{"id":289038,"date":"2025-07-25T13:00:00","date_gmt":"2025-07-25T11:00:00","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=289038"},"modified":"2025-07-26T09:42:10","modified_gmt":"2025-07-26T07:42:10","slug":"grand-tour-francoise-nyssen","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2025\/07\/25\/grand-tour-francoise-nyssen\/","title":{"rendered":"\u00ab Si Arles est un centre, c\u2019est peut-\u00eatre comme lieu de traduction \u00bb, Grand Tour avec Fran\u00e7oise Nyssen"},"content":{"rendered":"\n
Mon arriv\u00e9e dans le Sud ne s’est pas faite pour un territoire, mais pour le livre. <\/p>\n\n\n\n
Fin 1978, mon p\u00e8re d\u00e9cidait de cr\u00e9er une maison d’\u00e9dition avec Christine Leboeuf, sa femme. \u00c0 la faveur d\u2019un \u00e9change, il me propose de les aider dans ce projet \u2014 il faut se rappeler qu\u2019\u00e0 cette \u00e9poque il n’y avait ni internet, ni fax, m\u00eame pas de photocopieuse ! Et la maison d’\u00e9dition d\u00e9marrait au Paradou, loin de tout. Les moyens de communications, de d\u00e9placement \u2014 le TGV n’existait pas \u2014 et d’\u00e9change \u00e9taient donc plut\u00f4t compliqu\u00e9s.<\/p>\n\n\n\n
J’habitais alors \u00e0 Paris. Apr\u00e8s avoir \u00e9t\u00e9 chercheuse en biologie mol\u00e9culaire, j\u2019\u00e9tais dans une deuxi\u00e8me vie professionnelle consacr\u00e9e \u00e0 l’urbanisme, en poste au minist\u00e8re de l’Environnement et du Cadre de vie. Je choisis de quitter ce milieu-l\u00e0 pour rejoindre l’aventure de la maison d\u2019\u00e9dition, pour aller vers une activit\u00e9 \u00e0 laquelle je ne pouvais pas r\u00e9sister.<\/p>\n\n\n\n
Je vais dans le Sud pour y rejoindre le livre. <\/p>\n\n\n\n
J’aime lire depuis que je suis toute petite. J’\u00e9tais enfant unique, mes parents travaillaient, ils n’\u00e9taient jamais l\u00e0 et me laissaient seule avec les livres. Je suis, pour cette raison, beaucoup plus une lectrice de romans que d’essais : pour moi, la compagnie des personnages constituait une vie sociale alternative. <\/p>\n\n\n\n
En 1978, je connaissais d\u00e9j\u00e0 un peu le Sud car mon p\u00e8re \u00e9tait install\u00e9 dans le Midi, au Paradou. C\u2019est un petit village dans les Alpilles, au pied des Baux \u2014 moins connu que Fontvieille, Maussane ou Saint-R\u00e9my<\/a> \u2014 o\u00f9 j\u2019allais syst\u00e9matiquement en vacances. J\u2019\u00e9tais donc d\u00e9j\u00e0 all\u00e9e \u00e0 Arles, bien que je n’avais jamais imagin\u00e9 pouvoir un jour y vivre. <\/p>\n\n\n\n Arles est extr\u00eamement belle, avec les Alyscamps, la ville romaine. Au temps des Romains, Arles comptait le double d’habitants. C’\u00e9tait une ville tr\u00e8s d\u00e9velopp\u00e9e et on a m\u00eame d\u00e9couvert qu\u2019il y avait un second centre de l’autre c\u00f4t\u00e9 du Rh\u00f4ne, \u00e0 Trinquetaille. Le mus\u00e9e de l\u2019Arles antique, dit \u00ab Mus\u00e9e bleu \u00bb, n\u2019\u00e9tait pas encore construit \u2014 il sera construit en 1995 \u2014 mais la ville est tr\u00e8s marqu\u00e9e par cette p\u00e9riode romaine, tant dans son architecture que dans les traces qu’elle en conserve.<\/p>\n\n\n\n Je vais dans le Sud pour y rejoindre le livre. <\/p>Fran\u00e7oise Nyssen<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Au-del\u00e0 de l\u2019histoire, Arles est une ville \u00e9tonnante : c’est l’aboutissement du Rh\u00f4ne, l’arriv\u00e9e vers la Camargue, puis ensuite vers la mer au bout du couloir rhodanien \u2014 il y a quelque chose qui am\u00e8ne physiquement<\/em> vers le Sud. D’ailleurs, beaucoup de mes amis \u00e0 Paris ou Bruxelles me demandent : \u00ab La prochaine fois, o\u00f9 vas-tu aller ? \u00bb \u2014 Bruxelles, Paris, Arles : comme si je descendais sans cesse.<\/p>\n\n\n\n Pourtant, ce n\u2019est pas le Sud en tant que tel qui m\u2019a attir\u00e9, mais bien l\u2019activit\u00e9 professionnelle que je pouvais y mener.<\/p>\n\n\n\n La maison d\u2019\u00e9dition a d\u00e9marr\u00e9 dans ce petit village, Le Paradou, qui \u2014 contrairement \u00e0 ce que beaucoup pensent \u2014 ne veut pas dire le \u00ab paradis \u00bb. Cela vient du \u00ab parador<\/em> \u00bb, le lieu o\u00f9 l\u2019on appr\u00eate le drap. C’est l\u00e0 qu\u2019on cardait la laine avec le chardon, qui \u00e9tait r\u00e9pandu dans la r\u00e9gion.<\/p>\n\n\n\n Le Paradou est donc un lieu de travail. Cette dimension est fondamentale car elle va \u00e0 l’encontre des clich\u00e9s. Je n’allais pas dans le Sud pour me la couler douce, mais pour travailler. <\/p>\n\n\n\n Actes \u2014 sigle d\u2019\u00ab Atelier de cartographie th\u00e9matique et statistique \u00bb, qu’avait cr\u00e9\u00e9 mon premier mari avec mon p\u00e8re \u2014 s\u2019installe au Paradou.<\/p>\n\n\n\n La rencontre quelques ann\u00e9es plus tard avec celui qui deviendrait mon mari et compagnon de tout, Jean-Paul Capitani, fut d\u00e9terminante pour le d\u00e9veloppement de la maison d’\u00e9dition et son \u00e9cosyst\u00e8me.<\/p>\n\n\n\n Jean-Paul avait un rapport au territoire particulier : sa famille \u00e9tait, du c\u00f4t\u00e9 de son p\u00e8re, des immigr\u00e9s italiens, et du c\u00f4t\u00e9 de sa m\u00e8re des Aveyronnais, qui se sont retrouv\u00e9s \u00e0 Arles. Ils ont beaucoup travaill\u00e9 et ont achet\u00e9 un lieu, le M\u00e9jan, dont Jean-Paul h\u00e9ritera. Il l’am\u00e9nagera pour en faire un lieu ouvert plut\u00f4t qu’un immeuble de rapport : avec un cin\u00e9ma ( 3 salles), qui manquait cruellement \u00e0 Arles, \u00e0 c\u00f4t\u00e9 duquel, avec sens aigu de l’hospitalit\u00e9, il cr\u00e9e un restaurant et veut ouvrir une librairie \u2014 ce que tout le monde lui d\u00e9conseillait \u2014 en disant que cela n\u2019allait pas marcher \u00e0 Arles, o\u00f9 il n\u2019y avait qu’un seul libraire qui se plaignait de la difficult\u00e9 d\u2019exercer ce m\u00e9tier dans cette ville.<\/p>\n\n\n\n Mais Jean-Paul n\u2019en d\u00e9mordait pas : il voulait ouvrir une librairie, et c\u2019est pour cela qu\u2019il est venu nous trouver \u2014 nous, la jeune maison d\u2019\u00e9dition. Il est tomb\u00e9 sur moi, fan de cin\u00e9ma, et dont le r\u00eave de toujours \u00e9tait d’ouvrir une librairie. Tr\u00e8s rapidement, l’affaire est conclue : nous montons la librairie, au M\u00e9jan, en plein centre d’Arles au bord du Rh\u00f4ne. Puis, en 1982, trois ans apr\u00e8s mon installation au Paradou, dans la foul\u00e9e nous imaginons d\u00e9m\u00e9nager les \u00e9ditions au-dessus des cin\u00e9mas et de la librairie. C’est ainsi qu’Actes Sud est arriv\u00e9 \u00e0 Arles. <\/p>\n\n\n\n \u00c0 Arles, j’ai retrouv\u00e9 ma fibre urbaniste.<\/p>Fran\u00e7oise Nyssen<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Cela a \u00e9t\u00e9 un deuxi\u00e8me choc, un \u00e9merveillement tout \u00e0 fait diff\u00e9rent. <\/p>\n\n\n\n Le Paradou, dans les Alpilles, est un petit village au c\u0153ur de la nature. Quand j’y suis arriv\u00e9e, je n’avais jamais v\u00e9cu en tant qu’adulte en dehors d’un centre urbain, seule dans une maison sans murs mitoyens ni voisins. Je me retrouvais dans un mas, urbaine \u00e9gar\u00e9e au milieu de la nature.<\/p>\n\n\n\n Quand on est arriv\u00e9s \u00e0 Arles, j’ai retrouv\u00e9 ma fibre urbaniste, dans un environnement exceptionnel. La cit\u00e9 est d’une grande beaut\u00e9, \u00e0 la fois par sa densit\u00e9 historique et sa qualit\u00e9 architecturale. Dans le m\u00eame temps, elle s\u2019inscrit dans un territoire triple \u2014 la Camargue, la Crau, les Alpilles. La Camargue me rappelle la C\u00f4te du Nord, o\u00f9 j’ai \u00e9t\u00e9 \u00e9lev\u00e9e. Arles est un vieux centre urbain, o\u00f9 je me retrouve bien, comme dans le centre de Bruxelles avec une vraie mixit\u00e9 sociale et une vie de quartier. <\/p>\n\n\n\n Je ne suis d’aucun territoire au d\u00e9part. La famille du c\u00f4t\u00e9 de ma m\u00e8re vient de Su\u00e8de. En 1914, ma grand-m\u00e8re de vingt ans, qui vient d’\u00eatre dipl\u00f4m\u00e9e de kin\u00e9sith\u00e9rapie \u00e0 Stockholm, d\u00e9cide qu’elle ne peut pas rester dans un pays neutre. Elle prend un bateau pour aller soigner les soldats fran\u00e7ais \u00e0 Rouen : je suis issue de cette femme-l\u00e0. C’est pour cela, d’une certaine fa\u00e7on, que j’ai accept\u00e9 d’\u00eatre ministre. Je ne pouvais pas refuser l’engagement si important pour la culture, qui est tellement essentielle, alors que ma grand-m\u00e8re avait travers\u00e9 les mers pour aider les gens.<\/p>\n\n\n\n Ma famille, qui \u00e9tait en Belgique pendant la guerre, a fait l’exode. Toute ma famille a \u00e9t\u00e9 sur les routes et a \u00e9t\u00e9 accueillie en France. Ce n\u2019est pas quelque chose dont on parle fr\u00e9quemment \u2014 m\u00eame eux d’ailleurs, n’en parlaient pas \u00e9norm\u00e9ment. La Belgique est un pays o\u00f9 l\u2019on se sent territorialement moins ancr\u00e9 que dans d’autres pays.<\/p>\n\n\n\n La Belgique s’est cr\u00e9\u00e9e en 1830, \u00e0 la sortie d’un op\u00e9ra, La Muette de Portici<\/em>, qui d\u00e9clenche une r\u00e9volte contre les Hollandais. Elle s’est cr\u00e9\u00e9e tardivement et sur un territoire fracass\u00e9, en raison d\u2019un \u00e9clatement linguistique rare. Beaucoup de Belges, comme moi, ne se sentent pas vraiment Belges. C\u2019est un territoire dont on part facilement. <\/p>\n\n\n\n Je suis arriv\u00e9e \u00e0 Paris, o\u00f9 j’ai v\u00e9cu six mois, puis j’ai gliss\u00e9 vers le sud. <\/p>\n\n\n\n L\u00e0 o\u00f9 l\u2019on habite, d\u00e9finitivement, c\u2019est le lieu de travail. Je crois que c\u2019est essentiel pour beaucoup de gens qui ont \u00e9migr\u00e9. <\/p>\n\n\n\n Beaucoup de Belges, comme moi, ne se sentent pas vraiment Belges. C\u2019est un territoire dont on part facilement.<\/p>Fran\u00e7oise Nyssen<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Peut-\u00eatre que ce que je garde de la Belgique est avant tout linguistique. J’adore dire \u00ab arr\u00eate de faire ton snotneus<\/em> \u00bb [faire ton voyou], \u00ab on ne va pas faire \u00e7a en stoemelings<\/em> \u00bb [faire quelque chose en douce]. J\u2019aime ces termes, qui ne sont pas connus en France, et qui me rappellent la Belgique.<\/p>\n\n\n\n J’adore Bruxelles, mais la ville est trop fracass\u00e9e. \u00c0 Paris, on peut traverser la ville du nord au sud, d’est en ouest, \u00e0 pied. Ce n\u2019est pas possible \u00e0 Bruxelles, o\u00f9 il n\u2019y a que des \u00e9gouts \u00e0 voiture. Certains quartiers sont magnifiques, mais ce n’est pas une ville qui se traverse.<\/p>\n\n\n\n Ma vie a chang\u00e9 r\u00e9cemment. Mais avec Jean-Paul, quand il \u00e9tait l\u00e0, on se levait souvent tr\u00e8s t\u00f4t le matin pour traverser la ville. On se promenait et on d\u00e9couvrait les quartiers, les petits endroits. D’ailleurs, quand Patrick de Carolis est devenu maire de la ville, je lui ai dit : \u00ab J’esp\u00e8re que tu marches dans ta ville, parce qu’il n’y a que comme cela que tu peux vraiment l\u2019appr\u00e9hender. \u00bb<\/p>\n\n\n\n J\u2019ai la chance d\u2019habiter au bord du Rh\u00f4ne. On peut traverser le pont jusqu\u2019\u00e0 Trinquetaille, puis longer le fleuve en empruntant la Via Rh\u00f4na, que ce soit vers Beaucaire, au nord, ou vers Port-Saint-Louis, au sud. On peut marcher des kilom\u00e8tres le long du fleuve, au c\u0153ur de la nature. Pour toutes mes balades, je pars \u00e0 pied de chez moi, au centre d\u2019Arles, et en cinq minutes, je suis dans la nature.<\/p>\n\n\n\n\n J\u2019ai v\u00e9cu vingt-huit ans \u00e0 Bruxelles, sous un ciel gris. En arrivant dans le Sud, j\u2019ai d\u00e9couvert la lumi\u00e8re. C’est un commun de le dire, mais j\u2019ai vu qu’il \u00e9tait possible de vivre \u00e9clabouss\u00e9 de lumi\u00e8re, sous un ciel bleu. Tout de suite, j’ai le sentiment que plus jamais je ne pourrai \u00ab remonter \u00bb. J’en suis m\u00eame \u00e0 aimer ce qui rend souvent les habitants un peu fous et \u00e9nerv\u00e9s, le mistral, parce qu\u2019il nettoie le ciel et lui conf\u00e8re une luminosit\u00e9 extraordinaire. <\/p>\n\n\n\n Arles est un endroit o\u00f9 les gens viennent plut\u00f4t en \u00e9t\u00e9, mais tr\u00e8s rapidement \u2014 j\u2019indique \u00e0 tous mes amis que les hivers y sont encore plus beaux. <\/p>\n\n\n\n Tr\u00e8s rapidement, je me suis attach\u00e9e au march\u00e9 d’Arles, dont je ne peux plus me passer. D’ailleurs, je dis toujours \u00e0 quiconque vient \u00e0 la maison de venir un samedi pour que je les emm\u00e8ne au march\u00e9. <\/p>\n\n\n\n C’est un lieu de rencontre permanent, de confrontation avec les<\/em> populations arl\u00e9siennes. Tout le monde y va : les gens plus ais\u00e9s des Alpilles, tous les gens du quartier, et une partie du march\u00e9 donne l\u2019impression d\u2019\u00eatre dans une ville d’Afrique du Nord. Je fais partie de ceux qui essayent de ne jamais manquer le march\u00e9 du samedi matin.<\/p>\n\n\n\n Le march\u00e9 est un lieu de convivialit\u00e9, ou du moins, c’est ainsi que je le vis. Cela va maintenant faire 46 ans que je suis dans le Sud, donc au fil des ans, il est vrai que les gens me reconnaissent \u2014 aussi compte tenu de mon passage au minist\u00e8re de la Culture, et de ma pr\u00e9sence \u00e0 Actes Sud. Mais je ne suis pas d\u00e9rang\u00e9e par l\u2019absence d\u2019anonymat. J’aime bien saluer les gens, leur parler. J\u2019en tire beaucoup de joie. <\/p>\n\n\n\n Je ne suis pas d\u00e9rang\u00e9e par l\u2019absence d\u2019anonymat. <\/p>Fran\u00e7oise Nyssen<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Ma maison est tr\u00e8s centrale. Dans une vie ant\u00e9rieure \u00e0 Bruxelles, j’avais d\u00e9j\u00e0 fait cette d\u00e9marche de vivre au centre de la ville. <\/p>\n\n\n\n J’avais \u00e9t\u00e9 \u00e9lev\u00e9e dans la banlieue verte, comme on essaye souvent d’\u00e9lever ses enfants en dehors de la pollution. Quand le moment est venu de choisir le lieu o\u00f9 j’allais habiter avec mon premier mari, j’ai profond\u00e9ment d\u00e9sir\u00e9 aller habiter dans le vieux centre populaire de Bruxelles \u2014 c’\u00e9tait une d\u00e9marche d\u00e9lib\u00e9r\u00e9e, pour \u00eatre aupr\u00e8s des gens. <\/p>\n\n\n\n Si vous connaissez Bruxelles, j’habitais pr\u00e8s de la place Sainte-Catherine, dans une maison rue du B\u00e9guinage. \u00c0 cette \u00e9poque, le quartier n’\u00e9tait encore pas du tout gentrifi\u00e9, ce qui me plaisait beaucoup. Nous avions tout de suite cr\u00e9\u00e9 un comit\u00e9 de quartier avec les autres riverains. <\/p>\n\n\n\n Tout au long de ma vie, je n’ai voulu \u00eatre que dans l’accueil, l’hospitalit\u00e9 et le partage. C’est aussi pour cette raison que j’ai toujours aim\u00e9 les librairies. D\u00e9j\u00e0, au Paradou, dans le mas de mon p\u00e8re, nous faisions table ouverte le midi, nous avions un comit\u00e9 de lecture et nous accueillions des gens.<\/p>\n\n\n\n Nous \u00e9tions conscients d’entr\u00e9e de jeu, avec Actes Sud, que nous \u00e9tions compl\u00e8tement d\u00e9localis\u00e9s par rapport au centre actif, consensuel, et parfois m\u00eame un peu incestueux du monde de l’\u00e9dition. Au d\u00e9but des ann\u00e9es 1980, la grande majorit\u00e9 des maisons d’\u00e9dition \u00e9taient \u00e0 Paris \u2014 hormis les \u00e9ditions Privat \u00e0 Toulouse, les \u00e9ditions Rivages fond\u00e9es \u00e0 Marseille, et les \u00c9ditions Verdier, qui se cr\u00e9ent en m\u00eame temps que nous, pr\u00e8s de Carcassonne. <\/p>\n\n\n\n La d\u00e9marche \u00e9ditoriale en dehors du territoire parisien n’est donc absolument pas commune. \u00c0 tel point que certains journalistes nous demandent si l\u2019on publie les auteurs \u00ab de la r\u00e9gion \u00bb. Cette question t\u00e9moigne d\u2019une vision extr\u00eamement centralis\u00e9e de l’activit\u00e9. Aujourd\u2019hui, tout le monde en a conscience, mais conserve les m\u00eames r\u00e9flexes. Les personnes qui m\u2019invitent \u00e0 des \u00e9v\u00e9nements \u00e0 Paris sont souvent interloqu\u00e9s quand je leur explique que j\u2019habite vraiment \u00e0 Arles. <\/p>\n\n\n\n Une telle centralisation n\u2019existe nulle part ailleurs en Europe \u2014 ni en Italie, ni en Espagne, ni en Allemagne. C’est tr\u00e8s sp\u00e9cifique \u00e0 la France, et je pense que c’est tr\u00e8s r\u00e9ducteur. Il est urgent de s’ouvrir, de se r\u00e9approprier ses territoires et de les conna\u00eetre. <\/p>\n\n\n\n Un de nos moteurs dans la cr\u00e9ation du M\u00e9jan, avec Jean-Paul, \u00e9tait justement de cr\u00e9er un lieu de rencontre. On souhaitait faire venir l\u00e0 tout le monde, le monde entier \u2014 et c’est ce qu’on a fait. Ce n\u2019est pas une originalit\u00e9, puisque le fait d\u2019organiser des rencontres est intrins\u00e8que \u00e0 l’id\u00e9e de la librairie, mais nous avons essay\u00e9 d\u2019aller de plus en plus loin. <\/p>\n\n\n\n En plus du cin\u00e9ma et de toutes les animations qui vont autour, nous avons d\u00e9cid\u00e9 d’organiser aussi des concerts, car je suis une grande amatrice de musique. Nous avons d\u00e9couvert, \u00e0 c\u00f4t\u00e9 du b\u00e2timent de la maison d’\u00e9dition, une chapelle datant du XIe si\u00e8cle, ayant \u00e9t\u00e9 d\u00e9sacralis\u00e9e au XIXe \u2014 elle avait ensuite \u00e9t\u00e9 utilis\u00e9e par le syndicat des \u00e9leveurs du M\u00e9rinos : encore une fois, la marque du territoire arl\u00e9sien, qui a \u00e9t\u00e9 celui de l’\u00e9levage de moutons, est omnipr\u00e9sente. C’est pour cela que j’aime beaucoup Bruno Latour<\/a> : il invite \u00e0 penser son territoire avec ses d\u00e9pendances. Penser \u00e0 la mani\u00e8re dont on peut d\u00e9velopper une activit\u00e9 \u00e0 partir du lieu o\u00f9 l\u2019on se situe, en \u00e9tant conscient de ses d\u00e9pendances et de ses possibilit\u00e9s, plut\u00f4t que dans une dynamique de d\u00e9localisation et de non-sp\u00e9cificit\u00e9.<\/p>\n\n\n\n J\u2019ai v\u00e9cu vingt-huit ans \u00e0 Bruxelles, sous un ciel gris. En arrivant dans le Sud, j\u2019ai d\u00e9couvert la lumi\u00e8re.<\/p>Fran\u00e7oise Nyssen<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Arles est un territoire tr\u00e8s sp\u00e9cifique, avec des potentialit\u00e9s \u00e9normes : on peut y r\u00e9inventer un lieu de rencontre, aussi bien qu’\u00e0 Paris \u2014 je suis s\u00fbre que le Grand Continent<\/em> pourrait parfaitement \u00eatre install\u00e9 \u00e0 Arles et cela ne poserait aucun probl\u00e8me !<\/p>\n\n\n\n C’\u00e9tait pour nous une n\u00e9cessit\u00e9 de ne pas laisser mourir la maison d’\u00e9dition Sindbad. Quand nous l\u2019avons reprise, Sindbad \u00e9tait en faillite. Cela relevait pour nous de la n\u00e9cessit\u00e9 politique de pouvoir faire entendre la voix de ces pays qu’on ne conna\u00eet pas sinon \u00e0 travers les \u00e9v\u00e9nements dramatiques qui touchent leurs populations. Il est extraordinaire de prendre conscience de la qualit\u00e9 de leur litt\u00e9rature, toujours tr\u00e8s cr\u00e9ative. <\/p>\n\n\n\n Certes, la localisation d\u2019Actes Sud \u00e0 Arles est une ouverture \u00e0 la M\u00e9diterran\u00e9e, \u00e0 d’autres centres, mais publier n’est pas un acte g\u00e9ographique. Actes Sud a \u00e9t\u00e9 une maison d’\u00e9dition du monde entier. <\/p>\n\n\n\n D’abord par go\u00fbt, et puis parce qu\u2019\u00e0 nos d\u00e9buts en 1978, nous sommes en dehors du circuit traditionnel. Mon p\u00e8re n’a pas fait d’\u00e9tudes, n’est pas issu du r\u00e9seau des grandes \u00e9coles. Nous ne connaissons pas d’\u00e9crivain a priori<\/em>, ni personne qui peut nous sugg\u00e9rer de publier telle ou telle chose. <\/p>\n\n\n\n C\u2019est d\u2019autant plus vrai que nous sommes en dehors de Paris. Les auteurs ont naturellement tendance \u00e0 envoyer leurs manuscrits \u00e0 Paris, o\u00f9 il y a des tr\u00e8s belles maisons d’\u00e9dition, comme Gallimard, le Seuil, ou Grasset. Personne ne va envoyer un manuscrit aux Belges qui viennent de cr\u00e9er une maison d’\u00e9dition que personne ne conna\u00eet. Il fallait donc aller les chercher.<\/p>\n\n\n\n La curiosit\u00e9, qui est un des facteurs d\u00e9terminants d’un m\u00e9tier comme le n\u00f4tre, poussait mon p\u00e8re \u00e0 beaucoup voyager. Dans tous les pays o\u00f9 il allait, il demandait aux gens ce qu\u2019ils lisaient, ce qui les int\u00e9ressait. Il avait notamment fait un grand voyage en Alg\u00e9rie et \u00e9tait tr\u00e8s int\u00e9ress\u00e9 par les cultures m\u00e9diterran\u00e9ennes. Nous avons commenc\u00e9 ainsi, en nous appuyant beaucoup sur la traduction, et constitu\u00e9, petit \u00e0 petit, un catalogue du monde entier. <\/p>\n\n\n\n En m\u00eame temps que l’on d\u00e9veloppe une maison d’\u00e9dition en essayant de diffuser ces textes le plus possible, de les faire traduire, nous essayons d’amener le monde \u00e0 Arles, par les rencontres. <\/p>\n\n\n\n Chaque lieu est, d\u2019une certaine mani\u00e8re, le centre d’un monde. Je reviens de l’Ouzb\u00e9kistan : quand on regarde une carte depuis Tachkent, on ne peut pas penser que l\u2019Europe est vraiment centrale !<\/p>\n\n\n\n Si Arles est un centre, c\u2019est peut-\u00eatre comme lieu de traduction. <\/p>\n\n\n\n \u00c0 l\u2019\u00e9poque du lancement d\u2019Actes Sud, la traduction n’est pas du tout encore mise en avant dans le monde \u00e9ditorial en France \u2014 le nom des traducteurs n’\u00e9tait m\u00eame pas inscrit sur les livres. Les librairies n’avaient pas de rayons de litt\u00e9rature traduite. Ce n’\u00e9tait pas du tout ancr\u00e9 dans les habitudes d’aller explorer des territoires autres que la litt\u00e9rature franco-fran\u00e7aise \u2014 en oubliant que, d\u00e8s qu’on est sorti de France, la litt\u00e9rature fran\u00e7aise est une litt\u00e9rature \u00e9trang\u00e8re. <\/p>\n\n\n\n Comme nous publions des textes du monde entier, nous avons essay\u00e9 de faire d\u2019Arles un lieu de la traduction. Nous avons propos\u00e9 \u00e0 la ville d\u2019organiser des rencontres des traducteurs. Puis l’association des traducteurs litt\u00e9raires Atlas s\u2019est install\u00e9e \u00e0 Arles, qui organise notamment les Assises internationales de la traduction, de m\u00eame que le Coll\u00e8ge International des Traducteurs Litt\u00e9raires.<\/p>\n\n\n\n Publier n’est pas un acte g\u00e9ographique. Actes Sud a \u00e9t\u00e9 une maison d’\u00e9dition du monde entier. Si Arles est un centre, c\u2019est peut-\u00eatre comme lieu de traduction. <\/p>Fran\u00e7oise Nyssen<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Il en va de m\u00eame pour la photo. Michel Tournier, Lucien Clergue, Maryse Cordesse, Jean Maurice Rouquette se sont dits un jour qu\u2019il fallait cr\u00e9er quelque chose autour de la photographie, d’o\u00f9 la cr\u00e9ation des Rencontres de la photographie, puis de l’\u00c9cole de photo, et ainsi de suite.<\/p>\n\n\n\n Faire d’une maison d’\u00e9dition un outil d\u2019ancrage sur le territoire a aussi \u00e9t\u00e9, pour Jean-Paul et moi, port\u00e9 par une vision politique. On ne peut pas travailler dans une cit\u00e9 sans \u00eatre de<\/em> cette cit\u00e9 \u2014 sans \u00eatre citoyen, au sens propre du terme. Cela vient de mon engagement dans l’urbanisme et dans les comit\u00e9s de quartier. Je n’ai jamais fait partie d’un parti politique, mais j’ai toujours \u00e9t\u00e9 de ma cit\u00e9<\/em>. <\/p>\n\n\n\n Je consid\u00e8re qu’il est impossible d’agir uniquement en \u00e9tant d\u00e9localis\u00e9 et en irriguant le monde de textes. Tout en d\u00e9veloppant cette activit\u00e9 d\u00e9localis\u00e9e \u2014 car une maison d’\u00e9dition n’est pas un concept g\u00e9ographique \u2014 on d\u00e9veloppe une activit\u00e9 in situ<\/em> tr\u00e8s forte. <\/p>\n\n\n\n Je pourrais vous r\u00e9pondre par une m\u00e9taphore.<\/p>\n\n\n\n Quand je suis n\u00e9e \u00e0 Bruxelles, j\u2019\u00e9tais une plante dans un pot. Je ne savais pas ce que je faisais l\u00e0, o\u00f9 \u00e9taient mes racines. Un jour, je suis arriv\u00e9e \u00e0 Arles, et j\u2019ai plant\u00e9 mes racines. Parce que j\u2019y fais une activit\u00e9 qui me passionne, j\u2019y ai rencontr\u00e9 l\u2019homme de ma vie, et mes enfants y sont. En ce sens oui, je suis Arl\u00e9sienne, parce que j\u2019y ai trouv\u00e9 ma vie. <\/p>\n\n\n\n Je suis Arl\u00e9sienne, parce que j\u2019y ai trouv\u00e9 ma vie. <\/p>Fran\u00e7oise Nyssen<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Tous les lieux le sont. Par exemple, l’\u00e9cole du Domaine du Possible que l’on a cr\u00e9\u00e9e est adapt\u00e9e \u00e0 son territoire : c’est une \u00e9cole de son territoire. Il faut arr\u00eater d’imaginer faire des choses en dehors de l\u00e0 o\u00f9 elles sont, qui pourraient se reproduire partout. Il faut que partout, on agisse \u00e0 partir de l\u00e0 o\u00f9 l\u2019on se trouve.<\/p>\n\n\n\n Le festival Agir pour le Vivant est li\u00e9 au territoire o\u00f9 il se d\u00e9roule. Quand j’ai quitt\u00e9 le gouvernement, j’\u00e9tais extr\u00eamement contente de retourner \u00e0 Arles, l\u00e0 o\u00f9 je pouvais travailler. Le pr\u00e9sident m’a propos\u00e9 de r\u00e9fl\u00e9chir \u00e0 la question \u2014 cela va vous amuser \u2014 du \u00ab grand tour \u00bb. <\/p>\n\n\n\n Pour moi, il s\u2019agissait de penser une mani\u00e8re de faire valoir l’ensemble du territoire fran\u00e7ais par rapport \u00e0 son patrimoine. J\u2019ai trouv\u00e9 l\u2019id\u00e9e tr\u00e8s int\u00e9ressante, ne fut-ce que parce qu’avec Jean-Paul, qui \u00e9tait ing\u00e9nieur agronome-paysan, nous \u00e9tions d\u00e9j\u00e0 tr\u00e8s investis sur les questions environnementales. Je souhaitais d’entr\u00e9e de jeu mettre en avant le sol comme \u00e9l\u00e9ment central du patrimoine \u2014 concept aussi essentiel chez Bruno Latour<\/a>. Le sol, c’est la partie \u00ab vivable \u00bb, l\u2019\u00e9cosyst\u00e8me comprenant l’air, la structuration des paysages, les fermes, les terres. <\/p>\n\n\n\n Apr\u00e8s avoir appel\u00e9 Cyril Dion, j\u2019ai contact\u00e9 Alain Thuleau pour r\u00e9fl\u00e9chir ensemble \u00e0 un \u00ab grand tour \u00bb qui inclurait les questions de patrimoine naturel. Tr\u00e8s rapidement, nous avons compris qu\u2019il allait \u00eatre compliqu\u00e9 d\u2019avancer \u00e0 l\u2019\u00e9chelle nationale. <\/p>\n\n\n\n Nous avons alors pens\u00e9 d\u00e9velopper ces r\u00e9flexions \u00e0 Arles, o\u00f9 l\u2019on dispose d\u2019un v\u00e9ritable \u00e9cosyst\u00e8me pour faire soci\u00e9t\u00e9 par rapport au territoire : la ville et son patrimoine historique, Actes Sud et l’acc\u00e8s au monde entier par la litt\u00e9rature, mais aussi les lieux culturels que nous avons cr\u00e9\u00e9s (le cin\u00e9ma, le restaurant, la librairie, les concerts et les \u00e9v\u00e8nements du tiers-lieu La Croisi\u00e8re) et le Domaine du possible qui est \u00e0 la fois une ferme en agro\u00e9cologie et une \u00e9cole. <\/p>\n\n\n\n Ainsi a d\u00e9marr\u00e9 Agir pour le Vivant \u2014 qui a des d\u00e9clinaisons en Colombie, au Japon, et bient\u00f4t au Br\u00e9sil. Ce sont des journ\u00e9es de r\u00e9flexion sur les fa\u00e7ons d\u2019habiter le monde aujourd\u2019hui, avec des tables rondes et des ateliers de mise en pratique, au sein desquels la culture et les arts jouent un r\u00f4le central. <\/p>\n\n\n\n \u00c0 l\u2019\u00e9cole du Domaine du Possible, install\u00e9e \u00e0 Arles, nous proposons des fa\u00e7ons d\u2019apprendre innovantes \u00e0 travers la pratique des arts, de la culture, le rapport \u00e0 la nature, et le cheval. Les enfants ont par exemple d\u00e9velopp\u00e9 des m\u00e9thodes d\u2019apprentissage en musique pour la grammaire, la g\u00e9ographie, mais aussi les math\u00e9matiques. <\/p>\n\n\n\n Au coll\u00e8ge, trois blocs de connaissances sont \u00e9tudi\u00e9s : sciences, humanit\u00e9s et Terre vivante et nature. Cette \u00e9cole, rattach\u00e9e \u00e0 un territoire sp\u00e9cifique, permet une r\u00e9flexion plus large sur l\u2019\u00e9ducation.<\/p>\n\n\n\n Pour faire une m\u00e9taphore, si l\u2019\u00c9ducation nationale correspond \u00e0 l\u2019agriculture intensive, on peut dire que le Domaine du Possible est une \u00e9cole permaculturelle.<\/p>\n\n\n\n Faire pareil partout n\u2019est pas riche, ne produit pas de l\u2019\u00e9galit\u00e9, mais cr\u00e9e plut\u00f4t un manque d\u2019attention, voire un manque de libert\u00e9 pour certains enfants d\u00e8s qu\u2019ils sont un peu diff\u00e9rents. <\/p>\n\n\n\n Nous avons cr\u00e9\u00e9 cette \u00e9cole car nous avons eu des enfants tr\u00e8s diff\u00e9rents, dont un qui n\u2019a pas r\u00e9ussi \u00e0 s\u2019adapter \u00e0 la soci\u00e9t\u00e9. Je ne dis pas que l\u2019\u00e9cole est responsable de cela, mais il n\u2019a pas r\u00e9ussi \u00e0 s\u2019adapter \u00e0 la soci\u00e9t\u00e9 qui lui \u00e9tait propos\u00e9e, ce qui nous a beaucoup fait r\u00e9fl\u00e9chir.<\/p>\n\n\n\n\n Il est temps de repenser l\u2019\u00e9cole dans ses fondements. Cette \u00e9cole est donc certainement une source d\u2019inspiration possible pour l\u2019\u00c9ducation nationale, o\u00f9 nombre d’enseignants ont envie que les choses changent et que les enfants retrouvent leur d\u00e9sir d\u2019apprendre. <\/p>\n\n\n\n La premi\u00e8re question que l\u2019on nous pose \u00e0 propos de notre \u00e9cole est : \u00ab Quelle m\u00e9thode appliquez-vous ? \u00bb. Pourtant, ce n\u2019est pas l\u2019\u00e9cole d\u2019une m\u00e9thode ! Notre seule r\u00e9f\u00e9rence est l\u2019\u00e9nergie des enfants et l\u2019envie de d\u00e9velopper leur d\u00e9sir d\u2019apprendre. <\/p>\n\n\n\n Nous ne sommes pas l\u00e0 pour enseigner un monde qui se meurt, mais pour appr\u00e9hender le monde qui vient.<\/p>Fran\u00e7oise Nyssen<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n L\u2019autre caract\u00e9ristique est que tout le personnel de l\u2019\u00e9cole se charge d\u2019\u00e9ducation. On n\u2019a pas de personnes charg\u00e9es exclusivement de la surveillance, de la cantine, de l\u2019infirmerie etc. L\u2019ensemble du personnel fait partie du corps enseignant \u2013 sur le mod\u00e8le de ce qui peut exister en Finlande. <\/p>\n\n\n\n Il s\u2019agit de ramener les enseignants \u00e0 leur r\u00f4le fondamental : accompagner les enfants pour devenir acteurs de leur futur. Nous ne sommes pas l\u00e0 pour enseigner un monde qui se meurt, mais pour appr\u00e9hender le monde qui vient. On ne peut donc pas appliquer des m\u00e9thodes d\u2019enseignement qui datent de Jules Ferry, avec un fonctionnement de mati\u00e8res en silo, sans ouvrir les possibilit\u00e9s du d\u00e9veloppement de l\u2019esprit critique, de l\u2019accueil \u00e0 l\u2019autre, mais aussi de l\u2019\u00e9veil au sensible, de la sant\u00e9 culturelle \u00e0 l\u2019\u00e9cole. <\/p>\n\n\n\n Une r\u00e9volution de l\u2019\u00e9ducation est possible. Il faut juste qu\u2019on arr\u00eate de donner des directives, des encadrements, des normes. Ce qui se passe dans le monde se passerait de fa\u00e7on peut-\u00eatre un peu diff\u00e9rente si l’\u00e9ducation \u00e9tait con\u00e7ue pour pousser nos jeunes enfants \u00e0 \u00eatre fraternels, d\u00e9sireux d’\u00eatre des citoyens ouverts aux autres, et non pas referm\u00e9s sur eux, condamn\u00e9s au d\u00e9sespoir. <\/p>\n\n\n\n Lorsque j’ai essay\u00e9 de mettre en \u0153uvre une politique culturelle pendant un an et demi, les territoires \u00e9taient mon obsession. Je voulais accompagner tous les territoires dans leur dimension riche et culturelle.<\/p>\n\n\n\n Un bel exemple en la mati\u00e8re est le processus des Nouveaux Commanditaires, un outil de politique culturelle exceptionnelle cr\u00e9\u00e9 par Jack Lang. En s’adressant aux Nouveaux Commanditaires, une communaut\u00e9 \u2014 une municipalit\u00e9, un groupe d’habitants, un lieu culturel, une \u00e9cole, une biblioth\u00e8que, un h\u00f4pital \u2014 qui a envie de porter une oeuvre culturelle quelle qu\u2019elle soit, est mise en contact avec un m\u00e9diateur qui l\u2019aide \u00e0 d\u00e9finir le type d’\u0153uvre et trouver des financements. Ce processus a permis la r\u00e9alisation d\u2019\u0153uvres telles que la composition de Bechara El-Khoury, Il fait novembre en mon \u00e2me<\/em>, en hommage aux victimes du Bataclan.<\/p>\n\n\n\n Gr\u00e2ce \u00e0 ce processus, la culture \u00e9mane des endroits o\u00f9 les gens en ont besoin, plut\u00f4t que de croire que le minist\u00e8re de la Culture saurait quelles \u0153uvres installer o\u00f9. C’est le contraire du financement du haut vers le bas : la cr\u00e9ation \u00e9merge des territoires.<\/p>\n\n\n\n Je pense que l\u2019\u00e9ducation est un \u00e9l\u00e9ment fondamental de cette r\u00e9ponse. C\u2019est la raison pour laquelle la derni\u00e8re partie de ma vie sera consacr\u00e9e \u00e0 l\u2019accompagnement de l\u2019\u00e9cole du Domaine du Possible, \u00e0 Arles, et des r\u00e9flexions qu\u2019elle pourrait susciter.<\/p>\n\n\n\n Cette \u00e9cole doit \u00eatre un lieu de ressources et de r\u00e9flexion, voire un lieu clinique pour l’\u00e9ducation. Ce n’est pas une \u00e9cole \u00ab priv\u00e9e \u00bb, car elle a \u00e9t\u00e9 cr\u00e9\u00e9e sur un terrain qui appartenait \u00e0 mon mari, en Crau, au Mas Thibert, et Jean-Paul l’a donn\u00e9 \u00e0 un fonds de dotation.\u00a0<\/p>\n\n\n\n Lorsque j’ai essay\u00e9 de porter une politique de la culture, pendant un an et demi, les territoires \u00e9taient mon obsession. <\/p>Fran\u00e7oise Nyssen<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n L’\u00e9cole est en association. Je me bats pour qu’elle soit de plus en plus reconnue. Elle est reconnue par l’Education nationale \u2014 mais par des contrats simples \u2014 ainsi que par le minist\u00e8re de l’Agriculture. C’est d\u2019ailleurs peut-\u00eatre une des seules \u00e9coles qui soit sous double-tutelle, et je ne comprends pas pourquoi ces deux syst\u00e8mes \u00e9ducatifs ne se parlent pas davantage. <\/p>\n\n\n\n Elle s’ouvre \u00e9galement sur le monde, puisqu’elle vient d’\u00eatre int\u00e9gr\u00e9e au r\u00e9seau des \u00e9coles de l’UNESCO.<\/p>\n\n\n\n Un vers de Machado, que je reprends tout le temps, s\u2019accorde bien avec la philosophie de tout ce que nous avons \u00e9voqu\u00e9 : \u00ab voyageur, \/ Il n’y a pas de chemin, \/ Le chemin se fait en marchant \/ Le chemin se fait en marchant \u00bb. C’est ma devise. <\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":" \u00c0 Arles, Fran\u00e7oise Nyssen a fait la connaissance de la lumi\u00e8re \u2014 et d\u2019un m\u00e9tier qui allait changer sa vie.<\/p>\n L\u2019ancienne ministre de la culture nous raconte : la cr\u00e9ation d\u2019Actes Sud, le d\u00e9m\u00e9nagement de la maison d\u2019\u00e9dition du Paradou \u00e0 Arles, le cin\u00e9ma, le march\u00e9, la marche, le Domaine du Possible, le Rh\u00f4ne, Bruno Latour, la photographie.<\/p>\n Grand Tour. Plein Sud.<\/p>\n","protected":false},"author":10,"featured_media":289046,"comment_status":"closed","ping_status":"closed","sticky":false,"template":"templates\/post-interviews.php","format":"standard","meta":{"_acf_changed":false,"_trash_the_other_posts":false,"footnotes":""},"categories":[2984],"tags":[],"geo":[1917],"class_list":["post-289038","post","type-post","status-publish","format-standard","hentry","category-grand-tour","staff-pierre-ramond","staff-zelie-fourquier","geo-europe"],"acf":[],"yoast_head":"\n
\r\n <\/picture>\r\n \n Pourriez-vous raconter la cr\u00e9ation d\u2019Actes Sud ? <\/h3>\n\n\n\n
Pourrait-on dire que vous red\u00e9couvrez alors Arles ?<\/h3>\n\n\n\n
\r\n <\/picture>\r\n \n Avant de poursuivre l\u2019exploration d\u2019Arles, pourriez-vous revenir sur les lieux qui l\u2019ont pr\u00e9c\u00e9d\u00e9 : la Belgique, puis la France. Quels \u00e9taient ces lieux auxquels Arles a fini par succ\u00e9der ?<\/h3>\n\n\n\n
Est-ce que Arles est une ville qui se traverse ?<\/h3>\n\n\n\n
\n <\/picture>\n
\n <\/picture>\n Quels sont les \u00e9l\u00e9ments qui vous plaisent le plus \u00e0 Arles ? <\/h3>\n\n\n\n
Pourriez-vous nous parler de votre maison, de sa situation \u00e0 Arles ?<\/h3>\n\n\n\n
\r\n <\/picture>\r\n \n Comment avez-vous con\u00e7u la place d\u2019Actes Sud, en dehors de la capitale qui concentre l\u2019immense majorit\u00e9 des activit\u00e9s d\u2019\u00e9dition en France ?<\/h3>\n\n\n\n
Vous \u00e9voquez l’ouverture que permet Arles, la pr\u00e9sence de la culture m\u00e9diterran\u00e9enne. \u00c0 quel point est-ce que la localisation dans le Sud permet de mieux comprendre l’ouverture du catalogue d\u2019Actes Sud \u2014 on pense par exemple \u00e0 Sindbad ? <\/h3>\n\n\n\n
Pourrait-on dire qu\u2019Arles est ainsi devenu le centre d\u2019un monde ? <\/h3>\n\n\n\n
\r\n <\/picture>\r\n \n Vous nous parlez de citoyennet\u00e9, de l\u2019importance d\u2019habiter sa cit\u00e9, et dans le m\u00eame temps vous nous avez dit ne venir d\u2019aucun territoire. Vous sentez-vous Arl\u00e9sienne ? <\/h3>\n\n\n\n
Alors que vous vous rattachez \u00e0 l’urbanit\u00e9, y compris professionnellement, la nature semble \u00eatre une dimension essentielle de votre vie \u00e0 Arles. Vous y organisez le festival \u00ab Agir pour le Vivant \u00bb. Arles est-elle un lieu particuli\u00e8rement adapt\u00e9 \u00e0 l’\u00e9laboration d’une \u00e9cologie politique ?<\/h3>\n\n\n\n
Le Domaine du possible est \u00e0 la fois une ferme en agro\u00e9cologie et une \u00e9cole : pouvez-vous nous pr\u00e9senter ce lieu ? <\/h3>\n\n\n\n
\n <\/picture>\n
\n <\/picture>\n \u00c0 quel point cette \u00e9cole peut-elle \u00eatre un mod\u00e8le d’\u00e9ducation humaniste ?<\/h3>\n\n\n\n
Le d\u00e9sir de partir de l\u2019\u00e9chelle locale pour la cr\u00e9ation artistique a \u00e9galement marqu\u00e9 votre mandat de ministre de la Culture, de 2017 \u00e0 2018. <\/h3>\n\n\n\n
L\u2019\u00e9cole du Domaine du possible constitue-t-elle votre r\u00e9ponse \u00e0 la vague n\u00e9or\u00e9actionnaire qui semble d\u00e9finir nos ann\u00e9es Vingt<\/a> ? <\/strong><\/h3>\n\n\n\n
Face aux bouleversements du monde contemporain, on peut chercher \u00e0 pr\u00e9server ce qui existe ou bien essayer de cr\u00e9er autre chose. Est-ce cette deuxi\u00e8me voie que vous privil\u00e9giez ?<\/h3>\n\n\n\n