{"id":286758,"date":"2025-07-05T18:10:32","date_gmt":"2025-07-05T16:10:32","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=286758"},"modified":"2025-07-11T16:27:44","modified_gmt":"2025-07-11T14:27:44","slug":"climat-desinformation-realisme","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2025\/07\/05\/climat-desinformation-realisme\/","title":{"rendered":"Anthropoc\u00e8ne et d\u00e9sinformation : notes pour un r\u00e9alisme d\u00e9mocratique"},"content":{"rendered":"\n
English version available at this link<\/a><\/em><\/p>\n\n\n\n Les faits fondamentaux sur lesquels reposent notre monde et nos existences \u2014 des r\u00e9sultats \u00e9lectoraux aux temp\u00e9ratures croissantes \u2014 ne sont plus acquis. Ils sont m\u00eame d\u00e9sormais vivement contest\u00e9s. La d\u00e9sinformation ne d\u00e9signe plus seulement une suite de fausses informations isol\u00e9es : elle est devenue une attaque syst\u00e9matique contre les institutions et les normes m\u00eames qui sous-tendent notre r\u00e9alit\u00e9 commune. <\/p>\n\n\n\n Lorsque les dirigeants politiques et les personnalit\u00e9s m\u00e9diatiques promeuvent sans rel\u00e2che des \u00ab faits alternatifs \u00bb, ils \u00e9rodent les fondements de ce qu’Hannah Arendt appelait le monde commun<\/em> \u2014 le domaine partag\u00e9 des faits n\u00e9cessaires au fonctionnement d’une d\u00e9mocratie, un domaine qui transcende les g\u00e9n\u00e9rations et qui devrait rester fondamentalement insensible aux d\u00e9saccords id\u00e9ologiques.<\/p>\n\n\n\n Comme l’a averti Arendt : \u00ab on a fr\u00e9quemment remarqu\u00e9 que le r\u00e9sultat \u00e0 long terme le plus s\u00fbr du lavage de cerveau est un genre particulier de cynisme \u2014 un refus absolu de croire en la v\u00e9rit\u00e9 d\u2019aucune chose, si bien \u00e9tablie que puisse \u00eatre cette v\u00e9rit\u00e9. (…) le r\u00e9sultat d’une substitution coh\u00e9rente et totale de mensonges \u00e0 la v\u00e9rit\u00e9 de fait n’est pas que les mensonges seront maintenant accept\u00e9s comme v\u00e9rit\u00e9, ni que la v\u00e9rit\u00e9 sera diffam\u00e9e comme mensonge, mais que le sens par lequel nous nous orientons dans le monde r\u00e9el \u2014 et la cat\u00e9gorie de la v\u00e9rit\u00e9 relativement \u00e0 la fausset\u00e9 compte parmi les moyens mentaux de cette fin \u2014 se trouve d\u00e9truit. \u00bb En d’autres termes, le mensonge continu ne persuade pas les gens que les mensonges sont vrais : il les d\u00e9soriente si profond\u00e9ment que la v\u00e9rit\u00e9 elle-m\u00eame perd son autorit\u00e9.<\/p>\n\n\n\n Cette \u00e9rosion d’une base commune de v\u00e9rit\u00e9 est \u00e0 l’origine l\u2019impasse d\u00e9mocratique qui percute brutalement la crise climatique.<\/p>\n\n\n\n La d\u00e9mocratie repose sur la reconnaissance commune de faits fondamentaux et sur la confiance accord\u00e9e aux institutions qui \u00e9tablissent ces faits (tels que les m\u00e9dias ind\u00e9pendants, les agences scientifiques, les syst\u00e8mes \u00e9lectoraux). De m\u00eame, l’action climatique d\u00e9pend de la compr\u00e9hension par le public de la r\u00e9alit\u00e9 scientifique et d’une confiance importante accord\u00e9e \u00e0 ceux qui occupent des postes d’autorit\u00e9. Or, les campagnes de d\u00e9ni du changement climatique et la propagande politique ont contribu\u00e9 \u00e0 cr\u00e9er une situation o\u00f9 rien ne peut plus \u00eatre consid\u00e9r\u00e9 comme av\u00e9r\u00e9.<\/p>\n\n\n\n L\u2019\u00e9rosion d’une base commune de v\u00e9rit\u00e9 est \u00e0 l’origine de notre crise climatique et de notre crise d\u00e9mocratique. <\/p>Jos\u00e9 Henrique Bortoluci et Emmanuel Gu\u00e9rin<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Dans ce contexte, la prise de d\u00e9cision collective vacille \u00e0 tous les niveaux de la politique. <\/p>\n\n\n\n Comment pouvons-nous choisir d\u00e9mocratiquement la bonne voie \u00e0 suivre en mati\u00e8re de changement climatique si nous ne pouvons m\u00eame pas nous accorder sur la r\u00e9alit\u00e9 de ce ph\u00e9nom\u00e8ne ? Comment pouvons-nous r\u00e9soudre ensemble une crise si nous ne vivons pas dans la m\u00eame r\u00e9alit\u00e9 ?<\/p>\n\n\n\n Le changement climatique met en \u00e9vidence ce probl\u00e8me de mani\u00e8re flagrante. La diffusion d\u00e9lib\u00e9r\u00e9e de fausses informations sur le climat a sabot\u00e9 la perception qu’a le public de la r\u00e9alit\u00e9 de cette question, affaiblissant ainsi la capacit\u00e9 des d\u00e9mocraties \u00e0 r\u00e9agir. <\/p>\n\n\n\n Ce n’est pas une co\u00efncidence : bon nombre des forces qui agissent derri\u00e8re le d\u00e9ni climatique participent aussi \u00e0 saper les fondements de la d\u00e9mocratie.<\/p>\n\n\n\n Pendant des ann\u00e9es, l’industrie des combustibles fossiles a financ\u00e9 divers think-tanks et m\u00e9dias dans le but de semer la confusion autour de la science du climat. Leurs efforts ont efficacement sap\u00e9 les syst\u00e8mes d’information essentiels au fonctionnement des d\u00e9mocraties, poussant les soci\u00e9t\u00e9s ouvertes vers les politiques de \u00ab post-v\u00e9rit\u00e9 \u00bb qui ont favoris\u00e9 l’essor de l’autoritarisme.<\/p>\n\n\n\n Pourquoi le changement climatique est-il un terrain si fertile pour la d\u00e9sinformation ? <\/p>\n\n\n\n Cela s\u2019explique en partie par le fait que la science du climat est intrins\u00e8quement abstraite, complexe et souvent contre-intuitive.<\/p>\n\n\n\n Comme le montre Amitav Ghosh dans The Great Derangement <\/em>(2016), le changement climatique d\u00e9passe la capacit\u00e9 narrative de nos formes culturelles dominantes. Il appara\u00eet comme une anomalie, une perturbation, une pr\u00e9sence indicible. Timothy Morton parle d’\u00ab hyperobjet \u00bb : un concept si vaste et dispers\u00e9 qu’il \u00e9chappe \u00e0 toute repr\u00e9sentation directe. Les gaz \u00e0 effet de serre sont invisibles, et les effets les plus graves des \u00e9missions actuelles ne deviendront \u00e9vidents que dans plusieurs ann\u00e9es. Le changement climatique touche l’ensemble de la plan\u00e8te, ce qui le rend difficile \u00e0 raconter ou \u00e0 personnifier. \u00c0 l\u2019inverse, les \u00eatres humains ont \u00e9volu\u00e9 pour r\u00e9agir \u00e0 des menaces imm\u00e9diates et tangibles plut\u00f4t qu’\u00e0 des menaces graduelles et statistiques.<\/p>\n\n\n\n Les d\u00e9sinformateurs exploitent cette situation en pr\u00e9sentant des r\u00e9cits simples et \u00e9motionnellement convaincants au lieu de la r\u00e9alit\u00e9 complexe. <\/em>Au Br\u00e9sil, Bolsonaro a affirm\u00e9 que des ONG br\u00fblaient l’Amazonie pour nuire \u00e0 son gouvernement. Cette histoire \u00e9tait fausse, mais elle \u00e9tait vivante, nationaliste et virale. Aux \u00c9tats-Unis, la politique climatique est souvent pr\u00e9sent\u00e9e par les m\u00e9dias de droite comme une ing\u00e9rence de l’\u00e9lite contre le peuple. En France, le discours anti-\u00e9cologique tourne g\u00e9n\u00e9ralement autour des th\u00e8mes du contr\u00f4le, des taxes et de la punition. Chacun de ces r\u00e9cits r\u00e9pond \u00e0 un sentiment d’identit\u00e9, d\u2019injustice, et de clart\u00e9. <\/p>\n\n\n\n Ces r\u00e9cits mensongers prosp\u00e8rent, non pas parce qu’ils sont plus exacts mais parce qu’ils sont plus vivants et plus attrayants sur le plan \u00e9motionnel. Les r\u00e9cits convaincants qui offrent des explications simplistes \u00e9clipsent souvent les faits, encourageant ainsi \u00e0 repousser dans le temps les actions climatiques pourtant n\u00e9cessaires. <\/p>\n\n\n\n Les d\u00e9sinformateurs pr\u00e9sentent des r\u00e9cits simples et \u00e9motionnellement convaincants au lieu de la r\u00e9alit\u00e9 complexe.<\/em><\/p>Jos\u00e9 Henrique Bortoluci et Emmanuel Gu\u00e9rin<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n La propagande moderne surpasse la r\u00e9alit\u00e9 chaotique en donnant un sentiment<\/em> de clart\u00e9 et de certitude. Par exemple, les memes<\/em> climatosceptiques les plus convaincants font \u00e9cho aux d\u00e9sirs individuels, ciblent des adversaires appropri\u00e9s et cr\u00e9ent un semblant d’ordre dans le chaos \u2014 bien que cet \u00ab ordre \u00bb soit le fruit d’une conspiration invent\u00e9e de toutes pi\u00e8ces. Une v\u00e9rit\u00e9 scientifique nuanc\u00e9e peine \u00e0 rivaliser avec un mensonge simple qui correspond aux croyances existantes des individus.<\/p>\n\n\n\n Pour comprendre cette crise, nous devons analyser la mani\u00e8re dont la soci\u00e9t\u00e9 construit la \u00ab v\u00e9rit\u00e9 \u00bb et comment les m\u00e9canismes qui la garantissent se d\u00e9t\u00e9riorent. <\/p>\n\n\n\n Hannah Arendt observait que le brouillage des fronti\u00e8res entre v\u00e9rit\u00e9 et mensonge peut mettre en p\u00e9ril la libert\u00e9.<\/p>\n\n\n\n Lorsque les mensonges deviennent monnaie courante, la r\u00e9alit\u00e9 factuelle cesse d’exister, \u00e9liminant ainsi le fondement commun indispensable \u00e0 tout d\u00e9bat constructif. <\/p>\n\n\n\n Michel Foucault pr\u00e9cisait que la v\u00e9rit\u00e9 va au-del\u00e0 de la simple logique ou des preuves isol\u00e9es : elle est fa\u00e7onn\u00e9e par les pratiques sociales et institutionnelles. Foucault sugg\u00e9rait que chaque soci\u00e9t\u00e9 poss\u00e8de son propre \u00ab r\u00e9gime de v\u00e9rit\u00e9 \u00bb \u2014 un ensemble de discours et de pratiques permettant aux individus d’interpr\u00e9ter les faits dans des contextes plus larges. <\/p>\n\n\n\n M\u00eame s’ils sont commun\u00e9ment reconnus comme valides, les faits ne suffisent pas \u00e0 r\u00e9v\u00e9ler intrins\u00e8quement la v\u00e9rit\u00e9. Nous discernons la v\u00e9rit\u00e9 gr\u00e2ce \u00e0 des institutions fiables : les universit\u00e9s qui donnent la mesure des connaissances, le journalisme qui v\u00e9rifie les faits et les tribunaux qui examinent les preuves. Le mieux elles fonctionnent, le plus ces institutions agissent comme des arbitres de la r\u00e9alit\u00e9.<\/p>\n\n\n\n Que se passe-t-il lorsque les arbitres perdent toute cr\u00e9dibilit\u00e9 \u2014 ou sont simplement ignor\u00e9s ? <\/p>\n\n\n\n Au temps de l\u2019IA, les r\u00e9seaux sociaux permettent \u00e0 n’importe quel r\u00e9cit de circuler librement, diminuant ainsi le pouvoir des gardiens traditionnels que les m\u00e9dias, les publications scientifiques ou les diffuseurs publics. Des acteurs opportunistes profitent de cet environnement de d\u00e9fiance pour semer le scepticisme et diffuser de fausses informations. Ils ma\u00eetrisent l’art d’imiter l\u2019\u00ab expertise \u00bb ou de la discr\u00e9diter, comme en t\u00e9moignent la mont\u00e9e en puissance des pseudo-experts et des think-tanks visant \u00e0 discr\u00e9diter la science du climat ou l’inondation des espaces en ligne par des bots destin\u00e9s \u00e0 fabriquer un faux consensus. <\/p>\n\n\n\n Nous discernons la v\u00e9rit\u00e9 gr\u00e2ce \u00e0 des institutions fiables, qui agissent comme des arbitres de la r\u00e9alit\u00e9.<\/p>Jos\u00e9 Henrique Bortoluci et Emmanuel Gu\u00e9rin<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Il en r\u00e9sulte un \u00e9tat de chaos \u00e9pist\u00e9mique, dans lequel la v\u00e9rit\u00e9 objective est confront\u00e9e \u00e0 une multitude de fictions s\u00e9duisantes.<\/p>\n\n\n\n Bruno Latour<\/a> avait identifi\u00e9 ce probl\u00e8me sous un angle unique. Tout au long de sa carri\u00e8re, il a d\u00e9montr\u00e9 dans une approche constructiviste que les faits scientifiques \u00e9mergent de contextes sociaux \u2014 tels que les laboratoires, les d\u00e9bats et l’\u00e9valuation par les pairs \u2014 qui peuvent \u00eatre analys\u00e9s de mani\u00e8re critique.<\/p>\n\n\n\n Mais dans les ann\u00e9es 2000, dans un contexte de climatoscepticisme croissant et de mont\u00e9e des politiques de la \u00ab post-v\u00e9rit\u00e9 \u00bb, Latour lan\u00e7ait un avertissement : le d\u00e9ni g\u00e9n\u00e9ralis\u00e9 \u00e0 l’\u00e9gard de la v\u00e9rit\u00e9 \u00e9tait devenu incontr\u00f4lable. Il observait avec ironie que les critiques acad\u00e9miques de l’objectivit\u00e9 refl\u00e9taient les d\u00e9clarations des complotistes qui affirmaient que \u00ab tout est truqu\u00e9 ! \u00bb.<\/p>\n\n\n\n Latour plaidait en faveur d’un \u00ab nouveau r\u00e9alisme \u00bb \u2014 un regain d’int\u00e9r\u00eat <\/em>pour <\/em>les questions r\u00e9elles et urgentes comme le changement climatique, plut\u00f4t que le rejet pur et simple des faits. Plut\u00f4t que de s\u2019adonner \u00e0 une d\u00e9construction critique syst\u00e9matique, il reconnaissait la n\u00e9cessit\u00e9 de reconstruire notre cadre de perception de la r\u00e9alit\u00e9.<\/p>\n\n\n\n \u00c0 l’\u00e8re du num\u00e9rique, les id\u00e9es d’Arendt, Latour et Foucault se recoupent : le concept de v\u00e9rit\u00e9 repose sur des syst\u00e8mes sociaux stables mais qui sont aujourd\u2019hui confront\u00e9s \u00e0 des d\u00e9fis critiques sur plusieurs aspects \u2014 notamment les m\u00e9dias grand public et l’autorit\u00e9 scientifique.<\/p>\n\n\n\n La n\u00e9gation du changement climatique et les mensonges entourant les \u00e9lections refl\u00e8tent un probl\u00e8me plus profond : l’\u00e9rosion des institutions et des normes \u00e9tablies apr\u00e8s la guerre, qui fa\u00e7onnaient auparavant notre compr\u00e9hension collective de la v\u00e9rit\u00e9.<\/p>\n\n\n\n Pour reprendre les mots d\u2019Arendt, nous assistons \u00e0 une \u00ab fuite de la r\u00e9alit\u00e9 \u00bb \u2014 un ph\u00e9nom\u00e8ne exploit\u00e9 par ceux qui tirent profit du d\u00e9sordre et des divisions sociales.<\/p>\n\n\n\n La lutte contre le changement climatique a lieu non seulement dans les laboratoires scientifiques ou les d\u00e9bats politiques mais aussi dans le monde obscur de la guerre de l’information.<\/p>\n\n\n\n Or loin d’\u00eatre un simple effet secondaire des divisions politiques, la d\u00e9sinformation climatique est devenue une arme utilis\u00e9e par divers acteurs pour faire avancer leurs objectifs strat\u00e9giques et retarder la transition mondiale in\u00e9vitable vers les \u00e9nergies propres. <\/p>\n\n\n\n Cette campagne n\u00e9faste est men\u00e9e \u00e0 la fois par des groupes gouvernementaux et non-gouvernementaux \u2014 notamment des riches lobbies de l’industrie fossile \u2014 des comp\u00e9titeurs internationaux et des organisations guid\u00e9es par des convictions id\u00e9ologiques. Leur objectif commun est de semer le doute, de diviser et, \u00e0 terme, de bloquer toute action climatique significative, afin de maintenir des coalitions \u00e9conomiques et politiques puissantes, ancr\u00e9es dans des industries \u00e0 forte intensit\u00e9 carbone.<\/p>\n\n\n\n La d\u00e9sinformation climatique est devenue une arme utilis\u00e9e par divers acteurs pour faire avancer leurs objectifs strat\u00e9giques et retarder la transition mondiale in\u00e9vitable vers les \u00e9nergies propres. <\/p>Jos\u00e9 Henrique Bortoluci et Emmanuel Gu\u00e9rin<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Au niveau international, cette offensive de d\u00e9sinformation vise des points faibles cruciaux dans l’architecture climatique mondiale. <\/p>\n\n\n\n L’une des principales vuln\u00e9rabilit\u00e9s exploit\u00e9e est le foss\u00e9 entre le Nord et le Sud. <\/p>\n\n\n\n Les campagnes de d\u00e9sinformation amplifient habilement les griefs historiques, pr\u00e9sentant l’action climatique comme un fardeau impos\u00e9 de mani\u00e8re disproportionn\u00e9e aux pays en d\u00e9veloppement, et accusant les pays d\u00e9velopp\u00e9s d’hypocrisie. En parall\u00e8le, ces discours pr\u00e9sentent, \u00e0 tort, les initiatives climatiques comme des outils destin\u00e9s \u00e0 entraver la croissance \u00e9conomique et \u00e0 priver les pays du Sud de l’acc\u00e8s \u00e0 l’\u00e9nergie \u2014 malgr\u00e9 les preuves accablantes que les \u00e9nergies renouvelables offrent une voie vers le d\u00e9veloppement durable et l’ind\u00e9pendance \u00e9nerg\u00e9tique. <\/p>\n\n\n\n Cette strat\u00e9gie sape efficacement la solidarit\u00e9 et la confiance indispensables \u00e0 une r\u00e9ponse globale unie. <\/p>\n\n\n\n Le syst\u00e8me multilat\u00e9ral lui-m\u00eame, con\u00e7u pour relever les d\u00e9fis plan\u00e9taires communs, est d\u00e9lib\u00e9r\u00e9ment pris pour cible : ses complexit\u00e9s inh\u00e9rentes et sa lenteur sont exploit\u00e9es pour exag\u00e9rer son inefficacit\u00e9 et nourrir le cynisme, d\u00e9courageant ainsi l’action collective.<\/p>\n\n\n\n Nous assistons \u00e0 un changement fondamental qui nous projettent d\u2019une \u00ab ancienne \u00bb g\u00e9opolitique \u2014 longtemps d\u00e9finie par le contr\u00f4le des ressources fossiles \u2014 \u00e0 une nouvelle \u00ab g\u00e9opolitique de la v\u00e9rit\u00e9 \u00bb. Dans ce paysage \u00e9mergeant, la capacit\u00e9 \u00e0 fa\u00e7onner les discours et \u00e0 contr\u00f4ler l’information devient aussi vitale que la puissance militaire ou l’influence \u00e9conomique. <\/p>\n\n\n\n La d\u00e9sinformation climatique n\u2019a rien de fortuit : il s’agit d’une strat\u00e9gie calcul\u00e9e et d\u00e9lib\u00e9r\u00e9e visant \u00e0 fracturer le consensus, \u00e0 \u00e9roder la volont\u00e9 publique et \u00e0 chercher \u00e0 tout prix \u00e0 maintenir le statu quo<\/em>.<\/p>\n\n\n\n Prendre conscience de ce bouleversement est capital.<\/p>\n\n\n\n Pour relever ce d\u00e9fi, il faut non seulement des politiques climatiques robustes, mais \u00e9galement un effort international concert\u00e9 pour renforcer la r\u00e9silience informationnelle, d\u00e9noncer les architectes de la tromperie et promouvoir une compr\u00e9hension commune de la science du climat ainsi que de la n\u00e9cessit\u00e9 d’une action urgente et \u00e9quitable.<\/p>\n\n\n\n\n Le probl\u00e8me fondamental n’est pas le manque de faits ou la raret\u00e9 de l\u2019information mais le manque de confiance. <\/p>\n\n\n\n Comme le soulignent aujourd’hui de nombreux experts, la v\u00e9rification pr\u00e9cise et p\u00e9dagogique des faits ne parvient souvent pas \u00e0 convaincre ceux qui sont le plus enlis\u00e9s dans de fausses croyances. Une fois qu’un mensonge s’est imbriqu\u00e9 dans l’identit\u00e9 ou la vision du monde d’un individu, l\u2019exposer aux preuves peut rester sans effet. <\/p>\n\n\n\n Dans un contexte de guerre narrative, la v\u00e9rification des faits n’a que peu, voire pas de poids face \u00e0 des discours et des visions du monde profond\u00e9ment enracin\u00e9s. <\/p>\n\n\n\n Le probl\u00e8me n’est donc pas seulement la d\u00e9sinformation mais aussi l’effondrement de l’autorit\u00e9 n\u00e9cessaire pour la contrer.<\/p>\n\n\n\n La d\u00e9sinformation fonctionne \u00e0 la fois sur le plan \u00e9motionnel et narratif, rendant inefficaces les solutions purement techniques. Une histoire fabriqu\u00e9e de toutes pi\u00e8ces se propage non seulement gr\u00e2ce \u00e0 l’amplification algorithmique, mais aussi parce qu’elle fait \u00e9cho aux peurs et aux passions individuelles<\/a>. Ni un d\u00e9tecteur de bot, ni programme d’\u00e9ducation aux m\u00e9dias ne peuvent restaurer le sentiment<\/em> que les citoyens partagent une histoire ou un destin communs. <\/p>\n\n\n\n La crise est autant philosophique et institutionnelle que technologique, r\u00e9v\u00e9lant de quelle mani\u00e8re les individus comprennent et \u00e0 qui ils font confiance. Il ne suffit pas de colmater les br\u00e8ches, en d\u00e9mystifiant chaque mensonge, si le ciment qui maintient le barrage \u2014 un consensus commun sur la mani\u00e8re dont nous \u00e9tablissons la v\u00e9rit\u00e9 \u2014 s’est \u00e9rod\u00e9.<\/p>\n\n\n\n Une fois qu’un mensonge s’est imbriqu\u00e9 dans l’identit\u00e9 ou la vision du monde d’un individu, l\u2019exposer aux preuves peut rester sans effet. <\/p>Jos\u00e9 Henrique Bortoluci et Emmanuel Gu\u00e9rin<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Nos r\u00e9ponses doivent donc \u00eatre plus profondes, d\u00e9passer la couche superficielle et par nature technique de la v\u00e9rification des faits. <\/p>\n\n\n\n Une strat\u00e9gie purement technocratique \u2014 qui consisterait par exemple \u00e0 affiner l\u2019algorithme ou \u00e0 mod\u00e9rer le contenu \u2014 se r\u00e9v\u00e8lerait insuffisante. Une mod\u00e9ration excessivement stricte et d\u00e9pourvue de l\u00e9gitimit\u00e9 pourrait m\u00eame s\u2019av\u00e9rer contre-productive, alimentant le sentiment de \u00ab censure \u00bb qui mine encore davantage la confiance.<\/p>\n\n\n\n Les analyses d’Arendt, Foucault et Latour sugg\u00e8rent qu’il est essentiel de r\u00e9parer les fondements sociaux qui facilitent l’\u00e9tablissement et l’acceptation de la v\u00e9rit\u00e9. <\/p>\n\n\n\n Si elle devra reposer sur une certaine ing\u00e9nierie technique, cette entreprise est fondamentalement de nature politique et culturelle.<\/p>\n\n\n\n Si les crises interd\u00e9pendantes du climat et de la d\u00e9mocratie r\u00e9sultent d’un effondrement de la v\u00e9rit\u00e9 commune, nos solutions devraient se concentrer sur le renouveau de notre capacit\u00e9 \u00e0 cr\u00e9er collectivement des v\u00e9rit\u00e9s communes par des moyens d\u00e9mocratiques. <\/p>\n\n\n\n Nous devons reconna\u00eetre l’information et le discours comme des biens publics, essentiels \u00e0 la soci\u00e9t\u00e9 au m\u00eame titre que l’air pur ou la s\u00e9curit\u00e9 routi\u00e8re. Cela n\u00e9cessite d’investir dans des infrastructures num\u00e9riques publiques \u2014 exactement comme nous le faisons pour les parcs, les biblioth\u00e8ques ou les cha\u00eenes de radio et de t\u00e9l\u00e9vision publiques, mais adapt\u00e9es \u00e0 l’environnement en ligne. Or actuellement, les \u00ab places publiques \u00bb d\u2019Internet sont d\u00e9tenues par des m\u00e9ga-plateformes \u00e0 but lucratif, o\u00f9 les algorithmes privil\u00e9gient l’indignation plut\u00f4t que les conversations constructives. Tout se passe comme si notre d\u00e9bat public avait lieu dans le restaurant d\u2019un m\u00e9ga-casino plut\u00f4t que dans un forum civique. <\/p>\n\n\n\n Des universitaires et des technologues r\u00e9fl\u00e9chissent \u00e0 des alternatives.<\/p>\n\n\n\n Ethan Zuckerman, par exemple, plaide pour la cr\u00e9ation d’\u00ab infrastructures publiques num\u00e9riques \u00bb (digital public infrastructures<\/em>, DPI) : des espaces en ligne similaires \u00e0 des parcs et des biblioth\u00e8ques, o\u00f9 les normes communautaires et l’int\u00e9r\u00eat public guident les discussions, plut\u00f4t que les revenus publicitaires. Des exemples comme Wikip\u00e9dia, une encyclop\u00e9die \u00e0 but non lucratif, ou Internet Archive, une biblioth\u00e8que num\u00e9rique, montrent tous deux comment des plateformes ouvertes et ax\u00e9es sur une mission sp\u00e9cifique peuvent fournir des connaissances sans recherche de profit. <\/p>\n\n\n\n Nous devons reconna\u00eetre l’information et le discours comme des biens publics, essentiels \u00e0 la soci\u00e9t\u00e9 au m\u00eame titre que l’air pur ou la s\u00e9curit\u00e9 routi\u00e8re.<\/p>Jos\u00e9 Henrique Bortoluci et Emmanuel Gu\u00e9rin<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Appliquer ce concept aux r\u00e9seaux sociaux en ferait des plateformes financ\u00e9es par des fonds publics, ou g\u00e9r\u00e9es de mani\u00e8re coop\u00e9rative, avec des algorithmes transparents et une gouvernance d\u00e9mocratique. Tout comme nous maintenons des \u00e9coles publiques pour \u00e9duquer les futurs citoyens, nous pourrions cr\u00e9er des r\u00e9seaux sociaux publics pour connecter et informer les gens en les expurgeant des incitations n\u00e9fastes de l’\u00e9conomie de l’attention.<\/p>\n\n\n\n Mais compter uniquement sur la technologie ne r\u00e9soudra pas le probl\u00e8me. <\/p>\n\n\n\n Nous devons \u00e9galement renouveler notre discours, en menant une initiative cibl\u00e9e pour partager une nouvelle vision de la r\u00e9alit\u00e9 qui trouve un \u00e9cho aupr\u00e8s des individus. <\/p>\n\n\n\nD\u00e9sinformation climatique et crise de la d\u00e9mocratie<\/h2>\n\n\n\n
Vrai et faux au temps de l\u2019IA : la v\u00e9rit\u00e9 malmen\u00e9e et le chaos \u00e9pist\u00e9mique<\/h2>\n\n\n\n
G\u00e9opolitique de la d\u00e9sinformation<\/h2>\n\n\n\n
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\n <\/picture>\n Pourquoi les solutions technocratiques ne suffisent pas<\/h2>\n\n\n\n
R\u00e9cits et institutions : organiser l\u2019algorithme<\/h2>\n\n\n\n