<\/strong>Juste apr\u00e8s la guerre, en 1944, les \u00c9tats ont sign\u00e9 la convention de Chicago qui avait pour vocation \u00e0 la fois de rendre le ciel accessible \u00e0 tout le monde mais aussi d\u2019\u00e9tablir un standard de s\u00e9curit\u00e9 \u00e9lev\u00e9, qui a \u00e9t\u00e9 revu au fil du temps jusqu’\u00e0 atteindre le niveau d’aujourd’hui.<\/p>\n\n\n\nPour la d\u00e9carbonation, nous aurions besoin de la m\u00eame chose : un standard qui soit le m\u00eame pour tout le monde y compris sur les carburants durables, et plus g\u00e9n\u00e9ralement pour la trajectoire de d\u00e9carbonation.<\/p>\n\n\n\n
Qu\u2019est-ce qui complique son adoption ?<\/h3>\n\n\n\n Nous n\u2019avons pas encore de cadre r\u00e9glementaire commun concernant la d\u00e9carbonation de l’aviation au niveau de l’Organisation de l’aviation civile internationale. Nous ne nous sommes pas non plus mis d\u2019accord sur une feuille de route globale pour l\u2019adoption des carburants durables. Les m\u00e9thodes employ\u00e9es par chaque pays sont tr\u00e8s diff\u00e9rentes les unes des autres \u2014 ce qui ralentit beaucoup l’adoption.<\/p>\n\n\n\n
Nous sommes donc dans une situation o\u00f9 non seulement les Europ\u00e9ens doivent trouver un accord entre eux, mais o\u00f9 ils doivent aussi \u00eatre conscients de l’importance d’avoir un accord mondial pour faire des compromis avec les autres grands acteurs. M\u00eame s’il n’est pas parfait, un compromis mondial sera d\u00e9j\u00e0 meilleur qu\u2019un excellent syst\u00e8me europ\u00e9en diff\u00e9rent des autres, qui ralentit de fait la transformation au niveau global.<\/p>\n\n\n\n
La trajectoire de d\u00e9carbonation dans l\u2019a\u00e9rien peut prendre deux voies : les carburants a\u00e9ronautiques durables que vous venez de mentionner et l\u2019innovation de pointe pour aller vers des appareils \u00e0 z\u00e9ro \u00e9missions nettes \u2014 comme l\u2019avion \u00e0 hydrog\u00e8ne. Quelle est la priorit\u00e9 ?<\/h3>\n\n\n\n Chez Airbus, nous travaillons sur ces deux grands leviers qui permettront de d\u00e9carboner le secteur : le premier, qui est le plus consensuel, concerne l\u2019utilisation des carburants d\u2019aviation durables \u2014 les \u00ab SAF \u00bb. Il s\u2019agit d\u2019un secteur d’innovation et d’investissement compl\u00e8tement nouveau, qui porte par ailleurs \u00e9norm\u00e9ment d’opportunit\u00e9s \u00e0 condition qu\u2019il y ait un cadre r\u00e9glementaire stable. Ces SAF peuvent \u00eatre de diff\u00e9rentes natures : soit des biocarburants, soit des carburants de synth\u00e8se pour lesquels on vient pr\u00e9lever du carbone dans l\u2019air pour l\u2019associer avec de l\u2019hydrog\u00e8ne. Ces SAF contribueront pour plus de la moiti\u00e9 \u00e0 la trajectoire de d\u00e9carbonation d\u2019ici \u00e0 2050 et pourront \u00eatre employ\u00e9s par les avions \u00ab conventionnels \u00bb qui volent d\u00e9j\u00e0 aujourd\u2019hui.<\/p>\n\n\n\n
L\u2019autre levier, c\u2019est l\u2019avion \u00e0 hydrog\u00e8ne, et donc qui n\u2019\u00e9met pas de carbone, ni dans son utilisation, ni dans la production de son carburant si l\u2019on utilise de l\u2019hydrog\u00e8ne vert. Il s\u2019agira d\u2019avions, d\u2019une r\u00e9glementation et d\u2019une infrastructure compl\u00e8tement diff\u00e9rents.<\/p>\n\n\n\n
Cette transformation suppose aussi la mont\u00e9e en puissance de cette fili\u00e8re industrielle qu\u2019est l’hydrog\u00e8ne vert. C’est tr\u00e8s prometteur \u2014 mais lointain. Notre objectif est de mettre en service le premier avion commercial de ce type \u00e0 l\u2019horizon 2035. Mais pour le moment, cela ne r\u00e9pond pas \u00e0 l’urgence de trouver des solutions.<\/p>\n\n\n\n
Dans les deux cas, la d\u00e9carbonation du secteur a\u00e9rien suppose d\u2019importants investissements. Attendez-vous des programmes publics europ\u00e9ens \u2014 dont on pourrait penser qu\u2019ils sont pertinents sur un march\u00e9 aussi strat\u00e9gique et avec si peu d\u2019acteurs au niveau mondial \u2014 ou misez-vous plut\u00f4t sur des financements priv\u00e9s ?<\/h3>\n\n\n\n Ce qui est le plus important, c\u2019est de cr\u00e9er un cadre r\u00e9glementaire qui donne envie \u00e0 l’argent priv\u00e9 d\u2019affluer. Je ne dis pas que l\u2019argent public n’est pas n\u00e9cessaire ou qu’il n’est pas souhaitable \u2014 mais cela reste de l\u2019argent du contribuable. En termes de proportion, il faut \u00eatre capable de mobiliser l\u2019immense r\u00e9serve d’investissement priv\u00e9. Car une grande partie de ceux qui d\u00e9tiennent cet argent veulent d’aller vers les investissements de la transition \u00e9nerg\u00e9tique. Nous sommes tous convaincus que c’est le futur. Le r\u00e9chauffement climatique est une r\u00e9alit\u00e9 : tout le monde le sait, tout le monde le voit, les chiffres sont l\u00e0, tout comme le consensus scientifique. Il y a plus de doute possible.<\/p>\n\n\n\n
Cela exige une r\u00e9volution dans les investissements. Mais les investisseurs sont encore trop r\u00e9ticents parce que le cadre r\u00e9glementaire est fragment\u00e9 et instable. Il n’est pas compl\u00e8tement d\u00e9fini. Autrement dit : les conditions d\u2019un investissement massif et stable ne sont pas r\u00e9unies. La premi\u00e8re chose \u00e0 faire, c\u2019est donc d\u2019\u00e9riger un cadre r\u00e9glementaire coh\u00e9rent et qui pr\u00e9sente les garanties de la stabilit\u00e9 pour \u00eatre capable de faire en sorte que l\u2019\u00e9norme masse d\u2019argent qui ne demande qu\u2019\u00e0 \u00eatre investi se dirige dans la d\u00e9carbonation.<\/p>\n\n\n\n
Chez Airbus, nous voulons \u00eatre le catalyseur du d\u00e9veloppement des carburants durables et nous le faisons par de nombreux leviers \u2014 y compris \u00e0 travers des petits investissements avec d’autres partenaires lorsque cela permet de f\u00e9d\u00e9rer les \u00e9nergies pour faire \u00e9merger un projet.<\/p>\n\n\n\n
Enfin, il nous faut un syst\u00e8me de financement de l’innovation par de l’argent priv\u00e9 qui trouve son compte dans des retours sur investissement. Or tous les gens qui veulent investir dans l\u2019innovation, avec un certain degr\u00e9 de risque mais avec un bon retour regardent vers les \u00c9tats-Unis.<\/p>\n\n\n\n
Quel serait dans ce sc\u00e9nario le r\u00f4le des financements publics ? <\/h3>\n\n\n\n Sur certains sujets, il sera difficile de pr\u00e9parer un mod\u00e8le de rentabilit\u00e9 qui tienne suffisamment la route pour les investisseurs. Il faudra donc que l’\u00c9tat vienne amorcer des investissements dans des technologies qui, au d\u00e9but, ne seront pas rentables. Les montants \u2014 les 800 milliards par an du rapport Draghi abondamment comment\u00e9s \u2014 ne doivent pas nous faire peur. Quand je vois ce que l\u2019on a \u00e9t\u00e9 capables de mobiliser en tr\u00e8s peu de temps pour la pand\u00e9mie, je n\u2019ai aucun doute : notre capacit\u00e9 de mobilisation financi\u00e8re est \u00e9norme.<\/p>\n\n\n\n
Le probl\u00e8me auquel nous sommes confront\u00e9s, c’est qu\u2019alors que les niveaux de dette sont d\u00e9j\u00e0 toxiques, nous arrivons dans le m\u00eame temps \u00e0 un moment o\u00f9 l\u2019on prend conscience qu’il faut beaucoup investir. Je ne suis pas capable d’avoir un avis personnel sur les montants qui sont avanc\u00e9s dans le rapport Draghi \u2014 mais les ordres de grandeur ne me choquent pas. Je comprends toutefois qu\u2019ils fassent peur aux \u00c9tats membres compte tenu de leur situation d’endettement. Le mod\u00e8le social que nous avons, notamment en France, est en train de devenir de plus en plus difficilement finan\u00e7able. Si l\u2019on veut en plus financer la transition \u00e9cologique, avoir des entreprises qui sont performantes et traverser positivement cette transformation, il va falloir changer des param\u00e8tres de l’\u00e9quation.<\/p>\n\n\n\nLes 800 milliards par an du rapport Draghi abondamment comment\u00e9s ne doivent pas nous faire peur.<\/p>Guillaume Faury<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\nNous sommes donc favorables \u00e0 l\u2019investissement public, dans la mesure du possible et dans le cadre d’une r\u00e9glementation commune. Sur un certain nombre de sujets, comme les carburants d’aviation durables, une r\u00e9glementation unique est vraiment dans l\u2019int\u00e9r\u00eat de tous. Il faut continuer \u00e0 travailler pour que tout ce qui a \u00e9t\u00e9 mis en place aux \u00c9tats-Unis, en Chine et en Europe converge au niveau concurrentiel, afin que tout le monde puisse jouer sur le m\u00eame terrain.<\/p>\n\n\n\n
Il y a in\u00e9vitablement une g\u00e9opolitique de cette transition \u2014 le r\u00e9cent vote sur les v\u00e9hicules \u00e9lectriques au Conseil a bien montr\u00e9 \u00e0 quel point la politique \u00e0 adopter vis-\u00e0-vis de la Chine \u00e9tait un point de contentieux tr\u00e8s fort entre les \u00c9tats membres. Depuis deux ans, les \u00c9tats-Unis ont brutalement secou\u00e9 les choses avec l\u2019IRA. \u00c9tait-ce la bonne m\u00e9thode ?<\/h3>\n\n\n\n De mani\u00e8re assez explicite, ce n\u2019est pas celle que l\u2019Europe a retenue : l\u2019Union a choisi la r\u00e9glementation et la taxation. Dans l\u2019absolu, je ne suis pas contre. Une taxe qui vient changer les param\u00e8tres pour inciter \u00e0 aller dans la bonne direction ou favoriser l’\u00e9mergence d’une technologie par rapport aux autres n’est pas forc\u00e9ment mauvaise. La r\u00e9glementation est aussi la bienvenue \u2014 dans le domaine de la s\u00e9curit\u00e9 par exemple, nous sommes les premiers \u00e0 vouloir continuer \u00e0 l\u2019am\u00e9liorer.<\/p>\n\n\n\n
Pour autant, ce qui a \u00e9t\u00e9 fait en Europe jusqu\u2019\u00e0 pr\u00e9sent n\u2019est pas n\u00e9cessairement b\u00e9n\u00e9fique \u00e0 la comp\u00e9titivit\u00e9 par rapport \u00e0 d’autres mod\u00e8les. Ce qui a \u00e9t\u00e9 choisi par les Am\u00e9ricains est \u00e0 l’oppos\u00e9 car leur r\u00e9glementation est bas\u00e9e sur l\u2019incitation. Ils agitent la carotte l\u00e0 o\u00f9 l’Europe fait usage du b\u00e2ton. En r\u00e9alit\u00e9, il faudrait probablement une combinaison des deux : une r\u00e9glementation qui incite \u00e0 cr\u00e9er un level playing field<\/em> plut\u00f4t que d\u2019accentuer le foss\u00e9. Si elle est mondiale, elle sera positive. De plus, elle sera vertueuse si elle est men\u00e9e de fa\u00e7on progressive.<\/p>\n\n\n\nUn reproche est souvent fait \u00e0 l\u2019Union \u00e0 ce propos : on interdit la vente de voitures neuves \u00e0 moteurs thermique pour 2035 sans politique industrielle pour permettre le d\u00e9veloppement du secteur ; on d\u00e9pense des milliards pour le secteur \u00e9nerg\u00e9tique depuis l\u2019invasion de l\u2019Ukraine \u2014 sans d\u00e9bloquer les investissements n\u00e9cessaires dans la transition\u2026 Les politiques europ\u00e9ennes ont-elles un probl\u00e8me de coh\u00e9rence ?<\/h3>\n\n\n\n Dans la politique, comme dans une entreprise, on passe son temps \u00e0 g\u00e9rer des contradictions. Les hommes et les femmes politiques qui sont au pouvoir aujourd’hui ont face \u00e0 eux un champ de contraintes et de contradictions \u00e0 g\u00e9rer assez exceptionnel \u2014 et donc tr\u00e8s difficile.<\/p>\n\n\n\n
Pour arriver \u00e0 les g\u00e9rer, il faut \u00e9tablir des priorit\u00e9s \u2014 sinon, on ne s’en sort pas. L\u2019Europe a besoin de priorit\u00e9s claires et, sur ces priorit\u00e9s, d’\u00eatre forte et de ne pas distribuer, essaimer ou semer les contradictions en laissant les \u00e9cosyst\u00e8mes se d\u00e9brouiller. Il y a besoin de leadership<\/em>, de clart\u00e9 et de sens des priorit\u00e9s. C\u2019est ce que fait le rapport Draghi.<\/p>\n\n\n\nAujourd’hui, le champ de la comp\u00e9tition est mondial. D\u2019autres acteurs autour de nous ont cr\u00e9\u00e9 de nouvelles r\u00e8gles du jeu en ayant cess\u00e9 depuis longtemps de respecter les anciennes. Il faut s\u2019adapter \u00e0 cette nouvelle situation si nous voulons revenir dans le jeu mondial. Pour r\u00e9ussir, il faut aussi lever une autre incoh\u00e9rence, plus insidieuse : le fait que les \u00c9tats membres ont pris l\u2019habitude de faire faire \u00e0 l’Europe le \u00ab sale boulot \u00bb. Ils y contribuent et se positionnent ensuite contre l’Europe pour essayer d’\u00eatre du bon c\u00f4t\u00e9 de l’\u00e9quation et se positionner favorablement en national vis-\u00e0-vis de leurs \u00e9lectorats.. Il faut \u00eatre plus clair sur la distinction entre l’action nationale et l’action europ\u00e9enne pour ne pas donner l\u2019impression que seuls nos \u00e9checs seraient europ\u00e9ens.<\/p>\n\n\n\nIl y a besoin de leadership<\/em>, de clart\u00e9 et de sens des priorit\u00e9s. C\u2019est ce que fait le rapport Draghi.<\/p>Guillaume Faury<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\nAirbus s\u2019est fortement positionn\u00e9 sur les march\u00e9s \u00e9mergents aupr\u00e8s des pays dits du \u00ab Sud \u00bb. La g\u00e9ographie du secteur est-elle en train de changer \u2014 en termes de vente mais aussi de cha\u00eene de valeurs avec l\u2019\u00e9mergence de nouveaux acteurs le long de la cha\u00eene de production ?<\/h3>\n\n\n\n Dans l’a\u00e9ronautique comme dans l\u2019industrie en g\u00e9n\u00e9ral, on assiste \u00e0 l’\u00e9mergence de l’Inde ainsi que d’autres pays d’Asie du Sud-Est. <\/p>\n\n\n\n
Le rapport Draghi d\u00e9crit bien cette tendance. Il y a une baisse syst\u00e9matique de la proportion de la richesse mondiale g\u00e9n\u00e9r\u00e9e par l’Europe face \u00e0 une \u00e9mergence toujours plus affirm\u00e9e de l’Asie. Ce qui est surprenant et spectaculaire, c’est que les \u00c9tats-Unis, avec la population qu’ils ont, arrivent \u00e0 garder un niveau de g\u00e9n\u00e9ration de richesse stable dans l\u2019\u00e9quation mondiale. La raison principale \u2014 l\u00e0 encore, on s\u2019appuie sur le rapport Draghi \u2014 c’est que le mod\u00e8le de capitalisme d’innovation am\u00e9ricain est extr\u00eamement puissant.<\/p>\n\n\n\n
La Chine utilise d’autres leviers \u2014 peut-\u00eatre pas aussi puissants dans la dur\u00e9e que le levier am\u00e9ricain \u2014 mais qui ont tr\u00e8s bien fonctionn\u00e9 ces vingt derni\u00e8res ann\u00e9es. On l\u2019a vu dans le domaine de l\u2019a\u00e9ronautique avec l\u2019arriv\u00e9e de l\u2019avionneur chinois Comac. <\/p>\n\n\n\n
En Am\u00e9rique latine, il y a le br\u00e9silien Embraer, sur le bas du segment de l’aviation commerciale. Il s\u2019agit d\u2019un acteur qui prend de plus en plus d\u2019importance et qu\u2019il ne faut pas sous-estimer.<\/p>\n\n\n\n
Nous sommes donc d\u00e9finitivement sortis d\u2019un monde o\u00f9 il n’y avait qu\u2019Airbus et Boeing.<\/p>\n\n\n\n
L\u2019\u00e9mergence de ces nouveaux acteurs s\u2019int\u00e8gre \u00e0 des cha\u00eenes de valeur qui sont de toute fa\u00e7on mondiales : si l’\u00e9cosyst\u00e8me \u00e9tait pendant tr\u00e8s longtemps nord-atlantique, c\u2019est-\u00e0-dire orient\u00e9 autour de l\u2019Europe et des \u00c9tats-Unis, on constate qu\u2019il est en train de cro\u00eetre dans sa dimension asiatique \u2014 m\u00eame si les technologies de l\u2019aviation et de l\u2019a\u00e9rospatial sont encore tr\u00e8s occidentales.<\/p>\n\n\n\n
Quelles sont les le\u00e7ons d\u2019Airbus dont d\u2019autres fili\u00e8res industrielles pourraient s\u2019inspirer au niveau europ\u00e9en ?<\/h3>\n\n\n\n Dans bien des domaines, le dilemme est simple : ou bien on travaille ensemble, ou bien on meurt \u2014 en tout cas, on se marginalise.<\/p>\n\n\n\n
C\u2019est en dehors de mon domaine de comp\u00e9tence mais je dirais que l’\u00e9nergie est dans cette situation, de m\u00eame que les t\u00e9l\u00e9coms. Dans un domaine plus proche : l’espace a sans doute besoin d’effets d’\u00e9chelle \u2014 nous y accusons le coup \u00e0 cause de trop petits investissements par rapport aux \u00c9tats-Unis. On voit des acteurs comme l’Inde \u00e9merger fortement. La Chine, elle aussi, investit \u00e9norm\u00e9ment dans le domaine spatial, institutionnel et militaire.<\/p>\n\n\n\n
\u00ab Lente agonie \u00bb ou \u00ab changement radical \u00bb en somme\u2026<\/h3>\n\n\n\n Oui \u2014 a fortiori<\/em> dans les domaines \u00e9mergents, qui n\u00e9cessitent des investissements absolument colossaux, comme les constellations par exemple. <\/p>\n\n\n\nLes Am\u00e9ricains parviennent \u00e0 n\u00e9gocier ce changement en faisant des investissements consid\u00e9rables, essentiellement priv\u00e9s mais pas uniquement. De tr\u00e8s importants investissements du D\u00e9partement de la d\u00e9fense permettent de faire des choses que les \u00c9tats \u2014 ni individuellement, ni ensemble \u2014 ne parviennent \u00e0 faire \u00e0 l\u2019\u00e9chelle de l\u2019Union. Il y a certes un foss\u00e9 dans l\u2019innovation, mais n\u2019oublions pas que si l\u2019on ne voit pas d\u2019acteurs comme SpaceX, Starlink ou Amazon en Europe, c\u2019est parce que l\u2019on n\u2019a pas voulu les laisser \u00e9merger. <\/p>\n\n\n\n
Le choix radical, selon moi, c\u2019est d\u2019accepter de vouloir faire \u00e9merger des acteurs tr\u00e8s grands et tr\u00e8s puissants, en comprenant qu\u2019ils puissent susciter des retours sur investissement tr\u00e8s importants. C\u2019est la seule mani\u00e8re aujourd\u2019hui d\u2019attirer de l\u2019investissement priv\u00e9. Si l\u2019on ne veut pas qu’ils gagnent d’argent, si l\u2019on veut qu’ils restent petits, morcel\u00e9s, alors nous stagnerons \u2014 puis nous d\u00e9clinerons.<\/p>\n\n\n\nDans bien des domaines, le dilemme est simple : ou bien on travaille ensemble, ou bien on meurt \u2014 en tout cas, on se marginalise.<\/p>Guillaume Faury<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\nDe Saint-Exup\u00e9ry \u00e0 Top Gun<\/em>, l\u2019avion a longtemps habit\u00e9 les imaginaires de mani\u00e8re disproportionn\u00e9e par rapport au temps que la plupart des gens y passent r\u00e9ellement. Cette repr\u00e9sentation positive semble \u00eatre en train de basculer : en Europe, il est de plus en plus associ\u00e9 \u00e0 la pollution et aux \u00e9missions de gaz \u00e0 effets de serre. Avez-vous une strat\u00e9gie pour tenter de renverser cette tendance ?<\/h3>\n\n\n\nCette vision est tr\u00e8s occidentale. En dehors de l\u2019Europe, l’aspiration \u00e0 l’aviation est \u00e9norme. C’est peut-\u00eatre en effet notre tort de ne pas y donner assez d’importance, mais il y a une grande partie de la population mondiale qui r\u00eave de voler.<\/p>\n\n\n\n
Non seulement l\u2019imaginaire n’a pas chang\u00e9, mais je dirais qu\u2019il se d\u00e9ploie maintenant ailleurs, avec l’acc\u00e8s pour les classes moyennes aux vols en Asie par exemple. C’est une nouveaut\u00e9. En Am\u00e9rique du Sud, c’est encore en train de se d\u00e9mocratiser, tout comme en Afrique.<\/p>\n\n\n\n
Il ne faut donc pas perdre de vue la dimension tr\u00e8s fortement locale de ce ph\u00e9nom\u00e8ne, qui a commenc\u00e9 au nord de l\u2019Europe \u2014 en 2018, alors que le ph\u00e9nom\u00e8ne Greta Thunberg \u00e9tait au plus haut, les Su\u00e9dois prenaient en moyenne cinq fois plus l\u2019avion que dans le reste de l\u2019Europe. Et le trafic domestique continue d\u2019augmenter d\u2019ann\u00e9e en ann\u00e9e en Su\u00e8de depuis la crise Covid. Il y a donc une logique \u00e0 ce que ce soient les Europ\u00e9ens qui les premiers aient \u00e9t\u00e9 sensibles \u00e0 cette question. Mais globalement, partout ailleurs, la demande est encore tr\u00e8s sup\u00e9rieure \u00e0 l\u2019offre et c\u2019est ce qui permet \u00e0 l’aviation d\u2019\u00eatre dans une dynamique de croissance tr\u00e8s forte. Cela fait peser sur nous une immense responsabilit\u00e9, car il n\u2019est pas question de cro\u00eetre sans d\u00e9carboner. C\u2019est donc une mani\u00e8re de nous mettre la pression d\u2019une mani\u00e8re positive : nous sommes convaincus de la n\u00e9cessit\u00e9 de d\u00e9carboner l\u2019aviation tout comme nous sommes convaincus de la n\u00e9cessit\u00e9 d\u2019un d\u00e9bat \u2014 mais il doit se faire sur des bases saines. Aujourd\u2019hui, l\u2019aviation repr\u00e9sente 2,5 % des \u00e9missions de carbone. C\u2019est beaucoup \u2014 mais une grande partie de la population pense que c\u2019est bien plus. Lorsqu\u2019on pose la question : combien de litres aux cent kilom\u00e8tres par passager ? Les r\u00e9ponses t\u00e9moignent souvent d\u2019une d\u00e9connexion avec les chiffres r\u00e9els. Aujourd\u2019hui, un A321 qui sort de nos cha\u00eenes de production, rempli \u00e0 80 % sur un trajet de 1500 kilom\u00e8tres \u2014 c\u2019est-\u00e0-dire la moyenne qu\u2019on observe en Europe \u2014 c\u2019est deux litres de carburant aux cent kilom\u00e8tres. Pour un m\u00eame trajet en voiture, il faut trois passagers \u2014 l\u00e0 o\u00f9 la moyenne du nombre de passagers en voiture est plut\u00f4t comprise entre 1 et 1,5.<\/p>\n\n\n\n
Il faut donc remettre les choses \u00e0 leur place et arr\u00eater, en Europe en particulier, de vouloir faire exploser ce qui fonctionne \u2014 nous avons peu de secteurs comme l\u2019a\u00e9ronautique o\u00f9 nous pouvons nous targuer d\u2019\u00eatre leader mondial. Aux \u00c9tats-Unis \u2014 o\u00f9 Airbus est vu \u00e0 la fois comme un concurrent et comme un client important \u2014 on se pose la question en des termes diff\u00e9rents : comment faire pour que cela fonctionne mieux ?<\/p>\n\n\n\n
J’aimerais avoir cette discussion en Europe.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"
Innover, d\u00e9carboner, s\u00e9curiser. Exception europ\u00e9enne dans un \u00e9chiquier marqu\u00e9 par les g\u00e9ants de la rivalit\u00e9 sino-am\u00e9ricaine, l\u2019avionneur Airbus est au c\u0153ur des domaines d\u2019action identifi\u00e9s par le rapport Draghi. Afin de comprendre comment cette industrie se pr\u00e9pare au prochain cycle, nous avons interrog\u00e9 son pr\u00e9sident ex\u00e9cutif : pour \u00e9viter la \u00ab lente agonie \u00bb, il appelle \u00e0 changer de m\u00e9thode \u2014 et \u00e0 provoquer des incitations.<\/p>\n","protected":false},"author":10,"featured_media":249454,"comment_status":"closed","ping_status":"closed","sticky":false,"template":"templates\/post-interviews.php","format":"standard","meta":{"_acf_changed":true,"_trash_the_other_posts":false,"footnotes":""},"categories":[4028],"tags":[],"geo":[1917],"acf":[],"yoast_head":"\n
\u00abSoit on travaille ensemble, soit on meurt\u00bb, une conversation avec Guillaume Faury, pr\u00e9sident ex\u00e9cutif d\u2019Airbus | Le Grand Continent<\/title>\n \n \n \n \n \n \n \n \n \n \n \n\t \n\t \n\t \n \n \n \n \n\t \n\t \n\t \n