{"id":297740,"date":"2025-09-14T19:54:05","date_gmt":"2025-09-14T17:54:05","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=297740"},"modified":"2025-09-14T19:56:51","modified_gmt":"2025-09-14T17:56:51","slug":"la-tres-longue-guerre-dukraine-et-la-naissance-dune-nation-conversation-avec-lhistorien-yaroslav-hrytsak","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2025\/09\/14\/la-tres-longue-guerre-dukraine-et-la-naissance-dune-nation-conversation-avec-lhistorien-yaroslav-hrytsak\/","title":{"rendered":"La tr\u00e8s longue guerre d\u2019Ukraine et la naissance d\u2019une nation : conversation avec l\u2019historien Yaroslav Hrytsak"},"content":{"rendered":"\n
Cet entretien, men\u00e9 \u00e0 Lviv au quatri\u00e8me \u00e9t\u00e9 de la guerre, cl\u00f4t l\u2019enqu\u00eate au long cours de Fabrice Deprez sur la r\u00e9sistance ukrainienne \u00ab Portrait d\u2019un pays d\u00e9chir\u00e9 \u2014 qui r\u00e9siste<\/a> \u00bb.<\/em><\/p>\n\n\n\n Si vous souhaitez soutenir le travail d\u2019enqu\u00eate d\u2019une revue europ\u00e9enne ind\u00e9pendante, <\/em>d\u00e9couvrez toutes nos offres<\/em><\/a><\/p>\n\n\n\n Vivre en Ukraine aujourd\u2019hui, c\u2019est \u00eatre pris dans une montagne russe \u00e9motionnelle \u2014 en permanence.<\/p>\n\n\n\n Comme tout Ukrainien, je me sens tant\u00f4t d\u00e9prim\u00e9, tant\u00f4t optimiste en fonction des circonstances.<\/p>\n\n\n\n Comme tout Ukrainien, je fais de mon mieux pour voir les choses du bon c\u00f4t\u00e9 : ne pas laisser la d\u00e9prime s\u2019imposer doit faire partie de notre strat\u00e9gie.<\/p>\n\n\n\n Mais en tant qu\u2019historien, c\u2019est peut-\u00eatre plus facile pour moi que pour beaucoup de mes concitoyens. Mon m\u00e9tier me donne le sens de la longue dur\u00e9e. Vues sous cet angle, les choses sont, je pense, favorables \u00e0 l’Ukraine.<\/p>\n\n\n\n Avec cette guerre, l’Ukraine est en train de quitter un monde dangereux : le monde russe. <\/p>\n\n\n\n Le fameux rousskiy mir<\/em> dont parle Poutine \u00e0 longueur de discours.<\/p>\n\n\n\n Je sais que beaucoup en Occident sont aveugl\u00e9s par la beaut\u00e9 de la culture russe ; ce filtre les rend aveugles<\/a> \u00e0 l’autre face : une culture de violence, qui suit les Russes du berceau jusqu’au cercueil et qui domine ce monde<\/a>. <\/p>\n\n\n\n Or l’Ukraine vit dans ce monde, dans cet espace. <\/p>\n\n\n\n Pour nous, la chance historique de rejoindre l\u2019espace europ\u00e9en n’est pas importante simplement parce que l’Union poss\u00e8de un bien meilleur niveau de vie et une stabilit\u00e9 \u2014 c\u2019est aussi parce qu’il s’agit d’une r\u00e9gion du monde o\u00f9 la violence a \u00e9t\u00e9 r\u00e9duite \u00e0 un niveau tol\u00e9rable.<\/p>\n\n\n\n Ne pas laisser la d\u00e9prime s\u2019imposer doit faire partie de notre strat\u00e9gie.<\/p>Yaroslav Hrytsak<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Nous savons \u00e0 quel point la vie dans ce continent a pu \u00eatre sanglante, combien de guerres l’ont d\u00e9chir\u00e9. Mais on peut aujourd’hui difficilement imaginer une guerre entre la France et l’Allemagne ou entre la France et la Grande-Bretagne. C’est la plus grande r\u00e9ussite de ce projet. Elle est souvent sous-estim\u00e9e. Et c’est exactement ce qui se passe aujourd’hui avec l’Ukraine : je vois cette guerre comme une ultime tentative, une tentative finale de la Russie pour garder l’Ukraine sous son emprise. Le moment que nous vivons est celui o\u00f9 l\u2019Ukraine affirme qu\u2019elle veut quitter cet espace.<\/p>\n\n\n\n En termes d\u00e9mographiques, les pertes de l’Ukraine dans cette guerre sont d\u00e9j\u00e0 comparables \u00e0 celles de notre pays pendant la Deuxi\u00e8me Guerre mondiale. Par chance, la majorit\u00e9 de ceux qui ne sont plus en Ukraine sont toujours vivants. Mais toujours est-il qu\u2019ils ne sont pas l\u00e0. L’Ukraine a perdu entre 25 et 30 % de sa population : c\u2019est un chiffre vertigineux, qui vous donne une id\u00e9e de la crise \u00e0 laquelle nous faisons face.<\/p>\n\n\n\n Mais la guerre est aussi une p\u00e9riode d’opportunit\u00e9s. Dans certains domaines, j\u2019observe ainsi des transformations profondes.<\/p>\n\n\n\n Deux questions ont longtemps d\u00e9chir\u00e9 l’Ukraine : la langue et la question m\u00e9morielle.<\/p>\n\n\n\n Une partie de la population, notamment dans l’Est, avait une certaine sympathie \u2014 ou une empathie pourrait-on dire \u2014 pour la Russie, la culture russe. Cette r\u00e9alit\u00e9 entra\u00eenait un d\u00e9bat important sur le statut de la culture et de la langue russes. Ce n’est plus le cas. C’est en partie d\u00fb au fait que nous avons perdu des territoires en Crim\u00e9e et dans le Donbass, mais cela s’explique aussi par la r\u00e9action \u00e0 l’agression de Poutine et notamment, de fa\u00e7on tr\u00e8s concr\u00e8te, \u00e0 ses bombardements.<\/p>\n\n\n\n Prenez Odessa, une ville russophone. Aujourd’hui, cela nous semble \u00e9vident, mais l\u2019on n\u2019aurait jamais imagin\u00e9 que la statue de Catherine la Grande p\u00fbt \u00eatre retir\u00e9e alors m\u00eame qu’elle est consid\u00e9r\u00e9e comme la fondatrice de la ville. Cela s’est fait pourtant sans protestations.<\/p>\n\n\n\n Je ne dis pas qu’il n’y aura pas de probl\u00e8mes : la question linguistique est encore un sujet. Mais en temps de guerre, la question du statut de la langue russe n’est plus sur la table \u2014 personne n’ira en d\u00e9battre.<\/p>\n\n\n\n Le b\u00e2timent o\u00f9 nous nous trouvons actuellement, sur le campus de l\u2019Universit\u00e9 catholique de Lviv, est un endroit particuli\u00e8rement s\u00fbr.<\/p>\n\n\n\n Pourtant, si vous tournez votre regard dans le hall, tout pr\u00e8s de l\u2019entr\u00e9e, la premi\u00e8re chose que vous voyez est un tableau avec les noms des \u00e9tudiants et des enseignants tu\u00e9s durant la guerre. Il y a plusieurs douzaines de lignes.<\/p>\n\n\n\n Il y a environ un an, l’une de mes \u00e9tudiantes est morte avec sa m\u00e8re et ses deux s\u0153urs dans une frappe russe. Seul le p\u00e8re a surv\u00e9cu. Nous continuons \u00e0 perdre des gens \u2014 et je ne parle pas seulement de ceux qui sont au front. Le sentiment constant de perte. Plus loin, en sortant de l\u2019universit\u00e9, le cimeti\u00e8re s’agrandit constamment.<\/p>\n\n\n\n L’Ukraine a perdu entre 25 et 30 % de sa population : c\u2019est un chiffre vertigineux, qui vous donne une id\u00e9e de la crise \u00e0 laquelle nous faisons face.<\/p>Yaroslav Hrytsak<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Dans le deuil, nous avons pris conscience de la beaut\u00e9 de ce pays. <\/p>\n\n\n\n Je me rappelle d\u2019une discussion avec un officier aujourd\u2019hui dans l’arm\u00e9e mais qui avait commenc\u00e9 dans les manifestations sur la place Ma\u00efdan. Il est d\u00e9sormais stationn\u00e9 dans le nord du Donbass. Je lui demandais ce qu’il ferait lorsque la guerre serait enfin termin\u00e9e. Il me dit qu\u2019il emm\u00e8nerait sa femme et ses deux enfants en vacances dans le Donbass \u2014 pr\u00e9cis\u00e9ment l\u00e0 o\u00f9 il \u00e9tait post\u00e9 \u2014 parce qu’il n’avait jamais pris conscience \u00e0 quel point la r\u00e9gion \u00e9tait belle.<\/p>\n\n\n\n Oui. La guerre d’agression de Poutine a commenc\u00e9 par une tentative de Blitzkrieg. Si ce terme date de la Deuxi\u00e8me, la Premi\u00e8re Guerre mondiale avait aussi d\u00e9marr\u00e9 par une tentative de guerre rapide qui s’est transform\u00e9e en une longue guerre de quatre ans. Nous sommes aujourd\u2019hui dans la quatri\u00e8me ann\u00e9e.<\/p>\n\n\n\n Il y a toutefois une importante nuance : notre guerre, ce sont les tranch\u00e9es plus les drones. La technologie a chang\u00e9 mais n\u2019a pas r\u00e9ussi \u00e0 transformer ce conflit en guerre de mouvement : il n’y a pas de perc\u00e9e, la ligne de front bouge lentement \u2014 certaines personnes ont calcul\u00e9 qu’il faudrait 100 ans \u00e0 l’arm\u00e9e russe pour atteindre Kyiv \u00e0 rythme constant.<\/p>\n\n\n\n La deuxi\u00e8me diff\u00e9rence c’est l’\u00e9chelle : nous n’avons en Ukraine pas d’op\u00e9rations de tr\u00e8s grande ampleur et de batailles impliquant des centaines de milliers d\u2019hommes.<\/p>\n\n\n\n Nous sommes dans une guerre d’attrition, avec une logique diff\u00e9rente : la d\u00e9faite n’est pas d\u00e9finie sur le champ de bataille mais par l’opinion publique. Et la victoire d\u00e9pendra de la capacit\u00e9 de la soci\u00e9t\u00e9 \u00e0 supporter le fardeau de la guerre. On sait d\u00e9sormais que cette guerre ne s\u2019arr\u00eatera pas en raison d\u2019une victoire militaire mais par l’effondrement d’un c\u00f4t\u00e9 ou de l’autre. Ceux qui ne pourront en supporter le co\u00fbt s\u2019effondreront \u2014 et ce sera la fin. <\/p>\n\n\n\n Entre la Russie et l’Ukraine, la question est, au fond, assez simple : qui s’effondrera en premier ?<\/p>\n\n\n\n Je suis optimiste : malgr\u00e9 les pertes, malgr\u00e9 les tensions, l’Ukraine ne s\u2019effondre pas et pourrait encore tenir des mois, si ce n’est des ann\u00e9es. Nous sommes dans une guerre tr\u00e8s longue : une tr\u00eave est peut-\u00eatre possible \u00e0 court terme \u2014 mais pas la fin de la guerre. <\/p>\n\n\n\n Cela rel\u00e8ve de quelque chose d’irrationnel qu’il est difficile de d\u00e9crire. <\/p>\n\n\n\n Essayons tout de m\u00eame. <\/p>\n\n\n\n Tout d’abord, les \u00e9tudes historiques montrent que les soci\u00e9t\u00e9s qui ont une exp\u00e9rience de violence prolong\u00e9e se montrent plus r\u00e9silientes. L’Ukraine a cette exp\u00e9rience. Ce qu\u2019elle a connu pendant une grande partie du XXe si\u00e8cle l’aide, d\u2019une certaine mani\u00e8re, \u00e0 tenir. La survie est dans les m\u00e9moires de la majorit\u00e9 des Ukrainiens.<\/p>\n\n\n\n Mais la r\u00e9sistance de l\u2019Ukraine repose aussi de mani\u00e8re tr\u00e8s concr\u00e8te sur une minorit\u00e9 de membres de la soci\u00e9t\u00e9 civile issus de la classe moyenne urbaine. Cette nouvelle g\u00e9n\u00e9ration n’a pas connu la violence ; ils ont \u00e9t\u00e9 \u00e9lev\u00e9s non pas dans la survie mais dans l\u2019expression de soi : cette minorit\u00e9 d\u00e9cisive s\u2019organise et se bat pour sa libert\u00e9.<\/p>\n\n\n\n Entre la Russie et l’Ukraine, la question est, au fond, assez simple : qui s’effondrera en premier ?<\/p>Yaroslav Hrytsak<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Je suis tr\u00e8s prudent \u00e0 ce sujet. Je me renseigne aupr\u00e8s d’experts, je les \u00e9coute, et la plupart d’entre eux disent que l’Ukraine peut tenir au moins six mois, si ce n’est plus longtemps. Nous ne savons pas vraiment. Nos perspectives et nos horizons sont tr\u00e8s limit\u00e9s\u2026 <\/p>\n\n\n\n Mais mon instinct me dit autre chose : qu’il y a dans cette r\u00e9sistance quelque chose qui d\u00e9passe compl\u00e8tement notre compr\u00e9hension. <\/p>\n\n\n\n Je ne dis pas qu’un effondrement est impossible \u2014 il est toujours possible \u2014 mais il est impossible \u00e0 pr\u00e9dire.<\/p>\n\n\n\n M\u00eame si notre destin d\u00e9pend toujours beaucoup de nos alli\u00e9s, nous pouvons toujours emp\u00eacher notre propre effondrement.<\/p>\n\n\n\n C’est une id\u00e9e fausse, et dangereuse. En simplifiant un peu, le sous-jacent d\u2019un tel pr\u00e9suppos\u00e9 est que l’Ukraine serait l\u00e0 pour faire gagner du temps au reste de l\u2019Occident\u2026<\/p>\n\n\n\n La r\u00e9conciliation franco-allemande fut la pierre angulaire de la construction de l’Union europ\u00e9enne. <\/p>\n\n\n\n Cette id\u00e9e avait \u00e9merg\u00e9 pendant la guerre mais le crit\u00e8re central \u00e9tait qu\u2019elle se fasse apr\u00e8s Hitler. C’\u00e9tait un point crucial pour pouvoir penser \u00e0 l’avenir \u2014 on ne peut gu\u00e8re envisager le futur avec un voisin belliqueux qui se consid\u00e8re en guerre \u00e9ternelle contre vous<\/a>.<\/p>\n\n\n\n Nous devons donc penser \u00e0 la r\u00e9conciliation entre la Russie et l’Ukraine \u2014 mais cela doit se faire sans Poutine. Nous devrons travailler avec ceux qui viendront apr\u00e8s lui tout en \u00e9tant conscients qu\u2019il n’y aura probablement pas d’opposition d\u00e9mocratique. Il y aura sans doute apr\u00e8s lui quelqu’un venant de son cercle proche \u2014 comme il y a eu Khrouchtchev apr\u00e8s Staline.<\/p>\n\n\n\n Je pense qu’il faudra aussi attendre l’\u00e9mergence d’une population qui aura une exp\u00e9rience diff\u00e9rente du processus de d\u00e9mocratisation et qui sera capable de poser des questions difficiles \u00e0 ses parents \u2014 exactement comme dans l\u2019Allemagne d\u00e9nazifi\u00e9e.<\/p>\n\n\n\n Deux conditions pr\u00e9alables, donc, pourraient ouvrir la voie d\u2019une r\u00e9conciliation : une Russie sans Poutine ; et une nouvelle g\u00e9n\u00e9ration de Russes.<\/p>\n\n\n\n La principale diff\u00e9rence entre la Russie et l’Ukraine ne r\u00e9side pas dans la langue ou la religion \u2014 \u00e0 cet \u00e9gard, ces deux pays ne sont pas particuli\u00e8rement similaires, mais pas particuli\u00e8rement diff\u00e9rents non plus.<\/p>\n\n\n\n La principale diff\u00e9rence r\u00e9side dans leurs conceptions de la libert\u00e9 et dans leurs traditions politiques respectives.<\/p>\n\n\n\n L\u2019historien britannique Timothy Garton Ash fait remarquer que, dans la langue ukrainienne, le mot Volya <\/em>a deux sens, celui de \u00ab libert\u00e9 \u00bb et celui de \u00ab volont\u00e9 \u00bb \u2014 le d\u00e9sir<\/em> de libert\u00e9. Il me semble que c\u2019est un excellent condens\u00e9 de l’esprit ukrainien : un pays attach\u00e9 \u00e0 sa libert\u00e9 mais qui a aussi la volont\u00e9 de sauvegarder cette libert\u00e9. C\u2019est un sentiment tr\u00e8s europ\u00e9en, tr\u00e8s occidental \u2014 pour moi, l’id\u00e9e de libert\u00e9 est clairement un concept de la pens\u00e9e politique occidentale<\/a>. C’est ce qui fait \u00e0 mon sens de l’Ukraine un pays v\u00e9ritablement europ\u00e9en.<\/p>\n\n\n\n Nous pouvons toujours emp\u00eacher notre propre effondrement.<\/p>Yaroslav Hrytsak<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n La libert\u00e9 dont nous jouissons est le revers de la m\u00e9daille de la violence. Fondamentalement, ce qui est en jeu, c’est le dirigeant et les limites pos\u00e9es \u00e0 son pouvoir. Malheureusement, tr\u00e8s souvent dans l’histoire russe, nous assistons \u00e0 l’\u00e9mergence d’un r\u00e9gime ou d\u2019un dirigeant dont le pouvoir n’est ni limit\u00e9 ni contest\u00e9.<\/p>\n\n\n\n L’Ukraine est souvent consid\u00e9r\u00e9e comme \u00e9tant \u00e0 l’ombre de l’histoire et de la culture russes. D\u2019un point de vue historique, c\u2019est faux.<\/p>\n\n\n\n Le fait russe est relativement moderne en Ukraine et n’a jamais eu, jusqu’\u00e0 la Seconde Guerre mondiale, d’impact sur l’ensemble du pays. <\/p>\n\n\n\n Pendant la majeure partie de son histoire, l’Ukraine a \u00e9t\u00e9 beaucoup plus li\u00e9e \u00e0 l’Occident \u2014 quel que soit le sens qu\u2019on donne \u00e0 ce terme bien imparfait \u2014 qu’\u00e0 la Russie.<\/p>\n\n\n\n Je ne prendrai qu\u2019un exemple parlant. Quelle \u00e9tait la principale diff\u00e9rence entre les princes de la Rus’ de Kiev et les dirigeants moscovites ? La plupart des mariages des princes de la Rus’ de Kiev furent conclus avec l\u2019Europe : la France, l’Allemagne, l’Angleterre, la Su\u00e8de, la Hongrie, la Pologne. Les strat\u00e9gies matrimoniales de l\u2019aristocratie de la Rus’ de Kiev \u00e9taient donc tr\u00e8s enracin\u00e9es dans l\u2019Europe de l\u2019\u00e9poque.<\/p>\n\n\n\n Or pour une s\u00e9rie de raisons \u2014 mais essentiellement du fait de sa g\u00e9ographie \u2014 la Russie ne l’\u00e9tait pas, au moins jusqu’\u00e0 Pierre le Grand. <\/p>\n\n\n\n L’id\u00e9e d’un dirigeant qui exercerait ses pouvoirs sans limites \u00e9tait tout \u00e0 fait \u00e9trang\u00e8re \u00e0 l’Ukraine. Et cette m\u00e9moire historique a \u00e9t\u00e9 largement codifi\u00e9e dans la litt\u00e9rature du XIXe si\u00e8cle. Lisez Shevchenko et les grands po\u00e8tes ukrainiens : ils critiquent la Russie non pas \u00e0 cause de la langue \u2014 mais parce que celle-ci a priv\u00e9 les Ukrainiens de leur libert\u00e9.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":" \u00ab L’Ukraine est en train de quitter un monde dangereux : le monde russe. \u00bb<\/p>\n Comment la longue dur\u00e9e peut-elle aider \u00e0 comprendre la guerre ?<\/p>\n Pour l\u2019historien et intellectuel ukrainien Yaroslav Hrytsak, auteur de Ukraine. The Forging of a Nation<\/em>, l\u2019atrocit\u00e9 de l\u2019agression de Poutine est en train d\u2019op\u00e9rer une transformation profonde : l\u2019exp\u00e9rience de la violence et l\u2019aspiration \u00e0 la libert\u00e9 fa\u00e7onnent un pays qui se construit par la r\u00e9sistance.<\/p>\n","protected":false},"author":10,"featured_media":297743,"comment_status":"closed","ping_status":"closed","sticky":false,"template":"templates\/post-interviews.php","format":"standard","meta":{"_acf_changed":true,"_trash_the_other_posts":false,"footnotes":""},"categories":[4546],"tags":[],"geo":[1917],"class_list":["post-297740","post","type-post","status-publish","format-standard","hentry","category-ukraine-portrait-dun-pays-dechire-qui-resiste","staff-fabrice-deprez","geo-europe"],"acf":[],"yoast_head":"\nVous \u00eates historien. Vos travaux portent notamment sur la naissance de l\u2019Ukraine en tant que nation. Quel regard portez-vous aujourd\u2019hui sur la situation du pays ?<\/h3>\n\n\n\n
Pourquoi ?<\/h3>\n\n\n\n
Qu’est-ce qui vous frappe particuli\u00e8rement dans cette guerre ?<\/h3>\n\n\n\n
Lesquelles, par exemple ?<\/h3>\n\n\n\n
Nous sommes \u00e0 Lviv, dans l’ouest de l’Ukraine, pr\u00e8s de la Pologne. Comment la guerre est-elle ressentie ici ?<\/h3>\n\n\n\n
Quelles sont les r\u00e9f\u00e9rences historiques qui s’imposent \u00e0 vous pour d\u00e9crire cette guerre ? En Europe occidentale, en France, en Allemagne, on pense souvent \u00e0 la Premi\u00e8re Guerre mondiale\u2026 Est-ce aussi la comparaison qui vous vient imm\u00e9diatement \u00e0 l\u2019esprit ?<\/h3>\n\n\n\n
Comment expliquez-vous que la soci\u00e9t\u00e9 ukrainienne parvienne \u00e0 tenir aussi longtemps ?<\/h3>\n\n\n\n
Combien de temps pensez-vous que la soci\u00e9t\u00e9 ukrainienne pourra encore tenir ?<\/h3>\n\n\n\n
Ne pensez-vous pas que cela entretienne du m\u00eame coup l\u2019illusion d’une soci\u00e9t\u00e9 ukrainienne surhumaine \u2014 capable de tenir \u00e9ternellement ou presque ? Quelles sont les cons\u00e9quences d\u2019une telle repr\u00e9sentation ?<\/h3>\n\n\n\n
Pensez-vous qu’une r\u00e9conciliation entre l’Ukraine et la Russie soit un jour possible ?<\/h3>\n\n\n\n
Quelle est \u00e0 votre avis la plus grande singularit\u00e9 de l\u2019Ukraine en tant que nation ?<\/h3>\n\n\n\n
Qu\u2019enseigne la longue dur\u00e9e sur ce point pr\u00e9cis ?<\/h3>\n\n\n\n