{"id":299287,"date":"2025-09-28T10:40:15","date_gmt":"2025-09-28T08:40:15","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=299287"},"modified":"2025-09-28T10:43:35","modified_gmt":"2025-09-28T08:43:35","slug":"la-connaisance-augmentera","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2025\/09\/28\/la-connaisance-augmentera\/","title":{"rendered":"Peter Thiel : notes secr\u00e8tes du s\u00e9minaire sur l\u2019Ant\u00e9christ"},"content":{"rendered":"\n
Le Grand Continent<\/span> Fondateur de Palantir dont la fortune s\u2019accro\u00eet chaque jour un peu plus \u00e0 mesure que son influence sur la transformation profonde des \u00c9tats-Unis s’agrandit<\/a>, Peter Thiel travaille avec minutie son image.<\/p>\n\n\n\n Personnage public \u2014 il est l\u2019auteur de plusieurs best-sellers<\/em>, a prononc\u00e9 un discours clef devant la convention r\u00e9publicaine de 2016 et a particip\u00e9 aux principaux podcasts conservateurs am\u00e9ricains \u2014\u00a0il a toutefois choisi, contrairement par exemple \u00e0 Elon Musk de ne pas saturer l\u2019espace m\u00e9diatique. Il s\u2019\u00e9carte par ailleurs de la communication institutionnelle d\u2019entreprise, r\u00e9serv\u00e9e \u00e0 Alex Karp<\/a> ; si on le voit rarement monter \u00e0 la tribune des grands forums du monde des affaires comme Davis, il ne manque pas une \u00e9dition des rencontres de Bilderberg.<\/p>\n\n\n\n Ses prises de parole publiques en dehors de la Californie vont du dernier camp d\u2019\u00e9t\u00e9 du think tank d\u2019Orb\u00e1n<\/a> \u00e0 l\u2019Oxford Union en passant par des s\u00e9minaires plus confidentiels<\/a>. <\/p>\n\n\n\n En cette rentr\u00e9e, il a d\u00e9cid\u00e9 de lancer un nouveau format \u00e0 San Francisco : un s\u00e9minaire sur inscription, en pr\u00e9sentiel uniquement et totalement ferm\u00e9 \u2014 avec une r\u00e8gle tr\u00e8s stricte de confidentialit\u00e9 : rien ne doit \u00eatre enregistr\u00e9 ni en sortir.<\/p>\n\n\n\n Le th\u00e8me choisi est celui de presque toutes ses interventions depuis deux ans : l\u2019Ant\u00e9christ.<\/p>\n\n\n\n Un ing\u00e9nieur de la Silicon Valley a toutefois bris\u00e9 la r\u00e8gle et publi\u00e9 \u2014 pendant quelques heures en ligne\u00a0\u2014 ces notes en vrac, que nous traduisons et commentons.<\/p>\n\n\n\n \u00c9tait-ce d\u00e9lib\u00e9r\u00e9 de la part de Thiel ?<\/p>\n\n\n\n Si rien ne permet d\u2019\u00e9tayer l\u2019hypoth\u00e8se selon laquelle une telle \u00ab fuite \u00bb ne serait pas compl\u00e8tement fortuite, il faut \u00e9videmment voir dans ces le\u00e7ons \u00e0 huis clos une nouvelle \u00e9tape dans le processus de l\u00e9gitimation intellectuelle du venture capitalist<\/em> : de Socrate \u00e0 Jacques Lacan, cet \u00e9l\u00e8ve de Ren\u00e9 Girard n\u2019ignore pas que la transmission orale du savoir philosophique contribue \u00e0 cr\u00e9er un effet d\u2019aura, qui est aussi recherch\u00e9 ici \u2014 la dimension totalement confidentielle ajoutant au \u00ab myst\u00e8re \u00bb.<\/p>\n\n\n\n Une \u00e9tude critique de ces quelques notes permet toutefois de percer le dispositif qui entoure ce sermon n\u00e9or\u00e9actionnaire<\/a>.<\/p>\n\n\n\n Arnaud Miranda<\/span> Depuis le 15 septembre, Peter Thiel propose \u00e0 San Francisco, une s\u00e9rie de quatre conf\u00e9rences priv\u00e9es sur l\u2019un de ses sujets f\u00e9tiches : la figure biblique de l\u2019Ant\u00e9christ. Organis\u00e9s par l\u2019association ACTS 17 \u2014 Acknowledging Christ in Technology and Society<\/em>, cofond\u00e9e par Michelle Stephens, \u00e9pouse de l\u2019investisseur Trae Stephens qui pr\u00e9side notamment le conseil d\u2019administration d\u2019Anduril \u2014, ces \u00e9v\u00e9nements ont un caract\u00e8re tr\u00e8s confidentiel. Il est demand\u00e9 aux participants de ne pas prendre de notes ni d\u2019enregistrer les s\u00e9ances.<\/p>\n\n\n\n Pourtant, ce lundi 22 septembre, quelques heures avant la deuxi\u00e8me conf\u00e9rence, l\u2019un des participants a publi\u00e9 la trame de la premi\u00e8re s\u00e9ance sur son site personnel avant de la relayer sur son compte X. L\u2019auteur de la fuite, Kshitij Kulkarni, est un ing\u00e9nieur informatique travaillant pour la start-up Succinct, sp\u00e9cialis\u00e9e dans la blockchain. Il s\u2019est vu imm\u00e9diatement interdire l\u2019acc\u00e8s au reste de l\u2019\u00e9v\u00e9nement pour violation de la politique de confidentialit\u00e9.<\/p>\n\n\n\n Dans cette premi\u00e8re conf\u00e9rence, Thiel reprend les \u00e9l\u00e9ments principaux de sa pens\u00e9e du katechon<\/em> en germe depuis Le Moment straussien<\/em> (2007), un texte profond\u00e9ment marqu\u00e9 par l\u2019influence de Carl Schmitt. Selon Thiel, l\u2019histoire humaine serait prise entre deux risques essentiels : le r\u00e8gne de l\u2019Ant\u00e9christ, fantasme d\u2019un gouvernement totalitaire mondial, et l\u2019Armageddon, qui correspond \u00e0 l\u2019an\u00e9antissement complet du monde. Le katechon<\/em>, \u00ab ce qui retient \u00bb la fin des temps, serait une voie m\u00e9diane entre ces deux sc\u00e9narios apocalyptiques. <\/p>\n\n\n\n Thiel r\u00e9interpr\u00e8te ces cat\u00e9gories th\u00e9ologiques \u00e0 la lumi\u00e8re des enjeux technologiques actuels. Entre la captation des technologies de surveillance par un \u00c9tat totalitaire et le d\u00e9cha\u00eenement incontr\u00f4l\u00e9 de la technique, il croit au r\u00f4le kat\u00e9chontique de l\u2019innovation. Contrairement \u00e0 Schmitt, il ne consid\u00e8re par le katechon <\/em>comme une force essentiellement conservatrice : le katechon<\/em> peut tout \u00e0 fait \u00eatre modernisateur, et l\u2019acc\u00e9l\u00e9rationnisme une solution paradoxale pour emp\u00eacher le r\u00e8gne de l\u2019Ant\u00e9christ<\/a>.<\/p>\n\n\n\n Ces notes confidentielles permettent d\u2019entrer dans le laboratoire id\u00e9ologique de Thiel, au sein duquel il entend concilier l\u2019acc\u00e9l\u00e9rationnisme technocapitaliste avec une interpr\u00e9tation r\u00e9actionnaire du christianisme. Ce grand \u00e9cart n\u2019est pas seulement intellectuel : il tente aussi de r\u00e9soudre l\u2019une des contradictions principales du trumpisme : l\u2019alliance, pour l\u2019instant pr\u00e9caire<\/a>, entre les seigneurs de la tech <\/em>et les nationalistes chr\u00e9tiens.<\/p>\n\n\n\n Ces notes sont adapt\u00e9es des conf\u00e9rences de Peter sur l’Ant\u00e9christ. Toute erreur ou omission est de ma responsabilit\u00e9.<\/p>\n\n\n\n Toi, Daniel, tiens secr\u00e8tes ces paroles, et scelle le livre jusqu’au temps de la fin. Plusieurs alors le liront, et la connaissance augmentera<\/em>.\u2014 Daniel 12:4<\/em><\/p>\n\n\n\n L’historien biblique Daniel avait pr\u00e9vu une augmentation de la connaissance peu avant la fin des temps. \u00c0 mesure que la connaissance augmenterait, les craintes de la venue de l\u2019apocalypse s’intensifieraient, laissant place pour l’\u00e9mergence d’un tyran.<\/p>\n\n\n\n Jean Beno\u00eet Poulle<\/span> Pr\u00e9senter le proph\u00e8te Daniel (VIIe-VIIe s. av. J-C ?), consid\u00e9r\u00e9 dans la tradition comme l’auteur du livre homonyme, comme un \u00ab historien biblique \u00bb pose d\u00e9j\u00e0 probl\u00e8me. D’une part, parce que le Livre de Daniel fait traditionnellement partie des \u00c9crits proph\u00e9tiques dans les canons bibliques juif et chr\u00e9tien, non de l’ensemble dit des \u00ab Livres historiques \u00bb, mais aussi parce que ce Livre, l\u2019un des plus tardifs de l’Ancien Testament, est embl\u00e9matique du genre litt\u00e9raire apocalyptique dans le juda\u00efsme tardif, soit des \u00e9crits de visions et de r\u00e9v\u00e9lations \u2014 sans qu’on y trouve forc\u00e9ment la connotation de proph\u00e9ties pr\u00e9disant l’avenir, et encore moins la fin du monde \u2014 qui succ\u00e8de au genre proph\u00e9tique proprement dit. Il demeure vrai que beaucoup des th\u00e8mes et des images du livre de Daniel seront repris dans l’Apocalypse chr\u00e9tienne de Jean.<\/p>\n\n\n\n Dans notre modernit\u00e9 tardive, ces inqui\u00e9tudes sont pass\u00e9es de mode et l’Ant\u00e9christ est un personnage tomb\u00e9 dans l\u2019oubli. Nos universit\u00e9s nous disent que les craintes de l’apocalypse sont irrationnelles et que tout va de mieux en mieux dans le monde. Pourtant, l’actualit\u00e9 nous dit le contraire : nous sommes pr\u00e9occup\u00e9s par les risques existentiels li\u00e9s \u00e0 l’intelligence artificielle, aux armes biologiques et \u00e0 la guerre nucl\u00e9aire. Comment comprendre notre \u00e9poque apocalyptique ?<\/p>\n\n\n\n Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront point.<\/em> <\/em><\/strong>Pour ce qui est du jour et de l’heure, personne ne le sait, ni les anges des cieux, ni le Fils, mais le P\u00e8re seul.<\/em>\u2014 Matthieu 24:35-36<\/em><\/p>\n\n\n\n L’apocalypse n’est pas une date fixe inscrite dans un calendrier. Les tentatives pour la pr\u00e9dire se sont sold\u00e9es par des d\u00e9ceptions. Les mill\u00e9rites avaient fix\u00e9 l\u2019ann\u00e9e 1843 comme date de la seconde venue du Christ. L’ouvrage de Josef Pieper, La fin des temps <\/em>(1950), n’a pas non plus \u00e9chapp\u00e9 au paradoxe : nous pressentons une fin, mais le moment exact reste secret. N\u00e9anmoins, si le jour et l’heure restent cach\u00e9s, peut-\u00eatre pouvons-nous au moins soup\u00e7onner le si\u00e8cle.<\/p>\n\n\n\n Jean-Beno\u00eet Poulle<\/span> Josef Pieper (1904-1997) est un philosophe catholique allemand de tradition conservatrice, profond\u00e9ment marqu\u00e9 par l’aristot\u00e9lisme et le thomisme. Il fut professeur \u00e0 l’universit\u00e9 de M\u00fcnster. Parmi ses \u0153uvres marquantes figure notamment Le Loisir, fondement de la culture<\/em> (1948), et ses essais sur les vertus cardinales et th\u00e9ologales du christianisme. Opposant au nazisme, il a beaucoup influenc\u00e9 Joseph Ratzinger, le futur Beno\u00eet XVI<\/a>. Sa r\u00e9ception a \u00e9galement \u00e9t\u00e9 importante dans la philosophie politique anglo-saxonne conservatrice.<\/p>\n\n\n\n Dans son ouvrage La fin des temps<\/em>, il discute la conception kantienne du sens de l’histoire en s’inspirant du philosophe marxiste h\u00e9t\u00e9rodoxe Ernst Bloch (1885-1977, l’auteur du Principe esp\u00e9rance<\/em>), et de l’\u00e9crivain Vladimir Soloviev, orthodoxe converti au catholicisme, auteur d’un Court r\u00e9cit sur l’Ant\u00e9christ<\/em>. Pour Pieper, on ne peut traiter philosophiquement la question de la fin de l’histoire qu’en acceptant d’y r\u00e9introduire de la th\u00e9ologie.<\/p>\n\n\n\n Si nous voulons prendre l’Ant\u00e9christ au s\u00e9rieux, nous pouvons nous poser au moins quatre questions :<\/p>\n\n\n\n Jean-Beno\u00eet Poulle<\/span> Ces quatre questions r\u00e9sument classiquement deux mill\u00e9naires d’interrogations de la tradition chr\u00e9tienne \u00e0 propos de l’Apocalypse de saint Jean et, plus largement, des proph\u00e9ties sur la fin du monde dans le Nouveau Testament.<\/p>\n\n\n\n L’Ant\u00e9christ, une figure d’opposition au Christ qui doit pr\u00e9c\u00e9der son retour glorieux, n’est mentionn\u00e9 que cinq fois dans la Bible, notamment dans les \u00e9p\u00eetres de Jean, o\u00f9 il appara\u00eet plut\u00f4t comme un terme g\u00e9n\u00e9rique et au pluriel. Tr\u00e8s vite cependant, il est identifi\u00e9 au \u00ab Faux Proph\u00e8te \u00bb de l’Apocalypse de Jean, le ma\u00eetre de la B\u00eate \u00e0 dix cornes \u2014 autre figure d\u00e9moniaque du texte \u2014, et une figure de s\u00e9ducteur artificieux et habile. \u00c0 noter que toutes ces diff\u00e9rentes th\u00e8ses sur l’Ant\u00e9christ \u2014 un tyran unique, un syst\u00e8me, un type r\u00e9current dans l’histoire \u2014 ont d\u00e9j\u00e0 \u00e9t\u00e9 soutenues (voir \u00e0 ce sujet par exemple Jean-Robert Armogathe, L’Ant\u00e9christ \u00e0 l’\u00e2ge classique<\/em>, Paris, Mille et une nuits, 2005). <\/p>\n\n\n\n L’Armageddon d\u00e9signe, dans l’Apocalypse de Jean (16, 16) la bataille cosmique finale entre le Bien et le Mal. Il s’agit en fait d’un jeu de mots \u00e9tymologique sur la bataille de Megiddo, o\u00f9 fut tu\u00e9 le roi Josias de l’Ancien Testament \u2014 dont la mort, selon la lecture chr\u00e9tienne, pr\u00e9figure celle du Christ.<\/p>\n\n\n\n Le passage de la seconde \u00e9p\u00eetre de Paul aux Thessaloniciens, 2, 6 fait r\u00e9f\u00e9rence au katechon<\/em>, quelque chose ou quelqu’un qui retient la survenue de l’Ant\u00e9christ ou le d\u00e9cha\u00eenement du mal avant la Parousie \u2014 le retour glorieux du Christ \u2014 ; ce concept d’interpr\u00e9tation tr\u00e8s difficile m\u00eame \u00e0 un ex\u00e9g\u00e8te chevronn\u00e9 a connu \u00e9galement une post\u00e9rit\u00e9 en th\u00e9orie politique, notamment chez Carl Schmitt. Il a parfois \u00e9t\u00e9 assimil\u00e9 \u00e0 l’Empire romain christianis\u00e9.<\/p>\n\n\n\n Arnaud Miranda<\/span> La lecture de Carl Schmitt semble en effet avoir \u00e9t\u00e9 d\u00e9terminante pour Thiel, comme en t\u00e9moignent les passages qui lui sont consacr\u00e9s d\u00e8s 2007 dans The Straussian Moment<\/em>. Si son attention se porte principalement sur l\u2019usage que Schmitt fait de la figure de l\u2019Ant\u00e9christ, il mentionne aussi la n\u00e9cessit\u00e9 d\u2019identifier le katechon<\/em>.<\/p>\n\n\n\n L\u2019universit\u00e9 moderne, h\u00e9riti\u00e8re des Lumi\u00e8res, aurait pu \u00eatre l\u2019institution capable d\u2019embrasser l\u2019histoire dans son ensemble. La fin des temps serait naturellement un sujet historique int\u00e9ressant. Aujourd’hui pourtant, l’universit\u00e9 est fragment\u00e9e. Alors que Bacon ou Goethe pouvaient embrasser la totalit\u00e9 du savoir en une seule vie, nous vivons aujourd’hui dans l’usine d’\u00e9pingles d’Adam Smith : des rouages de plus en plus petits dans une machine de plus en plus grande. Nous devons essayer d’int\u00e9grer l’histoire, la th\u00e9ologie, la politique et la technologie dans un tableau coh\u00e9rent.<\/p>\n\n\n\n Arnaud Miranda<\/span> La critique de l\u2019universit\u00e9 n\u2019est pas nouvelle chez Thiel. Il lui avait consacr\u00e9 son premier ouvrage, The Diversity Myth <\/em>(1995), dans lequel il d\u00e9plorait un pr\u00e9tendu remplacement des humanit\u00e9s classiques par une \u00ab id\u00e9ologie multiculturelle \u00bb relativiste et fragmentaire. Celle-ci conduirait selon lui \u00e0 la destruction de la civilisation occidentale.<\/p>\n\n\n\n La r\u00e9v\u00e9lation chr\u00e9tienne se distingue des autres mani\u00e8res de penser cet ensemble. La pens\u00e9e classique ne voyait que des cycles : pour Thucydide, la guerre entre Ath\u00e8nes et Sparte, entre l’Allemagne et la Grande-Bretagne ou entre la Chine et l’Am\u00e9rique n\u2019\u00e9taient qu\u2019une seule et m\u00eame chose (sic). Ce n’\u00e9taient que des \u00e9tapes dans une \u00e9ternelle r\u00e9p\u00e9tition. Daniel, lui, est le premier historien v\u00e9ritable, car il a pr\u00e9vu une s\u00e9quence unique d’empires mondiaux. Leur fin marquerait la fin du monde. Le christianisme est donc progressiste : le Nouveau Testament remplace l’Ancien, non seulement parce qu’il est plus vrai, mais aussi parce qu’il est nouveau. La r\u00e9v\u00e9lation va de l\u2019avant.<\/p>\n\n\n\n Jean-Beno\u00eet Poulle<\/span> Ici, Thiel amalgame trois choses qui ne sont pas n\u00e9cessairement corr\u00e9l\u00e9es entre elles. La premi\u00e8re est le progr\u00e8s de la connaissance scientifique, qui a pour corollaire la sp\u00e9cialisation croissante des savoirs, laquelle risque de faire perdre de vue l’ensemble, donc la question du sens. Thiel est loin d’\u00eatre le premier \u00e0 faire ce constat, qu’il relie \u00e0 l’id\u00e9e de fin de l’histoire \u2014 au sens d’ach\u00e8vement, mais aussi de finalit\u00e9 et de signification \u2014, d’o\u00f9 ce paradoxe : \u00e0 mesure que l’\u00e9tendue de nos connaissances progresse, leur clart\u00e9 et leur sens semblent se brouiller.Le deuxi\u00e8me point \u00e0 noter est la conception cyclique du temps chez les Anciens, avec laquelle la conception chr\u00e9tienne de l’histoire comme temps orient\u00e9 vers une pleine r\u00e9v\u00e9lation vient rompre : le temps a d\u00e9sormais une fl\u00e8che, et l’histoire, un commencement et une fin vers laquelle elle progresse. Si des historiens des id\u00e9es peuvent \u00eatre globalement d’accord, Thiel en fait une pr\u00e9sentation assez sommaire, et surtout, il enr\u00f4le Daniel \u2014 qui n’appartient pas au monde chr\u00e9tien, mais juif \u2014 au service de sa d\u00e9monstration \u00ab historique \u00bb en reprenant le passage c\u00e9l\u00e8bre au chapitre 7 de la vision des quatre B\u00eates ou quatre Empires successifs. Or dans le genre apocalyptique, essentiellement m\u00e9taphorique, la vision et l’image priment justement sur la pr\u00e9diction de l’avenir ; Daniel ne pouvait pas encore s’inscrire dans cette conception finaliste et progressive de l’histoire.<\/p>\n\n\n\n Arnaud Miranda<\/span> Thiel est coutumier de l\u2019usage de ces repr\u00e9sentations sch\u00e9matiques de l\u2019histoire, qui sont d\u00e9j\u00e0 pr\u00e9sentes dans la conclusion de son ouvrage Zero to One<\/em> (2014). \u00c0 l\u2019\u00e9poque, il envisageait quatre modes de repr\u00e9sentation de l\u2019histoire : la r\u00e9currence cyclique, la stagnation, l\u2019extinction et l\u2019acc\u00e9l\u00e9ration. S\u2019il oppose ici une conception pa\u00efenne de la r\u00e9currence cyclique \u00e0 la conception chr\u00e9tienne lin\u00e9aire, c\u2019est pour sugg\u00e9rer une continuit\u00e9 entre acc\u00e9l\u00e9rationnisme et christianisme (cf. infra<\/em>).<\/p>\n\n\n\n Pour cette raison, il semble inconcevable que nous puissions d\u00e9sapprendre ce que nous avons d\u00e9couvert. La connaissance s’accro\u00eet : une fois r\u00e9v\u00e9l\u00e9e, il est difficile de la faire dispara\u00eetre. M\u00eame si nos universit\u00e9s ne peuvent pas tout saisir, cette connaissance se r\u00e9pand. L’histoire est une progression inexorable.<\/p>\n\n\n\n Jean-Beno\u00eet Poulle<\/span> L\u00e0 encore, Thiel met en relation deux choses qui ne sont pas forc\u00e9ment associ\u00e9es : d’une part, l’ind\u00e9niable accroissement des connaissances, et l’id\u00e9e de progr\u00e8s des connaissances scientifiques dans l’histoire de l’humanit\u00e9 qui en d\u00e9coule ; et, d’autre part, la conception de l’histoire humaine comme progr\u00e8s n\u00e9cessairement orient\u00e9 et tendant \u00e0 une r\u00e9v\u00e9lation totale. Si se poser la question des relations entre ces deux choses peut constituer une interrogation proprement philosophique, Thiel la relie ici au verset du livre de Daniel selon lequel \u00ab la connaissance augmentera \u00bb (12, 4).<\/p>\n\n\n\n En ces jours-l\u00e0, les hommes chercheront la mort, et ils ne la trouveront pas ; ils d\u00e9sireront mourir, et la mort fuira loin d’eux<\/em>.\u2014 Apocalypse 9:6<\/em><\/p>\n\n\n\n De 1750 au d\u00e9but des ann\u00e9es 1900, la technologie a progress\u00e9 \u00e0 un rythme effr\u00e9n\u00e9. Au XXe si\u00e8cle, l\u2019esp\u00e9rance de vie a doubl\u00e9. Nous avons trouv\u00e9 de quoi nous d\u00e9placer plus vite : les machines \u00e0 vapeur ont men\u00e9 aux automobiles et aux avions \u00e0 r\u00e9action. Au XXIe si\u00e8cle, le terme \u00ab technologie \u00bb ne d\u00e9signe plus que la technologie de l’information ; les progr\u00e8s dans tous les autres domaines ont cess\u00e9. La question qui vient naturellement \u00e0 l\u2019esprit est alors la suivante : la singularit\u00e9 appartient-elle au pass\u00e9 ou \u00e0 l’avenir ?<\/p>\n\n\n\nConf\u00e9rence 1 : La connaissance augmentera<\/h2>\n\n\n\n
La question de l’Ant\u00e9christ<\/strong><\/h2>\n\n\n\n
\n
L’universit\u00e9 a \u00e9tudi\u00e9 l’Univers<\/strong><\/h2>\n\n\n\n
\r\n <\/picture>\r\n \n <\/a>\n<\/figure>\n\n\n
La modernit\u00e9 tardive<\/strong><\/h2>\n\n\n\n
\r\n <\/picture>\r\n \n <\/a>\n<\/figure>\n\n\n