{"id":223919,"date":"2024-03-30T08:00:00","date_gmt":"2024-03-30T07:00:00","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=223919"},"modified":"2024-07-12T17:13:22","modified_gmt":"2024-07-12T15:13:22","slug":"la-catastrophe-qui-vient","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2024\/03\/30\/la-catastrophe-qui-vient\/","title":{"rendered":"La catastrophe qui vient"},"content":{"rendered":"\n

Comment penser la catastrophe au pr\u00e9sent ? Dans les pages de la revue, nous r\u00e9unissons les voix qui tentent de mettre en mots l’Anthropoc\u00e8ne, de Bruno Latour<\/a> \u00e0 Jean-Baptiste Fressoz<\/a> en passant par Chantal Mouffe<\/a> et Dipesh Chakrabarty<\/a>. Nous publions aujourd\u2019hui le dernier \u00e9pisode d’une trilogie construite par Jean Vioulac<\/a> \u00e0 partir de son travail sur la m\u00e9taphysique de l’Anthropoc\u00e8ne. Pour recevoir tous nos textes, <\/em>nous vous invitons \u00e0 vous abonner \u00e0 la revue<\/em><\/a>.<\/em><\/em><\/p>\n\n\n\n

Science et litt\u00e9rature<\/strong><\/h2>\n\n\n\n

La pens\u00e9e n\u2019est pas un simple \u00e9piph\u00e9nom\u00e8ne du cortex c\u00e9r\u00e9bral, elle ne vient pas non plus d\u2019un ciel id\u00e9al, elle est toujours un ph\u00e9nom\u00e8ne historique et social : nous ne pensons qu\u2019en tant que nous h\u00e9ritons<\/em> d\u2019une tradition, ne serait-ce que d\u2019une langue, et c\u2019est pourquoi toute pens\u00e9e qui se veut lucide doit tout d\u2019abord circonscrire sa situation historique.<\/p>\n\n\n\n

Notre situation aujourd\u2019hui est, entre autres traits remarquables, caract\u00e9ris\u00e9e par l\u2019h\u00e9g\u00e9monie plan\u00e9taire de la rationalit\u00e9 scientifique, qui domine non seulement le champ th\u00e9orique du savoir, mais r\u00e9gule aussi les infrastructures technologiques dont le r\u00e9seau d\u00e9termine nos pratiques. Cette configuration de la rationalit\u00e9 fut \u00e9labor\u00e9e en Europe au XVIIe <\/sup>si\u00e8cle, et ce par la r\u00e9activation du projet que les Grecs de l\u2019Antiquit\u00e9 avaient nomm\u00e9 \u00ab philosophie \u00bb. D\u2019apr\u00e8s la tradition, le premier \u00e0 s\u2019\u00eatre dit \u00ab philosophe \u00bb fut Pythagore, qui a d\u00e9fini les choses par le nombre et les a fond\u00e9es sur l\u2019Un, c\u2019est-\u00e0-dire l\u2019unit\u00e9 num\u00e9rique con\u00e7ue comme principe unique de l\u2019univers  : la num\u00e9risation totale qui caract\u00e9rise science et technique aujourd\u2019hui est le plein d\u00e9ploiement de cette rationalit\u00e9 num\u00e9ris\u00e9e. La philosophie n\u2019est pas autre que la science, elle est le projet m\u00eame de la science  ; les sciences contemporaines ne r\u00e9cusent pas la philosophie, elles l\u2019accomplissent.<\/p>\n\n\n\n

Toute pens\u00e9e qui se veut lucide doit tout d\u2019abord circonscrire sa situation historique.<\/p>Jean Vioulac<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

L\u2019\u00e9lucidation de notre situation rel\u00e8ve donc de cette logique, mais elle suppose aussi que nous ne lui soyons pas totalement assujettis, que nous ayons encore une marge de man\u0153uvre susceptible de la mettre \u00e0 distance et de conqu\u00e9rir ainsi l\u2019espace de jeu de notre lucidit\u00e9. Or la rationalit\u00e9 num\u00e9rique et statistique, la pens\u00e9e calculante, est aujourd\u2019hui dominante justement parce qu\u2019elle est parfaitement homologique aux dispositifs contemporains qu\u2019elle permet de faire fonctionner efficacement, elle demeure en cela int\u00e9gralement d\u00e9termin\u00e9e par l\u2019\u00e9poque qu\u2019il s\u2019agit de penser.<\/p>\n\n\n\n

Dans L\u2019Art du roman<\/em>, Kundera constatait que c\u2019est au moment m\u00eame de la r\u00e9volution scientifique moderne, c\u2019est-\u00e0-dire de la math\u00e9matisation du savoir, qu\u2019appara\u00eet en Europe le genre romanesque, qui oppose aux concepts les personnages, \u00e0 la d\u00e9duction la narration, \u00e0 l\u2019objectivit\u00e9 la subjectivit\u00e9, \u00e0 l\u2019universalit\u00e9 de la raison la singularit\u00e9 des passions et \u00e0 la hi\u00e9rarchie logique l\u2019anarchie tragique  : et nul ne peut douter qu\u2019il y a une profonde pens\u00e9e, \u00ab plus profonde que ne le pensait le jour \u00bb (Nietzsche), dans les \u0153uvres de Dosto\u00efevski, Melville, Kafka, Orwell, Proust ou C\u00e9line, parmi tant d\u2019autres, qui ont donn\u00e9 la parole \u00e0 la chair outrag\u00e9e par l\u2019empire de l\u2019id\u00e9e, ce que revendiquait Balzac quand il disait  : \u00ab Je fais partie de l\u2019opposition qui s\u2019appelle la vie \u00bb. La philosophie s\u2019est inaugur\u00e9e par le refoulement platonicien de la po\u00e9sie et de la trag\u00e9die : \u00e0 l\u2019\u00e9poque de son accomplissement, la litt\u00e9rature constitue une ressource souterraine de sens \u00e0 laquelle puiser pour conqu\u00e9rir sa lucidit\u00e9, et ce pour contester<\/em> et r\u00e9cuser<\/em> les discours fonctionnels des \u00ab intellectuels fongibles, d\u00e9j\u00e0 engag\u00e9s dans la machine ou peu \u00e9loign\u00e9s de l\u2019\u00eatre \u00bb (Val\u00e9ry).<\/p>\n\n\n\n

Il en va de m\u00eame aujourd\u2019hui, et plus que jamais  : la parole des \u00e9crivains est d\u2019autant plus pr\u00e9cieuse que r\u00e8gnent sans partage les discours de \u00ab sp\u00e9cialistes \u00bb form\u00e9s, inform\u00e9s et format\u00e9s par la machine, qui ne sont en cela que la voix de leur ma\u00eetre et \u00e0 ce titre ignorent tout, jusqu\u2019\u00e0 l\u2019identit\u00e9 de leur ma\u00eetre. Le 13 d\u00e9cembre dernier, Emmanuel Carr\u00e8re, qui depuis L\u2019Adversaire<\/em> en 2000 publie des livres aussi essentiels que bouleversants, faisait en conclusion d\u2019une \u00e9mission t\u00e9l\u00e9vis\u00e9e \u00e0 lui consacr\u00e9e la d\u00e9claration suivante : <\/p>\n\n\n\n

\u00ab Je crois qu\u2019il y a deux fa\u00e7ons de voir les choses aujourd\u2019hui, la relativement optimiste et la radicalement pessimiste. Les relativement optimistes pensent que l\u2019humanit\u00e9 traverse une phase de chaos, tragique et effrayant, mais que c\u2019est d\u00e9j\u00e0 arriv\u00e9 dans son histoire, et que justement elle la traversera. Les radicalement pessimistes pensent qu\u2019un tel chaos, ce n\u2019est jamais arriv\u00e9, ce n\u2019est pas une phase, c\u2019est la fin. L\u2019analyse de la situation n\u2019est pas tr\u00e8s compliqu\u00e9e, il n\u2019y a pas besoin d\u2019\u00eatre tr\u00e8s intelligent ni tr\u00e8s inform\u00e9 pour avoir conscience de ces trois ou quatre ph\u00e9nom\u00e8nes. 1. Le d\u00e9sastre climatique, malgr\u00e9 les COP pr\u00e9sid\u00e9s par des p\u00e9troliers, est irr\u00e9versible. 2. La crise migratoire, une moiti\u00e9 de la plan\u00e8te devient inhabitable, alors les habitants de cette moiti\u00e9 veulent aller habiter dans l\u2019autre et les habitants de l\u2019autre disent qu\u2019il n\u2019y a plus de place, la barque et pleine 3. L\u2019intelligence artificielle, qui fond sur nous et va probablement nous d\u00e9vorer. On peut ajouter la fin de la d\u00e9mocratie, fin de nos valeurs \u00e0 nous, mais c\u2019est moins important puisque \u00e7a ne concerne que nous. En tant qu\u2019\u00e9crivain, j\u2019estime que je devrais dire quelque chose de tout \u00e7a  : si c\u2019est vraiment ce qui arrive, \u00e7a n\u2019a pas de sens de parler d\u2019autre chose. J\u2019essaye, je suis les proc\u00e8s des attentats du 13 novembre, je vais en Ukraine, mais en r\u00e9alit\u00e9 je n\u2019y arrive pas, je suis comme un lapin pris dans les phares. Alors, qu\u2019est ce que je fais  ? Je ferme les \u00e9coutilles, j\u2019\u00e9cris sur mon enfance, sur la jeunesse de mes parents, ce n\u2019est pas une solution, mais personne n\u2019a dit qu\u2019il y avait une solution. \u00bb<\/p>\n\n\n\n

Un tel propos est irrecevable et ne peut que susciter le d\u00e9ni, aussit\u00f4t r\u00e9cus\u00e9 comme \u00ab catastrophiste \u00bb <\/span>1<\/sup><\/a><\/span><\/span> et englouti dans le flux d\u2019insignifiance du spectacle, il d\u00e9finit pourtant une t\u00e2che aussi n\u00e9cessaire qu\u2019urgente : penser l\u2019essence des \u00ab trois ou quatre ph\u00e9nom\u00e8nes \u00bb d\u00e9crits par Emmanuel Carr\u00e8re.<\/p>\n\n\n\n

La parole des \u00e9crivains est d\u2019autant plus pr\u00e9cieuse que r\u00e8gnent sans partage les discours de \u00ab sp\u00e9cialistes \u00bb form\u00e9s, inform\u00e9s et format\u00e9s par la machine.<\/p>Jean Vioulac<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

La philosophie, aujourd\u2019hui<\/strong><\/h2>\n\n\n\n

Or cette pens\u00e9e de l\u2019essence rel\u00e8ve pr\u00e9cis\u00e9ment de ce que l\u2019on appelle \u00ab philosophie \u00bb : si en effet la philosophie s\u2019est d\u2019embl\u00e9e d\u00e9finie par le projet de la connaissance scientifique, elle ne s\u2019y est pas identifi\u00e9 et a conquis son domaine propre en se d\u00e9tournant des ph\u00e9nom\u00e8nes pour se retourner sur leur essence. La philosophie s\u2019est alors d\u00e9finie comme m\u00e9taphysique parce qu\u2019elle a localis\u00e9 cette essence au-del\u00e0 (en grec m\u00e9ta<\/em>) de la nature (en grec physis<\/em>), dans un ciel id\u00e9al, et finalement en Dieu. Mais la rationalit\u00e9 scientifique a aujourd\u2019hui abandonn\u00e9 toute fondation th\u00e9ologique (\u00ab Je n\u2019ai pas eu besoin de cette hypoth\u00e8se \u00bb dit Laplace \u00e0 Napol\u00e9on qui lui demandait o\u00f9 \u00e9tait Dieu dans sa physique) et, dans ses d\u00e9veloppements, a exhum\u00e9 les fondements arch\u00e9ologiques, y compris psychiques, des croyances religieuses  : notre \u00e9poque est celle de la \u00ab mort de Dieu \u00bb (Nietzsche), qui a conduit \u00e0 rapatrier<\/em> le fondement essentiel pour le situer, non plus dans un Dieu cr\u00e9ateur transcendant et \u00e9ternel, mais dans une communaut\u00e9 de producteurs, immanente et historique. Depuis ce que Kant a nomm\u00e9 \u00ab r\u00e9volution totale \u00bb, tous les penseurs essentiels \u00e0 notre temps \u2014 Marx, Nietzsche, Husserl\u2026 \u2014 ont op\u00e9r\u00e9 ce renversement<\/em>, qui les a conduit \u00e0 rallier \u00ab l\u2019opposition qui s\u2019appelle la vie \u00bb \u00e9voqu\u00e9e par Balzac. Ce renversement impose alors d\u2019assumer la finitude et l\u2019historicit\u00e9 des \u00ab r\u00e9gimes ontologiques \u00bb, comme le fait par exemple aujourd\u2019hui Philippe Descola en ethnologie, et d\u2019\u00e9lucider la situation fondamentale d\u2019une communaut\u00e9 d\u2019\u00ab hommes r\u00e9els, en chair et en os, camp\u00e9s sur la terre solide et bien ronde \u00bb (Marx), \u00e0 partir de laquelle se d\u00e9finit une perspective sur le monde.<\/p>\n\n\n\n

Penser une \u00e9poque, une situation, un \u00ab r\u00e9gime ontologique \u00bb, ce n\u2019est donc pas interpr\u00e9ter des ph\u00e9nom\u00e8nes ou des donn\u00e9s dans un syst\u00e8me conceptuel, une grille de lecture inchang\u00e9, c\u2019est tenter d\u2019\u00e9lucider le nouveau syst\u00e8me qui se met en place et mettre au jour les structures fondamentales qui nous d\u00e9terminent. Notre situation est en effet sans pr\u00e9c\u00e9dent, tous les concepts, cat\u00e9gories ou id\u00e9aux \u00e9labor\u00e9s au cours de l\u2019histoire sont eux-m\u00eames frapp\u00e9s d\u2019obsolescence, toutes les valeurs sont d\u00e9valu\u00e9es et leur maintien \u00e0 cours forc\u00e9 interdit de prendre la mesure de la nouveaut\u00e9 des processus en cours. Certes les valeurs actuelles ne manquent pas, elles n\u2019ont m\u00eame jamais \u00e9t\u00e9 aussi nombreuses puisqu\u2019elles sont toutes, sans exception, \u00e0 disposition dans un m\u00eame champ d\u2019\u00e9quivalence o\u00f9 chacun fait son march\u00e9 selon la valeur d\u2019usage qu\u2019il leur attribue  : mais par l\u00e0 m\u00eame, toutes ces valeurs, sans exception, sont d\u00e9valoris\u00e9es, et si elles permettent \u00e0 ceux qui s\u2019y cramponnent de surnager dans la temp\u00eate, elles ne permettent en rien de la penser.<\/p>\n\n\n\n

Toutes les valeurs actuelles, sans exception, sont d\u00e9valoris\u00e9es, et si elles permettent \u00e0 ceux qui s\u2019y cramponnent de surnager dans la temp\u00eate, elles ne permettent en rien de la penser.<\/p>Jean Vioulac<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

Ainsi de la \u00ab crise migratoire \u00bb mentionn\u00e9e par Emmanuel Carr\u00e8re : les migrations sont certes aujourd\u2019hui massives, leur potentiel de d\u00e9stabilisation sur des soci\u00e9t\u00e9s d\u00e9j\u00e0 fragilis\u00e9es est consid\u00e9rable, mais il est anachronique de les interpr\u00e9ter \u00e0 partir des concepts de \u00ab nation \u00bb, de \u00ab territoire \u00bb, de \u00ab fronti\u00e8res \u00bb et m\u00eame de \u00ab peuple \u00bb, non seulement parce que l\u2019empire du cyberespace et du march\u00e9 mondial a impos\u00e9 une universelle d\u00e9territorialisation, mais aussi parce que le changement climatique est aujourd\u2019hui la premi\u00e8re cause de migration, et sur une plan\u00e8te \u00e0 huit milliards d\u2019\u00eatres humains, o\u00f9 des r\u00e9gions enti\u00e8res deviennent inhabitables, \u00ab qu\u2019y faire sinon se pousser pour faire de la place  ? \u00bb, comme l\u2019\u00e9crivait Emmanuel Carr\u00e8re en 2012 dans sa Lettre \u00e0 Renaud Camus<\/em>. Les lieux o\u00f9 nous vivons perdent ainsi progressivement leur statut de pays pour acqu\u00e9rir celui de radeau, apr\u00e8s un naufrage  : c\u2019est ce naufrage qu\u2019il faut tenter d\u2019expliquer.<\/p>\n\n\n\n

Il ne s\u2019agit donc pas de se confronter \u00e0 des ph\u00e9nom\u00e8nes dangereux qui menaceraient une situation susceptible d\u2019\u00eatre maintenue telle quelle, mais de penser la situation m\u00eame<\/em> qui est la n\u00f4tre comme<\/em> danger  : \u00ab Non pas un danger quelconque, mais le <\/em>Danger \u00bb, disait Heidegger. Une telle pens\u00e9e, Heidegger le reconnaissait, il l\u2019a catastrophiquement v\u00e9rifi\u00e9, est elle-m\u00eame dangereuse : mais, pour la philosophie aujourd\u2019hui, \u00ab \u00e7a n\u2019a pas de sens de parler d\u2019autre chose. \u00bb<\/p>\n\n\n\n

Les lieux o\u00f9 nous vivons perdent progressivement leur statut de pays pour acqu\u00e9rir celui de radeau, apr\u00e8s un naufrage : c\u2019est ce naufrage qu\u2019il faut tenter d\u2019expliquer.<\/p>Jean Vioulac<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

L\u2019\u00e8re de la Raison<\/strong><\/h2>\n\n\n\n

Toute pens\u00e9e qui se veut philosophique doit d\u2019abord prendre acte des acquis des sciences contemporaines. Georges Cuvier fut au d\u00e9but du XIXe<\/sup> si\u00e8cle un pionnier de la pal\u00e9ontologie. Son analyse des fossiles qu\u2019il exhumait dans le bassin parisien a montr\u00e9 que de nombreuses esp\u00e8ces avaient autrefois v\u00e9cues, puis disparues, il a alors expliqu\u00e9 leur disparition par des \u00ab catastrophes \u00bb, et fut ainsi le principal promoteur en biologie de ce que l\u2019historien des sciences William Whewell a nomm\u00e9 d\u00e8s 1837 \u00ab catastrophisme \u00bb. Le catastrophisme fut ensuite marginalis\u00e9 par le gradualisme de Lyell et de Darwin, il a n\u00e9anmoins fait retour \u00e0 la fin du XXe<\/sup> si\u00e8cle avec la d\u00e9couverte des cinq extinctions de masse qui ont rythm\u00e9 l\u2019\u00e9volution de la vie sur terre, ce qui a conduit \u00e0 r\u00e9habiliter le concept de catastrophe pour imposer ce que le pal\u00e9ontologue Richard Leakey a nomm\u00e9 dans les ann\u00e9es 1990 un \u00ab n\u00e9ocatastrophisme \u00bb. Dans le m\u00eame moment, la biologie a mis en \u00e9vidence un processus contemporain de destruction du vivant d\u2019une ampleur telle qu\u2019il faut concevoir notre \u00e9poque comme \u00ab sixi\u00e8me extinction \u00bb : c\u2019est-\u00e0-dire comme catastrophe. Le catastrophisme n\u2019est pas un pessimisme, il est un r\u00e9alisme, il est la d\u00e9termination scientifiquement rigoureuse du moment g\u00e9ologique pr\u00e9sent : la derni\u00e8re fois que c\u2019\u00e9tait aussi grave, c\u2019\u00e9tait il y a 65 millions d\u2019ann\u00e9es, et les dinosaures n\u2019y ont pas surv\u00e9cu.<\/p>\n\n\n\n

Cette extinction, celle du Cr\u00e9tac\u00e9-Pal\u00e9og\u00e8ne, s\u2019explique par la chute d\u2019un ast\u00e9ro\u00efde, celle dont nous sommes les contemporains s\u2019explique par l\u2019impact des activit\u00e9s humaines : l\u2019origine anthropique de la catastrophe en cours ne fait en effet plus de doute, ce qui a conduit Paul Crutzen en 2 000 \u00e0 proposer de nommer \u00ab Anthropoc\u00e8ne \u00bb l\u2019\u00e9poque qui s\u2019inaugure, \u00e9poque ici prise comme subdivision d\u2019une p\u00e9riode, en l\u2019occurrence le Quaternaire. Il ne s\u2019agit donc plus simplement d\u2019acter la fin de la Modernit\u00e9 et l\u2019inauguration de la Post-modernit\u00e9, ni m\u00eame la fin de l\u2019Histoire et l\u2019inauguration de la Post-histoire, mais la fin de l\u2019Holoc\u00e8ne et l\u2019inauguration de l\u2019Anthropoc\u00e8ne, et de nous situer ainsi, non plus \u00e0 l\u2019\u00e9chelle des temps historiques, mais \u00e0 l\u2019\u00e9chelle des temps g\u00e9ologiques, dont la d\u00e9couverte est une des r\u00e9volutions \u00e9pist\u00e9mologiques contemporaines : la chronologie biblique donnait \u00e0 la terre environ 6000 ans, nous savons aujourd\u2019hui qu\u2019elle a plus de 4,54 milliards d\u2019ann\u00e9es, et il nous faut aussi endurer le vertige face au \u00ab sombre ab\u00eeme du temps \u00bb (Buffon).<\/p>\n\n\n\n

\u00ab Sixi\u00e8me extinction \u00bb : la derni\u00e8re fois que c\u2019\u00e9tait aussi grave, c\u2019\u00e9tait il y a 65 millions d\u2019ann\u00e9es, et les dinosaures n\u2019y ont pas surv\u00e9cu.<\/p>Jean Vioulac<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

La difficult\u00e9 \u00e0 concevoir un tel \u00e9v\u00e9nement est donc consid\u00e9rable  : dans la mesure o\u00f9 il est d\u2019origine anthropique, son \u00e9lucidation requiert une anthropologie, mais une anthropologie elle-m\u00eame radicalement nouvelle, qui doit renoncer \u00e0 ce qu\u2019elle croyait savoir de \u00ab l\u2019homme \u00bb pour consentir \u00e0 prendre acte de ce que notre \u00e9poque en r\u00e9v\u00e8le, f\u00fbt-ce au prix des plus s\u00e9v\u00e8res r\u00e9visions. L\u2019Anthropoc\u00e8ne impose en effet de concevoir l\u2019homme dans son rapport au syst\u00e8me terre<\/a> : notre \u00e9poque est le moment o\u00f9 le temps de l\u2019histoire (humain), qui s\u2019\u00e9tait s\u00e9par\u00e9 du temps de l\u2019\u00e9volution (vivant), lequel s\u2019\u00e9tait s\u00e9par\u00e9 du temps min\u00e9ral (mati\u00e8re), rejoint le temps g\u00e9ologique pour faire de l\u2019humanit\u00e9 elle-m\u00eame une puissance g\u00e9ologique<\/em>, en mesure de modifier la composition chimique de l\u2019atmosph\u00e8re, de fondre banquise et glacier et de perturber les cycles oc\u00e9aniques.<\/p>\n\n\n\n

Situer l\u2019humanit\u00e9 dans le temps, penser par \u00e9poques, impose alors aussit\u00f4t de prendre acte du fait que ce n\u2019est pas n\u2019importe quel homme \u00e0 n\u2019importe quel moment de son histoire qui est en cause dans la catastrophe contemporaine, mais celui qui, depuis les ann\u00e9es 1770, a rejet\u00e9 (entre autre) plus de 1500 milliards de tonnes de dioxyde de carbone dans l\u2019atmosph\u00e8re. Ces rejets r\u00e9sultent de la combustion en masse d\u2019hydrocarbures, et donc d\u2019un dispositif de production qui requiert ces quantit\u00e9s d\u2019\u00e9nergie. La mise en place de ce dispositif de production d\u00e9finit la R\u00e9volution industrielle. La puissance qui domine aujourd\u2019hui est anthropique, elle ne provient pas de l\u2019homme en tant qu\u2019organisme, mais d\u2019un homme qui, par ce dispositif de production, s\u2019est adjoint le charbon, le gaz, le p\u00e9trole : l\u2019homme est devenue puissance g\u00e9ologique dans l\u2019exacte mesure o\u00f9 il n\u2019est plus simplement un \u00eatre biologique, mais en tant qu\u2019il descelle des forces elles-m\u00eames g\u00e9ologiques.<\/p>\n\n\n\n\n

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Denis Diderot, L\u2019Encyclop\u00e9die, 43, \u00ab Arts des mines : recueil de planches sur les sciences, les arts lib\u00e9raux et les arts m\u00e9chaniques, avec leur explication \u00bb, Diderot et d\u2019Alembert, 1751-1780, Min\u00e9ralogie, Coupe d\u2019une Mine, Pl. II<\/figcaption> <\/figure>\n <\/a>\n \n <\/div>\n
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Denis Diderot, L\u2019Encyclop\u00e9die, 43, \u00ab Arts des mines : recueil de planches sur les sciences, les arts lib\u00e9raux et les arts m\u00e9chaniques, avec leur explication \u00bb, Diderot et d\u2019Alembert, 1751-1780, Min\u00e9ralogie, 7e collection. Filons et travaux des Mines. Pl. I, Fig. 1. Fillons ou Veines M\u00e9talliques avec leurs directions ; Fig. 2. Maniere d\u2019Etayer les galleries des mines et les souterrains selon l\u2019inclinaizon des Filons<\/figcaption> <\/figure>\n <\/a>\n <\/div>\n <\/div>\n \n
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Denis Diderot, L\u2019Encyclop\u00e9die, 43, \u00ab Arts des mines : recueil de planches sur les sciences, les arts lib\u00e9raux et les arts m\u00e9chaniques, avec leur explication \u00bb, Diderot et d\u2019Alembert, 1751-1780, Min\u00e9ralogie, Coupe d\u2019une Mine, Pl. II<\/figcaption> <\/figure>\n \n <\/div>\n
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Denis Diderot, L\u2019Encyclop\u00e9die, 43, \u00ab Arts des mines : recueil de planches sur les sciences, les arts lib\u00e9raux et les arts m\u00e9chaniques, avec leur explication \u00bb, Diderot et d\u2019Alembert, 1751-1780, Min\u00e9ralogie, 7e collection. Filons et travaux des Mines. Pl. I, Fig. 1. Fillons ou Veines M\u00e9talliques avec leurs directions ; Fig. 2. Maniere d\u2019Etayer les galleries des mines et les souterrains selon l\u2019inclinaizon des Filons<\/figcaption> <\/figure>\n <\/div>\n <\/div>\n<\/div>\n\n\n\n

Or le descellement de ces forces n\u2019est possible qu\u2019\u00e0 partir des sciences contemporaines, de la g\u00e9ologie, de la min\u00e9ralogie, de la chimie, de l\u2019\u00e9lectromagn\u00e9tisme\u2026, c\u2019est-\u00e0-dire de la configuration de la rationalit\u00e9 qui pr\u00e9cis\u00e9ment domine aujourd\u2019hui. Vladimir Vernadski, fondateur de la g\u00e9ochimie et pionnier de l\u2019\u00e9cologie scientifique, constatait d\u00e8s 1924 qu\u2019\u00ab une force g\u00e9ologique nouvelle est certainement apparue \u00e0 la surface de la terre avec l\u2019homme \u00bb, pour pr\u00e9ciser alors aussit\u00f4t que cette force ne venait pas de son organisme, mais de son savoir, ce qui le conduisait \u00e0 caract\u00e9riser \u00ab notre \u00e9poque g\u00e9ologique \u00bb par \u00ab l\u2019action de la conscience de l\u2019esprit collectif de l\u2019humanit\u00e9 sur les processus g\u00e9ochimiques \u00bb et finalement la d\u00e9finir comme \u00ab \u00e8re psychozo\u00efque, \u00e8re de la Raison \u00bb. La puissance effectivement dominante aujourd\u2019hui n\u2019est pas tant \u00ab l\u2019homme \u00bb que la rationalit\u00e9 scientifique, la raison grecque, le l\u00f3gos<\/em>, en quoi notre \u00e9poque est plus pr\u00e9cis\u00e9ment Logoc\u00e8ne.<\/p>\n\n\n\n

Vladimir Vernadski, fondateur de la g\u00e9ochimie et pionnier de l\u2019\u00e9cologie scientifique, constatait d\u00e8s 1924 qu\u2019\u00ab une force g\u00e9ologique nouvelle est certainement apparue \u00e0 la surface de la terre avec l\u2019homme \u00bb.<\/p>Jean Vioulac<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

L\u2019explosion atomique<\/strong><\/h2>\n\n\n\n

L\u2019\u00e9lucidation de la catastrophe en cours requiert une pens\u00e9e du l\u00f3gos<\/em>. Elle rel\u00e8ve de la philosophie. Les premiers philosophes \u00e9taient nomm\u00e9s par Aristote les physiol\u00f3go\u00ef<\/em>, ceux qui tiennent un discours rationnel (l\u00f3gos<\/em>) sur la nature (physis<\/em>)  : la pens\u00e9e grecque est fondamentalement une physique, qui d\u00e9termine l\u2019\u00e9tant (en grec t\u00e0 \u00f3nta <\/em> : ce qui est) par le concept. \u00ab La physique est un effort pour saisir l\u2019\u00e9tant (das Seiende<\/em>) comme quelque chose de conceptuel \u00bb, \u00e9crivait Einstein<\/a> en 1949, la science contemporaine poursuit et ach\u00e8ve le projet grec, et ce faisant en arrive \u00e0 d\u00e9terminer toute mati\u00e8re comme \u00e9nergie en puissance (E=MC2<\/sup>) : la rationalit\u00e9 scientifique se fonde aujourd\u2019hui sur la physique relativiste et quantique, qui d\u00e9finit la nature comme un potentiel \u00e9nerg\u00e9tique. Il est possible, en suivant les analyses de Philippe Descola, de d\u00e9finir la R\u00e9volution n\u00e9olithique qui inaugure l\u2019histoire par l\u2019av\u00e8nement de ce \u00ab r\u00e9gime ontologique \u00bb qu\u2019est le naturalisme, en et par lequel la r\u00e9alit\u00e9 est \u00ab nature \u00bb, c\u2019est-\u00e0-dire objet pour un sujet. La R\u00e9volution industrielle \u2014 et c\u2019est pr\u00e9cis\u00e9ment en quoi elle est r\u00e9volution \u2014 est l\u2019instauration d\u2019un nouveau r\u00e9gime<\/em>, d\u00e9fini par l\u2019atomisme, o\u00f9 le r\u00e9el est un ensemble de particules \u00e9l\u00e9mentaires pour la raison math\u00e9matique : la diss\u00e9mination des radionucl\u00e9\u00efdes issus des 2057 essais nucl\u00e9aires confirm\u00e9s depuis 1945 fournit d\u2019ailleurs l\u2019un des possibles marqueurs isochrones stratigraphiques pour d\u00e9finir la nouvelle couche s\u00e9dimentaire caract\u00e9ristique d\u2019une nouvelle \u00e9poque g\u00e9ologique.<\/p>\n\n\n\n

Ainsi toute mati\u00e8re, et non pas seulement le charbon ou le p\u00e9trole, est r\u00e9serve d\u2019\u00e9nergie susceptible d\u2019\u00eatre convertie  ; le processus en cours est fond\u00e9 sur cette conversion. La R\u00e9volution industrielle s\u2019est en effet caract\u00e9ris\u00e9e par une augmentation exponentielle de la production d\u2019\u00e9nergie  : de 305 Mtep (millions de tonnes \u00e9quivalent p\u00e9trole) en 1800, la consommation \u00e9nerg\u00e9tique mondiale est pass\u00e9e \u00e0 1.000 Mtep en 1900, pour atteindre 9.242 Mtep en l\u2019an 2000  ; elle est aujourd\u2019hui sup\u00e9rieure \u00e0 14.000 Mtep et continue de cro\u00eetre. La production d\u2019\u00e9nergie s\u2019est faite par une d\u00e9multiplication des sources qui jamais ne se substituent les unes aux autres mais toujours s\u2019additionnent, et qui conduit ainsi \u00e0 transmuer toujours plus de mati\u00e8re en \u00e9nergie : lib\u00e9ration brutale d\u2019\u00e9nergie qui d\u00e9finit une explosion. Svante Arrhenius, chimiste qui a mis en \u00e9vidence la cons\u00e9quence de l\u2019augmentation des taux de CO2<\/sub> sur l\u2019effet de serre et y montrait d\u00e8s 1896 la possibilit\u00e9 d\u2019un r\u00e9chauffement du climat, constatait en 1923 que \u00ab nous avons consomm\u00e9 autant de charbon fossile en dix ans que l\u2019homme en a br\u00fbl\u00e9 durant tout le temps pass\u00e9. Le d\u00e9veloppement a \u00e9t\u00e9, pour ainsi dire, explosif, et nous courrons \u00e0 une catastrophe. Ce progr\u00e8s explosif est le signe caract\u00e9ristique de l\u2019industrialisme. \u00bb L\u2019Anthropoc\u00e8ne impose de se situer \u00e0 l\u2019\u00e9chelle des temps g\u00e9ologiques, et en effet un tel processus, qui, en deux ou trois si\u00e8cles, consomme les milliards de tonnes d\u2019hydrocarbure form\u00e9s dans les sous-sols en plusieurs centaines de millions d\u2019ann\u00e9es, et ce pour produire \u00e9nergie et chaleur, rel\u00e8ve de l\u2019explosion.<\/p>\n\n\n\n

Toute mati\u00e8re, et non pas seulement le charbon ou le p\u00e9trole, est r\u00e9serve d\u2019\u00e9nergie susceptible d\u2019\u00eatre convertie ; le processus en cours est fond\u00e9 sur cette conversion.<\/p>Jean Vioulac<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

Notre \u00e9poque est domination totale de la raison, cette domination est atomisation : l\u2019histoire de la science est une trag\u00e9die, dont le d\u00e9nouement (en grec katastroph\u00e8<\/em>) est explosion. Il a fallu moins de vingt ans pour passer de la physique fondamentale (cinqui\u00e8me congr\u00e8s de Solvay, 1927) \u00e0 la bombe atomique (Hiroshima et Nagasaki, 1945). Quand, le 31 janvier 1950, le pr\u00e9sident des \u00c9tats-Unis Harry Truman ordonne la fabrication de la bombe \u00e0 hydrog\u00e8ne, Einstein r\u00e9agit par une allocution t\u00e9l\u00e9vis\u00e9e o\u00f9 il constate que \u00ab l\u2019annihilation de toute vie sur terre est entr\u00e9e dans le domaine des possibilit\u00e9s techniques \u00bb et que \u00ab se profile de plus en plus clairement l\u2019annihilation g\u00e9n\u00e9rale \u00bb \u2014 \u00e0 la suite de quoi le New York Post <\/em>titrait : \u00ab D\u00e9portez l\u2019imposteur rouge Einstein  ! \u00bb, r\u00e9action in\u00e9vitable puisque le d\u00e9nigrement du messager, qui plus est par imputation de marxisme, est la mani\u00e8re la plus ais\u00e9e de ne pas avoir \u00e0 tenir compte du message. Einstein, dans une autre conf\u00e9rence de cette m\u00eame ann\u00e9e 1950, constatait que s\u2019\u00e9tait \u00ab accompli sur le savant un destin r\u00e9ellement tragique \u00bb, qui s\u2019est \u00ab avili jusqu\u2019\u00e0 apporter, quand on lui en fait la commande, des perfectionnements aux instruments de la destruction g\u00e9n\u00e9rale de l\u2019humanit\u00e9 \u00bb. Mais la r\u00e9action la plus significative est celle d\u2019Oppenheimer<\/a>, qui plus que tout autre, et pour reprendre le titre de sa biographie par Jai Bird et Martin Sherwin, a incarn\u00e9 \u00ab le triomphe et la trag\u00e9die \u00bb de la science contemporaine, quand il a compris d\u00e8s le 16 juillet 1945, citant la Bhagavadg\u012bt\u0101, que la science \u00e9tait \u00ab devenue la Mort, le destructeur des mondes \u00bb.<\/p>\n\n\n\n

Cr\u00e9puscule (de l\u2019Occident)<\/h2>\n\n\n\n

L\u2019av\u00e8nement de la rationalit\u00e9 scientifique en Gr\u00e8ce ancienne fut le d\u00e9passement de l\u2019empirisme, qui en \u00c9gypte, en M\u00e9sopotamie ou en Perse, accumulait des cas particuliers, au profit d\u2019un id\u00e9alisme qui d\u00e9termine des formes id\u00e9ales, universelles et abstraites, paradigmatiquement celles de la g\u00e9om\u00e9trie  : mais la forme r\u00e9sulte de l\u2019\u00e9limination de tout contenu, l\u2019universel r\u00e9sulte de l\u2019\u00e9limination de toute particularit\u00e9 et l\u2019abstraction r\u00e9sulte de l\u2019\u00e9limination du concret. La raison conquiert l\u2019id\u00e9alit\u00e9 par la n\u00e9gation de la r\u00e9alit\u00e9, elle conquiert l\u2019objectivit\u00e9 par la n\u00e9gation de la subjectivit\u00e9, c\u2019est-\u00e0-dire par le refus du corps et de son rapport intuitif et sensible \u00e0 son environnement terrestre : la science est d\u2019embl\u00e9e et par essence n\u00e9gation de l\u2019environnement<\/em>, toujours relatif \u00e0 des sujets concrets, au profit de l\u2019univers, objectif et abstrait, dont la validit\u00e9 n\u2019est relative \u00e0 rien, et en cela absolue. La raison acc\u00e8de ainsi au point de vue de l\u2019universel, et se trouve en mesure de formuler des v\u00e9rit\u00e9s qui valent pour tous, tout le temps  : ce qui caract\u00e9rise la connaissance scientifique.<\/p>\n\n\n\n

La science est d\u2019embl\u00e9e et par essence n\u00e9gation de l\u2019environnement<\/em>, toujours relatif \u00e0 des sujets concrets, au profit de l\u2019univers, objectif et abstrait, dont la validit\u00e9 n\u2019est relative \u00e0 rien, et en cela absolue.<\/p>Jean Vioulac<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

Ce point de vue, qui proc\u00e8de de la n\u00e9gation de la perspective que tout vivant a sur son environnement et se d\u00e9finit comme antagonique \u00e0 cette perspective, n\u2019est autre que celui de la mort. Les tragiques grecs nommaient l\u2019homme \u00ab le mortel \u00bb, les philosophes \u00ab l\u2019animal dou\u00e9 de raison \u00bb, mais il n\u2019est ceci qu\u2019en tant qu\u2019il est cela : il est le vivant dont la vie est accompagn\u00e9e par la mort, dont l\u2019\u00eatre m\u00eame est ainsi p\u00e9n\u00e9tr\u00e9 de n\u00e9ant, et se d\u00e9finit par une puissance de n\u00e9gation qui est racine de l\u2019abstraction, de la formalisation, de l\u2019universalisation et de l\u2019absolutisation. Le langage lui-m\u00eame est \u0153uvre de mort : le mot \u00ab fleur \u00bb ne d\u00e9signe jamais que \u00ab l\u2019absente de tout bouquet \u00bb (Mallarm\u00e9), le mot est issu du meurtre des choses et n\u2019est plus que leur fant\u00f4me ; toute langue est langue morte, et c\u2019est pourquoi les \u00e9crivains sont si importants, dont le travail consiste pr\u00e9cis\u00e9ment \u00e0 lui redonner vie ; C\u00e9line l\u2019a dit mieux que quiconque : \u00ab La langue dite pure, bien fran\u00e7aise, raffin\u00e9e, elle toujours morte<\/em>, morte d\u00e8s le d\u00e9but, cadavre, dead as a door nail<\/em>. Tout le monde le sent, personne ne le dit, n\u2019ose le dire. Une langue c\u2019est comme le reste, \u00e7a meurt tout le temps, \u00e7a doit mourir<\/em>. Il faut s\u2019y r\u00e9signer, la langue des romans habituels est morte, syntaxe morte, tout mort. Les miens mourront aussi, bient\u00f4t sans doute, mais ils auront eu la petite sup\u00e9riorit\u00e9 sur tant d\u2019autres, ils auront pendant un an, un mois, un jour, v\u00e9cu<\/em> \u00bb.<\/p>\n\n\n\n

L\u2019av\u00e8nement de la rationalit\u00e9 en Gr\u00e8ce ancienne est inextricablement li\u00e9e \u00e0 une langue, le grec, \u00e0 sa puissance d\u2019abstraction \u2014 notamment l\u2019usage du neutre, qui permet de transformer verbes et adjectifs en concept \u2014 dont l\u2019\u0153uvre de Platon est l\u2019explicitation syst\u00e9matique. Toute la pens\u00e9e de Platon est arc-bout\u00e9e contre la th\u00e8se de Protagoras selon laquelle \u00ab l\u2019homme est la mesure de toute chose \u00bb, \u00e0 laquelle il oppose que \u00ab Dieu est la mesure de toute chose \u00bb  : ce Dieu n\u2019est autre qu\u2019Had\u00e8s, le dieu de la mort, \u00ab un sage parfait, un grand bienfaiteur \u00bb. Platon r\u00e9p\u00e8te constamment que le philosophe n\u2019atteindra la sagesse \u00e0 laquelle il aspire qu\u2019apr\u00e8s la mort, lui donne comme r\u00e8gle de vie de \u00ab tendre vers un \u00e9tat passablement proche de la mort \u00bb, il con\u00e7oit la vie comme une maladie dont la mort est la gu\u00e9rison, et d\u00e9finit<\/em> la philosophie comme d\u00e9sir de mort. Quand il s\u2019agit de pr\u00e9ciser le statut des \u00ab id\u00e9es \u00bb auxquelles chacun acc\u00e8de par la \u00ab purification \u00bb de tout ce qui vient du corps, c\u2019est alors pour en faire la r\u00e9miniscence d\u2019un \u00ab temps ant\u00e9rieur \u00bb qu\u2019il identifie au royaume des morts puisque, dit-il, \u00ab les vivants proviennent des morts \u00bb. La r\u00e9miniscence est revenance, Platon d\u00e9couvre le statut fantomatique des id\u00e9alit\u00e9s : nous sommes fondamentalement des h\u00e9ritiers, nous h\u00e9ritons des id\u00e9es par lesquelles nous pensons, qui demeurent en nous malgr\u00e9 la mort de leur cr\u00e9ateur et sont donc en nous comme fant\u00f4mes. Toute soci\u00e9t\u00e9 est faite de plus de morts que de vivants, nous ne pensons que pour autant que nous nous laissons hanter par l\u2019esprit des morts et poss\u00e9der par lui : esprit<\/em> qui n\u2019est donc jamais que spectre<\/em>.<\/p>\n\n\n\n

Nous sommes fondamentalement des h\u00e9ritiers, nous h\u00e9ritons des id\u00e9es par lesquelles nous pensons, qui demeurent en nous malgr\u00e9 la mort de leur cr\u00e9ateur et sont donc en nous comme fant\u00f4mes.<\/p>Jean Vioulac<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

La configuration grecque de la rationalit\u00e9 syst\u00e9matise ainsi l\u2019approche de toutes choses sub specie mortis<\/em>, du point de vue de la mort, et c\u2019est ce qui d\u00e9finit l\u2019Occident : du latin occidens<\/em>, \u00ab coucher du soleil \u00bb, \u00ab fin du jour \u00bb, \u00ab cr\u00e9puscule \u00bb. L\u2019Occident est la lumi\u00e8re cr\u00e9pusculaire en laquelle se r\u00e9v\u00e8le la v\u00e9rit\u00e9 de toute chose, et c\u2019est la trag\u00e9die de la connaissance, qui veut que la v\u00e9rit\u00e9 objective ne se conqui\u00e8re que par la mort, effectivement universelle, quand la vie, toujours subjective et singuli\u00e8re, produit et requiert l\u2019illusion : \u00ab La v\u00e9rit\u00e9, c\u2019est une agonie qui n\u2019en finit pas. La v\u00e9rit\u00e9 de ce monde c\u2019est la mort. Il faut choisir, mourir ou mentir \u00bb, disait C\u00e9line dans le Voyage<\/em>. Il importe donc de ne pas confondre Europe et Occident : l\u2019Europe est une r\u00e9gion g\u00e9ographique particuli\u00e8re, l\u2019Occident est le cr\u00e9puscule de l\u2019Europe, non pas une r\u00e9gion g\u00e9ographique mais une dimension spirituelle, c\u2019est-\u00e0-dire spectrale, ce qui fonde son universalit\u00e9 et le rend ind\u00e9pendant de tout lieu particulier \u2014 la puissance de l\u2019Occident au XXe<\/sup> si\u00e8cle ne fut d\u2019ailleurs pas exerc\u00e9e par l\u2019Europe, autod\u00e9truite dans la guerre de 1914-1945, mais par les \u00c9tats-Unis, dont l\u2019implantation en Am\u00e9rique du Nord a impliqu\u00e9 la mort de 18 millions d\u2019autochtones, la d\u00e9portation et l\u2019asservissement de 500 000 Africains. Notre \u00e9poque est le triomphe absolu de l\u2019Occident, qui, au moment o\u00f9 la Chine est en passe de devenir la premi\u00e8re puissance scientifique mondiale, est effectivement universel ; en d\u00e9pit du slavisme pseudo-dosto\u00efevskien qui lui tient lieu d\u2019id\u00e9ologie, Vladimir Poutine<\/a> ne constitue en rien une alternative \u00e0 l\u2019Occident, il ne fait que d\u00e9cha\u00eener la puissance de destruction de l\u2019atomisme et du num\u00e9risme  : on aimerait lui conseiller de (re)lire L\u2019Idiot<\/em>, peut-\u00eatre prendrait-il conscience qu\u2019il n\u2019est qu\u2019un poss\u00e9d\u00e9.<\/p>\n\n\n\n

L\u2019Occident s\u2019est d\u00e9fini par un principe de mort et ce non pas simplement dans des sp\u00e9culations m\u00e9taphysiques, mais par des institutions qui l\u2019ont effectivement mis en \u0153uvre : les religions monoth\u00e9istes m\u00e9di\u00e9vales \u2014 dont l\u2019islam, qui, convient-il de pr\u00e9ciser dans le chaos id\u00e9ologique contemporain, est partie int\u00e9grante de l\u2019Occident \u2014 furent des n\u00e9oplatonismes, et ont impos\u00e9 \u00e0 des peuples entiers la m\u00e9taphysique de l\u2019Un et donc le \u00ab renoncement \u00e0 la chair \u00bb (Peter Brown), l\u2019asc\u00e9tisme, la mortification, la claustration, le refoulement du d\u00e9sir, le sacrifice de soi, la haine du monde et des femmes  ; elles ont vu leur id\u00e9al de soumission dans l\u2019inertie du cadavre (perinde ac cadaver<\/em>) et syst\u00e9matis\u00e9 la conception de la vie comme simple antichambre de la mort.<\/p>\n\n\n\n

L\u2019Europe est une r\u00e9gion g\u00e9ographique particuli\u00e8re, l\u2019Occident est le cr\u00e9puscule de l\u2019Europe, non pas une r\u00e9gion g\u00e9ographique mais une dimension spirituelle, c\u2019est-\u00e0-dire spectrale<\/p>Jean Vioulac<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

La modernit\u00e9 a certes tent\u00e9, avec un succ\u00e8s mitig\u00e9, d\u2019en finir avec cet empire de l\u2019Universel (en grec katholik\u00f3n<\/em>, qui a donn\u00e9 \u00ab catholique \u00bb), ce ne fut pourtant que pour en proposer une nouvelle \u00e9laboration : Galil\u00e9e fonde en effet la science moderne en r\u00e9cusant l\u2019empirisme aristot\u00e9licien au profit de l\u2019id\u00e9alisme platonicien, c\u2019est-\u00e0-dire en r\u00e9cusant le point de vue du sujet sur son environnement \u2014 lequel ne saurait en effet d\u00e9passer le g\u00e9ocentrisme \u2014 au profit du point de vue math\u00e9matique sur l\u2019univers \u2014 qui procure en effet la v\u00e9rit\u00e9 objective, mais au prix du sacrifice du sujet. La modernit\u00e9 ne rompt avec la soumission \u00e0 l\u2019Un (Dieu) que pour d\u00e9cha\u00eener la puissance de l\u2019unit\u00e9 (le num\u00e9rique), puissance qui est celle de l\u2019atomisation, c\u2019est-\u00e0-dire de la destruction. Dans un texte de 1971 intitul\u00e9 La Thanatocratie<\/em>, Michel Serres soulignait le danger inh\u00e9rent aux sciences et techniques contemporaines, et posait la question  : \u00ab D\u2019o\u00f9 vient notre course au suicide calcul\u00e9, qu\u2019est-ce qui fait de notre raison une raison de mort ? \u00bb  ; il en esquissait alors une g\u00e9n\u00e9alogie pour revenir \u00e0 Platon, et concluait : \u00ab Tout est en place d\u00e8s l\u00e0, d\u00e8s le miracle grec, cette immense catastrophe historique o\u00f9 du l\u00f3gos<\/em> transsude la destruction et l\u2019homicide. La raison est g\u00e9nocidaire d\u00e8s son engendrement. La science, la vraie enfin, habite tranquillement l\u2019instinct de destruction et d\u2019an\u00e9antissement \u00bb. L\u2019Anthropoc\u00e8ne est plus pr\u00e9cis\u00e9ment Logoc\u00e8ne, et celui-ci est Thanatoc\u00e8ne.<\/p>\n\n\n\n

La pulsion de mort<\/strong><\/h2>\n\n\n\n

D\u2019o\u00f9 la t\u00e2che de mettre au jour le rapport primordial de l\u2019homme \u00e0 la mort, et de divulguer ainsi un secret inavouable, d\u00e9sir inconscient enfoui dans les strates les plus archa\u00efques que Freud a con\u00e7u en 1924 comme \u00ab pulsion de mort \u00bb. Freud est contemporain de la guerre mondiale, des fascismes et des totalitarismes, il a ainsi pens\u00e9 l\u2019homme d\u2019apr\u00e8s ce que notre \u00e9poque en r\u00e9v\u00e8le  ; sa pens\u00e9e appartient aussi \u00e0 la r\u00e9volution philosophique qui rapatrie le fondement pour ne plus le situer dans un au-del\u00e0 \u00e9ternel, mais dans un en-de\u00e7a temporel, l\u2019ab\u00eeme du psychisme humain en lequel se s\u00e9dimente un pass\u00e9 refoul\u00e9, et c\u2019est ainsi \u00e0 partir d\u2019une m\u00e9tapsychologie, et non plus d\u2019une m\u00e9taphysique, qu\u2019il a pens\u00e9 les acquis des sciences contemporaines.<\/p>\n\n\n\n

Il faut supposer qu\u2019il y a dans la vie une tendance \u00e0 retourner \u00e0 ce qui la pr\u00e9c\u00e8de, c\u2019est-\u00e0-dire \u00e0 l\u2019\u00e9tat inorganique, \u00e0 l\u2019inanim\u00e9.<\/p>Jean Vioulac<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

La biologie montre que la vie appara\u00eet avec l\u2019organisme, et le propre de l\u2019organisme est \u00e0 la fois l\u2019\u00e9change constant avec un environnement et l\u2019autor\u00e9gulation : il est ainsi expos\u00e9 \u00e0 des perturbation provoqu\u00e9 par cet environnement, mais tend toujours \u00e0 retrouver son \u00e9quilibre interne ; il se caract\u00e9rise ainsi par une tendance constante \u00e0 revenir \u00e0 son \u00e9tat ant\u00e9rieur. Si l\u2019on \u00e9largit la validit\u00e9 de ce principe \u00e0 la vie en tant que telle, et puisque la vie appara\u00eet sur terre \u00e0 partir de la mati\u00e8re, il faut supposer qu\u2019il y a dans la vie une tendance \u00e0 retourner \u00e0 ce qui la pr\u00e9c\u00e8de, c\u2019est-\u00e0-dire \u00e0 l\u2019\u00e9tat inorganique, \u00e0 l\u2019inanim\u00e9. La notion freudienne de \u00ab pulsion de mort \u00bb fut souvent incomprise parce que confondue avec la tendance suicidaire, mais la pulsion de mort n\u2019est pas incompatible avec le maintien de la vie, puisqu\u2019elle est la tentative pour donner \u00e0 la vie un mode d\u2019\u00eatre qui la rapproche du min\u00e9ral : elle est aspiration \u00e0 sortir du \u00ab domaine de la lutte \u00bb (Houellebecq), repli et anesth\u00e9sie, capitulation du d\u00e9sir, tentative pour r\u00e9duire au minimum les activit\u00e9s vitales et acc\u00e9der ainsi \u00e0 l\u2019impassibilit\u00e9 de la mati\u00e8re.<\/p>\n\n\n\n

La tendance suicidaire est pathologique et exceptionnelle, la pulsion de mort est la norme et la r\u00e8gle, elle se manifeste dans tout ce qui permet \u00e0 la vie de renoncer \u00e0 la spontan\u00e9it\u00e9 et de se d\u00e9charger de l\u2019activit\u00e9 au profit de l\u2019habitude, de la routine, du conformisme, du rituel, elle est \u00e9vidente dans toutes les religions du renoncement, de l\u2019asc\u00e9tisme, de l\u2019abstinence, elle est au fondement de l\u2019\u00e9thique philosophique de Platon qui recommandait express\u00e9ment de \u00ab tendre vers un \u00e9tat passablement proche de la mort \u00bb ; le langage lui-m\u00eame, toujours d\u2019abord langue morte, est ce qui permet \u00e0 chacun de ne pas<\/em> penser en r\u00e9p\u00e9tant machinalement lieux communs, st\u00e9r\u00e9otypes et expressions toute faites. Si le destin de Jean-Claude Romand n\u2019est pas un simple fait divers, c\u2019est, comme le met en \u00e9vidence Emmanuel Carr\u00e8re dans L\u2019Adversaire, <\/em>que \u00ab lui, la mort faite homme \u00bb, n\u2019\u00e9tait plus que cette pulsion, et, \u00ab seul, il devenait une machine \u00e0 conduire, \u00e0 marcher, \u00e0 lire, sans vraiment penser ni sentir, un docteur Romand r\u00e9siduel et anesth\u00e9si\u00e9 \u00bb, qui pr\u00e9cis\u00e9ment s\u2019est av\u00e9r\u00e9 incapable de se suicider parce qu\u2019il n\u2019y avait plus rien de vivant en lui susceptible d\u2019\u00eatre tu\u00e9. La pulsion de mort est le d\u00e9sir de l\u2019organique de revenir au m\u00e9canique, elle se traduit par la tendance \u00e0 automatiser les comportements, elle ne se r\u00e9alise pas dans le suicide mais dans l\u2019automatisation et l\u2019activit\u00e9 machinale : or l\u2019automatisme et le machinisme, c\u2019est pr\u00e9cis\u00e9ment ce qui caract\u00e9rise le dispositif industriel de production.<\/p>\n\n\n\n

La tendance suicidaire est pathologique et exceptionnelle, la pulsion de mort est la norme et la r\u00e8gle.<\/p>Jean Vioulac<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

La Machinerie<\/strong><\/h2>\n\n\n\n

Le probl\u00e8me de l\u2019impact des activit\u00e9s humaines sur l\u2019environnement met en jeu la question de la technique, puisque depuis les premiers galets taill\u00e9s d\u2019Homo habilis<\/em>, l\u2019homme s\u2019est toujours d\u00e9fini par l\u2019usage d\u2019instruments qui sont les m\u00e9diations par lesquelles il agit sur la mati\u00e8re naturelle et ainsi la transforme : la technique est un des principes de l\u2019hominisation, toute mutation technique a des effets anthropologiques. Or la R\u00e9volution industrielle est r\u00e9volution technologique, qui a fait passer l\u2019instrument du statut d\u2019outil \u00e0 celui de machine : l\u2019outil est un instrument qu\u2019un homme manie pour agir sur le monde et ainsi accro\u00eetre sa mainmise sur lui, la machine dessaisit l\u2019homme d\u2019instruments d\u00e9sormais actionn\u00e9s par un syst\u00e8me automatis\u00e9  ; l\u2019homme n\u2019est plus le ma\u00eetre de son geste, comme l\u2019\u00e9tait l\u2019artisan, il est subordonn\u00e9 \u00e0 un processus qui lui impose ses proc\u00e9dures et leur rythme, comme l\u2019est un ouvrier sur une cha\u00eene de montage. Le machinisme n\u2019augmente pas les comp\u00e9tences techniques de l\u2019homme<\/em>, bien au contraire  ; dans Les Particules \u00e9l\u00e9mentaires<\/em>, Michel Houellebecq faisait dire \u00e0 l\u2019un de ses personnages  : \u00ab Plac\u00e9 en dehors du complexe \u00e9conomique-industriel, je ne serais m\u00eame pas en mesure d\u2019assurer ma propre survie : je ne saurais comment me nourrir, me v\u00eatir, me prot\u00e9ger des intemp\u00e9ries ; mes comp\u00e9tences techniques personnelles sont largement inf\u00e9rieures \u00e0 celles de l\u2019homme de N\u00e9andertal \u00bb, il mettait ainsi en lumi\u00e8re que le passage de l\u2019outil \u00e0 la machine n\u2019est pas un \u00ab progr\u00e8s \u00bb de la technique, mais son ali\u00e9nation<\/em> syst\u00e9matique, qui d\u00e9poss\u00e8de<\/em> l\u2019homme de tous ses savoir-faire pour les transf\u00e9rer<\/em> \u00e0 un dispositif auquel il est totalement et toujours davantage assujetti.<\/p>\n\n\n\n

Qu\u2019un tel transfert de souverainet\u00e9, qu\u2019une telle d\u00e9l\u00e9gation de comp\u00e9tences, soit susceptible d\u2019instituer<\/em> une puissance nouvelle de domination, Hobbes l\u2019a mis en \u00e9vidence en concevant la forme sp\u00e9cifiquement moderne de l\u2019\u00c9tat \u2014 c\u2019est-\u00e0-dire l\u2019appareil<\/em> d\u2019\u00c9tat \u2014 qu\u2019il a nomm\u00e9e \u00ab L\u00e9viathan \u00bb pour souligner la monstruosit\u00e9 d\u2019une entit\u00e9 issue de l\u2019ali\u00e9nation des hommes, et en cela inhumaine  : l\u2019histoire des techniques modernes n\u2019est autre que ce transfert de souverainet\u00e9 et cette d\u00e9l\u00e9gation de comp\u00e9tences, qui institue, non pas l\u2019\u00c9tat, mais ce que Marx a nomm\u00e9 \u00ab Machinerie \u00bb, qu\u2019il d\u00e9finit comme \u00ab monstre m\u00e9canique \u00bb \u00e0 la \u00ab force d\u00e9moniaque \u00bb parce que totalement \u00e9mancip\u00e9e des limites du corps humain, et qui requiert pr\u00e9cis\u00e9ment les puissances d\u00e9mesur\u00e9es recel\u00e9es dans les sous-sols g\u00e9ologiques<\/a>.<\/p>\n\n\n\n

La technique est un des principes de l\u2019hominisation, toute mutation technique a des effets anthropologiques.<\/p>Jean Vioulac<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

Marx parlait de la \u00ab machinerie de l\u2019\u00c9tat \u00bb pour d\u00e9signer la puissance ali\u00e9n\u00e9e de la soci\u00e9t\u00e9 qui se retourne contre elle pour la dominer, elle ne fut pourtant qu\u2019un prototype rudimentaire, qui a encore besoin d\u2019un homme \u2014 le chef d\u2019\u00c9tat \u2014 pour incarner son ips\u00e9it\u00e9, son soi (en grec aut\u00f3s<\/em>) : le machinisme se d\u00e9finit<\/em> par l\u2019automatisation, o\u00f9 un syst\u00e8me d\u2019objets conquiert son ips\u00e9it\u00e9 par son automatisme m\u00eame. Dans la Machinerie, \u00ab c\u2019est l\u2019automate lui-m\u00eame qui est le sujet, tandis que les travailleurs, organes conscients, sont simplement adjoints \u00e0 ses organes inconscients \u00bb \u00e9crivait Marx en 1867 : l\u2019automatisation est l\u2019ali\u00e9nation de la subjectivit\u00e9<\/em>, qui procure le statut de sujet \u00e0 des objets et en d\u00e9poss\u00e8de les \u00eatres humains, devenus pi\u00e8ces interchangeables et rempla\u00e7ables, et bient\u00f4t remplac\u00e9s. Marx est fondamentalement le penseur de \u00ab l\u2019inversion du sujet et de l\u2019objet \u00bb, de \u00ab la subjectivisation des choses et la chosification des personnes \u00bb caract\u00e9ristiques de la R\u00e9volution industrielle, et c\u2019est ainsi qu\u2019il est possible de d\u00e9finir la machine : un syst\u00e8me d\u2019objets pourvus des attributs du sujet.<\/p>\n\n\n\n

L\u2019av\u00e8nement de l\u2019\u00c9tat fut celui d\u2019un nouveau sujet, dominant des hommes ainsi red\u00e9finis par leur assujettissement et dont le pouvoir de nuisance, dans les guerres et les totalitarismes, s\u2019est av\u00e9r\u00e9 consid\u00e9rable ; Hobbes parlait d\u2019\u00ab homme artificiel \u00bb dot\u00e9 d\u2019une \u00ab \u00e2me artificielle \u00bb pour d\u00e9signer cette nouvelle puissance. La Machinerie est pareillement l\u2019av\u00e8nement d\u2019un nouveau sujet artificiel, qui, avec l\u2019interconnexion et la mise en r\u00e9seau, s\u2019est \u00e9largi aux dimensions de la plan\u00e8te, et c\u2019est ce<\/em> sujet qui est en mesure d\u2019impacter l\u2019\u00e9cosyst\u00e8me terrestre : non seulement parce que sa puissance est incommensurablement sup\u00e9rieure \u00e0 celle des hommes en chair et en os mais aussi parce que seul il est en mesure de mettre en \u0153uvre \u00ab l\u2019action de la conscience de l\u2019esprit collectif de l\u2019humanit\u00e9 sur les processus g\u00e9ochimiques \u00bb qui selon Vernadski caract\u00e9rise \u00ab l\u2019\u00e8re de la Raison \u00bb, en ce qu\u2019il est lui-m\u00eame dot\u00e9 d\u2019une \u00ab \u00e2me artificielle \u00bb.<\/p>\n\n\n\n\n

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\n \n \"Denis\n <\/picture>\n
Denis Diderot, L\u2019Encyclop\u00e9die, 43, \u00ab Arts des mines : recueil de planches sur les sciences, les arts lib\u00e9raux et les arts m\u00e9chaniques, avec leur explication \u00bb, Diderot et d\u2019Alembert, 1751-1780, Min\u00e9ralogie, Pl. 1, Disposition des Machines servant aux Epuisements<\/figcaption> <\/figure>\n <\/a>\n \n <\/div>\n
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\n \n \"Denis\n <\/picture>\n
Denis Diderot, L\u2019Encyclop\u00e9die, 43, \u00ab Arts des mines : recueil de planches sur les sciences, les arts lib\u00e9raux et les arts m\u00e9chaniques, avec leur explication \u00bb, Diderot et d\u2019Alembert, 1751-1780, Min\u00e9ralogie, Sonde de Terre<\/figcaption> <\/figure>\n <\/a>\n <\/div>\n <\/div>\n \n
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Denis Diderot, L\u2019Encyclop\u00e9die, 43, \u00ab Arts des mines : recueil de planches sur les sciences, les arts lib\u00e9raux et les arts m\u00e9chaniques, avec leur explication \u00bb, Diderot et d\u2019Alembert, 1751-1780, Min\u00e9ralogie, Pl. 1, Disposition des Machines servant aux Epuisements<\/figcaption> <\/figure>\n \n <\/div>\n
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Denis Diderot, L\u2019Encyclop\u00e9die, 43, \u00ab Arts des mines : recueil de planches sur les sciences, les arts lib\u00e9raux et les arts m\u00e9chaniques, avec leur explication \u00bb, Diderot et d\u2019Alembert, 1751-1780, Min\u00e9ralogie, Sonde de Terre<\/figcaption> <\/figure>\n <\/div>\n <\/div>\n<\/div>\n\n\n\n

L\u2019originalit\u00e9 de la machine est en effet d\u2019\u00eatre fond\u00e9e sur un savoir scientifique : depuis ses origines au Pal\u00e9olithique, la technique s\u2019est d\u00e9velopp\u00e9e sans aucun rapport avec quelque science que ce soit, et depuis ses origines en Gr\u00e8ce, la science s\u2019est d\u00e9velopp\u00e9e sans jamais avoir aucune application technique ; la connexion de la science et de la technique date du XVIIe<\/sup> si\u00e8cle europ\u00e9en. La machine est ainsi un savoir scientifique objectiv\u00e9, r\u00e9ifi\u00e9, chosifi\u00e9, et elle a pour fonction de mettre en \u0153uvre un savoir scientifique, celui de la min\u00e9ralogie, de la chimie, de l\u2019\u00e9lectromagn\u00e9tisme, de la physique atomique. L\u2019outil est ce qui permet \u00e0 un sujet de r\u00e9aliser une id\u00e9e qu\u2019il a \u00ab dans la t\u00eate \u00bb \u2014 c\u2019est ainsi que Marx caract\u00e9rise le travail humain par rapport \u00e0 l\u2019activit\u00e9 animale \u2014, la machine r\u00e9alise un savoir objectif, universel et abstrait, dont l\u2019\u00e9laboration est d\u00e9sormais le fait d\u2019un dispositif de recherche fond\u00e9 sur la division du travail et la sp\u00e9cialisation des t\u00e2ches, savoir qui est ainsi lui-m\u00eame<\/em> un produit de la Machinerie.<\/p>\n\n\n\n

La machine r\u00e9alise un savoir objectif, universel et abstrait, dont l\u2019\u00e9laboration est d\u00e9sormais le fait d\u2019un dispositif de recherche fond\u00e9 sur la division du travail et la sp\u00e9cialisation des t\u00e2ches, savoir qui est ainsi lui-m\u00eame<\/em> un produit de la Machinerie.<\/p>Jean Vioulac<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

La machine inclut donc en elle un savoir qui lui est propre, et ce savoir est le principe de son activit\u00e9, il est ce qui l\u2019anime, il en cela son \u00e2me (du latin anima<\/em>, ce qui anime un corps)  : \u00ab La machine, qui poss\u00e8de adresse et force \u00e0 la place de l\u2019ouvrier, est elle-m\u00eame le virtuose qui, du fait des lois m\u00e9caniques dont l\u2019action s\u2019exerce en elle, poss\u00e8de une \u00e2me propre \u00bb, \u00e9crivait Marx, qui d\u00e8s 1858 constatait que dans le dispositif industriel de production, le travailleur est \u00ab au service d\u2019une volont\u00e9 et d\u2019une intelligence \u00e9trang\u00e8re<\/em>, dirig\u00e9 par cette intelligence \u2014 ayant son unit\u00e9 animatrice hors de lui \u2014 de la m\u00eame fa\u00e7on que dans son unit\u00e9 mat\u00e9rielle, il appara\u00eet subordonn\u00e9 \u00e0 l\u2019unit\u00e9 objective de la machinerie, qui, monstre anim\u00e9<\/em>, objective la pens\u00e9e scientifique \u00bb et concluait que \u00ab le savoir social universel, la connaissance, est devenue force productive imm\u00e9diate et par suite les conditions du processus vital de la soci\u00e9t\u00e9 sont elles-m\u00eames pass\u00e9es sous le contr\u00f4le de l\u2019intellect<\/em> g\u00e9n\u00e9ral<\/em>. \u00bb Cet \u00ab intellect g\u00e9n\u00e9ral \u00bb, cette \u00ab intelligence \u00e9trang\u00e8re \u00bb en laquelle Marx voyait \u00ab l\u2019\u00e2me \u00bb du monstre machinique, c\u2019est ce qui advient aujourd\u2019hui comme \u00ab intelligence artificielle \u00bb. <\/p>\n\n\n\n

L\u2019esprit ordinateur<\/strong><\/h2>\n\n\n\n

La question de \u00ab l\u2019intelligence artificielle \u00bb<\/a> ne peut pas se r\u00e9duire \u00e0 l\u2019analyse des performances de tel ou tel ordinateur, ni \u00e0 sa comparaison avec le fonctionnement du cerveau humain : l\u2019intelligence, la pens\u00e9e, l\u2019esprit\u2026 est toujours un ph\u00e9nom\u00e8ne historique et social ; l\u2019intelligence est toujours d\u2019abord esprit commun<\/em>, qui peut prendre des formes tr\u00e8s diverses, ce qu\u2019a mis en \u00e9vidence l\u2019anthropologie au XXe<\/sup> si\u00e8cle en montrant la profondeur et la complexit\u00e9 de la \u00ab pens\u00e9e sauvage \u00bb (L\u00e9vi-Strauss).<\/p>\n\n\n\n

La pens\u00e9e h\u00e9g\u00e9monique est aujourd\u2019hui la rationalit\u00e9 scientifique, issue de la math\u00e9matisation du savoir op\u00e9r\u00e9e en Europe au XVIIe<\/sup> si\u00e8cle ; son mod\u00e8le \u00e9tait le syst\u00e8me axiomatico-d\u00e9ductif de la g\u00e9om\u00e9trie euclidienne, qui, \u00e0 partir d\u2019axiomes, d\u00e9duit ses propositions de fa\u00e7on n\u00e9cessaire, ce qui permet de garantir la rigueur des raisonnements en \u00e9liminant toute trace de subjectivit\u00e9 pour parvenir \u00e0 une objectivit\u00e9 pure o\u00f9 les v\u00e9rit\u00e9s se d\u00e9duisent les unes des autres : automatiquement, donc. L\u2019\u00e9limination de tout \u00e9l\u00e9ment subjectif est rendue possible par l\u2019alg\u00e8bre, qui r\u00e9duit tout donn\u00e9 \u00e0 des quantit\u00e9s num\u00e9riques, ainsi susceptibles d\u2019\u00eatre trait\u00e9es par un calcul. Leibniz \u00e0 la fin du XVIIe<\/sup> a syst\u00e9matis\u00e9 l\u2019automatisation des raisonnements, l\u2019identification de la pens\u00e9e au calcul, la num\u00e9risation int\u00e9grale de la rationalit\u00e9 et l\u2019atomisation int\u00e9grale d\u2019un r\u00e9el d\u00e9fini par des unit\u00e9s num\u00e9riques (les \u00ab atomes m\u00e9taphysiques \u00bb qu\u2019il appelle \u00ab monades \u00bb) ; il a universalis\u00e9 le mod\u00e8le de la machine pour penser l\u2019univers, dont le devenir est l\u2019ex\u00e9cution d\u2019un programme calcul\u00e9 par Dieu, c\u2019est-\u00e0-dire l\u2019Un. L\u2019\u0153uvre de Leibniz est \u00ab la fin du temps d\u2019incubation du principe de raison \u00bb (Heidegger), elle en explicite, d\u00e9plie et d\u00e9ploie toutes les potentialit\u00e9s, elle y met en \u00e9vidence la logique de l\u2019automatisation, de la num\u00e9risation, de la programmation, de l\u2019atomisation et de la machination. La raison, disait Leibniz, est principe en tant qu\u2019\u00ab esprit ordinateur \u00bb (mens ordinatrix<\/em>)  : avant m\u00eame la fabrication des premi\u00e8res machines, la pens\u00e9e est int\u00e9gralement automatis\u00e9e, elle est elle-m\u00eame une vaste machine logique.<\/p>\n\n\n\n

Cet \u00ab intellect g\u00e9n\u00e9ral \u00bb, cette \u00ab intelligence \u00e9trang\u00e8re \u00bb en laquelle Marx voyait \u00ab l\u2019\u00e2me \u00bb du monstre machinique, c\u2019est ce qui advient aujourd\u2019hui comme \u00ab intelligence artificielle \u00bb.<\/p>Jean Vioulac<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

Leibniz avait con\u00e7u d\u00e8s 1679 un \u00ab calcul binaire \u00bb permettant de r\u00e9duire tout donn\u00e9 \u00e0 une s\u00e9rie de 0 et de 1  : ce calcul binaire est au principe de l\u2019informatique, dont les principaux fondateurs (G\u00f6del, Turing, von Neumann\u2026) se sont d\u2019ailleurs r\u00e9clam\u00e9s de Leibniz. L\u2019informatique a \u00e9t\u00e9 rendu possible par la \u00ab num\u00e9ration de G\u00f6del \u00bb, qui a permis d\u2019universaliser la r\u00e9duction num\u00e9rique, et par la \u00ab machine de Turing \u00bb, qui a consist\u00e9 \u00e0 objectiver les \u00ab \u00e9tats mentaux \u00bb du calculateur humain pour les confier \u00e0 un dispositif m\u00e9canique. La th\u00e9orie de l\u2019information repose sur la reconnaissance de son ind\u00e9pendance \u00e0 la fois vis-\u00e0-vis de la mati\u00e8re et de l\u2019\u00e9nergie : la num\u00e9risation de l\u2019information lui a ainsi permis d\u2019exister de fa\u00e7on autonome par rapport aux supports physiques en lesquels elle peut \u00eatre impl\u00e9ment\u00e9e (diff\u00e9rence entre software<\/em> et hardware<\/em>), elle a conduit \u00e0 la prolif\u00e9ration d\u2019entit\u00e9s id\u00e9elles et formelles, quasi-immat\u00e9rielles (dont la seule mat\u00e9rialit\u00e9 est celle des flux d\u2019\u00e9lectrons qui transf\u00e8rent les data num\u00e9riques \u2014 mais la mat\u00e9rialit\u00e9 des \u00e9lectrons est elle-m\u00eame probl\u00e9matique), et qui sont en mesure d\u2019actionner des syst\u00e8mes mat\u00e9riels, qu\u2019elles animent, et subsistent \u00e0 leur destruction ; elles sont en cela comme leur \u00e2me. L\u2019av\u00e8nement de l\u2019informatique dans les ann\u00e9es 1940 est le moment o\u00f9 la rationalit\u00e9 automatis\u00e9e et machinique con\u00e7ue par Leibniz acquiert un pouvoir ex\u00e9cutif, o\u00f9 les id\u00e9alit\u00e9s formelles sont en mesure de commander des syst\u00e8mes mat\u00e9riels : elle est le moment o\u00f9 le l\u00f3gos<\/em> devient logiciel<\/em>, ce que Norbert Wiener, qui se r\u00e9clamait aussi de Leibniz, a reconnu en la renommant \u00ab cybern\u00e9tique \u00bb (du grec kubern\u00eatik\u00e8<\/em>, \u00ab technique de pilotage \u00bb, \u00ab art de gouverner \u00bb) parce qu\u2019il en comprenait d\u2019embl\u00e9e les cons\u00e9quences politiques et sociales.<\/p>\n\n\n\n

L\u2019histoire de l\u2019informatique depuis lors est celle de la num\u00e9risation de toute chose et de la croissance exponentielle de la quantit\u00e9 d\u2019entit\u00e9s formelles et id\u00e9elles (l\u2019univers num\u00e9rique aujourd\u2019hui \u00e9quivaut aux capacit\u00e9s de stockage de plus de 60 milliards de SSD de 1 To), d\u00e9finitivement hors de prise de l\u2019intellect humain (la suite logicielle de Google compte plus de 2 milliards de lignes de code), qui ne peuvent plus \u00eatre trait\u00e9es que par la machine elle-m\u00eame, dont la puissance de calcul est elle-m\u00eame en croissance exponentielle (le seul ordinateur Frontier de HewlettPackard est capable de plus d\u2019un milliard de milliards d\u2019op\u00e9rations par seconde). Mais elle est aussi celle de l\u2019emprise tentaculaire de cet univers num\u00e9rique sur les hommes r\u00e9els, en chair et en os  : il y a aujourd\u2019hui plus de 5,16 milliards d\u2019internautes qui sont connect\u00e9s en moyenne 6h37 par jour, dont 2h30 sur les r\u00e9seaux sociaux ; 5,44 milliards de personnes ont un t\u00e9l\u00e9phone mobile auquel elles consacrent 4h48 par jour. L\u2019\u00e9criture alphab\u00e9tique en Gr\u00e8ce ancienne a permis l\u2019av\u00e8nement d\u2019une \u00ab raison graphique \u00bb (Jack Goody) qui a puissamment contribu\u00e9 \u00e0 structurer la rationalit\u00e9 ; les langages informatiques ont \u00e9tabli le r\u00e8gne d\u2019une raison num\u00e9rique<\/em> dont les effets sont tout aussi consid\u00e9rables. L\u2019informatique est en cela un \u00ab fait social total \u00bb (Mauss), qui a profond\u00e9ment reconfigur\u00e9 la politique, la justice, la m\u00e9decine, l\u2019enseignement, les relations sociales et familiales, le rapport au temps et \u00e0 l\u2019espace, la pens\u00e9e partout et toujours soumise \u00e0 l\u2019imp\u00e9ratif du calcul de toute chose. La fonction cybern\u00e9tique de l\u2019informatique se manifeste aujourd\u2019hui dans la \u00ab r\u00e9gulation algorithmique \u00bb, et qui consiste \u00e0 d\u00e9l\u00e9guer \u00e0 des logiciels (raison num\u00e9rique) les fonctions de l\u2019administration (raison graphique) : ainsi le code tend \u00e0 se substituer \u00e0 la loi, et la machinerie de l\u2019\u00c9tat \u2014 dont l\u2019inefficacit\u00e9 que lui reprochent ses critiques n\u00e9olib\u00e9rales \u00e9tait la plus grande vertu \u2014 se trouve remplac\u00e9 par la machinerie informatique \u2014 dont l\u2019efficacit\u00e9 est le plus grand danger.<\/p>\n\n\n\n

Il y a aujourd\u2019hui plus de 5,16 milliards d\u2019internautes qui sont connect\u00e9s en moyenne 6h37 par jour, dont 2h30 sur les r\u00e9seaux sociaux ; 5,44 milliards de personnes ont un t\u00e9l\u00e9phone mobile auquel elles consacrent 4h48 par jour.<\/p>Jean Vioulac<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

L\u2019\u00ab intelligence artificielle \u00bb n\u2019est donc pas un outil que les informaticiens auraient bien en mains, elle d\u00e9finit le r\u00e9gime ontologique d\u2019une \u00e9poque fond\u00e9e sur une raison num\u00e9rique automatis\u00e9e en laquelle s\u2019accomplit la rationalit\u00e9 que Leibniz avait con\u00e7u comme mens ordinatrix<\/em>, \u00ab esprit ordinateur \u00bb, et Platon comme no\u00fbs kubern\u00e9tikos<\/em>, \u00ab intelligence gouvernatrice \u00bb, ou \u00ab intellect cybern\u00e9tique \u00bb ; elle est l\u2019av\u00e8nement de \u00ab l\u2019\u00e2me artificielle \u00bb d\u2019un nouveau L\u00e9viathan, masse colossale de donn\u00e9es num\u00e9ris\u00e9e autor\u00e9gul\u00e9e par une puissance de calcul d\u00e9mesur\u00e9e, et qui conquiert des capacit\u00e9s toujours nouvelles et des pouvoirs toujours plus grands.<\/p>\n\n\n\n

L\u2019Esprit de l\u2019autodestruction et du n\u00e9ant<\/strong><\/h2>\n\n\n\n

Vladimir Vernadski a le premier, dans le livre \u00e9ponyme de 1929, parl\u00e9 de \u00ab biosph\u00e8re \u00bb pour circonscrire la couche du syst\u00e8me terre d\u00e9finie par le vivant, mais il a aussi propos\u00e9 le concept de \u00ab no\u00f6sph\u00e8re \u00bb (grec n\u00f3os<\/em>, intelligence) pour souligner qu\u2019avec l\u2019homme s\u2019\u00e9tait ajout\u00e9 tout un univers intellectuel et spirituel, qui lui-m\u00eame avait un impact sur le syst\u00e8me terre ; il avait vu d\u00e8s 1924 que l\u2019homme \u00e9tait devenu une nouvelle force g\u00e9ologique, non pas en tant qu\u2019\u00eatre vivant cependant, mais en tant qu\u2019\u00eatre intelligent : il a ainsi conclu en 1943 que \u00ab la no\u00f6sph\u00e8re est un nouveau ph\u00e9nom\u00e8ne g\u00e9ologique sur notre plan\u00e8te. En elle, pour la premi\u00e8re fois, l\u2019homme devient une force g\u00e9ologique \u00e0 grande \u00e9chelle \u00bb. Ainsi s\u2019\u00e9lucide l\u2019identit\u00e9 d\u2019essence des deux ph\u00e9nom\u00e8nes d\u00e9crits par Emmanuel Carr\u00e8re : le d\u00e9sastre climatique est le d\u00e9cha\u00eenement de la puissance d\u2019atomisation de la raison num\u00e9rique, en quoi notre \u00e9poque est Logoc\u00e8ne, mais le l\u00f3gos<\/em> ne peut devenir puissance dominante que parce qu\u2019il est devenu logiciel d\u2019une Machinerie plan\u00e9taire et s\u2019est ainsi lui-m\u00eame autonomis\u00e9 et automatis\u00e9, y a par l\u00e0 m\u00eame conquis son ips\u00e9it\u00e9 (aut\u00f3s<\/em>) ; la no\u00f6sph\u00e8re, qui est depuis lors devenue infrastructure r\u00e9elle dans le dispositif informatique plan\u00e9taire, est ainsi la puissance qui se d\u00e9cha\u00eene contre la biosph\u00e8re.<\/p>\n\n\n\n

Calculer, m\u00e9moriser, analyser, observer, surveiller, d\u00e9cider, pr\u00e9voir, planifier, imaginer, \u00e9crire, parler\u2026 tout ce qui \u00e9tait jusque-l\u00e0 l’apanage des sujets est transf\u00e9r\u00e9 \u00e0 des objets.<\/p>Jean Vioulac<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

Cette puissance est indissociable de l\u2019ali\u00e9nation d\u2019hommes qui se dessaisissent toujours davantage de leurs fonctions intellectuelles et les d\u00e9l\u00e8guent toujours davantage \u00e0 des syst\u00e8mes automatis\u00e9s : calculer, m\u00e9moriser, analyser, observer, surveiller, d\u00e9cider, pr\u00e9voir, planifier, imaginer, \u00e9crire, parler\u2026 tout ce qui \u00e9tait jusque-l\u00e0 l’apanage des sujets est transf\u00e9r\u00e9 \u00e0 des objets. L\u2019\u00ab intelligence artificielle \u00bb ne doit donc pas \u00eatre recherch\u00e9e dans le disque dur d\u2019un ordinateur, mais dans la soci\u00e9t\u00e9 globalis\u00e9e, et dans l\u2019humanit\u00e9 red\u00e9finie<\/em> par l\u2019empire cybern\u00e9tique de la raison num\u00e9rique, toujours plus connect\u00e9e et int\u00e9gr\u00e9e<\/em> \u00e0 la Machinerie \u2014 et soumise<\/em> \u00e0 un \u00ab progr\u00e8s \u00bb v\u00e9cu comme providence. ChatGPT<\/a> est l\u2019innovation technique qui a connu la diffusion la plus rapide de tous les temps, le cap du million d\u2019utilisateurs a \u00e9t\u00e9 franchi en cinq jours pour atteindre 100 millions en deux mois, ce qui met en \u00e9vidence la profondeur et la force du d\u00e9sir que la machine assouvit  : ne pas<\/em> penser, ne pas<\/em> agir, en toute chose ob\u00e9ir. Ce d\u00e9sir est la pulsion de mort.<\/p>\n\n\n\n

Ainsi s\u2019impose une r\u00e9v\u00e9lation anthropologique que Dosto\u00efevski formule dans Les carnets du sous-sol<\/em> : \u00ab \u00catre des hommes, cela nous p\u00e8se, des hommes avec un corps r\u00e9el, \u00e0 nous, avec du sang ; nous avons honte de cela, nous cherchons \u00e0 \u00eatre des esp\u00e8ces d\u2019hommes abstrait universels. Nous sommes tous morts\u2010n\u00e9s, et depuis bien longtemps, les p\u00e8res qui nous engendrent, ils sont morts eux\u2010m\u00eames, et tout cela nous pla\u00eet de plus en plus. On y prend go\u00fbt. Bient\u00f4t nous inventerons un moyen pour na\u00eetre d\u2019une id\u00e9e \u00bb <\/span>2<\/sup><\/a><\/span><\/span>. L\u2019animal se d\u00e9finit par l\u2019h\u00e9r\u00e9dit\u00e9, l\u2019homme par l\u2019h\u00e9ritage, et en cela en effet il na\u00eet dans un monde de fant\u00f4mes, toujours d\u2019abord hant\u00e9 par les morts : l\u2019esprit est spectral, la puissance dominante de l\u2019Histoire, conclut Dosto\u00efevski dans la parabole du Grand Inquisiteur des Fr\u00e8re Karamazov<\/em>, est \u00ab l\u2019Esprit de l\u2019autodestruction et du n\u00e9ant \u00bb, \u00ab cet Esprit de mort et de ruine \u00bb qui a \u00ab prouv\u00e9 qu\u2019il \u00e9tait l\u2019Esprit \u00e9ternel et absolu \u00bb. Cette puissance spectrale domine aujourd\u2019hui par la num\u00e9risation et la virtualisation, et l\u2019\u00ab intelligence artificielle \u00bb est elle-m\u00eame intelligence morte ; ses capacit\u00e9s de cr\u00e9ation sont nulles, elle ne peut que num\u00e9riser un h\u00e9ritage et le coder pour en faire un logiciel, et donner ainsi \u00e0 l\u2019\u00e2me d\u2019anciens ma\u00eetres le pouvoir de hanter ind\u00e9finiment la machine, comme Rembrandt, dont le spectre num\u00e9rique a peint un nouveau tableau en 2016  ; il sera possible de produire \u00e0 volont\u00e9 des pseudo-romans de cyber-Balzac ou de cyber-Zola \u2014 voire de cyber-Carr\u00e8re. La puissance de la Machinerie est celle de la mort, et c\u2019est pourquoi elle est destruction du vivant.<\/p>\n\n\n\n

La puissance spectrale domine aujourd\u2019hui par la num\u00e9risation et la virtualisation, et l\u2019\u00ab intelligence artificielle \u00bb est elle-m\u00eame intelligence morte.<\/p>Jean Vioulac<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

Capitalisme et destruction<\/strong><\/h2>\n\n\n\n

La puissance et l\u2019autonomie conquises par le num\u00e9rique, par l\u2019abstraction, par le spectre de l\u2019esprit, reste pourtant difficile \u00e0 concevoir : la tentative pour penser l\u2019\u00e9v\u00e9nement en cours impose de radicaliser l\u2019enqu\u00eate arch\u00e9ologique pour mettre au jour l\u2019essence originaire de l’abstraction qui depuis les Grecs d\u00e9finit la raison.<\/p>\n\n\n\n

Dans la pens\u00e9e de Platon, l\u2019abstraction et l\u2019universalit\u00e9 de l\u2019id\u00e9e sont issues d\u2019une \u00e9limination de toutes les caract\u00e9ristiques concr\u00e8tes et particuli\u00e8res des choses, qui permet par exemple, \u00e0 partir d\u2019une multiplicit\u00e9 de choses belles, de circonscrire l\u2019id\u00e9e de beaut\u00e9, qui est leur \u00ab forme \u00bb ou leur \u00ab essence \u00bb (grec e\u00efdos<\/em>). Ce processus de r\u00e9duction s\u2019op\u00e8re par le dialogue, \u00e9change entre interlocuteurs qui avait lieu, \u00e0 l\u2019instigation de Socrate, sur l\u2019agora. L\u2019agora \u00e9tait originairement la place du march\u00e9, sur lequel avait lieu un autre type d\u2019\u00e9change o\u00f9 s\u2019op\u00e8re semblable r\u00e9duction  : l\u2019\u00e9change marchand implique en effet que les qualit\u00e9s particuli\u00e8res et concr\u00e8tes des biens \u00e9chang\u00e9s soient mises entre parenth\u00e8ses, pour les r\u00e9duire \u00e0 une quantit\u00e9 universelle et abstraite dont ils ne sont plus qu\u2019une fraction d\u00e9termin\u00e9e, ce qui les rend commensurables. Cette quantit\u00e9 universelle et abstraite, purement formelle et id\u00e9elle, est la valeur, qui est la richesse abstraite, l\u2019id\u00e9e de richesse, l\u2019essence universelle des richesses r\u00e9elles, et qui en outre, dans la mesure, s\u2019exprime sous forme num\u00e9rique (le prix).<\/p>\n\n\n\n

La monnaie instituait d\u00e9j\u00e0<\/em> une raison num\u00e9rique dont le pythagorisme fut l\u2019expression syst\u00e9matique.<\/p>Jean Vioulac<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

La Gr\u00e8ce ancienne est le moment de l\u2019av\u00e8nement de la monnaie frapp\u00e9e, et la monnaie impose l\u2019usage d\u2019un tel \u00e9talon de mesure et g\u00e9n\u00e9ralise ainsi la d\u00e9finition des choses par une quantit\u00e9 num\u00e9rique  : d\u00e9finir les choses par le nombre et les fonder sur l\u2019Un, c\u2019est ce que fit Pythagore en th\u00e9orie, c\u2019est ce que faisaient les Grecs en pratique ; l\u2019\u00e9criture alphab\u00e9tique instaurait une raison graphique, la monnaie instituait d\u00e9j\u00e0<\/em> une raison num\u00e9rique dont le pythagorisme fut l\u2019expression syst\u00e9matique. Ainsi l\u2019universel-abstrait n\u2019est pas une simple id\u00e9e dans la t\u00eate d\u2019un philosophe, il est une puissance r\u00e9elle efficace sur le terrain \u00e9conomique, social et politique  : dans la monnaie, cet universel-abstrait devient un objet, en lequel il se cristallise et s\u2019accumule, et par lequel la forme id\u00e9elle<\/em> de la valeur acquiert une existence autonome<\/em> par rapport \u00e0 la mati\u00e8re concr\u00e8te dont elle est la forme.<\/p>\n\n\n\n

La valeur est formelle, elle a pourtant son contenu propre, r\u00e9sidu de la r\u00e9duction des biens \u00e9chang\u00e9s \u00e0 leur plus petit d\u00e9nominateur commun. Ce point commun est d\u2019\u00eatre des produits du travail : le contenu de la valeur est le travail, un travail lui-m\u00eame universel et abstrait, l\u2019essence du travail. Mais cette essence du travail (originairement subjectif) est issue de la r\u00e9duction de ses produits<\/em> (objectifs) \u00e0 leur essence formelle : le travail est l\u2019acte pr\u00e9sent<\/em> par lequel le sujet<\/em> met en \u0153uvre sa puissance vitale<\/em> ; le produit est un objet<\/em>, r\u00e9sultat inerte de cette activit\u00e9, la valeur est du travail pass\u00e9<\/em>, du travail mort<\/em>, en quelque sorte momifi\u00e9. En r\u00e9ifiant la valeur, la monnaie permet \u00e0 ce travail mort de subsister. Les proto-monnaies les plus archa\u00efques \u00e9taient li\u00e9es \u00e0 des rites fun\u00e9raires et avaient pour fonction de permettre aux vivants de s\u2019approprier la substance des morts, et la monnaie permet toujours de mat\u00e9rialiser un h\u00e9ritage, de faire subsister l\u2019\u0153uvre d\u2019un homme apr\u00e8s sa mort, elle permet de faire fructifier ce travail mort  : la monnaie, a dit Hegel, est \u00ab la vie mouvante en soi de ce qui est mort \u00bb.<\/p>\n\n\n\n

La valeur est du travail pass\u00e9<\/em>, du travail mort<\/em>, en quelque sorte momifi\u00e9. En r\u00e9ifiant la valeur, la monnaie permet \u00e0 ce travail mort de subsister.<\/p>Jean Vioulac<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

Or la R\u00e9volution industrielle se fonde sur une r\u00e9volution \u00e9conomique qui renverse<\/em> le statut de la monnaie : la monnaie \u00e9tait moyen d\u2019\u00e9change, elle devient fin de la production ; le but de toute activit\u00e9 est de faire de l\u2019argent, c\u2019est-\u00e0-dire d\u2019augmenter la quantit\u00e9 de valeur. C\u2019est ce qu\u2019on appelle la \u00ab croissance \u00bb, qui est illimit\u00e9e et continue, puisque la quantit\u00e9 de valeur produite est elle-m\u00eame r\u00e9investie pour l\u2019accro\u00eetre encore davantage : aussi la valeur n\u2019est-elle pas seulement la fin du processus, elle est aussi son principe. Cette \u00e9conomie est le capitalisme, que seul Marx \u2014 parce qu\u2019il \u00e9tait h\u00e9ritier de Hegel \u2014 a su penser : tout le travail de Marx a consist\u00e9 \u00e0 montrer qu\u2019il y a Capital \u00ab quand la valeur est sujet \u00bb du processus, quand elle \u00ab s\u2019autonomise \u00bb et se prend elle-m\u00eame pour but ; le Capital, c\u2019est la d\u00e9finition qu\u2019il en donne, est \u00ab l\u2019autovalorisation de la valeur \u00bb, et c\u2019est pourquoi il requiert l\u2019automatisation : le Capital est \u00ab sujet automate \u00bb, il est le logiciel de la Machinerie, dont les capitalistes eux-m\u00eames ne sont jamais que les \u00ab fonctionnaires \u00bb et les \u00ab esclaves \u00bb. Le March\u00e9, reconnaissait d\u2019ailleurs express\u00e9ment Hayek son ap\u00f4tre, est<\/em> une Machinerie cybern\u00e9tique autor\u00e9gul\u00e9e, il universalise la raison num\u00e9rique en imposant \u00e0 tous, partout, tout le temps, le calcul de toute chose, et produit en masse ces individus incapables de penser autrement qu\u2019en terme de rapport co\u00fbt\/b\u00e9n\u00e9fice.<\/p>\n\n\n\n

La r\u00e9f\u00e9rence \u00e0 Marx s\u2019impose parce que le capitalisme est une chose trop grave pour le confier aux \u00e9conomistes : un dispositif qui requiert une infrastructure technique aujourd\u2019hui \u00e9largie aux dimensions de la plan\u00e8te, qui mobilise en masse tous les peuples et reconfigure toutes les soci\u00e9t\u00e9s, dont les besoins en ressources naturelles ont conduit \u00e0 une crise \u00e9cologique d\u2019ampleur g\u00e9ologique, et qui met en \u0153uvre de fa\u00e7on syst\u00e9matique une rationalit\u00e9 dont l\u2019\u00e9mergence et l\u2019\u00e9laboration a occup\u00e9 les vingt cinq si\u00e8cles de l\u2019histoire de l\u2019Occident, un tel dispositif ne peut pas \u00eatre abord\u00e9 \u00e0 partir des questions d\u00e9risoires de \u00ab pouvoir d\u2019achat \u00bb, d\u2019\u00ab esprit d\u2019entreprise \u00bb ou de \u00ab libert\u00e9 du commerce \u00bb. Il faut alors rappeler la diff\u00e9rence entre la pens\u00e9e de Karl Marx et ce qui au XXe<\/sup> si\u00e8cle s\u2019est appel\u00e9 \u00ab marxisme \u00bb, lequel fut une contre-r\u00e9volution th\u00e9orique qui a op\u00e9r\u00e9 un recul m\u00e9thodique sur tous les acquis marxiens pour retrouver un monisme (Spinoza), un positivisme (Comte) et un industrialisme (Saint-Simon) pr\u00e9-critiques, et devenir ainsi une id\u00e9ologie industrielle parmi d\u2019autres, r\u00e9duisant le probl\u00e8me du Capital \u00e0 celui des in\u00e9galit\u00e9s sociales.<\/p>\n\n\n\n

Le capitalisme ne se d\u00e9finit pas par la soumission d\u2019une classe \u00e0 une autre mais par la soumission du travail<\/em> \u00e0 la valeur<\/em> <\/p>Jean Vioulac<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

Le capitalisme ne se d\u00e9finit pas par la soumission d\u2019une classe \u00e0 une autre \u2014 rien de nouveau sous le soleil \u2014 mais par la soumission du travail<\/em> \u00e0 la valeur<\/em>  : le salariat r\u00e9duit<\/em> la multiplicit\u00e9 des travailleurs concrets \u00e0 une quantit\u00e9 de puissance de travail abstraite, d\u00e9poss\u00e8de<\/em> les travailleurs de cette puissance pour la transf\u00e9rer<\/em> dans la Machinerie globale, qui la consomme pour alimenter la turbine de l\u2019autovalorisation. Le capitalisme universalise et syst\u00e9matise l\u2019ali\u00e9nation de la subjectivit\u00e9 vivante dans ce que Marx nomme \u00ab l\u2019objectivit\u00e9 morte \u00bb ou \u00ab l\u2019objectivit\u00e9 spectrale \u00bb de la valeur. Le capitalisme n\u2019est pas<\/em> l\u2019exploitation de l\u2019homme par l\u2019homme, mais l\u2019exploitation de la subjectivit\u00e9 vivante par l\u2019objectivit\u00e9 morte qui ainsi conquiert sa pseudo-vie de machine par un parasitisme aujourd\u2019hui manifeste dans l\u2019emprise du dispositif num\u00e9rique sur tous et sur chacun : la monnaie \u00e9tait ce qui permettait aux vivants de s\u2019approprier la substance des morts, elle est devenue ce qui permet \u00e0 la substance des morts de vampiriser les vivants. Marx \u2014 n\u00e9 en 1818, l\u2019ann\u00e9e o\u00f9 Mary Shelley publie Frankenstein ou le Prom\u00e9th\u00e9e moderne<\/em> \u2014 compare toujours le Capital \u00e0 un vampire, un loup-garou, un Moloch, et surtout \u00e0 un monstre  : \u00ab En incorporant la force de travail vivante \u00e0 leur objectivit\u00e9 de choses mortes, le capitaliste transforme de la valeur, c\u2019est-\u00e0-dire du travail pass\u00e9, objectiv\u00e9, mort, en Capital, c\u2019est-\u00e0-dire en valeur qui se valorise elle-m\u00eame, en ce monstre anim\u00e9 qui se met \u00e0 \u201ctravailler\u201d comme s\u2019il avait le diable au corps \u00bb, \u00e9crit-il dans Le Capital<\/em>, o\u00f9 il pr\u00e9cise que \u00ab le Capital est du travail mort, qui ne s\u2019anime qu\u2019en su\u00e7ant tel un vampire du travail vivant, et qui est d\u2019autant plus vivant qu\u2019il en suce davantage \u00bb.<\/p>\n\n\n\n\n

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Denis Diderot, L\u2019Encyclop\u00e9die, 43, \u00ab Arts des mines : recueil de planches sur les sciences, les arts lib\u00e9raux et les arts m\u00e9chaniques, avec leur explication \u00bb, Diderot et d\u2019Alembert, 1751-1780, Min\u00e9ralogie, 7e collection. Filons et travaux des Mines. Pl. IV, Fig. 1. Cuvelage ou fa\u00e7on de revetir les Puits perpendiculaires ou inclin\u00e9s des Mines ; Fig. 2. Diff\u00e9rentes manieres d\u2019Etan\u00e7onner les galleries et souterrains des Mines.<\/figcaption> <\/figure>\n <\/a>\n \n <\/div>\n
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Denis Diderot, L\u2019Encyclop\u00e9die, 43, \u00ab Arts des mines : recueil de planches sur les sciences, les arts lib\u00e9raux et les arts m\u00e9chaniques, avec leur explication \u00bb, Diderot et d\u2019Alembert, 1751-1780, Min\u00e9ralogie, 7e collection. Filons et travaux des Mines. Pl. IV, Fig. 1. Cuvelage ou fa\u00e7on de revetir les Puits perpendiculaires ou inclin\u00e9s des Mines ; Fig. 2. Diff\u00e9rentes manieres d\u2019Etan\u00e7onner les galleries et souterrains des Mines.<\/figcaption> <\/figure>\n <\/a>\n <\/div>\n <\/div>\n \n
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Denis Diderot, L\u2019Encyclop\u00e9die, 43, \u00ab Arts des mines : recueil de planches sur les sciences, les arts lib\u00e9raux et les arts m\u00e9chaniques, avec leur explication \u00bb, Diderot et d\u2019Alembert, 1751-1780, Min\u00e9ralogie, 7e collection. Filons et travaux des Mines. Pl. IV, Fig. 1. Cuvelage ou fa\u00e7on de revetir les Puits perpendiculaires ou inclin\u00e9s des Mines ; Fig. 2. Diff\u00e9rentes manieres d\u2019Etan\u00e7onner les galleries et souterrains des Mines.<\/figcaption> <\/figure>\n \n <\/div>\n
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Denis Diderot, L\u2019Encyclop\u00e9die, 43, \u00ab Arts des mines : recueil de planches sur les sciences, les arts lib\u00e9raux et les arts m\u00e9chaniques, avec leur explication \u00bb, Diderot et d\u2019Alembert, 1751-1780, Min\u00e9ralogie, 7e collection. Filons et travaux des Mines. Pl. IV, Fig. 1. Cuvelage ou fa\u00e7on de revetir les Puits perpendiculaires ou inclin\u00e9s des Mines ; Fig. 2. Diff\u00e9rentes manieres d\u2019Etan\u00e7onner les galleries et souterrains des Mines.<\/figcaption> <\/figure>\n <\/div>\n <\/div>\n<\/div>\n\n\n\n

Le dispositif capitaliste de production est ainsi, la m\u00e9taphore est de Marx, un vaste alambic o\u00f9 se met en \u0153uvre la transsubstantiation alchimique de toute r\u00e9alit\u00e9 en ce \u00ab sublim\u00e9 identique \u00bb qu\u2019est la valeur : ainsi toutes les ressources, humaines et naturelles, sont mobilis\u00e9es pour produire l\u2019entit\u00e9 formelle, id\u00e9elle, abstraite et spectrale de la valeur, dont l\u2019irr\u00e9alit\u00e9 s\u2019atteste aujourd\u2019hui dans la d\u00e9mat\u00e9rialisation de monnaies appel\u00e9es \u00e0 devenir num\u00e9riques, et dont les \u00e9changes s\u2019identifient \u00e0 des jeux d\u2019\u00e9criture informatiques, donc \u00e0 des flux d\u2019\u00e9lectrons  ; toutes les ressources sont ainsi consomm\u00e9es, donc d\u00e9truites, pour en retirer ce r\u00e9sidu, cette cendre, cette scorie, c\u2019est-\u00e0-dire l\u2019irr\u00e9alit\u00e9 d\u2019un Capital fictif dont la bulle cro\u00eet en proportion de la destruction. Enti\u00e8rement fond\u00e9 sur la monnaie, donc le num\u00e9risme, le capitalisme met en \u0153uvre l\u2019atomisme, pour lequel toute mati\u00e8re est valeur potentielle \u00e0 convertir selon un coefficient de profit maximal. L\u2019hypoth\u00e9tique \u00ab transition \u00e9cologique \u00bb ne changerait rien \u00e0 la destructivit\u00e9 d\u2019un dispositif qui requiert des ressources en quantit\u00e9 sans pr\u00e9c\u00e9dent (les volumes de sable utilis\u00e9s pour la production de ciment sont tels qu\u2019une p\u00e9nurie mondiale se profile) et produit chaque ann\u00e9e des milliards de tonnes de d\u00e9chets qui polluent terres, fleuves et oc\u00e9ans, \u00e0 tel point qu\u2019en 2050 plus de la moiti\u00e9 de l\u2019humanit\u00e9 sera en situation de stress hydrique, en difficult\u00e9 pour s\u2019approvisionner en eau potable.<\/p>\n\n\n\n

Toutes les ressources, humaines et naturelles, sont mobilis\u00e9es pour produire l\u2019entit\u00e9 formelle, id\u00e9elle, abstraite et spectrale de la valeur.<\/p>Jean Vioulac<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

Fin<\/strong><\/h2>\n\n\n\n

\u00ab On dirait \u00bb, d\u00e9plorait Marx en avril 1856, \u00ab que toutes nos inventions et tous nos progr\u00e8s n\u2019ont qu\u2019un seul but : doter de vie et d\u2019intelligence les forces mat\u00e9rielles et ravaler au rang de force mat\u00e9rielle la vie humaine \u00bb. Tel est en effet le processus constamment poursuivi depuis lors, qui approche aujourd\u2019hui son seuil de criticit\u00e9 : la Machinerie globale r\u00e9duit l\u2019humanit\u00e9 au rang de ressource naturelle et la fusionne avec les puissances g\u00e9ologiques, la d\u00e9charge toujours plus d\u2019activit\u00e9s toujours plus automatis\u00e9es et l\u2019int\u00e8gre \u00e0 titre de rouage, la hante et la poss\u00e8de de tous les spectres du spectacle ; sa puissance cumul\u00e9e se d\u00e9cha\u00eene dans la \u00ab guerre insens\u00e9e et suicidaire contre la nature \u00bb \u00e9voqu\u00e9e en mai 2023 par le secr\u00e9taire g\u00e9n\u00e9ral des Nations-Unis<\/a>. Notre \u00e9poque est en cela la fin du temps d\u2019incubation de la pulsion de mort, qui prend la forme de ce que Freud a con\u00e7u comme \u00ab pulsion humaine d\u2019autodestruction \u00bb : et de fait, au moment o\u00f9 les climatologues alertent sur l\u2019atteinte de seuils d\u2019irr\u00e9versibilit\u00e9, tout le monde semble s\u2019\u00eatre mis d\u2019accord pour pr\u00e9parer la prochaine guerre mondiale<\/a>, avec des d\u00e9penses d\u2019armement qui ont atteint 2240 milliards de dollars en 2022, date \u00e0 laquelle l\u2019objectif de la COP15 de consacrer 100 milliards \u00e0 la lutte contre le r\u00e9chauffement climatique n\u2019avait toujours pas \u00e9t\u00e9 rempli.<\/p>\n\n\n\n

Loin d\u2019\u00eatre une simple hypoth\u00e8se de Freud, la pulsion de mort constitue la v\u00e9rit\u00e9 interne de notre \u00e9poque. Celle-ci se d\u00e9finit par la rationalit\u00e9 scientifique, et la science par excellence de l\u2019\u00e9poque industrielle est la thermodynamique, fond\u00e9e par Sadi Carnot en 1824 et dont Rudolf Clausius formule le second principe en 1865 : le principe d\u2019entropie, qui fait de la mort thermique de l\u2019univers l\u2019horizon de toute chose, et instaure ainsi la pulsion de mort en principe cosmologique. La formulation du principe d\u2019entropie est le moment o\u00f9 la rationalit\u00e9, qui avait fond\u00e9 l\u2019universalit\u00e9 de sa v\u00e9rit\u00e9 sur le point de vue de la mort, d\u00e9couvre dans la mort le principe universel de la r\u00e9alit\u00e9. C\u2019est en effet la perspective qui nous est impos\u00e9e par les sciences contemporaines, y compris en anthropologie : nous savons d\u00e9sormais qu\u2019Homo sapiens<\/em> est une esp\u00e8ce parmi d\u2019autres et que les esp\u00e8ces sont mortelles, nous savons aussi que plusieurs esp\u00e8ces humaines ont v\u00e9cu et disparu ; N\u00e9andertal, qui \u00e9tait dot\u00e9 du langage, avait des pratiques artistiques et fun\u00e9raires, a disparu il y a environ 30\u00a0000 ans dans des conditions climatiques qui n\u2019avaient rien de critique. Sapiens<\/em> dispara\u00eetra, l\u2019hypoth\u00e8se de sa disparition \u00e0 court ou moyen-terme n\u2019est pas insens\u00e9e : l\u2019hypoth\u00e8se vertigineuse envisag\u00e9e par Emmanuel Carr\u00e8re \u2014 \u00ab un tel chaos, ce n\u2019est jamais arriv\u00e9, ce n\u2019est pas une phase, c\u2019est la fin \u00bb \u2014, cette hypoth\u00e8se ne peut pas \u00eatre balay\u00e9e par de simples protestations d\u2019optimisme.<\/p>\n\n\n\n

Au moment o\u00f9 les climatologues alertent sur l\u2019atteinte de seuils d\u2019irr\u00e9versibilit\u00e9, tout le monde semble s\u2019\u00eatre mis d\u2019accord pour pr\u00e9parer la prochaine guerre mondiale.<\/p>Jean Vioulac<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

L\u2019urgence est celle de l\u2019action concert\u00e9e, de la politique, donc : c\u2019est pourquoi Emmanuel Carr\u00e8re sous-estime l\u2019enjeu de \u00ab la fin de la d\u00e9mocratie \u00bb, c\u2019est-\u00e0-dire de la mont\u00e9e des n\u00e9ofascismes et des fondamentalismes religieux, puisque c\u2019est pr\u00e9cis\u00e9ment la possibilit\u00e9 d\u2019une action commune et raisonn\u00e9e fond\u00e9e sur un savoir partag\u00e9 qui, \u00e0 l\u2019\u00e8re de la Post-Truth <\/em>et de la guerre de tous contre tous, est remise en question. Mais il a raison de reconna\u00eetre que personne n\u2019a dit qu\u2019il y avait une solution : l\u2019Anthropoc\u00e8ne r\u00e9fute l\u2019optimisme de Marx qui pensait que \u00ab l\u2019humanit\u00e9 ne se pose jamais que les probl\u00e8mes qu\u2019elle peut r\u00e9soudre \u00bb, et l\u2019absence de solution ne signifie pas qu\u2019il n\u2019y a pas de probl\u00e8me, de m\u00eame que l\u2019incurabilit\u00e9 d\u2019une maladie ne remet pas en cause la pertinence d\u2019un diagnostic. Alors en effet peut-\u00eatre faut-il penser \u00e0 son enfance, \u00e0 celle de l\u2019humanit\u00e9, et \u00e0 ce que fut l\u2019homme, \u00ab cette esp\u00e8ce douloureuse et vile, \u00e0 peine diff\u00e9rente du singe, qui portait cependant en elle tant d\u2019aspirations nobles, cette esp\u00e8ce tortur\u00e9e, contradictoire, individualiste et querelleuse, d\u2019un \u00e9go\u00efsme illimit\u00e9, parfois capable d\u2019explosions de violence inou\u00efes, mais qui ne cessa jamais pourtant de croire \u00e0 la bont\u00e9 et \u00e0 l\u2019amour \u00bb \u00e0 laquelle Michel Houellebecq d\u00e9diait Les Particules \u00e9l\u00e9mentaires<\/em>.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"

Entre la perspective d’une destruction de toute vie sur terre et le spectre de l\u2019intelligence artificielle, comment nous extraire de la machine qui hante nos esprits et rechercher \u00ab  l’opposition qui s’appelle la vie  \u00bb  ? 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