{"id":249427,"date":"2024-10-27T12:45:08","date_gmt":"2024-10-27T11:45:08","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=249427"},"modified":"2024-10-27T13:01:58","modified_gmt":"2024-10-27T12:01:58","slug":"lelection-sans-fin-5-points-sur-quatre-ans-de-chaos-politique-en-bulgarie","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2024\/10\/27\/lelection-sans-fin-5-points-sur-quatre-ans-de-chaos-politique-en-bulgarie\/","title":{"rendered":"L\u2019\u00e9lection sans fin : comprendre quatre ans de chaos politique en Bulgarie"},"content":{"rendered":"\n

1 \u2014 G\u00e9n\u00e9alogie d\u2019une col\u00e8re<\/h2>\n\n\n\n

Le 7 juillet 2020, Hristo Ivanov et deux autres militants du parti d\u2019opposition \u00ab Bulgarie d\u00e9mocratique \u00bb conduisent leur petit bateau \u00e0 moteur vers une plage de Bourgas, sur la Mer Noire. En plein jour, leur petite embarcation longe la marina qui s\u2019\u00e9tend devant la luxueuse r\u00e9sidence d’Ahmed Dogan, pr\u00e9sident d\u2019honneur du Mouvement pour les droits et les libert\u00e9s. Le bateau s\u2019approche de la plage caillouteuse et Ivanov en descend, dans une mise en sc\u00e8ne un peu pataude, un drapeau bulgare \u00e0 la main. La plage sur laquelle il vient de d\u00e9barquer est officiellement un terrain public, auquel tout citoyen bulgare est en droit d\u2019acc\u00e9der. Il entend faire exercice de ce droit.<\/p>\n\n\n\n

La sc\u00e8ne qui suit, retransmise en direct sur les r\u00e9seaux sociaux, voit l\u2019intervention de trois hommes en bermuda et lunettes noires. Le premier, talkie-walkie en main, invite fermement les activistes \u00e0 quitter les lieux : le terrain, insiste-t-il, est priv\u00e9. Ivanov insiste pour que les gardes s\u2019identifient, mais ils refusent. Ivanov parlemente, plante maladroitement son drapeau qu\u2019il cale avec une pierre, mais bient\u00f4t les gardes les bousculent et les repoussent. Plong\u00e9s dans l\u2019eau jusqu\u2019\u00e0 la taille, Ivanov et ses coll\u00e8gues attendent, vingt minutes durant, l\u2019arriv\u00e9e de la police \u2014 leur cam\u00e9ra toujours en train de filmer. Lorsque les deux agents en uniforme d\u00e9barquent, les activistes regagnent la plage et voient leur identit\u00e9 contr\u00f4l\u00e9e ; \u00e0 l\u2019arri\u00e8re-plan, le drapeau bulgare est d\u00e9sormais \u00e0 terre. Lorsque la vid\u00e9o s\u2019ach\u00e8ve, Ivanov est sur la berge. Les gardes se tiennent en ordre dispers\u00e9 \u00e0 quelques pas de distance, l\u2019un d\u2019eux \u00e9change dans le fond de l\u2019image avec les policiers.<\/p>\n\n\n\n

Le lendemain, le pr\u00e9sident socialiste Roumen Radev r\u00e9v\u00e9lera que les gardes qui avaient rejet\u00e9 \u00e0 l\u2019eau Ivanov et ses coll\u00e8gues \u00e9taient des membres du Service de s\u00e9curit\u00e9 nationale, un corps public charg\u00e9 de la protection des \u00e9lus. Or Ahmed Dogan n\u2019occupait plus de mandat \u00e9lectif depuis plusieurs ann\u00e9es.<\/p>\n\n\n\n

L\u2019incident de la plage de Bourgas a lanc\u00e9, au milieu de l\u2019ann\u00e9e 2020, une s\u00e9quence de protestations in\u00e9dite contre la corruption en Bulgarie. Dans le viseur des manifestants : le Mouvement pour les droits et les libert\u00e9s (DPS), parti historique de la minorit\u00e9 turcophone, mais surtout le premier ministre sortant Bo\u00efko Borissov<\/a> (Citoyens pour le d\u00e9veloppement europ\u00e9en de la Bulgarie, GERB) et son alli\u00e9 objectif, le procureur g\u00e9n\u00e9ral Ivan Gechev. Le mois de juillet 2020 voit s\u2019accumuler les scandales et les r\u00e9v\u00e9lations. De l\u2019\u00e9t\u00e9 2020 \u00e0 avril 2021, des manifestations contre le gouvernement se tiennent quotidiennement, alors que le cabinet Borissov refuse cat\u00e9goriquement de d\u00e9missionner. Les motions de d\u00e9fiance au parlement \u00e9chouent et Gechev lance m\u00eame une investigation contre le pr\u00e9sident Radev, bient\u00f4t invalid\u00e9e par la Cour supr\u00eame. Borissov propose m\u00eame, sans succ\u00e8s, l\u2019adoption d\u2019une r\u00e9forme constitutionnelle et \u00e9lectorale qui favoriserait son propre parti. \u00c0 partir de septembre, et alors que la pand\u00e9mie bat son plein, les manifestations  deviennent plus intenses et plus violentes. D\u00e9but 2021, la position de Borissov appara\u00eet intenable, sa popularit\u00e9 dans l\u2019opinion s\u2019est effondr\u00e9e. Il ira pourtant jusqu\u2019au terme de son mandat, ne remettant sa d\u00e9mission qu\u2019au lendemain des \u00e9lections l\u00e9gislatives pr\u00e9vues le 7 avril 2021.<\/p>\n\n\n\n

L\u2019incident de la plage de Bourgas a lanc\u00e9, au milieu de l\u2019ann\u00e9e 2020, une s\u00e9quence de protestations in\u00e9dite contre la corruption en Bulgarie.<\/p>Fran\u00e7ois Hublet<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

Ces \u00e9lections d\u2019avril 2021 devaient \u00eatre, pour la Bulgarie en proie \u00e0 un mouvement d\u2019une ampleur nouvelle, l\u2019occasion d\u2019une relance d\u00e9mocratique. Trois ans et demi et bient\u00f4t huit \u00e9lections plus tard, avril 2021 est surtout le premier \u00e9pisode d\u2019une crise politique sans \u00e9quivalent dans l\u2019Europe post-communiste. Une crise au cours de laquelle les \u00e9lites de l\u2019\u00ab ancien monde \u00bb men\u00e9es par Bo\u00efko Borissov ont su, jusqu’\u00e0 ce jour, se rendre incontournables. Une crise au cours de laquelle les partis anti-corruption ont montr\u00e9 les limites de leur capacit\u00e9 d\u2019influence, dans un monde politique o\u00f9 les compromis sont devenus toxiques. Une crise qui confirme, et aggrave, la perte de confiance g\u00e9n\u00e9ralis\u00e9e dans le syst\u00e8me politique bulgare \u2014 et o\u00f9 plusieurs forces politiques de premier plan misent, dans un long et douloureux jeu d\u2019usure, sur la d\u00e9ception apparemment in\u00e9vitable des espoirs n\u00e9s des manifestations de l\u2019\u00e9t\u00e9 2020.<\/p>\n\n\n\n

2 \u2014 Une classe politique triplement cliv\u00e9e<\/h2>\n\n\n\n

Depuis avril 2021, six \u00e9lections l\u00e9gislatives ont d\u00e9j\u00e0 eu lieu en Bulgarie :  trois en 2021 (en avril, juillet et novembre), une en octobre 2022, une en avril 2023, et une en juin 2024. Le prochain scrutin a lieu ce dimanche 27 octobre \u2014 c\u2019est le deuxi\u00e8me cette ann\u00e9e. Chacune de ces \u00e9lections a \u00e9t\u00e9 suivie, de mani\u00e8re imm\u00e9diate ou \u00e0 distance de quelques mois, par l\u2019\u00e9chec de toute formation gouvernementale ou l\u2019\u00e9croulement de la coalition au pouvoir. Dans l\u2019intervalle, la Bulgarie a connu huit gouvernements \u2014 six gouvernements techniques et seulement deux gouvernements de plein exercice \u2014 dont aucun n\u2019a su se maintenir pendant plus d\u2019un an.<\/p>\n\n\n\n

Cette instabilit\u00e9 politique durable prend sa source dans les multiples clivages qui parcourent l\u2019espace politique bulgare. Le premier, et de loin le moins pr\u00e9gnant dans la s\u00e9quence pr\u00e9sente, est le clivage droite-gauche. L\u2019ancienne opposition qui pr\u00e9valait jusqu\u2019en 2017 entre le centre-droit et les socialistes s\u2019est en effet fortement att\u00e9nu\u00e9e avec l\u2019effondrement de ces derniers d\u00e8s les \u00e9lections d\u2019avril 2021 \u2014 ceux-ci \u00e9tant heurt\u00e9s de plein fouet, aux c\u00f4t\u00e9s du GERB et du DPS, par les accusations de corruption qui p\u00e8sent sur l\u2019ensemble de la classe politique en place. Les \u00e9lecteurs de la gauche urbaine se reportent alors massivement vers les partis anti-corruption \u2014 de gauche et surtout du centre \u2014 ou s\u2019abstiennent. De fait, la politique bulgare conna\u00eet, durant toute la s\u00e9quence 2017-2024, un glissement continu vers la droite, \u00e9tonnamment peu comment\u00e9. L\u2019importance du conservatisme social et des positions anti-immigration s\u2019accro\u00eet, tandis que la part des d\u00e9put\u00e9s issus de partis nominalement marqu\u00e9s \u00e0 gauche tombe en 2023 sous la barre des 10 %.<\/p>\n\n\n\n

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