{"id":286794,"date":"2025-07-07T06:30:00","date_gmt":"2025-07-07T04:30:00","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=286794"},"modified":"2025-07-07T08:18:41","modified_gmt":"2025-07-07T06:18:41","slug":"trumpisme-histoire-concepts-ideologie","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2025\/07\/07\/trumpisme-histoire-concepts-ideologie\/","title":{"rendered":"Qu\u2019est-ce que le trumpisme ? Histoire, concepts et id\u00e9ologues"},"content":{"rendered":"\n
Trump n\u2019est ni un intellectuel ni un id\u00e9ologue. En revanche, il y a des id\u00e9ologues, des intellectuels du trumpisme. C’est pour cette raison que le livre porte sur le \u00ab trumpisme \u00bb, qui est aujourd’hui, \u00e0 mon sens, plus grand que Trump.<\/p>\n\n\n\n
Mais il faut tout de suite mettre un b\u00e9mol \u00e0 cette affirmation : Trump reste le facteur perturbateur de toute construction doctrinale. C’est un point essentiel. On le voit notamment sur la politique \u00e9trang\u00e8re, un domaine o\u00f9 l\u2019on pourrait pourtant imaginer qu’il y ait une doctrine que Trump doit s\u2019efforcer de mettre en \u0153uvre.<\/p>\n\n\n\n
Le rapport au monde est un point central du trumpisme d\u00e8s son origine, d\u00e8s la premi\u00e8re campagne. C’est une constante.<\/p>\n\n\n\n
C’est un domaine dans lequel Trump a eu des obsessions, des id\u00e9es fixes depuis longtemps et qu’il a toujours aujourd\u2019hui \u2014 on peut notamment penser aux droits de douane. Mais Trump reste quelqu’un de profond\u00e9ment impulsif, d\u00e9sinhib\u00e9.<\/p>\n\n\n\n
Il en a fait une tactique sur le plan international justement, comme il l\u2019avait fait dans ses vies professionnelles ant\u00e9rieures. Cette attitude constitue d\u2019ailleurs l\u2019une des grandes parties de son attrait.<\/p>\n\n\n\n
Il y a toujours eu une double dimension dans le trumpisme. Certes, le trumpisme est un show<\/em>, c’est un spectacle pour les masses \u2014 c\u2019est ce que Trump assure. Mais il y a aussi une th\u00e9orisation intellectuelle pour les \u00e9lites. Ce sont ces deux dimensions que j\u2019ai cherch\u00e9 \u00e0 d\u00e9crire et analyser dans ce livre.<\/p>\n\n\n\n Je suis depuis longtemps ce petit groupe d’intellectuels, qui se r\u00e9unit d\u00e8s la fin d\u00e9cembre 2016 pour essayer de reconstruire un conservatisme adapt\u00e9 \u00e0 l\u2019\u00e8re Trump. <\/p>\n\n\n\n Leur point de d\u00e9part est la volont\u00e9 d\u2019\u00e9laborer une th\u00e9orisation \u00e0 rebours du trumpisme qui vise \u00e0 red\u00e9finir le conservatisme, donc l’armature intellectuelle du Parti r\u00e9publicain, afin de coller au nouveau socle \u00e9lectoral du parti d\u00e8s 2016 et aux nouveaux \u00e9lecteurs amen\u00e9s par Trump.<\/p>\n\n\n\n La th\u00e9orisation du mouvement national conservateur commence d\u00e8s la fin d\u00e9cembre 2016 et s’institutionnalise \u00e0 partir de 2019 avec la Fondation Edmund Burke, infrastructure du mouvement national-conservateur, et les conf\u00e9rences NatCon. La dimension religieuse est fondamentale d\u00e8s l\u2019origine en 2016, mais le mouvement va tenter de rallier \u00e0 partir de 2019 toutes les composantes de la droite am\u00e9ricaine, des pal\u00e9o-conservateurs, proches des supr\u00e9macistes blancs et dont la figure tut\u00e9laire est Patrick Buchanan (d\u2019ailleurs consid\u00e9r\u00e9 comme le p\u00e8re spirituel du trumpisme), jusqu\u2019aux catholiques int\u00e9gralistes comme Patrick Deneen et Adrian Vermeule.<\/p>\n\n\n\n Trump reste le facteur perturbateur de toute construction doctrinale.<\/p>Maya Kandel<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Le mouvement NatCon se d\u00e9cline d\u2019ailleurs imm\u00e9diatement en Europe, avec des conf\u00e9rences organis\u00e9es d\u00e8s 2019 \u00e0 Londres, Rome et Bruxelles. Viktor Orban y joue un r\u00f4le essentiel par l\u2019interm\u00e9diaire d\u2019institutions comme le Mathias Corvinus Collegium ou en invitant des intellectuels am\u00e9ricains comme Rod Dreher, proche de J. D. Vance, au Danube Institute \u00e0 Budapest<\/a>.<\/p>\n\n\n\n Aujourd’hui, l\u2019une des diff\u00e9rences fondamentales avec 2016 est l’apport de la droite tech et des n\u00e9or\u00e9actionnaires \u2014 dont Curtis Yarvin est l\u2019un des personnages majeurs, mais pas le seul (voir l\u2019atlas de la pens\u00e9e n\u00e9or\u00e9actionnaire<\/a>).<\/p>\n\n\n\n La premi\u00e8re figure de la droite tech \u00e0 rallier le trumpisme est Peter Thiel<\/a>, le fondateur de PayPal et Palantir, qui soutient Trump d\u00e8s 2016 en intervenant lors de la Convention r\u00e9publicaine. Thiel soutient la naissance de la Fondation Edmund Burke et participe \u00e0 la premi\u00e8re des conf\u00e9rences NatCon en 2019. Il finance depuis longtemps des institutions et publications conservatrices.<\/p>\n\n\n\n Le mouvement NatCon est proche de Trump d\u00e8s l\u2019origine puisque sa raison d\u2019\u00eatre est de th\u00e9oriser la transformation du Parti r\u00e9publicain par Trump, qui apporte au parti une nouvelle th\u00e9orie de la victoire \u00e9lectorale. L\u2019Institut Claremont, moteur intellectuel des NatCons, est c\u00e9l\u00e9br\u00e9 par Trump d\u00e8s son premier mandat. En 2019, Trump d\u00e9cerne \u00e0 Ryan Williams, le pr\u00e9sident de l\u2019Institut Claremont, la National Humanities Medal, qui honore la contribution \u00e0 la culture nationale et \u00e0 la compr\u00e9hension des sciences humaines.<\/p>\n\n\n\n L\u2019ann\u00e9e 2022 marque une \u00e9volution majeure avec le ralliement de la Heritage Foundation \u2014 l\u2019un des principaux think tanks r\u00e9publicains \u00e0 Washington, qui est notamment l\u2019auteur du Projet 2025.<\/p>\n\n\n\n C\u2019est durant la conf\u00e9rence NatCon de Miami, en septembre 2022, que Kevin Roberts, son actuel directeur, nomm\u00e9 en 2022, fait all\u00e9geance au mouvement. C\u2019est un changement tr\u00e8s important puisque la Heritage est la grosse machine qui, depuis les ann\u00e9es 1970, et notamment depuis l’administration Reagan, fournit programme et personnel aux nouvelles administrations r\u00e9publicaines quelles qu\u2019elles soient \u2014 avant m\u00eame de savoir qui sera le candidat.<\/p>\n\n\n\n Lorsqu\u2019on lit le Projet 2025, d\u00e8s le pr\u00e9ambule, on reconna\u00eet la marque de l\u2019Institut Claremont et de toutes les id\u00e9es fixes des nationaux-conservateurs. On compte aussi parmi ses auteurs principaux Russell Vought, qui dispose d\u2019un parcours tr\u00e8s washingtonien et qui occupe de nouveau le poste de directeur du Bureau de la gestion et du budget dans la deuxi\u00e8me administration Trump, comme dans Trump 1. Il est aujourd\u2019hui l\u2019un des hommes les plus puissants de l\u2019administration.<\/p>\n\n\n\n Lorsqu\u2019on lit le Projet 2025, d\u00e8s le pr\u00e9ambule, on reconna\u00eet la marque de l\u2019Institut Claremont et de toutes les id\u00e9es fixes des nationaux-conservateurs.<\/p>Maya Kandel<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Avant la Heritage, la structure originelle du trumpisme est tr\u00e8s clairement l’Institut Claremont, un think-tank de taille relativement modeste qui est actuellement en plein d\u00e9veloppement.<\/p>\n\n\n\n Le Claremont a \u00e9t\u00e9 cr\u00e9\u00e9 en 1979 en Californie, dans une charmante petite ville \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de Los Angeles \u2014 que j’ai connue \u00e0 l\u2019occasion de deux projets universitaires successifs avec l’universit\u00e9 de Claremont McKenna, situ\u00e9e au m\u00eame endroit, et qui partage quelques chercheurs avec l’Institut.<\/p>\n\n\n\n Le Claremont a \u00e9t\u00e9 fond\u00e9 par des disciples de Leo Strauss, la figure la plus influente du mouvement n\u00e9oconservateur. Ses fondateurs se sont regroup\u00e9s autour d’un autre intellectuel, Harry Jaffa, qui est \u00e0 l\u2019origine de l\u2019Institut et enseignait \u00e0 Claremont McKenna.<\/p>\n\n\n\n La ligne du Claremont consiste \u00e0 revenir \u00e0 l’esprit des p\u00e8res fondateurs.<\/p>\n\n\n\n Ils consid\u00e8rent que le syst\u00e8me de gouvernance am\u00e9ricain a \u00e9t\u00e9 exemplaire jusqu’\u00e0 la pr\u00e9sidence de Wilson, qui marque la naissance de la domination du lib\u00e9ralisme \u2014 au sens o\u00f9 ils l’entendent \u2014, marqu\u00e9e notamment par une politique \u00e9trang\u00e8re interventionniste, mais aussi par le d\u00e9but de l’expansion de l’appareil de s\u00e9curit\u00e9 nationale et de la bureaucratie, avec la cr\u00e9ation de nouvelles agences par le Congr\u00e8s.<\/p>\n\n\n\n Dans la lign\u00e9e de Leo Strauss, leur pens\u00e9e repose sur l\u2019id\u00e9e que toute bureaucratie, \u00e0 force, devient antid\u00e9mocratique. Il serait donc parfois n\u00e9cessaire, notamment en temps de crise, d\u2019avoir un leader fort, \u00e9lu au suffrage universel, qui repr\u00e9sente la vraie l\u00e9gitimit\u00e9 du peuple. C’est dans cette optique que les penseurs du Claremont d\u00e9noncent \u00ab l\u2019administrative state<\/em> \u00bb (l’\u00c9tat administratif), synonyme du \u00ab deep state \u00bb<\/em> qui est la cible du mouvement MAGA.<\/p>\n\n\n\n Il est ind\u00e9niable que Curtis Yarvin a le sens de la formule, et parvient \u00e0 s\u00e9duire gr\u00e2ce \u00e0 sa pop-philosophie rythm\u00e9e de r\u00e9f\u00e9rences \u00e0 Matrix et d\u2019autres r\u00e9f\u00e9rences culturelles contemporaines. <\/p>\n\n\n\n Yarvin est devenu c\u00e9l\u00e8bre en 2017 quand le site Politico<\/em> l\u2019a cit\u00e9 comme r\u00e9f\u00e9rence de Steve Bannon. Thiel, qui a contribu\u00e9 au financement de son entreprise de logiciel, l\u2019avait qualifi\u00e9 d\u2019\u00ab historien int\u00e9ressant \u00bb. Yarvin a notamment popularis\u00e9 l\u2019image de la \u00ab pilule rouge \u00bb, issue du film Matrix<\/em>, en parabole de la \u00ab pens\u00e9e \u00e0 contre-courant \u00bb.<\/p>\n\n\n\n Avant la Heritage, la structure originelle du trumpisme est tr\u00e8s clairement l’Institut Claremont.<\/p>Maya Kandel<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Dans le film, le choix de la pilule rouge permet de voir la \u00ab vraie r\u00e9alit\u00e9 \u00bb, tandis que la pilule bleue maintient celui qui la prend dans l\u2019illusion propos\u00e9e par la matrice (les machines). D\u00e8s les ann\u00e9es 2000, ce symbole devient populaire sur les forums de l\u2019alt-right<\/em>. Musk reprend d\u2019ailleurs cette image \u00e0 son compte en mai 2020, au d\u00e9but de son revirement politique.<\/p>\n\n\n\n En 2007, Yarvin avait lanc\u00e9 un blog prolifique sous le pseudonyme de Mencius Moldbug. Grand lecteur, il y a produit pendant pr\u00e8s de sept ans d\u2019innombrables textes<\/a>, souvent une succession de th\u00e9ories et d\u2019affirmations inv\u00e9rifiables, parsem\u00e9es de r\u00e9f\u00e9rences historiques et litt\u00e9raires.<\/p>\n\n\n\n Son post sur la pilule rouge s\u2019intitule, ce n\u2019est pas anodin, \u00ab Un argumentaire contre la d\u00e9mocratie \u00bb : Yarvin en fait le symbole d\u2019une pens\u00e9e \u00ab contestataire \u00bb, terme qui recouvre ses discours n\u00e9o-r\u00e9actionnaires et monarchistes. Son apport conceptuel le plus connu, est la notion de \u00ab Cath\u00e9drale \u00bb, utilis\u00e9e pour d\u00e9signer \u00ab l\u2019\u00e9lite \u00bb et plus pr\u00e9cis\u00e9ment les m\u00e9dias, universit\u00e9s ou autres institutions intellectuelles, id\u00e9e reprise par Vance et les nationaux-conservateurs avec le terme de \u00ab r\u00e9gime \u00bb.<\/p>\n\n\n\n Si Yarvin manque parfois de coh\u00e9rence dans ses propos, il reste quelqu\u2019un de lu et \u00e9cout\u00e9, notamment chez les jeunes trumpistes. Il est pr\u00e9sent \u00e0 chaque conf\u00e9rence des nationaux-conservateurs d\u00e8s l\u2019origine, m\u00eame s\u2019il n\u2019y a jamais pris la parole.<\/p>\n\n\n\n L\u2019inspiration la plus yarvinesque <\/em>de ce deuxi\u00e8me mandat Trump est certainement le DOGE d\u2019Elon Musk, qui semble avoir \u00e9t\u00e9 directement inspir\u00e9 par le programme \u00ab RAGE \u00bb (Retire All Government Employees<\/em>), pr\u00e9sent\u00e9 par Yarvin d\u00e8s 2012<\/a>.<\/p>\n\n\n\n \u00c0 l’\u00e9t\u00e9 2016, tous les think-tanks traditionnels sont contre Trump, ainsi que beaucoup d’\u00e9lus, quasiment jusqu\u2019au moment de l’\u00e9lection. Seul un petit groupe d’intellectuels rattach\u00e9s au Claremont signent une lettre de soutien \u00e0 Trump. Surtout, en septembre 2016 est publi\u00e9 un c\u00e9l\u00e8bre article sous pseudonyme \u2014 qui s’av\u00e9rera \u00eatre Michael Anton \u2014 qui pose l’\u00e9lection en termes apocalyptiques. Anton affirme alors qu’il faut soutenir Trump car, si Hillary Clinton venait \u00e0 \u00eatre \u00e9lue, le pays irait \u00e0 la catastrophe.<\/p>\n\n\n\n On retrouve cette obsession, toujours tr\u00e8s r\u00e9pandue dans l\u2019extr\u00eame droite am\u00e9ricaine et dont les origines sont bien ant\u00e9rieures \u00e0 Trump, de la \u00ab fin de la civilisation \u00bb \u2014 d’ailleurs, le directeur du Claremont avait dit clairement \u00e0 une journaliste que l\u2019Institut se battait pour la d\u00e9fense de la \u00ab civilisation occidentale \u00bb.<\/p>\n\n\n\n Quand cet article sort, il est lu int\u00e9gralement \u00e0 l’antenne par Rush Limbaugh dans son talk show<\/em> tr\u00e8s \u00e9cout\u00e9, faisant crasher le site du Claremont pour la premi\u00e8re fois de son histoire en raison du pic de visites. Trump, \u00e9videmment, \u00e9coute Rush Limbaugh. Ce discours lui pla\u00eet, et il appelle Michael Anton.<\/p>\n\n\n\n Par la suite, le Claremont va devenir le fournisseur id\u00e9ologique de la premi\u00e8re administration Trump \u2014 sachant que, durant son premier mandat, il y a encore tous ces \u00ab adultes dans la pi\u00e8ce \u00bb, les tenants de l’ancien consensus qui r\u00e9fr\u00e8nent, voire emp\u00eachent, parfois \u00e0 son insu, certaines des d\u00e9cisions ou des orientations que Trump voudrait mettre en \u0153uvre.<\/p>\n\n\n\n Dans Peril<\/em>, Bob Woodward et Robert Costa r\u00e9v\u00e9laient notamment que le chef d\u2019\u00e9tat-major de Trump, Mark A. Milley, avait organis\u00e9 une r\u00e9union secr\u00e8te avec des responsables militaires afin de s\u2019assurer qu\u2019ils ne laisseraient pas le pr\u00e9sident lancer une op\u00e9ration militaire ou une attaque nucl\u00e9aire sans qu\u2019il ne soit tenu au courant.<\/p>\n\n\n\n Plusieurs personnalit\u00e9s li\u00e9es au Claremont ont exerc\u00e9 une grande influence sur le trumpisme, \u00e0 l\u2019image de l\u2019auteur de l\u2019expression \u00ab guerre civile froide \u00bb Angelo Codevilla dans un essai publi\u00e9 dans la Claremont Review of Books <\/em>au printemps 2017. Codevilla \u00e9tait l\u2019un des grands critiques de la \u00ab classe dirigeante \u00bb \u2014 les bureaucrates, les universitaires, les m\u00e9dias et les responsables d\u00e9mocrates \u2014 en opposition \u00e0 \u00ab une majorit\u00e9 d\u2019Am\u00e9ricains opprim\u00e9e \u00bb, rejet\u00e9e comme \u00ab arri\u00e9r\u00e9e \u00bb et \u00ab raciste \u00bb.<\/p>\n\n\n\n Le Claremont va devenir le fournisseur id\u00e9ologique de la premi\u00e8re administration Trump<\/p>Maya Kandel<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n C\u2019est \u00e9galement du Claremont qu\u2019est issu John Eastman, l\u2019auteur du m\u00e9mo ayant servi de base \u00e0 la tentative de contestation des r\u00e9sultats de l\u2019\u00e9lection de 2020 et \u00e0 l\u2019assaut du Capitole ayant suivi le 6 janvier 2021. L\u2019argument d\u2019Eastman reposait sur une lecture de la Constitution selon laquelle le vice-pr\u00e9sident Mike Pence disposait du pouvoir de rejeter unilat\u00e9ralement certains votes d\u2019\u00c9tats accus\u00e9s par Trump de fraude \u00e9lectorale.<\/p>\n\n\n\n Ils font avant tout un constat politique qui est le suivant : Trump a trouv\u00e9 une th\u00e9orie de la victoire \u00e9lectorale, c’est-\u00e0-dire \u00e0 mobiliser un socle qui pourrait \u00eatre victorieux. <\/p>\n\n\n\n Dans l’histoire r\u00e9cente du Parti r\u00e9publicain \u2014 tr\u00e8s marqu\u00e9e par le livre The Emerging Democratic Majority <\/em>de John Judis et Ruy Teixeira \u2014, hormis en 2004 avec Bush, il faut remonter \u00e0 1988 pour voir un candidat r\u00e9publicain gagner le vote populaire. Il y a donc un vrai souci de mobilisation, de d\u00e9finition du parti et de socle \u00e9lectoral chez les R\u00e9publicains.<\/p>\n\n\n\n En 2008, apr\u00e8s la d\u00e9faite de John McCain, le Parti r\u00e9publicain fait un \u00ab rapport d’autopsie \u00bb. <\/p>\n\n\n\n Certains consid\u00e8rent que le parti va encha\u00eener les d\u00e9faites s\u2019il n\u2019est pas plus ouvert sur l’immigration, afin de conqu\u00e9rir l\u2019\u00e9lectorat au sein d\u2019une population latino-am\u00e9ricaine croissante.<\/p>\n\n\n\n Appara\u00eet alors une autre branche, notamment autour de Kellyanne Conway et Steve Bannon, qui d\u00e9veloppe l\u2019id\u00e9e des \u00ab votes blancs manquants \u00bb, consid\u00e9rant qu\u2019il existe une masse d\u2019\u00e9lecteurs qui ne votent plus et qu’il faut mobiliser. Ils s\u2019appuient notamment sur le succ\u00e8s du mouvement Tea Party, une insurrection populiste de la base du Parti r\u00e9publicain contre ses dirigeants, dont le succ\u00e8s au Congr\u00e8s dans les ann\u00e9es 2010 annonce la victoire de Trump aux primaires r\u00e9publicaines de 2016.<\/p>\n\n\n\n Les intellectuels du mouvement national-conservateur partent du constat que Trump a su mobiliser ces votes, et qu\u2019il est essentiel de les conserver en red\u00e9finissant les id\u00e9es dominantes du parti r\u00e9publicain, l’armature intellectuelle du conservatisme. Ils la red\u00e9finissent par rapport aux obsessions de Trump, notamment sur le commerce \u2014 c’est ainsi qu’ils incorporent les \u00e9l\u00e9ments relatifs aux droits de douane et \u00e0 la politique industrielle.<\/p>\n\n\n\n Ils constatent aussi que deux autres \u00e9l\u00e9ments ont \u00e9t\u00e9 essentiels dans la victoire de Trump de 2016. D\u2019une part, le rejet des guerres de Bush, les \u00ab guerres sans fin \u00bb, qui se traduit par un rejet du n\u00e9oconservatisme, encore tr\u00e8s pr\u00e9sent aujourd’hui \u2014 \u00eatre trait\u00e9 de \u00ab n\u00e9oconservateur \u00bb est presque devenu l’insulte supr\u00eame.<\/p>\n\n\n\n D\u2019autre part, la fermeture \u00e0 l’immigration. C’est quelque chose que Trump d\u00e9couvre \u00e0 partir de 2010-2011, quand il pr\u00e9pare s\u00e9rieusement sa candidature, se lance sur Twitter et rencontre Steve Bannon. Auparavant, le th\u00e8me de l\u2019immigration n\u2019\u00e9tait pas pr\u00e9sent chez lui, que ce soit dans sa tribune de 1987 ou dans ses livres. Il le d\u00e9couvre avec le Tea Party<\/em> et son utilisation de Twitter, o\u00f9 il constate l’\u00e9cho de certaines id\u00e9es.<\/p>\n\n\n\n Roger Stone, qui conna\u00eet Trump depuis les ann\u00e9es 1970, lui souffle quant \u00e0 lui l’id\u00e9e du mur \u00e0 la fronti\u00e8re avec le Mexique \u2014 en se disant \u00ab \u00c7a va coller, il va s’en rappeler, c’est un promoteur immobilier \u00bb. Cette anecdote est racont\u00e9e notamment par le journaliste Joshua Green.<\/p>\n\n\n\n Les th\u00e9oriciens du mouvement national-conservateur font le constat politique suivant : Trump a trouv\u00e9 une th\u00e9orie de la victoire \u00e9lectorale.<\/p>Maya Kandel<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n L\u2019\u00e9quipe de campagne de Trump a r\u00e9ussi \u00e0 faire en 2024 ce que Trump revendiquait d\u00e9j\u00e0 en 2016, c’est-\u00e0-dire d\u2019incarner le parti des working class<\/em>, des classes moyennes et populaires, d\u00e9finie aux \u00c9tats-Unis par le niveau d\u2019\u00e9ducation.<\/p>\n\n\n\n Trump n’a pas chang\u00e9, on ne change pas fondamentalement \u00e0 plus de 70 ans. Mais son entourage est devenu beaucoup plus id\u00e9ologique. Et sur le plan humain, il a \u00e9t\u00e9 marqu\u00e9 par la tentative d\u2019assassinat du 13 juillet 2024. Il est aujourd\u2019hui \u00e2g\u00e9 de 79 ans et sait qu\u2019il dispose d\u2019un temps limit\u00e9. Je pense qu’il se soucie de son h\u00e9ritage, de la marque qu’il imprimera sur l’Am\u00e9rique, et de ce que l\u2019on dira de lui apr\u00e8s sa mort.<\/p>\n\n\n\n En 2016, il n’avait aucune exp\u00e9rience de la politique. Il ne connaissait pas le fonctionnement de Washington et avait une faible connaissance de la plupart des dossiers. Lorsqu\u2019il se pr\u00e9sente \u00e0 nouveau en 2024, non seulement il dispose d\u2019une exp\u00e9rience de quatre ans en tant que pr\u00e9sident, conna\u00eet beaucoup mieux certains des dossiers, mais il comprend \u00e9galement mieux le fonctionnement des liens avec le Congr\u00e8s.<\/p>\n\n\n\n Surtout, il dispose de toute une \u00e9quipe autour de lui. Son entourage a consid\u00e9rablement chang\u00e9 en l\u2019espace de huit ans.<\/p>\n\n\n\n Il s\u2019agit de quelque chose qui est pr\u00e9par\u00e9 d\u00e8s le premier mandat, au cours duquel Trump et ses proches disent clairement manquer de cadres. Le Parti r\u00e9publicain compte alors beaucoup de \u00ab Never Trumpers<\/em> \u00bb, ceux qui s’\u00e9taient oppos\u00e9s \u00e0 Trump et qui constituaient un vivier de cadres potentiellement comp\u00e9tents mais dont Trump ne veut pas se servir. <\/p>\n\n\n\n Avant 2015-2016, Trump ne fr\u00e9quentait pas tant de personnalit\u00e9s politiques, mais surtout des hommes d\u2019affaires, des sportifs, des journalistes, des personnalit\u00e9s du show business<\/em>. D\u00e8s 2010, il commence \u00e0 se rapprocher des poids lourds \u00e9vang\u00e9liques, de Steve Bannon, de Sarah Palin, de tout un tas de personnalit\u00e9s influentes qui sont essentielles pour la base r\u00e9publicaine.<\/p>\n\n\n\n La coalition trumpiste est aujourd\u2019hui beaucoup plus large. Il y a toujours la branche MAGA \u00ab canal historique \u00bb, repr\u00e9sent\u00e9e notamment par Steve Bannon, et l\u2019importance de la base \u00e9vang\u00e9lique blanche. Cette base demeure tr\u00e8s sensible aux propos racistes, voire m\u00eame \u00e0 des \u00e9l\u00e9ments de langage franchement fascistes qu\u2019on a pu entendre \u00e0 plusieurs reprises dans cette derni\u00e8re campagne, notamment lorsque Trump dit que \u00ab les immigr\u00e9s empoisonnent le sang du pays \u00bb. Trump a toujours besoin du racisme pour remporter les primaires de son parti.<\/p>\n\n\n\n Mais il y a aussi le ralliement de la droite tech depuis 2020. L\u2019effort de formation de nouveaux cadres a \u00e9galement port\u00e9, et on assiste \u00e0 un r\u00e9el changement g\u00e9n\u00e9rationnel \u00e0 Washington, manifeste aussi bien dans les recrutements de l\u2019administration Trump 2 que dans le paysage des think tanks profond\u00e9ment transform\u00e9.<\/p>\n\n\n\n J\u2019ai \u00e9t\u00e9 effectivement assez frapp\u00e9e par l\u2019imagerie de la parade militaire organis\u00e9e par Trump \u00e0 Washington. \u00c0 la fois la pr\u00e9sence de la couleur or, que l\u2019on retrouve en abondance \u00e0 Mar-a-Lago, mais \u00e9galement la disposition de la sc\u00e8ne entour\u00e9e par deux chars d\u2019assaut et deux \u00e9crans g\u00e9ants. On retrouvait l\u00e0 deux caract\u00e9ristiques du trumpisme : le spectacle avec les \u00e9crans, le show<\/em>, la politique comme t\u00e9l\u00e9-r\u00e9alit\u00e9, et d\u2019autre part, cette id\u00e9e de projection de force, d\u2019un leader fort.<\/p>\n\n\n\n Ce c\u00f4t\u00e9 kitsch est caract\u00e9ristique de Trump d\u00e8s l\u2019origine : sa descente de l\u2019escalator dor\u00e9 de la Trump Tower en 2015, pour annoncer sa candidature, \u00e9tait bien l\u2019entr\u00e9e en campagne la plus kitsch de la politique contemporaine.<\/p>\n\n\n\n Trump a toujours besoin du racisme pour remporter les primaires de son parti.<\/p>Maya Kandel<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n On a d\u00e9j\u00e0 vu ce c\u00f4t\u00e9 \u00ab vulgaire \u00bb en Italie avec Berlusconi \u2014 l’Italie \u00e9tant v\u00e9ritablement un laboratoire politique qui a inspir\u00e9 le trumpisme via<\/em> Bannon et ses liens avec Nigel Farage et Raheem Kassam, qui \u00e9taient all\u00e9s \u00e9tudier le Mouvement 5 \u00e9toiles pour s\u2019inspirer de leur strat\u00e9gie num\u00e9rique.<\/p>\n\n\n\n Comme avec Berlusconi, on retrouve chez Trump l\u2019utilisation de la vulgarit\u00e9 comme gage de sinc\u00e9rit\u00e9, la transgression comme instrument de publicit\u00e9. Ce sont aussi deux carburants essentiels de la t\u00e9l\u00e9r\u00e9alit\u00e9 et des algorithmes, la recette de la viralit\u00e9 \u00e0 l\u2019\u00e8re num\u00e9rique.<\/p>\n\n\n\n Un autre point essentiel est cette id\u00e9e que les \u00ab guerres culturelles \u00bb, les affrontements id\u00e9ologiques de notre temps exprim\u00e9s en termes simplistes et polaris\u00e9s, constituent la nouvelle lutte des classes, une id\u00e9e que l\u2019on retrouve notamment chez Bannon et Vance \u2014 une bataille culturelle au sens gramscien du terme. <\/p>\n\n\n\n Mais il y avait aussi dans cette troisi\u00e8me campagne \u00e9lectorale de Trump une dimension culturelle au sens propre, acteurs pro-Trump contre acteurs pro-Harris, podcasts de droite contre podcasts de gauche, show contre shows.<\/p>\n\n\n\n C\u2019est \u00e9galement une mani\u00e8re de faire lien avec ce que Trump consid\u00e8re comme le seul vrai peuple, qui est son \u00e9lectorat, sa base, ce qui \u00e9tait explicit\u00e9 d\u00e8s la premi\u00e8re campagne et le raccroche \u00e0 la d\u00e9finition du populisme. <\/p>\n\n\n\n Cela est m\u00eame ant\u00e9rieur \u00e0 son premier mandat : en 2012, quand Mitt Romney \u00e9tait candidat, certaines personnes de l’ancien establishment<\/em> du Parti r\u00e9publicain avaient demand\u00e9 \u00e0 Trump s’il pouvait faire campagne pour Romney. Ils appr\u00e9ciaient cette aura, ce personnage que Trump avait construit et qu\u2019il montrait dans The Apprentice<\/em>, son \u00e9mission dans laquelle il se met en sc\u00e8ne chez lui, dans sa Trump Tower pleine de dorures<\/a>.<\/p>\n\n\n\n Dans l\u2019esprit de beaucoup d\u2019Am\u00e9ricains, Trump reste ce personnage de self-made man<\/em> \u00e0 succ\u00e8s qu\u2019il a fa\u00e7onn\u00e9 pour The Apprentice<\/em> \u2014 alors qu\u2019il n\u2019est ni l\u2019un ni l\u2019autre : c\u2019est un h\u00e9ritier, et il a fait une dizaine de banqueroutes.<\/p>\n\n\n\n Un des op\u00e9rateurs de la campagne de Romney expliquait \u00e0 l\u2019\u00e9poque : \u00ab Votre femme est une mannequin, vous avez des belles voitures, des beaux costumes, vous habitez dans un palais dor\u00e9 : pour cet \u00e9lectorat [il parlait notamment de l’\u00e9lectorat blanc populaire], la r\u00e9ussite, c\u2019est \u00e7a \u00bb.<\/p>\n\n\n\n On retrouve beaucoup cela \u00e0 Washington aujourd’hui, notamment \u00e0 Butterworth, le QG MAGA, qui est le bar de Raheem Kassam, l’acolyte de Steve Bannon.<\/p>\n\n\n\n Comme avec Berlusconi, on retrouve chez Trump l\u2019utilisation de la vulgarit\u00e9 comme gage de sinc\u00e9rit\u00e9, la transgression comme instrument de publicit\u00e9.<\/p>Maya Kandel<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Exactement : tout est bon pour gagner de l’argent. Mais il s\u2019agit aussi de cr\u00e9er des lieux d\u2019accueil pour la nouvelle contre-\u00e9lite au pouvoir d\u00e9sormais autour de Trump. Rappelons que Washington est une ville majoritairement d\u00e9mocrate, et qui a vot\u00e9 massivement contre Trump.<\/p>\n\n\n\n On retrouve aussi dans ces endroits cette esth\u00e9tique qui fait partie du combat politique. Une esth\u00e9tique que l\u2019on peut juger vulgaire, mais qui est pleine d’affirmations politiques finalement.<\/p>\n\n\n\n Ce virilisme en tant qu\u2019objet culturel a \u00e9merg\u00e9 dans les podcasts masculinistes, dont les pr\u00e9sentateurs et animateurs conservateurs ont jou\u00e9 un r\u00f4le central dans la r\u00e9\u00e9lection de Trump en 2024. L\u2019\u00e9quipe de campagne de Trump, la plus professionnelle de ses trois campagnes, a cibl\u00e9 les hommes jeunes, blancs ou non, pour \u00e9largir son \u00e9lectorat, en allant les chercher l\u00e0 o\u00f9 ils prennent leur information \u2014 dans les podcasts, sur Tik Tok et d\u2019autres r\u00e9seaux sociaux.<\/p>\n\n\n\n Cela a \u00e9t\u00e9 une r\u00e9ussite, puisque Trump a remport\u00e9 la majorit\u00e9 de cette tranche d’\u00e2ge. On le retrouve aussi dans de nouvelles soci\u00e9t\u00e9s d\u2019\u00e9dition mais aussi de production de films, qui mettent l\u2019accent sur la religion, le r\u00f4le traditionnel que doivent jouer les femmes au sein du foyer, ainsi que la place de l\u2019homme dans la soci\u00e9t\u00e9.<\/p>\n\n\n\n Il y a ce sentiment dominant chez les trumpistes que la gauche a gagn\u00e9 la bataille culturelle dans les ann\u00e9es 1960<\/a>, ce qui a fait na\u00eetre une volont\u00e9 de revanche et un d\u00e9sir de reprendre l’ascendant culturel. C’est l\u00e0 que l\u2019on retrouve toutes ces offensives contre certaines universit\u00e9s, les m\u00e9dias traditionnels, mais aussi le cin\u00e9ma d\u2019Hollywood.<\/p>\n\n\n\n Le trumpisme partage en effet des traits caract\u00e9ristiques du fascime, le nationalisme, le culte du chef, l\u2019app\u00e9tence pour l\u2019autoritarisme, le masculinisme, l\u2019intol\u00e9rance… Mais les comparaisons contemporaines sont peut-\u00eatre plus utiles.<\/p>\n\n\n\n Le glissement vers l\u2019autoritarisme, ou vers une d\u00e9mocratie illib\u00e9rale similaire au mod\u00e8le de Viktor Orban en Hongrie, se retrouve notamment dans le Projet 2025, qui pr\u00e9sente beaucoup d\u2019aspects similaires au playbook <\/em>du dirigeant hongrois. Cette inspiration n\u2019est pas pour autant nouvelle, la Hongrie d\u2019Orban \u00e9tant un objet d\u2019attention des cercles conservateurs am\u00e9ricains depuis plusieurs ann\u00e9es. La revue du Claremont Institute s\u2019int\u00e9resse \u00e0 Orban depuis longtemps. <\/p>\n\n\n\n D\u2019autres aspects de cette tendance autoritariste sont par ailleurs bien plus anciens : on parlait notamment beaucoup de la th\u00e9orie de l\u2019ex\u00e9cutif unitaire sous les mandats de Bush p\u00e8re et fils, pendant la guerre globale contre le terrorisme.<\/p>\n\n\n\n Il faut toutefois revenir \u00e0 un point important. Le premier article de la Constitution am\u00e9ricaine est enti\u00e8rement consacr\u00e9 au Congr\u00e8s. Il s\u2019agit d\u2019un article extr\u00eamement pr\u00e9cis qui \u00e9num\u00e8re tous les pouvoirs dont jouit le pouvoir l\u00e9gislatif, et le place au c\u0153ur de la d\u00e9mocratie am\u00e9ricaine. Le deuxi\u00e8me article, qui porte sur les pouvoirs pr\u00e9sidentiels, est quant \u00e0 lui beaucoup plus lapidaire. Il conf\u00e8re \u00ab le pouvoir ex\u00e9cutif \u00bb au pr\u00e9sident, ainsi que le r\u00f4le de commandant en chef des arm\u00e9es.<\/p>\n\n\n\n La nouvelle tendance depuis le retour de Trump consiste notamment pour les hommes \u00e0 se refaire le menton, qui se doit d\u2019\u00eatre carr\u00e9, ainsi que la m\u00e2choire, qui doit avoir des lignes saillantes, signe de virilit\u00e9.<\/p>Maya Kandel<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n C\u2019est sur l\u2019interpr\u00e9tation de ce deuxi\u00e8me article que se jouent beaucoup des batailles juridiques qui se trouvent au c\u0153ur du trumpisme. La Constitution \u00e9tant un document assez ancien, elle a \u00e9t\u00e9 maintes fois r\u00e9interpr\u00e9t\u00e9e au cours de l\u2019histoire am\u00e9ricaine, et beaucoup de choses ne se trouvent pas dedans. C\u2019est notamment le cas de la Garde nationale, utilis\u00e9e par Trump pour r\u00e9primer les manifestations \u00e0 Los Angeles, qui n\u2019avait pas encore \u00e9t\u00e9 cr\u00e9\u00e9e au moment de sa r\u00e9daction \u2014 la Constitution parle de \u00ab milices \u00bb.<\/p>\n\n\n\n Le poids respectif des diff\u00e9rents pouvoirs a beaucoup \u00e9volu\u00e9 au cours de l\u2019histoire am\u00e9ricaine. Sur la politique \u00e9trang\u00e8re notamment, le Congr\u00e8s a jou\u00e9 un r\u00f4le beaucoup plus important au XIXe si\u00e8cle. Celui-ci a commenc\u00e9 \u00e0 diminuer apr\u00e8s la pr\u00e9sidence Wilson et, surtout, apr\u00e8s la Seconde Guerre mondiale, d\u00e9bouchant sur ce que les historiens ont appel\u00e9 la \u00ab pr\u00e9sidence imp\u00e9riale \u00bb. <\/p>\n\n\n\n Il faut rappeler que c\u2019est le Congr\u00e8s qui a le pouvoir de d\u00e9clarer la guerre, de lever l\u2019arm\u00e9e, de la mobiliser puis de la d\u00e9mobiliser. Jusqu\u2019en 1945, le Congr\u00e8s avait toujours d\u00e9mobilis\u00e9 apr\u00e8s une guerre. La p\u00e9riode post-Seconde guerre mondiale appara\u00eet \u00e0 cet \u00e9gard comme une exception dans l\u2019histoire am\u00e9ricaine, puisque les \u00c9tats-Unis conservent d\u00e8s lors une large arm\u00e9e permanente, ainsi que la division du globe en commandements militaires r\u00e9gionaux, h\u00e9rit\u00e9s des combats de la Seconde guerre mondiale.<\/p>\n\n\n\n Depuis les ann\u00e9es 1990, le Congr\u00e8s est devenu de plus en plus dysfonctionnel. Cette \u00e9volution est notamment li\u00e9e \u00e0 la polarisation politique, qui conduit les partis am\u00e9ricains \u00e0 fonctionner de plus en plus comme ceux que l\u2019on conna\u00eet en Europe \u2014 avec un programme national et une discipline de parti, ce qui n\u2019\u00e9tait pas la pratique politique am\u00e9ricaine. Ce syst\u00e8me n\u2019est pas adapt\u00e9 pour le Congr\u00e8s, en particulier le S\u00e9nat.<\/p>\n\n\n\n Enfin, la derni\u00e8re p\u00e9riode qui voit l’augmentation des pouvoirs pr\u00e9sidentiels est celle qui s\u2019ouvre apr\u00e8s les attentats du 11 septembre. Le Congr\u00e8s abdique de plus en plus ses pr\u00e9rogatives, et le pr\u00e9sident augmente le recours aux d\u00e9crets.<\/p>\n\n\n\n Il utilise notamment l’invocation de situations d’urgence, qui permettent ensuite de recourir \u00e0 des pouvoirs sp\u00e9cifiques qui sont clairement contre l’esprit de la Constitution \u2014 aussi bien Bush et Obama, que Trump et Biden l\u2019ont fait.<\/p>\n\n\n\n Dans ce domaine, Trump 1 \u00e9tait d\u00e9j\u00e0 celui qui bat tous les records \u2014 avant Trump 2. Aujourd\u2019hui, le recours \u00e0 des d\u00e9clarations de situation d’urgence est absolument d\u00e9lirant, au m\u00e9pris de la r\u00e9alit\u00e9.<\/p>\n\n\n\n L\u2019administration Trump a d\u00e9pens\u00e9 un demi-million de dollars en vid\u00e9os YouTube depuis le d\u00e9but du second mandat pour essayer de mettre en sc\u00e8ne \u00e0 la fois le danger des migrants et l’efficacit\u00e9 des d\u00e9portations, \u00e0 grand renfort d\u2019IA et de musique hollywoodienne.<\/p>Maya Kandel<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n En effet, ce qui s’est pass\u00e9 \u00e0 Los Angeles est un bon exemple. Il y avait \u2014 tous les t\u00e9moins le disent \u2014 quelques manifestations, calmes pour l’essentiel, devant quelques centres de d\u00e9p\u00f4t dans lesquels il y avait eu des raids de la police de l\u2019immigration, ICE, elle-m\u00eame un h\u00e9ritage des attentats du 11 septembre 2001.<\/p>\n\n\n\n On a le sentiment que Trump et son \u00e9quipe attendaient qu\u2019une confrontation ait lieu. Dans ce contexte, toutes les cases \u00e9taient coch\u00e9es : c\u2019\u00e9tait en Californie, il y avait quelques manifestants cagoul\u00e9s avec des drapeaux mexicains devant une voiture qui br\u00fble. On sait tr\u00e8s bien qu\u2019en faisant un plan serr\u00e9 sur ce type d\u2019\u00e9v\u00e8nement, il est facile de donner l’impression que la ville est au bord du chaos.<\/p>\n\n\n\n Dans les reportages que j’ai regard\u00e9s, \u00e9cout\u00e9s et lus, tous les habitants interrog\u00e9s disent que ces manifestations \u00e9taient au d\u00e9part tr\u00e8s calmes, les rares d\u00e9bordements ponctuels et circonscrits. La police de Los Angeles a l’habitude, elle est tout \u00e0 fait capable de g\u00e9rer ces situations.<\/p>\n\n\n\n Pourtant, Trump a d\u00e9cid\u00e9 de mobiliser la Garde nationale contre la volont\u00e9 du gouverneur, qui dispose normalement du pouvoir ex\u00e9cutif dans l’\u00c9tat \u2014 sinon, c’est le Congr\u00e8s qui a autorit\u00e9 sur la lev\u00e9e, la mobilisation et la d\u00e9mobilisation de la Garde nationale.<\/p>\n\n\n\n Un point \u00e0 noter est que Trump n\u2019a finalement pas invoqu\u00e9 l’Insurrection Act<\/em> comme on aurait pu le penser \u2014 car il parlait d’\u00ab insurg\u00e9s \u00bb \u2014, mais a utilis\u00e9 une autre autorit\u00e9 l\u00e9gale. Cela dit, m\u00eame si l’id\u00e9e est de rester dans la l\u00e9galit\u00e9, on sent que l\u2019administration pousse toujours un peu plus loin les lignes de son action.<\/p>\n\n\n\n Il faut rappeler que l’administration Trump a d\u00e9pens\u00e9 un demi-million de dollars en vid\u00e9os YouTube depuis le d\u00e9but du second mandat pour essayer de mettre en sc\u00e8ne \u00e0 la fois le danger des migrants et l’efficacit\u00e9 des d\u00e9portations, \u00e0 grand renfort d\u2019IA et de musique hollywoodienne.<\/p>\n\n\n\n Il est extr\u00eamement pr\u00e9occupant de faire appel \u00e0 la force militaire pour intimider, arr\u00eater des manifestants exer\u00e7ant leurs droits garantis par le Premier amendement, voire pire, l’opposition politique.<\/p>\n\n\n\n Utiliser les militaires pour ce faire, sur le sol national, pourrait avoir un impact tr\u00e8s fort sur les relations civilo-militaires et sur la politisation de l’arm\u00e9e. La m\u00eame semaine, Trump a prononc\u00e9 un discours \u00e0 Fort Bragg dans lequel il critiquait ses adversaires politiques et faisait huer plusieurs noms de politiques d\u00e9mocrates par l’arm\u00e9e<\/a>.<\/p>\n\n\n\n Sur ce point pr\u00e9cis, on entre selon moi dans le dur de la question du trumpisme comme nouvel autoritarisme, et de ce que Trump est en train de faire \u00e0 la d\u00e9mocratie am\u00e9ricaine.<\/p>\n\n\n\n Le point le plus frappant dans le discours de J. D. Vance \u00e0 Munich \u00e9tait lorsqu\u2019il a dit que ce qui l’inqui\u00e9tait davantage pour l’Europe, ce n’\u00e9tait pas tant la Chine ou la Russie, mais plut\u00f4t les menaces int\u00e9rieures \u2014 toutes les normes d\u00e9mocratiques, les valeurs lib\u00e9rales, etc.<\/p>\n\n\n\n Trump a fait plusieurs fois exactement le m\u00eame discours sur les \u00c9tats-Unis.<\/p>\n\n\n\n Le discours de Vance nous a profond\u00e9ment choqu\u00e9s en Europe, mais Trump avait dit la m\u00eame chose \u00e0 plusieurs reprises en parlant des \u00c9tats-Unis : \u00ab Je suis davantage inquiet par rapport aux ennemis de l’int\u00e9rieur que par rapport \u00e0 la Chine et \u00e0 la Russie \u00bb. C’\u00e9tait un discours en exact miroir.<\/p>\n\n\n\n\r\n <\/picture>\r\n \n
Qui est \u00e0 l\u2019origine de cet effort de th\u00e9orisation, lorsqu\u2019on remonte au premier mandat de Trump ?<\/h3>\n\n\n\n
\u00c0 quel moment le mouvement national conservateur se rapproche-t-il de Trump ?<\/h3>\n\n\n\n
Si le Projet 2025 de la Heritage a \u00e9t\u00e9 assez m\u00e9diatis\u00e9, d\u2019autres institutions sont largement rest\u00e9es dans l\u2019ombre. C\u2019est notamment le cas du Claremont Institute, dont vous suivez les travaux depuis longtemps. Peut-on parler d\u2019un premier laboratoire du trumpisme ?<\/h3>\n\n\n\n
Une id\u00e9e que l\u2019on retrouve aujourd\u2019hui chez des \u00ab th\u00e9oriciens \u00bb comme Steve Bannon ou Curtis Yarvin, qui parle de \u00ab moment monarchique \u00bb. Pourquoi pensez-vous qu\u2019il soit parvenu \u00e0 gagner autant en influence ?<\/h3>\n\n\n\n
Comment expliquer le r\u00f4le central que joue le Claremont durant le premier mandat Trump ? Par quoi cette influence se traduit-elle ?<\/h3>\n\n\n\n
Pourquoi ces penseurs et th\u00e9oriciens du mouvement national-conservateur se rallient-ils \u00e0 Trump d\u00e8s le premier mandat ?<\/h3>\n\n\n\n
Vous \u00e9crivez que le Trump de 2016 n’est pas celui de 2020 ni de 2024 \u2014 ce qui se voit notamment dans sa coalition \u00e9lectorale, qui s\u2019est consid\u00e9rablement \u00e9largie en huit ans. Par quoi se traduit cette \u00e9volution ?<\/h3>\n\n\n\n
On a pu de nouveau constater lors de la parade organis\u00e9e par Trump \u00e0 Washington le triomphe d\u2019un esth\u00e9tisme assez propre au trumpisme, marqu\u00e9 notamment par la couleur dor\u00e9e. Quelles en sont les coordonn\u00e9es ?<\/h3>\n\n\n\n
Cette esth\u00e9tique est-elle une part importante du trumpisme en tant que mouvement ? Quelle en est sa fonction ?<\/h3>\n\n\n\n
Qui aura bient\u00f4t un concurrent ouvert par le fils a\u00een\u00e9 de Trump lui-m\u00eame\u2026 C’est un mod\u00e8le \u00e9conomique qui fonctionne bien.<\/h3>\n\n\n\n
Et puis cette volont\u00e9 de reprendre l\u2019ascendant se traduit aussi par une gouvernance tr\u00e8s agressive et une lecture bien plus maximaliste des pouvoirs ex\u00e9cutifs qui semble parfois fr\u00f4ler le fascisme.<\/h3>\n\n\n\n
Qu\u2019est-ce qui explique ce glissement dans l\u2019\u00e9quilibre des pouvoirs qui est aujourd\u2019hui exploit\u00e9 par l\u2019administration Trump ?<\/h3>\n\n\n\n
C\u2019est notamment cette dynamique que l\u2019on a vu \u00e0 l’\u0153uvre \u00e0 Los Angeles.<\/h3>\n\n\n\n
Parmi les \u00e9l\u00e9ments participant de cette construction du trumpisme, il y a le rapport \u00e0 l\u2019autre, aux immigr\u00e9s, mais \u00e9galement \u00e0 l\u2019Europe, qui semble occuper une place centrale au sein du mouvement, comme on a pu le voir lors du discours de J. D. Vance \u00e0 Munich<\/a>. Le trumpisme se d\u00e9finit-il en antagonisme par rapport \u00e0 l’Europe ?<\/h3>\n\n\n\n