{"id":239116,"date":"2024-07-23T17:27:53","date_gmt":"2024-07-23T15:27:53","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=239116"},"modified":"2024-07-23T17:27:55","modified_gmt":"2024-07-23T15:27:55","slug":"la-russie-de-poutine-face-aux-jo-de-paris-2024-10-points-sur-la-geopolitique-du-sport-dans-un-monde-casse","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2024\/07\/23\/la-russie-de-poutine-face-aux-jo-de-paris-2024-10-points-sur-la-geopolitique-du-sport-dans-un-monde-casse\/","title":{"rendered":"La Russie de Poutine face aux JO de Paris 2024 : 10 points sur la g\u00e9opolitique du sport dans un monde cass\u00e9"},"content":{"rendered":"\n

Dans une Europe prise entre deux guerres<\/a> et une France en crise politique<\/a>, les Jeux olympiques de Paris vont s’ouvrir dans un climat de haute tension g\u00e9opolitique. Alors que la Russie entend promouvoir un sport mondial alternatif pour s’opposer \u00e0 \u00ab l’Occident \u00bb, nous accompagnerons notre suivi des JO de Paris 2024 en publiant et en commentant des textes sur la doctrine du sport russe. Pour les recevoir \u00e0 leur sortie, abonnez-vous au Grand Continent<\/a><\/em><\/p>\n\n\n\n

1 \u2014 Le sport mondial, \u00ab politique de l\u2019apolitisme \u00bb<\/h2>\n\n\n\n

Qu\u2019on le veuille ou non, le sport est un fait social qui touche tout le monde, \u00e0 l\u2019\u00e9chelle plan\u00e9taire, quel que soit le genre, l\u2019\u00e2ge ou l\u2019origine sociale. Cela en fait un instrument politique et g\u00e9opolitique, utilis\u00e9 par un certain nombre d\u2019acteurs tels que les \u00c9tats, les entreprises ou les m\u00e9dias. En bref, tout le monde peut utiliser le sport comme un instrument politique ou g\u00e9opolitique, avec plus ou moins de succ\u00e8s, d\u2019impact ou d\u2019influence. Si bien que le \u00ab sport apolitique \u00bb est essentiellement un mythe.<\/p>\n\n\n\n

Jacques Defrance parlait de \u00ab politique de l\u2019apolitisme \u00bb<\/span>1<\/sup><\/a><\/span> pour qualifier l\u2019utilisation du sport par les instances du sport international dans le cadre de leur travail. Et on peut de fait remonter \u00e0 l\u2019\u00e9poque de Pierre de Coubertin, qui d\u00e9cida en 1896 de cr\u00e9er les Jeux olympiques de l\u2019\u00e8re moderne en en faisant l\u2019illustration de ce qu\u2019il appelait la neutralit\u00e9 et l\u2019universalit\u00e9 du sport. Coubertin avait ses propres repr\u00e9sentations politiques et g\u00e9opolitiques du monde qu\u2019il a plaqu\u00e9es sur ses Jeux olympiques, en faisant ainsi un exemple parfait de \u00ab politique de l\u2019apolitisme \u00bb. Alors m\u00eame qu\u2019il pr\u00f4ne l\u2019universalit\u00e9 et la neutralit\u00e9 du sport, il interdit aux femmes et aux ressortissants des colonies d\u2019y participer en invitant principalement des pays occidentaux \u00e0 pratiquer des sports europ\u00e9ens. Ces premiers Jeux s\u2019inscrivent donc d\u2019embl\u00e9e dans une d\u00e9marche non avou\u00e9e de politisation du sport \u2014 en l’occurrence pro-occidentale \u2014 comme cela fut souvent le cas \u00e0 la fin du XIX\u00e8me et au d\u00e9but du XX\u00e8me si\u00e8cle.<\/p>\n\n\n\n

Si les choses ont aujourd\u2019hui \u00e9volu\u00e9, le sport demeure un instrument de puissance politique et g\u00e9opolitique essentiellement pour deux raisons. D\u2019une part, les m\u00e9ga-\u00e9v\u00e9nements sportifs comme les Jeux olympiques et paralympiques ou la Coupe du monde de football sont regard\u00e9s par la moiti\u00e9 de l\u2019humanit\u00e9 \u2014\u00a0cela en fait une arme de diffusion massive. D\u2019autre part, le mouvement sportif mondial, allant des salaires des stars du football \u00e0 l\u2019achat de mat\u00e9riels sportifs, repr\u00e9senterait environ 2 % du PIB de la plan\u00e8te \u2014 soit un march\u00e9 consid\u00e9rable.<\/p>\n\n\n\n

Dans ce contexte, plusieurs puissances cherchent \u00e0 territorialiser le sport et \u00e0 l\u2019utiliser comme marqueur. Ces derni\u00e8res d\u00e9cennies, on a vu \u00e9merger un certain nombre de nouveaux pays faisant du sport un instrument de leur volont\u00e9, \u00e0 l\u2019instar du Qatar<\/a>, de l\u2019Arabie saoudite<\/a> et de la Chine. D\u00e9sormais, le sport n\u2019est plus l\u2019apanage des puissances occidentales, il est, comme le monde, multipolaire et en voie de d\u00e9soccidentalisation<\/a>.<\/p>\n\n\n\n

Le sport est une arme de diffusion massive.<\/p>Lukas Aubin<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

2 \u2014 Aux origines de la \u00ab guerre froide du sport \u00bb : imposer son id\u00e9ologie et son syst\u00e8me<\/h2>\n\n\n\n

La guerre froide a oppos\u00e9 deux repr\u00e9sentations du sport, deux visions du monde et de la fa\u00e7on dont il devait fonctionner. <\/p>\n\n\n\n

Du c\u00f4t\u00e9 sovi\u00e9tique, il fallait performer pour d\u00e9montrer que le mod\u00e8le communiste \u00e9tait sup\u00e9rieur au mod\u00e8le lib\u00e9ral et capitaliste am\u00e9ricain. L\u2019id\u00e9e de Staline \u2014 reprise plus tard par Vladimir Poutine \u2014 \u00e9tait que le sport permet de mesurer la puissance vis-\u00e0-vis d\u2019autres \u00c9tats. Cette id\u00e9e passait par le mythe selon lequel les sportifs sovi\u00e9tiques \u00e9taient d\u2019abord des amateurs avant d\u2019\u00eatre des athl\u00e8tes, qu\u2019ils \u00e9taient avant tout des travailleurs devenus performants physiquement non pas parce qu\u2019ils s’entra\u00eenaient plus que les autres mais parce que le syst\u00e8me sov\u00e9tique permettait cet \u00e9panouissement physique. Ce discours \u00e9tait \u00e9videmment bien loin de la r\u00e9alit\u00e9. <\/p>\n\n\n\n

De l\u2019autre c\u00f4t\u00e9, on amplifiait le caract\u00e8re lib\u00e9ral du syst\u00e8me sportif am\u00e9ricain. On mettait en avant l\u2019id\u00e9e du self-made man<\/em> \u00e0 travers la figure de Rocky, dont les entra\u00eenements dans la nature sont cens\u00e9s v\u00e9hiculer l\u2019id\u00e9e que \u00ab si l\u2019on veut, on peut \u00bb. Son adversaire, Ivan Drago, est quant \u00e0 lui d\u00e9peint comme une machine sovi\u00e9tique sans sentiment qui s’entra\u00eene avec \u00e9lectrodes et autres appareils. Cette caricature refl\u00e8te dans une certaine mesure la vision am\u00e9ricaine et cette opposition de style est typique de la guerre froide du sport.<\/p>\n\n\n\n

Alors que du c\u00f4t\u00e9 am\u00e9ricain le sport moderne remonte aux r\u00e9volutions industrielles du XIX\u00e8me si\u00e8cle, en Union sovi\u00e9tique il s\u2019est v\u00e9ritablement construit \u00e0 travers le mythe de l\u2019homo sovieticus<\/em>, un mod\u00e8le tr\u00e8s sp\u00e9cifique, autoritaire, privil\u00e9giant les masses \u00e0 l\u2019individu. Depuis la fin de la course aux m\u00e9dailles entre les deux grands, on a cru dans un premier temps que cette guerre froide \u00e9tait compl\u00e8tement termin\u00e9e \u2014 mais les ann\u00e9es Poutine ont de fait marqu\u00e9 une forme de continuit\u00e9. <\/p>\n\n\n\n

3 \u2014 Sportokratura<\/em> : le sport en Russie \u00e0 l\u2019\u00e8re Poutine<\/h2>\n\n\n\n

Quand Vladimir Poutine arrive au pouvoir \u00e0 la fin du mois de d\u00e9cembre 1999,  il h\u00e9rite d\u2019un mod\u00e8le sportif en ruine.<\/p>\n\n\n\n

Dans les ann\u00e9es 1990, la Russie a fait face \u00e0 un \u00ab exode des cerveaux et des muscles \u00bb : 7 500 athl\u00e8tes de haut niveau et 2 500 entra\u00eeneurs sont partis \u00e0 l\u2019\u00e9tranger, notamment aux \u00c9tats-Unis, au Canada et en Europe de l\u2019Ouest afin de b\u00e9n\u00e9ficier de salaires plus \u00e9lev\u00e9s, d\u2019infrastructures en meilleur \u00e9tat et de meilleures conditions de vie globales. Le passage \u00e0 l\u2019\u00e9conomie de march\u00e9 en URSS puis en Russie \u00e0 travers la th\u00e9rapie de choc mise en place dans les ann\u00e9es 1990 par Boris Eltsine, a engendr\u00e9 une grave crise \u00e9conomique, structurelle et id\u00e9ologique, dont le sport, entre autres, a beaucoup p\u00e2ti. Alors qu\u2019il \u00e9tait enti\u00e8rement financ\u00e9 du temps de l\u2019URSS, il est \u00e0 cette \u00e9poque-l\u00e0 totalement mis de c\u00f4t\u00e9. Des clubs de football s\u2019effondrent, de nombreuses infrastructures sportives sont abandonn\u00e9es. Elles co\u00fbtent alors trop cher et les oligarques \u00e9mergents pr\u00e9f\u00e8rent investir dans les supermarch\u00e9s, le gaz ou le p\u00e9trole. Le sport n\u2019est pas vu comme un investissement strat\u00e9gique.<\/p>\n\n\n\n

\u00c0 son arriv\u00e9e au pouvoir, Vladimir Poutine veut faire du sport le symbole de la renaissance de l’\u00c9tat russe sur la sc\u00e8ne internationale. Il mobilise alors un certain nombre d\u2019acteurs issus de ce que j\u2019ai appel\u00e9 la sportokratura, <\/em>c\u2019est-\u00e0-dire la nomenklatura<\/em> par le sport : un syst\u00e8me politico-\u00e9conomico-sportif construit par Vladimir Poutine destin\u00e9 \u00e0 utiliser le sport pour influencer le monde et contr\u00f4ler sa population, dont les acteurs mobilis\u00e9s sont les oligarques, les hommes et femmes politiques et les athl\u00e8tes de haut niveau \u2014 \u00e0 la retraite ou non.<\/p>\n\n\n\n

\u00c0 son arriv\u00e9e au pouvoir, Vladimir Poutine veut faire du sport le symbole de la renaissance de l’\u00c9tat russe sur la sc\u00e8ne internationale.<\/p>Lukas Aubin<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

\u00c0 l\u2019aune de cette sportokratura<\/em>, Vladimir Poutine demande aux oligarques de racheter les clubs sportifs de premier plan et de reconstruire les infrastructures. Roman Abramovitch construit ainsi dans les ann\u00e9es 2000 une centaine de terrains de football en Sib\u00e9rie. Ce n\u2019\u00e9tait pas par simple plaisir mais dans un rapport important de dons contre dons : en plaisant au Prince on s\u2019assure de ne pas \u00eatre d\u00e9rang\u00e9. Dans les grandes et moyennes villes de Russie, le contraste devient de plus en plus saisissant entre les infrastructures sportives r\u00e9centes et les Khrouchtchevkis<\/em> vieillissantes des ann\u00e9es 1960.<\/p>\n\n\n\n

Dans les ann\u00e9es 2000 puis 2010, le mod\u00e8le sportif russe rena\u00eet donc de ses cendres via<\/em> une forme de capitalisme administr\u00e9, pr\u00e9lude \u00e0 l\u2019accueil par la Russie de grands \u00e9v\u00e9nements sportifs.<\/p>\n\n\n\n\n

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Le ministre russe des Sports, Oleg Matytsin, tire \u00e0 la carabine \u00e0 air comprim\u00e9 lors d’une visite au Centre de pr\u00e9paration au travail et \u00e0 la d\u00e9fense du Coll\u00e8ge sportif et p\u00e9dagogique du D\u00e9partement de la culture physique et des sports de Moscou, le jour du 90e anniversaire de la cr\u00e9ation du programme de conditionnement physique \u00ab Pr\u00eat pour le travail et la d\u00e9fense \u00bb (GTO). Le programme a \u00e9t\u00e9 introduit en URSS le 11 mars 1931 ; le pr\u00e9sident russe Vladimir Poutine a sign\u00e9 un d\u00e9cret pour relancer le programme en 2014. \u00a9 Mikhail Japaridze\/TASS\/Sipa USA<\/figcaption> <\/figure>\n <\/a>\n \n <\/div>\n
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Le pr\u00e9sident russe Vladimir Poutine patine avec un troph\u00e9e lors d’un match amical de gala de la Ligue de hockey au D\u00f4me de glace Bolcho\u00ef. La Night Hockey League, une organisation sportive amateur russe, a \u00e9t\u00e9 fond\u00e9e en 2011 \u00e0 l’initiative du pr\u00e9sident Poutine et de c\u00e9l\u00e8bres joueurs de hockey sur glace afin de promouvoir le hockey sur glace amateur. \u00a9 Dmitry Feoktistov\/TASS\/Sipa USA<\/figcaption> <\/figure>\n <\/a>\n <\/div>\n <\/div>\n \n
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Le ministre russe des Sports, Oleg Matytsin, tire \u00e0 la carabine \u00e0 air comprim\u00e9 lors d’une visite au Centre de pr\u00e9paration au travail et \u00e0 la d\u00e9fense du Coll\u00e8ge sportif et p\u00e9dagogique du D\u00e9partement de la culture physique et des sports de Moscou, le jour du 90e anniversaire de la cr\u00e9ation du programme de conditionnement physique \u00ab Pr\u00eat pour le travail et la d\u00e9fense \u00bb (GTO). Le programme a \u00e9t\u00e9 introduit en URSS le 11 mars 1931 ; le pr\u00e9sident russe Vladimir Poutine a sign\u00e9 un d\u00e9cret pour relancer le programme en 2014. \u00a9 Mikhail Japaridze\/TASS\/Sipa USA<\/figcaption> <\/figure>\n \n <\/div>\n
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Le pr\u00e9sident russe Vladimir Poutine patine avec un troph\u00e9e lors d’un match amical de gala de la Ligue de hockey au D\u00f4me de glace Bolcho\u00ef. La Night Hockey League, une organisation sportive amateur russe, a \u00e9t\u00e9 fond\u00e9e en 2011 \u00e0 l’initiative du pr\u00e9sident Poutine et de c\u00e9l\u00e8bres joueurs de hockey sur glace afin de promouvoir le hockey sur glace amateur. \u00a9 Dmitry Feoktistov\/TASS\/Sipa USA<\/figcaption> <\/figure>\n <\/div>\n <\/div>\n<\/div>\n\n\n\n

4 \u2014 Les JO de 2014 et la Coupe du monde 2018 : deux \u00e9tudes de cas de la diplomatie sportive poutinienne<\/h2>\n\n\n\n

Les Jeux olympiques de Sotchi et la Coupe du monde de 2018 peuvent \u00eatre vus comme la cons\u00e9cration de la politique des ann\u00e9es 2000. Symboliquement, la flamme olympique des JO de Sotchi avait la forme d\u2019une plume de ph\u00e9nix \u2014 difficile de faire plus clair.\u00a0<\/p>\n\n\n\n

Il faut toutefois apporter quelques nuances car le sport est un instrument \u00e0 double tranchant, tr\u00e8s difficile \u00e0 manier politiquement. Il est, \u00e0 cet \u00e9gard, g\u00e9n\u00e9ralement assez difficile de satisfaire \u00e0 la fois le public \u00ab domestique \u00bb et la communaut\u00e9 sportive internationale. Les pays misant sur le sport se retrouvent sch\u00e9matiquement confront\u00e9s \u00e0 un dilemme : faire vibrer la corde patriotique au risque d\u2019exclure les autres nations de la grand-messe, ou au contraire jouer \u00e0 plein la carte de l\u2019internationalisme au risque d\u2019antagoniser sa population locale.<\/p>\n\n\n\n

Les Jeux olympiques d\u2019hiver de Sotchi ont ainsi clairement \u00e9t\u00e9 utilis\u00e9s par Vladimir Poutine comme un instrument pour parler avant tout aux Russes \u2014 avec en arri\u00e8re-plan une volont\u00e9 de prendre sa revanche sur les Jeux olympiques de 1980 v\u00e9cus comme un semi-\u00e9chec car boycott\u00e9s notamment par les Am\u00e9ricains. Un discours patriotique autour des Jeux a \u00e9t\u00e9 mis en place, pla\u00e7ant notamment l\u2019accent sur la sup\u00e9riorit\u00e9 du corps russe dont Dimitri Medvedev et Vladimir Poutine parlaient r\u00e9guli\u00e8rement. Un programme de dopage d\u2019\u00c9tat a \u00e9t\u00e9 organis\u00e9 pour am\u00e9liorer les performances et faire gagner les sportifs russes. Cette politique a en partie fonctionn\u00e9 : elle a favoris\u00e9 un regain de patriotisme important en Russie \u00e0 cette p\u00e9riode. Juste apr\u00e8s les Jeux, la Russie annexait la Crim\u00e9e et Vladimir Poutine atteignait un pic de popularit\u00e9 avec 90 % d\u2019opinions favorables les mois qui suivirent ces deux \u00e9v\u00e9nements.<\/p>\n\n\n\n

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