{"id":300119,"date":"2025-10-03T17:58:58","date_gmt":"2025-10-03T15:58:58","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=300119"},"modified":"2025-10-03T18:06:24","modified_gmt":"2025-10-03T16:06:24","slug":"geopolitique-de-la-sante-mondiale-peter-sands","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2025\/10\/03\/geopolitique-de-la-sante-mondiale-peter-sands\/","title":{"rendered":"G\u00e9opolitique de la sant\u00e9 mondiale : une conversation avec le directeur ex\u00e9cutif du Fonds de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme"},"content":{"rendered":"\n
Nous vivons dans un monde encore caract\u00e9ris\u00e9 par d\u2019immenses in\u00e9galit\u00e9s en mati\u00e8re de sant\u00e9, o\u00f9 les populations des communaut\u00e9s les plus pauvres meurent de maladies dont personne ne meurt dans les communaut\u00e9s les plus riches. Ce probl\u00e8me peut \u00eatre r\u00e9solu. Il ne faut pas des sommes colossales pour am\u00e9liorer de mani\u00e8re spectaculaire la sant\u00e9 des plus pauvres et des plus marginalis\u00e9s \u00e0 l\u2019\u00e9chelle mondiale. Compte tenu du rythme constant de l’innovation, notre capacit\u00e9 \u00e0 y parvenir ne cesse de se renforcer. <\/p>\n\n\n\n
Nous sommes en effet \u00e0 l’aube de la p\u00e9riode la plus passionnante dans la lutte contre le VIH depuis l’invention des antir\u00e9troviraux.<\/p>\n\n\n\n
Un nouvel outil de pr\u00e9vention, une PrEP injectable \u00e0 longue dur\u00e9e d’action appel\u00e9e Lenacapavir<\/em>, sera mis sur le march\u00e9 \u00e0 la fin de cette ann\u00e9e. <\/p>\n\n\n\n Tout d’abord, il ne n\u00e9cessite qu’une injection tous les six mois au lieu d’un comprim\u00e9 quotidien. Ensuite, les r\u00e9sultats des essais cliniques ont montr\u00e9 une efficacit\u00e9 de pr\u00e8s de 100 %, ce qui est extr\u00eamement rare dans la recherche m\u00e9dicale.<\/p>\n\n\n\n De plus, la vitesse \u00e0 laquelle nous d\u00e9ployons cette innovation, m\u00eame dans les r\u00e9gions les plus pauvres du monde, acc\u00e9l\u00e8re sans cesse.<\/p>\n\n\n\n Nous le rendons disponible \u00e0 grande \u00e9chelle dans les r\u00e9gions les plus pauvres, en m\u00eame temps que dans les pays \u00e0 revenu \u00e9lev\u00e9. Il sera davantage disponible dans les pays \u00e0 faible revenu que dans les pays \u00e0 revenu \u00e9lev\u00e9. Cela contraste avec l’histoire de la lutte contre le VIH, o\u00f9 il a fallu huit \u00e0 dix ans avant que les traitements antir\u00e9troviraux disponibles en Europe et en Am\u00e9rique du Nord n’atteignent l’Afrique. Au cours de cette p\u00e9riode, 10 \u00e0 12 millions de personnes qui auraient pu \u00eatre sauv\u00e9es sont d\u00e9c\u00e9d\u00e9es. Plus r\u00e9cemment encore, avec la b\u00e9daquiline, le principal traitement contre la tuberculose pharmacor\u00e9sistante, il a fallu huit ans pour obtenir l’autorisation r\u00e9glementaire aux \u00c9tats-Unis et pour d\u00e9ployer le m\u00e9dicament dans les pays pauvres.<\/p>\n\n\n\n Si nous parvenons \u00e0 r\u00e9duire ce d\u00e9lai et \u00e0 rendre les traitements disponibles simultan\u00e9ment dans les pays riches et les plus pauvres, cela constituera un changement positif consid\u00e9rable. Les gens sous-estiment l’impact du fardeau des maladies sur le d\u00e9veloppement social et \u00e9conomique au sens large. <\/p>\n\n\n\n Les donn\u00e9es montrent que lorsque la pr\u00e9valence du paludisme diminue, le niveau d’\u00e9ducation s’am\u00e9liore et la productivit\u00e9 du travail augmente : les gens ne sont plus malades tout le temps.<\/p>Peter Sands<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Je prendrais un exemple frappant : celui de l’esp\u00e9rance de vie en Zambie. Entre 2002 et 2022, elle a augment\u00e9 de 15 ans. Pr\u00e8s des deux tiers de cette am\u00e9lioration est due \u00e0 la r\u00e9duction de la mortalit\u00e9 li\u00e9e au VIH. La Zambie n’est pas un cas isol\u00e9 ; elle se situe en effet dans la moyenne des pays d’Afrique subsaharienne en termes de progr\u00e8s. Le Malawi, par exemple, a vu son esp\u00e9rance de vie augmenter de 19 ans au cours de la m\u00eame p\u00e9riode.<\/p>\n\n\n\n Or faire passer l’esp\u00e9rance de vie de 45 ans \u00e0 60 ans ne fait pas que sauver des vies mais transforme fondamentalement les soci\u00e9t\u00e9s. <\/p>\n\n\n\n Les familles ont \u00e0 nouveau des grands-parents ; il devient logique d’investir dans l’\u00e9ducation, car les gens peuvent esp\u00e9rer vivre assez longtemps pour en b\u00e9n\u00e9ficier. Dans l\u2019histoire de l’humanit\u00e9, \u00e0 ma connaissance, aucune p\u00e9riode n\u2019a vu une population aussi vaste conna\u00eetre une augmentation aussi rapide de son esp\u00e9rance de vie.<\/p>\n\n\n\n Repensez au Covid-19 : lorsque la pand\u00e9mie \u00e9tait \u00e0 son apog\u00e9e, elle a tout perturb\u00e9 : l’\u00e9ducation, la vie sociale, l’\u00e9conomie. C’est ce qui se passe tout le temps dans les communaut\u00e9s touch\u00e9es par le paludisme. Les donn\u00e9es montrent que lorsque la pr\u00e9valence du paludisme diminue, le niveau d’\u00e9ducation s’am\u00e9liore et la productivit\u00e9 du travail augmente : les gens ne sont plus malades tout le temps.<\/p>\n\n\n\n\n Les probl\u00e8mes dont il est question peuvent \u00eatre r\u00e9solus, et ce dans des d\u00e9lais relativement courts : pas dans trente ou cinquante ans, mais dans cinq ou dix ans. Nous pouvons faire d’\u00e9normes progr\u00e8s. <\/p>\n\n\n\n La question est de savoir si nous ferons les choix politiques n\u00e9cessaires pour y parvenir. <\/p>\n\n\n\n Le Fonds mondial a \u00e9t\u00e9 cr\u00e9\u00e9 en 2002 avec le soutien d’une coalition de personnalit\u00e9s : Jacques Chirac, George W. Bush, Kofi Annan, Bill Gates. Ensemble, ils ont cr\u00e9\u00e9 une nouvelle institution en dehors du syst\u00e8me des Nations unies, avec un mod\u00e8le distinct de partenariats inclusifs. D\u00e8s le d\u00e9but, elle a r\u00e9uni la soci\u00e9t\u00e9 civile, le secteur priv\u00e9, des philanthropes, des donateurs et des gouvernements charg\u00e9s de la mise en \u0153uvre. Cette caract\u00e9ristique d\u00e9terminante est rest\u00e9e inchang\u00e9e depuis lors et distingue le Fonds mondial de la plupart des autres institutions multilat\u00e9rales. <\/p>\n\n\n\n Ces personnalit\u00e9s de droite comme de gauche ont d\u00e9cid\u00e9 que le monde pouvait mieux faire en mati\u00e8re de sant\u00e9 mondiale : le Fonds mondial a \u00e9t\u00e9 l’un des r\u00e9sultats. <\/p>\n\n\n\n La question est maintenant de savoir si les dirigeants d’aujourd’hui ont le courage politique de red\u00e9couvrir les raisons qui font que nous avons lutt\u00e9 contre ces maladies \u2014 et pourquoi nous devons continuer \u00e0 le faire.<\/p>\n\n\n\n Nous traversons une p\u00e9riode tr\u00e8s difficile. Les \u00c9tats-Unis, de loin le plus grand fournisseur d’aide ext\u00e9rieure dans le domaine de la sant\u00e9, ont d’abord suspendu, puis consid\u00e9rablement r\u00e9duit leur financement<\/a>. <\/p>\n\n\n\n Dans le m\u00eame temps, tous les principaux pays du G7 sont le th\u00e9\u00e2tre d’un d\u00e9bat intense sur l’avenir de l’aide publique au d\u00e9veloppement. Au Royaume-Uni, par exemple, on se demande s\u2019il ne faudrait pas r\u00e9orienter ces fonds vers les d\u00e9penses de d\u00e9fense. Ailleurs, le nationalisme est le moteur de ce d\u00e9bat : les politiciens affirment que l’argent doit \u00eatre d\u00e9pens\u00e9 au niveau national et se demandent pourquoi il faudrait se soucier d’autres parties du monde.<\/p>\n\n\n\n Il est vrai que nous d\u00e9pendons d’un flux d’innovations biom\u00e9dicales : des produits, des outils comme la derni\u00e8re g\u00e9n\u00e9ration de moustiquaires \u2014 mais aussi des applications possibles gr\u00e2ce \u00e0 l\u2019IA. Toute r\u00e9duction du rythme ou du niveau des investissements dans la recherche dans ces domaines est pr\u00e9occupante. Pour des maladies comme le cancer ou la d\u00e9mence, il existe une forte incitation du secteur priv\u00e9, car de nombreuses personnes dans les pays riches sont touch\u00e9es. Les entreprises pharmaceutiques peuvent donc en tirer des profits ; mais pour des maladies comme le paludisme, l’incitation \u00e9conomique est relativement faible.<\/p>\n\n\n\n Le VIH a franchi un seuil marquant en 2023 : pour la premi\u00e8re fois, il y a eu plus de nouveaux cas en dehors de l’Afrique que sur ce continent.<\/p>Peter Sands<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n C’est la raison pour laquelle nous nous inqui\u00e9tons aussi du ralentissement de l’innovation. L’impact ne serait pas imm\u00e9diat : la recherche et le d\u00e9veloppement actuels portent sur des produits qui ne seront disponibles que dans cinq ou dix ans. L’effet d’une r\u00e9duction des investissements sera donc diff\u00e9r\u00e9. Pour l’instant, nous disposons d’un \u00ab pipeline<\/em> \u00bb d’innovations tr\u00e8s prometteuses. Nous ne savons pas en revanche s\u2019il continuera \u00e0 \u00eatre aliment\u00e9 dans les ann\u00e9es \u00e0 venir.<\/p>\n\n\n\n Notre cycle de financement est triennal et, malheureusement, cette ann\u00e9e correspond \u00e0 une p\u00e9riode de renouvellement du financement : nous sommes \u00e0 nouveau en train d’essayer de collecter des sommes importantes.<\/p>\n\n\n\n Pour replacer les choses dans leur contexte, le dernier cycle de financement, organis\u00e9 en 2002 par le pr\u00e9sident Biden \u00e0 New York, avait permis de collecter 15,7 milliards de dollars. Le pr\u00e9c\u00e9dent cycle, organis\u00e9 par le pr\u00e9sident Macron en 2019 \u00e0 Lyon, avait permis de lever 14 milliards de dollars. Cette ann\u00e9e, nous sommes accueillis de fa\u00e7on conjointe par l’Afrique du Sud et le Royaume-Uni, et le processus se terminera fin novembre, \u00e0 la veille du sommet du G20.<\/p>\n\n\n\n Il existe un dicton bien connu au sein du Fonds mondial qui dit que chaque nouveau financement est le plus difficile que nous ayons jamais cherch\u00e9 \u00e0 obtenir. S\u2019il s\u2019agit en r\u00e8gle g\u00e9n\u00e9rale d\u2019une plaisanterie, ce n\u2019est pas le cas cette ann\u00e9e. <\/p>\n\n\n\n Le d\u00e9fi n\u2019est pas seulement de collecter des fonds, mais aussi de convaincre les responsables politiques et les contribuables des pays \u00e0 revenu \u00e9lev\u00e9, qui nous renvoient d\u00e9sormais l\u2019argument suivant : \u00ab Pourquoi notre argent devrait-il \u00eatre consacr\u00e9 \u00e0 des probl\u00e8mes de sant\u00e9 lointains alors qu’il existe des besoins urgents chez nous ? \u00bb <\/p>\n\n\n\n En 2022, l\u2019argument moral avait r\u00e9uni des dirigeants aussi diff\u00e9rents que Jacques Chirac, George W. Bush, Kofi Annan et Bill Gates pour cr\u00e9er le Fonds mondial. \u00c0 l’\u00e9poque, cet argument n’\u00e9tait pas pr\u00e9sent\u00e9 en termes d’int\u00e9r\u00eat personnel mais comme une question d’humanit\u00e9 commune : si nous avons les outils pour sauver des vies, pourquoi ne les utiliserions-nous pas ? <\/p>\n\n\n\n Aujourd’hui, ce discours de solidarit\u00e9 est quelque peu pass\u00e9 de mode. <\/p>\n\n\n\n La politique est devenue transactionnelle ; les gouvernements justifient leurs investissements en Afrique en invoquant l’acc\u00e8s \u00e0 des min\u00e9raux strat\u00e9giques. <\/p>\n\n\n\n La pand\u00e9mie nous a rappel\u00e9 avec force que la s\u00e9curit\u00e9 sanitaire est une question mondiale et non domestique<\/a>. La plupart des menaces susceptibles de provoquer une pand\u00e9mie ne sont pas enti\u00e8rement nouvelles : il s’agit de variantes de maladies existantes. Le SARS-CoV-2, par exemple, \u00e9tait une variante de coronavirus ant\u00e9rieurs. <\/p>\n\n\n\n Cela devrait nous inciter \u00e0 la prudence en ce qui concerne le VIH, la tuberculose et le paludisme.<\/p>\n\n\n\n Le paludisme n’est pas encore r\u00e9apparu en Europe \u2014 mais l\u2019on aurait tort de se croire \u00e0 l\u2019abri.<\/p>Peter Sands<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Par exemple, le VIH a franchi un seuil marquant en 2023 : pour la premi\u00e8re fois, il y a eu plus de nouveaux cas en dehors de l’Afrique que sur ce continent. Le virus se propage rapidement dans des zones telles que la Russie, l’Asie centrale et le Moyen-Orient \u2014 des r\u00e9gions du monde o\u00f9 l\u2019on ferme les yeux sur cette menace.<\/p>\n\n\n\n La tuberculose est un incendie mondial avec lequel nous jouons tous. Sa forme multir\u00e9sistante est extr\u00eamement dangereuse ; elle existe dans tous les pays. La seule raison pour laquelle elle n’est pas devenue plus pr\u00e9occupante est son caract\u00e8re peu contagieux.<\/p>\n\n\n\n Mais cette bact\u00e9rie \u00e9volue : si sa transmissibilit\u00e9 augmentait, nous serions confront\u00e9s \u00e0 une crise majeure. \u00c0 l’heure actuelle, on ne traite dans le monde qu\u2019autour de la moiti\u00e9 des personnes atteintes de tuberculose multir\u00e9sistante ; l’autre moiti\u00e9 meurt.<\/p>\n\n\n\n Les risques li\u00e9s au paludisme \u2014 et plus g\u00e9n\u00e9ralement aux maladies \u00e0 transmission vectorielle comme la dengue, le chikungunya ou le Zika \u2014 sont amplifi\u00e9s par le changement climatique.<\/p>\n\n\n\n Le paludisme reste la cause la plus mortelle. Ce n’est peut-\u00eatre pas toujours la premi\u00e8re maladie \u00e0 appara\u00eetre dans une r\u00e9gion mais c’est celle que l’on craint le plus. On observe d\u00e9j\u00e0 des cas de dengue dans le sud de l’Europe, notamment dans le sud de la France. On y constate m\u00eame des \u00e9pid\u00e9mies de chikungunya. <\/p>\n\n\n\n Le paludisme n’est pas encore r\u00e9apparu en Europe \u2014 mais l\u2019on aurait tort de se croire \u00e0 l\u2019abri.<\/p>\n\n\n\n J’ai eu \u00e0 ce sujet une discussion int\u00e9ressante avec le minist\u00e8re espagnol de la Sant\u00e9, qui a \u00e9tudi\u00e9 la propagation d’une nouvelle esp\u00e8ce de moustique Anopheles \u00e0 travers l’Afrique. Cette souche se d\u00e9veloppe dans les environnements urbains, tol\u00e8re des temp\u00e9ratures plus \u00e9lev\u00e9es et pique pendant la journ\u00e9e, ce qui la rend plus dangereuse. L\u2019analyse du minist\u00e8re sugg\u00e8re que, si elle \u00e9tait introduite en Europe, elle pourrait se d\u00e9velopper facilement dans des endroits comme S\u00e9ville. C\u2019est une perspective tr\u00e8s inqui\u00e9tante.<\/p>\n\n\n\n Au-del\u00e0 des maladies, n\u2019oublions pas les infrastructures. Le Fonds mondial est le plus grand investisseur en Afrique dans les laboratoires, la surveillance des maladies et les cha\u00eenes d’approvisionnement. Lorsque des \u00e9pid\u00e9mies d’Ebola, de Marburg ou de Mpox se d\u00e9clarent, les personnes et les syst\u00e8mes qui interviennent sont souvent soutenus par le Fonds mondial. Ces investissements prot\u00e8gent les populations locales, mais \u00e9galement le reste du monde.<\/p>\n\n\n\n Notre prochain cycle de financement sera un test de l’engagement de l’Europe \u00e0 jouer un r\u00f4le de premier plan dans la sant\u00e9 mondiale.<\/p>Peter Sands<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n La lutte pour la s\u00e9curit\u00e9 sanitaire a un effet tr\u00e8s concret sur la stabilit\u00e9 sociopolitique. <\/p>\n\n\n\n Prenons l’exemple du Sahel : il s’agit aujourd’hui de la zone de conflits et d’instabilit\u00e9 la plus \u00e9tendue au monde<\/a>. C’est \u00e9galement une r\u00e9gion fortement touch\u00e9e par le paludisme, o\u00f9 d’innombrables enfants meurent chaque ann\u00e9e. La fin du paludisme ne suffira pas \u00e0 r\u00e9soudre la crise s\u00e9curitaire, mais j’ai du mal \u00e0 imaginer comment la paix et la stabilit\u00e9 pourront s\u2019installer durablement si cette \u00e9pid\u00e9mie subsiste.<\/p>\n\n\n\n Derri\u00e8re tous ces arguments d\u2019int\u00e9r\u00eat \u00ab personnel \u00bb propres \u00e0 convaincre les pays d\u00e9velopp\u00e9s, l’argument moral reste cependant incontournable.<\/p>\n\n\n\n Lorsque des enfants de moins de cinq ans meurent parce que nous ne leur avons pas fourni une moustiquaire \u00e0 2 dollars et 70 centimes, qu’est-ce que cela dit de nous-m\u00eames et du monde dans lequel nous sommes pr\u00eats \u00e0 vivre ? Il serait facile d\u2019\u00e9viter ces d\u00e9c\u00e8s \u00e0 moindre co\u00fbt.<\/p>\n\n\n\n Avec ces maladies, il n’y aura pas de compromis : si nous ne les vainquons pas, elles nous vaincront. Nous risquons de renoncer aux progr\u00e8s durement acquis au cours des deux derni\u00e8res d\u00e9cennies, ou de nous maintenir dans une situation sanitaire m\u00e9diocre. Or trop de vies sont en jeu.<\/p>\n\n\n\n L\u2019Europe doit aujourd\u2019hui r\u00e9fl\u00e9chir \u00e0 son r\u00f4le dans la sant\u00e9 et le d\u00e9veloppement mondiaux<\/a>, et notamment dans la sant\u00e9 mondiale.<\/p>\n\n\n\n En ce qui concerne le Fonds mondial, 33 % de nos financements proviennent des \u00c9tats-Unis et un pourcentage similaire de l’Union. Si l’on inclut le Royaume-Uni, l’Europe dans son ensemble repr\u00e9sente environ 40 % de nos ressources. Notre prochain cycle de financement sera donc un test de l’engagement de l’Europe \u00e0 jouer un r\u00f4le de premier plan dans la sant\u00e9 mondiale.<\/p>\n\n\n\n \u00c0 bien des \u00e9gards, l’Europe a encore plus \u00e0 perdre que les \u00c9tats-Unis. <\/p>\n\n\n\n Les trois quarts de notre financement vont \u00e0 l’Afrique, o\u00f9 l’on trouve les plus forts taux de morbidit\u00e9 et la plus grande pauvret\u00e9. L’Europe est g\u00e9ographiquement plus proche de l’Afrique que les \u00c9tats-Unis : elle n\u2019a aucune raison de suivre ces derniers dans leur r\u00e9duction des d\u00e9penses. C\u2019est plut\u00f4t l\u2019occasion de redoubler d’efforts.<\/p>\n\n\n\n L\u2019Europe dispose par ailleurs d’atouts consid\u00e9rables dans le domaine biom\u00e9dical \u2014 produits pharmaceutiques, dispositifs m\u00e9dicaux. Nous avons d\u00e9j\u00e0 conclu de nombreux partenariats avec des entreprises europ\u00e9ennes qui produisent des innovations susceptibles de transformer la vie des communaut\u00e9s pauvres et marginalis\u00e9es.<\/p>\n\n\n\n S’il devient difficile pour les gens de vivre l\u00e0 o\u00f9 ils ont grandi, en raison de la pauvret\u00e9, de la maladie ou de l’ins\u00e9curit\u00e9, ils sont plus enclins \u00e0 d\u00e9m\u00e9nager. Les gens savent comment vivent les autres ailleurs et comment se rendre d’un endroit \u00e0 un autre. Il y a donc un argument en faveur d’une aide visant \u00e0 rendre la vie plus tol\u00e9rable et supportable dans les r\u00e9gions les plus d\u00e9favoris\u00e9es du monde.<\/p>\n\n\n\n Du point de vue de la s\u00e9curit\u00e9 sanitaire, l’id\u00e9e que des revers majeurs dans la lutte contre les maladies infectieuses n’auraient aucun impact sur l’Europe est tr\u00e8s na\u00efve. <\/p>\n\n\n\n Si ces maladies s’aggravent dans des pays qui ont des liens commerciaux, familiaux et historiques forts avec l’Europe, elles se propageront in\u00e9vitablement en Europe, plus encore qu\u2019elles ne le font aujourd\u2019hui.<\/p>\n\n\n\n Par ailleurs, il est dans l’int\u00e9r\u00eat de l’Europe d’avoir des pays voisins stables, pacifiques et en pleine croissance \u00e9conomique<\/a>. Cela r\u00e9duit les risques en mati\u00e8re de s\u00e9curit\u00e9 et cr\u00e9e davantage d’opportunit\u00e9s pour le commerce et l’investissement. Vous pouvez certes avancer des arguments tr\u00e8s solides fond\u00e9s sur l’int\u00e9r\u00eat personnel, pour expliquer pourquoi cela est important ; mais je pense \u00e9galement que cette lutte correspond aux valeurs europ\u00e9ennes, \u00e0 savoir le type de soci\u00e9t\u00e9 dans lequel nous voulons vivre et les valeurs que nous d\u00e9fendons.<\/p>\n\n\n\n Gr\u00e2ce \u00e0 des partenariats tels que le Fonds mondial, les Europ\u00e9ens peuvent sauver un tr\u00e8s grand nombre de vies. Dans le cadre de nos lev\u00e9es de fonds, nous avons estim\u00e9 qu\u2019atteindre la totalit\u00e9 de nos objectifs de financement nous permettrait de sauver 23 millions de vies en trois ans. Cela a un impact consid\u00e9rable, non seulement sur la sant\u00e9 des individus et des communaut\u00e9s, mais aussi sur la stabilit\u00e9 mondiale. Cet objectif correspond aussi aux valeurs et \u00e0 la philosophie politique de ce continent.<\/p>\n\n\n\n Lorsque des enfants de moins de cinq ans meurent parce que nous ne leur avons pas fourni une moustiquaire \u00e0 2 dollars et 70 centimes, qu’est-ce que cela dit de nous-m\u00eames et du monde dans lequel nous sommes pr\u00eats \u00e0 vivre ?<\/p>Peter Sands<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Steven Pinker, dans The Better Angels of Our Nature <\/em>(2011), parle du r\u00f4le de la litt\u00e9rature dans le renforcement de l’empathie : la litt\u00e9rature permet de voir le monde \u00e0 travers les yeux d’autres personnes et d’imaginer ce que ce serait d’\u00eatre quelqu’un d’autre. Il existe des travaux fascinants sur la mani\u00e8re dont les attitudes \u00e0 l’\u00e9gard de la discrimination sexuelle, par exemple, ont \u00e9volu\u00e9 gr\u00e2ce \u00e0 des livres \u00e9crits par et du point de vue des femmes, qui ont permis aux hommes de d\u00e9couvrir indirectement leur r\u00e9alit\u00e9.<\/p>\n\n\n\n L’empathie est donc une force positive et extr\u00eamement puissante dans la soci\u00e9t\u00e9 humaine.<\/p>\n\n\n\n Se mettre \u00e0 la place d’une autre personne constitue le fondement de tout sentiment d’humanit\u00e9 commune et de solidarit\u00e9.<\/p>\n\n\n\n C’est pourquoi il faut allier les donn\u00e9es \u2014 70 millions de vies sauv\u00e9es, 63 % de r\u00e9duction des infections et de la mortalit\u00e9 \u2014 aux histoires personnelles. Ce qui touche vraiment les diff\u00e9rents m\u00e9dias, ce sont les r\u00e9cits de personnes qui ont directement v\u00e9cu ces maladies, qui parlent avec authenticit\u00e9 de ce que cela signifie pour elles et du parcours qu’elles ont suivi.<\/p>\n\n\n\n D’apr\u00e8s notre exp\u00e9rience, ces histoires personnelles peuvent parfois \u00eatre encore plus puissantes que les chiffres. Par exemple, en 2019, lors de notre campagne de lev\u00e9e de fonds \u00e0 Lyon, Amanda, une jeune Burundaise de 18 ans s\u00e9ropositive, s’est tenue sur sc\u00e8ne aux c\u00f4t\u00e9s du pr\u00e9sident Macron. Elle a expliqu\u00e9 qu’elle \u00e9tait en vie uniquement gr\u00e2ce au Fonds mondial, puis elle lui a lanc\u00e9 un d\u00e9fi direct en forme de question : \u00ab allez-vous m’aider \u00e0 rester en vie ? \u00bb Ce type d’interaction humaine a un impact incroyable.<\/p>\n\n\n\n Bien s\u00fbr, le monde des r\u00e9seaux sociaux est complexe \u2014 avec ses algorithmes, la mani\u00e8re dont les informations sont pr\u00e9sent\u00e9es, les fausses nouvelles, etc. Aucun d’entre nous n’a la r\u00e9ponse parfaite \u00e0 la question de savoir comment fonctionne ce paysage. Il est toutefois essentiel de faire entendre la voix des personnes directement touch\u00e9es par ces maladies, m\u00eame si ce n’est pas facile.<\/p>\n\n\n\n Prenons le Soudan : en termes de nombre de vies humaines en danger, la guerre qui y s\u00e9vit est actuellement la plus grande crise humanitaire mondiale. Elle a des effets d\u00e9vastateurs non seulement \u00e0 l’int\u00e9rieur du Soudan, mais aussi sur les pays voisins. Pourtant, la couverture m\u00e9diatique et la prise de conscience de ce qui s’y passe, tant au niveau du grand public que des responsables politiques, est tr\u00e8s limit\u00e9e. Cela ne retient tout simplement pas notre attention ; c’est un probl\u00e8me, car plus nous donnons de visibilit\u00e9 \u00e0 ces crises, plus les gens r\u00e9agissent naturellement avec empathie.<\/p>\n\n\n\n Dans le pass\u00e9, le mod\u00e8le d’aide au d\u00e9veloppement \u00e0 l’\u00e9tranger \u00e9tait parfois un peu paternaliste, avec une dynamique de donneur et de receveur.<\/p>\n\n\n\n Nous essayons de nous orienter davantage vers un concept de partenariat.<\/p>\n\n\n\n Notre conseil d’administration compte une forte repr\u00e9sentation de toutes les r\u00e9gions auxquelles nous fournissons des fonds, y compris l’Am\u00e9rique latine. Son fonctionnement repose sur un \u00e9quilibre tr\u00e8s subtil entre les donateurs, les ex\u00e9cutants, les gouvernements, la soci\u00e9t\u00e9 civile, les communaut\u00e9s et le secteur priv\u00e9. Contrairement \u00e0 la plupart des organisations des Nations unies, qui ne sont que des conseils d’\u00c9tats membres, nous avons des acteurs non gouvernementaux qui ont un r\u00e9el pouvoir. Cet \u00e9quilibre entre donateurs et ex\u00e9cutants est au c\u0153ur de notre travail.<\/p>\n\n\n\n Je pense que nous assistons en effet \u00e0 l’\u00e9mergence de nouvelles formes de leadership. <\/p>\n\n\n\nQu\u2019a-t-il de nouveau ?<\/h3>\n\n\n\n
Y a-t-il des pays o\u00f9 ce fardeau est plus lourd qu\u2019ailleurs ? <\/h3>\n\n\n\n
\u00c0 quelles modifications globales des soci\u00e9t\u00e9s pensez-vous ?<\/h3>\n\n\n\n
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Quel est le r\u00f4le du Fonds mondial dans la r\u00e9solution de ces crises ?<\/h3>\n\n\n\n
\u00c0 quel point \u00eates-vous affect\u00e9, de ce point de vue, par la r\u00e9duction drastique de l\u2019aide am\u00e9ricaine ?<\/h3>\n\n\n\n
Outre l\u2019exemple am\u00e9ricain, constatez-vous dans le monde un recul de l\u2019investissement sur les questions de s\u00e9curit\u00e9 sanitaire ? Est-il plus difficile pour le Fonds mondial d\u2019obtenir des financements ? <\/h3>\n\n\n\n
Avec quels arguments peut-on convaincre les \u00c9tats que participer \u00e0 l\u2019architecture de sant\u00e9 mondiale est dans leur int\u00e9r\u00eat ?<\/h3>\n\n\n\n
En quel sens ?<\/h3>\n\n\n\n
On sait d\u00e9sormais que le r\u00e9chauffement climatique acc\u00e9l\u00e8re la propagation de certaines maladies. Quelles nouvelles \u00e9pid\u00e9mies doit-on craindre ? Jusqu\u2019o\u00f9 s\u2019\u00e9tendraient-elles ? <\/h3>\n\n\n\n
Comment convaincre les pays d\u00e9velopp\u00e9s que lutter contre les \u00e9pid\u00e9mies r\u00e9pond \u00e0 un probl\u00e8me de s\u00e9curit\u00e9 mondiale ?<\/h3>\n\n\n\n
Apr\u00e8s les coupes drastiques dans le budget d’USAID, les pays europ\u00e9ens pourraient \u00eatre contraints de remplacer les \u00c9tats-Unis en tant que premier donateur mondial. Pourtant, l’Europe a actuellement d’autres priorit\u00e9s, comme le financement de la d\u00e9fense. Quel regard portez-vous sur la r\u00e9ponse des dirigeants europ\u00e9ens ? <\/h3>\n\n\n\n
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Pourquoi ?<\/h3>\n\n\n\n
Vous \u00e9voquez la proximit\u00e9 g\u00e9ographique de l’Europe et de l\u2019Afrique : c\u2019est un point important lorsque l’on examine les flux de population, qui devraient augmenter dans un avenir proche<\/a>. N\u2019y a-t-il pas l\u00e0 une matrice strat\u00e9gique pour pousser les gouvernements europ\u00e9ens \u00e0 bouger sur la sant\u00e9 mondiale ?<\/h3>\n\n\n\n
Les histoires que vous racontez et les r\u00e9sultats que vous obtenez sont naturellement susceptibles de cr\u00e9er de l’empathie avec des personnes d’autres cultures et d’autres pays. Comment les transmettez-vous au public le plus large possible \u00e0 l\u2019heure o\u00f9 la logique algorithmique va pr\u00e9cis\u00e9ment \u00e0 l\u2019oppos\u00e9 ? Comment forger des alliances dans la lutte pour l’empathie ?<\/h3>\n\n\n\n
Pouvez-vous aussi vous appuyer sur les r\u00e9seaux sociaux \u2014 ou sont-ils d\u00e9sormais trop dangereux ?<\/h3>\n\n\n\n
Le fait d\u2019organiser la lev\u00e9e de fonds en Afrique du Sud pour ce cycle de financement traduit-il un changement de paradigme ?<\/h3>\n\n\n\n
Le d\u00e9sengagement des \u00c9tats-Unis sur certaines questions \u2014 leur retrait de l’Organisation mondiale de la sant\u00e9, les coupes budg\u00e9taires de l’USAID \u2014 a-t-il suscit\u00e9 ailleurs des vocations ? Voyez-vous de nouveaux pays se pencher sur les probl\u00e8mes de sant\u00e9 mondiale, ou des pays depuis longtemps investis redoubler leur appui ? <\/h3>\n\n\n\n