{"id":221780,"date":"2024-03-10T08:00:00","date_gmt":"2024-03-10T07:00:00","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=221780"},"modified":"2024-03-10T22:30:21","modified_gmt":"2024-03-10T21:30:21","slug":"un-nouvel-imperialisme-masque-poutine-et-le-retour-de-la-rhetorique-anticoloniale","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2024\/03\/10\/un-nouvel-imperialisme-masque-poutine-et-le-retour-de-la-rhetorique-anticoloniale\/","title":{"rendered":"Un nouvel imp\u00e9rialisme masqu\u00e9 : Poutine et le retour de la rh\u00e9torique \u00ab anticoloniale \u00bb"},"content":{"rendered":"\n
Les peuples d\u2019Europe centrale et orientale ayant fait l\u2019exp\u00e9rience de l\u2019imp\u00e9rialisme russe et des r\u00e9pressions sovi\u00e9tiques en conservent une m\u00e9moire vive \u2014 tandis que ceux d\u2019Europe occidentale en ignorent souvent jusqu\u2019\u00e0 l\u2019existence. Ce dimanche, nous poursuivons notre s\u00e9rie hebdomadaire \u00ab  Violences imp\u00e9riales<\/a>  \u00bb, co-dirig\u00e9e par Juliette Cadiot et C\u00e9line Marang\u00e9. Pour recevoir les nouveaux \u00e9pisodes de la s\u00e9rie, abonnez-vous<\/a><\/em>.<\/p>\n\n\n\n Depuis l\u2019invasion \u00e0 grande \u00e9chelle de l\u2019Ukraine, le 24 f\u00e9vrier 2022, le Kremlin m\u00e8ne une guerre d\u2019agression et de conqu\u00eate qui, par sa brutalit\u00e9 et ses finalit\u00e9s, rappelle les guerres coloniales conduites au XIXe <\/sup>si\u00e8cle par les puissances imp\u00e9riales, occidentales et russe, pour affirmer leur puissance et \u00e9tendre leur territoire. En parall\u00e8le, il n\u2019a de cesse d\u2019accuser de \u00ab n\u00e9ocolonialisme \u00bb les pays occidentaux qui s\u2019opposent \u00e0 ses desseins conqu\u00e9rants en apportant un soutien militaire et financier \u00e0 l\u2019Ukraine. L\u2019inversion des responsabilit\u00e9s est une constante du r\u00e9cit russe contemporain. Accuser son adversaire de ses propres m\u00e9faits est un proc\u00e9d\u00e9 courant pour qui veut dissimuler sa faute et d\u00e9tourner l\u2019attention. Force est toutefois de constater que ce subterfuge fonctionne bien et convainc. D\u00e9voiler la supercherie de l\u2019inversion accusatoire est t\u00e2che malais\u00e9e tant la d\u00e9nonciation de l\u2019imp\u00e9rialisme occidental rencontre un \u00e9cho favorable dans de nombreuses parties du monde, en particulier dans les anciens pays colonis\u00e9s. <\/p>\n\n\n\n Le 2 mars 2022, une semaine apr\u00e8s le d\u00e9clenchement de l\u2019offensive russe, l\u2019Assembl\u00e9e g\u00e9n\u00e9rale de l\u2019ONU s\u2019est prononc\u00e9e sur la r\u00e9solution ES-11\/1 condamnant l\u2019invasion de l\u2019Ukraine par la Russie. Sur 193 pays, 141 l\u2019ont approuv\u00e9e, cinq l\u2019ont rejet\u00e9e (Russie, Belarus, Syrie, Cor\u00e9e du Nord, Erythr\u00e9e) et 35 se sont abstenus. Parmi ces derniers se trouvaient de nombreux pays ayant connu un r\u00e9gime (ou une gu\u00e9rilla) marxiste et entretenu des liens d\u2019amiti\u00e9 avec l\u2019Union sovi\u00e9tique, comme Cuba, le Nicaragua et le Salvador ou l\u2019Angola, le Mozambique et le Zimbabwe. La liste des abstentionnistes comprenait \u00e9galement huit anciens pays colonis\u00e9s par la France  : le Vietnam, le Laos, Madagascar, l\u2019Alg\u00e9rie, le Mali, le S\u00e9n\u00e9gal, la R\u00e9publique centrafricaine et la R\u00e9publique du Congo. Tous ces pays, sauf le S\u00e9n\u00e9gal, ont connu un r\u00e9gime marxiste ou ont eu des sympathies sovi\u00e9tiques \u00e0 un moment de leur histoire, en particulier apr\u00e8s l\u2019ind\u00e9pendance <\/span>1<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Qu\u2019ils l\u2019aient suscit\u00e9e ou non, leur position n\u2019a pas \u00e9chapp\u00e9 aux diplomates russes. D\u00e8s l\u2019\u00e9t\u00e9 2022, la Russie a repris le flambeau de la lutte contre \u00ab l\u2019imp\u00e9rialisme occidental \u00bb.<\/p>\n\n\n\n D\u00e9voiler la supercherie de l\u2019inversion accusatoire est t\u00e2che malais\u00e9e tant la d\u00e9nonciation de l\u2019imp\u00e9rialisme occidental rencontre un \u00e9cho favorable dans de nombreuses parties du monde.<\/p>C\u00e9line Marang\u00e9<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Moscou convoque l\u2019h\u00e9ritage sovi\u00e9tique pour se pr\u00e9senter en gardien de l\u2019anti-imp\u00e9rialisme et, ce faisant, se d\u00e9douaner des accusations \u2014 justifi\u00e9es \u2014 de n\u00e9o-imp\u00e9rialisme en Ukraine<\/a>. Comme \u00e0 l\u2019\u00e9poque de la Guerre froide, il fustige \u00ab l\u2019imp\u00e9rialisme am\u00e9ricain \u00bb et d\u00e9nonce la duplicit\u00e9 et la d\u00e9pravation des pays occidentaux. On peut attribuer le succ\u00e8s de son r\u00e9cit \u00e0 la sophistication des m\u00e9thodes russes de d\u00e9sinformation et \u00e0 l\u2019efficacit\u00e9 des relais de l\u2019influence russe en Afrique <\/span>2<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Sans n\u00e9gliger ce facteur d\u00e9cisif, ni minimiser la d\u00e9fiance que suscitent parfois les pays occidentaux, gageons qu\u2019il a aussi pu prosp\u00e9rer pour une raison subjective. Il s\u2019agit du souvenir gard\u00e9 dans ces pays de l\u2019engagement pr\u00e9coce de l\u2019Union sovi\u00e9tique en faveur de la cause anticoloniale et de l\u2019assistance massive apport\u00e9e par l\u2019URSS dans les premi\u00e8res ann\u00e9es de l\u2019ind\u00e9pendance. <\/p>\n\n\n\n L\u2019histoire du colonialisme europ\u00e9en et celle de l\u2019imp\u00e9rialisme russe, revisit\u00e9e par les historiens ces derni\u00e8res ann\u00e9es, restent passablement oubli\u00e9es, voire m\u00e9connues, du grand public, ce qui n\u2019est pas sans effet sur notre compr\u00e9hension du pr\u00e9sent. En Europe, on ignore le plus souvent la m\u00e9moire que les soci\u00e9t\u00e9s anciennement colonis\u00e9es conservent de ce soutien, alors qu\u2019elle constitue une ressource politique de premier ordre pour Moscou. Dans ces pays, cette m\u00e9moire tend \u00e0 \u00eatre id\u00e9alis\u00e9e, alors que l\u2019ouverture des archives sovi\u00e9tiques, apr\u00e8s 1991, a montr\u00e9 le caract\u00e8re instrumental de l\u2019engagement anticolonial de Moscou : celui-ci visait en premier lieu, non pas \u00e0 \u00ab lib\u00e9rer les\u00a0peuples opprim\u00e9s \u00bb, mais \u00e0 affaiblir les ennemis d\u00e9clar\u00e9s de l\u2019Union sovi\u00e9tique. Pour s\u2019en convaincre, il suffit de rappeler que ce soutien ne s\u2019appliquait qu\u2019aux peuples colonis\u00e9s par des puissances capitalistes\u00a0et que, de mani\u00e8re concomitante, les peuples conquis par l\u2019Empire russe, qui \u00e9taient devenus sovi\u00e9tiques subirent pour beaucoup des r\u00e9pressions sur crit\u00e8re ethnique.<\/p>\n\n\n\n L\u2019ouverture des archives sovi\u00e9tiques, apr\u00e8s 1991, a montr\u00e9 le caract\u00e8re instrumental de l\u2019engagement anticolonial de Moscou : celui-ci visait en premier lieu \u00e0 affaiblir les ennemis d\u00e9clar\u00e9s de l\u2019Union sovi\u00e9tique.<\/p>C\u00e9line Marang\u00e9<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Le cas du Vietnam illustre l\u2019importance et l\u2019ambigu\u00eft\u00e9 de ce soutien, sur le plan historique comme aujourd\u2019hui. Les premiers militants communistes vietnamiens qui, dans l\u2019entre-deux-guerres, cherchaient les moyens de combattre la domination coloniale fran\u00e7aise b\u00e9n\u00e9fici\u00e8rent des m\u00e9thodes et des moyens de Moscou. Ils durent cependant apprendre \u00e0 leur d\u00e9pens que leur cause \u00e9tait secondaire par rapport aux int\u00e9r\u00eats de l\u2019Union sovi\u00e9tique et aux jeux de pouvoir entre \u00ab grandes puissances \u00bb. De nos jours, ces al\u00e9as sont oubli\u00e9s. \u00c0 chaque rencontre avec leurs homologues russes, les dirigeants vietnamiens expriment leur gratitude pour le soutien pass\u00e9. Dans le conflit ukrainien, ils ont choisi la \u00ab neutralit\u00e9 \u00bb, par fid\u00e9lit\u00e9 \u00e0 la posture d\u2019ind\u00e9pendance et d\u2019\u00e9quidistance qui caract\u00e9rise la politique \u00e9trang\u00e8re vietnamienne <\/span>3<\/sup><\/a><\/span><\/span>.  <\/p>\n\n\n\n Les Bolcheviks russes r\u00e9fl\u00e9chirent tr\u00e8s t\u00f4t aux questions nationales et coloniales. \u00c0 la veille de la Premi\u00e8re Guerre mondiale, L\u00e9nine comparait l\u2019empire russe \u00e0 une \u00ab prison des peuples \u00bb. En 1916, il \u00e9crivit L\u2019imp\u00e9rialisme, stade supr\u00eame du capitalisme<\/em>. La r\u00e9volution de F\u00e9vrier abolit les privil\u00e8ges dont jouissaient les Russes et les Orthodoxes au sein de l\u2019Empire russe. Juste apr\u00e8s l\u2019abdication du tsar, le Gouvernement provisoire \u00e9tablit, en effet, par le d\u00e9cret du 20 mars 1917, l\u2019\u00e9galit\u00e9 juridique de tous les citoyens <\/span>4<\/sup><\/a><\/span><\/span>. En s\u2019emparant du pouvoir \u00e0 la suite de la r\u00e9volution d\u2019Octobre, les Bolcheviks all\u00e8rent d\u2019embl\u00e9e plus loin en cherchant \u00e0 la fois \u00e0 combattre \u00ab l\u2019esprit grand-russien \u00bb et \u00e0 coopter des \u00e9lites nationales. Il s\u2019agissait d\u2019\u00e9difier par la force une soci\u00e9t\u00e9 nouvelle, \u00e9galitaire, et de faire de ces \u00e9lites, longtemps opprim\u00e9es, des relais d\u2019influence du pouvoir communiste et des alli\u00e9s de l\u2019arm\u00e9e Rouge dans la guerre civile.<\/p>\n\n\n\n Les r\u00e9volutionnaires russes n\u2019eurent pas pour seule ambition de diffuser le communisme jusqu\u2019aux confins de l\u2019empire russe ; ils entendirent aussi tr\u00e8s vite contribuer \u00e0 l\u2019\u00e9mergence et \u00e0 la maturation des luttes anticoloniales dans le monde. Dans les deux cas, ils agirent \u00e0 la fois par conviction id\u00e9ologique et par calcul tactique. Au d\u00e9part, ils comptaient sur une extension rapide de la r\u00e9volution en Europe occidentale, notamment en Allemagne, sortie exsangue de la Premi\u00e8re Guerre mondiale. L\u2019espoir d\u2019une contagion r\u00e9volutionnaire dans ce pays s\u2019\u00e9tant \u00e9teint en janvier 1919, L\u00e9nine imagina un nouveau mod\u00e8le d\u2019exportation de la r\u00e9volution, non plus vers l\u2019Occident, mais vers l\u2019Orient. Revenant sur l\u2019id\u00e9e marxiste d\u2019un m\u00eame d\u00e9veloppement historique pour tous les pays, il affirma la possibilit\u00e9 pour les pays coloniaux et \u00ab semi-colonis\u00e9s \u00bb d\u2019omettre le \u00ab stade du d\u00e9veloppement capitaliste \u00bb.<\/p>\n\n\n\n \u00c0 une \u00e9poque o\u00f9 la colonisation \u00e9tait un fait accept\u00e9, y compris dans les milieux socialistes et r\u00e9publicains, l\u2019exigence anticoloniale du Komintern \u00e9tait proprement r\u00e9volutionnaire.<\/p>C\u00e9line Marang\u00e9<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n D\u00e8s lors, les pays coloniaux devinrent une cible de choix du pouvoir bolchevique. Ils \u00e9taient consid\u00e9r\u00e9s comme les \u00ab maillons faibles \u00bb des puissances imp\u00e9riales occidentales, de sorte que leur d\u00e9stabilisation pouvait contribuer au renversement du syst\u00e8me capitaliste <\/span>5<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Le 6 mars 1919, l\u2019Internationale communiste \u2013 le Komintern, suivant l\u2019acronyme en russe \u2013 fut fond\u00e9e \u00e0 Moscou, avec pour mission de propager la r\u00e9volution bolchevique dans le monde et de cr\u00e9er un mouvement communiste mondial dont les Bolcheviks russes auraient le contr\u00f4le exclusif. La s\u00e9lection politique s\u2019op\u00e9ra d\u00e8s le d\u00e9part par la soumission id\u00e9ologique et l\u2019exclusion des plus mod\u00e9r\u00e9s. Lors du IIe<\/sup> congr\u00e8s du Komintern qui se tint en juillet 1920, L\u00e9nine imposa aux partis socialistes d\u00e9sireux d\u2019y adh\u00e9rer de souscrire aux vingt-et-une conditions qu\u2019il avaient \u00e9dict\u00e9es et d\u2019adopter ainsi l\u2019int\u00e9gralit\u00e9 du corpus id\u00e9ologique bolchevique. <\/p>\n\n\n\n La huiti\u00e8me des vingt-et-une conditions commandait de \u00ab d\u00e9voiler impitoyablement les prouesses de \u2018ses\u2019 imp\u00e9rialistes aux colonies, de soutenir, non en paroles, mais en faits<\/em>, tout mouvement d\u2019\u00e9mancipation dans les colonies, d\u2019exiger l\u2019expulsion des colonies des imp\u00e9rialistes de la m\u00e9tropole, de nourrir au c\u0153ur des travailleurs du pays [colonisateur] des sentiments v\u00e9ritablement fraternels vis-\u00e0-vis de la population laborieuse des colonies et des nationalit\u00e9s opprim\u00e9es et d\u2019entretenir parmi les troupes de la m\u00e9tropole une agitation continue contre toute oppression des peuples coloniaux \u00bb <\/span>6<\/sup><\/a><\/span><\/span>. \u00c0 une \u00e9poque o\u00f9 la colonisation \u00e9tait, en France, un fait social accept\u00e9, y compris dans les milieux socialistes et r\u00e9publicains, et o\u00f9 les \u00e9lites politiques croyaient au bien-fond\u00e9 de l\u2019entreprise coloniale et au mythe de la colonisation \u00e9mancipatrice, cette exigence \u00e9tait proprement r\u00e9volutionnaire. Cependant, comme le montre le cas fran\u00e7ais, cette incitation \u00e0 l\u2019action anticoloniale n\u2019\u00e9tait pas bien connue des partisans des trois motions qui s\u2019affrontaient au moment o\u00f9 la Section fran\u00e7aise de l\u2019Internationale ouvri\u00e8re (SFIO) se r\u00e9unit en congr\u00e8s \u00e0 Tours pour d\u00e9cider de son avenir et o\u00f9 allait na\u00eetre par scission ce qui deviendrait le Parti communiste fran\u00e7ais (PCF) <\/span>7<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n Les pays coloniaux \u00e9taient consid\u00e9r\u00e9s comme les \u00ab maillons faibles \u00bb des puissances imp\u00e9riales occidentales, de sorte que leur d\u00e9stabilisation pouvait contribuer au renversement du syst\u00e8me capitaliste.<\/p>C\u00e9line Marang\u00e9<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n La proposition bolchevique apparut comme une opportunit\u00e9 inattendue \u00e0 certains militants de l\u2019ind\u00e9pendance. En butte \u00e0 la r\u00e9pression dans les colonies, ils cherchaient en m\u00e9tropole les moyens de combattre la colonisation. Pour porter le fer contre une puissance coloniale dot\u00e9e de moyens militaires et d\u2019instruments r\u00e9pressifs, ils \u00e9taient d\u00e9pourvus de tout. En d\u00e9couvrant les Th\u00e8ses<\/em> de L\u00e9nine sur les questions nationales et coloniales dans l\u2019Humanit\u00e9<\/em> en juillet 1920, H\u1ed3 Ch\u00ed Minh fut saisi d\u2019une vive \u00e9motion. Celui qui ne s\u2019appelait pas encore \u00ab H\u1ed3 \u00e0 la volont\u00e9 \u00e9clair\u00e9 \u00bb, ni m\u00eame encore \u00ab Nguy\u1ec5n \u00e9pris de sa patrie \u00bb (Nguy\u1ec5n \u00c1i Qu\u1ed1c), tirait le diable par la queue \u00e0 Paris. Il fr\u00e9quentait les cercles socialistes tout en cherchant \u00e0 attirer l\u2019attention sur la situation de son pays. Prenant au mot le pr\u00e9sident Wilson, il avait distribu\u00e9, en juin 1919, avec Phan Ch\u00e2u Trinh, un intellectuel partisan d\u2019une r\u00e9forme progressive du syst\u00e8me colonial, des tracts sur le \u00ab droit \u00e0 l\u2019autod\u00e9termination du peuple de l\u2019ancien empire d\u2019Annam \u00bb devant le ch\u00e2teau de Versailles o\u00f9 \u00e9taient r\u00e9unis les vainqueurs de la Premi\u00e8re guerre mondiale. <\/p>\n\n\n\n Tout \u00e0 coup la radicalit\u00e9 bolchevique fit irruption dans le paysage politique de ces militants. D\u00e8s le congr\u00e8s de Tours, en d\u00e9cembre 1920, H\u1ed3 Ch\u00ed Minh se rallia au Komintern. Comme il l\u2019expliqua depuis la tribune, il y voyait \u00ab la promesse formelle de donner enfin aux questions coloniales l\u2019importance qu\u2019elles m\u00e9ritaient \u00bb. Dans les ann\u00e9es qui suivirent, il se jeta \u00e0 corps perdu dans l\u2019action militante dans le sillage du PCF. Il r\u00e9digea Le proc\u00e8s de la colonisation fran\u00e7aise<\/em> et rassembla les premiers activistes communistes issus de l\u2019empire fran\u00e7ais autour d\u2019un journal, Le Paria<\/em>, pour informer sur l\u2019iniquit\u00e9 du syst\u00e8me colonial. <\/p>\n\n\n\n >En d\u00e9couvrant les Th\u00e8ses<\/em> de L\u00e9nine sur les questions nationales et coloniales dans l\u2019Humanit\u00e9<\/em> en juillet 1920, H\u1ed3 Ch\u00ed Minh fut saisi d\u2019une vive \u00e9motion. <\/p>C\u00e9line Marang\u00e9<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n De son c\u00f4t\u00e9, le Komintern \u00e0 Moscou imposa, d\u00e8s le d\u00e9but des ann\u00e9es 1920, aux dirigeants des partis communistes occidentaux de mener des activit\u00e9s anticoloniales \u2014 souvent \u00e0 leur corps d\u00e9fendant. Il exigea la mise en place de structures charg\u00e9es de recruter et d\u2019organiser de jeunes r\u00e9volutionnaires originaires des colonies. En France, ces militants venus des Antilles, du Maghreb et d\u2019Indochine ne tard\u00e8rent pas \u00e0 exprimer leur d\u00e9ception \u00e0 l\u2019\u00e9gard du PCF. Ils trouvaient les \u00ab camarades fran\u00e7ais \u00bb de la \u00ab Commission coloniale centrale \u00bb trop mous, trop obtus ou bien un brin paternalistes et condescendants. Certains, comme H\u1ed3 Ch\u00ed Minh ou Gothon Lunion, envoy\u00e8rent des lettres de r\u00e9crimination au Komintern afin de demander qu\u2019il soit mis fin \u00e0 l\u2019inaction des Fran\u00e7ais et que leurs pr\u00e9jug\u00e9s soient sanctionn\u00e9s <\/span>8<\/sup><\/a><\/span><\/span>. <\/p>\n\n\n\n \u00c0 la demande de Moscou, certains jeunes responsables du PCF men\u00e8rent une action anticoloniale r\u00e9solue, conduisant une campagne virulente et mobilisatrice contre la guerre du Rif, s\u2019attaquant, d\u00e8s le milieu des ann\u00e9es 1920, au statut de l\u2019indig\u00e9nat en Alg\u00e9rie et plaidant m\u00eame en faveur de son ind\u00e9pendance. Toutefois, ils se heurt\u00e8rent \u00e0 leur hi\u00e9rarchie et aux militants fran\u00e7ais issus de l\u2019empire, notamment en Alg\u00e9rie <\/span>9<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Dans l\u2019entre-deux-guerres, l\u2019action anticoloniale du PCF fut men\u00e9e sur ordre de Moscou et sur l\u2019insistance de \u00ab camarades coloniaux \u00bb. En attestent les archives du Komintern conserv\u00e9es au RGASPI \u00e0 Moscou, en particulier le fonds 517 qui concerne l\u2019activit\u00e9 du PCF et qui contient des dizaines de dossiers de plusieurs centaines de pages chacun sur les questions coloniales. <\/p>\n\n\n\n Parmi les premiers communistes indochinois, certains firent leurs armes en Chine, tandis que quelques dizaines, au nombre des plus t\u00e9m\u00e9raires, se rendirent en Union sovi\u00e9tique <\/span>10<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Dans les deux \u00e9coles du Komintern, ils y apprirent \u00e0 \u00ab d\u00e9masquer l\u2019ennemi \u00bb et \u00e0 devenir des \u00ab r\u00e9volutionnaires professionnels \u00bb, en acqu\u00e9rant les m\u00e9thodes bolcheviques de subversion, de conspiration et de propagande <\/span>11<\/sup><\/a><\/span><\/span>. De retour en Indochine, les \u00ab camarades moscoutaires \u00bb \u2014 pour reprendre l\u2019expression utilis\u00e9e dans les rapports de la S\u00fbret\u00e9, la police politique fran\u00e7aise en Indochine \u2014 \u00e9taient pourchass\u00e9s par les autorit\u00e9s coloniales. Beaucoup p\u00e9rirent dans les bagnes coloniaux, non sans avoir eu le temps d\u2019y propager l\u2019id\u00e9ologie communiste <\/span>12<\/sup><\/a><\/span><\/span>.\u00a0<\/p>\n\n\n\n En 1945, le Vietminh pouvait compter sur l\u2019aide des services secrets am\u00e9ricains et sur le soutien des communistes chinois, mais il n\u2019avait plus de contact avec l\u2019Union sovi\u00e9tique.<\/p>C\u00e9line Marang\u00e9<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Certains \u00ab retours de Russie \u00bb prirent une part active dans la constitution d\u2019un front uni, le Vietminh, puis dans la \u00ab r\u00e9volution d\u2019ao\u00fbt 1945 \u00bb, au lendemain de la capitulation japonaise. C\u2019est le premier d\u2019entre eux, H\u1ed3 Ch\u00ed Minh, qui proclama la r\u00e9unification et l\u2019ind\u00e9pendance du Vietnam \u00e0 Hanoi devant une foule extatique estim\u00e9e \u00e0 un demi-million de personnes, le 2 septembre \u2013 jour qui reste la date de la f\u00eate nationale vietnamienne jusqu\u2019\u00e0 aujourd\u2019hui. En 1945, le Vietminh pouvait compter sur l\u2019aide des services secrets am\u00e9ricains et sur le soutien des communistes chinois, mais il n\u2019avait plus de contact avec l\u2019Union sovi\u00e9tique, ni avec le Komintern, dissous en mai 1943. Pourtant, comme H\u1ed3 Ch\u00ed Minh s\u2019en expliqua dans une lettre \u00e0 Charles Fenn, un officier am\u00e9ricain du renseignement, l\u2019Union sovi\u00e9tique les avait arm\u00e9s du cadre n\u00e9cessaire  : \u00ab On gagne l\u2019ind\u00e9pendance en s\u2019organisant, en faisant de la propagande, en se formant et en se disciplinant. On a aussi besoin d\u2019une foi, d\u2019un \u00e9vangile, d\u2019une analyse pratique, on peut m\u00eame parler d\u2019une bible. La marxisme-l\u00e9ninisme m\u2019a fourni cette panoplie \u00bb <\/span>13<\/sup><\/a><\/span><\/span>. <\/p>\n\n\n\n L\u2019engagement anticolonial de l\u2019Union sovi\u00e9tique eut des effets incontestables dans l\u2019entre-deux-guerres, mais presque \u00e0 son insu. Pendant toute la dur\u00e9e de son existence, la ligne politique du Komintern oscilla souvent entre des positions radicales et des positions conciliatrices. De m\u00eame, la politique d\u2019alliance avec les mouvements dits \u00ab nationalistes-bourgeois \u00bb diff\u00e9ra fr\u00e9quemment. Impos\u00e9s d\u2019en haut, ces changements r\u00e9pondaient aux int\u00e9r\u00eats de l\u2019Union sovi\u00e9tique, tels que Staline les percevait, sans aucune consid\u00e9ration du contexte local, ni de la s\u00e9curit\u00e9 des militants communistes sur place. Les tribulations du communisme vietnamien illustrent bien cet opportunisme politique, \u00e0 la limite du cynisme. <\/p>\n\n\n\n L\u2019engagement anticolonial de l\u2019Union sovi\u00e9tique eut des effets incontestables dans l\u2019entre-deux-guerres, mais presque \u00e0 son insu.<\/p>C\u00e9line Marang\u00e9<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Au d\u00e9but des ann\u00e9es 1920, le Komintern estimait que les communistes devaient chercher \u00e0 faire alliance avec les partis nationalistes dans les pays coloniaux, \u00e0 condition de les noyauter. Cette politique ouverte permit \u00e0 H\u1ed3 Ch\u00ed Minh de s\u2019installer \u00e0 Canton o\u00f9 dominait le Guomindang, le parti nationaliste chinois, d\u2019y fonder une organisation de fa\u00e7ade et un journal \u00e9ponyme, le Thanh Ni\u00ean<\/em> (Jeunesse), auxquels \u00e9taient adjoint un noyau secret, et d\u2019y former jusqu\u2019\u00e0 deux cents jeunes gens venus clandestinement d\u2019Indochine. En 1928, apr\u00e8s l\u2019\u00e9crasement de la r\u00e9volution chinoise par le Guomindang et la fin du bras de fer entre Staline et Trotski, le Komintern op\u00e9ra un revirement brutal, optant pour une politique de confrontation avec les \u00ab nationalistes \u00bb et un processus de \u00ab prol\u00e9tarisation \u00bb des partis.<\/p>\n\n\n\n Cette d\u00e9cision eut des implications imm\u00e9diates en Indochine. Pour ne donner qu\u2019un exemple parlant, en f\u00e9vrier 1930, H\u1ed3 Ch\u00ed Minh r\u00e9ussit, de haute lutte, \u00e0 unifier trois groupuscules communistes afin de fonder le \u00ab Parti communiste vietnamien \u00bb. Le Komintern lui fit de vives remontrances pour avoir choisi le mot \u00ab Vietnam \u00bb et non \u00ab Indochine \u00bb. Son but ultime \u00e9tant d\u2019affaiblir la France, il voulait imposer l\u2019Indochine comme horizon de lutte. H\u1ed3 Ch\u00ed Minh entendait pour sa part lib\u00e9rer sa patrie, qui, dans son esprit, comprenait le Tonkin, l\u2019Annam et la Cochinchine, mais non le Laos et le Cambodge. Sur ordre du Komintern, le parti fut rebaptis\u00e9 \u00ab Parti communiste indochinois \u00bb en octobre 1930. Ses r\u00eanes furent confi\u00e9es \u00e0 Tr\u1ea7n Ph\u00fa, un jeune staliniste rentr\u00e9 de Moscou qui supplanta H\u1ed3 Ch\u00ed Minh avant de mourir en prison.  <\/p>\n\n\n\n La cause des communistes vietnamiens qui combattaient les Fran\u00e7ais sous la banni\u00e8re du Vietminh n\u2019int\u00e9ressait pas Staline qui voyait en H\u1ed3 Ch\u00ed Minh un nationaliste. <\/p>C\u00e9line Marang\u00e9<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n En 1935, face \u00e0 la mont\u00e9e des p\u00e9rils, l\u2019heure fut \u00e0 la mise en place de fronts populaires avec les socialistes contre la menace nazie et japonaise. Le Komintern abandonna la \u00ab ligne ultragauche \u00bb de 1928 au profit d\u2019une \u00ab ligne antifasciste \u00bb, ce qui eut des r\u00e9percussions en France comme en Indochine. Quatre ans plus tard, la priorit\u00e9 revint soudain au combat anti-imp\u00e9rialiste, contre les puissances imp\u00e9riales occidentales. En ao\u00fbt 1939, la signature du pacte germano-sovi\u00e9tique entraina un nouveau tournant radical dans la politique du Komintern et des partis affili\u00e9s. En 1940, des soul\u00e8vements, pr\u00e9par\u00e9s \u00e0 la h\u00e2te et ex\u00e9cut\u00e9s par ob\u00e9issance, conduisirent \u00e0 la d\u00e9capitation du parti en Cochinchine. \u00c0 chaque fois, ces changements d\u2019orientation furent dict\u00e9s \u00e0 Moscou, en fonction des int\u00e9r\u00eats de l\u2019Union sovi\u00e9tique, plut\u00f4t que des objectifs de \u00ab la r\u00e9volution mondiale \u00bb dont le Komintern se r\u00e9clamait. <\/p>\n\n\n\n Apr\u00e8s le d\u00e9clenchement de la guerre d\u2019Indochine, en d\u00e9cembre 1946, puis le d\u00e9but de la guerre froide, \u00e0 l\u2019\u00e9t\u00e9 1947, Staline se fixa pour objectif premier de placer l\u2019Europe de l\u2019Est sous sa f\u00e9rule, ce qui fut per\u00e7u dans ces pays comme une domination imp\u00e9riale. Moscou, puissance dominante, non seulement choisissait des dirigeants affid\u00e9s, mais leur imposa une id\u00e9ologie, un mod\u00e8le politique, un syst\u00e8me d\u2019alliance, ainsi que la culture et l\u2019esth\u00e9tique du r\u00e9alisme socialiste. Le Kremlin tarda, \u00e0 cette \u00e9poque, \u00e0 prendre la mesure des bouleversements qui naissaient dans les pays colonis\u00e9s. La cause des communistes vietnamiens qui combattaient les Fran\u00e7ais sous la banni\u00e8re du Vietminh n\u2019int\u00e9ressait pas Staline qui voyait en H\u1ed3 Ch\u00ed Minh un nationaliste. Sa m\u00e9fiance s\u2019\u00e9tait aiguis\u00e9e apr\u00e8s que H\u1ed3 Ch\u00ed Minh, par souci de dissimulation, avait dissout le parti communiste indochinois, le 11 novembre 1945, sans lui demander l\u2019autorisation, ni m\u00eame lui en r\u00e9f\u00e9rer. <\/p>\n\n\n\n Le \u00ab Tiers-Monde \u00bb et les pays non-align\u00e9s ne devinrent une priorit\u00e9 pour Moscou qu\u2019apr\u00e8s la rupture des relations sino-sovi\u00e9tiques et les ind\u00e9pendances des pays africains.<\/p>C\u00e9line Marang\u00e9<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Apr\u00e8s la victoire des communistes chinois en octobre 1949 et la visite de Mao \u00e0 Moscou, la guerre d\u2019Indochine s\u2019internationalisa et Staline s\u2019y int\u00e9ressa davantage, apportant un soutien en armes <\/span>14<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Toutefois, le Kremlin chercha toujours \u00e0 m\u00e9nager la France pour obtenir l\u2019\u00e9chec de la Communaut\u00e9 europ\u00e9enne de d\u00e9fense (CED) qui visait \u00e0 cr\u00e9er une arm\u00e9e europ\u00e9enne, y compris apr\u00e8s la mort de Staline, pendant les n\u00e9gociations de Gen\u00e8ve qui conduisirent, \u00e0 l\u2019\u00e9t\u00e9 1954, \u00e0 la partition du Vietnam.  Le \u00ab Tiers-Monde \u00bb et les pays non-align\u00e9s ne devinrent une priorit\u00e9 pour Moscou qu\u2019apr\u00e8s la rupture des relations sino-sovi\u00e9tiques et les ind\u00e9pendances des pays africains au cours d\u2019un processus qui dura du milieu des ann\u00e9es 1950 aux ann\u00e9es 1970 <\/span>15<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Ils constitu\u00e8rent, pour des raisons de prestige, un terrain de rivalit\u00e9 privil\u00e9gi\u00e9 entre l\u2019Union sovi\u00e9tique, le bloc socialiste et Cuba, d\u2019un c\u00f4t\u00e9, les \u00c9tats-Unis, la France et les pays occidentaux, de l\u2019autre, et la Chine mao\u00efste par ailleurs.  <\/p>\n\n\n\n Le messianisme r\u00e9volutionnaire de l\u2019Union sovi\u00e9tique s\u2019inscrivit toujours dans des strat\u00e9gies de puissance et d\u2019influence. \u00c0 l\u2019\u00e9poque cependant, il se traduisit par des dons g\u00e9n\u00e9reux et des aides cons\u00e9quentes, ainsi que par des \u00e9changes humains nombreux et des s\u00e9jours formateurs en Union sovi\u00e9tique. Revenant \u00e0 une rh\u00e9torique de guerre froide, le Kremlin cherche, depuis l\u2019invasion de l\u2019Ukraine, \u00e0 se placer \u00e0 l\u2019avant-garde de la lutte contre l\u2019imp\u00e9rialisme, sans que la g\u00e9n\u00e9rosit\u00e9 ne soit plus au rendez-vous, en d\u00e9pit de quelques initiatives m\u00e9diatiques. Les investissements russes en Afrique sont d\u00e9risoires et les soci\u00e9t\u00e9s militaires priv\u00e9es russes qui y op\u00e8rent servent de gardes pr\u00e9toriennes \u00e0 des potentats locaux en \u00e9change d\u2019avantages financiers et de concessions dans des mines d\u2019or ou de diamant. <\/p>\n\n\n\n Pour dissimuler cette r\u00e9alit\u00e9 bien document\u00e9e, les canaux de propagande russes utilisent l\u00e0 encore le proc\u00e9d\u00e9 de l\u2019inversion accusatoire. Un mois apr\u00e8s la d\u00e9couverte des exactions commises par l\u2019arm\u00e9e russe \u00e0 Boutcha en Ukraine et ni\u00e9es par les autorit\u00e9s russes, des mercenaires Wagner ont mis en sc\u00e8ne un faux charnier \u00e0 Gossi au Mali pour tenter d\u2019accuser l\u2019arm\u00e9e fran\u00e7aise de crimes de guerre. Au-del\u00e0 de cet exemple \u00e9difiant, d\u00fbment film\u00e9 par un drone, trois accusations sont port\u00e9es de mani\u00e8re r\u00e9currente dans les m\u00e9dias officiels russes et jusqu\u2019au sommet de l\u2019\u00c9tat contre ce qu\u2019ils appellent \u00ab l\u2019Occident collectif \u00bb : ce dernier souhaiterait perp\u00e9tuer et ranimer des sch\u00e9mas de domination et de pr\u00e9dation en Afrique ; imposer des \u00e9volutions soci\u00e9tales jug\u00e9es n\u00e9fastes et destructrices ; asseoir une h\u00e9g\u00e9monie politique et imposer des \u00ab doubles standards \u00bb, notamment au Moyen Orient.<\/p>\n\n\n\n Le Kremlin n\u2019a plus d\u2019id\u00e9ologie bien constitu\u00e9e \u00e0 exporter, au-del\u00e0 de vagues id\u00e9es sur un ordre international \u00e0 red\u00e9finir \u2014 sans perdre les pr\u00e9rogatives acquises \u00e0 la fin de la Seconde Guerre mondiale, en particulier son si\u00e8ge permanent au Conseil de S\u00e9curit\u00e9 de l\u2019ONU.<\/p>C\u00e9line Marang\u00e9<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Des personnalit\u00e9s russes proches du Kremlin expliquent avec emphase que la Russie est engag\u00e9e dans un \u00ab combat existentiel contre l\u2019Occident d\u00e9cadent \u00bb ; elles appellent les pays du \u00ab Sud Global \u00bb<\/a> \u00e0 s\u2019affranchir de \u00ab cinq si\u00e8cles de joug occidental \u00bb, tout en pr\u00f4nant sans vergogne le recours pr\u00e9ventif \u00e0 l\u2019arme atomique <\/span>16<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Leurs exc\u00e8s verbaux montrent bien qu\u2019elles ne se soucient ni de l\u2019avenir de ces pays ni de la s\u00e9curit\u00e9 du monde. Ce qui leur importe est d\u2019assigner \u00e0 la Russie un r\u00f4le de guide car ce r\u00f4le conf\u00e8re \u00e0 ces personnalit\u00e9s la m\u00eame certitude d\u2019exceptionnalisme et le m\u00eame sentiment d\u2019une sup\u00e9riorit\u00e9 morale qu\u2019\u00e0 l\u2019\u00e9poque o\u00f9 l\u2019Union sovi\u00e9tique se voulait le phare du monde.<\/p>\n\n\n\n La reprise du discours anti-imp\u00e9rialiste est une fa\u00e7on de redonner \u00e0 la Russie une mission pour le monde. Le Kremlin n\u2019a plus d\u2019id\u00e9ologie bien constitu\u00e9e \u00e0 exporter, au-del\u00e0 de vagues id\u00e9es sur un ordre international \u00e0 red\u00e9finir \u2014 sans perdre les pr\u00e9rogatives acquises \u00e0 la fin de la Seconde Guerre mondiale, en particulier son si\u00e8ge permanent avec droit de v\u00e9to au Conseil de S\u00e9curit\u00e9 de l\u2019ONU. Il n\u2019a cependant pas renonc\u00e9 au messianisme d\u2019antan, consid\u00e9r\u00e9 comme un attribut imparable de la grandeur et un signe infaillible de sup\u00e9riorit\u00e9. <\/p>\n\n\n\n Historiquement, le messianisme russe s\u2019est forg\u00e9 en opposition frontale au monde occidental. Les d\u00e9fenseurs de l\u2019orthodoxie russe qui consid\u00e9raient Moscou comme la \u00ab Troisi\u00e8me Rome \u00bb et les Bolcheviks russes qui fond\u00e8rent la \u00ab Troisi\u00e8me Internationale \u00bb avaient des visions diam\u00e9tralement oppos\u00e9es des finalit\u00e9s de l\u2019existence humaine, mais ils se retrouvaient sur un point majeur : l\u2019id\u00e9e selon laquelle la Russie ne pouvait r\u00e9aliser sa destin\u00e9e historique sans porter un message pour le monde, sans apporter la d\u00e9livrance au monde. <\/p>\n\n\n\n Historiquement, le messianisme russe s\u2019est forg\u00e9 en opposition frontale au monde occidental.<\/p>C\u00e9line Marang\u00e9<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n La d\u00e9nonciation de \u00ab l\u2019imp\u00e9rialisme des valeurs occidentales \u00bb, qui est le pendant de gauche du discours sur \u00ab la d\u00e9fense des valeurs traditionnelles \u00bb, r\u00e9pond aussi \u00e0 d\u2019autres vis\u00e9es. C\u2019est un moyen d\u2019attiser les dissensions entre les pays du Sud et du Nord, mais aussi d\u2019\u00e9roder la coh\u00e9sion nationale au sein m\u00eame des pays occidentaux, en incitant \u00e0 la r\u00e9bellion les personnes qui, par leur histoire familiale ou leur origine, gardent la m\u00e9moire de la domination coloniale. C\u2019est aussi un moyen de contester l\u2019universalit\u00e9 des principes qui fondent l\u2019ordre international lib\u00e9ral, en particulier le principe de l\u2019int\u00e9grit\u00e9 territoriale, viol\u00e9 par l\u2019annexion de la Crim\u00e9e et par l\u2019agression continue de l\u2019Ukraine, et celui de l\u2019\u00e9galit\u00e9 souveraine des \u00c9tats. <\/p>\n\n\n\n Inscrit \u00e0 l\u2019article 2 de la Charte des Nations Unies, ce principe fondamental postule que tous les \u00c9tats jouissent d\u2019une pleine \u00e9galit\u00e9 juridique, sans consid\u00e9ration de taille, de puissance et de richesse (ni d\u2019anciennet\u00e9). La reconnaissance de ce principe implique la possibilit\u00e9 pour tout pays de choisir son r\u00e9gime politique et son syst\u00e8me d\u2019alliance \u2013 autant de droits d\u00e9ni\u00e9s par le Kremlin \u00e0 l\u2019Ukraine. Apr\u00e8s l\u2019invasion de la Tch\u00e9coslovaquie par les troupes du Pacte de Varsovie, le 21 ao\u00fbt 1968, et l\u2019\u00e9crasement du printemps de Prague, L\u00e9onid Brejnev, alors principal dirigeant de l\u2019Union sovi\u00e9tique, avait \u00e9chafaud\u00e9 la th\u00e9orie de la \u00ab souverainet\u00e9 limit\u00e9e \u00bb pour l\u00e9gitimer l\u2019intervention arm\u00e9e et formaliser l\u2019interdiction pour les pays membres du pacte de d\u00e9roger \u00e0 la doxa sovi\u00e9tique et d\u2019\u00e9chapper \u00e0 la domination sovi\u00e9tique <\/span>17<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n Sous des dehors progressistes, l\u2019approche russe revient, ni plus ni moins, \u00e0 \u00e9tablir une hi\u00e9rarchie des cultures \u2013 certaines se voyant reconna\u00eetre le statut de civilisation, d\u2019autres non.<\/p>C\u00e9line Marang\u00e9<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Depuis la promulgation du dernier Concept de politique \u00e9trang\u00e8re russe en mars 2023, Moscou plaide officiellement pour un ordre international alternatif qui prendrait la forme d\u2019un \u00ab monde multipolaire \u00bb s\u2019ordonnant autour d\u2019\u00ab \u00c9tats-civilisations \u00bb. Sous des dehors progressistes, cette approche revient, ni plus ni moins, \u00e0 \u00e9tablir une hi\u00e9rarchie des cultures \u2014 certaines se voyant reconna\u00eetre le statut de civilisation, d\u2019autres non \u2014 et \u00e0 contester la pleine et enti\u00e8re souverainet\u00e9 des \u00c9tats situ\u00e9s autour desdits \u00ab \u00c9tats-civilisations \u00bb. Sur ce motif, le Kremlin s\u2019adjugerait des pr\u00e9rogatives sur tous les peuples et pays appartenant selon lui, de pr\u00e8s ou de loin, au \u00ab monde russe \u00bb. Il tend d\u00e9j\u00e0 \u00e0 utiliser les minorit\u00e9s non slaves de Russie comme chair \u00e0 canon, comme l\u2019atteste l\u2019origine g\u00e9ographique des soldats mobilis\u00e9s <\/span>18<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Englobante et surplombante, cette notion de \u00ab monde russe \u00bb conduit in fine<\/em> \u00e0 affirmer une nouvelle identit\u00e9 imp\u00e9riale et \u00e0 justifier un nouvel imp\u00e9rialisme qui ne dit pas son nom.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":" Dans la plus pure tradition imp\u00e9rialiste, la Russie de Poutine a renou\u00e9 avec un instrument privil\u00e9gi\u00e9 de l\u2019URSS  : la pratique de l\u2019inversion accusatoire. La d\u00e9nonciation de l’imp\u00e9rialisme occidental fonctionne dans les anciens pays colonis\u00e9s \u2014 tout en occultant l\u2019invasion et les crimes en Ukraine. Une promesse d\u2019action inesp\u00e9r\u00e9e <\/strong><\/h2>\n\n\n\n
La primaut\u00e9 des int\u00e9r\u00eats sovi\u00e9tiques <\/strong><\/h2>\n\n\n\n
Le deuil impossible du messianisme <\/strong><\/h2>\n\n\n\n
\nDans un nouvel \u00e9pisode de notre s\u00e9rie \u00ab  Violences imp\u00e9riales  \u00bb, C\u00e9line Marang\u00e9 revient aux sources sovi\u00e9tiques de ce stratag\u00e8me.<\/p>\n","protected":false},"author":10,"featured_media":221819,"comment_status":"closed","ping_status":"closed","sticky":false,"template":"templates\/post-studies.php","format":"standard","meta":{"_acf_changed":true,"_trash_the_other_posts":false,"footnotes":""},"categories":[3729],"tags":[],"geo":[1917],"class_list":["post-221780","post","type-post","status-publish","format-standard","hentry","category-violences-imperiales-lactualite-russe-du-passe-sovietique","staff-celine-marange","geo-europe"],"acf":[],"yoast_head":"\n