{"id":287328,"date":"2025-07-12T11:00:00","date_gmt":"2025-07-12T09:00:00","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=287328"},"modified":"2025-07-11T19:38:22","modified_gmt":"2025-07-11T17:38:22","slug":"lorsquon-voit-des-partis-extremistes-plafonner-a-26-il-est-dangereux-de-les-balayer-dun-revers-de-main-une-conversation-avec-laurence-rees","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2025\/07\/12\/lorsquon-voit-des-partis-extremistes-plafonner-a-26-il-est-dangereux-de-les-balayer-dun-revers-de-main-une-conversation-avec-laurence-rees\/","title":{"rendered":"\u00ab Lorsqu\u2019on voit des partis extr\u00e9mistes plafonner \u00e0 2,6 %, il est dangereux de les balayer d\u2019un revers de main \u00bb, une conversation avec Laurence Rees"},"content":{"rendered":"\n
Ce travail est le fruit de trente ann\u00e9es de recherche qui ont donn\u00e9 lieu \u00e0 plusieurs s\u00e9ries t\u00e9l\u00e9vis\u00e9es et ouvrages que j\u2019ai r\u00e9alis\u00e9s. \u00c0 bien des \u00e9gards, nous avons eu une chance extraordinaire.<\/p>\n\n\n\n
Mon int\u00e9r\u00eat pour ces questions a co\u00efncid\u00e9 avec un moment particulier dans la vie des anciens nazis : ils \u00e9taient pour la plupart \u00e0 la retraite, mais en pleine possession de leurs facult\u00e9s mentales. Nous avions r\u00e9uni une masse consid\u00e9rable de documents, mais la t\u00e9l\u00e9vision ne permet d\u2019en utiliser qu\u2019une infime partie. Une grande quantit\u00e9 d\u2019archives est donc rest\u00e9e in\u00e9dite, et j\u2019ai voulu la rendre accessible \u00e0 un public plus large par d\u2019autres moyens.<\/p>\n\n\n\n
Un autre facteur d\u00e9cisif a \u00e9t\u00e9 le moment o\u00f9 j\u2019ai commenc\u00e9 ce travail : juste apr\u00e8s la chute du mur de Berlin. Cela correspondait \u00e0 la fois au d\u00e9but de ma carri\u00e8re et \u00e0 une br\u00e8ve fen\u00eatre historique exceptionnelle, qui nous a permis d\u2019acc\u00e9der aux archives d\u2019Europe de l\u2019Est, notamment en Russie. Nous ne r\u00e9alisions pas alors \u00e0 quel point cette p\u00e9riode serait courte. Au d\u00e9but des ann\u00e9es 1990, de nombreuses archives secr\u00e8tes russes ont \u00e9t\u00e9 ouvertes aux chercheurs. Nous avions na\u00efvement cru que la Russie s\u2019engageait alors sur la voie de la d\u00e9mocratie, et nous avons v\u00e9cu cela comme le d\u00e9but d\u2019une \u00e8re nouvelle, exaltante. Cet espoir n\u2019a pas dur\u00e9. Lorsque j\u2019ai tourn\u00e9 ma derni\u00e8re s\u00e9rie en Russie, vers 2007\u20132008, nous \u00e9tions suivis par le FSB, et l\u2019acc\u00e8s aux documents comme aux personnes \u00e9tait devenu pratiquement impossible.<\/p>\n\n\n\n
Cette fen\u00eatre historique \u00e9troite s\u2019est donc align\u00e9e sur mes int\u00e9r\u00eats personnels et sur la volont\u00e9 de la BBC de financer ce type de programmes. Rien de tout cela n\u2019aurait \u00e9t\u00e9 possible sans le soutien de la BBC \u2014 non pas parce que nous \u00e9tions grassement r\u00e9mun\u00e9r\u00e9s, mais parce que le journalisme d\u2019investigation n\u00e9cessaire \u00e0 ce travail \u00e9tait co\u00fbteux.<\/p>\n\n\n\n
Les frais n\u2019\u00e9taient pas li\u00e9s aux salaires, mais \u00e0 la nature m\u00eame de l\u2019enqu\u00eate : retrouver d\u2019anciens nazis, les convaincre de parler, puis v\u00e9rifier rigoureusement chacune de leurs d\u00e9clarations. Ce travail de recoupement \u00e9tait \u2014 et reste \u2014 colossal. Tout journaliste conna\u00eet les d\u00e9fis m\u00e9thodologiques pos\u00e9s par l\u2019histoire orale. Cela exige une grande vigilance, de l\u2019exp\u00e9rience, et une conscience aigu\u00eb de ses limites.<\/p>\n\n\n\n Lorsque j\u2019ai tourn\u00e9 ma derni\u00e8re s\u00e9rie en Russie, vers 2007\u20132008, nous \u00e9tions suivis par le FSB, et l\u2019acc\u00e8s aux documents comme aux personnes \u00e9tait devenu pratiquement impossible.<\/p>Laurence Rees<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Heureusement, nous \u00e9tions bien pr\u00e9par\u00e9s.<\/p>\n\n\n\n Notre formation provenait directement du journalisme et du documentaire \u00e0 la BBC, o\u00f9 des normes rigoureuses nous ont \u00e9t\u00e9 inculqu\u00e9es d\u00e8s le d\u00e9part. Tous ces \u00e9l\u00e9ments nous ont permis d\u2019aborder ce travail avec le s\u00e9rieux et la prudence n\u00e9cessaires.<\/p>\n\n\n\n Un dernier point. Lorsque nous avons r\u00e9alis\u00e9 la premi\u00e8re s\u00e9rie sur ce sujet, The Nazis : A Warning from History,<\/em> j\u2019ai compris \u00e0 quel point il \u00e9tait essentiel de contredire les personnes interrog\u00e9es pendant l\u2019entretien lui-m\u00eame. Au d\u00e9part, j\u2019avais imagin\u00e9 un format documentaire classique \u2014 on interroge quelqu\u2019un, puis on apporte un contrepoint via<\/em> un autre t\u00e9moignage, et le montage \u00e9tablit un \u00e9quilibre. Mais cette approche s\u2019est r\u00e9v\u00e9l\u00e9e totalement insuffisante. Les spectateurs auraient \u00e9t\u00e9 scandalis\u00e9s par certaines des choses que ces personnes disaient. Il est vite apparu qu\u2019il fallait que l\u2019intervieweur incarne clairement l\u2019indignation du public : \u00ab Comment pouvez-vous dire cela ? \u00bb \u2014 \u00ab C\u2019est r\u00e9voltant. \u00bb C\u2019est ainsi que les films ont pu adopter une position morale claire, ce qui \u00e9tait crucial. Il y avait bien s\u00fbr des inqui\u00e9tudes l\u00e9gitimes sur le fait de donner la parole \u00e0 de tels individus. Mais le fait d\u2019encadrer leurs propos par une contestation \u00e9thique a permis de s\u2019assurer que leur pr\u00e9sence ne soit jamais per\u00e7ue comme complaisante. C\u2019est ainsi que nous avons r\u00e9ussi \u00e0 rendre cela possible.<\/p>\n\n\n\n Ce n\u2019est que tr\u00e8s r\u00e9cemment que j\u2019ai envisag\u00e9 d\u2019int\u00e9grer des approches psychologiques \u00e0 mon propre travail.<\/p>\n\n\n\n L\u2019une des raisons de cette r\u00e9ticence tient \u00e0 une forte aversion que j\u2019ai toujours eue envers la psychohistoire \u2014 en particulier dans ses versions les plus sp\u00e9culatives. On tombe souvent sur des personnes \u2014 presque toujours ext\u00e9rieures au champ historique \u2014 qui affirment des choses stupides du genre : \u00ab Vous perdez votre temps \u00e0 essayer de comprendre Hitler sur le plan politique, la vraie clef, c\u2019est qu\u2019on l\u2019a trop emmaillot\u00e9 quand il \u00e9tait b\u00e9b\u00e9. \u00bb<\/p>\n\n\n\n Dans l\u2019introduction de mon livre, je tourne en d\u00e9rision le profil psychologique d’Hitler r\u00e9dig\u00e9 pendant la guerre par Walter Langer pour l\u2019OSS. Langer y avance que le Kehlsteinhaus, ou \u00ab Nid d\u2019aigle \u00bb \u2014 auquel on acc\u00e8de par un tunnel et un ascenseur creus\u00e9s dans la montagne \u2014 symboliserait un d\u00e9sir inconscient de retourner dans le ventre maternel. C\u2019est le genre d\u2019interpr\u00e9tation qui est franchement absurde \u00e0 plusieurs niveaux. D\u2019abord parce que Hitler lui-m\u00eame n\u2019aimait pas cet endroit. C\u2019est Martin Bormann, son secr\u00e9taire, qui en a supervis\u00e9 la construction. Ce type de lecture pseudo-psychologique m\u2019a toujours paru fantaisiste et compl\u00e8tement d\u00e9connect\u00e9 de la r\u00e9alit\u00e9 historique.<\/p>\n\n\n\n Cependant, mon regard a commenc\u00e9 \u00e0 \u00e9voluer \u2014 en partie parce que mes deux fils ont \u00e9tudi\u00e9 la psychologie \u00e0 l\u2019universit\u00e9. En lisant leurs cours et en discutant longuement avec eux, j\u2019ai compris qu\u2019il existait tout un pan de la psychologie \u2014 notamment la psychologie sociale, d\u00e9veloppementale et \u00e9volutionniste \u2014 qui n\u2019a rien \u00e0 voir avec ces interpr\u00e9tations r\u00e9ductrices. <\/p>\n\n\n\n Ces disciplines ne s\u2019int\u00e9ressent pas aux pathologies individuelles, mais aux tendances humaines g\u00e9n\u00e9rales. Et cette perspective a fait \u00e9cho \u00e0 mon propre int\u00e9r\u00eat pour la notion d\u2019\u00ab avertissements \u00bb historiques : ce ne sont pas des le\u00e7ons, ce sont des signaux de probabilit\u00e9, non des certitudes \u2014 comme lorsqu\u2019un m\u00e9decin vous dit que fumer cent cigarettes par jour rend probable un cancer. Vous n\u2019en d\u00e9velopperez peut-\u00eatre pas un, mais la tendance demeure valable.<\/p>\n\n\n\n Les lectures pseudo-psychologiques du nazisme m\u2019ont toujours paru fantaisistes et compl\u00e8tement d\u00e9connect\u00e9es de la r\u00e9alit\u00e9 historique.<\/p>Laurence Rees<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Ce cadre m\u2019a permis d\u2019\u00e9claircir ma pens\u00e9e. J\u2019ai \u00e9galement commenc\u00e9 \u00e0 m\u2019entretenir avec plusieurs psychologues et neuroscientifiques de renom \u2014 des \u00e9changes qui se sont r\u00e9v\u00e9l\u00e9s extr\u00eamement f\u00e9conds. Ils ne connaissaient pas toujours les d\u00e9tails historiques, mais je pouvais appliquer leurs id\u00e9es au mat\u00e9riau documentaire sur lequel je travaillais. Parmi eux, Robert Sapolsky, professeur de neurosciences \u00e0 Stanford, a eu une influence toute particuli\u00e8re. Sa g\u00e9n\u00e9rosit\u00e9 intellectuelle et sa clart\u00e9 d\u2019esprit m\u2019ont \u00e9t\u00e9 pr\u00e9cieuses.<\/p>\n\n\n\n Tout cela m\u2019a permis d\u2019affiner ma d\u00e9marche, mais j\u2019ai toujours tenu \u00e0 ce que le livre reste avant tout un travail d\u2019historien. Et je crois que c\u2019est bien le cas \u2014 une \u00e9tude historique qui, par moments, s\u2019appuie sur des \u00e9clairages psychologiques. La psychologie ne remplace jamais l\u2019histoire ; elle apporte un regard compl\u00e9mentaire. C\u2019est ce principe qui m\u2019a guid\u00e9 pendant que j\u2019\u00e9crivais. <\/p>\n\n\n\n Absolument. Ce qui continue \u00e0 me surprendre, c\u2019est \u00e0 quel point le monde acad\u00e9mique a accueilli mon travail avec bienveillance. J\u2019ai re\u00e7u deux doctorats honoris causa<\/em> \u2014 ce que je n\u2019avais absolument pas anticip\u00e9. Je m\u2019attendais \u00e0 bien plus de critiques de la part des universitaires et j\u2019ai au contraire rencontr\u00e9 un v\u00e9ritable int\u00e9r\u00eat de leur part. Cette reconnaissance a beaucoup compt\u00e9 pour moi. Je dois \u00e9norm\u00e9ment au professeur Ian Kershaw<\/a>, qui est mon mentor depuis longtemps et dont les conseils m\u2019ont \u00e9t\u00e9 inestimables au fil des ann\u00e9es.<\/p>\n\n\n\n Cela dit, je crois que mon approche reste fondamentalement diff\u00e9rente de celle de la plupart des historiens traditionnels \u2014 et cela de mani\u00e8re tout \u00e0 fait assum\u00e9e. D\u00e8s le d\u00e9part, mon ambition n\u2019\u00e9tait pas de devenir historien acad\u00e9mique, mais de r\u00e9aliser des films historiques. Je viens du journalisme et du cin\u00e9ma, et cela fa\u00e7onne in\u00e9vitablement mon style narratif, ainsi que ma mani\u00e8re d\u2019aborder les sources. \u00catre issu du journalisme implique une autre fa\u00e7on d\u2019entrer en relation avec le mat\u00e9riau historique. Bien s\u00fbr, tous les bons historiens apprennent \u00e0 faire preuve de scepticisme face aux sources et \u00e0 les \u00e9valuer avec rigueur, mais lorsqu\u2019on est face \u00e0 une personne en chair et en os, il y a un scepticisme instinctif, presque r\u00e9flexe : Pourquoi me dit-elle cela ? Que me cache-t-elle ? Comment puis-je le v\u00e9rifier ailleurs ? C\u2019est un \u00e9tat d\u2019esprit qui tient \u00e0 l\u2019enqu\u00eate, l\u00e9g\u00e8rement diff\u00e9rent de celui qui caract\u00e9rise la m\u00e9thode historique \u2014 et ce contact direct avec la parole vivante donne, je crois, une texture diff\u00e9rente au r\u00e9cit.<\/p>\n\n\n\n Je viens du journalisme et du cin\u00e9ma, et cela fa\u00e7onne in\u00e9vitablement mon style narratif, ainsi que ma mani\u00e8re d\u2019aborder les sources.<\/p>Laurence Rees<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Ce qui me passionne depuis toujours, ce sont les \u00eatres humains : leurs mentalit\u00e9s, leurs visions du monde, leur vie int\u00e9rieure \u2014 tout ce qui constitue l\u2019exp\u00e9rience v\u00e9cue de ceux qui traversent l\u2019histoire.<\/p>\n\n\n\n Cette attention port\u00e9e \u00e0 la dimension psychologique et \u00e9motionnelle de l\u2019existence humaine est le moteur de mon travail. C\u2019est aussi ce qui le distingue d\u2019une histoire plus classique, qu\u2019elle soit militaire ou diplomatique. Je ne pense pas qu\u2019il soit r\u00e9ellement possible de saisir ces mentalit\u00e9s uniquement \u00e0 partir de documents. \u00catre face \u00e0 quelqu\u2019un qui a commis des atrocit\u00e9s \u2014 qui a, par exemple, tu\u00e9 des enfants \u2014 est une exp\u00e9rience sans commune mesure avec la lecture d\u2019un proc\u00e8s-verbal ou d\u2019un compte rendu judiciaire. La confrontation avec la m\u00e9moire vivante de tels actes transforme profond\u00e9ment votre compr\u00e9hension des choses.<\/p>\n\n\n\n Dans l\u2019introduction du livre, je pr\u00e9cise que je n\u2019aurais jamais imagin\u00e9 consacrer une si grande partie de ma carri\u00e8re \u00e0 l\u2019\u00e9tude du nazisme et de la Seconde Guerre mondiale. Ce n\u2019\u00e9tait pas une ambition d\u2019enfance ; je ne me suis jamais dit : \u00ab je vais me consacrer aux nazis pendant les trente-cinq ou quarante prochaines ann\u00e9es. \u00bb Ce qui m\u2019a pouss\u00e9 \u00e0 suivre cette voie, c\u2019est le profond d\u00e9calage que j\u2019ai ressenti en rencontrant d\u2019anciens nazis. Ils n\u2019\u00e9taient absolument pas ce \u00e0 quoi je m\u2019attendais \u2014 et pour un journaliste, ce genre de surprise est irr\u00e9sistible. Quand la r\u00e9alit\u00e9 contredit vos attentes, le r\u00e9flexe naturel est de se demander : pourquoi ?<\/p>\n\n\n\n Je me souviens avoir rencontr\u00e9 un ancien membre de la Waffen-SS en 1990. C\u2019\u00e9tait un homme intelligent, charismatique, qui avait fait une brillante carri\u00e8re apr\u00e8s-guerre dans une grande entreprise automobile allemande. \u00c0 bien des \u00e9gards, c\u2019\u00e9tait un individu impressionnant \u2014 jusqu\u2019au moment o\u00f9 il s\u2019est mis \u00e0 parler du nazisme et de la guerre. L\u00e0, c\u2019\u00e9tait comme s\u2019il basculait dans une r\u00e9alit\u00e9 parall\u00e8le.<\/p>\n\n\n\n Je n\u2019avais jamais rien vu de tel.<\/p>\n\n\n\n En surface, il semblait parfaitement rationnel, mais ce qu\u2019il disait relevait d\u2019un monde totalement d\u00e9lirant. Il affirmait que la guerre avait \u00e9t\u00e9 impos\u00e9e \u00e0 l\u2019Allemagne, que les Juifs repr\u00e9sentaient un \u00ab probl\u00e8me \u00bb qu\u2019il fallait r\u00e9soudre \u00ab d\u2019une mani\u00e8re ou d\u2019une autre \u00bb, et que c\u2019\u00e9tait en grande partie de ma<\/em> faute, en tant que Britannique, s\u2019ils avaient \u00e9t\u00e9 tu\u00e9s \u2014 car mon gouvernement avait refus\u00e9 de les accueillir. Je m\u2019attendais \u00e0 ce qu\u2019un ancien nazi me dise qu\u2019il avait ob\u00e9i aux ordres, que c\u2019\u00e9tait une trag\u00e9die, que cela n\u2019aurait jamais d\u00fb arriver. Peut-\u00eatre m\u00eame qu\u2019il sorte une excuse absurde du type : \u00ab Nous \u00e9tions hypnotis\u00e9s par Hitler<\/a>, nous nous sommes r\u00e9veill\u00e9s ensuite, nous sommes profond\u00e9ment d\u00e9sol\u00e9s \u2014 mais nous n\u2019y pouvions rien. \u00bb Ce n\u2019est pas du tout ce que j\u2019ai entendu.<\/p>\n\n\n\n Les anciens nazis n\u2019\u00e9taient absolument pas ce \u00e0 quoi je m\u2019attendais. Quand la r\u00e9alit\u00e9 contredit vos attentes, le r\u00e9flexe naturel est de se demander : pourquoi ?<\/p>Laurence Rees<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n En r\u00e9alit\u00e9, nombre d\u2019anciens nazis souhaitaient \u00eatre interview\u00e9s parce qu\u2019ils pensaient que, si nous les \u00e9coutions simplement, nous finirions par comprendre \u2014 voire par adh\u00e9rer \u00e0 leur point de vue. Ce qui m\u2019a frapp\u00e9, c\u2019est \u00e0 quel point cette posture \u00e9tait distincte de mes exp\u00e9riences dans d\u2019autres films \u2014 sur la guerre entre Hitler et Staline, ou encore sur la mentalit\u00e9 japonaise pendant le conflit. Dans ces cas-l\u00e0, le comportement des personnes interrog\u00e9es correspondait en g\u00e9n\u00e9ral \u00e0 ce que j\u2019attendais.<\/p>\n\n\n\n Je me souviens d\u2019un entretien en particulier avec un ancien policier sovi\u00e9tique, impliqu\u00e9 dans les d\u00e9portations punitives d\u00e9cid\u00e9es par Staline en Kalmoukie.<\/p>\n\n\n\n Lorsque je lui ai demand\u00e9 comment il avait pu infliger de telles horreurs \u00e0 des enfants, il m\u2019a r\u00e9pondu tr\u00e8s simplement qu\u2019il n\u2019avait pas le choix : s\u2019il avait refus\u00e9, il aurait \u00e9t\u00e9 ex\u00e9cut\u00e9. En tant que journaliste, on enqu\u00eate sur ce genre d\u2019affirmations \u2014 et dans son cas, c\u2019\u00e9tait probablement vrai. Sous Staline, refuser d\u2019ob\u00e9ir pouvait effectivement vous co\u00fbter la vie. Mais dans le cas de l\u2019Holocauste, la situation \u00e9tait diff\u00e9rente. Comme l\u2019a d\u00e9montr\u00e9 Christopher Browning, personne n\u2019a \u00e9t\u00e9 ex\u00e9cut\u00e9 pour avoir refus\u00e9 de participer \u00e0 l\u2019extermination des Juifs<\/a>. C\u2019est l\u00e0 que surgit un \u00e9l\u00e9ment essentiel \u00e0 mes yeux : l\u2019int\u00e9riorisation de l\u2019id\u00e9ologie. Beaucoup de ceux que j\u2019ai rencontr\u00e9s croyaient encore, des d\u00e9cennies plus tard, que ce qu\u2019ils avaient fait \u00e9tait justifi\u00e9. Cela me semble d\u2019une port\u00e9e immense \u2014 et profond\u00e9ment inqui\u00e9tante.<\/p>\n\n\n\n C\u2019est une question difficile \u2014 et je le dis avec un certain humour, car lorsque j\u2019ai commenc\u00e9 comme journaliste, je posais souvent des questions \u00e0 des universitaires, et ils me r\u00e9pondaient : \u00ab Eh bien, c\u2019est tr\u00e8s compliqu\u00e9. \u00bb Et je me disais alors : \u00ab Allez, faites un effort. \u00bb <\/p>\n\n\n\n Mais la v\u00e9rit\u00e9, c\u2019est que c\u2019est effectivement tr\u00e8s compliqu\u00e9. <\/p>\n\n\n\n Le r\u00f4le du charisme personnel d\u2019Hitler dans la formation de la mentalit\u00e9 nazie ne peut pas \u00eatre compris isol\u00e9ment, car de nombreuses dynamiques se chevauchaient.<\/p>\n\n\n\n On ne peut pas dire qu\u2019Hitler ait cr\u00e9\u00e9 ces id\u00e9es \u00e0 partir de rien. Il puisait dans des th\u00e8mes d\u00e9j\u00e0 largement r\u00e9pandus dans l\u2019Allemagne d\u2019apr\u00e8s-guerre \u2014 l\u2019antis\u00e9mitisme, la peur du bolchevisme, le ressentiment nationaliste. Ce qui \u00e9tait singulier, ce n\u2019\u00e9tait pas tant le contenu de son message, que la mani\u00e8re dont il le d\u00e9livrait, notamment dans les ann\u00e9es 1920. Sa puissance oratoire donnait une force \u00e9motionnelle nouvelle \u00e0 des id\u00e9es qui, en elles-m\u00eames, n\u2019\u00e9taient pas originales.<\/p>\n\n\n\n L\u2019un des \u00e9l\u00e9ments les plus marquants que j\u2019ai d\u00e9couverts en \u00e9crivant The Dark Charisma of Adolf Hitler<\/em> \u2014 et que je n\u2019avais pas pleinement saisi auparavant \u2014 m\u2019est apparu en relisant ses premiers discours. Ce qui m\u2019a frapp\u00e9, c\u2019est \u00e0 quel point il cherchait syst\u00e9matiquement \u00e0 intensifier la peur et l\u2019anxi\u00e9t\u00e9 de son auditoire. Dans mon nouveau livre, je fais r\u00e9f\u00e9rence au r\u00f4le de l\u2019amygdale \u2014 cette partie du cerveau essentielle \u00e0 la survie, qui nous permet de d\u00e9terminer si quelqu\u2019un est un alli\u00e9 ou une menace. D\u2019un point de vue \u00e9volutif, nous sommes programm\u00e9s pour p\u00e9cher par exc\u00e8s de prudence. Si nos anc\u00eatres entendaient un bruissement dans les buissons, ils ne se demandaient pas si c\u2019\u00e9tait un chien inoffensif \u2014 ils supposaient que c\u2019\u00e9tait un lion. Car si c\u2019en \u00e9tait un et qu\u2019ils h\u00e9sitaient, ils \u00e9taient morts.<\/p>\n\n\n\n La puissance oratoire d\u2019Hitler donnait une force \u00e9motionnelle nouvelle \u00e0 des id\u00e9es qui, en elles-m\u00eames, n\u2019\u00e9taient pas originales.<\/p>Laurence Rees<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Cette pr\u00e9disposition neurologique \u2014 interpr\u00e9ter les signes ambigus comme des menaces \u2014 est quelque chose qu\u2019Hitler comprenait instinctivement et qu\u2019il savait exploiter.<\/p>\n\n\n\n Il s\u2019adressait \u00e0 des foules d\u00e9j\u00e0 enclines \u00e0 voir dans les Juifs ou les communistes des ennemis, et son message \u00e9tait toujours : c\u2019est pire que ce que vous croyez<\/em>. Il ne cessait d\u2019amplifier le sentiment de danger. Plut\u00f4t que d\u2019interpeller la partie rationnelle du cerveau \u2014 celle qui inviterait \u00e0 l\u2019analyse ou \u00e0 la retenue, en disant : \u00ab Calmez-vous, ce n\u2019est sans doute qu\u2019un chien dans les buissons \u00bb \u2014 il maintenait d\u00e9lib\u00e9r\u00e9ment son auditoire dans un \u00e9tat d\u2019alerte constant : tuer ou \u00eatre tu\u00e9<\/em><\/a>. Ses discours entretenaient cet \u00e9tat \u00e9motionnel exacerb\u00e9, donnant \u00e0 ses partisans l\u2019impression de vivre un moment extraordinaire, d\u00e9cisif. La vie, soudain, cessait d\u2019\u00eatre banale ; elle \u00e9tait charg\u00e9e de sens : C\u2019est maintenant. L\u2019Histoire est en train de basculer \u2014 et vous devez agir.<\/em><\/p>\n\n\n\n Ce sentiment d\u2019urgence \u00e9tait renforc\u00e9 par un autre \u00e9l\u00e9ment tout aussi puissant : la certitude. Je crois que nous sous-estimons souvent l\u2019attrait de la certitude, en particulier dans les contextes autoritaires. La plupart des gens vivent avec des doutes, des incertitudes : Est-ce que je fais ce qu\u2019il faut ? Aurais-je d\u00fb dire cela ?<\/em> Mais un dirigeant qui semble incarner une conviction in\u00e9branlable \u2014 qui donne l\u2019impression de poss\u00e9der une clart\u00e9 morale et politique absolue \u2014 peut \u00eatre profond\u00e9ment rassurant. Il y a presque quelque chose de parental dans cette capacit\u00e9 \u00e0 soulager ses partisans du poids du choix. Erich Fromm a \u00e9tudi\u00e9 cette dynamique dans son ouvrage pionnier Escape from Freedom<\/em> (1941 \u2014 traduit en fran\u00e7ais sous le titre La Peur de la libert\u00e9<\/em> en 1963), o\u00f9 il soutient que beaucoup souhaitent fuir la responsabilit\u00e9 \u2014 \u00e9chapper \u00e0 l\u2019angoisse que suscite la libert\u00e9. On retrouve ce m\u00e9canisme chez des figures comme G\u00f6ring : malgr\u00e9 son charisme et son aura de h\u00e9ros de la Premi\u00e8re Guerre mondiale, sa vie est devenue bien plus simple \u00e0 partir du moment o\u00f9 il a d\u00e9cid\u00e9 que le F\u00fchrer avait toujours raison. Cette abdication \u2014 au profit d\u2019une certitude, d\u2019une vision \u2014 n\u2019\u00e9tait pas seulement de l\u2019ob\u00e9issance : elle constituait un soulagement psychologique.<\/p>\n\n\n\n Le point crucial, c\u2019est qu\u2019Hitler s\u2019exprimait en visions, non en politiques publiques. Il n\u2019a jamais formul\u00e9 de programmes concrets, d\u00e9taill\u00e9s. Si l\u2019on regarde la plateforme originelle du parti nazi en 1920, les propositions sont d\u2019une \u00e9tonnante impr\u00e9cision \u2014 et cette impr\u00e9cision \u00e9tait volontaire. Hitler cultivait d\u00e9lib\u00e9r\u00e9ment cette ambigu\u00eft\u00e9. Ce qui a suivi est tout aussi r\u00e9v\u00e9lateur : il nommait fr\u00e9quemment deux personnes \u00e0 peu pr\u00e8s \u00e0 la m\u00eame fonction, avec des responsabilit\u00e9s qui se chevauchaient. Lorsque des conflits \u00e9clataient in\u00e9vitablement entre elles et qu\u2019elles s\u2019adressaient \u00e0 lui pour trancher, il refusait d\u2019intervenir. Sa r\u00e9ponse, en substance, c\u2019\u00e9tait : \u00ab D\u00e9brouillez-vous. \u00bb<\/em> Il appliquait une logique darwinienne \u2014 une forme de gouvernement fond\u00e9e sur la survie du plus apte<\/em>.<\/p>\n\n\n\n Mais les responsables nazis avaient compris une chose essentielle : Hitler avait un go\u00fbt particulier pour la radicalit\u00e9. Il n\u2019approuvait pas n\u00e9cessairement chaque proposition extr\u00eame, et il ne les mettait pas toutes en \u0153uvre, mais il r\u00e9agissait positivement aux id\u00e9es audacieuses, transgressives. C\u2019est l\u00e0, je crois, que mon approche propose un cadre explicatif pertinent. Prenons l\u2019exemple de Joachim von Ribbentrop. Il est souvent pr\u00e9sent\u00e9 comme un imb\u00e9cile, voire un pantin ridicule. Mais Reinhard Spitzy, un officier SS qui a travaill\u00e9 \u00e9troitement avec lui, m\u2019a un jour dit : \u00ab Quand Hitler disait \u2018ti\u00e8de\u2019, Ribbentrop r\u00e9pondait \u2018br\u00fblant\u2019. \u00bb<\/em> Il revenait vers Hitler avec des propositions outranci\u00e8res, exag\u00e9r\u00e9es \u2014 non parce qu\u2019elles \u00e9taient forc\u00e9ment applicables, mais parce qu\u2019elles s\u2019accordaient avec l\u2019esprit de sa vision.<\/p>\n\n\n\n Dans un tel syst\u00e8me \u2014 o\u00f9 la vision globale est claire, mais o\u00f9 les politiques concr\u00e8tes restent ind\u00e9termin\u00e9es \u2014 la concurrence entre subordonn\u00e9s devient f\u00e9roce. Chaque acteur cherche \u00e0 interpr\u00e9ter et incarner la vision de mani\u00e8re plus fid\u00e8le, plus radicale que les autres. Lorsque deux individus occupent des fonctions similaires, l\u2019incitation \u00e0 se surpasser \u2014 non seulement par la comp\u00e9tence, mais surtout par l\u2019intensit\u00e9 id\u00e9ologique \u2014 devient dominante. La radicalit\u00e9 se banalise. Cela produit une structure \u00e0 la fois extraordinairement dynamique et profond\u00e9ment chaotique, dans laquelle le chef n\u2019a plus besoin de diriger de mani\u00e8re conventionnelle.<\/p>\n\n\n\n Le premier point \u00e0 souligner, c\u2019est qu\u2019il s\u2019agissait d\u2019un processus progressif. Ceux qui ne sont pas familiers avec l\u2019histoire de la Shoah demandent souvent quand la d\u00e9cision d\u2019exterminer les Juifs a \u00e9t\u00e9 prise \u2014 comme s\u2019il devait y avoir un moment pr\u00e9cis, un tournant net. <\/p>\n\n\n\n Je soup\u00e7onne que cette attente d\u00e9coule de la logique des romans policiers ou des films de braquage, comme Ocean\u2019s Eleven<\/em>, o\u00f9 les \u00e9v\u00e9nements suivent une s\u00e9quence bien ordonn\u00e9e : l\u2019\u00e9quipe se forme, un plan est \u00e9tabli, une r\u00e9union d\u00e9cisive a lieu, puis l\u2019op\u00e9ration est lanc\u00e9e. Ce mod\u00e8le narratif favorise une attention excessive \u00e0 des moments comme la conf\u00e9rence de Wannsee, en janvier 1942, que l\u2019on consid\u00e8re souvent \u00e0 tort comme l\u2019\u00e9v\u00e9nement clef o\u00f9 tout a \u00e9t\u00e9 d\u00e9cid\u00e9. Mais ce n\u2019est pas le cas \u2014 il ne s\u2019agissait que d\u2019une \u00e9tape suppl\u00e9mentaire dans une escalade d\u00e9j\u00e0 engag\u00e9e.<\/p>\n\n\n\n Il existe de solides donn\u00e9es psychologiques \u2014 que j\u2019explore dans le livre \u2014 montrant qu\u2019il est bien plus facile d\u2019avancer par petites \u00e9tapes que de franchir un grand saut brutal. Ce principe ne s\u2019applique pas seulement \u00e0 la Shoah, mais \u00e0 l\u2019ensemble du r\u00e9gime nazi.<\/p>\n\n\n\n Prenons les premiers camps de concentration mis en place d\u00e8s 1933 pour les opposants politiques. Beaucoup d\u2019Allemands ordinaires les ont accept\u00e9s, car on les leur pr\u00e9sentait comme une r\u00e9ponse n\u00e9cessaire \u00e0 la menace pr\u00e9sum\u00e9e du communisme. Les nazis affirmaient que les communistes avaient tent\u00e9 d\u2019incendier le Reichstag, qu\u2019ils sabotaient la r\u00e9volution nationale \u2014 qu\u2019ils \u00e9taient l\u2019ennemi int\u00e9rieur<\/em>. Dans ce contexte, l\u2019existence des camps \u00e9tait tol\u00e9r\u00e9e.<\/p>\n\n\n\n Ce que la plupart des gens ne comprennent pas, c\u2019est \u00e0 quel point ces premiers camps \u00e9taient diff\u00e9rents de ce qui allait suivre. Il y a souvent confusion : si les camps de concentration existaient d\u00e9j\u00e0 en 1933, pourquoi la Shoah n\u2019a-t-elle pas commenc\u00e9 \u00e0 ce moment-l\u00e0 ? En r\u00e9alit\u00e9, au cours des premi\u00e8res ann\u00e9es, la majorit\u00e9 des d\u00e9tenus \u00e9taient des opposants politiques du r\u00e9gime nazi \u2014 et m\u00eame s\u2019ils \u00e9taient soumis \u00e0 des conditions effroyables, aux coups, \u00e0 la torture, parfois \u00e0 la mort \u2014 la plupart finissaient par \u00eatre lib\u00e9r\u00e9s, souvent apr\u00e8s dix-huit mois. Quelques Juifs allemands ont \u00e9t\u00e9 envoy\u00e9s dans ces camps \u00e0 cette \u00e9poque, mais ils restaient minoritaires.<\/p>\n\n\n\n Hitler s\u2019exprimait en visions, pas en politiques publiques.<\/p>Laurence Rees<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Je me souviens d\u2019un Polonais, interview\u00e9 pour la s\u00e9rie t\u00e9l\u00e9vis\u00e9e que j\u2019ai consacr\u00e9e \u00e0 Auschwitz, qui nous a racont\u00e9 comment il avait \u00e9t\u00e9 rel\u00e2ch\u00e9 du camp. Cela peut para\u00eetre aujourd\u2019hui totalement incompr\u00e9hensible, tant Auschwitz est associ\u00e9 \u00e0 l\u2019extermination de masse. Mais quand Rudolf H\u00f6ss a mis en place le camp en 1940, il s\u2019est inspir\u00e9 du mod\u00e8le de Dachau, tout en en aggravant la brutalit\u00e9. Auschwitz \u00e9tait d\u00e8s le d\u00e9part situ\u00e9 en Pologne occup\u00e9e, sur un territoire d\u00e9sign\u00e9 pour les pr\u00e9tendus \u00ab sous-hommes \u00bb, et un grand nombre de prisonniers politiques polonais y sont morts de faim, de maladie ou de mauvais traitements. Pourtant, dans cette premi\u00e8re phase, la lib\u00e9ration restait th\u00e9oriquement possible. Tout cela a chang\u00e9 par la suite, lorsque le site est devenu le plus grand lieu de mise \u00e0 mort de l\u2019histoire humaine, et que l\u2019immense majorit\u00e9 des victimes ont \u00e9t\u00e9 des Juifs.<\/p>\n\n\n\n Cette \u00e9volution graduelle permet de mieux comprendre comment les gens l\u2019ont v\u00e9cue \u2014 en particulier les Juifs allemands. Beaucoup m\u2019ont dit : \u00ab Nous pensions que les choses finiraient par redevenir normales. \u00bb Il y avait un espoir largement r\u00e9pandu, ou une illusion, que la situation allait se stabiliser. Mais elle n\u2019a fait qu\u2019empirer, \u00e9tape par \u00e9tape.<\/p>\n\n\n\n L\u2019une des conclusions les plus d\u00e9courageantes que l\u2019on puisse tirer de cette histoire \u2014 s\u2019agissant de la population non juive en Allemagne \u2014, c\u2019est que beaucoup n\u2019\u00e9taient pas motiv\u00e9s par une r\u00e9elle conviction, mais par le pragmatisme, ou simplement par le d\u00e9sir de vivre en paix. La plupart des gens aspirent \u00e0 une vie de famille, \u00e0 un emploi stable, \u00e0 un sentiment de s\u00e9curit\u00e9 \u2014 et s\u2019adaptent \u00e0 ce que la soci\u00e9t\u00e9 attend d\u2019eux.<\/p>\n\n\n\n Cela appara\u00eet tr\u00e8s clairement en 1933, quand une majorit\u00e9 \u00e9crasante d\u2019Allemands se pr\u00e9cipite pour rejoindre le parti nazi une fois Hitler arriv\u00e9 au pouvoir. Le parti a m\u00eame d\u00fb suspendre temporairement les adh\u00e9sions. On ne peut pas croire que tous ces gens se soient soudainement dit : \u00ab Hitler a raison. \u00bb Ils voulaient simplement am\u00e9liorer leur situation, faire progresser leur carri\u00e8re, s\u2019occuper des leurs. Et je ne pense pas une seconde que cette tendance soit propre aux Allemands. C\u2019est une tendance humaine, universelle.<\/p>\n\n\n\n Je trouve le travail de Mosse extr\u00eamement pr\u00e9cieux pour comprendre l\u2019environnement intellectuel et culturel dont est issu le nazisme. Ses analyses sont particuli\u00e8rement \u00e9clairantes lorsqu\u2019il s\u2019agit du mouvement v\u00f6lkisch<\/em> du XIXe si\u00e8cle \u2014 un courant fondamental, mais trop souvent n\u00e9glig\u00e9, dans la gen\u00e8se de l\u2019id\u00e9ologie nazie. Il replace ce mouvement dans le contexte plus large de la modernisation rapide de l\u2019Allemagne apr\u00e8s l\u2019unification, ainsi que dans celui de l\u2019\u00e9mancipation simultan\u00e9e des Juifs. Aucun autre pays europ\u00e9en n\u2019a connu une transformation aussi radicale au XIXe si\u00e8cle \u2014 qu\u2019elle soit politique, sociale ou \u00e9conomique \u2014, et dans bien des esprits, les Juifs sont alors devenus le symbole m\u00eame de cette modernit\u00e9. On les percevait non seulement comme les b\u00e9n\u00e9ficiaires du changement, mais aussi comme ses agents \u2014 donc comme une menace.<\/p>\n\n\n\n Cette perception, comme le montre Mosse, est \u00e0 la base de l\u2019antis\u00e9mitisme v\u00f6lkisch<\/em> et permet, par exemple, de mieux comprendre la haine visc\u00e9rale des nazis envers les grands magasins. Ces derniers \u00e9taient vus comme des entreprises dirig\u00e9es par des Juifs, qui d\u00e9truisaient le commerce traditionnel et local.<\/p>\n\n\n\n Hitler a h\u00e9rit\u00e9 de ces ressentiments et les a exacerb\u00e9s.<\/p>\n\n\n\n Mosse d\u00e9crit \u2014 avec beaucoup de brio \u2014 un penseur v\u00f6lkisch<\/em> de la fin du XIXe si\u00e8cle qui nourrissait une haine passionn\u00e9e des chemins de fer, qu\u2019il consid\u00e9rait comme des vecteurs de d\u00e9sordre et de d\u00e9racinement. Cette hostilit\u00e9 \u00e0 l\u2019infrastructure moderne s\u2019inscrivait dans une vision plus large, une exaltation romantique de la nature<\/em> et de la for\u00eat allemande, qui a trouv\u00e9 une expression grotesque chez des figures comme Himmler, fascin\u00e9 par les arbres sacr\u00e9s, ou dans l\u2019id\u00e9ologie du Blut und Boden<\/em> (le sang et la terre<\/em>) en g\u00e9n\u00e9ral.<\/p>\n\n\n\n Aucun autre pays europ\u00e9en n\u2019a connu une transformation aussi radicale que l\u2019Allemagne au XIXe si\u00e8cle.<\/p>Laurence Rees<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n On retrouve aussi cette vision dans certaines productions culturelles, comme le film de Goebbels Ewiger Wald<\/em> (La For\u00eat \u00e9ternelle<\/em>), qui consiste presque enti\u00e8rement en des images de for\u00eats mises en musique \u2014 avec pour objectif de transmettre le message selon lequel la vertu et l\u2019h\u00e9ro\u00efsme naissent dans la puret\u00e9 des bois, tandis que la ville incarne la d\u00e9cadence et la corruption.<\/p>\n\n\n\n On en voit les effets tr\u00e8s clairement dans la mani\u00e8re dont Goebbels concevait la strat\u00e9gie esth\u00e9tique. Il a longtemps \u00e9t\u00e9 un objet d\u2019\u00e9tude privil\u00e9gi\u00e9 pour moi \u2014 j\u2019ai r\u00e9alis\u00e9 un film et \u00e9crit un livre \u00e0 son sujet il y a des ann\u00e9es \u2014 et il est frappant de constater \u00e0 quel point il \u00e9tait obs\u00e9d\u00e9 par ces questions.<\/p>\n\n\n\n Ce n\u2019\u00e9tait d\u2019ailleurs pas seulement le cas de Goebbels, qui cherchait \u00e0 fa\u00e7onner la vie culturelle du pays, mais aussi de Hitler lui-m\u00eame, passionn\u00e9 d\u2019architecture, travaillant \u00e9troitement avec Speer<\/a>, et anim\u00e9 par le d\u00e9sir de refa\u00e7onner le monde physique pour qu\u2019il corresponde \u00e0 sa vision id\u00e9ologique.<\/p>\n\n\n\n George Orwell a \u00e9crit un essai remarquable \u00e0 ce sujet, dans lequel il observe que certains visiteurs britanniques des rassemblements de Nuremberg furent frapp\u00e9s par la puissance esth\u00e9tique du spectacle \u2014 les projecteurs, la c\u00e9l\u00e8bre \u00ab cath\u00e9drale de lumi\u00e8re \u00bb qui per\u00e7ait le ciel. <\/p>\n\n\n\n De nombreuses c\u00e9r\u00e9monies SS avaient \u00e9galement lieu la nuit, \u00e0 la lueur des torches. Il y avait l\u00e0 toute une esth\u00e9tique virile \u2014 centr\u00e9e sur la force, la puissance, la rigidit\u00e9, la grandeur \u2014 qui fonctionnait comme une incarnation visuelle du message id\u00e9ologique.<\/p>\n\n\n\n L\u2019un des aspects les plus fascinants, \u00e0 mes yeux, est ce que nous avons explor\u00e9 dans le deuxi\u00e8me \u00e9pisode de The Nazis : A Warning from History<\/em>. Nous y soulignions le contraste frappant entre l\u2019esth\u00e9tique ext\u00e9rieure \u2014 l\u2019ordre absolu, les rang\u00e9es d\u2019individus semblant se mouvoir comme des automates, comme dans Le Triomphe de la volont\u00e9<\/em> de Leni Riefenstahl, l\u2019architecture monumentale \u2014 et le fonctionnement r\u00e9el du r\u00e9gime. En coulisses, c\u2019\u00e9tait un chaos immense, pr\u00e9cis\u00e9ment en raison du dynamisme interne que nous avons \u00e9voqu\u00e9 plus t\u00f4t. Luttes de pouvoir permanentes, responsabilit\u00e9s qui se chevauchaient, promesses sans cesse formul\u00e9es puis non tenues \u2014 tout cela entretenait un \u00e9tat quasi permanent de crise.<\/p>\n\n\n\n Ces douze avertissements sont n\u00e9s des \u00e9changes que j\u2019ai eus, tout au long de l\u2019\u00e9criture, avec des psychologues et des neuroscientifiques. Mais au-del\u00e0 de ces dialogues, je voulais que le livre poss\u00e8de \u00e0 la fois une structure narrative et une structure th\u00e9matique \u2014 ce qui est toujours un d\u00e9fi dans un ouvrage historique, comme dans la r\u00e9alisation de documentaires. Mais c\u2019est un objectif que je me suis toujours fix\u00e9.<\/p>\n\n\n\n J\u2019ai structur\u00e9 chaque avertissement en lien avec un moment historique pr\u00e9cis d\u00e9velopp\u00e9 dans le r\u00e9cit. Le premier, par exemple \u2014 les th\u00e9ories du complot \u2014 intervient tr\u00e8s t\u00f4t, car il est directement li\u00e9 au climat id\u00e9ologique qui a conduit \u00e0 la Seconde Guerre mondiale. M\u00eame si cette question revient tout au long du livre, j\u2019ai choisi de la traiter de mani\u00e8re concentr\u00e9e \u00e0 cet endroit-l\u00e0. J\u2019ai appliqu\u00e9 la m\u00eame logique aux autres th\u00e8mes : l\u2019\u00e9rosion des droits humains est abord\u00e9e au moment de l\u2019arriv\u00e9e des nazis au pouvoir ; la \u00ab distanciation psychologique \u00bb est \u00e9voqu\u00e9e dans le contexte de la mise en place des chambres \u00e0 gaz. J\u2019ai donc tent\u00e9 de construire une structure o\u00f9 chaque chapitre mettrait en lumi\u00e8re une dimension psychologique ou neurologique sous-jacente \u00e0 l\u2019histoire. Ce ne fut pas simple, mais je crois que cela a fonctionn\u00e9 \u2014 notamment dans le chapitre consacr\u00e9 \u00e0 la corruption de la jeunesse, qui est le seul \u00e0 modifier l\u00e9g\u00e8rement la chronologie en avan\u00e7ant dans le temps avant de revenir en arri\u00e8re. Curieusement, peu de lecteurs ont remarqu\u00e9 ce d\u00e9placement, mais j\u2019ai r\u00e9ussi \u00e0 l\u2019int\u00e9grer dans l\u2019arc narratif g\u00e9n\u00e9ral.<\/p>\n\n\n\n L\u2019essence de l\u2019attrait id\u00e9ologique hitl\u00e9rien \u2014 son \u00e9motionnalit\u00e9, son exploitation de la peur et du ressentiment \u2014 est encore bien pr\u00e9sente dans de nombreuses soci\u00e9t\u00e9s.<\/p>Laurence Rees<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Quant \u00e0 savoir si ce type d\u2019\u00e9v\u00e9nements pourrait se reproduire : c\u2019est pr\u00e9cis\u00e9ment pour cela que le livre est con\u00e7u comme un avertissement. Bien s\u00fbr, nous ne verrons pas une r\u00e9p\u00e9tition exacte \u2014 il n\u2019y aura pas un nouvel Hitler, un nouveau NSDAP. Mais l\u2019essence de l\u2019attrait id\u00e9ologique hitl\u00e9rien \u2014 son \u00e9motionnalit\u00e9, son exploitation de la peur et du ressentiment \u2014 est encore bien pr\u00e9sente dans de nombreuses soci\u00e9t\u00e9s. Cela dit, j\u2019ai volontairement \u00e9vit\u00e9 d\u2019\u00e9tablir des parall\u00e8les explicites avec des r\u00e9gimes contemporains, pour deux raisons.<\/p>\n\n\n\n D\u2019abord, cela aurait \u00e9t\u00e9 pr\u00e9somptueux. J\u2019ai consacr\u00e9 des d\u00e9cennies \u00e0 \u00e9tudier cette p\u00e9riode pr\u00e9cise ; je ne peux pas pr\u00e9tendre avoir la m\u00eame expertise sur la Russie ou la Chine, que je ne connais qu\u2019\u00e0 travers les m\u00e9dias.<\/p>\n\n\n\n Ensuite, depuis la parution du livre dans d\u2019autres langues, j\u2019ai constat\u00e9 que les lecteurs, dans chaque pays, \u00e9tablissent leurs propres correspondances. Ils voient ce qui r\u00e9sonne dans leur propre contexte \u2014 bien plus justement que je ne le pourrais, car cela s\u2019enracine dans leur exp\u00e9rience v\u00e9cue. C\u2019\u00e9tait l\u2019intention d\u00e8s le d\u00e9part.<\/p>\n\n\n\n Tout cela reste terriblement actuel. Le dernier chapitre du livre r\u00e9fl\u00e9chit \u00e0 l\u2019extr\u00eame fragilit\u00e9 du monde dans lequel nous vivons. Apr\u00e8s avoir rencontr\u00e9 tant de personnes dont la vie a \u00e9t\u00e9 boulevers\u00e9e de mani\u00e8re brutale et soudaine, j\u2019en suis venu \u00e0 croire que tout \u2014 les institutions, les identit\u00e9s, la s\u00e9curit\u00e9 \u2014 est bien plus pr\u00e9caire qu\u2019on ne l\u2019imagine. Les Juifs de Hongrie, par exemple, n\u2019ont pas connu le m\u00eame niveau de pers\u00e9cution que les Juifs allemands jusqu\u2019\u00e0 l\u2019invasion du pays par les nazis en mars 1944. En quelques semaines, plus de 400 000 d\u2019entre eux ont \u00e9t\u00e9 envoy\u00e9s \u00e0 Auschwitz. C\u2019est \u00e0 cette vitesse-l\u00e0 que les choses peuvent basculer.<\/p>\n\n\n\n Beaucoup de gens se bercent d\u2019illusions sur le monde qui les entoure. Ils partent du principe que les structures vont tenir. Mais la vie \u2014 et les syst\u00e8mes qui la soutiennent \u2014 est d\u2019une fragilit\u00e9 stup\u00e9fiante. J\u2019\u00e9tais r\u00e9cemment \u00e0 Paris, et je suis pass\u00e9 devant l\u2019Assembl\u00e9e nationale. Comme beaucoup d\u2019institutions \u2014 le Parlement britannique, le Capitole am\u00e9ricain \u2014, elle est con\u00e7ue pour para\u00eetre monumentale, \u00e9ternelle. Mais en r\u00e9alit\u00e9, les id\u00e9aux que ces lieux incarnent sont bien plus vuln\u00e9rables que ce que l\u2019on croit.<\/p>\n\n\n\n De nombreux observateurs cultiv\u00e9s ont rencontr\u00e9 Hitler et l\u2019ont pris pour un imb\u00e9cile, un histrion, un illumin\u00e9 incoh\u00e9rent : ils ne comprenaient pas qu\u2019il ne s\u2019adressait pas \u00e0 eux.<\/p>Laurence Rees<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\nVotre livre int\u00e8gre des apports issus de la psychologie, notamment des recherches sur l\u2019ob\u00e9issance et l\u2019autorit\u00e9. Comment avez-vous \u00e9quilibr\u00e9 l\u2019analyse historique avec les th\u00e9ories psychologiques, et quels d\u00e9fis cette approche interdisciplinaire a-t-elle pos\u00e9s ?<\/h3>\n\n\n\n
Vous \u00eates \u00e0 la fois un historien et un r\u00e9alisateur de documentaires reconnu. Pensez-vous que votre exp\u00e9rience de cin\u00e9aste vous conf\u00e8re un style narratif particulier, diff\u00e9rent de celui des historiens traditionnels ?<\/h3>\n\n\n\n
Pour en venir au c\u0153ur du livre, dans quelle mesure pensez-vous que les atrocit\u00e9s nazies ont \u00e9t\u00e9 motiv\u00e9es par la conviction id\u00e9ologique plut\u00f4t que par l\u2019opportunisme ? Comment avez-vous discern\u00e9 ces motivations au cours de vos recherches ?<\/h3>\n\n\n\n
Cela m\u2019am\u00e8ne justement \u00e0 ma prochaine question. Vous avez \u00e9voqu\u00e9 bri\u00e8vement l\u2019id\u00e9e selon laquelle ces anciens nazis auraient pu invoquer une forme d\u2019hypnose exerc\u00e9e par Hitler \u2014 un th\u00e8me que vous explorez dans The Dark Charisma of Adolf Hitler <\/em>(traduction fran\u00e7aise : Adolf Hitler, la s\u00e9duction du diable<\/em>, 2014). Comment \u00e9valuez-vous le r\u00f4le du charisme personnel d\u2019Hitler dans la formation de la mentalit\u00e9 collective nazie ? En quoi a-t-il \u00e9t\u00e9 un catalyseur de cette dynamique collective ?<\/h3>\n\n\n\n
En somme, r\u00e9fl\u00e9chir au charisme d\u2019Hitler permettrait de d\u00e9passer la tension entre les th\u00e8ses fonctionnaliste et intentionnaliste. Son charisme expliquerait comment il a pu exercer un pouvoir aussi immense tout en intervenant relativement peu dans la mise en place des politiques du r\u00e9gime \u2014 en tout cas moins que bien des responsables nazis.<\/h3>\n\n\n\n
Parlons maintenant des Allemands ordinaires. Quels m\u00e9canismes, au sein de l\u2019Allemagne nazie, ont permis la dissolution des rep\u00e8res moraux chez des millions de citoyens ?<\/h3>\n\n\n\n
Depuis les travaux fondamentaux de George L. Mosse, l\u2019histoire intellectuelle et culturelle du nazisme est devenue un champ d\u2019\u00e9tude central pour les historiens. Comment situez-vous votre propre travail par rapport \u00e0 celui de chercheurs comme Mosse, Johann Chapoutot ou Christian Ingrao ?\u00a0<\/h3>\n\n\n\n
Mosse, mais aussi Emilio Gentile<\/a>, ont beaucoup insist\u00e9 sur l\u2019esth\u00e9tisation de la politique \u2014 et sur la politique de l\u2019esth\u00e9tique \u2014 dans les mouvements fascistes. Comment votre recherche aborde-t-elle le r\u00f4le des \u00e9l\u00e9ments culturels et esth\u00e9tiques dans la formation de la mentalit\u00e9 nazie ?<\/h3>\n\n\n\n
Votre livre se termine par douze avertissements. Pouvez-vous expliquer comment vous les avez formul\u00e9s ? Et pensez-vous vraiment que notre monde pourrait basculer aussi rapidement que celui de nos pr\u00e9d\u00e9cesseurs dans les ann\u00e9es 1930 ? Qu\u2019est-ce qui distingue les pr\u00e9dateurs d\u2019aujourd\u2019hui de ceux du si\u00e8cle dernier<\/a> ?<\/h3>\n\n\n\n