{"id":234852,"date":"2024-06-23T20:10:43","date_gmt":"2024-06-23T18:10:43","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=234852"},"modified":"2024-06-24T16:53:59","modified_gmt":"2024-06-24T14:53:59","slug":"antisemitisme-resurgences-russes-et-mondiales-de-la-propagande-sovietique","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2024\/06\/23\/antisemitisme-resurgences-russes-et-mondiales-de-la-propagande-sovietique\/","title":{"rendered":"Antis\u00e9mitisme : r\u00e9surgences russes et mondiales de la propagande sovi\u00e9tique"},"content":{"rendered":"\n
Un continuum de violences. Une cha\u00eene de l\u2019impunit\u00e9. La guerre multiforme \u2014 arm\u00e9e, politique, symbolique et culturelle \u2014 men\u00e9e par Poutine contre l\u2019Ukraine rappelle d\u2019autres p\u00e9riodes pass\u00e9es. Les peuples d\u2019Europe centrale et orientale ayant fait l\u2019exp\u00e9rience de l\u2019imp\u00e9rialisme russe et des r\u00e9pressions sovi\u00e9tiques en conservent une m\u00e9moire vive, tandis que ceux d\u2019Europe occidentale en ignorent souvent jusqu\u2019\u00e0 l\u2019existence. Nous poursuivons notre s\u00e9rie co-dirig\u00e9e par Juliette Cadiot et C\u00e9line Marang\u00e9<\/a>. Pour ne rater aucun \u00e9pisode, vous pouvez vous abonner par ici au Grand Continent<\/a><\/em><\/p>\n\n\n\n Deux mythes antijuifs se rencontrent et fusionnent avec la r\u00e9volution bolchevique : celui du complot juif mondial et celui d\u2019une affinit\u00e9 \u00e9lective du marxisme et des Juifs (la Jydokomuna<\/em>). Le premier prend racine dans une vision complotiste du monde, cristallis\u00e9e dans un des pamphlets fondateurs de l\u2019antis\u00e9mitisme moderne, les Protocoles des Sages de Sion<\/em>, c\u00e9l\u00e8bre faux r\u00e9dig\u00e9 en 1901 probablement par Mathieu Golovinski, un informateur de l\u2019Okhrana (la police politique tsariste), selon lequel les Juifs se seraient ligu\u00e9s aux francs-ma\u00e7ons pour dominer le monde. Le second, celui du jud\u00e9o-bolchevisme, pr\u00e9tend que la r\u00e9volution russe serait le fait d\u2019un coup d\u2019\u00c9tat juif dans la Russie des tsars ; il se r\u00e9pand rapidement en Europe, en particulier sous l\u2019influence des Russes blancs exil\u00e9s en France, puis se propage en Allemagne et en Europe orientale, surtout en Pologne, o\u00f9 l\u2019on observe dans les ann\u00e9es 1920 et 1930 des violences antijuives de plus en plus marqu\u00e9es et institutionnalis\u00e9es. <\/p>\n\n\n\n Ceux-ci engendrent une vague de pogroms d\u2019une violence inou\u00efe au cours de la guerre civile russe \u2014 chirurgicalement d\u00e9crits par Isaac Babel dans une s\u00e9rie de nouvelles intitul\u00e9es Cavalerie rouge<\/em> (1926) \u2014 mais fa\u00e7onnent \u00e9galement les id\u00e9ologies et les imageries antijuives des antis\u00e9mitismes europ\u00e9ens dans l\u2019entre-deux-guerres. L\u2019activation de ces mythes et leur pr\u00e9gnance peuvent s\u2019expliquer par une conjonction de facteurs politiques et culturels : l\u2019antis\u00e9mitisme des Russes blancs, interpr\u00e9tant la terreur rouge comme une reproduction du crime rituel contre les chr\u00e9tiens ; la forte repr\u00e9sentation de figures d\u2019origine juive dans l\u2019appareil politique et s\u00e9curitaire de l\u2019\u00c9tat bolchevique des premi\u00e8res ann\u00e9es, y compris dans la Tch\u00e9ka des ann\u00e9es 1920 ; la jud\u00e9it\u00e9 de L\u00e9on Trotski, commandant de l\u2019Arm\u00e9e rouge ; ainsi que la mont\u00e9e en puissance des mouvances d\u2019extr\u00eame droite en Europe de plus en plus nourries par une vision complotiste et racialis\u00e9e de la question juive.<\/p>\n\n\n\n Deux mythes antijuifs se rencontrent et fusionnent avec la r\u00e9volution bolchevique : celui du complot juif mondial et celui d\u2019une affinit\u00e9 \u00e9lective du marxisme et des Juifs (la Jydokomuna<\/em>).<\/p>Sarah Fainberg<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n \u00c0 l\u2019origine, l\u2019URSS semble imperm\u00e9able \u00e0 l\u2019antis\u00e9mitisme tsariste. De fait, avec l\u2019adoption par le Conseil des commissaires du peuple du d\u00e9cret du 25 juillet 1918 sur la \u00ab lutte contre l\u2019antis\u00e9mitisme et les pogroms juifs \u00bb, la Russie, \u00e0 l\u2019initiative de L\u00e9nine, devient le premier \u00c9tat au monde \u00e0 interdire et \u00e0 p\u00e9naliser l\u2019antis\u00e9mitisme. Ce texte affirmait clairement que \u00ab le bourgeois juif est notre ennemi, non pas en tant que juif, mais en tant que bourgeois. Le travailleur juif est notre fr\u00e8re \u00bb et \u00e9tablissait un principe de droit. Dans l\u2019interpr\u00e9tation marxiste r\u00e9\u00e9labor\u00e9e par L\u00e9nine puis Staline, l\u2019antis\u00e9mitisme \u00e9tait en effet un moyen de d\u00e9tourner la \u00ab col\u00e8re des classes populaires \u00bb de leur \u00ab v\u00e9ritable ennemi \u00bb \u2014 le capitalisme. Dans sa r\u00e9ponse du 12 janvier 1931 \u00e0 une question pos\u00e9e par la nouvelle agence t\u00e9l\u00e9graphique juive, Staline a ainsi qualifi\u00e9 l\u2019antis\u00e9mitisme de \u00ab forme extr\u00eame de chauvinisme de race \u00bb et de \u00ab dangereuse survivance du cannibalisme \u00bb <\/span>1<\/sup><\/a><\/span><\/span>. <\/p>\n\n\n\n Au cours des ann\u00e9es 1920 et 1930, l\u2019Union sovi\u00e9tique devient d\u2019ailleurs un empire \u00ab ethnocentr\u00e9 \u00bb<\/a> o\u00f9 l\u2019origine ethnique des individus joue tant\u00f4t comme une carte de promotion sociale, tant\u00f4t comme un motif d\u2019ostracisme politique. Pour les Juifs \u2014 minorit\u00e9 de pr\u00e8s de 2 600 000 \u00e2mes selon le recensement sovi\u00e9tique de 1926 \u2014, la r\u00e9volution a donn\u00e9 lieu \u00e0 une p\u00e9riode sans pr\u00e9c\u00e9dent d\u2019ascension sociale et professionnelle. Autrefois majoritairement cantonn\u00e9s dans la Zone de r\u00e9sidence <\/span>2<\/sup><\/a><\/span><\/span>, ils affluaient d\u00e9sormais des shtetls<\/em> vers les nouveaux centres urbains de l\u2019Union sovi\u00e9tique. En embrassant les id\u00e9aux internationalistes, certains c\u00e9l\u00e9braient ainsi leur lib\u00e9ration tant de l\u2019oppression tsariste (et de son numerus clausus<\/em>) que du carcan du juda\u00efsme rabbinique traditionnel. Certes interne \u00e0 l\u2019URSS, il s\u2019agit pourtant de la troisi\u00e8me plus grande vague de migration juive du d\u00e9but du XXe<\/sup> si\u00e8cle, dont l\u2019ampleur est d\u2019ailleurs analogue au mouvement des Juifs du Yiddishland vers les Am\u00e9riques ou la Palestine mandataire.\u00a0<\/p>\n\n\n\u00c0 la fin de la p\u00e9riode imp\u00e9riale, les territoires occidentaux de l\u2019Empire russe ont \u00e9t\u00e9 le th\u00e9\u00e2tre de nombreux pogroms. L\u2019exclusion antijuive \u00e9tait institutionalis\u00e9e, les Juifs \u00e9tant, dans leur majorit\u00e9, interdits de s\u00e9jour dans les grandes villes et tenus de vivre dans de mis\u00e9rables bourgades de la Zone de r\u00e9sidence cr\u00e9\u00e9e par Catherine II. Apr\u00e8s la r\u00e9volution de F\u00e9vrier 1917, le gouvernement provisoire a aboli les discriminations fond\u00e9es sur l\u2019appartenance ethnique et religieuse. \u00c0 la suite de celle d\u2019Octobre<\/strong>, les Bolcheviks ont m\u00eame valoris\u00e9 la culture en yiddish et en h\u00e9breu. <\/strong>Dans <\/strong>Le Si\u00e8cle juif<\/em><\/strong>, l\u2019historien Yuri Slezkine montre que les Juifs de l\u2019Empire russe n\u2019ont pas tous soutenu la r\u00e9volution bolchevique, beaucoup pr\u00e9f\u00e9rant rejoindre deux autres \u00ab terres promises \u00bb, la Palestine mandataire et les \u00c9tats-Unis. <\/strong>Tr\u00e8s vite, pourtant, s\u2019est impos\u00e9e l\u2019id\u00e9e que cette r\u00e9volution aurait \u00e9t\u00e9 accomplie par des Juifs. <\/strong>Comment expliquer la force de la figure du \u00ab jud\u00e9o-bolchevique \u00bb, tant pendant la guerre civile en Russie que plus tard dans les pays occidentaux ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n