{"id":238999,"date":"2024-07-24T18:30:23","date_gmt":"2024-07-24T16:30:23","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=238999"},"modified":"2024-07-24T18:30:26","modified_gmt":"2024-07-24T16:30:26","slug":"les-invasions-barbares-recits-de-racisme-dans-les-camps-du-goulag","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2024\/07\/24\/les-invasions-barbares-recits-de-racisme-dans-les-camps-du-goulag\/","title":{"rendered":"Les \u00ab invasions barbares \u00bb : r\u00e9cits de racisme dans les camps du Goulag"},"content":{"rendered":"\n
Un continuum de violences. Une cha\u00eene de l\u2019impunit\u00e9. La guerre multiforme \u2014 arm\u00e9e, politique, symbolique et culturelle \u2014 men\u00e9e par Poutine contre l\u2019Ukraine rappelle d\u2019autres p\u00e9riodes pass\u00e9es. Les peuples d\u2019Europe centrale et orientale ayant fait l\u2019exp\u00e9rience de l\u2019imp\u00e9rialisme russe et des r\u00e9pressions sovi\u00e9tiques en conservent une m\u00e9moire vive, tandis que ceux d\u2019Europe occidentale en ignorent souvent jusqu\u2019\u00e0 l\u2019existence. Nous poursuivons <\/em>notre s\u00e9rie co-dirig\u00e9e par Juliette Cadiot et C\u00e9line Marang\u00e9<\/em><\/a>. Pour ne rater aucun \u00e9pisode, vous pouvez <\/em>vous abonner par ici au Grand Continent<\/em><\/a><\/p>\n\n\n\n \u00c0 Novossibirsk, en 1942, un homme sort de chez lui pour aller au march\u00e9. Il est saisi par deux gardes, tra\u00een\u00e9 jusqu\u2019\u00e0 la gare, pouss\u00e9 dans un wagon de prisonniers. Il se d\u00e9bat, hurle dans une langue que personne ne comprend : rien \u00e0 faire, le train roule d\u00e9j\u00e0 vers un des camps du Goulag, vers la Kolyma. <\/p>\n\n\n\n Cette histoire est narr\u00e9e par Varlam Chalamov dans le r\u00e9cit \u00ab Alias Berdy \u00bb. Le lieutenant responsable du wagon s\u2019est affol\u00e9 en voyant qu\u2019il manquait un prisonnier \u00e0 l\u2019appel. Une \u00e9vasion, le cauchemar des gardes ! Il a trouv\u00e9 ce moyen sauvage de remplacer l\u2019\u00e9vad\u00e9 par un non-russophone captur\u00e9 au hasard.<\/p>\n\n\n\n En r\u00e9alit\u00e9, il n\u2019y avait pas eu d\u2019\u00e9vasion. Le prisonnier no<\/sup> 59 avait deux noms, comme c\u2019\u00e9tait souvent le cas des truands. Le premier de ces noms \u00e9tait donc suivi sur la liste de \u00ab alias Berdy \u00bb. La dactylo, par erreur, avait inscrit le no<\/sup> 60 devant le sobriquet. Le no<\/sup> 59 n\u2019a pas cherch\u00e9 \u00e0 expliquer l\u2019erreur au lieutenant. Une blague de truand. \u00ab Chacun s\u2019amuse comme il peut \u00bb<\/span>1<\/sup><\/a><\/span>, conclut Chalamov.<\/p>\n\n\n\n L\u2019id\u00e9e de remplacer le pr\u00e9tendu fuyard par une doublure a pu na\u00eetre chez le lieutenant Kourchakov et l\u2019adjudant Lazarev uniquement parce que Berdy n\u2019est pas un nom russe. Ils en concluent que le prisonnier \u00e9vad\u00e9 est un \u00ab fauve \u00bb : c\u2019est ainsi que l\u2019escorte, utilisant le jargon des truands, appelle les ressortissants du Caucase et de l\u2019Asie centrale. \u00ab Un fauve, confirma Kourchakov. \u00c0 tous les coups il ne sait pas parler russe. Un de ces types qui mugissent aux appels. \u00bb<\/span>2<\/sup><\/a><\/span> Il leur suffira donc de s\u2019emparer d\u2019un autre \u00ab fauve \u00bb tout aussi muet. Apr\u00e8s s\u2019\u00eatre assur\u00e9 que personne dans le wagon ne comprend le turkm\u00e8ne, les soldats d\u2019escorte y poussent \u00ab un homme aux v\u00eatements d\u00e9chir\u00e9s, enrou\u00e9, qui criait quelque chose d\u2019important, d\u2019effroyable dans une langue incompr\u00e9hensible \u00bb<\/span>3<\/sup><\/a><\/span>. <\/p>\n\n\n\n Trois ans plus tard, ce paysan d\u2019un aoul perdu de la r\u00e9gion de Tchardjoou, dont le vrai nom est Tocha\u00efev, est toujours au camp, ses requ\u00eates \u00e9tant rest\u00e9es sans r\u00e9ponse. <\/p>\n\n\n\n