u00e0 coop\u00e8rent \u00e9troitement sur les questions de d\u00e9fense. <\/p>\n\n\n\n Cette bonne entente sera mise \u00e0 rude \u00e9preuve si des d\u00e9s\u00e9quilibres importants devaient appara\u00eetre en termes de d\u00e9penses militaires, avec une Allemagne en pleine croissance face \u00e0 une France qui ne parviendrait pas \u00e0 suivre le rythme.<\/p>\n\n\n\n Pour l’Europe, pour l’Union en particulier, il est absolument vital que l’Ukraine ne soit pas subjugu\u00e9e par la Russie<\/a>.<\/p>\n\n\n\n Cela signifie qu’il faut aider l’Ukraine militairement, comme nous le faisons depuis trois ans et demi, et davantage que nous ne l’avons fait, pour suppl\u00e9er \u00e0 la fin effective du soutien am\u00e9ricain.<\/p>\n\n\n\n Car si les \u00c9tats-Unis n’ont pas arr\u00eat\u00e9 leurs exportations d’armement vers l’Ukraine, les rapports sont devenus plus directement mercantiles.<\/p>\n\n\n\n Ces ventes doivent \u00eatre financ\u00e9es, les Ukrainiens n’en ont pas forc\u00e9ment la capacit\u00e9 et ce sont les Europ\u00e9ens qui doivent y pourvoir. Il est certes particuli\u00e8rement d\u00e9plaisant d’inviter le contribuable europ\u00e9en \u00e0 payer des syst\u00e8mes Patriot am\u00e9ricains pour d\u00e9fendre le ciel ukrainien, faute de moyens europ\u00e9ens \u00e9quivalents. Pourtant, c\u2019est ce qu\u2019il faut faire ponctuellement, non seulement pour des raisons strat\u00e9giques et humanitaires mais aussi pour des raisons de bon sens budg\u00e9taire.<\/p>\n\n\n\n Dans le domaine de l’aide militaire, la guerre d’Ukraine a co\u00fbt\u00e9 \u00e0 l’Europe \u00e0 peu pr\u00e8s 30 milliards d’euros par an depuis le d\u00e9but de l’invasion \u00e0 grande \u00e9chelle en f\u00e9vrier 2022. S’il faut remplacer les \u00c9tats-Unis, il sera n\u00e9cessaire de doubler ce chiffre, soit environ 60 milliards par an.<\/p>\n\n\n\n Une telle chose est-elle possible pour l\u2019Union ?<\/p>\n\n\n\n 60 milliards d’euros repr\u00e9sentent environ 0,2 % du PIB de l’Union et des membres non-am\u00e9ricains de l\u2019OTAN ; ce n\u2019est pas rien, mais c’est infiniment moins de ce qu’il faudrait d\u00e9penser si la Russie devait gagner la guerre d’Ukraine.<\/p>\n\n\n\n Certes, le probl\u00e8me sera plus facile \u00e0 g\u00e9rer si les fonds publics russes gel\u00e9s par Bruxelles \u2014 de l\u2019ordre de 200 milliards d\u2019euros \u2014 sont mobilis\u00e9s \u00e0 cette fin. Le sujet fait l\u2019objet d\u2019un examen attentif en ce moment. <\/p>\n\n\n\n C\u2019est d\u2019abord \u00e0 Berlin, Paris, dans le Londres du Brexit et \u00e0 Varsovie que se joue le regain ou le d\u00e9clin de l\u2019Europe.<\/p>Fran\u00e7ois Heisbourg<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\nLa fragilit\u00e9 de l\u2019Europe n\u2019est pas d\u00e9mographique<\/strong><\/h2>\n\n\n\n
Le vandale du Bureau ovale<\/strong><\/h2>\n\n\n\n
\u00ab La Russie n\u2019a pas de fronti\u00e8res \u00bb<\/strong><\/h2>\n\n\n\n
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La Chine est-elle sur la pente descendante ? <\/strong><\/h2>\n\n\n\n
Les trois p\u00f4les de puissance contemporains<\/strong><\/h2>\n\n\n\n
Un adieu qui s\u2019\u00e9ternise : la prise de distance euro-am\u00e9ricaine<\/strong><\/h2>\n\n\n\n
Prendre le probl\u00e8me \u00e0 rebours : l\u2019impossible alliance euro-chinoise <\/strong><\/h2>\n\n\n\n
L\u2019Europe n\u2019est pas un grand corps malade<\/strong><\/h2>\n\n\n\n
Du d\u00e9sengagement am\u00e9ricain \u00e0 l\u2019autonomie strat\u00e9gique<\/h2>\n\n\n\n
Quatre roues motrices pour l\u2019Europe<\/strong><\/h2>\n\n\n\n
Sursaut ou d\u00e9clin de l\u2019Europe ?<\/strong><\/h2>\n\n\n\n
Les nouveaux alli\u00e9s du \u00ab Sud global \u00bb<\/h2>\n\n\n\n