{"id":290034,"date":"2025-07-29T20:55:39","date_gmt":"2025-07-29T18:55:39","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=290034"},"modified":"2025-07-30T12:52:29","modified_gmt":"2025-07-30T10:52:29","slug":"le-jour-de-la-dependance","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2025\/07\/29\/le-jour-de-la-dependance\/","title":{"rendered":"L’Europe apr\u00e8s le Jour de la D\u00e9pendance"},"content":{"rendered":"\n
Le 27 juillet 2025, date de l\u2019annonce d\u2019un accord commercial pr\u00e9liminaire<\/a> entre l\u2019Union europ\u00e9enne et les \u00c9tats-Unis, restera comme un jour funeste dans l\u2019histoire de l\u2019Europe. <\/p>\n\n\n\n Sans coup f\u00e9rir, l\u2019Union vient de subir un revers politique, \u00e9conomique et moral d\u2019une gravit\u00e9 in\u00e9dite : son alli\u00e9 am\u00e9ricain est devenu pour l\u2019occasion un pr\u00e9dateur. Au terme de mois de n\u00e9gociations sous la pression permanente de la Maison-Blanche, Bruxelles a accept\u00e9 un accord profond\u00e9ment d\u00e9s\u00e9quilibr\u00e9 \u2013 une capitulation pure et simple d\u00e9guis\u00e9e en compromis \u2013 face au diktat am\u00e9ricain.<\/p>\n\n\n\n Jamais, entre alli\u00e9s occidentaux, on n\u2019avait os\u00e9 imposer de telles conditions \u00e0 l\u2019Europe. L\u2019Union se voit contrainte de consentir \u00e0 un tarif douanier uniforme de 15 % sur l\u2019essentiel de ses exportations vers les \u00c9tats-Unis, 70 % d\u2019apr\u00e8s les premiers d\u00e9comptes, frappant notamment l\u2019industrie automobile \u2013 fleuron de notre comp\u00e9titivit\u00e9 \u2013 tandis que les concessions am\u00e9ricaines ne sont pour l\u2019essentiel que des retraits de menaces ant\u00e9rieures. <\/p>\n\n\n\n Pour mesurer l\u2019ampleur de ce camouflet, rappelons qu\u2019il s\u2019agit d\u2019une multiplication par trois des taxes douani\u00e8res, puisqu\u2019elles s\u2019\u00e9levaient \u00e0 4,8 % en moyenne avant le retour de Donald Trump \u00e0 la Maison Blanche, et que ce taux de 15 % d\u00e9passe m\u00eame celui de 10 % consenti par le Royaume-Uni dans un accord bilat\u00e9ral pr\u00e9c\u00e9dent<\/a>.<\/p>\n\n\n\n En outre, l\u2019Union s\u2019est engag\u00e9e \u00e0 ce que ses entreprises investissent 600\u202fmilliards de dollars sur le sol am\u00e9ricain \u2013 alors m\u00eame que notre continent souffre d\u2019un ch\u00f4mage structurel et d\u2019une d\u00e9sindustrialisation rampante qui r\u00e9clament d\u2019urgence des investissements chez nous, \u00e0 hauteur de plus de 800\u202fmilliards d\u2019euros par an pour respecter la trajectoire de neutralit\u00e9 carbone, comme l\u2019a rappel\u00e9 le rapport Draghi<\/a>. <\/p>\n\n\n\n Jamais, entre alli\u00e9s occidentaux, on n\u2019avait os\u00e9 imposer de telles conditions \u00e0 l\u2019Europe. <\/p>Dominique de Villepin<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Enfin, l\u2019Union s\u2019est engag\u00e9e \u00e0 \u2019acheter 750\u202fmilliards de dollars d\u2019\u00e9nergie am\u00e9ricaine sur trois ans, pour l\u2019essentiel du gaz naturel liqu\u00e9fi\u00e9 (GNL), rempla\u00e7ant ainsi une d\u00e9pendance russe par une d\u00e9pendance am\u00e9ricaine, c\u00e9dant au chantage au m\u00e9pris de nos propres engagements climatiques<\/a>. <\/p>\n\n\n\n Cela repr\u00e9senterait une multiplication par plus de trois de nos achats \u00e9nerg\u00e9tiques aupr\u00e8s des \u00c9tats-Unis. Est-ce \u00e0 dire que nos objectifs environnementaux sont n\u00e9gociables ? La Commission europ\u00e9enne avait elle-m\u00eame pr\u00e9sent\u00e9 en d\u00e9but d\u2019ann\u00e9e un plan pour la comp\u00e9titivit\u00e9 visant \u00e0 ce que l\u2019\u00e9pargne europ\u00e9enne s\u2019investisse ici plut\u00f4t qu\u2019aux \u00c9tats-Unis \u2013 plan totalement contradictoire avec l\u2019accord commercial annonc\u00e9.<\/p>\n\n\n\n Au-del\u00e0 de ces chiffres bruts, ce pacte in\u00e9gal touche aux piliers m\u00eames de la souverainet\u00e9 europ\u00e9enne, tant il vise \u00e0 satelliser plus encore notre continent dans l\u2019orbite de Washington. <\/p>\n\n\n\n Sur le plan \u00e9conomique, l\u2019imposition de tarifs douaniers prohibitifs, combin\u00e9e \u00e0 la promesse d\u2019investissements directs massifs en Am\u00e9rique, incite les entreprises europ\u00e9ennes \u00e0 d\u00e9localiser une partie de leur appareil productif outre-Atlantique. L\u2019industrie europ\u00e9enne risque ainsi de se sp\u00e9cialiser dans l\u2019approvisionnement du march\u00e9 am\u00e9ricain, ce qui rendrait impossible tout pivot strat\u00e9gique vers l\u2019Asie et placerait nombre de nos usines sous le contr\u00f4le administratif de Washington. <\/p>\n\n\n\n Sur le plan militaire, l\u2019accord ent\u00e9rine et renforce la d\u00e9pendance en mati\u00e8re de d\u00e9fense : les Europ\u00e9ens se sont engag\u00e9s \u00e0 commander davantage de mat\u00e9riel am\u00e9ricain, ce qui hypoth\u00e9que l\u2019\u00e9mergence d\u2019une base industrielle et technologique de d\u00e9fense europ\u00e9enne autonome. Nos arm\u00e9es resteront donc encore un peu plus tributaires des pi\u00e8ces d\u00e9tach\u00e9es et logiciels venus des \u00c9tats-Unis, et donc du feu vert de Washington pour l\u2019entretien et l\u2019usage de nos \u00e9quipements. <\/p>\n\n\n\n Sur le plan technologique et id\u00e9ologique, cet accord torpille de fait les vell\u00e9it\u00e9s europ\u00e9ennes de nouvelles r\u00e9gulations des g\u00e9ants du num\u00e9rique am\u00e9ricains, sacrifiant une part de notre souverainet\u00e9 num\u00e9rique. Incapable d\u2019encadrer ces plateformes, l\u2019Europe renonce \u00e0 contr\u00f4ler pleinement sa sph\u00e8re publique en ligne \u2013 avec les risques que cela comporte pour l\u2019int\u00e9grit\u00e9 de nos processus d\u00e9mocratiques et de nos donn\u00e9es. <\/p>\n\n\n\n Pour les euro-atlantistes convaincus, cet accord est la garantie que les \u00c9tats-Unis ne d\u00e9laisseront pas de sit\u00f4t une Europe devenue leur plus lucrative province imp\u00e9riale.<\/p>Dominique de Villepin<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Cette absorption quasi-totale \u2014 con\u00e7ue \u00e0 Washington pour Washington \u2014 est un revers historique pour les partisans d\u2019une Europe v\u00e9ritablement ind\u00e9pendante. \u00c0 l\u2019inverse, pour les euro-atlantistes convaincus, c\u2019est la garantie que les \u00c9tats-Unis ne d\u00e9laisseront pas de sit\u00f4t une Europe devenue leur plus lucrative province imp\u00e9riale.<\/p>\n\n\n\n Il ne s\u2019agit donc pas d\u2019un accord commercial, mais bel et bien d\u2019un abandon. Car m\u00eame si les industriels, les producteurs et les exportateurs europ\u00e9ens peuvent se r\u00e9jouir de pouvoir compter sur une plus grande stabilit\u00e9 et pr\u00e9visibilit\u00e9 pour certains de leurs secteurs strat\u00e9giques, le prix \u00e0 payer est exorbitant. <\/p>\n\n\n\n Cet accord aura des cons\u00e9quences tr\u00e8s n\u00e9gatives pour les Europ\u00e9ens comme pour les Fran\u00e7ais. Les \u00e9conomistes du Kiel Institute<\/a> ont \u00e9valu\u00e9 \u00e0 plusieurs milliards les pertes de richesse pour la France \u2013 ce qui signifie moins de richesses et moins d\u2019emplois pour les Fran\u00e7ais. C\u2019est une trahison de la promesse europ\u00e9enne de prosp\u00e9rit\u00e9 partag\u00e9e.<\/p>\n\n\n\n Une telle humiliation collective ne peut qu\u2019interpeller chaque citoyen europ\u00e9en, d\u2019autant plus que l\u2019Union avait pourtant les moyens d\u2019agir, alors que chacun des 27 \u00c9tats n\u2019aurait eu, pris individuellement, aucune chance de pouvoir r\u00e9sister \u00e0 la pression am\u00e9ricaine. <\/p>\n\n\n\n D\u00e9j\u00e0, certains responsables \u00e0 Bruxelles tentent de pr\u00e9senter cette capitulation sous un jour acceptable, par une rationalisation a posteriori bien connue : on assure que cela aurait pu \u00eatre pire et que cet accord d\u00e9s\u00e9quilibr\u00e9 est pr\u00e9f\u00e9rable \u00e0 une guerre commerciale totale ; on veut croire qu\u2019il ne sera que temporaire et qu\u2019une future administration d\u00e9mocrate \u00e0 Washington finira par le ren\u00e9gocier dans un sens plus favorable. <\/p>\n\n\n\n Il est illusoire de croire que Donald Trump arr\u00eatera l\u00e0 ses revendications face \u00e0 une Europe dont il m\u00e9prise ouvertement la souverainet\u00e9,<\/a> et il est tout aussi illusoire de croire qu\u2019un futur pr\u00e9sident am\u00e9ricain plus raisonnable reviendra sans contreparties sur l\u2019aubaine de ces droits de douane<\/a> \u2013 ; on r\u00e9p\u00e8te que c\u2019est le prix \u00e0 payer pour pr\u00e9server l\u2019unit\u00e9 de l\u2019Occident face \u00e0 la Chine ; on promet m\u00eame, \u00e0 demi-mot, qu\u2019on saura tra\u00eener les pieds pour limiter l\u2019application la plus dommageable de certaines clauses. Mais ces arguties ressemblent fort \u00e0 un voile pudique jet\u00e9 sur une r\u00e9alit\u00e9 plus crue. <\/p>\n\n\n\n Nos concessions actuelles appelleront logiquement des exigences encore plus lourdes la prochaine fois. Pr\u00e9parons-nous.<\/p>Dominique de Villepin<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n En r\u00e9alit\u00e9, cette reculade historique est le sympt\u00f4me d\u2019une impuissance strat\u00e9gique europ\u00e9enne<\/a>. Une \u00e9quipe de politiques de s\u00e9rie B n\u2019avait aucune chance de remporter un bras de fer g\u00e9opolitique muscl\u00e9. La Commission a navigu\u00e9 \u00e0 vue, louvoyant sans cesse, et a transform\u00e9 sa pusillanimit\u00e9 en semblant de strat\u00e9gie. <\/p>\n\n\n\n Ne nous y trompons pas : en se montrant pr\u00eate \u00e0 tout c\u00e9der sans ligne rouge apparente, l\u2019Europe a laiss\u00e9 entendre que la limite de ce qui peut lui \u00eatre impos\u00e9 n\u2019est pas encore atteinte. Nos concessions actuelles appelleront logiquement des exigences encore plus lourdes la prochaine fois. Pr\u00e9parons-nous.<\/p>\n\n\n\n Comment en est-on arriv\u00e9 l\u00e0 ? Comment une Union forte de 450\u202fmillions d\u2019habitants a-t-elle pu accepter ce qu\u2019il faut bien appeler un diktat ? Les r\u00e9ponses se trouvent autant dans les rapports de force implacables \u00e0 l\u2019\u0153uvre sur la sc\u00e8ne mondiale que dans les faiblesses que l\u2019Europe s\u2019est inflig\u00e9es \u00e0 elle-m\u00eame.<\/p>\n\n\n\n La premi\u00e8re explication est \u00e9troitement li\u00e9e \u00e0 la division des Europ\u00e9ens : l\u2019Allemagne et l\u2019Italie<\/a>, premiers partenaires commerciaux des \u00c9tats-Unis en Europe et qui soutenaient d\u00e9j\u00e0 le TAFTA il y a quelques ann\u00e9es, ont voulu un accord \u2013 m\u00eame tr\u00e8s in\u00e9gal \u2013 pour donner de la visibilit\u00e9 \u00e0 leurs secteurs exportateurs. <\/p>\n\n\n\n De leur c\u00f4t\u00e9, les pays d\u2019Europe de l\u2019Est<\/a> ont privil\u00e9gi\u00e9 le maintien du soutien militaire am\u00e9ricain plut\u00f4t qu\u2019un accord \u00e9quilibr\u00e9. La Commission, pour sa part, a essentiellement relay\u00e9 la position allemande, comme elle le fait sur de nombreux dossiers depuis les derni\u00e8res \u00e9lections europ\u00e9ennes, y compris en mati\u00e8re climatique. <\/p>\n\n\n\n La France<\/a> a aussi sa part de responsabilit\u00e9 dans cette d\u00e9b\u00e2cle. Elle a avanc\u00e9 en cavalier solitaire, sans se pr\u00e9occuper de former des majorit\u00e9s autour de l\u2019id\u00e9e de souverainet\u00e9 europ\u00e9enne, et a pratiqu\u00e9 l\u2019ambigu\u00eft\u00e9 voire l\u2019hypocrisie, en plaidant la fermet\u00e9 vis-\u00e0-vis de Washington, mais en demandant que ses produits en soient exempt\u00e9s.<\/p>\n\n\n\n Tous les grands discours prononc\u00e9s depuis 2019 sur la n\u00e9cessit\u00e9 d\u2019une Europe plus souveraine n\u2019auront pas surv\u00e9cu \u00e0 cette premi\u00e8re \u00e9preuve. Ce choix r\u00e9v\u00e8le aussi qu\u2019une partie de l\u2019\u00e9lite europ\u00e9enne \u2013 ancr\u00e9e g\u00e9n\u00e9rationnellement, id\u00e9ologiquement et culturellement dans le camp occidental \u2013 imagine le monde non pas en trois blocs distincts : \u00c9tats-Unis, Europe, Chine, mais en deux : l\u2019Occident d\u2019un c\u00f4t\u00e9 et la Chine de l\u2019autre, l\u2019Europe s\u2019effa\u00e7ant alors dans le giron am\u00e9ricain.<\/p>\n\n\n\n Tous les grands discours prononc\u00e9s depuis 2019 sur la n\u00e9cessit\u00e9 d\u2019une Europe plus souveraine n\u2019auront pas surv\u00e9cu \u00e0 cette premi\u00e8re \u00e9preuve.<\/p>Dominique de Villepin<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n La deuxi\u00e8me explication rejoint une le\u00e7on immuable de l\u2019Histoire : c\u2019est le prix de la servitude volontaire. Depuis son retour \u00e0 la Maison-Blanche, Donald Trump applique sans fard sa m\u00e9thode favorite : la domination unilat\u00e9rale et le marchandage brutal. Il ne cache pas son m\u00e9pris \u00e0 l\u2019\u00e9gard de l\u2019Union europ\u00e9enne, qu\u2019il consid\u00e8re tour \u00e0 tour comme un vassal ingrat, un obstacle \u00e0 la puissance am\u00e9ricaine, voire un parasite vivant aux crochets des \u00c9tats-Unis. <\/p>\n\n\n\n Cette vision caricaturale s\u2019\u00e9tait d\u00e9j\u00e0 exprim\u00e9e lors de son premier mandat ; elle trouve aujourd\u2019hui un terrain d\u2019expression encore plus direct. Ce n\u2019est ni une surprise ni une d\u00e9rive, mais bien une m\u00e9thode que le pr\u00e9sident am\u00e9ricain applique froidement et avec succ\u00e8s face \u00e0 une Europe qu\u2019il juge faible.<\/p>\n\n\n\n Pour Donald Trump, cet accord inique impos\u00e9 \u00e0 l\u2019Europe constitue d\u2019ailleurs une double victoire. Sur le plan g\u00e9opolitique, il consacre l\u2019arrimage du Vieux Continent \u00e0 l\u2019Am\u00e9rique, isole un peu plus la Chine et renforce la supr\u00e9matie \u00e9nerg\u00e9tique et militaire des \u00c9tats-Unis. Sur le plan int\u00e9rieur, il offre au pr\u00e9sident am\u00e9ricain un argument \u00e9lectoral de poids : Donald Trump peut se vanter d\u2019avoir satisfait \u00e0 l\u2019ambition MAGA de l\u2019\u00ab America First \u00bb en obtenant des commandes industrielles et \u00e9nerg\u00e9tiques massives, notamment dans la plupart des \u00c9tats clefs qui d\u00e9cideront des scrutins de 2026 et 2028. <\/p>\n\n\n\n Ce triomphe politique a toutefois un co\u00fbt \u00e9conomique non n\u00e9gligeable pour les \u00c9tats-Unis eux-m\u00eames : la note sera en partie pay\u00e9e par les consommateurs am\u00e9ricains<\/a>, contraints \u00e0 des produits import\u00e9s plus on\u00e9reux, et par les entreprises am\u00e9ricaines d\u00e9pendantes d\u2019intrants \u00e9trangers d\u00e9sormais rench\u00e9ris, le reste de la facture \u00e9tant, bien s\u00fbr, \u00e0 la charge des actionnaires et des employ\u00e9s europ\u00e9ens.<\/p>\n\n\n\n Fallait-il pour autant que l\u2019Europe s\u2019y r\u00e9signe ? Devions-nous opposer le silence aux menaces et multiplier les concessions face aux ultimatums ? Non, assur\u00e9ment. Et pourtant, c\u2019est exactement le pi\u00e8ge dans lequel nos dirigeants sont tomb\u00e9s. Par peur de l\u2019escalade, par l\u2019illusion que la conciliation finirait par amadouer Washington, l\u2019Union a syst\u00e9matiquement minimis\u00e9 la brutalit\u00e9 du rapport de force.<\/p>\n\n\n\n Depuis des d\u00e9cennies, l\u2019Europe s\u2019est pens\u00e9e comme un mod\u00e8le \u00ab post-historique \u00bb o\u00f9 le droit et le commerce remplaceraient la puissance et la realpolitik. Forte de son exp\u00e9rience d\u2019int\u00e9gration r\u00e9ussie, elle a cru que son exemple s\u2019imposerait naturellement aux autres. Or, le monde de 2025 est tout sauf r\u00e9gi par ces doux principes : il est redevenu le th\u00e9\u00e2tre cru de la comp\u00e9tition entre puissances.<\/p>\n\n\n\n \u00c0 chaque fois, l\u2019absence de riposte cr\u00e9dible a confort\u00e9 les partisans de la loi du plus fort dans l\u2019id\u00e9e que l\u2019Europe ne voulait pas ou ne pouvait pas se d\u00e9fendre. Cette na\u00efvet\u00e9 europ\u00e9enne face \u00e0 la brutalit\u00e9 du monde ne date pas d\u2019hier. <\/p>\n\n\n\n On l\u2019a d\u00e9j\u00e0 vue avec le manque de d\u00e9termination de l\u2019Europe \u00e0 pousser une solution politique exigeante \u00e0 la crise ukrainienne en 2014 ou dans son incapacit\u00e9 \u00e0 emp\u00eacher les guerres en ex-Yougoslavie dans les ann\u00e9es 1990. Plus r\u00e9cemment, lorsque l\u2019administration Trump, d\u00e8s 2018, a impos\u00e9 des tarifs douaniers unilat\u00e9raux sur l\u2019acier et l\u2019aluminium europ\u00e9ens, l\u2019Union a protest\u00e9 par des mots \u2013 non par des actes \u2013 et a d\u00fb encaisser ces mesures sans contrepartie notable. De m\u00eame, quand Donald Trump s\u2019est retir\u00e9 de l\u2019accord nucl\u00e9aire iranien, nos entreprises se sont pli\u00e9es aux sanctions am\u00e9ricaines, faute de soutien concret de nos propres institutions pour les prot\u00e9ger. \u00c0 chaque fois, l\u2019absence de riposte cr\u00e9dible a confort\u00e9 les partisans de la loi du plus fort dans l\u2019id\u00e9e que l\u2019Europe ne voulait pas ou ne pouvait pas se d\u00e9fendre. <\/p>\n\n\n\n L\u2019\u00e9pisode actuel en est l\u2019aboutissement logique.<\/p>\n\n\n\n Pourtant, l\u2019Union ne manquait pas d\u2019atouts<\/a> dans cette \u00e9preuve de force. Forte d\u2019un march\u00e9 de 450\u202fmillions de consommateurs au pouvoir d\u2019achat \u00e9lev\u00e9, elle demeure la premi\u00e8re puissance commerciale de la plan\u00e8te. L\u2019acc\u00e8s au march\u00e9 europ\u00e9en est crucial pour d\u2019innombrables entreprises am\u00e9ricaines. <\/p>\n\n\n\n Nos dirigeants disposaient m\u00eame d\u2019un outil tout neuf, cr\u00e9\u00e9 justement \u00e0 la suite des abus de l\u2019administration Trump en 2017-2020 : l\u2019instrument anti-coercition<\/a>. Ce m\u00e9canisme juridique, vot\u00e9 par les 27, autorise des mesures de r\u00e9torsion rapides et massives contre tout pays cherchant \u00e0 faire plier l\u2019Europe par des moyens \u00e9conomiques ill\u00e9gitimes. Il pouvait permettre, par exemple, de suspendre l\u2019acc\u00e8s des entreprises am\u00e9ricaines aux march\u00e9s publics europ\u00e9ens, de restreindre certains transferts de technologies sensibles, ou de frapper les int\u00e9r\u00eats financiers des \u00c9tats-Unis en Europe. En somme, une v\u00e9ritable arme de dissuasion \u00e9conomique \u2013 parfois qualifi\u00e9e de \u00ab bazooka commercial \u00bb. <\/p>\n\n\n\n Au moment critique, nous avons refus\u00e9 de d\u00e9gainer cette arme pourtant approuv\u00e9e par tous. Seule la France aurait r\u00e9clam\u00e9 son activation imm\u00e9diate, tandis que la plupart des autres \u00c9tats membres rechignaient, arguant qu\u2019il fallait pr\u00e9server le dialogue.<\/p>\n\n\n\n Ne pas montrer ses dents quand on le peut, c\u2019est encourager l\u2019autre \u00e0 mordre plus fort.<\/p>Dominique de Villepin<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n La division et la frilosit\u00e9<\/a> ont eu des cons\u00e9quences directes. D\u2019abord, elles nous ont fait perdre un temps pr\u00e9cieux. Au lieu de r\u00e9agir du tac au tac d\u00e8s les premi\u00e8res menaces tarifaires de Washington, nous avons tergivers\u00e9. Lorsque Donald Trump a brandi la menace d\u2019une taxe de 30 % sur toutes les importations europ\u00e9ennes, il aurait fallu annoncer imm\u00e9diatement une riposte \u00e9quivalente et activer notre instrument anti-coercition. <\/p>\n\n\n\n L\u2019Union n\u2019a pas su valoriser ses atouts face \u00e0 un adversaire d\u00e9termin\u00e9 mais qui connaissait de nombreuses vuln\u00e9rabilit\u00e9s. Ne pas montrer ses dents quand on le peut, c\u2019est encourager l\u2019autre \u00e0 mordre plus fort. En n\u2019opposant d\u00e8s le d\u00e9but que des protestations verbales, l\u2019Europe a envoy\u00e9 \u00e0 Donald Trump le signal d\u00e9sastreux qu\u2019elle \u00e9tait pr\u00eate \u00e0 c\u00e9der si les menaces devenaient assourdissantes. Il n\u2019en fallait pas plus pour d\u00e9cupler l\u2019app\u00e9tit du pr\u00e9dateur.<\/p>\n\n\n\n Par ailleurs, notre d\u00e9pendance strat\u00e9gique<\/a> vis-\u00e0-vis de Washington a lourdement pes\u00e9. Alors m\u00eame que l\u2019Europe n\u00e9gociait sous la contrainte commerciale, nombre de responsables redoutaient en filigrane une remise en cause du \u00ab parapluie \u00bb s\u00e9curitaire am\u00e9ricain. Depuis l\u2019invasion \u00e0 grande \u00e9chelle de l\u2019Ukraine par la Russie en 2022, la s\u00e9curit\u00e9 europ\u00e9enne repose plus que jamais sur l\u2019OTAN et donc sur les \u00c9tats-Unis. En 2024, les pays europ\u00e9ens de l\u2019Alliance atlantique ont beau avoir augment\u00e9 significativement leurs budgets militaires, ils n\u2019en assument encore qu\u2019environ 30 %, contre 66 % pour les \u00c9tats-Unis. <\/p>\n\n\n\n Cette r\u00e9alit\u00e9 nourrit une crainte diffuse : si l\u2019Europe tenait t\u00eate \u00e0 Washington sur le commerce, celui-ci pourrait bouder son engagement dans la d\u00e9fense du continent, que ce soit face \u00e0 la Russie ou ailleurs. Donald Trump, rappelons-le, a d\u2019ailleurs qualifi\u00e9 l\u2019OTAN d\u2019\u00ab obsol\u00e8te \u00bb et laiss\u00e9 planer le doute sur le soutien automatique de l\u2019Am\u00e9rique en cas d\u2019agression. Plusieurs gouvernements d\u2019Europe centrale et orientale, tr\u00e8s d\u00e9pendants du bouclier am\u00e9ricain, ont refus\u00e9 toute confrontation \u00e9conomique qui aurait pu, selon eux, irriter Washington. <\/p>\n\n\n\n Cet accord illustre cr\u00fbment le cercle vicieux de la d\u00e9pendance : plus on d\u00e9pend d\u2019un alli\u00e9, moins on ose s\u2019opposer \u00e0 lui, et plus cet alli\u00e9 en profite pour imposer sa loi.<\/p>Dominique de Villepin<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Ce calcul \u00e0 court terme \u2013 sacrifier nos int\u00e9r\u00eats commerciaux pour ne pas risquer le courroux du protecteur militaire \u2013 a sans doute contribu\u00e9 \u00e0 paralyser la n\u00e9gociation collective. Il illustre cr\u00fbment le cercle vicieux de la d\u00e9pendance<\/a> : plus on d\u00e9pend d\u2019un alli\u00e9, moins on ose s\u2019opposer \u00e0 lui, et plus cet alli\u00e9 en profite pour imposer sa loi.<\/p>\n\n\n\n Pourtant, ailleurs dans le monde, une autre puissance a montr\u00e9 qu\u2019un autre chemin \u00e9tait possible. La voie choisie par la Chine au cours des derniers mois aurait d\u00fb, \u00e0 tout le moins, nous servir de contre-exemple. <\/p>\n\n\n\n D\u00e8s le mois d\u2019avril, confront\u00e9e elle aussi aux nouvelles mesures protectionnistes de Washington, la Chine a aussit\u00f4t r\u00e9pondu par des r\u00e9torsions cibl\u00e9es et assum\u00e9es<\/a>. P\u00e9kin a frapp\u00e9 l\u00e0 o\u00f9 cela faisait mal \u00e0 l\u2019\u00e9conomie am\u00e9ricaine, en visant notamment les exportations agricoles, quelques fleurons technologiques et en mettant en place des restrictions drastiques \u00e0 l’exportation des terres rares et d\u2019aimants. Le choc a \u00e9t\u00e9 tel que Washington a d\u00fb temporiser et rouvrir un canal de n\u00e9gociation, reportant les hausses de tarifs qu\u2019il envisageait. <\/p>\n\n\n\n L\u2019Union demeure la premi\u00e8re puissance commerciale mondiale : elle avait donc, elle aussi, de solides cartes en main. Bruxelles aurait d\u00fb comprendre qu\u2019on ne n\u00e9gocie efficacement avec Donald Trump qu\u2019en lui opposant un rapport de force clair. Au lieu de cela, l\u2019Europe est apparue divis\u00e9e et timor\u00e9e. Cette diff\u00e9rence d\u2019attitude a pes\u00e9 lourd dans l\u2019issue des deux confrontations : Washington a trait\u00e9 P\u00e9kin en adversaire strat\u00e9gique dangereux, mais a os\u00e9 consid\u00e9rer Bruxelles comme une proie facile.<\/p>\n\n\n\n L\u2019heure n\u2019est plus aux lamentations ni aux demi-mesures ; elle est \u00e0 un sursaut strat\u00e9gique. <\/p>\n\n\n\n Cette crise doit marquer le r\u00e9veil de la volont\u00e9 politique europ\u00e9enne et un changement radical de doctrine dans notre rapport au monde. Concentrons d\u00e8s \u00e0 pr\u00e9sent nos efforts sur quelques priorit\u00e9s claires pour redresser la barre.<\/p>\n\n\n\n D\u2019abord, l\u2019Europe doit retrouver une v\u00e9ritable strat\u00e9gie d\u2019affirmation. Elle ne peut plus se contenter d\u2019\u00eatre un doux g\u00e9ant \u00e9conomique et un mod\u00e8le normatif, en esp\u00e9rant que son exemple suffira \u00e0 fa\u00e7onner le monde. Elle doit retrouver la ma\u00eetrise de son destin en reprenant les leviers de la puissance sur la sc\u00e8ne internationale et se rendre capable d\u2019initiative et de dissuasion. <\/p>\n\n\n\n Comme l\u2019\u00e9crivait Thucydide il y a 25 si\u00e8cles, \u00ab les forts font ce qu\u2019ils peuvent et les faibles subissent ce qu\u2019ils doivent \u00bb. Ne soyons plus faibles par choix. <\/p>Dominique de Villepin<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n En mati\u00e8re commerciale, l\u2019Union doit agir comme les autres grandes puissances : d\u00e9ployer sans d\u00e9lai des mesures de r\u00e9torsion face aux coercitions, et d\u00e9fendre vigoureusement ses int\u00e9r\u00eats commerciaux et industriels. Mais cela signifie dans le m\u00eame temps promouvoir un commerce mondial juste et r\u00e9gl\u00e9 par la coop\u00e9ration et les principes du droit. <\/p>\n\n\n\n Sur la sc\u00e8ne diplomatique, l\u2019Union doit \u00eatre pr\u00eate \u00e0 prendre des positions fermes \u2013 y compris vis-\u00e0-vis de ses alli\u00e9s \u2013 et \u00e0 mettre tout son poids \u00e9conomique dans la balance pour faire avancer ses vues. L\u2019Europe en a les atouts \u2013 son immense march\u00e9, sa ma\u00eetrise de hautes technologies dans certains domaines, sa monnaie, son r\u00e9seau diplomatique mondial \u2013, \u00e0 elle de s\u2019en servir strat\u00e9giquement. Comme l\u2019\u00e9crivait Thucydide il y a 25 si\u00e8cles, \u00ab les forts font ce qu\u2019ils peuvent et les faibles subissent ce qu\u2019ils doivent \u00bb. Ne soyons plus faibles par choix. <\/p>\n\n\n\n Ensuite, l\u2019Europe doit reconqu\u00e9rir son autonomie industrielle et technologique. Des d\u00e9cennies de laisser-faire ont conduit \u00e0 l\u2019\u00e9rosion dangereuse de l\u2019industrie europ\u00e9enne. Il est temps d\u2019inverser la tendance. L\u2019Europe doit lancer un plan massif d\u2019investissements mutualis\u00e9s dans les secteurs clefs de demain : l\u2019\u00e9nergie, le num\u00e9rique et les hautes technologies, la d\u00e9fense, ainsi que l\u2019agriculture, pour garantir notre s\u00e9curit\u00e9 alimentaire. Des initiatives existent d\u00e9j\u00e0 \u2013 plan de relance post-Covid, Alliance europ\u00e9enne des batteries \u2013, mais il faut d\u00e9sormais amplifier et acc\u00e9l\u00e9rer cette dynamique. Parall\u00e8lement, nous devons assumer une \u00ab pr\u00e9f\u00e9rence europ\u00e9enne \u00bb pour ne plus \u00eatre les dupes d\u2019un libre-\u00e9change biais\u00e9. Les \u00c9tats-Unis pratiquent depuis longtemps le Buy American Act et subventionnent massivement leur industrie : 369\u202fmilliards de dollars d\u2019aides vertes dans l\u2019Inflation Reduction Act de 2022. La Chine prot\u00e8ge ses march\u00e9s publics et soutient lourdement ses secteurs strat\u00e9giques. <\/p>\n\n\n\n L\u2019Europe doit cesser d\u2019\u00eatre le seul acteur de premier plan \u00e0 jouer \u00e0 visage d\u00e9couvert dans un monde o\u00f9 les autres trichent avec les r\u00e8gles. Il nous faut instaurer un \u00ab Buy European Act \u00bb intelligent : chaque fois qu\u2019une alternative europ\u00e9enne existe dans un secteur crucial, la privil\u00e9gier syst\u00e9matiquement dans les march\u00e9s publics et les projets financ\u00e9s par l\u2019argent public. Ce n\u2019est pas du protectionnisme chauvin, c\u2019est du pragmatisme \u00e9clair\u00e9 pour garantir des conditions de concurrence \u00e9quitables. <\/p>\n\n\n\n Sur les technologies, le retard accumul\u00e9 doit \u00eatre combl\u00e9 en favorisant syst\u00e9matiquement des solutions de cloud souveraines, en soutenant une IA europ\u00e9enne \u00e9vitant les comp\u00e9titions st\u00e9riles entre \u00c9tats membres et en d\u00e9ployant un programme de formation d\u2019ing\u00e9nieurs, de techniciens et de chercheurs, car c\u2019est le capital humain qui reste notre plus grand atout. <\/p>\n\n\n\n La bataille sera \u00e9galement financi\u00e8re. Nous devons mieux mobiliser les 35 000 milliards d\u2019euros d\u2019\u00e9pargne europ\u00e9enne, trop souvent st\u00e9rilis\u00e9e, en d\u00e9veloppant un \u00e9cosyst\u00e8me financier diversifi\u00e9, compl\u00e9tant la force historique de nos r\u00e9seaux bancaires. En r\u00e9duisant certaines d\u00e9pendances critiques, nous renforcerons notre s\u00e9curit\u00e9 \u00e9conomique et pr\u00e9serverons des emplois ainsi que des savoir-faire europ\u00e9ens. Bien s\u00fbr, cela doit se faire graduellement et dans le respect de nos propres r\u00e8gles de concurrence interne, mais l\u2019urgence commande d\u2019agir.<\/p>\n\n\n\n Sans \u00e9volution de notre gouvernance, la prochaine crise nous trouvera aussi impuissants et divis\u00e9s que la pr\u00e9c\u00e9dente. L\u2019Europe politique doit gagner en maturit\u00e9 et en capacit\u00e9 d\u2019action.<\/p>Dominique de Villepin<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n En troisi\u00e8me lieu, nous devons renforcer la gouvernance et l\u2019unit\u00e9 politique de l\u2019Union. <\/p>\n\n\n\n Une Europe \u00e0 27 ne parviendra jamais \u00e0 parler d\u2019une seule voix ni \u00e0 r\u00e9agir vite aux crises et urgences sans de profondes r\u00e9formes institutionnelles. L\u2019\u00e9preuve que nous venons de vivre a montr\u00e9 le prix de nos lenteurs et de nos divisions. <\/p>\n\n\n\n Dans les domaines strat\u00e9giques \u2013 commerce, s\u00e9curit\u00e9, diplomatie \u2013, nous devons imaginer des m\u00e9canismes de d\u00e9cision plus r\u00e9actifs. <\/p>\n\n\n\n Plusieurs pistes m\u00e9ritent d\u2019\u00eatre explor\u00e9es. D\u2019une part, \u00e9tendre les domaines o\u00f9 la majorit\u00e9 qualifi\u00e9e suffirait au Conseil \u2013 par exemple pour la politique \u00e9trang\u00e8re ou commerciale lorsqu\u2019une coercition ext\u00e9rieure est av\u00e9r\u00e9e \u2013, afin d\u2019\u00e9viter que l\u2019opposition d\u2019un seul \u00c9tat ne puisse paralyser l\u2019ensemble de l\u2019Union. D\u2019autre part, s\u2019appuyer sur une avant-garde europ\u00e9enne rassemblant un petit nombre de pays moteurs, charg\u00e9e de prendre les devants en cas de crise majeure. Une telle id\u00e9e m\u00e9rite d\u2019\u00eatre d\u00e9battue lucidement : en temps de crise, la rapidit\u00e9 de r\u00e9action sauve des emplois, des industries, parfois des vies. Nos adversaires potentiels le savent et jouent de nos lenteurs. Il ne s\u2019agit pas de cr\u00e9er durablement une Europe \u00e0 deux vitesses, mais de reconna\u00eetre qu\u2019une avant-garde d\u00e9cisionnelle peut, \u00e0 l\u2019occasion, servir l\u2019int\u00e9r\u00eat de tous par son agilit\u00e9, surtout face \u00e0 des chocs ext\u00e9rieurs. <\/p>\n\n\n\n Sans \u00e9volution de notre gouvernance, la prochaine crise nous trouvera aussi impuissants et divis\u00e9s que la pr\u00e9c\u00e9dente. L\u2019Europe politique doit gagner en maturit\u00e9 et en capacit\u00e9 d\u2019action.<\/p>\n\n\n\n Enfin, l\u2019heure est venue de refonder dans la clart\u00e9 et la r\u00e9ciprocit\u00e9 notre relation avec les \u00c9tats-Unis. <\/p>\n\n\n\n Cela signifie nous donner les moyens de notre ind\u00e9pendance, afin d\u2019avoir les moyens de peser d\u2019\u00e9gal \u00e0 \u00e9gal face aux \u00c9tats-Unis et en alli\u00e9 libre. C\u2019est de l\u2019int\u00e9r\u00eat de l\u2019Europe, mais aussi, au fond des \u00c9tats-Unis, et plus largement de la paix dans le monde qui gagnera \u00e0 s\u2019extraire d\u2019un face \u00e0 face st\u00e9rile entre un suppos\u00e9 \u00ab bloc occidental \u00bb et la Chine.<\/p>\n\n\n\n Une alliance occidentale ciment\u00e9e par des valeurs d\u00e9mocratiques communes et une d\u00e9fense partag\u00e9e demeure un pilier de notre s\u00e9curit\u00e9 et de notre prosp\u00e9rit\u00e9. Mais elle exige de poursuivre l’effort de d\u00e9fense europ\u00e9enne. <\/p>\n\n\n\n Rien n\u2019est in\u00e9luctable : cette d\u00e9faite politique peut au contraire devenir le ferment d\u2019une renaissance strat\u00e9gique.<\/p>Dominique de Villepin<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Les progr\u00e8s r\u00e9cents sont r\u00e9els : de nombreux \u00c9tats membres augmentent sensiblement leurs budgets militaires et investissent dans de nouvelles capacit\u00e9s. Mais accro\u00eetre les d\u00e9penses exige \u00e9galement un effort important de coordination et de planification si l\u2019on veut parvenir \u00e0 une r\u00e9elle ind\u00e9pendance. Il faut donc employer intelligemment ces moyens accrus afin de d\u00e9velopper une base industrielle de d\u00e9fense europ\u00e9enne int\u00e9gr\u00e9e, de mutualiser les programmes d\u2019armement \u2013 plut\u00f4t que d\u2019acheter syst\u00e9matiquement am\u00e9ricain \u2013, et de renforcer les structures de commandement communes. <\/p>\n\n\n\n Plus l\u2019Europe sera capable, le cas \u00e9ch\u00e9ant, d\u2019assurer elle-m\u00eame sa propre s\u00e9curit\u00e9, plus son partenariat avec Washington pourra devenir serein et \u00e9quilibr\u00e9. C\u2019est un chantier de longue haleine, mais indispensable pour que l\u2019Europe p\u00e8se d\u2019un poids \u00e9gal aux autres grands p\u00f4les de puissance au XXIe si\u00e8cle.<\/p>\n\n\n\n Boulevers\u00e9e par l\u2019humiliation du 27 juillet 2025, l\u2019Europe pourrait sombrer dans le doute et l\u2019abattement. La r\u00e9action la plus probable, si rien ne change, est que les \u00c9tats-Unis chercheront \u00e0 pousser toujours plus leur avantage \u2013 tels une puissance imp\u00e9riale face \u00e0 la Chine de l\u2019imp\u00e9ratrice Cixi, soumise par la Grande Bretagne et la France aux Trait\u00e9s in\u00e9gaux du XIXe<\/sup> si\u00e8cle. <\/p>\n\n\n\n Une telle emprise croissante fera na\u00eetre in\u00e9vitablement des m\u00e9contentements de plus en plus vifs : au sein d\u2019une fraction de nos \u00e9lites, qui verront leur influence et leurs int\u00e9r\u00eats d\u00e9cliner, comme parmi les peuples, dont le mod\u00e8le social deviendra de moins en moins finan\u00e7able. <\/p>\n\n\n\n Les dirigeants europ\u00e9ens, attach\u00e9s au statu quo<\/em> qui les maintient au pouvoir, tenteront de mater ces contestations pour pr\u00e9server l\u2019ordre \u00e9tabli. Mais cette tension ne pourra s\u2019\u00e9terniser : t\u00f4t ou tard, face \u00e0 cette spirale de d\u00e9pendance et de col\u00e8re, l\u2019Europe sera forc\u00e9e de choisir son destin. <\/p>\n\n\n\nLes raisons d\u2019un \u00e9chec <\/strong><\/h2>\n\n\n\n
<\/p>Dominique de Villepin<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n
\r\n <\/picture>\r\n \n L\u2019heure des b\u00e2tisseurs <\/strong><\/h2>\n\n\n\n