{"id":258353,"date":"2025-01-13T10:46:48","date_gmt":"2025-01-13T09:46:48","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=258353"},"modified":"2025-01-13T11:11:34","modified_gmt":"2025-01-13T10:11:34","slug":"milei-ou-pas-largentine-et-le-monde-apres-un-an-de-disruption-libertarienne","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2025\/01\/13\/milei-ou-pas-largentine-et-le-monde-apres-un-an-de-disruption-libertarienne\/","title":{"rendered":"Milei ou pas ? L\u2019Argentine et le monde apr\u00e8s un an de disruption libertarienne"},"content":{"rendered":"\n

Apr\u00e8s plus d\u2019un an de gouvernement de Milei, en quoi le nouveau pr\u00e9sident argentin a-t-il surpris ?<\/h3>\n\n\n\n

Marcelo Duclos<\/h4>\n\n\n\n

J’ai \u00e9t\u00e9 tr\u00e8s surpris quant \u00e0 moi par le Milei politique, par sa gestion du pouvoir. C\u2019\u00e9tait une inconnue : d\u2019une part, exercer le pouvoir \u00e9tait \u00e0 l\u2019oppos\u00e9 des principes libertariens et anti-\u00e9tatiques qu\u2019il d\u00e9fendait ; d’autre part, il partait d\u2019une inexp\u00e9rience presque totale \u2014 il n\u2019\u00e9tait d\u00e9put\u00e9 que depuis deux ans. Nous connaissions d\u00e9j\u00e0 le Milei \u00e9conomiste et ceux d’entre nous qui soutenaient logiquement ce projet politique avaient confiance dans un processus qui, aujourd’hui, produit des r\u00e9sultats. En ce qui concerne le fonctionnement du programme \u00e9conomique, je n\u2019\u00e9tais pas du tout surpris : nous avions 4 000 ans de preuves empiriques qui indiquaient clairement ce qu’il fallait faire et ne fallait pas faire.<\/p>\n\n\n\n

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Marcelo Duclos est un \u00e9conomiste et journaliste argentin. Il est \u00e9galement co-auteur, avec Nicol\u00e1s M\u00e1rquez, du best-seller Milei, la revoluci\u00f3n que no vieron venir (Milei, la r\u00e9volution qu\u2019ils n\u2019ont pas vue venir), Hojas del Sur, 2024.<\/figcaption>\n <\/a>\n<\/figure>\n\n\n\n\n

Dans mon cas, la surprise vient de l’articulation de la transition, qui a \u00e9t\u00e9 particuli\u00e8rement r\u00e9ussie. Nous connaissions tous le b.a-ba : pas de d\u00e9ficit budg\u00e9taire, pas d\u2019impression de billets de banque pour financer le fisc, avoir une \u00e9conomie ouverte, etc. Mais l’articulation de la transition vers ce mod\u00e8le sans que la bombe \u00e0 retardement laiss\u00e9e par les pr\u00e9d\u00e9cesseurs n’explose, n\u2019\u00e9tait pas une op\u00e9ration facile.<\/p>\n\n\n\n

Le Milei politique a donc \u00e9t\u00e9 pour moi une surprise totale : j’ai m\u00eame du mal \u00e0 le croire tant la fa\u00e7on qu\u2019il a eu de g\u00e9rer le pouvoir pourrait m\u00eame convaincre les kirchneristes. Milei est comme un poisson dans l’eau.<\/p>\n\n\n\n

Le Milei politique a \u00e9t\u00e9 pour moi une surprise totale.<\/p>Marcelo Duclos<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

Pablo Avelluto<\/h4>\n\n\n\n

En ce qui me concerne, je ne sais pas : ni s\u2019il est bon homme politique, ni s\u2019il est un bon \u00e9conomiste.<\/p>\n\n\n\n

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Pablo Avelluto est un journaliste et \u00e9diteur argentin. Il a \u00e9t\u00e9 ministre de la Culture (2015-2019) du gouvernement de Mauricio Macri (droite). <\/figcaption>\n <\/a>\n<\/figure>\n\n\n\n\n

Je pense que c’est un politique comme il y en a eu d’autres dans l’histoire, avec des traits messianiques, autoritaires d’une certaine mani\u00e8re, un discours tr\u00e8s agressif envers ceux qui ne sont pas d’accord avec lui \u2014 quelle que soit leur position, de la gauche ou du lib\u00e9ralisme. Il est clair qu’il a mis en place un leadership tr\u00e8s fort. Sur le plan \u00e9conomique, il serait stupide de ne pas reconna\u00eetre qu’il a r\u00e9ussi \u00e0 faire baisser le taux d’inflation tr\u00e8s \u00e9lev\u00e9 de l’Argentine ; et bien qu’aujourd’hui notre taux d’inflation soit encore tr\u00e8s \u00e9lev\u00e9, il est certainement beaucoup plus bas qu’il ne l’\u00e9tait lorsqu’il est arriv\u00e9. Il a remis de l’ordre dans le pays \u00e0 cet \u00e9gard.<\/p>\n\n\n\n

En m\u00eame temps \u2014 et cela concerne la question de savoir s’il est un bon \u00e9conomiste \u2014 les cons\u00e9quences du r\u00e9ajustement massif qu’il a apport\u00e9 \u00e0 l’\u00e9conomie existent et sont \u00e9galement visibles.<\/p>\n\n\n\n

Je pense que, comme l’a dit Marcelo, il existe une tension entre le Milei libertarien \u2014 qui se d\u00e9finit comme la taupe venue pour d\u00e9truire l’\u00c9tat de l’int\u00e9rieur \u2014 et le Milei pr\u00e9sident. Je ne pense pas quant \u00e0 moi qu’il faille d\u00e9truire l’\u00c9tat ; il doit effectivement \u00eatre modernis\u00e9, r\u00e9form\u00e9, rendu plus efficace et certainement r\u00e9duit \u00e0 bien des \u00e9gards \u2014 mais je ne partage pas ses id\u00e9aux libertariens.<\/p>\n\n\n\n

Sa politique \u00e9conomique n’est d\u2019ailleurs pas non plus une politique strictement libertarienne. C’est une politique plut\u00f4t h\u00e9t\u00e9rodoxe. Il existe une sorte de contr\u00f4le des changes, probablement pour des raisons justifi\u00e9es par l’impossibilit\u00e9 d’aller vers une libertarianisation totale. Mais l’Argentine a connu d’autres processus d’euphorie financi\u00e8re au cours de son histoire et ils se sont tous, t\u00f4t ou tard, mal termin\u00e9s. Bien s\u00fbr, il y a des gens pour croire que, cette fois-ci, cela ne sera pas le cas. D’autres, plus sceptiques ou plus pessimistes comme moi, ne voient pas de signes indiquant que ce qui s’est pass\u00e9 dans les ann\u00e9es 1970, \u00e0 l’\u00e9poque de la dictature militaire, ou ce qui s’est pass\u00e9 avec la fin de la convertibilit\u00e9, ou ce qui s’est pass\u00e9 dans le gouvernement de Macri en mars-avril 2018 avec la grande d\u00e9valuation, ne se reproduira pas.<\/p>\n\n\n\n

Il existe une tension entre le Milei libertarien \u2014 qui se d\u00e9finit comme la taupe venue pour d\u00e9truire l’\u00c9tat de l’int\u00e9rieur \u2014 et le Milei pr\u00e9sident.<\/p>Pablo Avelluto<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

N’oublions pas non plus que les moments d’euphorie engendrent g\u00e9n\u00e9ralement une certaine m\u00e9lancolie par la suite, comme cela s’est produit \u00e0 d’autres occasions, ou pire, une certaine col\u00e8re sociale. En d’autres termes : il y a sans aucun doute une promesse d’am\u00e9lioration de l’\u00e9conomie, mais il y a aussi des signes de d\u00e9t\u00e9rioration de celle-ci \u2014 en particulier dans de nombreuses variables sociales. Je dirais qu’\u00e0 ce niveau, de mon point de vue, nous ne sommes pas encore fix\u00e9s : les d\u00e9s ont \u00e9t\u00e9 jet\u00e9s \u2014 mais ils ne sont pas encore retomb\u00e9s. Je comprends que d’autres soient plus optimistes et je respecte leur point de vue ; en ce qui me concerne, je ne le suis pas autant.<\/p>\n\n\n\n

Et qu’en est-il du Milei politique ? <\/h3>\n\n\n\n

Son style de leadership me pr\u00e9occupe. Je suis d’accord avec Marcelo pour dire que Milei a rapidement appris \u00e0 maintenir un gouvernement qui ne comptait qu’une poign\u00e9e de d\u00e9put\u00e9s et quelques s\u00e9nateurs, en obtenant des lois et des approbations qui \u00e9taient tr\u00e8s importantes pour lui au cours d’une ann\u00e9e. Mais je ne peux pas passer sous silence les r\u00e9gressions. En particulier sur ce que je pense \u00eatre le v\u00e9ritable programme de Milei. Il ne s’agit pas seulement de la r\u00e9forme \u00e9conomique, de l’extinction du peso et de la dollarisation, mais de ce que les mil\u00e9istes appellent la guerre culturelle \u2014 sur laquelle Milei, comme d’autres forces d’extr\u00eame droite ailleurs dans le monde, s’appuie. C’est ce qu’ils ont finalement en commun, malgr\u00e9 de nombreuses diff\u00e9rences dans les programmes \u00e9conomiques, comme c’est le cas entre Trump et Milei, ou entre Milei et Vox, ou entre Orb\u00e1n et Meloni. Ils ne sont unis que par ce qu’ils per\u00e7oivent comme un d\u00e9clin de l’Occident et de ses valeurs. <\/p>\n\n\n\n

La tendance autoritaire de Milei s\u2019int\u00e8gre \u00e0 la mont\u00e9e d\u2019une extr\u00eame droite structur\u00e9e au plan international. Milei menace-t-il la d\u00e9mocratie en Argentine ?<\/h3>\n\n\n\n

Marcelo Duclos<\/h4>\n\n\n\n

On ne peut compl\u00e8tement ignorer la rh\u00e9torique ou les fa\u00e7ons de faire, surtout dans le cas d’un pr\u00e9sident. Mais il y a une chose qui va au-del\u00e0 : la traduction concr\u00e8te des politiques publiques et de ce que fait l’Etat. Si l’on parle, comme cela vient d\u2019\u00eatre \u2014 et comme je l’ai lu dans de nombreux m\u00e9dias \u00e9trangers \u2014 d’un Milei au style autoritaire, il faut regarder de plus pr\u00e8s. <\/p>\n\n\n\n

Milei est un pr\u00e9sident avec des caract\u00e9ristiques tr\u00e8s particuli\u00e8res qu’il ne m’appartient pas de juger.<\/p>\n\n\n\n

Plusieurs lib\u00e9raux avant Milei ont essay\u00e9 de s\u2019imposer en Argentine. Tous compl\u00e8tement incons\u00e9quents, sans aucun impact sur l’opinion publique. Maintenant que nous avons un pr\u00e9sident qui est devenu l’une des personnes les plus influentes du monde, en tant que lib\u00e9ral libertarien qui \u00e9crivait des articles sur l’\u00e9cole autrichienne dix ans avant Milei sans avoir aucun impact, je ne peux pas maintenant venir jouer au sommelier avec lui, en disant ce que j’aime et ce que je n’aime pas. <\/p>\n\n\n\n

Ce qui m’int\u00e9resse, c’est que \u2014 sans exag\u00e9ration \u2014 Milei a r\u00e9volutionn\u00e9 le monde. <\/p>\n\n\n\n

En mars, je pr\u00e9senterai mon livre Milei, la revoluci\u00f3n que no vieron venir<\/em> (Milei, la r\u00e9volution qu’ils n’ont pas vue venir)… au Japon. Tout simplement parce qu’ils sont tr\u00e8s int\u00e9ress\u00e9s par le sujet l\u00e0-bas.<\/p>\n\n\n\n

Aujourd’hui, nous avons un pr\u00e9sident qui est devenu l’une des personnes les plus influentes du monde.<\/p>Marcelo Duclos<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

Autre exemple : on dit que Milei serait contre la presse et contre les journalistes. Mais il faut regarder les faits de plus pr\u00e8s. Le pr\u00e9sident a r\u00e9duit le financement public des m\u00e9dias : il ne s’agit pas d’une attaque contre la presse, comme on l’a lu dans de nombreux milieux ; il s’agit simplement d’un privil\u00e8ge qui a \u00e9t\u00e9 supprim\u00e9. Nous, les journalistes, nous \u00e9tions habitu\u00e9s \u00e0 survivre gr\u00e2ce \u00e0 une infrastructure artificielle. D\u00e9sormais, les journalistes et les m\u00e9dias vont devoir s’adapter : comme les kiosquiers, les marchands de l\u00e9gumes, les bouchers, qui n’ont aucun privil\u00e8ge.<\/p>\n\n\n\n

Milei r\u00e9pond constamment aux journalistes. Et il le fait dans un style diff\u00e9rent de tous les autres pr\u00e9sidents. D’une certaine mani\u00e8re, je m’en r\u00e9jouis. Mais je pense que la presse traditionnelle n’a pas compris ce qui est en train de changer. Elle n’a pas accept\u00e9, par exemple, le r\u00f4le central des r\u00e9seaux sociaux qui ont horizontalis\u00e9 absolument tout, en rupture avec le discours unilat\u00e9ral du journalisme. Cela permet que des articles de journalistes connus puissent \u00eatre concurrenc\u00e9s par des publications moins \u00e9tablies. Une r\u00e9volution est en train de se produire dans le monde des m\u00e9dias et c’est une bonne chose. <\/p>\n\n\n\n

On ne peut donc pas dire que ce gouvernement soit contre la presse. \u00c0 cet \u00e9gard, les gouvernements kirchneristes pr\u00e9c\u00e9dents avaient bien davantage de probl\u00e8mes avec les journalistes. <\/p>\n\n\n\n

En ce qui concerne la comparaison historique que Pablo Avelluto a faite avec les ann\u00e9es 1970 et 1990, pensez-vous que la situation sera diff\u00e9rente cette fois-ci ?<\/h3>\n\n\n\n

Pour moi, la diff\u00e9rence entre la ferveur de ce qui se passe aujourd’hui et celle des ann\u00e9es 1970 et 1990 n’est pas une question d’opinion ou d’espoir. C’est une question de faits.<\/p>\n\n\n\n

Dans les ann\u00e9es 1970 comme dans les ann\u00e9es 1990, la question fiscale a \u00e9t\u00e9 sous-estim\u00e9e, la question du d\u00e9ficit a \u00e9t\u00e9 n\u00e9glig\u00e9e et les organisations internationales comme le Fonds mon\u00e9taire international et la Banque mondiale, lorsqu’il y a eu des r\u00e9formes \u2014 surtout dans les ann\u00e9es 1990, ont commenc\u00e9 \u00e0 couvrir le d\u00e9ficit.<\/p>\n\n\n\n

Jos\u00e9 Alfredo Mart\u00ednez de Hoz, ministre sous la dictature, raconte dans ses livres comment, avec un h\u00e9ritage compliqu\u00e9, ils se sont retrouv\u00e9s dans une situation dans laquelle ils \u00e9taient face \u00e0 ce qui \u00e9tait possible et ce qui \u00e9tait souhaitable. Il raconte \u00e9galement qu’apr\u00e8s l’avoir rencontr\u00e9, Hayek lui a dit que cela allait mal se terminer. S’ils proc\u00e9daient \u00e0 l’ajustement fiscal et aux corrections n\u00e9cessaires, le mal-\u00eatre social allait pousser les gens \u00e0 soutenir la gu\u00e9rilla. Par cons\u00e9quent, le gouvernement de l’\u00e9poque a opt\u00e9 pour le possible \u2014 et non pour le souhaitable.<\/p>\n\n\n\n

Nous savons tous comment cela s’est termin\u00e9. Milei a pratiquement combl\u00e9 la br\u00e8che \u00e9conomique en un an, mais parce que la question fiscale est en train d’\u00eatre corrig\u00e9e. Lors de sa campagne pr\u00e9sidentielle en 2013, Menem avait d\u00e9clar\u00e9 que nous avions commis une erreur en ne comblant pas le d\u00e9ficit. Mauricio Macri a fait la m\u00eame erreur que Mart\u00ednez de Hoz en optant pour le gradualisme.<\/p>\n\n\n\n

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