{"id":257070,"date":"2025-01-05T12:58:51","date_gmt":"2025-01-05T11:58:51","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=257070"},"modified":"2025-04-17T16:05:46","modified_gmt":"2025-04-17T14:05:46","slug":"retranslatio-imperii-la-tentation-imperiale-apres-le-deuxieme-partage-de-lukraine-selon-vladislav-sourkov","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2025\/01\/05\/retranslatio-imperii-la-tentation-imperiale-apres-le-deuxieme-partage-de-lukraine-selon-vladislav-sourkov\/","title":{"rendered":"‘Retranslatio Imperii’ : la tentation imp\u00e9riale apr\u00e8s \u00ab le deuxi\u00e8me partage de l\u2019Ukraine \u00bb selon Vladislav Sourkov"},"content":{"rendered":"\n
Vladislav Sourkov, que les lecteurs fran\u00e7ais connaissent dans la figure fictive du \u00ab mage du Kremlin \u00bb<\/a>, a longtemps \u00e9t\u00e9 \u00ab l\u2019\u00e9minence grise du Kremlin \u00bb, en charge notamment de la question ukrainienne au cours de la p\u00e9riode charni\u00e8re qui \u00e0 partir de 2013 vit \u00e0 la fois Ma\u00efdan, l\u2019annexion ill\u00e9gale de la Crim\u00e9e, la guerre du Donbass et les accords de Minsk. <\/p>\n\n\n\n Depuis 2020, et pour des raisons qui restent obscures, il a \u00e9t\u00e9 \u00e9cart\u00e9 des hautes sph\u00e8res du pouvoir, en ayant \u00e9t\u00e9 m\u00eame, semble-t-il, assign\u00e9 \u00e0 r\u00e9sidence en 2022. Il s\u2019est alors r\u00e9invent\u00e9 en tant que publiciste-id\u00e9ologue, en publiant r\u00e9guli\u00e8rement des articles en son nom. Dans un d\u00e9bat public russe qu’il a toutes les raisons de trouver ass\u00e9ch\u00e9 et ass\u00e9chant, Vladislav Sourkov entend proposer un discours alternatif, porter sur les \u00e9v\u00e9nements en cours un regard ample qui en restitue la signification secr\u00e8te, proposer des mots d’ordre analytiques et des mots clefs mobilisateurs pour la politique de demain. Le \u00ab mage du Kremlin \u00bb<\/a> se veut, en somme, le \u00ab sage \u00bb de la soci\u00e9t\u00e9 russe \u00e0 venir, faisant le pari qu\u2019il y aura une place pour une sorte de philosophe grand-russe par ces temps incertains.<\/p>\n\n\n\n Sa derni\u00e8re publication, plus dense que celle que nous avions reprise dans le dernier volume de la revue chez Gallimard<\/a>, cherche \u00e0 d\u00e9finir les cons\u00e9quences strat\u00e9giques plan\u00e9taires qui suivront \u00ab la seconde partition de l\u2019Ukraine \u00bb, \u00e0 savoir le trait\u00e9 qui permettra d\u2019annexer des territoires ukrainiens \u00e0 la Russie.<\/p>\n\n\n\n L’argument est simple : l’ensemble des puissances contemporaines se projettent d\u00e9sormais dans un espace \u00ab sans fronti\u00e8res \u00bb. De Donald Trump avec le Groenland<\/a>, le Panama et le Canada, \u00e0 Erdogan avec la Syrie des pulsions imp\u00e9rialistes apparemment enterr\u00e9es ressurgissent partout dans le monde, avec des succ\u00e8s in\u00e9gaux, mais une tendance commune : l\u2019imitation de Poutine et de la Russie. <\/p>\n\n\n\n Pour ce conseiller d\u00e9chu, il faut donc r\u00e9v\u00e9ler aujourd\u2019hui le sens cach\u00e9 de l\u2019op\u00e9ration qu\u2019il a initi\u00e9e \u00e0 l’int\u00e9rieur des imposants murs de briques rouges du Kremlin. <\/p>\n\n\n\n Par une op\u00e9ration d\u2019alchimie th\u00e9ologico-politique, la Russie de Poutine a-t-elle rendu la forme imp\u00e9riale contemporaine ? Non pas une translatio imperii<\/em>, mais \u2014 comme avec une nouvelle traduction d’un vieux Dosto\u00efevski \u2014, une retranslatio imperii<\/em>.<\/p>\n\n\n\n Il y aura deux cons\u00e9quences strat\u00e9giques au second partage de l\u2019Ukraine qui s\u2019annonce aujourd\u2019hui \u2014 le premier ayant \u00e9t\u00e9 effectivement consacr\u00e9 par les accords de Minsk.<\/p>\n\n\n\n Le moment politiquement le plus sensible du texte de Vladislav Sourkov est celui-ci. En \u00e9voquant le \u00ab second partage de l\u2019Ukraine \u00bb, une prochaine n\u00e9gociation permettant \u00e0 la Russie d\u2019avaler une partie du territoire ukrainien, il admet, de nouveau publiquement, que les accords de Minsk de 2014 ont eu valeur, aux yeux de Poutine et de la Russie, de \u00ab premi\u00e8re partition de l\u2019Ukraine \u00bb. <\/p>\n\n\n\n Ce n\u2019est pas la premi\u00e8re fois que l\u2019ancien conseiller du pr\u00e9sident de la Russie r\u00e9v\u00e8le la supercherie du narratif russe. Dans une tr\u00e8s courte interview publi\u00e9e il y a un an sur une cha\u00eene Telegram russe, il avait d\u00e9j\u00e0 affirm\u00e9, contre la position du Kremlin, que la reprise de la guerre en Ukraine n’\u00e9tait pas li\u00e9e \u00e0 la non-application de Minsk 2 par Kiev, un argument pourtant central de la propagande russe. <\/p>\n\n\n\n Une dizaine d\u2019ann\u00e9e plus tard il ne reste plus grand-chose de la mauvaise foi des personnes qui affirment en 2015, \u00e0 la mani\u00e8re de Viktor Litovkin, directeur de la section militaire de l\u2019agence de presse russe TASS, que le conflit en Ukraine de l\u2019Est \u00e9tait \u00ab une guerre civile entre le pouvoir nationaliste [de Kiev], qui a pris la t\u00eate du pays apr\u00e8s un coup d\u2019\u00c9tat, et les milices du Donbass, qui refusent de vivre dans un pays qui les prive du droit de parler leur propre langue \u00bb. Vladimir Poutine lui-m\u00eame proclamait, en 2018 encore : \u00ab le conflit ne peut \u00eatre r\u00e9solu que par des \u00e9changes entre Kiev et les repr\u00e9sentants des r\u00e9publiques populaires de Donetsk et de Lugansk \u00bb, excluant du m\u00eame coup l\u2019id\u00e9e qu\u2019une quelconque \u00ab partition \u00bb de l\u2019Ukraine aurait eu lieu. <\/p>\n\n\n\n Vladislav Sourkov affirmait au Financial Times<\/em> : \u00ab Je suis fier d’avoir particip\u00e9 \u00e0 la reconqu\u00eate. C’\u00e9tait la premi\u00e8re contre-attaque g\u00e9opolitique ouverte de la Russie contre l’Occident et une contre-attaque aussi d\u00e9cisive \u00bb.<\/p>\n\n\n\n La premi\u00e8re cons\u00e9quence naturelle de notre victoire sera le ralentissement de la pouss\u00e9e orientale (osternizacija<\/em>) forc\u00e9e de la Russie. <\/p>\n\n\n\n Vladislav Sourkov emploie ici la dichotomie pseudo-technique d\u2019osternizacija<\/em>, par opposition \u00e0 vesternizacija<\/em>, fond\u00e9e sur les racines allemandes Ost<\/em> et West<\/em>, que l\u2019on retrouve dans certaines \u00e9tudes d\u2019histoire de la Russie m\u00e9di\u00e9vale et que l\u2019on rendrait difficilement par le terme \u00ab orientalisation \u00bb (lequel existe bel et bien en russe sous la forme orientalizacija<\/em>).<\/p>\n\n\n\n L\u2019enjeu ne consiste pas ici \u00e0 restaurer un occidentalisme vulgaire, mais bien \u00e0 diminuer raisonnablement la pente asiatique du pays. Apr\u00e8s tout, c\u2019est bien vers l\u2019Ouest que l\u2019op\u00e9ration militaire sp\u00e9ciale, au sens g\u00e9opolitique, \u00e9largit notre territoire, en ouvrant, si l\u2019on peut dire, une nouvelle fen\u00eatre sur l\u2019Europe.<\/p>\n\n\n\n