Apr\u00e8s quinze ans de correspondance houleuse, le prince Kourbski r\u00e9dige ses ultimes lettres en 1579. On ignore si le tsar de Moscou les a jamais re\u00e7ues, mais leur impact sur l’historiographie du temps de la guerre de Livonie est ind\u00e9niable. Ces missives finales, plus que toutes les autres, capturent le contraste saisissant entre les cultures et les visions de ces deux dirigeants. Elles t\u00e9moignent d’un affrontement non seulement militaire, mais aussi moral et intellectuel, dans les mots \u00e9chang\u00e9s entre ces figures embl\u00e9matiques.<\/p>\n\n\n\n
Toute sa vie (il mourut en 1583, \u00e0 l’\u00e2ge de 55 ans, un an avant Ivan, qui \u00e9tait de deux ans son cadet), Kourbski resta un \u00e9migr\u00e9 qui \u00e9crivait dans sa langue natale pour \u00eatre lu un jour par les lettr\u00e9s de son pays d’origine. Douleur d’avoir d\u00fb fuir sa patrie et d’y avoir abandonn\u00e9 femme et fils (qu’Ivan, semble-t-il, fit mourir), mais aussi certitude que la vie n’\u00e9tait possible pour lui, y compris la vie de l’esprit, que sous un autre prince que le Terrible. \u00c0 l’atroce barbarie \u00e0 laquelle, selon lui, le tsar condamnait la Russie, Kourbski voulait opposer les lettres et la civilisation.<\/p>\n\n\n\n
Moscou disposait de la puissance politique et du pouvoir d’excommunication et, avec les conceptions politico-religieuses qui avaient cours au XVI si\u00e8cle, la Russie n’\u00e9tait pas moins s\u00e9par\u00e9e de l’Europe qu’elle ne l’\u00e9tait du temps des Mongols. Mais le pouvoir imp\u00e9rial qu’exer\u00e7ait sans partage l’\u00c9tat russe \u00e0 l’int\u00e9rieur de fronti\u00e8res peu perm\u00e9ables mena\u00e7ait p\u00e9riodiquement d’asphyxier le pays. Ivan en avait d’ailleurs conscience, d’o\u00f9 ses efforts, parfois paradoxaux, pour se rapprocher de l’Occident en tissant des liens avec l’Angleterre et en cherchant \u00e0 s’emparer de la Livonie (qui, selon lui, avait depuis toujours \u00e9t\u00e9 patrimoine des tsars) et ouvrir ainsi, un si\u00e8cle avant Pierre le Grand, \u00ab une fen\u00eatre sur l’Europe \u00bb. <\/p>\n\n\n\n
Pour que la Russie ne s’\u00e9tiol\u00e2t pas, il lui \u00e9tait indispensable qu’exist\u00e2t, \u00e0 l’ouest de la \u00ab Terre de Dieu \u00bb qu’elle pr\u00e9tendait \u00eatre, une autre Russie moins sacr\u00e9e o\u00f9 l’air circulerait mieux et o\u00f9 elle pourrait trouver ce qu’elle ne produisait pas, ou produisait mal, sur les plans intellectuel, social, politique et m\u00eame technique ; il lui fallait une Russie de l’ext\u00e9rieur, une diaspora o\u00f9 l’assimilation de la n\u00e9cessaire Europe p\u00fbt se faire. Ce fut en Europe qu’au XIX si\u00e8cle Alexandre Herzen ou Vladimir Soloviev compos\u00e8rent et \u00e9dit\u00e8rent des \u0153uvres impubliables dans leur patrie ; ce fut en Europe (et en France en particulier) que les Russes chass\u00e9s par les bolch\u00e9viks d\u00e9velopp\u00e8rent une culture d’\u00e9migration qui, dans bien des domaines, sauva la pens\u00e9e russe de l’\u00e9touffement ; ce fut \u00e0 Paris qu’Alexandre Soljenitsyne publia en russe son Archipel du Goulag. <\/p>\n\n\n\n
Aux XVI-XVII si\u00e8cles, cette Europe de la Russie fut la Lituanie, h\u00e9riti\u00e8re de la Russie ki\u00e9vienne, pays majoritairement orthodoxe et riche de ses traditions aristocratiques de libert\u00e9s intellectuelles et confessionnelles, terre qui n’avait pas connu le joug mongol ou s’en \u00e9tait d\u00e9barrass\u00e9e plus t\u00f4t, o\u00f9 \u00ab culture \u00bb (kultura) et \u00ab m\u0153urs civilis\u00e9es \u00bb (kulturnost) ne se voulaient pas distinctes. L’un des protagonistes de l’aventure de l’esprit \u00e0 laquelle cette Lituanie servit de cadre fut le prince Andre\u00ef Kourbski, premier d’une longue suite d’\u00e9lites intellectuelles russes \u00e9migr\u00e9es.<\/p>\n\n\n\n
3 septembre 1579<\/p>\n\n\n\n
\u00d4 tsar, consid\u00e8re ceci avec attention : si les philosophes pa\u00efens, suivant les lois de la nature, ont atteint un tel degr\u00e9 de v\u00e9rit\u00e9 et de raison avec une grande sagesse (comme le dit l’Ap\u00f4tre, \u00ab avec les jugements int\u00e9rieurs de bl\u00e2me et d’\u00e9loge qu’ils portent les uns sur les autres <\/span>1<\/sup><\/a><\/span><\/span> \u00bb), de sorte que Dieu leur permit de r\u00e9gir l’univers entier, pourquoi nous, qui nous disons chr\u00e9tiens, ne parvenons-nous pas non seulement \u00e0 la v\u00e9rit\u00e9 des scribes et des pharisiens mais \u00e0 la v\u00e9rit\u00e9 de ceux qui r\u00e8glent leur vie sur les lois de la nature ? Malheur \u00e0 nous ! Qu’aurons-nous \u00e0 r\u00e9pondre \u00e0 notre Christ au jour du Jugement ? Comment nous justifierons-nous ? Un an ou deux apr\u00e8s la derni\u00e8re lettre que je t’ai envoy\u00e9e, j’ai pu voir ce que Dieu a permis pour tes actes et pour l’\u0153uvre de tes mains, \u00e0 savoir l’affreuse et ignominieuse d\u00e9faite que tu as subie avec ton arm\u00e9e et comment tu as ruin\u00e9 la gloire des grands princes russes d’heureuse m\u00e9moire qui \u00e9taient tes anc\u00eatres et les n\u00f4tres, et r\u00e9gnaient heureusement et noblement sur la Grande Russie. <\/p>\n\n\n\n Kourbski fait probablement r\u00e9f\u00e9rence ici \u00e0 la perte de Polotsk en 1579 par les moscovites apr\u00e8s 16 ans d\u2019occupation face aux troupes polono-lithuaniennes, allemandes et hongroises sous les ordres du roi de Pologne \u00c9tienne B\u00e1thory.<\/p>\n\n\n\n Non seulement tu n’as pas \u00e9prouv\u00e9 de honte et tu n’as pas craint le ch\u00e2timent et la condamnation du Seigneur dont je t’ai parl\u00e9 dans mes lettres pr\u00e9c\u00e9dentes en ex\u00e9cutant des hommes justes pour satisfaire ton esprit d’iniquit\u00e9 dans des supplices que la Russie n’avait jamais connus, ainsi qu’en te rendant coupable de l’incendie de ton patrimoine, la tr\u00e8s glorieuse ville de Moscou, par les impies Isma\u00e9lites <\/span>2<\/sup><\/a><\/span><\/span>, mais tu es rest\u00e9, suivant en cela ton inf\u00e2me despotisme, dans une insoumission digne de Pharaon <\/span>3<\/sup><\/a><\/span><\/span>, dans la duret\u00e9 de c\u0153ur contre Dieu et ta conscience, ayant enti\u00e8rement souill\u00e9 la conscience pure que Dieu met en tout homme et qui, tel l’\u0153il infatigable de la sentinelle vigilante, est donn\u00e9e et plac\u00e9e dans l’\u00e2me et l’esprit immortel de tout homme pour le prot\u00e9ger et garder. Et maintenant que ne vas-tu pas oser faire de plus insens\u00e9 encore ? Tu n’as pas honte de nous \u00e9crire que la puissance de la Croix vivifiante t’a aid\u00e9 \u00e0 combattre tes ennemis ! Est-ce ainsi que tu penses et r\u00e9fl\u00e9chis ? O folie de l’homme ! Et, surtout, folie d’une \u00e2me corrompue par les flagorneurs ou par les maniaques que tu affectionnes ! J’en suis fort \u00e9tonn\u00e9, de m\u00eame que tous ceux qui ont de l’entendement, et surtout ceux qui t’ont connu \u00e0 l’\u00e9poque o\u00f9 tu ob\u00e9issais aux commandements du Seigneur et avais su t’entourer d’hommes \u00e9minents. Non seulement tu \u00e9tais alors un brave et vaillant combattant, la terreur de tes ennemis, mais tu \u00e9tais plein des Saintes \u00c9critures et rayonnais de saintet\u00e9 et de puret\u00e9. Et maintenant, dans quel ab\u00eeme de stupidit\u00e9, dans quelle folie de corruption tes d\u00e9testables maniaques ne t’ont-ils pas entra\u00een\u00e9 ! Tu as perdu tout sens commun !<\/p>\n\n\n\n Pierre Gonneau et Alexandr Lavrov font une formidable description du contexte dans lequel sont apparues ces influences dans la vie d\u2019Ivan IV : \u00ab La correspondance entre Ivan le Terrible et Andrej Kurbskij met en \u00e9vidence deux conceptions oppos\u00e9es du pouvoir monarchique. L’une des seules questions sur lesquelles les deux auteurs semblent s’entendre est le rejet de la corruption et de l’anarchie d’un gouvernement nobiliaire. La p\u00e9riode de la minorit\u00e9 d’Ivan le Terrible (1533-1547) est \u00e0 leurs yeux un repoussoir. Pour le tsar Ivan, elle illustre les vices des boyards, cupides, cruels, prompts \u00e0 gaspiller les ressources du pays et \u00e0 opprimer les faibles, peu enclins \u00e0 s’astreindre aux fatigues et aux dangers de la guerre. Ce point de vue est totalement repris par les \u00e9crits politiques d’un personnage mal connu de cette \u00e9poque, Ivan Peresvetov. Pour Kurbskij, la r\u00e9gence a \u00e9t\u00e9 une vaste gabegie, au cours de laquelle le jeune souverain, d\u00e9j\u00e0 victime d’une lourde h\u00e9r\u00e9dit\u00e9, a \u00e9t\u00e9 encourag\u00e9 dans ses mauvais penchants. <\/p>\n\n\n\n Il est vrai que les rivalit\u00e9s entre clans nobiliaires, principalement les \u0160ujskie et les Bel\u2019skie, ont mis \u00e0 mal le tr\u00e9sor, d\u00e9sorganis\u00e9 l’administration et fait de nombreuses victimes illustres. Elles n’ont pas m\u00eame \u00e9pargn\u00e9 l’\u00c9glise, provoquant coup sur coup deux changements de m\u00e9tropolite. Daniel, l’artisan du divorce de Vassilij III, est d\u00e9pos\u00e9 en f\u00e9vrier 1539 \u00e0 l’initiative des \u0160ujskie. L’abb\u00e9 de la Trinit\u00e9 Saint-Serge Josaphat Skripicyn est alors choisi, mais il se r\u00e9v\u00e8le favorable aux Bel\u2019skie. Il manque d’\u00eatre tu\u00e9 lors d’une \u00e9meute, en janvier 1542, et doit abandonner sa charge. Il est remplac\u00e9 par l’archev\u00eaque de Novgorod, Macaire, un pr\u00e9lat de valeur, malgr\u00e9 les circonstances douteuses de son accession \u00e0 la t\u00eate de l\u2019Eglise russe. Peu \u00e0 peu, il gagne une influence certaine sur le jeune souverain qui commence \u00e0 intervenir activement dans les affaires du gouvernement \u00e0 partir de 1546. C\u2019est alors que se met en place autour de lui un petit groupe de conseillers dont le r\u00f4le fait encore l\u2019objet de discussions. \u00bb <\/span>4<\/sup><\/a><\/span><\/span><\/p>\n\n\n\n Comment ne te rappelles-tu pas, \u00e0 la lecture des saints livres qui ont \u00e9t\u00e9 \u00e9crits pour notre \u00e9dification, que le Dieu tout-puissant et sa gr\u00e2ce ne viennent pas en aide aux impurs et aux m\u00e9chants ? Comme il est dit dans l’Ancien Testament, le Jourdain gela \u00e0 la saison des hautes eaux devant la face du Dieu de Jacob <\/span>5<\/sup><\/a><\/span><\/span>, devant l’arche d’alliance du Seigneur et d’autres objets qui \u00e9taient l\u00e0, qui avaient \u00e9t\u00e9 confectionn\u00e9s pour la gloire de Dieu et qu’on appelait le Saint des Saints ; les remparts de J\u00e9richo s’effondr\u00e8rent et des rois invincibles et invaincus avec de nombreux peuples et g\u00e9ants disparurent devant eux. Mais lorsque, \u00e0 cause des p\u00e9ch\u00e9s d’Akan, la col\u00e8re du Seigneur s’enflamma contre tout Isra\u00ebl, cinquante pa\u00efens apparurent sur la colline contre la garde d’Isra\u00ebl : imm\u00e9diatement, toute l’arm\u00e9e d’Isra\u00ebl, soit six cent mille hommes vigoureux de vingt \u00e0 soixante ans, prit la fuite et s’\u00e9vapora comme l’eau sur la terre. Ces choses se pass\u00e8rent au temps de Mo\u00efse et de Josu\u00e9. \u00c9voquerai-je aussi ce qui se passa du temps des autres proph\u00e8tes, de Samuel et David, comment tout Isra\u00ebl fut soumis \u00e0 ses ennemis \u00e0 cause des vices et de la fausset\u00e9 des fils du pr\u00eatre \u00c9li, et comment les choses saintes du Seigneur tomb\u00e8rent entre les mains des pa\u00efens <\/span>6<\/sup><\/a><\/span><\/span> ? Tout cela, je m’abstiendrai de le narrer dans la pr\u00e9sente missive de crainte qu’elle ne soit trop longue. Du reste, je sais que tu connais bien les Saintes \u00c9critures.<\/p>\n\n\n\n Kourbski donne ici une version dramatique, \u00e9loign\u00e9e de celle qui est rapport\u00e9e dans le Livre de Josu\u00e9 (chap. 7).<\/p>\n\n\n\n Il est dit bri\u00e8vement dans l’Ancien Testament comment les choses saintes du Seigneur aident les hommes bons qui plaisent \u00e0 Dieu mais vont contre les hommes mauvais et assoiff\u00e9s de sang. Dans le Nouveau Testament, ce ne sont plus ces choses mais la puissance de la Croix qui vient en aide \u00e0 nous autres chr\u00e9tiens. Ainsi, lorsqu’il \u00e9tait encore pa\u00efen et non instruit de la foi, Constantin le Grand vit-il dessin\u00e9 dans les cieux par les \u00e9toiles le signe de la Croix vivifiante qui lui montra la voie, l’instruisit dans la pi\u00e9t\u00e9 et le guida vers une \u00e9clatante victoire contre l’orgueilleux Maxence. Mais quand ce m\u00eame grand Constantin, depuis longtemps d\u00e9j\u00e0 instruit et confirm\u00e9 dans la vraie religion, pr\u00eata l’oreille \u00e0 de vils flagorneurs et flatteurs et, sur la foi des calomnies que r\u00e9pandait un \u00e9parque corrompu par l’or, fit mettre aux fers (bien qu’ils fussent innocents) les trois ambassadeurs qu’il avait envoy\u00e9s en Grande-Phrygie pour pacifier le pays, et encha\u00een\u00e9s qu’ils \u00e9taient dans leur prison, s’appr\u00eatait \u00e0 les faire d\u00e9capiter cette nuit-l\u00e0, alors, effectivement, je te le dis, ce prompt secours de ceux qui sont dans la d\u00e9tresse, saint Nicolas, qui \u00e9tait encore vivant dans son corps, r\u00e9pondit \u00e0 l’appel au secours que ces malheureux lui avaient lanc\u00e9 dans leur d\u00e9tresse et \u00e0 leur demande d’intercession ; il entra aussit\u00f4t \u00e0 travers les portes closes dans la chambre de l’empereur comme le Christ vers ses disciples et ap\u00f4tres et lui dit avec reproches : \u00ab O c\u00e9sar ! Fais lib\u00e9rer sans tarder N\u00e9potien, Ursus et Apilion que tu as condamn\u00e9s et encha\u00een\u00e9s sans raison ! Sinon, je ne cesserai de te combattre, tu subiras une honteuse d\u00e9faite et vous conna\u00eetrez une perte affreuse, toi et ta maison ! \u00bb Saint Sim\u00e9on M\u00e9taphraste rappelle plus amplement cet \u00e9pisode dans la Vie<\/em> qu’il a \u00e9crite, mais je pense qu’en Russie la v\u00e9ritable Vie<\/em> de ce saint universel n’a pas encore \u00e9t\u00e9 traduite.<\/p>\n\n\n\n En citant ici un passage de la vie de saint Nicolas telle qu’il l’a traduite d’apr\u00e8s l’\u00e9dition latine des Vies de saints<\/em> de Sim\u00e9on M\u00e9taphraste, Kourbski tient \u00e0 souligner la valeur de son travail de philologue. Mais si l’ensemble de l’\u0153uvre hagiographique de Sim\u00e9on M\u00e9taphraste n’existait pas encore en slavon, la vie de saint Nicolas \u00e9tait d\u00e9j\u00e0 bien connue en Russie dans de nombreuses autres versions.<\/p>\n\n\n\n Or la f\u00e9rocit\u00e9 de Ta Majest\u00e9 n’a pas seulement fait p\u00e9rir un N\u00e9potien avec ses deux innocents compagnons, mais aussi d’innombrables capitaines, des g\u00e9n\u00e9raux nobles et bien n\u00e9s, des hommes illustres par leurs \u0153uvres et leur sagesse, aguerris d\u00e8s leur jeunesse, sachant lever une arm\u00e9e, tout ce qu’il y a de meilleur et de plus fort pour la bataille et la d\u00e9faite de l’ennemi, et ces hommes, tu les as soumis \u00e0 diverses tortures et les as fait p\u00e9rir par familles enti\u00e8res sans jugement ni justice, ne pr\u00eatant l’oreille qu’\u00e0 une seule partie, celle que forment tes vils flagorneurs, ces destructeurs de la patrie. Baignant ainsi dans les immondices et le sang, tu envoies hors des fronti\u00e8res une grande arm\u00e9e chr\u00e9tienne assi\u00e9ger des forteresses \u00e9trang\u00e8res sans g\u00e9n\u00e9raux exp\u00e9riment\u00e9s aux comp\u00e9tences av\u00e9r\u00e9es et, surtout, sans brave et sage commandant en chef ni grand hetman <\/span>7<\/sup><\/a><\/span><\/span>, ce qui est ce qu’il peut arriver de plus funeste et de plus pestilentiel \u00e0 une arm\u00e9e. Bref : une arm\u00e9e non d’hommes mais de moutons, d’agneaux priv\u00e9s d’un bon berger, qui ont peur du bruit de la feuille morte, comme je l’ai dit dans ma lettre pr\u00e9c\u00e9dente \u00e0 propos de tes vagabonds guenilleux dont tu essaies ignominieusement de faire des petits capitaines pour remplacer les hommes courageux et valeureux dont j’ai parl\u00e9 et que tu as massacr\u00e9s et dispers\u00e9s.<\/p>\n\n\n\n \u00c0 cela tu as encore ajout\u00e9 une autre honte que tu imposes \u00e0 tes anc\u00eatres – une fl\u00e9trissure inou\u00efe et mille fois plus calamiteuse \u2014, puisque tu as livr\u00e9 \u00e0 tes ennemis la grande ville de Polotsk avec toute son \u00c9glise, je veux dire avec son \u00e9v\u00eaque et son clerg\u00e9, avec son arm\u00e9e et sa population, que tu as livr\u00e9 une ville qu’auparavant, \u00e0 t’en croire, tu avais prise de haute lutte (cela dit, pour ne pas blesser ton amour-propre, je tairai qu’elle avait \u00e9t\u00e9 prise gr\u00e2ce \u00e0 notre fid\u00e8le service et \u00e0 nos durs efforts, car \u00e0 l’\u00e9poque tu ne nous avais pas encore extermin\u00e9s et dispers\u00e9s). <\/p>\n\n\n\n C’est en 1563, soit un an avant la d\u00e9fection de Kourbski, que les Russes avaient pris Polotsk. Ivan s’\u00e9tait alors empar\u00e9 de la fortune des plus riches habitants, avait chass\u00e9 l’\u00e9v\u00eaque, le gouverneur et les dignitaires de la ville, avait fait raser les \u00e9glises latines et ordonn\u00e9 aux juifs de se convertir sous peine d’\u00eatre noy\u00e9s.<\/p>\n\n\n\n Maintenant, ayant rassembl\u00e9 toute ton arm\u00e9e autour de toi et t’\u00e9tant r\u00e9fugi\u00e9 dans les bois comme un pleutre fuyard, tu te caches et trembles sans que personne ne te pourchasse : seule ta conscience en ton \u00e2me te poursuit de ses cris et te reproche tes vilenies et innombrables crimes de sang. Tu ne peux plus que criailler comme une esclave so\u00fble. Ce qui convient et sied v\u00e9ritablement \u00e0 la dignit\u00e9 royale, \u00e0 savoir le juste jugement et la protection, tout cela a bel et bien disparu sur l’avis et \u00e0 la pri\u00e8re de Vassian Toporkov, issu de la bande des perfides jos\u00e9phiens, qui t’a chuchot\u00e9 et conseill\u00e9 de ne pas avoir \u00e0 tes c\u00f4t\u00e9s de conseillers plus sages que toi, et d’autres de tes tr\u00e8s rus\u00e9s conseillers, tant moines que la\u00efcs. Quelle gloire ils t\u2019ont value ! La brillante victoire qu’ils t’ont fait remporter, c’est la m\u00eame que saint Nicolas avait proph\u00e9tis\u00e9e \u00e0 Constantin le Grand s’agissant des trois hommes, et la m\u00eame que le bienheureux Sylvestre ton confesseur avait proph\u00e9tis\u00e9e \u00e0 de nombreuses reprises lorsqu’il te bl\u00e2mait et te punissait pour tes vilenies et tes m\u0153urs inf\u00e2mes, lui qu’apr\u00e8s sa mort tu poursuis encore de ton implacable hostilit\u00e9 ! N’as-tu pas lu ce qui est \u00e9crit chez le proph\u00e8te Isa\u00efe : \u00ab Mieux vaut subir les coups blessants d’un ami que les tendres baisers d’un ennemi <\/span>8<\/sup><\/a><\/span><\/span> \u00bb ?<\/p>\n\n\n\n Vassian Toporkov, ancien moine du monast\u00e8re de Volokolamsk et neveu de saint Joseph de Volotsk, re\u00e7ut en 1553 la visite du tsar Ivan. Dans sa Vie du grand-prince de Moscou<\/em>, Kourbski raconte que ce dernier demanda \u00e0 Vassian : \u00ab Comment dois-je agir pour gouverner et me faire ob\u00e9ir des boyards ? \u00bb Le moine lui aurait alors murmur\u00e9 \u00e0 l’oreille : \u00ab Si tu veux r\u00e9gner en souverain, n’aie pas de conseiller qui soit plus sage que toi, car tu vaux mieux qu’eux tous. Alors tu seras solidement \u00e9tabli dans ton royaume et les tiendras tous bien en main. \u00bb Par \u00ab jos\u00e9phiens \u00bb, Kourbski d\u00e9signe \u00e0 la fois les moines de Volokolamsk et les disciples de saint Joseph de Volotsk (mort en 1515), abb\u00e9 le plus puissant de son temps, partisan de l’absolutisme autocratique et donc ennemi du parti des boyards.<\/p>\n\n\n\n Souviens-toi des jours pass\u00e9s et reviens ! Vas-tu continuer de te tenir ind\u00e9cemment t\u00eate nue devant ton Seigneur ? L’heure n’a-t-elle pas sonn\u00e9 de revenir \u00e0 la raison, de te repentir et de te tourner vers le Christ ? Nous ne nous sommes pas encore d\u00e9barrass\u00e9s du harnais de notre corps, et le repentir est possible jusqu’\u00e0 la mort. Tu fus sage, et tu sais encore que l’\u00e2me est par nature tripartite, les parties mortelles \u00e9tant soumises \u00e0 l’immortelle <\/span>9<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Si cependant tu l’ignores, apprends-le aupr\u00e8s des plus sages : soumets et subjugue en toi la partie animale \u00e0 l’image et \u00e0 la ressemblance divines : c’est ainsi que depuis des temps imm\u00e9moriaux les hommes font leur salut, qui soumettent la mauvaise partie \u00e0 la bonne. Sur ce sujet, vois ce qui est dit dans le livre du bienheureux Isaac le Syrien et dans celui du tr\u00e8s sage Jean Damasc\u00e8ne. Je pense que dans ton pays ce livre n’a pas \u00e9t\u00e9 int\u00e9gralement traduit du grec, mais ici, gr\u00e2ce au Christ, il a \u00e9t\u00e9 enti\u00e8rement traduit et corrig\u00e9 avec grand soin.<\/p>\n\n\n\n Les \u0153uvres de saint Isaac le Syrien avaient \u00e9t\u00e9 traduites en slavon au Mont-Athos dans la seconde moiti\u00e9 du xive si\u00e8cle. Kourbski avait entrepris de traduire en slavon La Foi orthodoxe<\/em> de saint Jean Damasc\u00e8ne. C’est dans cet ouvrage qu’il aurait puis\u00e9 pour d\u00e9velopper l’id\u00e9e de l’empereur sanguinaire annonciateur de l’Ant\u00e9christ que l’on retrouve en filigrane dans bien des pages de ses Lettres<\/em> et de son Histoire du grand-prince de Moscou<\/em>.<\/p>\n\n\n\n Si par l’infatuation et l’orgueil incommensurable de celui qui se croit sage et capable d’enseigner l’univers entier tu \u00e9cris dans un pays \u00e9tranger aux serviteurs d’un \u00e9tranger, comme pour \u00e9duquer et instruire (ce qui fera d’autant plus rire ici, et se moquer de toi), c’est que tu n’as pas entendu les paroles de l’ap\u00f4tre Paul : \u00ab Qui es-tu pour juger et commander un serviteur d’autrui ? <\/span>10<\/sup><\/a><\/span><\/span> \u00bb, etc. Le moment est venu pour Ta Majest\u00e9 de se faire humble et docile, de reprendre ses esprits. L’un et l’autre nous sommes d\u00e9j\u00e0 trop proches du tombeau par notre corps, et par notre \u00e2me immortelle comme par notre intelligence nous sommes trop pr\u00e8s du jugement de Dieu pour nous abandonner \u00e0 cette vie de vanit\u00e9s. Amen.<\/p>\n\n\n\n \u00c9crit en la bonne ville de Polotsk de notre souverain l’illustre roi St\u00e9phane couvert de la gloire d’exploits h\u00e9ro\u00efques, en ce troisi\u00e8me jour suivant la prise de la ville.<\/p>\n\n\n\n Polotsk avait \u00e9t\u00e9 reprise par le roi B\u00e1thory le 31 ao\u00fbt 1579 apr\u00e8s une bataille acharn\u00e9e. Sa perte fut un coup tr\u00e8s douloureux pour Ivan.<\/p>\n\n\n\n Andrei Kourbski, prince de Kowel<\/p>\n\n\n\n 15 septembre 1579<\/p>\n\n\n\n Si les proph\u00e8tes pleur\u00e8rent et sanglot\u00e8rent sur la ville de J\u00e9rusalem et sur le temple de pierre, richement orn\u00e9 et magnifique, ainsi que sur tous les habitants qui y avaient p\u00e9ri, combien plus devons-nous nous lamenter sur la destruction de la cit\u00e9 du Dieu vivant ou temple de ton corps cr\u00e9\u00e9 par Dieu et non par l’homme. Le Saint-Esprit s\u00e9journa un temps en ce temple qui, apr\u00e8s un repentir digne de louange, avait \u00e9t\u00e9 nettoy\u00e9 et purifi\u00e9 par les larmes. La pri\u00e8re pure y montait comme la bonne odeur de la myrrhe ou de l’encens jusqu’au tr\u00f4ne du Seigneur, et, solide fondement de la vraie foi, il servait d’appui \u00e0 des \u0153uvres de pi\u00e9t\u00e9. En ce temple brillait l\u2019\u00e2me du tsar, telle une colombe aux ailes d’argent, plus noble et \u00e9clatante que l’or, orn\u00e9e de bonnes \u0153uvres par la gr\u00e2ce du Saint-Esprit pour la protection et la sanctification du corps du Christ et de son sang tr\u00e8s pr\u00e9cieux par lequel il nous arracha \u00e0 l’esclavage du diable. Voil\u00e0 ce qu’\u00e9tait auparavant le temple de ton corps ! Derri\u00e8re toi, tous les hommes bons suivaient les banni\u00e8res crucif\u00e8res du Christ. Diverses nations barbares se soumirent \u00e0 toi non seulement par villes mais par royaumes entiers, et devant tes troupes marchait l’archange protecteur et son arm\u00e9e, \u00ab campant autour de ceux qui craignent Dieu et les d\u00e9gageant <\/span>11<\/sup><\/a><\/span><\/span> \u00bb, \u00ab fixant les fronti\u00e8res de notre peuple <\/span>12<\/sup><\/a><\/span><\/span> \u00bb et, comme le dit le proph\u00e8te Mo\u00efse, \u00ab terrifiant tes ennemis et abattant tes adversaires <\/span>13<\/sup><\/a><\/span><\/span> \u00bb. C’est alors, dis-je, que tu fus \u00ab \u00e9lu parmi les \u00e9lus, saint parmi les saints et sans reproche avec les irr\u00e9prochables <\/span>14<\/sup><\/a><\/span><\/span> \u00bb comme le dit le bienheureux David, et la puissance de la Croix vivifiante venait \u00e0 ton aide et \u00e0 l’aide de ton arm\u00e9e.<\/p>\n\n\n\n Mais quand des hommes corrompus et rus\u00e9s t’eurent d\u00e9voy\u00e9, tu devins adversaire du bien, et apr\u00e8s ta repentance tu retournas \u00e0 ton vomissement <\/span>15<\/sup><\/a><\/span><\/span> sur l’avis et le conseil de tes flagorneurs favoris, qui souill\u00e8rent le temple de ton corps au moyen de diverses impuret\u00e9s et surtout de r\u00e9pugnantes pratiques sodomites et autres innombrables et innommables horreurs par lesquelles celui qui ne cesse de vouloir notre perte, le diable, s’emploie depuis longtemps \u00e0 rendre la race humaine d\u00e9testable et abjecte aux yeux de Dieu et l’entra\u00eene \u00e0 la destruction finale. Voil\u00e0 maintenant ce que le diable a voulu qu’il advienne \u00e0 Ta Majest\u00e9 : au lieu de saints hommes \u00e9lus qui disent la v\u00e9rit\u00e9 sans rougir, il a plac\u00e9 \u00e0 tes c\u00f4t\u00e9s des maniaques et des parasites ; au lieu de solides capitaines et chefs de guerre : ces tr\u00e8s r\u00e9pugnants impies, les Belski et consorts ; au lieu de troupes vaillantes : ces fils des t\u00e9n\u00e8bres, ces sanguinaires opritchniks qui sont cent et mille fois pire que les bourreaux ; au lieu des livres inspir\u00e9s de Dieu et des saintes pri\u00e8res auxquels ton \u00e2me immortelle se plaisait autrefois et qui sanctifiaient tes royales oreilles : des bouffons avec leurs fl\u00fbtes et leurs d\u00e9moniaques chansons impies qui souillent l’oreille et la ferment \u00e0 la th\u00e9ologie ; et au lieu de ce pr\u00eatre b\u00e9ni qui autrefois te r\u00e9conciliait avec Dieu par une candide p\u00e9nitence et de ces conseillers avis\u00e9s qui souvent s’entretenaient avec toi de questions spirituelles, tu t’entoures (\u00e0 ce qu’on nous dit ici, et je ne sais si c’est vrai) de magiciens et de sorciers venus de pays lointains, les interrogeant sur les jours fastes, \u00e0 la mani\u00e8re de Sa\u00fcl, le roi abject et impie qui, laissant l\u00e0 les proph\u00e8tes de Dieu, se tourna vers la pythonisse, la magicienne et sorci\u00e8re, pour l’interroger sur la bataille \u00e0 venir <\/span>16<\/sup><\/a><\/span><\/span>. \u00c0 sa demande, elle fit appara\u00eetre sous ses yeux, tel un fant\u00f4me d\u00e9moniaque, le proph\u00e8te Samuel, cens\u00e9 \u00eatre ressuscit\u00e9 des morts, comme le rapporte de fa\u00e7on lumineuse saint Augustin dans ses livres. Or que lui arriva-t-il en fin de compte ? Tu le sais fort bien. Ce fut la perte de sa personne et de sa maison ; comme le dit le bienheureux David, \u00ab ils ne tiennent pas longtemps devant Dieu ceux qui \u00e9rigent le tr\u00f4ne de l’iniquit\u00e9 <\/span>17<\/sup><\/a><\/span><\/span> \u00bb, c’est-\u00e0-dire ceux qui donnent des ordres cruels ou \u00e9dictent des d\u00e9crets insupportables.<\/p>\n\n\n\n Le tsar passait pour entretenir des relations homosexuelles avec le jeune Fiodor Basmanov, seul survivant de la famille Basmanov, ex\u00e9cut\u00e9e en 1570, dont le p\u00e8re avait \u00e9t\u00e9 un proche conseiller du tsar. <\/p>\n\n\n\n Quant aux \u00ab r\u00e9pugnants impies Belski \u00bb il s’agit avant tout de Maliouta Skouratov qui, depuis 1568, \u00e9tait l’ex\u00e9cuteur des basses \u0153uvres du tsar. Un autre Belski, Bogdan, fut lui aussi tr\u00e8s proche d’Ivan pendant treize ann\u00e9es.<\/p>\n\n\n\n Le plus important des \u00ab magiciens \u00bb et \u00ab sorciers \u00bb \u00e9tait l’astrologue allemand Eliseus Bomelius qu’Ivan finit par faire ex\u00e9cuter apr\u00e8s l’avoir beaucoup consult\u00e9.<\/p>\n\n\n\n Et s’ils p\u00e9rissent, les rois et dirigeants qui \u00e9dictent des d\u00e9crets inapplicables et des lois oppressantes, combien plus encore doivent p\u00e9rir avec toute leur maison ceux qui non seulement \u00e9dictent des lois et codes oppressants mais d\u00e9vastent leur pays et exterminent leurs sujets par familles enti\u00e8res, sans m\u00eame \u00e9pargner les enfants \u00e0 la mamelle (or de vrais souverains devraient au contraire verser leur propre sang pour d\u00e9fendre leurs sujets), et qui (\u00e0 ce qu’on dit) rassemblent de chastes vierges pour les emmener par chariots entiers et fl\u00e9trir sans piti\u00e9 leur puret\u00e9, eux qui ne se contentent pas de leurs cinq ou six \u00e9pouses. Qui plus est, la chastet\u00e9 de ces innocentes est la cible d’outrages inexprimables et affreux \u00e0 entendre ! \u00c0 malheur ! \u00d4 tristesse ! Dans quel ab\u00eeme insondable notre ennemi le diable n’entra\u00eene-t-il pas et ne pr\u00e9cipite-t-il pas notre libre arbitre et notre empire sur nous-m\u00eames !<\/p>\n\n\n\n En 1579, Ivan vivait avec sa sixi\u00e8me \u00e9pouse, Vasilissa Melentieva. En 1580, il se marierait pour la septi\u00e8me et derni\u00e8re fois. Selon l’ambassadeur danois Jacob von Ulfelt, Ivan avait en 1578 une cinquantaine de concubines, des jeunes filles de familles nobles de Livonie qu’il avait fait enlever et qu’il emmenait avec lui partout o\u00f9 il se rendait.<\/p>\n\n\n\n \u00c0 ce que nous apprennent ceux qui viennent de ton pays, il y aurait encore d’innombrables m\u00e9faits \u00e0 rapporter, cent et mille fois plus r\u00e9pugnants et immondes aux yeux de Dieu, mais je m’abstiendrai d’\u00e9crire \u00e0 ce sujet, tant par souci de ne pas allonger ind\u00fbment cette modeste \u00e9p\u00eetre que parce que j’attends le jugement du Christ. Posant mon doigt sur mes l\u00e8vres, je reste \u00e9tourdi de surprise et tout \u00e9plor\u00e9.<\/p>\n\n\n\n Penses-tu encore que, consid\u00e9rant toutes ces choses que m\u00eame les oreilles ont du mal \u00e0 entendre et \u00e0 supporter, la puissance de la vivifiante Croix viendra t’aider, toi et ton arm\u00e9e ? \u00d4 supp\u00f4t de la premi\u00e8re B\u00eate <\/span>18<\/sup><\/a><\/span><\/span> et du grand Serpent lui-m\u00eame qui, depuis toujours, s’oppose \u00e0 Dieu et \u00e0 ses anges afin de d\u00e9truire toute la Cr\u00e9ation divine et toute la nature humaine ! Combien de temps encore seras-tu assoiff\u00e9 de sang chr\u00e9tien et pi\u00e9tineras-tu ta conscience ? Jusqu’\u00e0 quand resteras-tu couch\u00e9 et l’abandonneras-tu \u00e0 ton lourd sommeil <\/span>19<\/sup><\/a><\/span><\/span>, et pourquoi ne te joins-tu pas \u00e0 Dieu et \u00e0 ses philanthropes anges ?<\/p>\n\n\n\n Rappelle-toi les jours de ta jeunesse et de ton r\u00e8gne bienheureux !<\/p>\n\n\n\n Cesse de te d\u00e9truire, et ta maison avec !<\/p>\n\n\n\n Comme le dit David : \u00ab Qui aime l’injustice hait son \u00e2me. <\/span>20<\/sup><\/a><\/span><\/span> \u00bb<\/p>\n\n\n\n Combien plus vite dispara\u00eetront avec toute leur maison ceux qui baignent dans le sang chr\u00e9tien ! Pourquoi es-tu couch\u00e9 depuis si longtemps et ronfles-tu sur ton lit de malade, comme saisi d’un sommeil l\u00e9thargique ?<\/p>\n\n\n\n R\u00e9veille-toi, debout ! Il n’est jamais trop tard, car notre empire sur nous-m\u00eames et notre libre arbitre que, jusqu’\u00e0 la s\u00e9paration de notre \u00e2me et corps, Dieu nous a donn\u00e9s et qu’il a plac\u00e9s en nous pour notre repentance, ne nous seront pas \u00f4t\u00e9s pour que nous puissions nous convertir au bien.<\/p>\n\n\n\n Re\u00e7ois le divin antidote <\/span>21<\/sup><\/a><\/span><\/span> par lequel, dit-on, sont vaincus les poisons incurables et mortels que tes flatteurs et leur p\u00e8re, le tr\u00e8s cruel Serpent, t’ont semble-t-il d\u00e9j\u00e0 fait boire. Celui qui boit ce rem\u00e8de en son \u00e2me, il lui arrive ce que saint Jean Chrysostome d\u00e9crit dans son premier sermon sur la Passion \u00e0 propos du repentir de l’ap\u00f4tre Pierre : \u00ab Apr\u00e8s en avoir go\u00fbt\u00e9, de tendres pri\u00e8res montent au ciel par l’interm\u00e9diaire des messagers que sont les larmes. \u00bb Le sage comprendra. Amen.<\/p>\n\n\n\n M\u00eame si ce passage est bien dans le style de saint Jean Chrysostome, on ne conna\u00eet de ce dernier aucun \u00ab premier sermon sur la Passion \u00bb et il est impossible de dire \u00e0 quel texte Kourbski se rapporte ici.<\/p>\n\n\n\n \u00c9crit \u00e0 Polotsk, ville de notre souverain le roi St\u00e9phane, le quatri\u00e8me jour apr\u00e8s la victoire de Sokol.<\/p>\n\n\n\n La ville de Sokol avait \u00e9t\u00e9 prise par St\u00e9phane B\u00e1thory le 11 septembre 1579.<\/p>\n\n\n\n Andre\u00ef Kourbski, prince de Kowel.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":" En 1579, alors que les succ\u00e8s polono-lituaniens sur le champ de bataille s’accumulent, un tournant d\u00e9cisif se produit. Apr\u00e8s trois semaines d’un si\u00e8ge \u00e9prouvant, Polotsk, arrach\u00e9e par les Russes seize ans plus t\u00f4t, est enfin reconquise. Fort de cette victoire, le prince Kourbski, anim\u00e9 d’une d\u00e9termination renouvel\u00e9e, s’attelle \u00e0 \u00e9crire deux lettres passionn\u00e9es \u00e0 Ivan le Terrible, les derni\u00e8res de leur intense correspondance. Elles marquent la fin d’une s\u00e9rie d’\u00e9changes \u00e9pistolaires fascinants, r\u00e9v\u00e9lant les tensions et les transformations d’une \u00e9poque tourment\u00e9e.<\/p>\n Septi\u00e8me \u00e9pisode de notre s\u00e9rie d\u2019\u00e9t\u00e9 :\u00ab Doctrines du premier tsar : lettres retrouv\u00e9es d\u2019Ivan le Terrible \u00bb<\/a>.<\/p>\nCinqui\u00e8me lettre de Kourbski<\/h2>\n\n\n\n