{"id":240663,"date":"2024-08-01T08:50:00","date_gmt":"2024-08-01T06:50:00","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=240663"},"modified":"2024-08-02T17:44:39","modified_gmt":"2024-08-02T15:44:39","slug":"il-ny-a-pas-lumiere-mais-tenebres-ni-douceur-mais-amertume-la-reponse-divan-le-terrible-au-prince-kourbski-deuxieme-partie","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2024\/08\/01\/il-ny-a-pas-lumiere-mais-tenebres-ni-douceur-mais-amertume-la-reponse-divan-le-terrible-au-prince-kourbski-deuxieme-partie\/","title":{"rendered":"\u00ab Il n’y a pas lumi\u00e8re, mais t\u00e9n\u00e8bres ; ni douceur, mais amertume \u00bb : la r\u00e9ponse d\u2019Ivan le Terrible au prince Kourbski (deuxi\u00e8me partie)"},"content":{"rendered":"\n
En r\u00e9ponse au prince Andre\u00ef Kourbski<\/a>, Ivan le Terrible compose une lettre vingt-trois fois plus longue. Dans la premi\u00e8re partie de la lettre, le tsar d\u00e9cha\u00eene une s\u00e9rie d’accusations contre son ancien compagnon de guerre, devenu adversaire \u00e9pistolaire. Il d\u00e9verse toute sa fureur sur le fugitif, l’accusant de trahison. Ivan riposte \u00e0 chaque reproche de Kourbski avec un flot incessant de paroles enflamm\u00e9es. \u00c0 travers cette confrontation, le tsar adresse un message clair \u00e0 tous les nobles russes, soulignant son autorit\u00e9 absolue et incontest\u00e9e.<\/p>\n\n\n\n En fait, pour le lecteur du XXI si\u00e8cle, il ne fait gu\u00e8re de doute que le plus grand styliste des deux est le tsar, dont le g\u00e9nie litt\u00e9raire est ind\u00e9niable. Son style \u2014 qui, certes, \u00ab contamine plus qu’il ne convainc \u00bb (selon la remarquable formule de l’historien Vassili Klioutchevski) \u2014 a en effet quelque chose d’envo\u00fbtant, comme celui du Luther des Propos de table<\/em> ou (si cet anachronisme n’est pas interdit) du C\u00e9line des Pamphlets<\/em>. Comme C\u00e9line, Ivan geint, ergote, fait l’humble et l’incompris, bafouille, puis s’\u00e9l\u00e8ve soudain pour ridiculiser son adversaire, insultant, mena\u00e7ant, gla\u00e7ant de m\u00e9pris, s\u00fbr de son droit et terrible. On sait qu’il aimait se comporter ainsi avec ses victimes, qu’il cajolait, flattait ou associait \u00e0 des parodies avant de les livrer \u00e0 la mort la plus cruelle. On rappellera simplement les circonstances du meurtre du grand \u00e9cuyer Ivan Fiodorov, boyard tr\u00e8s influent qui s’\u00e9tait oppos\u00e9 \u00e0 la politique de terreur du tsar, que ce dernier fit asseoir sur son tr\u00f4ne, rev\u00eatit des insignes imp\u00e9riaux et salua \u00e0 genoux, avant de lui percer le corps de sa dague. Ou encore l’atroce agonie de Fiodor Syrkov, un riche marchand lettr\u00e9, qu’Ivan interrogeait sur les fins derni\u00e8res entre deux s\u00e9ances de tortures.<\/p>\n\n\n\n Sa palette stylistique est tr\u00e8s large et il conna\u00eet toutes les ficelles de la rh\u00e9torique : la fausse question, le quolibet, la na\u00efvet\u00e9 feinte, les allit\u00e9rations qui intriguent et arr\u00eatent le lecteur, le rythme qui emporte, amuse ou fascine, les citations qui assomment, le vocabulaire d\u00e9cal\u00e9 qui d\u00e9concerte. Sa rage, en revanche, n’est pas simul\u00e9e face \u00e0 un boyard qui ose le chapitrer \u00e0 l’abri des murs ennemis. La d\u00e9fection de Kourbski avait \u00e9t\u00e9 un choc pour lui et il ne d\u00e9col\u00e8rera pas de toute sa vie contre lui. Cette col\u00e8re, on en entend d’autant mieux la voix qu’Ivan dicte ses lettres \u00e0 des secr\u00e9taires, car il ne convenait pas, au XVI si\u00e8cle, qu’un tsar s’abaiss\u00e2t \u00e0 prendre la plume. Boris Godounov, par exemple, cessa d’apposer sa signature sur un document \u00e0 partir du moment o\u00f9 il monta sur le tr\u00f4ne (1598). Si Ivan \u00e9tait ignorant du grec et du latin et ne connaissait pas d’autre langue que le russe (et sans doute le tatar), il \u00e9tait cependant \u00e0 sa fa\u00e7on un lettr\u00e9. Il avait beaucoup lu et beaucoup retenu, notamment les chroniques russes et byzantines et l’histoire romaine telle qu’elle \u00e9tait pr\u00e9sent\u00e9e en son temps.<\/p>\n\n\n\n J’ai promis tout \u00e0 l’heure de d\u00e9crire par le menu les maux cruels que j’ai soufferts \u00e0 cause de vous depuis ma jeunesse jusqu’\u00e0 ce jour. Ces faits sont connus de tous (m\u00eame si tu \u00e9tais encore jeune \u00e0 l’\u00e9poque, tu les connais sans doute). Quand, par la volont\u00e9 de Dieu, notre p\u00e8re, le grand souverain Vassili, troqua la pourpre contre l’habit ang\u00e9lique <\/span>1<\/sup><\/a><\/span><\/span> et, quittant ce p\u00e9rissable royaume terrestre, entra pour l’\u00e9ternit\u00e9 dans le royaume des cieux pour compara\u00eetre devant le Roi des rois et le Seigneur des seigneurs, je restai avec mon fr\u00e8re Gueorgui, de bienheureuse m\u00e9moire.<\/p>\n\n\n\n Vassili III \u2013 ou Basile III \u2013 succ\u00e9da \u00e0 Ivan III qui permit \u00e0 la Russie de se d\u00e9faire totalement du joug Mongol. Tous deux eurent une politique d\u2019expansion de la Moscovie dont h\u00e9rita et prolongea Ivan IV. <\/p>\n\n\n\n J’avais trois ans et mon fr\u00e8re un an. Notre m\u00e8re, la pieuse tsarine H\u00e9l\u00e8ne, resta veuve et malheureuse comme entour\u00e9e par les flammes : de partout marchaient contre nous les arm\u00e9es de peuples \u00e9trangers \u2014 Lituaniens, Polonais, Tatares de Crim\u00e9e, Noga\u00efs, Tatares d’Astrakhan et de Kazan. Et vous, les tra\u00eetres, vous nous accabl\u00e2tes de maints tourments et chagrins. Le prince Sim\u00e9on Belski et Ivan Liatski s’enfuirent comme toi, chien enrag\u00e9, en Lituanie. De l\u00e0, o\u00f9 leur fureur endiabl\u00e9e ne les conduisit-elle pas ? \u00c0 Constantinople, en Crim\u00e9e, chez les Noga\u00efs : de partout ils marchaient contre les chr\u00e9tiens orthodoxes. Mais ce fut en vain. Par l’intervention divine, par l’intercession de la toute-pure M\u00e8re de Dieu et des grands thaumaturges, par les pri\u00e8res de nos a\u00efeux, toutes ces machinations furent r\u00e9duites \u00e0 n\u00e9ant comme le complot d’Ahitophel. Par la suite, les tra\u00eetres dress\u00e8rent contre nous notre oncle, le prince Andre\u00ef Ivanovitch Staritski qui, en leur compagnie, s’appr\u00eata \u00e0 marcher sur Novgorod (les voil\u00e0, ceux que tu exaltes et qui, selon toi, nous \u00ab veulent du bien \u00bb et nous sont \u00ab d\u00e9vou\u00e9s corps et \u00e2me \u00bb !). Ce fut alors que s’\u00e9loign\u00e8rent de nous pour rejoindre notre oncle le prince Andre\u00ef de nombreux boyards, \u00e0 commencer par ton cousin le prince Ivan, fils du prince Sim\u00e9on et petit-fils du prince Piotr Golova Romanovitch, et bien d’autres. Mais, avec l’aide de Dieu, cette cabale \u00e9choua. Est-ce pour \u00ab ce bien qu’ils nous voulaient \u00bb que tu les loues ? Leur fa\u00e7on de se vouer \u00e0 nous \u00ab corps et \u00e2me \u00bb consiste-t-elle \u00e0 vouloir notre perte pour asseoir notre oncle sur le tr\u00f4ne ? Ensuite, tra\u00eetres qu’ils \u00e9taient, ils se mirent \u00e0 c\u00e9der \u00e0 notre ennemi, le grand-prince de Lituanie, nos propres apanages, \u00e0 savoir les villes de Radogochtch, Starodoub et Gomel. Est-ce l\u00e0 nous \u00ab vouloir du bien \u00bb ? Quand dans son pays on ne trouve personne \u00e0 qui sugg\u00e9rer d’\u0153uvrer \u00e0 la ruine de sa terre natale, on fait alliance avec des \u00e9trangers, l’essentiel \u00e9tant de ruiner son pays \u00e0 tout jamais !<\/p>\n\n\n\n Lorsque la Providence divine jugea que le moment \u00e9tait venu pour que notre m\u00e8re, la pieuse tsarine H\u00e9l\u00e8ne, pass\u00e2t du royaume terrestre au royaume c\u00e9leste, nous rest\u00e2mes, feu mon fr\u00e8re Gueorgui et moi, orphelins sans personne pour nous aider. Nous ne pouvions qu’esp\u00e9rer en Dieu et en la tr\u00e8s pure M\u00e8re de Dieu et nous confier aux pri\u00e8res de tous les saints et \u00e0 la b\u00e9n\u00e9diction de nos parents. J’avais alors huit ans. <\/p>\n\n\n\n Gu\u00e9orgui en avait six. N\u00e9 sourd, il ne fut jamais consid\u00e9r\u00e9 comme un s\u00e9rieux pr\u00e9tendant au tr\u00f4ne et ne prit pas part dans la vie politique de la Russie. Il mourut en novembre 1563.<\/p>\n\n\n\n Nos sujets voyaient se r\u00e9aliser leurs d\u00e9sirs : ils avaient d\u00e9sormais un royaume sans chef. Ils ne manifestaient aucun int\u00e9r\u00eat cordial pour nous autres leurs souverains, ne songeant qu’aux richesses et aux honneurs et se querellant du m\u00eame coup les uns avec les autres. Que ne firent-ils pas ! Combien de nos boyards, d’hommes rest\u00e9s fid\u00e8les \u00e0 notre p\u00e8re et de capitaines ne firent-ils pas assassiner ! Ils s’empar\u00e8rent des demeures, villages et domaines de nos oncles et s’y install\u00e8rent. Ils firent transporter au Tr\u00e9sor les biens pr\u00e9cieux de notre m\u00e8re, les poussant fr\u00e9n\u00e9tiquement du pied, les piquant de leurs b\u00e2tons ferr\u00e9s. Le reste, ils le partag\u00e8rent entre eux. Ton a\u00efeul Mikha\u00eflo Toutchkov en fit de m\u00eame. Entre-temps, les princes Vassili et Ivan Chou\u00efski se d\u00e9clar\u00e8rent de leur propre chef mes tuteurs et de la sorte mont\u00e8rent sur le tr\u00f4ne. Ils firent sortir de prison et attir\u00e8rent dans leur camp ceux qui avaient le plus trahi notre p\u00e8re et notre m\u00e8re. Quant au prince Vassili Chouiski, il s\u2019installa dans la demeure de notre oncle, le prince Andre\u00ef. C’est l\u00e0 que ses gens, r\u00e9unis comme dans une synagogue de juifs, s’empar\u00e8rent de Fiodor Michourine, notre secr\u00e9taire personnel et secr\u00e9taire de notre p\u00e8re et, apr\u00e8s l’avoir d\u00e9shonor\u00e9, le tu\u00e8rent. Ils bannirent aussi le prince Ivan Belski et beaucoup d’autres en divers lieux. Ils lev\u00e8rent \u00e9galement la main sur l’\u00c9glise : apr\u00e8s avoir destitu\u00e9 le m\u00e9tropolite Daniel, ils le firent enfermer. Ainsi r\u00e9alis\u00e8rent-ils toutes leurs ambitions et s’empar\u00e8rent-ils du pouvoir. Quant \u00e0 nous, mon regrett\u00e9 fr\u00e8re Gueorgui et moi, ils se mirent \u00e0 nous \u00e9lever comme des \u00e9trangers ou comme les derniers des mis\u00e9reux. Que de privations n’avons-nous pas endur\u00e9es dans nos v\u00eatements comme dans la nourriture ! Nous n’avions aucune libert\u00e9, rien ne se faisait selon notre volont\u00e9 et rien n’\u00e9tait conforme \u00e0 notre jeune \u00e2ge. Je me rappelle qu’un jour nous jouions \u00e0 quelque jeu d’enfants, et le prince Ivan Chou\u00efski se tenait sur une banquette, le coude appuy\u00e9 sur le lit de notre p\u00e8re et le pied sur une chaise sans nous pr\u00eater la moindre attention, ni comme parent, ni comme tuteur, et certainement pas non plus comme un esclave regarde ses ma\u00eetres. Qui peut supporter pareille morgue ? Je ne saurais d\u00e9nombrer toutes les souffrances de ce genre qu’il m’a fallu endurer dans ma jeunesse. Combien de fois n’a-t-on pas n\u00e9glig\u00e9 de m’apporter mes repas \u00e0 l’heure due ! Que dire aussi du tr\u00e9sor paternel qui me revenait ? Tout avait \u00e9t\u00e9 perfidement pill\u00e9 : sous pr\u00e9texte de versements effectu\u00e9s au profit des nobles de service <\/span>2<\/sup><\/a><\/span><\/span>, ils s’\u00e9taient appropri\u00e9 l’argent, ne r\u00e9compensant pas ces derniers selon leurs services, ne leur accordant pas de charges selon leurs m\u00e9rites. Ils mirent la main sur l’inestimable tr\u00e9sor de notre a\u00efeul et de notre p\u00e8re et le fondirent pour s’en faire de la vaisselle d’or et d’argent. Ils y grav\u00e8rent le nom de leurs parents, comme s’il s’agissait d’un h\u00e9ritage. Tout le monde sait aussi que du vivant de notre m\u00e8re le prince Ivan Chou\u00efski portait un manteau vert en demi-laine doubl\u00e9 de vieilles peaux de martre. Si c’\u00e9tait l\u00e0 tout son patrimoine, il aurait d\u00fb d’abord changer de manteau, quitte ensuite \u00e0 se faire faire de la vaisselle avec l’argent qui restait. Pour ce qui est du tr\u00e9sor de nos oncles, que dire ? Ils s’empar\u00e8rent de la totalit\u00e9. Puis ils s’en prirent aux villes et villages, dont ils tourment\u00e8rent les habitants par diverses tortures cruelles, pillant impitoyablement leurs biens. Et comment \u00e9num\u00e9rer tous les outrages qu’ils inflig\u00e8rent \u00e0 leurs voisins ? Ils consid\u00e9raient tous nos sujets comme leurs esclaves, mais de leurs esclaves \u00e0 eux ils firent de grands seigneurs. Ils faisaient semblant de gouverner et d’administrer mais ils violaient les lois et semaient le d\u00e9sordre, extorquant \u00e0 tout un chacun des tributs d\u00e9mesur\u00e9s, promettant tant\u00f4t ceci tant\u00f4t cela et ne faisant rien sans gratification.<\/p>\n\n\n\n Ainsi v\u00e9curent-ils de nombreuses ann\u00e9es. Mais je commen\u00e7ais \u00e0 grandir et ne voulais pas \u00eatre soumis au pouvoir de mes esclaves. C’est pourquoi j’\u00e9loignai de moi le prince Ivan Chou\u00efski pour qu’il aille servir ailleurs et demandai \u00e0 mon boyard, le prince Ivan Belski, de rester \u00e0 mes c\u00f4t\u00e9s. Cependant, le prince Ivan Chouiski, regroupant des hommes nombreux et leur faisant pr\u00eater serment d’all\u00e9geance, se pr\u00e9senta devant Moscou avec ses troupes. Ses partisans, les Koubenski et d’autres, s’\u00e9taient, avant m\u00eame qu’il n’arriv\u00e2t, empar\u00e9s du prince Ivan Belski ainsi que d’autres boyards et nobles.<\/p>\n\n\n\n \u00ab Nobles \u00bb traduit ici dvorianie<\/em>. Les boyards repr\u00e9sentent la noblesse h\u00e9r\u00e9ditaire, les dvorianie <\/em>la nouvelle classe d’anoblis en raison de leurs services civils ou militaires et qu’Ivan favorisera.<\/p>\n\n\n\n Apr\u00e8s les avoir exil\u00e9s au monast\u00e8re Saint-Cyrille de Beloozero, ils les firent assassiner <\/span>3<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Quant au m\u00e9tropolite Josaphat, ils l’arrach\u00e8rent ignominieusement \u00e0 sa chaire. Ensuite, le prince Andrei Chouiski entra avec ses comparses dans notre salle des banquets en vocif\u00e9rant et ils se saisirent sous nos yeux de notre boyard Fiodor Vorontsov, l’humili\u00e8rent, lui arrach\u00e8rent ses v\u00eatements et l’emport\u00e8rent pour le tuer. Nous envoy\u00e2mes alors le m\u00e9tropolite Macaire et nos boyards Ivan et Vassili Morozov leur intimer l’ordre de ne pas le tuer. Nous \u00e9coutant \u00e0 contrec\u0153ur, ils l’exil\u00e8rent \u00e0 Kostroma. \u00c0 cette occasion ils malmen\u00e8rent le m\u00e9tropolite, d\u00e9chir\u00e8rent la chape orn\u00e9e de fleuves qu’il portait tout en frappant nos boyards dans le dos. Voil\u00e0 comment, contrevenant \u00e0 nos ordres, des hommes \u00ab qui nous voulaient du bien \u00bb s’empar\u00e8rent de nos boyards et de gens qui nous \u00e9taient agr\u00e9ables pour les tabasser, les tourmenter et les chasser de chez eux… <\/p>\n\n\n\n Les \u00ab fleuves \u00bb (istotchniki<\/em>) sont des bandes de soie horizontales cousues sur la chape d’un \u00e9v\u00eaque, repr\u00e9sentant l’enseignement qu’il puise \u00e0 la source des deux Testaments.<\/p>\n\n\n\n Est-ce ainsi que l’on se d\u00e9voue \u00ab corps et \u00e2me \u00bb \u00e0 ses souverains, en leur faisant la guerre, en se saisissant sous nos yeux de nos boyards comme dans une vraie synagogue de juifs et en for\u00e7ant le monarque \u00e0 se commettre avec ses esclaves et \u00e0 les implorer ? En voil\u00e0 un \u00ab fid\u00e8le service \u00bb ! L’univers entier en rira, de cette \u00ab fid\u00e9lit\u00e9 \u00bb ! Que dire aussi des pers\u00e9cutions dont cette \u00e9poque fut t\u00e9moin ? Depuis le d\u00e9c\u00e8s de notre m\u00e8re, pendant six ann\u00e9es et demie, ils ne cess\u00e8rent de faire le mal.<\/p>\n\n\n\n Quand nous e\u00fbmes quinze ans compt\u00e9s, nous nous m\u00eemes \u00e0 gouverner notre royaume et, gr\u00e2ce \u00e0 Dieu, les choses commenc\u00e8rent sous de bons auspices. Mais comme les p\u00e9ch\u00e9s des hommes irritent souvent Dieu, il se trouva que, sous l’effet de la col\u00e8re divine, un incendie \u00e9clata dans notre ville de Moscou. Nos boyards f\u00e9lons, ceux que tu appelles martyrs (le moment venu, je dirai leur nom), jug\u00e8rent semble-t-il que l’heure de la trahison avait sonn\u00e9 et convainquirent des gens de peu d’esprit que notre a\u00efeule maternelle \u2013 la princesse Anne Glinski \u2013 ainsi que ses enfants et serviteurs \u2014 arrachait des c\u0153urs humains \u00e0 des fins de sorcellerie. C’est ainsi qu’elle aurait mis le feu \u00e0 Moscou. Et nous aurions \u00e9t\u00e9 au courant de leur dessein. Rameut\u00e9 par nos tra\u00eetres, le peuple se rassembla comme une troupe de juifs, et, dans l’abside de l’\u00e9glise du grand et saint martyr du Christ Dimitri de Thessalonique, s’empara avec des cris de notre boyard, le prince Iouri Glinski. Les \u00e9meutiers l’emmen\u00e8rent dans la cath\u00e9drale de l’Assomption <\/span>4<\/sup><\/a><\/span><\/span> et le massacr\u00e8rent d’inhumaine fa\u00e7on devant la chaire du m\u00e9tropolite, inondant l’\u00e9glise de son sang. Ils sortirent son cadavre par le grand portail et l’expos\u00e8rent sur la place publique, tel un criminel. Ce meurtre dans un sanctuaire est connu de tous et n’a rien \u00e0 voir avec les mensonges que tu r\u00e9pands, chien que tu es !<\/p>\n\n\n\n Comme l\u2019\u00e9voque Michel Heller <\/span>5<\/sup><\/a><\/span><\/span>, Moscou est construite de maisons en bois, ce qui la rend tr\u00e8s sujette aux incendies. L\u2019incendie en question \u00e9clata le 21 juin 1547, ann\u00e9e du couronnement d\u2019Ivan IV.<\/p>\n\n\n\n Nous r\u00e9sidions alors dans notre village de Vorobievo, et ces m\u00eames tra\u00eetres persuad\u00e8rent le peuple d’aller nous tuer nous aussi sous pr\u00e9texte que nous aurions cach\u00e9 la m\u00e8re du prince Iouri, la princesse Anne, et son fr\u00e8re, le prince Michel. Comment entendre sans rire pareilles \u00e9lucubrations ? Dans quel but aurions-nous mis le feu \u00e0 notre royaume ? Combien de pr\u00e9cieux tr\u00e9sors, l\u00e9gu\u00e9s par nos parents, n’avons-nous pas vu br\u00fbler ! On en chercherait en vain de pareils dans l’univers entier. Qui peut \u00eatre assez fou et m\u00e9chant pour mettre le feu \u00e0 ses propres biens parce qu’il s’est irrit\u00e9 contre ses esclaves ? Il lui suffirait d’incendier leurs maisons et de s’\u00e9pargner lui-m\u00eame. C’est l\u00e0 que l’on voit votre chienne de f\u00e9lonie. Comment pourrait-on asperger d’eau le clocher d’Ivan-le-Grand, qui s’\u00e9l\u00e8ve si haut dans le ciel de Moscou ? Ce serait une aberration flagrante. <\/p>\n\n\n\n Ivan a sans doute ici en vue la rumeur qui courait alors chez les \u00e9meutiers, selon laquelle Anna Glinski aurait attis\u00e9 l’incendie en aspergeant de l’eau teint\u00e9e de sang humain du haut du plus haut clocher de Moscou.<\/p>\n\n\n\n Est-ce que le bon et loyal service de nos boyards et capitaines consiste \u00e0 se regrouper \u00e0 notre insu en meute de chiens pour tuer non seulement nos boyards mais nos parents ? Est-ce que c’est \u00eatre \u00ab d\u00e9vou\u00e9 corps et \u00e2me \u00bb \u00e0 notre personne que de toujours chercher \u00e0 nous faire passer de vie \u00e0 tr\u00e9pas ? Ils veulent que nous respections la loi comme chose sacro-sainte, mais eux-m\u00eames s’en gardent bien. Comment peux-tu aussi, chien, te vanter orgueilleusement de ta bravoure \u00e0 la guerre et louer celle des autres chiens f\u00e9lons ? Comme l’a dit notre Seigneur J\u00e9sus-Christ : \u00ab Tout royaume divis\u00e9 contre lui-m\u00eame va \u00e0 sa perte. <\/span>6<\/sup><\/a><\/span><\/span> \u00bb Qui peut faire la guerre \u00e0 ses ennemis quand son royaume est d\u00e9chir\u00e9 par des querelles intestines ? Comment l’arbre dont les racines sont dess\u00e9ch\u00e9es peut-il fleurir ? De m\u00eame ici : tant que le bon ordre ne r\u00e9gnera pas dans le royaume, d’o\u00f9 pourra venir la valeur militaire ? Si le chef n’affermit pas constamment ses troupes, il sera plus vite vaincu que vainqueur. Toi, tu ne tiens aucun compte de tout cela et tu n’exaltes que le seul courage, n’ayant cure de savoir sur quoi il se fonde. Or non seulement tu n’affermis pas le courage mais tu le sapes. Il en ressort que tu es moins que rien. Chez toi, tu es un tra\u00eetre et, sur le terrain, tu ne comprends rien puisque tu veux raffermir le courage militaire par l’arbitraire et les luttes intestines, ce qui est impossible.<\/p>\n\n\n\n Vivait alors \u00e0 notre cour ce chien d\u2019Alexe\u00ef Adachev, votre ma\u00eetre qui, d\u00e9j\u00e0 au temps de notre jeunesse, avait je ne sais comment pris du galon, de simple sergent de ma garde qu\u2019il \u00e9tait au d\u00e9part. <\/p>\n\n\n\n Alors conseiller tr\u00e8s influent, Alexe\u00ef Adachev tombe en disgr\u00e2ce quelques mois avant la mort soudaine d\u2019Anastasia, \u00e9pouse d\u2019Ivan IV, le 7 ao\u00fbt 1560. Ce dernier suspecta certains boyards de l\u2019avoir empoisonn\u00e9e. Adachev, alors exil\u00e9 dans la forteresse de Fellin est transf\u00e9r\u00e9 \u00e0 Dorpat o\u00f9 il meurt quelques mois plus tard. Son fr\u00e8re, Daniel est ex\u00e9cut\u00e9 en 1563, suspect\u00e9 lui aussi d\u2019avoir pris part \u00e0 l\u2019empoisonnement suppos\u00e9 d\u2019Anastasia. <\/p>\n\n\n\n Nous, voyant toutes ces dignitaires trahir, nous le tir\u00e2mes du fumier pour le hisser au m\u00eame rang que ces dignitaires, dans l’espoir qu’il nous servirait loyalement. De quels honneurs et richesses ne l’avons-nous pas combl\u00e9, et pas seulement lui, mais toute sa famille ! Or, quels loyaux services nous a-t-il rendus en \u00e9change ? Mais nous raconterons \u00e7a plus tard. Ensuite, pour recevoir des conseils spirituels et faire le salut de mon \u00e2me, je pris \u00e0 mon service le pope Sylvestre, esp\u00e9rant qu’un homme qui se tient devant l’autel du Seigneur aurait soin de son \u00e2me. Or, faisant fi de ses v\u0153ux sacerdotaux ainsi que du privil\u00e8ge qui \u00e9tait le sien de c\u00e9l\u00e9brer avec les anges \u00e0 l’autel du Seigneur \u00ab sur lequel les anges se penchent avec convoitise <\/span>7<\/sup><\/a><\/span><\/span> \u00bb, o\u00f9 l’Agneau de Dieu est \u00e9ternellement sacrifi\u00e9 pour le salut du monde sans jamais \u00eatre consum\u00e9, il pi\u00e9tina perfidement tout cela, lui qui d\u00e8s cette vie avait \u00e9t\u00e9 rendu digne du service s\u00e9raphique. Au d\u00e9but, il laissa croire qu’il faisait le bien, conform\u00e9ment aux Saintes \u00c9critures. Comme j’avais appris dans l’\u00c9criture divine qu’il fallait se soumettre sans discuter aux bons ma\u00eetres spirituels, je lui ob\u00e9issais par libre choix et non par ignorance, pour b\u00e9n\u00e9ficier de ses conseils. Lui, assoiff\u00e9 de pouvoir tel le pr\u00eatre \u00c9li, se mit \u00e0 s’entourer d’amis \u00e0 l’instar des hommes du monde. Puis nous r\u00e9unimes tous les archev\u00eaques et \u00e9v\u00eaques, tout le saint synode de la m\u00e9tropolie de Russie, et devant notre p\u00e8re et intercesseur Macaire, m\u00e9tropolite de toute la Russie, nous implor\u00e2mes le pardon de Dieu pour avoir dans notre jeunesse fait peser sur vous, boyards, notre disgr\u00e2ce alors que vous, nos boyards, vous vous opposiez \u00e0 nous. <\/p>\n\n\n\n Il s’agit sans doute de la \u00ab convocation des clercs \u00bb dont Ivan prit l’initiative en 1549 pour annoncer son programme de r\u00e9formes et faire sa paix avec les boyards plut\u00f4t que du concile des Cent Chapitres (Stoglav) de 1551.<\/p>\n\n\n\n Nous vous pardonn\u00e2mes alors vos fautes \u00e0 vous, nos boyards, et \u00e0 tous les autres, et prom\u00eemes de n’en plus parler, vous consid\u00e9rant d\u00e8s lors tous comme nos fid\u00e8les serviteurs. <\/p>\n\n\n\n Mais vous n’avez pas renonc\u00e9 \u00e0 vos habitudes perfides et, comme par le pass\u00e9, vous avez cherch\u00e9 \u00e0 nous servir sans honn\u00eatet\u00e9 ni simplicit\u00e9, en employant la ruse. C’est ainsi \u00e9galement que le pope Sylvestre se lia d’amiti\u00e9 avec Alexei et qu’ils commenc\u00e8rent \u00e0 tenir des conciliabules \u00e0 notre insu, nous prenant pour un demeur\u00e9.<\/p>\n\n\n\n Ivan d\u00e9signe ici les r\u00e9unions que Kourbski nommera \u00ab Conseil restreint \u00bb (Izbrannaia Rada) dans son Histoire du r\u00e8gne d’Ivan le Terrible<\/em>. Selon Pierre Gonneau et Alexandr Lavrov, Kourbski avait une toute autre conception de l\u2019apport de ces conseillers dans la politique du souverain : \u00ab [\u2026] qui, selon lui, ont su brider les mauvais instincts d’Ivan le Terrible et auxquels il est redevable des succ\u00e8s du d\u00e9but de son r\u00e8gne (1547-1564). Les personnalit\u00e9s dominantes de ce cercle, toutes d’origine assez humble, sont les fr\u00e8res Aleksej et Danil Fedorovi\u010d Ada\u0161ev, Ivan Viskovatyj et le pr\u00eatre Sil’vestr. Les Ada\u0161ev, dont le p\u00e8re Fedor, un petit gentilhomme de Kostroma, avait accompli diverses missions diplomatiques, s’int\u00e9ressent en particulier aux questions militaires. Ivan Mixajlovi\u010d Viskovatyj, un simple secr\u00e9taire qui a su s’\u00e9lever en gagnant la faveur du tsar, joue un r\u00f4le particuli\u00e8rement actif dans le domaine des affaires \u00e9trang\u00e8res. Sil\u2019vestr est le cur\u00e9 de l’\u00e9glise de l’Annonciation du Kremlin. Bien que les chroniques et les documents diplomatiques contemporains le mentionnent tr\u00e8s peu, Ivan le Terrible et Kurbskij le pr\u00e9sentent comme une autorit\u00e9 morale, capable de morig\u00e9ner le souverain qui l’accuse par la suite d’avoir largement outrepass\u00e9 ses comp\u00e9tences spirituelles pour s’immiscer dans les affaires temporelles et de l’avoir ‘effray\u00e9 comme on fait peur \u00e0 un enfant’. \u00bb <\/span>8<\/sup><\/a><\/span><\/span><\/p>\n\n\n\n Ils s’entretenaient d’affaires temporelles, et non d’affaires spirituelles, et en vinrent petit \u00e0 petit \u00e0 vous plier \u00e0 leur volont\u00e9, vous les boyards. Ils vous ont soustraits \u00e0 notre pouvoir, vous ont appris \u00e0 nous contredire, \u00e0 nous rabaisser quasiment \u00e0 leur rang tout en vous assimilant vous-m\u00eames \u00e0 des petits nobles de rien du tout. Le mal se r\u00e9pandit peu \u00e0 peu et ils commenc\u00e8rent \u00e0 vous restituer les fiefs, villes et villages qui vous avaient \u00e9t\u00e9 \u00f4t\u00e9s par d\u00e9cret du grand souverain notre a\u00efeul et qu’il ne convenait pas de laisser en votre possession. Ces patrimoines, ils les distribu\u00e8rent illicitement au gr\u00e9 des vents contre la volont\u00e9 de mon a\u00efeul et se firent ainsi beaucoup d’amis. Ensuite ils introduisirent en notre Conseil leur complice Dimitri Kourliatev, qui faisait semblant de prendre soin de notre \u00e2me et de s’occuper d’affaires spirituelles et non d’intrigues. <\/p>\n\n\n\n Prince de la famille Obolenski qui exer\u00e7a une grande influence avant de tomber en disgr\u00e2ce en m\u00eame temps qu’Adachev. Ivan le rel\u00e9gua dans un monast\u00e8re puis le fit assassiner.<\/p>\n\n\n\n Ils se mirent ensuite avec leur complice \u00e0 r\u00e9aliser leurs mauvais desseins, veillant \u00e0 ce qu\u2019il n\u2019y e\u00fbt aucune place qui ne f\u00fbt occup\u00e9e par un de leurs partisans. Ils pouvaient ainsi toujours arriver \u00e0 leurs fins. Puis, avec l’aide de leur complice, ils nous d\u00e9pouill\u00e8rent du pouvoir et droit ancestral qui \u00e9tait le n\u00f4tre de vous distribuer, \u00e0 vous nos boyards, les honneurs et les charges, s’attribuant \u00e0 eux-m\u00eames le privil\u00e8ge de g\u00e9rer et d\u00e9cider en cette mati\u00e8re selon leur bon vouloir et convenance. Ensuite ils s’entour\u00e8rent d’amis et exerc\u00e8rent tous pouvoir \u00e0 leur gr\u00e9 sans nous consulter en quoi que ce f\u00fbt, comme si nous n’existions pas. Ils prenaient toutes leurs d\u00e9cisions et dispositions comme ils le voulaient et en fonction des v\u0153ux de leurs conseillers. Et si m\u00eame nous donnions un bon conseil, cela ne leur agr\u00e9ait pas, tandis que leurs avis \u00e0 eux passaient pour bons, m\u00eame s’ils \u00e9taient mauvais et pernicieux.<\/p>\n\n\n\n C’est ainsi qu’il en allait pour les affaires ext\u00e9rieures ; dans les affaires int\u00e9rieures \u2014 m\u00eame les plus infimes et les plus insignifiantes, comme la nourriture ou le sommeil \u2014 ils ne nous laissaient aucune libert\u00e9. Tout se passait comme ils le souhaitaient et ils nous consid\u00e9raient comme un enfant. Est-ce se montrer \u00ab adversaire de la raison \u00bb que de ne plus vouloir \u00eatre un enfant quand on est adulte ? Cela devint une habitude : il suffisait que j’opposasse une objection au moindre des conseillers pour qu’on m’accus\u00e2t d’impi\u00e9t\u00e9, comme tu viens de l’\u00e9crire dans ta missive d\u00e9cousue. Et si le dernier des conseillers m’adressait des paroles hautaines et grossi\u00e8res, me parlant non comme \u00e0 un souverain ni m\u00eame comme \u00e0 un fr\u00e8re mais comme \u00e0 un subalterne, ils trouvaient cela bien. \u00c0 celui qui nous ob\u00e9issait et faisait notre volont\u00e9 on r\u00e9servait la pers\u00e9cution et de grands tourments. Mais celui qui nous irritait ou nous affligeait de telle ou telle fa\u00e7on, \u00e0 lui les richesses, la gloire et les honneurs ! Et si j’opposais mon d\u00e9saccord, on me mena\u00e7ait de la perte de mon \u00e2me et de la ruine de mon empire ! Nous v\u00e9c\u00fbmes donc traqu\u00e9 et opprim\u00e9, et la pers\u00e9cution grandissait non de jour en jour mais d\u2019heure en heure : tout ce qui nous r\u00e9pugnait se fortifiait et tout ce qui nous ob\u00e9issait et nous apaisait se trouvait an\u00e9anti. C\u2019est ainsi qu\u2019en temps-l\u00e0 brillait l’orthodoxie ! Qui pourra \u00e9num\u00e9rer dans le d\u00e9tail toutes les vexations auxquelles nous f\u00fbmes soumis dans notre vie quotidienne, pendant les d\u00e9placements, durant le repos, lors des offices religieux ou quoi que nous fissions d’autre ? C’\u00e9tait ainsi : ils faisaient comme s’ils agissaient au nom de Dieu et comme s’ils nous opprimaient non par perfidie mais pour le bien de notre \u00e2me.<\/p>\n\n\n\n De m\u00eame quand, par la volont\u00e9 de Dieu, nous march\u00e2mes derri\u00e8re l’\u00e9tendard marqu\u00e9 de la croix, banni\u00e8re de toute l’arm\u00e9e orthodoxe, contre le peuple impie de Kazan pour d\u00e9fendre les chr\u00e9tiens orthodoxes, et quand, par la mis\u00e9ricorde inexprimable de Dieu qui nous donna la victoire sur ces mahom\u00e9tans, nous retournions chez nous sains et saufs avec notre arm\u00e9e intacte, quel \u00ab bien \u00bb nous ont voulu ceux que tu appelles martyrs ? Je vais te le dire : m’embarquant comme un prisonnier sur un bateau, ils me firent traverser, accompagn\u00e9 d’une poign\u00e9e d’hommes, le pays le plus impie et le plus m\u00e9cr\u00e9ant qui f\u00fbt ! Si la dextre du Tr\u00e8s-Haut n’avait prot\u00e9g\u00e9 l’humble p\u00eacheur que je suis, j’y aurais sans doute perdu la vie. Le voil\u00e0, le \u00ab bien \u00bb que nous veulent tous ceux dont tu prends la d\u00e9fense, c’est ainsi qu’ils nous sont vou\u00e9s \u00ab corps et \u00e2me \u00bb : ils cherchent \u00e0 nous livrer \u00e0 des \u00e9trangers !<\/p>\n\n\n\n De m\u00eame quand nous f\u00fbmes de retour dans notre imp\u00e9riale cit\u00e9 de Moscou, Dieu nous prodigua sa mis\u00e9ricorde en nous donnant un h\u00e9ritier, notre fils Dimitri. Mais peu de temps apr\u00e8s, ils se trouva, comme ce peut \u00eatre le lot de tout homme, que nous f\u00fbmes accabl\u00e9 d’une grave maladie. Ceux qui, selon toi, nous \u00ab veulent du bien \u00bb se soulev\u00e8rent alors avec le pope Sylvestre et ton ma\u00eetre Adachev comme s’ils \u00e9taient ivres, pensant que nous avions tr\u00e9pass\u00e9, oubliant nos bienfaits, oublieux surtout de leur \u00e2me et du serment qu’ils avaient pr\u00eat\u00e9 \u00e0 notre p\u00e8re comme \u00e0 nous-m\u00eame de ne point se chercher d’autres souverains que nos enfants. Ils voulaient hisser sur le tr\u00f4ne le prince Vladimir, qui est loin de nous dans l’ordre de succession. <\/p>\n\n\n\n Le tsar \u00e9voque ici sa maladie de 1553. Croyant sa derni\u00e8re heure venue, il convoqua les boyards et les somma de jurer fid\u00e9lit\u00e9 \u00e0 son jeune fils Dimitri, alors enfant au berceau. La plupart des boyards h\u00e9sit\u00e8rent, craignant que la r\u00e9gence ne donn\u00e2t un pouvoir indu \u00e0 la tsarine Anastasia et \u00e0 sa famille, les Zakharine, et pr\u00e9f\u00e9rant que le tr\u00f4ne allat au cousin d’Ivan, le prince Vladimir Staritski. On rappellera que Kourbski, lors de cet \u00e9pisode, fut de ceux qui n’h\u00e9sit\u00e8rent pas \u00e0 jurer fid\u00e9lit\u00e9 au tsar\u00e9vitch.<\/p>\n\n\n\n Quant \u00e0 ce nouveau-n\u00e9 que Dieu nous avait donn\u00e9, ils voulaient, tel H\u00e9rode, le faire p\u00e9rir (et ils n’auraient eu aucun mal \u00e0 le faire p\u00e9rir !). Comme le dit le vieil adage \u2014 qui, bien que profane, n’en convient pas moins \u2014 : \u00ab Le tsar ne s’incline point devant le tsar, mais quand l’un vient \u00e0 mourir l’autre prend le pouvoir. \u00bb Si donc, alors que nous vivions encore, tel \u00e9tait le \u00ab bien \u00bb que nous voulaient nos sujets, qu’en sera-t-il apr\u00e8s notre mort ! Mais, par la gr\u00e2ce de Dieu, nous gu\u00e9r\u00eemes et cette conjuration tomba en poussi\u00e8re. Le pope Sylvestre et Alexe\u00ef Adachev n’en continu\u00e8rent pas moins de nous harceler fort cruellement et de nous donner toutes sortes de mauvais conseils, pers\u00e9cutant sous divers pr\u00e9textes ceux qui nous voulaient v\u00e9ritablement du bien et flattant tous les caprices du prince Vladimir. Ils poursuivaient \u00e9galement d’une haine f\u00e9roce notre tsarine Anastasia, qu’ils comparaient \u00e0 toutes les imp\u00e9ratrices inf\u00e2mes. Ils faisaient comme si nos enfants n’existaient pas.<\/p>\n\n\n\n De m\u00eame, ce chien, ce tra\u00eetre de prince Semen Rostovski, que nous avions admis en notre conseil par gr\u00e2ce et non pour ses m\u00e9rites, communiqua de f\u00e9lonne mani\u00e8re nos desseins aux ambassadeurs lituaniens, le seigneur Stanislas Dowojno et sa suite, et leur parla de nous, ainsi que de notre tsarine et de nos enfants, en termes de reproche. Quant \u00e0 nous, nous \u00e9tant renseign\u00e9 sur ses m\u00e9faits, nous le pun\u00eemes, non toutefois sans cl\u00e9mence. <\/p>\n\n\n\n Le prince Semen Rostovski avait effectivement complot\u00e9 avec les Lituaniens, mais, craignant que ses desseins n’apparaissent au grand jour, il s’\u00e9tait enfui en Lituanie, invoquant le droit traditionnel de \u00ab passage \u00bb au service d’un autre prince. Ramen\u00e9 au tsar et condamn\u00e9 \u00e0 mort pour trahison, il fut graci\u00e9 sur les instances du m\u00e9tropolite Macaire et emprisonn\u00e9 au monast\u00e8re de Beloozero.<\/p>\n\n\n\n Ensuite, le pope Sylvestre, soutenu par vous autres, ses mauvais conseillers, se mit \u00e0 accorder \u00e0 ce chien toutes formes de protection et moult bienfaits \u2014 et non seulement \u00e0 lui, mais \u00e0 tous les siens. Depuis ce temps, tous les tra\u00eetres eurent la vie belle, tandis que, pour notre part, nous souffrions grande oppression. Et toi aussi, tu \u00e9tais des leurs : il est notoire qu’avec Kourliatiev vous vouliez \u00eatre juges dans l’affaire Sitski.<\/p>\n\n\n\n Il s’agit d’un litige qui oppose un certain Prozorovski, d\u00e9fendu par Kourbski et Kourliatiev, \u00e0 la couronne (repr\u00e9sent\u00e9e par Vassili Sitski). Prozorovski demandait que lui soient restitu\u00e9es des terres ancestrales confisqu\u00e9es par Ivan au profit du tsar\u00e9vitch Fiodor.<\/p>\n\n\n\n De m\u00eame quand commen\u00e7a la guerre, je veux dire la guerre contre les Allemands (dont je parlerai plus amplement tout \u00e0 l’heure), le pope Sylvestre \u2014 appuy\u00e9 par vous, ses conseillers \u2014 nous attaqua f\u00e9rocement sur ce sujet. \u00c0 les croire, la maladie qui, pour nos p\u00e9ch\u00e9s, nous avait \u00e9t\u00e9 envoy\u00e9e ainsi qu’\u00e0 notre tsarine et \u00e0 nos enfants n’avait d’autre cause que notre refus de leur ob\u00e9ir. Comment \u00e9voquerai-je l’affreux voyage de Moja\u00efsk \u00e0 Moscou avec notre tsarine Anastasia, souffrante ? <\/p>\n\n\n\n En octobre 1559, Ivan et son \u00e9pouse \u00e9taient \u00e0 Moja\u00efsk quand ils apprirent que les Livoniens avaient rompu la tr\u00eave de six mois conclue peu avant. En d\u00e9pit du mauvais temps, Ivan d\u00e9cida de rentrer \u00e0 Moscou. Au cours du voyage, Anastasia tomba malade ; elle mourut l’ann\u00e9e suivante.<\/p>\n\n\n\n Pour une seule parole de travers, une telle souffrance ! Pri\u00e8res, p\u00e8lerinages dans les ermitages, offrandes et v\u0153ux aux saints pour le salut de notre \u00e2me, la sant\u00e9 de notre corps et notre bien-\u00eatre ainsi que pour la tsarine et nos enfants : nous f\u00fbmes perfidement priv\u00e9s de tout cela par vos manigances. Quant \u00e0 recourir \u00e0 l’art des m\u00e9decins pour lutter contre la maladie, nul n’en parla.<\/p>\n\n\n\n Plong\u00e9 dans une si cruelle angoisse et incapable de supporter le fardeau inhumain que vous nous aviez impos\u00e9, nous f\u00eemes enqu\u00eater sur les trahisons de ce chien d’Alexe\u00ef Adachev et de tous ses conseillers, et les pun\u00eemes sans s\u00e9v\u00e9rit\u00e9, ne les condamnant pas \u00e0 la peine capitale mais les \u00e9loignant en divers lieux. <\/p>\n\n\n\n C’est \u00e0 la suite de ces \u00e9v\u00e9nements qu\u2019Adachev fut envoy\u00e9 en Livonie en 1560, puis nomm\u00e9 gouverneur de la ville de Fellin, et ensuite de Dorpat. Sur ordre du tsar il y fut emprisonn\u00e9 et mourut en d\u00e9tention. Son fr\u00e8re Daniel fut nomm\u00e9 vice-gouverneur de Fellin, puis Ivan le fit mettre \u00e0 mort. Kourliatiev fut tonsur\u00e9 de force puis assassin\u00e9.<\/p>\n\n\n\n Le pope Sylvestre, voyant que ses conseillers \u00e9taient r\u00e9duits \u00e0 n\u00e9ant, c\u00e9da la place de son propre gr\u00e9. Pour notre part, nous le laiss\u00e2mes partir avec notre b\u00e9n\u00e9diction, non que nous eussions honte devant lui mais parce que je ne voulais pas demander justice ici-bas, mais dans le monde futur \u2014 devant l’Agneau de Dieu qu’il a toujours servi \u2014 du mal qui ma fait par sa perfidie et son m\u00e9pris. C’est dans la vie \u00e9ternelle que je veux qu’il rende justice pour toutes les souffrances spirituelles et corporelles que j’eus \u00e0 endurer de sa part <\/span>9<\/sup><\/a><\/span><\/span>. C’est pourquoi j’ai permis que son fils vive en paix jusqu’\u00e0 ce jour, \u00e0 condition qu’il ne se pr\u00e9sente pas devant nos yeux. Qui d’autre que toi pourrait \u00eatre assez sot pour soutenir qu’il faut ob\u00e9ir \u00e0 un pope ? On voit que si vous parlez ainsi c’est parce que vous \u00eates durs d’oreille et connaissez mal la r\u00e8gle monastique chr\u00e9tienne, qui stipule comment il convient de se soumettre \u00e0 ses ma\u00eetres. C’est ainsi que vous exigez que j’aie un pr\u00e9cepteur, comme si j’\u00e9tais encore un enfant, et que vous voulez me donner du lait au lieu de nourriture solide <\/span>10<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Comme je l’ai d\u00e9j\u00e0 dit, je n’ai fait aucun mal \u00e0 Sylvestre. Quant aux la\u00efcs qui rel\u00e8vent de notre pouvoir, nous les avons ch\u00e2ti\u00e9s en fonction de leur trahison. Au d\u00e9but, nous n’avons fait ex\u00e9cuter personne, mais nous avons ordonn\u00e9 \u00e0 tous ceux qui n’avaient pas \u00e9t\u00e9 leurs complices de n’avoir avec eux nul rapport. Ce qui nous fut jur\u00e9 sur la croix. Mais comme ceux que tu appelles martyrs, ainsi que leurs complices, pass\u00e8rent outre \u00e0 nos instructions et transgress\u00e8rent le serment qu’ils avaient pr\u00eat\u00e9, et non seulement ne s’\u00e9loign\u00e8rent pas des f\u00e9lons mais se mirent \u00e0 les aider davantage encore et \u00e0 chercher toutes sortes de moyens pour qu’ils retrouvent leur position, tramant contre nous des complots plus perfides encore, et comme ils r\u00e9v\u00e9l\u00e8rent ainsi leur haine insatiable et leur insubordination, pour cette raison les coupables re\u00e7urent un ch\u00e2timent \u00e0 la mesure de leur faute. Ai-je agi, pour reprendre ton expression, \u00ab en adversaire \u00bb bien que \u00ab capable de comprendre \u00bb en ne m’inclinant pas alors devant votre volont\u00e9 ? Parce que vous \u00eates des parjures sans conscience et que vous avez coutume de trahir pour le scintillement de l’or, vous nous conseillez de faire de m\u00eame ! C’est pourquoi je dirai : ce d\u00e9sir est une abomination digne de Judas ! Seigneur, d\u00e9livres-en notre \u00e2me et toutes les \u00e2mes chr\u00e9tiennes orthodoxes ! Car de m\u00eame que Judas pour de l’or trahit le Christ, de m\u00eame, vous autres, pour jouir des d\u00e9lices de ce monde, vous avez trahi la foi orthodoxe et vos souverains, oubliant vos \u00e2mes et rompant votre serment.<\/p>\n\n\n\n Dans les \u00e9glises, il ne se passa rien de ce que tu soutiens mensong\u00e8rement. Comme je l’ai d\u00e9j\u00e0 dit, les coupables ont subi le ch\u00e2timent de leurs fautes. Rien n’est arriv\u00e9 comme tu oses le soutenir en nommant impudemment \u00ab martyrs \u00bb des tra\u00eetres et des fornicateurs, en qualifiant leur sang de \u00ab saint et victorieux \u00bb, en appelant nos ennemis \u00ab forts \u00bb et des ren\u00e9gats \u00ab capitaines de nos arm\u00e9es \u00bb. J’ai d\u00e9j\u00e0 indiqu\u00e9 ce qu’il fallait penser du \u00ab bien \u00bb qu’ils me voulaient et de leur fa\u00e7on de m’\u00eatre \u00ab d\u00e9vou\u00e9s corps et \u00e2me \u00bb. Et tu ne peux dire que c’est de la calomnie, car leur trahison est connue du monde entier. Si tu veux, tu trouveras des t\u00e9moins de ces m\u00e9faits m\u00eame chez les barbares qui viennent chez nous pour le commerce ou pour des ambassades. C’est ainsi que les choses se sont pass\u00e9es. Aujourd’hui, m\u00eame ceux qui \u00e9taient de m\u00e8che avec vous peuvent go\u00fbter de tous les bienfaits de la libert\u00e9 et du bien-\u00eatre. Ils s’enrichissent, et nul ne leur rappelle leurs crimes pass\u00e9s. Ils ont conserv\u00e9 leur honneur et leurs biens.<\/p>\n\n\n\n Que dirai-je encore ? Vous vous rebellez aussi contre l’\u00c9glise et ne cessez de nous pers\u00e9cuter par maints m\u00e9faits. Vous rassemblez contre nous toutes sortes d’\u00e9trangers et les excitez \u00e0 massacrer les chr\u00e9tiens. Je le r\u00e9p\u00e8te : fous de rage contre un homme vous vous \u00eates dress\u00e9s contre Dieu et l’\u00c9glise. Comme le dit l’ap\u00f4tre Paul : \u00ab Quant \u00e0 moi, fr\u00e8res, si je pr\u00eache encore la circoncision, pourquoi suis-je encore pers\u00e9cut\u00e9 ? C’en est donc fini du scandale de la Croix ? Qu’ils tremblent, ceux qui bouleversent vos \u00e2mes ! <\/span>11<\/sup><\/a><\/span><\/span> \u00bb Et de m\u00eame que ceux-l\u00e0 voulaient substituer la circoncision \u00e0 la Croix, de m\u00eame vous, vous voulez substituer votre licence au pouvoir de votre souverain. Pourtant, la libert\u00e9 r\u00e8gne. Pourquoi, alors, ne mettez-vous pas un terme \u00e0 vos pers\u00e9cutions ?<\/p>\n\n\n\n Tout cela, je te l’expose en d\u00e9tail, pour que tu comprennes pourquoi je suis, \u00e0 ce qu’il te semble, \u00ab adversaire de la raison \u00bb et ai une \u00ab conscience l\u00e9preuse \u00bb. \u00c0 quoi bon parler de \u00ab nations pa\u00efennes \u00bb quand il n’y a personne dans l’univers entier dont les desseins diaboliques s’\u00e9galent aux tiens ? Il est clair aussi que ceux que tu qualifies de forts, de capitaines et de martyrs sont en v\u00e9rit\u00e9, contrairement \u00e0 ce que tu avances, des Troyens f\u00e9lons comme \u00c9n\u00e9e et Ant\u00e9nor. Leur fa\u00e7on de \u00ab vouloir du bien \u00bb et de se \u00ab d\u00e9vouer corps et \u00e2me \u00bb a \u00e9t\u00e9 montr\u00e9e plus haut. L’univers entier conna\u00eet leur fourberie et leurs trahisons.<\/p>\n\n\n\n Je ne cherche ni \u00e0 \u00ab transformer la lumi\u00e8re en obscurit\u00e9 \u00bb ni \u00e0 \u00ab appeler amer ce qui est doux \u00bb. A ton avis, y a-t-il lumi\u00e8re et douceur quand les esclaves r\u00e8gnent en ma\u00eetres ? Y a-t-il t\u00e9n\u00e8bres et amertume quand r\u00e8gne un souverain donn\u00e9 par Dieu, comme je l’ai expos\u00e9 en d\u00e9tail ci-dessus ? Car dans ta lettre calomnieuse tu ne fais que r\u00e9p\u00e9ter la m\u00eame chose, \u00e0 grand renfort de mots, et exalter un ordre de choses o\u00f9 les esclaves commandent \u00e0 la place de leurs ma\u00eetres. Moi, au contraire, je m’efforce sans rel\u00e2che de guider les hommes vers la v\u00e9rit\u00e9 et la lumi\u00e8re pour qu’ils connaissent le vrai Dieu unique qui est glorifi\u00e9 dans la Trinit\u00e9, ainsi que le souverain que Dieu leur a donn\u00e9, et pour qu’ils renoncent \u00e0 des guerres intestines et m\u0153urs criminelles qui sont fatales aux empires. Est-ce amertume et obscurit\u00e9 que de mettre un terme au mal et faire le bien ? Non, c’est douceur et lumi\u00e8re ! Si les sujets n’ob\u00e9issent pas au roi, jamais ils ne cesseront de se faire la guerre. Y a-t-il pire habitude que de s’emparer de biens ? Il ne sait pas lui-m\u00eame o\u00f9 sont la douceur et la lumi\u00e8re, ni l’amertume et les t\u00e9n\u00e8bres, et il enseigne les autres ! A moins que ce ne soit douceur et lumi\u00e8re que de s’\u00e9loigner du bien et \u2014 dans un esprit d’insoumission et par des guerres intestines \u2014 de faire le mal ? Tout le monde sait bien qu’il n’y a pas la lumi\u00e8re, mais t\u00e9n\u00e8bres ; ni douceur, mais amertume.<\/p>\n\n\n\n Venons-en \u00e0 la faute de nos sujets et \u00e0 notre col\u00e8re. Jusqu’\u00e0 pr\u00e9sent, les souverains russes n’ont jamais eu \u00e0 rendre de comptes devant personne et ont r\u00e9compens\u00e9 ou puni leurs sujets selon leur bon vouloir, sans avoir \u00e0 compara\u00eetre devant aucun tribunal. Mais s’il s\u2019agit des m\u00e9faits de nos sujets, il en a d\u00e9j\u00e0 \u00e9t\u00e9 question plus haut. Tu qualifies de \u00ab champions \u00bb des mortels comme dans les r\u00e9pugnants \u00e9crits des Hell\u00e8nes, qui assimilaient \u00e0 Dieu Apollon, Zeus et bien d’autres personnages inf\u00e2mes, comme le rapporte solennellement Gr\u00e9goire, dit le Th\u00e9ologien : \u00ab Il n’y a pas chez nous la naissance ni le rapt de Zeus, le souverain de Cr\u00e8te [\u2026], ni des jeunes gens applaudissant, dansant avec leurs armes et couvrant le bruit que faisait un dieu \u00e9plor\u00e9 pour lui permettre d’\u00e9chapper \u00e0 la haine de son p\u00e8re : il e\u00fbt \u00e9t\u00e9 \u00e9trange, en effet, que l’on entendit g\u00e9mir comme un enfant celui qui avait \u00e9t\u00e9 aval\u00e9 comme une pierre. Il n’y a pas non plus des Phrygiens avec mutilations, fl\u00fbtes et toutes les extravagances que les hommes accomplissent autour de Rh\u00e9a […]. Il n’y a pas non plus ici Dionysos, ni une cuisse donnant naissance \u00e0 un rejeton recueilli avant terme, comme une t\u00eate donna pr\u00e9c\u00e9demment naissance \u00e0 un autre rejeton. Il n’y a pas […] cette d\u00e9mence des Th\u00e9bains qui honorent ce dieu, ni la foudre de S\u00e9m\u00e9l\u00e9 que l’on adore […], ni d’autel marqu\u00e9 du sang des jeunes Lac\u00e9d\u00e9moniens, lac\u00e9r\u00e9s par les fouets lors de pratiques qui honorent une d\u00e9esse. […] O\u00f9 placeras-tu […] les fant\u00f4mes effrayants envoy\u00e9s par H\u00e9cate pendant la nuit, les bouffonneries et les oracles souterrains de Trophonios […], les lac\u00e9rations d’Osiris, autre malheur honor\u00e9 chez les \u00c9gyptiens, ainsi que les infortunes d’Isis ? […] Ces cultes ont chacun initiation et solennit\u00e9 propres, et ils ont en commun la d\u00e9mence \u00e0 tous \u00e9gards. […] Car il est d\u00e9j\u00e0 terrible que, cr\u00e9\u00e9s pour accomplir le bien, pour glorifier et louer notre auteur et imiter Dieu autant qu’il est possible, nous soyons devenus la citadelle des diverses passions qui d\u00e9vorent perfidement et consument l’homme int\u00e9rieur ; mais il y a plus : nous avons \u00e9rig\u00e9 des dieux comme protecteurs des passions. Ainsi le p\u00e9ch\u00e9, loin d’\u00eatre bl\u00e2mable, est tenu pour divin, puisqu’il trouve asile aupr\u00e8s de tels d\u00e9fenseurs : les \u00eatres que l’on adore. <\/span>12<\/sup><\/a><\/span><\/span> \u00bb Il y avait encore chez les Grecs bien d’autres infamies, car ils adoraient leurs dieux en fonction de leurs passions : fornication, col\u00e8re, incontinence et concupiscence. Si l’un d’entre eux \u00e9tait la proie d’une passion, il se choisissait un dieu semblable \u00e0 sa passion et lui accordait foi. Ainsi, H\u00e9racl\u00e8s \u00e9tait le dieu de la fornication, Cronos de la haine et de l’animosit\u00e9, Ar\u00e8s de la col\u00e8re et du meurtre, Dionysos des r\u00e9jouissances avec musique et sarabande. D’autres dieux \u00e9taient ador\u00e9s aussi en fonction des vices que l’on avait. Tu t’es rendu semblable \u00e0 eux par tes d\u00e9sirs, car toi aussi tu oses appeler des mortels \u00ab champions \u00bb et intercesseurs, ne craignant pas de leur attribuer la gloire de fa\u00e7on blasph\u00e9matoire. Car de m\u00eame que les Hell\u00e8nes v\u00e9n\u00e9raient les dieux conform\u00e9ment \u00e0 leurs passions, de m\u00eame tu glorifies des tra\u00eetres conform\u00e9ment \u00e0 ta propre tra\u00eetrise.<\/p>\n\n\n\n Le prince Kourbski \u00e9tait hell\u00e9nophile. Son oncle maternel Vassili Toutchkov-Morozov avait \u00e9t\u00e9 proche de Maxime le Grec (1470-1556), ce lettr\u00e9 byzantin qui avait fr\u00e9quent\u00e9 \u00e0 Florence les plus grands noms de l’humanisme italien et qui avait travaill\u00e9 \u00e0 Venise avec l’imprimeur Alde Manuce \u00e0 l’\u00e9dition princeps <\/em>des \u0153uvres d’Aristote. Rentr\u00e9 en Gr\u00e8ce, Maxime avait pris l’habit au Mont Athos et avait \u00e9t\u00e9 invit\u00e9 en Russie en 1516 par Ivan III pour inventorier les ouvrages grecs de sa biblioth\u00e8que et corriger les versions slavonnes des livres liturgiques et patristiques en usage dans l’\u00c9glise russe. Il y resta quarante ann\u00e9es, dont pr\u00e8s de trente pass\u00e9es en prison pour blasph\u00e8me et h\u00e9r\u00e9sie (ce n’\u00e9tait pas sans danger que l’on touchait en Russie aux formules consacr\u00e9es par le temps, fussent-elles de toute \u00e9vidence erron\u00e9es). Malgr\u00e9 toutes les difficult\u00e9s qu’il rencontra, et qui confin\u00e8rent \u00e0 certains moments au martyre, Maxime allait apporter \u00e0 la Russie des rudiments durables de grammaire et de philologie et serait \u00e0 l’origine de l’int\u00e9r\u00eat pour les \u00e9tudes classiques dans ce pays. Le prince Andrei Kourbski n’\u00e9tait donc pas seulement un vaillant et redoutable soldat, c’\u00e9tait aussi, et peut-\u00eatre surtout, un lettr\u00e9 chr\u00e9tien, un disciple de Maxime le Grec.<\/p>\n\n\n\n Et de m\u00eame qu’au lieu de dieux ils adoraient leurs secr\u00e8tes passions, de m\u00eame vous faites passer votre secr\u00e8te f\u00e9lonie pour la cause de la v\u00e9rit\u00e9. Nous autres chr\u00e9tiens, nous croyons en notre Dieu J\u00e9sus-Christ glorifi\u00e9 dans la Trinit\u00e9 comme le dit l’ap\u00f4tre Paul : \u00ab Car nous avons le Christ, m\u00e9diateur de la nouvelle alliance qui est assis \u00e0 la droite du tr\u00f4ne de la Majest\u00e9 dans les cieux et qui, ayant d\u00e9chir\u00e9 le voile de notre chair, interc\u00e8de sans cesse pour nous, des mains de qui il souffrit de son plein gr\u00e9, nous ayant purifi\u00e9s du sang de son alliance nouvelle <\/span>13<\/sup><\/a><\/span><\/span> \u00bb Ce m\u00eame Christ dit dans son \u00c9vangile : \u00ab Ne vous faites pas non plus appeler \u00ab ma\u00eetres \u00bb : car vous n’avez qu’un ma\u00eetre, le Christ. <\/span>14<\/sup><\/a><\/span><\/span> \u00bb Nous autres chr\u00e9tiens, nous avons pour protecteurs le Dieu en trois Personnes, que nous avons connu par J\u00e9sus-Christ, notre Dieu, la Tr\u00e8s Sainte M\u00e8re de Dieu, protectrice des chr\u00e9tiens, rendue digne de devenir la M\u00e8re du Christ notre Dieu, nous avons toutes les puissances des cieux, les archanges et anges, de m\u00eame que l’archange saint Michel, qui fut le protecteur de Mo\u00efse, de Josu\u00e9 fils de Noun et de tout Isra\u00ebl ; l’archange fut aussi le protecteur invisible de Constantin, premier empereur chr\u00e9tien de l’\u00e8re de gr\u00e2ce, marchant \u00e0 la t\u00eate de ses arm\u00e9es et d\u00e9faisant tous ses ennemis, et depuis ce temps il aide tous les pieux tsars. <\/p>\n\n\n\n Rappelons ici qu’Ivan est \u00e9galement l’auteur d’une Pri\u00e8re \u00e0 l’ange de la mort, ou Canon \u00e0 l’archange archistrat\u00e8ge tr\u00e8s redout\u00e9 saint Michel.<\/em><\/p>\n\n\n\n Nos \u00ab champions \u00bb, les voici : Michel, Gabriel et toutes les autres puissances incorporelles. Les proph\u00e8tes, les ap\u00f4tres, les saints pontifes et martyrs, le ch\u0153ur des bienheureux, confesseurs et ermites, les saints hommes et femmes, tous prient Dieu pour nous. Ce sont eux, les \u00ab champions \u00bb qui interc\u00e8dent pour les chr\u00e9tiens. Quant aux mortels, j’ignore si l’on peut leur conf\u00e9rer ce titre. Non seulement il ne peut s’appliquer \u00e0 nos sujets mais il ne nous convient pas \u00e0 nous autres rois, m\u00eame si nous portons la pourpre orn\u00e9e d’or et de perles, car nous sommes mortels et soumis \u00e0 l’humaine fragilit\u00e9. Mais toi, tu n’\u00e9prouves nulle honte \u00e0 appeler \u00ab champions \u00bb des mortels perfides, alors que le Christ dit bien dans son Evangile : \u00ab Ce qui est \u00e9lev\u00e9 pour les hommes est objet de d\u00e9go\u00fbt devant Dieu. <\/span>15<\/sup><\/a><\/span><\/span> \u00bb Or tu pr\u00eates \u00e0 de perfides mortels non seulement la grandeur humaine mais la gloire divine ! Semblable aux Hell\u00e8nes, dans ton \u00e9garement et ta fr\u00e9n\u00e9sie de poss\u00e9d\u00e9 tu r\u00e9v\u00e8res des tra\u00eetres que tu choisis selon ta passion. C’est ainsi que les Hell\u00e8nes adoraient leurs dieux ! Les uns se mutilaient et se torturaient de multiples fa\u00e7ons en l’honneur de leurs dieux ; d’autres, s’assimilant aux dieux, s’adonnaient \u00e0 toutes sortes de passions et, comme le disait le divin Gr\u00e9goire, \u00ab adoraient l’immondice et croyaient en l’atrocit\u00e9 \u00bb. Comme ces mots sont appropri\u00e9s \u00e0 ton cas ! Car de m\u00eame qu’ils partag\u00e8rent le sort de leurs dieux r\u00e9pugnants, de m\u00eame il convient que tu partages les souffrances de tes amis f\u00e9lons et p\u00e9risses avec eux. De m\u00eame que les Hell\u00e8nes appelaient dieux des personnages abjects, toi aussi tu nommes impudemment martyrs des hommes mortels. Pour c\u00e9l\u00e9brer leur f\u00eate, tu n’as donc plus qu’\u00e0 te livrer \u00e0 des mutilations et \u00e0 des tortures, \u00e0 danser la sarabande et jouer de la fl\u00fbte. Imite les Hell\u00e8nes, et inflige-toi des souffrances comme eux le jour de la f\u00eate de tes \u00ab martyrs \u00bb !<\/p>\n\n\n\n Lorsque tu soutiens que ces \u00ab champions \u00bb ont \u00ab d\u00e9vast\u00e9 des royaumes pour nous soumettre en toutes choses ces pays o\u00f9 nos dieux avaient \u00e9t\u00e9 r\u00e9duits en servitude \u00bb, ce n’est pas faux, pourvu que tu n’aies en vue que le seul royaume de Kazan. En revanche, s’il s’agit d’Astrakhan, non seulement vous n’y avez pas expos\u00e9 vos corps dans les combats, mais vous ne vous en \u00eates pas m\u00eame approch\u00e9s par la pens\u00e9e. <\/p>\n\n\n\n Les Russes s’empar\u00e8rent d’Astrakhan en 1556 sans que la ville oppos\u00e2t de r\u00e9sistance.<\/p>\n\n\n\n Quant \u00e0 la vaillance sur le champ de bataille, permets-moi de te corriger. Comment peux-tu te vanter et te gonfler d’orgueil ? Vos a\u00efeux, vos p\u00e8res et vos oncles \u00e9taient fort sages, braves et d\u00e9vou\u00e9s (d’ailleurs votre bravoure et votre sagesse \u00e0 vous ne sont qu’une p\u00e2le ombre des leurs), et ces hommes braves et sages allaient au combat non sous la contrainte mais de leur plein gr\u00e9, mus par leur ardeur guerri\u00e8re \u2014 contrairement \u00e0 vous, qu’il fallait pousser au combat et qui vous en plaigniez. Pourtant, m\u00eame ces braves se montr\u00e8rent incapables pendant les treize ann\u00e9es de ma minorit\u00e9 de d\u00e9fendre les chr\u00e9tiens contre les barbares ! Comme le dit l’ap\u00f4tre Paul : \u00ab Je me glorifierai, mais c’est vous qui m’y avez contraint, car vous supportez qu’on vous asservisse, qu’on vous d\u00e9vore, qu’on vous traite avec arrogance, qu’on vous frappe au visage. Je le dis \u00e0 votre honte. <\/span>16<\/sup><\/a><\/span><\/span> \u00bb Tout le monde sait en effet combien les orthodoxes souffrirent alors des barbares, qu’ils fussent de Crim\u00e9e ou de Kazan. Pr\u00e8s de la moiti\u00e9 du pays fut d\u00e9vast\u00e9e. Quand nous mont\u00e2mes sur le tr\u00f4ne et, avec l’aide de Dieu, part\u00eemes en guerre contre les barbares, et que pour la premi\u00e8re fois nous d\u00e9p\u00each\u00e2mes en pays de Kazan notre capitaine le prince Semon Ivanovitch Mikoulinski et ses compagnons, vous disiez que c’\u00e9tait pour le punir, et qu’il avait \u00e9t\u00e9 envoy\u00e9 parce qu’il \u00e9tait tomb\u00e9 en disgr\u00e2ce, non pour d\u00e9fendre notre cause. O\u00f9 est la bravoure si l’on consid\u00e8re le service comme une disgr\u00e2ce ? Est-ce de cette mani\u00e8re que l\u2019on soumet \u00ab des royaumes orgueilleux \u00bb ? Avez-vous jamais fait campagne en pays de Kazan sans qu’on vous y oblige\u00e2t ? Vous \u00eates toujours partis en ren\u00e2clant. <\/p>\n\n\n\n En 1545, une exp\u00e9dition sous la direction de Mikoulinski et des princes Ivan Cheremetev et David Paletski sema le trouble dans la ville de Kazan. La deuxi\u00e8me campagne d’Ivan contre Kazan (1547-1548) comme la troisi\u00e8me (1549-1550) se sold\u00e8rent par un \u00e9chec, sans doute davantage d\u00fb aux conditions atmosph\u00e9riques qu’\u00e0 la mauvaise volont\u00e9 de Kourbski et de ses proches.<\/p>\n\n\n\n Et m\u00eame quand Dieu vous montra sa mis\u00e9ricorde et que ce peuple barbare fut soumis \u00e0 la chr\u00e9tient\u00e9, vous vous montr\u00e2tes si peu enclins \u00e0 vous battre \u00e0 nos c\u00f4t\u00e9s contre ces barbares que, par la faute de votre mauvaise volont\u00e9, plus de quinze mille hommes manqu\u00e8rent \u00e0 l’appel. Est-ce en inculquant aux gens des id\u00e9es insens\u00e9es et en les d\u00e9tournant du combat comme Ianouche le Hongrois que vous d\u00e9vastez des \u00ab royaumes orgueilleux \u00bb ? Au temps o\u00f9 nous-m\u00eame \u00e9tions l\u00e0-bas, vous nous donniez toujours des conseils pernicieux, et quand nos vivres all\u00e8rent par le fond lors d’un naufrage, vous nous propos\u00e2tes de faire demi-tour apr\u00e8s seulement trois jours de campagne. <\/p>\n\n\n\n Allusion \u00e0 Janos Zapolya, vo\u00efvode de Transylvanie puis roi de Hongrie, accus\u00e9 de trahison au profit des Turcs lors de la bataille de Mohacs (1526). Au d\u00e9but de la campagne, une temp\u00eate sur la Volga engloutit de nombreux bateaux et quantit\u00e9 de mat\u00e9riel.<\/p>\n\n\n\n Et vous ne voul\u00fbtes jamais patienter dans l’attente de circonstances favorables, songeant \u00e0 sauver vos t\u00eates, non \u00e0 remporter la victoire, et n’ayant qu’une seule pens\u00e9e : rentrer au plus vite \u00e0 la maison \u2014 vainqueurs \u00e0 la suite d’une br\u00e8ve bataille, ou vaincus. C’est ainsi que vous laiss\u00e2tes \u00e0 l\u2019arri\u00e8re d\u2019excellentes troupes pour pouvoir repartir plus vite, ce qui amena plus tard \u00e0 verser beaucoup de sang chr\u00e9tien. De m\u00eame, au moment o\u00f9 la ville allait \u00eatre prise, n’alliez-vous pas, si je ne vous avais retenus, causer la perte de troupes chr\u00e9tiennes en vous m\u00ealant au combat \u00e0 une minute peu propice ? Quand aussi, par la gr\u00e2ce de Dieu, la ville fut prise, au lieu d’\u0153uvrer \u00e0 r\u00e9tablir l’ordre, vous vous \u00eates h\u00e2t\u00e9s de participer au pillage. Est-ce l\u00e0 la \u00ab d\u00e9vastation des royaumes orgueilleux \u00bb dont tu te vantes, tout enfl\u00e9 de ta folie ? En v\u00e9rit\u00e9, cela ne m\u00e9rite aucune louange, car en toutes choses vous avez agi non selon votre libre arbitre mais comme des esclaves, sous l’effet de la compulsion, et m\u00eame en vous plaignant. Ceux qui sont dignes de louanges, ce sont les soldats qui vont \u00e0 la guerre bien volontiers, et de leur propre mouvement. Or vous nous avez soumis ces royaumes de telle fa\u00e7on qu’il fallut plus de sept ans pour mettre fin \u00e0 la guerre f\u00e9roce qui les opposa \u00e0 notre \u00c9tat.<\/p>\n\n\n\n En fait, il semblerait que les difficult\u00e9s qu’entra\u00eena la pacification soient moins dues aux g\u00e9n\u00e9raux qu’\u00e0 Ivan lui-m\u00eame qui, neuf jours apr\u00e8s la chute de Kazan, soit d\u00e8s le 11 octobre, partit pour Moscou au lieu de consolider sa victoire et de passer l’hiver sur place comme le lui recommandaient ses conseillers.<\/p>\n\n\n\n Mais quand prit fin votre chienne de domination, \u00e0 Alexe\u00ef et \u00e0 toi, ces royaumes nous furent soumis en toutes choses, et c’est de l\u00e0-bas que plus de trente mille hommes viennent maintenant aider l’orthodoxie. Telle fut votre fa\u00e7on de d\u00e9vaster les royaumes orgueilleux pour nous les soumettre ! <\/p>\n\n\n\n Dans ses campagnes livoniennes, Ivan eut souvent recours \u00e0 des troupes tatares, le plus souvent plac\u00e9es sous le commandement de tsar\u00e9vitchs<\/em> tatars, c\u2019est-\u00e0-dire de khans \u00e9tablis en Moscovie.<\/p>\n\n\n\n C’est ainsi que nous nous pr\u00e9occupons et nous soucions de l’orthodoxie, c’est ainsi que nous agissons \u00ab en adversaire \u00bb comme tu nous en accuses impudemment ! Voil\u00e0 pour Kazan. Quant au pays de Crim\u00e9e et aux d\u00e9serts nagu\u00e8re parcourus par les b\u00eates sauvages, ce sont maintenant des villes et villages qui s’y dressent. Et votre victoire sur le Dniepr et sur le Don ? Combien d’affreuses privations et de destructions n’a-t-elle pas values aux chr\u00e9tiens, sans qu’en revanche le moindre mal f\u00fbt inflig\u00e9 \u00e0 l’ennemi ! Et que dire d’Ivan Cheremetiev ? C’est \u00e0 cause de vos mauvais conseils et non pas selon notre d\u00e9sir que la chr\u00e9tient\u00e9 orthodoxe a connu pareil d\u00e9sastre. C’est ainsi que vous me servez avec z\u00e8le et que \u00ab vous d\u00e9vastez des royaumes orgueilleux pour me les soumettre \u00bb, comme nous l’avons d\u00e9j\u00e0 montr\u00e9. <\/p>\n\n\n\n Ivan tient Alexe\u00ef Adachev et Sylvestre (et donc, par association, Kourbski) responsables de la d\u00e9sastreuse exp\u00e9dition men\u00e9e par Cheremetiev en Crim\u00e9e en 1555. Contre ses conseillers, le tsar \u00e9tait d’avis qu’il fallait faire porter l’essentiel de l’effort militaire sur la Livonie, et non sur la Crim\u00e9e.<\/p>\n\n\n\n En ce qui concerne les villes allemandes, elles nous furent selon toi acquises par la volont\u00e9 de Dieu gr\u00e2ce au \u00ab discernement \u00bb de nos tra\u00eetres. Comme ton p\u00e8re le diable t’a bien appris \u00e0 ne dire et \u00e9crire que mensonges ! Rappelle-toi, quand la guerre avec les Allemands commen\u00e7a, nous envoy\u00e2mes en campagne notre serviteur le tsar Chig-Ali et notre boyard, le prince Mikha\u00efl Vassilevitch Chou\u00efski, ainsi que leurs compagnons. <\/p>\n\n\n\n La premi\u00e8re guerre de Livonie commen\u00e7a en janvier 1558, quand une arm\u00e9e russe command\u00e9e par l’ex-khan de Kazan Chig-Ali envahit la Livonie par surprise et ravagea le pays. En mai, les Russes s’emparaient du port de Narva sur le golfe de Finlande.<\/p>\n\n\n\n Combien n’essuy\u00e2mes-nous pas alors de reproches du pope Sylvestre, d’Alexe\u00ef et de vous tous ! Il est inutile de s’\u00e9tendre l\u00e0-dessus. Tout ce qui nous arrivait de mauvais, c’\u00e9tait \u00e0 cause des Allemands ! Lorsque nous vous e\u00fbmes envoy\u00e9s pour une ann\u00e9e vous battre contre les villes allemandes (tu \u00e9tais alors sur notre terre patrimoniale de Pskov pour tes int\u00e9r\u00eats personnels, pas sur notre ordre), nous d\u00e9p\u00each\u00e2mes plus de sept fois des messagers aupr\u00e8s de notre boyard et capitaine le prince Piotr Ivanovitch Chou\u00efski et aupr\u00e8s de toi pour qu’enfin vous vous missiez en marche \u00e0 contrec\u0153ur avec un petit nombre d’hommes, et c’est seulement sur nos nombreuses instances que vous pr\u00eetes une quinzaine de villes.<\/p>\n\n\n\n Envoy\u00e9s en Livonie en juin 1558, Kourbski et Chou\u00efski prirent les villes de Neuhausen et Dorpat ainsi que de nombreuses forteresses et villages. \u00c0 la fin de l’ann\u00e9e, presque tout l’est de la Livonie \u00e9tait moscovite. <\/p>\n\n\n\n Est-ce par votre \u00ab discernement \u00bb que vous avez pris ces villes, ou parce que vous avez re\u00e7u nos lettres et rappels ? Or, comment oublierais-je les objections du pope Sylvestre, d’Alexe\u00ef et de vous tous, qui ne manquiez jamais de vous opposer \u00e0 la guerre contre les villes Allemandes, ni comment, sur la perfide suggestion du roi du Danemark, vous laiss\u00e2tes aux Livoniens la possibilit\u00e9 de refaire leurs forces pendant une ann\u00e9e enti\u00e8re ? Que de chr\u00e9tiens les Allemands n’ont-ils pas extermin\u00e9s en tombant sur vous avant l\u2019hiver ! <\/p>\n\n\n\n En 1559, les habitants de Revel, d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9s de voir leur pays d\u00e9vast\u00e9 et se sentant menac\u00e9s, demand\u00e8rent l’aide du roi du Danemark Christian III. Un armistice de six mois fut ainsi conclu, de mai \u00e0 novembre. Le grand-ma\u00eetre de l’Ordre livonien, Kettler, en profita pour signer, en septembre, un trait\u00e9 d’assistance avec le roi de Pologne Sigismond Auguste. En octobre 1559, Kettler rompit l’armistice et tenta de reprendre Dorpat, que les Russes conserv\u00e8rent au prix de lourdes pertes. C’est \u00e0 ce moment qu’lvan, accompagn\u00e9 de la tsarine, quitta Moja\u00efsk pour Moscou. <\/p>\n\n\n\n Faut-il voir l\u00e0, chez nos tra\u00eetres, un \u00ab discernement \u00bb quelconque, est-ce votre fa\u00e7on de vouloir le bien que de laisser ainsi massacrer le peuple chr\u00e9tien ? Ensuite, nous vous d\u00e9p\u00each\u00e2mes l\u00e0-bas, toi et ton chef Alexe\u00ef, avec une troupe nombreuse. Or c’est tout juste si vous r\u00e9uss\u00eetes \u00e0 vous emparer de Fellin, et encore avec des pertes consid\u00e9rables. Combien vous craigniez l’arm\u00e9e lituanienne, on aurait dit des petits enfants devant le croque-mitaine ! Sous les murs de Pa\u00efd\u00e9 <\/span>17<\/sup><\/a><\/span><\/span> vous vous avan\u00e7\u00e2tes \u00e0 contrec\u0153ur, parce que nous vous l’avions ordonn\u00e9, et vous y \u00e9puis\u00e2tes vos hommes sans rien obtenir. <\/p>\n\n\n\n En fait, la campagne de Kourbski et Alexe\u00ef Adachev en Livonie fut un grand succ\u00e8s. Au printemps 1560, Fellin, situ\u00e9e au centre de la Livonie, tomba apr\u00e8s un si\u00e8ge de trois semaines, et cette victoire entra\u00eena la d\u00e9route d\u00e9finitive de l’ordre Livonien, m\u00eame si, effectivement, les Moscovites durent lever le si\u00e8ge de Pa\u00efd\u00e9 apr\u00e8s deux semaines d’efforts.<\/p>\n\n\n\n C’est cela, votre \u00ab discernement \u00bb, c’est ainsi que vous vous y \u00eates pris pour vous emparer des \u00ab villes allemandes \u00bb ? Sans votre maudite opposition, c’est toute l’Allemagne qui, avec l’aide de Dieu, aurait \u00e9t\u00e9 soumise \u00e0 la foi orthodoxe cette ann\u00e9e-l\u00e0. C’est \u00e0 partir de ce moment que vous avez soulev\u00e9 contre l’orthodoxie les Lituaniens, les Goths et bien d’autres peuples. Est-ce la exercer son \u00ab discernement \u00bb, est-ce ainsi que vous vous efforces d’affermir l’orthodoxie ?<\/p>\n\n\n\n Ivan le Terrible continue son offensive contre le prince Kourbski. La deuxi\u00e8me partie de la lettre nous plonge dans la vie tourment\u00e9e du tsar r\u00e9v\u00e9lant les complots, les trahisons et les luttes de pouvoir qui ont marqu\u00e9 son r\u00e8gne. Ivan lamente ses souffrances depuis son enfance, les attaques des ennemis \u00e9trangers et les manigances des boyards qui ont usurp\u00e9 le pouvoir. \u00c0 travers ce r\u00e9cit, Ivan justifie ses actions pour d\u00e9fendre et consolider son autorit\u00e9, en se montrant impitoyable contre ses ennemis.<\/p>\n","protected":false},"author":23898,"featured_media":240687,"comment_status":"closed","ping_status":"closed","sticky":false,"template":"templates\/post-speeches.php","format":"standard","meta":{"_acf_changed":true,"_trash_the_other_posts":false,"footnotes":""},"categories":[3832],"tags":[],"geo":[1880],"class_list":["post-240663","post","type-post","status-publish","format-standard","hentry","category-doctrines-du-premier-tsar-lettres-retrouvees-divan-le-terrible","staff-bernard-marchadier","geo-moscou"],"acf":[],"yoast_head":"\n
Nous ne vous exterminons pas \u00ab par familles enti\u00e8res <\/span>18<\/sup><\/a><\/span><\/span> \u00bb ; en tout lieu, la mort est le ch\u00e2timent des tra\u00eetres : dans le pays o\u00f9 tu te trouves maintenant, tu l’apprendras dans le d\u00e9tail. Pour vos services, je viens d’en parler, vous avez m\u00e9rit\u00e9 maints ch\u00e2timents et disgr\u00e2ces. Mais nous nous sommes montr\u00e9 indulgent dans la punition, car si nous t’avions puni comme tu le m\u00e9ritais tu n’aurais pu t’enfuir chez notre ennemi ; si nous ne t’avions accord\u00e9 notre confiance, nous ne t’aurions pas envoy\u00e9 dans notre ville-fronti\u00e8re <\/span>19<\/sup><\/a><\/span><\/span> et tu n’aurais pas r\u00e9ussi \u00e0 t’enfuir. Or nous te faisions confiance et t\u2019envoy\u00e2mes sur ces terres de notre patrimoine, et c’est ainsi que, chien que tu es, tu nous trahis.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"