{"id":220052,"date":"2024-02-25T17:13:34","date_gmt":"2024-02-25T16:13:34","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=220052"},"modified":"2024-03-10T19:02:18","modified_gmt":"2024-03-10T18:02:18","slug":"la-guerre-de-poutine-contre-les-femmes-x","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2024\/02\/25\/la-guerre-de-poutine-contre-les-femmes-x\/","title":{"rendered":"La guerre de Poutine contre les femmes"},"content":{"rendered":"\n

Apr\u00e8s Timothy Garton Ash<\/a>, <\/i>Olena Stiazhkina<\/a>, Andre\u00ef Kourkov<\/a> et Constantin Sigov<\/a>, nous poursuivons notre s\u00e9rie<\/a> sur la guerre d\u2019Ukraine et ses cons\u00e9quences pour l\u2019Europe en publiant un texte de l’\u00e9crivaine finlandaise Sofi Oksanen<\/a>. Abonnez-vous pour recevoir chaque jour nos textes, cartes et analyses<\/a>.<\/em><\/p>\n\n\n\n

Quand la violence sexuelle devient une arme<\/h2>\n\n\n\n

Ma grand-tante n\u2019\u00e9tait pas muette de naissance <\/span>1<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Au d\u00e9but de la seconde occupation sovi\u00e9tique de l\u2019Estonie, elle fut emmen\u00e9e pour subir toute une nuit d\u2019interrogatoires, apr\u00e8s quoi elle cessa d\u00e9finitivement de parler. En rentrant \u00e0 la maison le matin, elle paraissait \u00e0 peu pr\u00e8s en forme, mais elle ne dit plus jamais rien d\u2019autre que : \u00ab Jah, \u00e4r\u00e4<\/em>1. \u00bb<\/em> On pouvait lui demander n\u2019importe quoi, sa r\u00e9ponse \u00e9tait toujours : \u00ab Jah, \u00e4r\u00e4. \u00bb<\/em> Elle ne se maria pas, n\u2019eut pas d\u2019enfants, ne fr\u00e9quenta personne. Elle passa le restant de ses jours seule avec sa m\u00e8re.<\/p>\n\n\n\n

J\u2019ai entendu l\u2019histoire de ma grand-tante dans mon enfance ; les adultes n\u2019entraient pas dans le d\u00e9tail, mais tous comprenaient s\u00fbrement ce qui s\u2019\u00e9tait pass\u00e9 au cours de ces interrogatoires. Moi aussi, je comprenais.<\/p>\n\n\n\n

Des ann\u00e9es plus tard, j\u2019ai \u00e9crit mon roman Purge<\/em>1, pr\u00e9c\u00e9d\u00e9 par la pi\u00e8ce de th\u00e9\u00e2tre homonyme, tout en suivant les proc\u00e8s sur les crimes de guerre commis dans les Balkans. Je n\u2019en revenais pas que des camps de viol aient pu voir le jour dans l\u2019Europe contemporaine. L\u2019histoire de ma grand-tante m\u2019a fourni le point de d\u00e9part de Purge<\/em>. Ce qui lui \u00e9tait arriv\u00e9 avait recommenc\u00e9. Et recommence, en plein c\u0153ur de l\u2019Europe.<\/p>\n\n\n\n

Ma grand-tante n\u2019obtint jamais justice, ni personne d\u2019autre dans ma famille. Les terres \u00e9taient perdues, beaucoup de parents \u00e9taient morts, certains d\u00e9port\u00e9s. Deux avaient pu s\u2019\u00e9chapper \u00e0 bord de navires pour l\u2019Ouest. \u00c9videmment, nul ne s\u2019attendait \u00e0 obtenir justice sous l\u2019occupation.<\/p>\n\n\n\n

Mais l\u2019effondrement de l\u2019Union sovi\u00e9tique changea la donne : les \u00c9tats baltes recouvr\u00e8rent leur ind\u00e9pendance et lanc\u00e8rent un processus de d\u00e9colonisation, comme le font les anciennes d\u00e9pendances de puissances coloniales. L\u00e0 o\u00f9 la recherche historique \u00e9tait en URSS une discipline strictement politique vou\u00e9e \u00e0 relayer la propagande, la fin de l\u2019occupation permit \u00e0 la recherche, \u00e0 la science, \u00e0 la culture et \u00e0 la presse de s\u2019affranchir du joug totalitaire ; le langage public devint celui d\u2019un \u00c9tat ind\u00e9pendant. On pouvait enfin parler du pass\u00e9 \u00e0 voix haute, sans d\u00e9tour. On pouvait l\u2019\u00e9tudier, en discuter, \u00e0 la lumi\u00e8re du jour. Les mots reprenaient des sens conformes au v\u00e9cu : les d\u00e9portations \u00e9taient des d\u00e9portations, les occupations des occupations. Les violations des droits humains \u00e0 l\u2019\u00e9poque sovi\u00e9tique firent l\u2019objet d\u2019enqu\u00eates, mais le successeur juridique de l\u2019URSS, la f\u00e9d\u00e9ration de Russie, ne fut d\u2019aucune aide sur la question, sans parler de demander pardon. Les pays occidentaux ne l\u2019y incitaient pas sp\u00e9cialement comme ils l\u2019avaient fait vis-\u00e0-vis de l\u2019Allemagne apr\u00e8s la Deuxi\u00e8me Guerre mondiale. Peut-\u00eatre ne trouvaient-ils pas cela n\u00e9cessaire parce que les crimes de cette \u00e9poque-l\u00e0 n\u2019\u00e9taient pas assez importants \u2014 en tout cas, moins importants que de serrer la main \u00e0 Poutine et blanchir l\u2019argent tach\u00e9 de sang vol\u00e9 au peuple par les oligarques. Comme ils avaient ferm\u00e9 les yeux sur ces anciens crimes, l\u2019invasion ill\u00e9gale de l\u2019Ukraine par la Russie en f\u00e9vrier 2022 les a pris au d\u00e9pourvu.<\/p>\n\n\n\n

Les violations des droits humains \u00e0 l\u2019\u00e9poque sovi\u00e9tique firent l\u2019objet d\u2019enqu\u00eates, mais le successeur juridique de l\u2019URSS, la f\u00e9d\u00e9ration de Russie, ne fut d\u2019aucune aide sur la question, sans parler de demander pardon.<\/p>Sofi Oksanen<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

Du point de vue estonien, la guerre en Ukraine donne l\u2019impression de revivre les \u00e9v\u00e9nements des ann\u00e9es 1940, comme si on appuyait tout le temps sur le bouton replay<\/em>, car la Russie utilise la m\u00eame feuille de route que dans ses pr\u00e9c\u00e9dentes guerres de conqu\u00eate. Nous avons connu les m\u00eames pratiques : terreur visant les civils, d\u00e9portations, torture, russification, propagande, simulacres de proc\u00e8s, \u00e9lections truqu\u00e9es, culpabilisation des victimes, flots d\u2019exil\u00e9s, destruction de la culture. Toutefois, la r\u00e9action des Occidentaux a r\u00e9v\u00e9l\u00e9 que cette feuille de route de l\u2019imp\u00e9rialisme russe \u00e9tait m\u00e9connue. Voil\u00e0 pourquoi il est n\u00e9cessaire de parler des crimes de guerre ant\u00e9rieurs<\/a>, pourquoi il faut les juger, les inscrire durablement dans notre m\u00e9moire culturelle. Sans conscience des crimes pass\u00e9s, nous sommes incapables de d\u00e9tecter les prochains signes avant-coureurs. L\u2019histoire des autres anciennes puissances coloniales a beau figurer dans nos programmes scolaires, la Russie n\u2019a pas \u00e9t\u00e9 \u00e9tudi\u00e9e sous l\u2019angle du colonialisme, m\u00eame \u00e0 l\u2019\u00e9cole. Les pays de l\u2019ex-bloc de l\u2019Est repr\u00e9sentent la moiti\u00e9 de l\u2019Europe, et ils ont subi deux syst\u00e8mes totalitaires diff\u00e9rents. Malgr\u00e9 cela, leur exp\u00e9rience n\u2019a pas \u00e9t\u00e9 int\u00e9gr\u00e9e \u00e0 la m\u00e9moire occidentale de notre continent, elle n\u2019est pas entr\u00e9e dans la m\u00e9moire historique globale de l\u2019Europe.<\/p>\n\n\n\n

Cela aussi serait une fa\u00e7on de rendre justice.<\/p>\n\n\n\n

\n \n \r\n \r\n \r\n \r\n \r\n \r\n \r\n <\/picture>\r\n \n
Victor Hugo (1802-1885), Une tour dans la lumi\u00e8re d’orage<\/em>, Plume et lavis d’encre brune. Paris, Maison de Victor Hugo.<\/figcaption>\n <\/a>\n<\/figure>\n\n\n

Apr\u00e8s la Deuxi\u00e8me Guerre mondiale, quand l\u2019Ouest r\u00e9p\u00e9tait en boucle l\u2019expression \u00ab plus jamais \u00e7a \u00bb, elle sonnait faux aux oreilles de tous ceux qui avaient connu la politique oppressive de la Russie. Les crimes contre les droits humains et le pouvoir d\u2019occupation sovi\u00e9tique n\u2019ont pas cess\u00e9 apr\u00e8s la chute de l\u2019Allemagne hitl\u00e9rienne. \u00ab Plus jamais \u00e7a \u00bb donnait l\u2019impression que notre exp\u00e9rience n\u2019avait aucune importance. Elle n\u2019\u00e9tait pas cartographi\u00e9e dans la conscience culturelle occidentale.<\/p>\n\n\n\n

Du point de vue estonien, la guerre en Ukraine donne l\u2019impression de revivre les \u00e9v\u00e9nements des ann\u00e9es 1940<\/p>Sofi Oksanen<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

Une photo<\/h2>\n\n\n\n

On d\u00e9truit un peuple en d\u00e9truisant la m\u00e9moire<\/h3>\n\n\n\n

Au mur de mon bureau, il y a une photo noir et blanc de ma grand-tante \u00e0 l\u2019\u00e9poque o\u00f9 elle parlait encore. La m\u00e8re de famille pose au milieu d\u2019une ribambelle d\u2019enfants, un b\u00e9b\u00e9 dans les bras. Ma grand-tante regarde timidement l\u2019objectif, ma grand-m\u00e8re a deux ans, tout le monde porte des souliers de cuir fabriqu\u00e9s par le p\u00e8re. \u00c0 l\u2019arri\u00e8re-plan, on aper\u00e7oit la cour de la maison en \u00e9t\u00e9, avec des pivoines en fleur. Personne n\u2019y fait vraiment attention en entrant dans mon bureau, et pour cause : c\u2019est un portrait de famille du si\u00e8cle dernier, tout ce qu\u2019il y a de plus banal. On n\u2019y voit pas de drapeau estonien ou d\u2019autres symboles de l\u2019Estonie ind\u00e9pendante interdits \u00e0 l\u2019\u00e9poque sovi\u00e9tique, mais c\u2019est une photo prise au temps d\u2019un \u00ab \u00c9tat liquid\u00e9 \u00bb. Cela suffisait \u00e0 la rendre suspecte.<\/p>\n\n\n\n

Pour l\u2019emporter en Finlande, nous avons d\u00fb attendre le d\u00e9but des ann\u00e9es 1990, lorsque l\u2019Estonie a recouvr\u00e9 son ind\u00e9pendance. \u00c0 l\u2019\u00e9poque sovi\u00e9tique, nous n\u2019aurions pas os\u00e9 la transporter \u2014 clandestinement \u2014 en Finlande, de peur qu\u2019elle soit trouv\u00e9e lors des contr\u00f4les \u00e0 la fronti\u00e8re. Les photographies anciennes faisaient partie de la longue liste des affaires qu\u2019on ne pouvait ni faire entrer en Union sovi\u00e9tique ni en faire sortir ; sa pr\u00e9sence dans nos bagages aurait donn\u00e9 lieu \u00e0 une flop\u00e9e de questions : pourquoi nous \u00e9tions en sa possession, ce qu\u2019elle signifiait pour nous… Quelles que fussent nos r\u00e9ponses, le r\u00e9sultat aurait \u00e9t\u00e9 le m\u00eame : on nous l\u2019aurait confisqu\u00e9e. Sous l\u2019occupation sovi\u00e9tique, les Estoniens d\u00e9collaient de leurs albums ces images dangereuses. Elles disparaissaient, enterr\u00e9es, cach\u00e9es derri\u00e8re le papier peint, comme chez nous, pour ne ressortir qu\u2019en pr\u00e9sence de personnes de confiance. En Union sovi\u00e9tique, entretenir la m\u00e9moire familiale, celle des proches et des morts, \u00e9tait une affaire strictement priv\u00e9e. Pour ma part, c\u2019est gr\u00e2ce \u00e0 ces images que j\u2019ai pu conna\u00eetre ma famille. Les gens existaient sur les photos cach\u00e9es et dans les histoires associ\u00e9es. C\u2019est ainsi qu\u2019ils ont pris des visages.<\/p>\n\n\n\n

En Union sovi\u00e9tique, entretenir la m\u00e9moire familiale, celle des proches et des morts, \u00e9tait une affaire strictement priv\u00e9e. Pour ma part, c\u2019est gr\u00e2ce \u00e0 ces images que j\u2019ai pu conna\u00eetre ma famille.<\/p>Sofi Oksanen<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

Rien \u00e0 voir avec la Finlande, pays de ma naissance et de ma scolarit\u00e9. L\u00e0, \u00e0 l\u2019occasion de la f\u00eate des Morts, de No\u00ebl et du jour de l\u2019Ind\u00e9pendance, on a coutume d\u2019allumer des bougies au cimeti\u00e8re. Mon grand-p\u00e8re \u00e9tait un v\u00e9t\u00e9ran finlandais et son fr\u00e8re jumeau \u00e9tait mort en h\u00e9ros. Ces guerres faisaient donc partie de mon histoire familiale ; mais les bougies fun\u00e9raires allum\u00e9es lors de ces comm\u00e9morations publiques me rappelaient aussi ceux que nous ne pouvions \u00e9voquer qu\u2019en pens\u00e9e, ou entre personnes de confiance. Le jour de l\u2019Ind\u00e9pendance, les drapeaux finlandais hiss\u00e9s sur les m\u00e2ts me rappelaient le tricolore estonien qui \u00e9tait interdit au m\u00eame titre que les autres symboles nationaux de l\u2019\u00ab \u00c9tat liquid\u00e9 \u00bb \u2014 y compris la simple utilisation de ses couleurs bleu-noir-blanc, m\u00eame dans l\u2019art abstrait. Quand j\u2019ai appris par c\u0153ur l\u2019hymne du serment d\u2019all\u00e9geance au drapeau \u00e0 l\u2019instar des autres \u00e9coliers finlandais, cela m\u2019a troubl\u00e9e parce qu\u2019une chose pareille n\u2019\u00e9tait pas possible en Estonie sous occupation sovi\u00e9tique. Mes camarades apprenaient les paroles \u00e0 l\u2019\u00e9cole comme si cela allait de soi. Nous autres ne pouvions pas exhiber les symboles de l\u2019Estonie ind\u00e9pendante, m\u00eame en Finlande, qui vivait \u00e0 l\u2019heure de la finlandisation : l\u2019Estonie ind\u00e9pendante n\u2019existait pas, puisque la Finlande devait publiquement se conformer \u00e0 la ligne sovi\u00e9tique \u00e0 l\u2019\u00e9gard des territoires occup\u00e9s. L\u2019URSS tenait \u00e0 l\u2019\u0153il les Estoniens expatri\u00e9s. Un comportement antisovi\u00e9tique \u00e0 l\u2019\u00e9tranger aurait mis en danger nos proches rest\u00e9s dans le pays. Je comprenais que des mots ou des actes inappropri\u00e9s auraient eu pour cons\u00e9quence de nous priver d\u2019acc\u00e8s \u00e0 l\u2019URSS. Je n\u2019aurais plus jamais revu ma grand-m\u00e8re qui habitait l\u00e0-bas.<\/p>\n\n\n\n

L\u2019Union sovi\u00e9tique cherchait alors \u00e0 d\u00e9truire mon souvenir des territoires qu\u2019elle occupait, y compris ma m\u00e9moire visuelle ; \u00e0 pr\u00e9sent, la Russie fait de m\u00eame dans les r\u00e9gions qu\u2019elle a conquises en Ukraine. En plus de remplacer l\u2019ensemble du corps enseignant et de russifier le programme scolaire, il s\u2019agit de d\u00e9truire la conscience du patrimoine culturel en pillant les lieux publics d\u00e9di\u00e9s \u00e0 la conservation de la m\u00e9moire, tels que les mus\u00e9es, mais aussi les lieux priv\u00e9s : les domiciles. Aux informations, le monde entier a pu voir les troupes russes raser des villes. Les villes sont pleines de domiciles, les domiciles sont pleins de m\u00e9moire et de souvenirs. Aucun souvenir n\u2019est trop petit pour l\u2019occupant. Parfois, une seule photo, un seul r\u00e9cit peut conserver l\u2019histoire de toute une famille. C\u2019est pourquoi la Russie ne cherche pas \u00e0 piller que les collections d\u2019art. Les photos priv\u00e9es sont tout aussi dangereuses. Elles conservent des souvenirs \u00e0 \u00e9radiquer. Elles conservent le souvenir des crimes russes et de l\u2019Ukraine en tant que nation ind\u00e9pendante.<\/p>\n\n\n\n

L\u2019Union sovi\u00e9tique cherchait alors \u00e0 d\u00e9truire mon souvenir des territoires qu\u2019elle occupait, y compris ma m\u00e9moire visuelle ; \u00e0 pr\u00e9sent, la Russie fait de m\u00eame dans les r\u00e9gions qu\u2019elle a conquises en Ukraine. <\/p>Sofi Oksanen<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

Au d\u00e9but de la vaste offensive russe, Illia, vingt-deux ans, \u00e9tait chez lui \u00e0 Kramatorsk. Il a voulu \u00e9vacuer en train avec sa m\u00e8re et sa s\u0153ur. Ils \u00e9taient l\u00e0 le 8 avril, lorsque la Russie a bombard\u00e9 la gare pleine de civils. Les frappes ont fait soixante morts et cent dix bless\u00e9s. La famille d\u2019Illia s\u2019en est sortie. Les trois fugitifs ont tent\u00e9 de partir en voiture, mais leur voyage a pris fin au point de contr\u00f4le russe. Les soldats ont trouv\u00e9 sur le t\u00e9l\u00e9phone d\u2019Illia une photo o\u00f9 il tenait un drapeau ukrainien \u00e0 l\u2019occasion de l\u2019anniversaire de l\u2019Ind\u00e9pendance. De plus, il avait install\u00e9 une application de rencontres destin\u00e9e aux minorit\u00e9s sexuelles.<\/p>\n\n\n\n

Illia a subi des violences sexuelles de la part de huit soldats de l\u2019arm\u00e9e russe, qui ont film\u00e9 leurs actes. Il n\u2019a \u00e9t\u00e9 lib\u00e9r\u00e9 qu\u2019apr\u00e8s des semaines de torture, avec l\u2019aide de l\u2019arm\u00e9e ukrainienne. Son seul \u00ab crime \u00bb \u00e9tait d\u2019avoir conserv\u00e9 un souvenir sur son t\u00e9l\u00e9phone.<\/p>\n\n\n\n

Aujourd\u2019hui, on n\u2019\u00e9limine pas les photos de la m\u00eame fa\u00e7on qu\u2019\u00e0 l\u2019\u00e9poque sovi\u00e9tique. Mais la possession d\u2019images jug\u00e9es dangereuses repr\u00e9sente toujours un risque, une menace, un danger pour les proches ; d\u00e9tenir des souvenirs devient alors n\u00e9faste, les photos sont stigmatis\u00e9es. Cela suffit \u00e0 endommager la m\u00e9moire visuelle, facteur essentiel dans la construction de l\u2019identit\u00e9. La seule peur de repr\u00e9sailles incite \u00e0 effacer les donn\u00e9es \u2014 donc la m\u00e9moire \u2014 de son t\u00e9l\u00e9phone. J\u2019ai un ami qui a quitt\u00e9 Kiev dix jours apr\u00e8s la grande offensive, devinant qu\u2019il devrait sinon franchir un barrage russe, ce qu\u2019il craignait encore plus que les bombardements. Mais il ne pouvait pas se r\u00e9signer \u00e0 effacer les donn\u00e9es de son t\u00e9l\u00e9phone par avance ; et m\u00eame s\u2019il l\u2019avait fait, on pouvait toujours trouver en ligne des preuves de ses affinit\u00e9s. Beaucoup sont rest\u00e9s en territoire occup\u00e9 pour cette raison. Ils n\u2019ont pas os\u00e9 se pr\u00e9senter aux points de contr\u00f4le russes comme l\u2019ont fait Illia de Kramatorsk et sa famille.<\/p>\n\n\n\n

La Russie avait d\u00e9j\u00e0 fa\u00e7onn\u00e9 le comportement des gens et leur m\u00e9moire visuelle. Et elle le refait maintenant. L\u2019occupation va toujours de pair avec un changement de paradigme moral : ce qui \u00e9tait juste et respectable devient mauvais et dangereux.<\/p>\n\n\n\n

Illia de Kramatorsk est issu d\u2019un monde compl\u00e8tement diff\u00e9rent de celui de ma grand-tante, fille de cultivateur \u00e9lev\u00e9e au d\u00e9but du si\u00e8cle dernier en Estonie occidentale ; ils ne sont pas de m\u00eame sexe.<\/p>\n\n\n\n

Pourtant, ils ont en commun une exp\u00e9rience qui a transform\u00e9 leur vie. Tous deux sont des civils. Tous deux ont subi des violences de la part de personnes mandat\u00e9es par la Russie.<\/p>\n\n\n\n

\n \n \r\n \r\n \r\n \r\n \r\n \r\n \r\n \r\n <\/picture>\r\n \n
Victor Hugo (1802-1885), Souvenir de la For\u00eat Noire<\/em>, Plume et lavis d’encre brune, 1850. Paris, maison de Victor Hugo.<\/figcaption>\n <\/a>\n<\/figure>\n\n\n

Dans le d\u00e9bat public relatif aux violences sexuelles, on entend toujours l\u2019\u00e9cho de vieilles id\u00e9es selon lesquelles l\u2019acte serait li\u00e9 aux pulsions masculines, donc incontr\u00f4lable. Ce n\u2019est pas le cas. Ces violences sont commises lorsque le coupable se sait \u00e0 l\u2019abri de poursuites p\u00e9nales.<\/p>\n\n\n\n

Aujourd\u2019hui, on n\u2019\u00e9limine pas les photos de la m\u00eame fa\u00e7on qu\u2019\u00e0 l\u2019\u00e9poque sovi\u00e9tique. Mais la possession d\u2019images jug\u00e9es dangereuses repr\u00e9sente toujours un risque, une menace, un danger pour les proches.<\/p>Sofi Oksanen<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

Les exp\u00e9riences d\u2019Illia et de ma grand-tante ont \u00e9galement en commun les mobiles de leurs agresseurs, qui n\u2019ont pas chang\u00e9 au fil des d\u00e9cennies. La Russie utilise la m\u00eame arme de g\u00e9n\u00e9ration en g\u00e9n\u00e9ration, et pour les m\u00eames raisons : d\u00e9shonorer la victime, \u00e9craser la r\u00e9sistance et asseoir sa position dominante, chaque cas \u00e9tant un avertissement pour les autres.<\/p>\n\n\n\n

Illia de Kramatorsk vit maintenant en Ukraine ind\u00e9pendante et b\u00e9n\u00e9ficie d\u2019un suivi th\u00e9rapeutique. Ses agresseurs ne seront peut-\u00eatre jamais poursuivis, mais le fait qu\u2019il se soit ouvert publiquement sur ses exp\u00e9riences encourage d\u2019autres victimes \u00e0 prendre la parole. Dans le monde de ma grand-tante, c\u2019\u00e9tait impossible. Elle ne pouvait pas regarder la t\u00e9l\u00e9vision ou Internet pour trouver un t\u00e9moignage relatant une \u00e9preuve similaire \u00e0 la sienne. Voil\u00e0 au moins un progr\u00e8s pour les victimes. Savoir qu\u2019elles ne sont pas seules att\u00e9nue leur sentiment de culpabilit\u00e9 : si tant d\u2019autres ont connu le m\u00eame sort, aujourd\u2019hui et dans les g\u00e9n\u00e9rations pr\u00e9c\u00e9dentes, ce n\u2019est donc pas la victime qui a provoqu\u00e9 la situation.       <\/p>\n\n\n\n

Une plante vici\u00e9e<\/h2>\n\n\n\n

Documenter les crimes sexuels<\/h3>\n\n\n\n

Mikha\u00efl Romanov, trente-deux ans, est p\u00e8re, \u00e9poux et soldat dans l\u2019arm\u00e9e russe. Au printemps 2022, il s\u2019est introduit dans une maison de Bohdanivka, dans la r\u00e9gion de Kiev ; il a tu\u00e9 le propri\u00e9taire et aussit\u00f4t viol\u00e9 sa veuve. Le crime a dur\u00e9 des heures. L\u2019enfant de Romanov avait le m\u00eame \u00e2ge que le fils des victimes, qui pleurait dans la pi\u00e8ce voisine pendant que le soldat commettait son forfait.<\/p>\n\n\n\n

En mai 2022, en Ukraine, Romanov a \u00e9t\u00e9 poursuivi par contumace. Ce proc\u00e8s pour viol \u00e9tait le premier pour les atrocit\u00e9s russes, et ce n\u2019est qu\u2019un d\u00e9but. Les troupes qui ont attaqu\u00e9 l\u2019Ukraine se sont syst\u00e9matiquement rendues coupables de violences sexuelles \u00e0 l\u2019encontre de civils de tout \u00e2ge, ind\u00e9pendamment du sexe.<\/p>\n\n\n\n

Les preuves amass\u00e9es par les observateurs et chercheurs \u00e9trangers r\u00e9v\u00e8lent des actes encore jamais vus, m\u00eame dans toute l\u2019horreur des guerres de Bosnie ou du Rwanda. Les viols sont souvent publics. Les soldats russes s\u2019y livrent en pleine rue ou forcent d\u2019autres membres de la communaut\u00e9 \u00e0 y assister. Des parents ont d\u00fb regarder le viol de leurs enfants, les enfants celui de leurs parents. Certaines victimes ont \u00e9t\u00e9 viol\u00e9es \u00e0 mort.<\/p>\n\n\n\n

Les viols sont souvent publics. Les soldats russes s\u2019y livrent en pleine rue ou forcent d\u2019autres membres de la communaut\u00e9 \u00e0 y assister.<\/p>Sofi Oksanen<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

La violence sexuelle traumatise, brise des familles et des communaut\u00e9s enti\u00e8res pour des g\u00e9n\u00e9rations, elle bouleverse la structure d\u00e9mographique. Voil\u00e0 pourquoi c\u2019est un instrument de conqu\u00eate tellement pris\u00e9, voil\u00e0 pourquoi la Russie utilise toujours cette arme ancestrale. Dans le cas de l\u2019Ukraine, il y a lieu de se demander si ce ne serait pas aussi un instrument de g\u00e9nocide.<\/p>\n\n\n\n

Avocat juif polonais dipl\u00f4m\u00e9 de l\u2019universit\u00e9 de Lviv, Raphael Lemkin d\u00e9veloppa sa th\u00e9orie du g\u00e9nocide d\u00e8s les ann\u00e9es 1930, en fuyant les pogroms. Il employa le mot g\u00e9nocide <\/em>pour la premi\u00e8re fois en 1943. Le concept allait jouer un r\u00f4le majeur dans le proc\u00e8s de Nuremberg et dans l\u2019\u00e9laboration de la convention de l\u2019ONU adopt\u00e9e en 1948. Selon Lemkin, un g\u00e9nocide n\u2019est pas un acte isol\u00e9, c\u2019est un processus planifi\u00e9 qui prend pour cible un mode de vie indispensable \u00e0 une certaine partie de la population, visant \u00e0 en saper les bases dans le but d\u2019\u00e9radiquer les groupes humains en question. Le meurtre n\u2019est pas indispensable : il y a diverses fa\u00e7ons d\u2019\u00e9radiquer. Si les autres mesures ne fonctionnent pas, \u00ab on peut utiliser la mitrailleuse en dernier recours \u00bb. Mais auparavant, on cherche \u00e0 \u00e9radiquer la culture, la langue, le sentiment national, la religion, les institutions et la sant\u00e9, les notions de s\u00e9curit\u00e9, de libert\u00e9 et de dignit\u00e9, pour que la population vis\u00e9e \u00ab s\u2019\u00e9tiole et meure comme une plante vici\u00e9e \u00bb.<\/p>\n\n\n\n

Le viol peut \u00eatre qualifi\u00e9 de g\u00e9nocidaire en fonction des intentions, et cette qualification d\u00e9pend de diff\u00e9rents cas de figure. En Ukraine, la violence sexuelle exerc\u00e9e par les soldats russes fait partie d\u2019un ensemble plus vaste, on ne peut pas en parler sans tenir compte du contexte. L\u2019histoire de l\u2019Ukraine et de la Russie, la promotion de l\u2019\u00e9galit\u00e9 entre hommes et femmes dans ces deux pays, l\u2019imp\u00e9rialisme russe et sa mise en \u0153uvre, tous ces param\u00e8tres forment un tout.<\/p>\n\n\n\n

En ce qui concerne la Russie, l\u2019intention g\u00e9nocidaire se manifeste d\u00e9j\u00e0 dans les discours \u00e9tatiques et dans les m\u00e9dias, qui ne cessent de r\u00e9p\u00e9ter que l\u2019Ukraine n\u2019est pas un \u00c9tat et que les Ukrainiens n\u2019existent pas. De m\u00eame, dans les propos des soldats coupables de violences sexuelles, on retrouve souvent les figures rh\u00e9toriques appartenant au champ s\u00e9mantique du g\u00e9nocide. Par exemple, ils ont dit qu\u2019ils violaient leurs victimes jusqu\u2019\u00e0 leur faire passer l\u2019envie de coucher avec des Ukrainiens. En castrant des prisonniers de guerre, les auteurs se sont justifi\u00e9s en disant qu\u2019ainsi ils ne pourraient pas avoir d\u2019enfants.<\/p>\n\n\n\n

Le viol peut \u00eatre qualifi\u00e9 de g\u00e9nocidaire en fonction des intentions.<\/p>Sofi Oksanen<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

En 2022, de nombreux experts soulignaient la difficult\u00e9 d\u2019\u00e9tablir les viols g\u00e9nocidaires, d\u2019en prononcer le verdict, de qualifier le crime comme faisant partie d\u2019un g\u00e9nocide. Je le comprends, et je sais bien que les proc\u00e8s co\u00fbtent cher, qu\u2019ils exigent de nombreuses heures de travail ; mais je m\u2019\u00e9tonne que ce soit l\u00e0 quasiment le seul argument dans le d\u00e9bat public occidental. Il existe pourtant diverses formes de justice. Donner la parole en public, c\u2019est aussi une fa\u00e7on de rendre justice. Faire preuve de soutien, c\u2019est aussi rendre justice. Condamner les menaces et la culpabilisation des victimes, c\u2019est aussi rendre justice. Si l\u2019on se focalise sur la difficult\u00e9 qu\u2019a le syst\u00e8me judiciaire \u00e0 d\u00e9finir un viol g\u00e9nocidaire ou \u00e0 poursuivre les coupables, quel est le message adress\u00e9 aux victimes ? Quel est le message adress\u00e9 \u00e0 la Russie ? Quel est le message adress\u00e9 aux t\u00e9moins ? Qu\u2019ils sont… difficiles ? Des cas difficiles ? Si difficiles qu\u2019il vaut mieux ne pas parler du crime ? Si tel est le point de vue dominant, cela culpabilise indirectement les victimes, comme si on leur imputait la charge de la preuve. Non, ce ne sont pas des cas difficiles.<\/p>\n\n\n\n

C\u2019est la Russie qui est un cas difficile.<\/p>\n\n\n\n

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Victor Hugo (1802-1885), Esquisse de paysage<\/em>, Paris, Biblioth\u00e8que nationale<\/figcaption>\n <\/a>\n<\/figure>\n\n\n

Ma grand-tante n\u2019a pas eu d\u2019enfant. Ce qu\u2019elle a subi ne serait peut-\u00eatre pas qualifi\u00e9 de viol g\u00e9nocidaire aujourd\u2019hui, mais le fait est qu\u2019elle n\u2019a jamais eu de relation de couple et ne s\u2019est jamais mari\u00e9e. Sa m\u00e8re, elle, avait eu huit enfants. Un fr\u00e8re de ma grand-tante perdit la raison en voyant ses amis se noyer dans un marais, traqu\u00e9s par le NKVD (le commissariat du peuple aux affaires int\u00e9rieures de l\u2019URSS), et mourut peu apr\u00e8s. Un seul des fr\u00e8res surv\u00e9cut aux premi\u00e8res ann\u00e9es d\u2019occupation sovi\u00e9tique, et sa fille unique parvint \u00e0 fuir le pays. Ainsi, parmi huit fr\u00e8res et s\u0153urs, seuls quelques-uns eurent des enfants. C\u2019est la cons\u00e9quence du pouvoir sovi\u00e9tique. Le taux de natalit\u00e9 en Estonie occup\u00e9e \u00e9tait parmi les plus bas d\u2019URSS.<\/p>\n\n\n\n

De nombreuses Ukrainiennes, m\u00eame celles qui habitent \u00e0 pr\u00e9sent hors d\u2019Ukraine, ont le sentiment que la violence sexuelle exerc\u00e9e par l\u2019arm\u00e9e russe a boulevers\u00e9 leur rapport \u00e0 leur f\u00e9minit\u00e9.<\/p>Sofi Oksanen<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

De nombreuses Ukrainiennes, m\u00eame celles qui habitent \u00e0 pr\u00e9sent hors d\u2019Ukraine, ont le sentiment que la violence sexuelle exerc\u00e9e par l\u2019arm\u00e9e russe a boulevers\u00e9 leur rapport \u00e0 leur f\u00e9minit\u00e9. Voici ce que m\u2019a confi\u00e9 l\u2019une d\u2019elles :<\/p>\n\n\n\n

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\u00ab Tous les contacts physiques sont douloureux, m\u00eame les embrassades. Ma vie sexuelle est au point mort. Ma libido a disparu. J\u2019ai essay\u00e9 plusieurs fois mais j\u2019ai juste fini en pleurs. Je ne peux pas oublier que le sexe est devenu un instrument de violence. C\u2019est affreux. C\u2019est affreux d\u2019\u00eatre au lit, d\u2019essayer d\u2019embrasser mon ch\u00e9ri que je ne reverrai peut-\u00eatre plus jamais, et de me demander quel souvenir j\u2019en garderais s\u2019il ne revenait pas.
Un ennemi sournoisement faufil\u00e9 dans mon lit ? Non, je ne veux pas penser \u00e0 \u00e7a. Je ne veux pas me sentir impuissante. Non, notre ennemi, c\u2019est l\u2019ordure qui veut d\u00e9truire ce que nous avons de plus intime dans la vie. Il se dit : \u2018Nous ne pouvons pas vous conqu\u00e9rir ? Alors nous allons vous emp\u00eacher d\u2019avoir des enfants, nous vous emp\u00eacherons de cr\u00e9er la g\u00e9n\u00e9ration suivante, nous vous emp\u00eacherons de perp\u00e9tuer votre lign\u00e9e.\u2019 \u00bb<\/p>\n<\/blockquote>\n\n\n\n

La violence sexuelle en zone de conflit rev\u00eat bien d\u2019autres formes que le viol : les menaces de viol, les coups et blessures sur femme enceinte, l\u2019obligation de s\u2019accroupir et de se d\u00e9shabiller, les cheveux coup\u00e9s, les violences sur les organes g\u00e9nitaux. Tout cela concerne aussi les hommes. Ces exp\u00e9riences sont impossibles \u00e0 oublier, m\u00eame pour les t\u00e9moins oculaires ou les gens qui suivent la situation \u00e0 distance. J\u2019ai une amie de plus de soixante-dix ans qui \u00e9tait enfant quand un soldat russe viola sa m\u00e8re, chez elle, dans la pi\u00e8ce voisine. Elle est toujours incapable d\u2019entendre parler russe sans fr\u00e9mir de peur.<\/p>\n\n\n\n

La Russie se sert de la violence sexuelle comme d\u2019une arme, elle en a fait un outil d\u2019intimidation suprag\u00e9n\u00e9rationnel et supranational. Depuis la guerre froide, on conna\u00eet bien l\u2019expression d\u2019\u00ab \u00e9quilibre de la terreur \u00bb. Mais la violence sexuelle n\u2019offre pas le m\u00eame \u00e9quilibre, c\u2019est pourquoi la Russie y a pris go\u00fbt. Cet outil d\u2019intimidation, l\u2019Occident ne peut pas y r\u00e9pondre dans la m\u00eame mesure. Cependant, cela ne veut pas dire que nous devions nous r\u00e9signer au silence ou \u00e0 l\u2019indiff\u00e9rence, attitudes qui serviraient les int\u00e9r\u00eats de la Russie \u2014 en m\u00eame temps que les dictateurs et chefs militaires des autres pays qui guettent attentivement nos r\u00e9actions. Dans Titus Andronicus<\/em>, l\u2019une des premi\u00e8res trag\u00e9dies de Shakespeare, la fille du roi, Lavinia, est viol\u00e9e. Pour l\u2019emp\u00eacher de les d\u00e9noncer, les coupables lui coupent la langue et, par s\u00e9curit\u00e9, ils lui amputent aussi les mains pour qu\u2019elle ne puisse pas les montrer du doigt. De m\u00eame, la f\u00e9d\u00e9ration de Russie cherche \u00e0 r\u00e9duire au silence les victimes de sa terreur, en usant \u00e0 cet effet d\u2019une vaste palette de moyens, dont l\u2019un consiste \u00e0 culpabiliser les victimes. C\u2019est efficace, car cela entre en r\u00e9sonance avec la honte et la stigmatisation qui accompagnent universellement les violences sexuelles.<\/p>\n\n\n\n

La Russie se sert de la violence sexuelle comme d\u2019une arme, elle en a fait un outil d\u2019intimidation suprag\u00e9n\u00e9rationnel et supranational. Cet outil d\u2019intimidation, l\u2019Occident ne peut pas y r\u00e9pondre dans la m\u00eame mesure. Cependant, cela ne veut pas dire que nous devions nous r\u00e9signer au silence ou \u00e0 l\u2019indiff\u00e9rence.<\/p>Sofi Oksanen<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

Certains estiment que parler des viols encourage \u00e0 l\u2019escalade ; par cons\u00e9quent, ne pas en parler permettrait d\u2019en pr\u00e9venir d\u2019autres. Ma grand-tante n\u2019a jamais racont\u00e9 ce qui lui \u00e9tait arriv\u00e9. Beaucoup taisaient les crimes de l\u2019Arm\u00e9e rouge pendant la Deuxi\u00e8me Guerre mondiale. Beaucoup se taisaient \u00e0 l\u2019\u00e9poque des guerres en Tch\u00e9tch\u00e9nie et en Syrie. Beaucoup se sont tus en Crim\u00e9e et dans les \u00c9tats fantoches d\u2019Ukraine orientale contr\u00f4l\u00e9s par la Russie depuis 2014.<\/p>\n\n\n\n

Cela n\u2019a pas emp\u00each\u00e9 l\u2019arm\u00e9e russe de commettre de nouveau les m\u00eames crimes.<\/p>\n\n\n\n

\u00c0 l\u2019\u00e9poque de ma grand-tante, on ne parlait pas publiquement de violences sexuelles, c\u2019\u00e9tait impossible sous l\u2019occupation sovi\u00e9tique, de m\u00eame qu\u2019aujourd\u2019hui en Ukraine sous occupation russe. Ailleurs, c\u2019est diff\u00e9rent ; n\u00e9anmoins, quand on \u00e9voque la guerre et la Russie, les victimes de violences sexuelles sont toujours \u00e9voqu\u00e9es de mani\u00e8re marginale \u2014 ou statistique.<\/p>\n\n\n\n

Lorsque Beth Rigby interviewait Olena Zelenska sur Sky News en novembre 2022, elle lui a tout de suite demand\u00e9 le nombre de viols commis par l\u2019arm\u00e9e russe. La question est courante, dans les entretiens relatifs aux violences sexuelles en temps de guerre. Cependant, ce d\u00e9compte ne r\u00e9v\u00e8le pas toute l\u2019\u00e9tendue et toutes les implications du ph\u00e9nom\u00e8ne. Il ne dit pas combien de personnes sont touch\u00e9es indirectement. Il ne dit pas combien sont affect\u00e9es dans leur choix de carri\u00e8re ou dans leur aptitude \u00e0 travailler. Il ne dit pas combien en souffrent dans leur vie sociale. Il ne parle pas de celles qui perdent la voix comme ma grand-tante, ou qui se mettent \u00e0 choisir leurs v\u00eatements sur d\u2019autres crit\u00e8res pour mieux cacher leur corps. Il ne parle pas des Ukrainiennes qui d\u00e9guisent leurs filles en gar\u00e7ons, ou de celle qui a fait un stock de fumier \u00e0 son domicile pour en d\u00e9verser des seaux sur sa fille et elle \u00e0 l\u2019approche des soldats russes. Il ne parle pas de la g\u00e9n\u00e9ration perdue, des enfants que les victimes n\u2019auront jamais. Il ne parle pas des Ukrainiennes qui \u00e9vitent l\u2019intimit\u00e9 avec leur mari \u00e0 cause de ce qui est arriv\u00e9 aux autres femmes dans le pays. Il ne parle pas de celles qui sont abandonn\u00e9es par leur conjoint lorsqu\u2019il apprend ce qui s\u2019est pass\u00e9. Il ne dit pas combien de femmes ont \u00e9t\u00e9 infect\u00e9es ainsi par le VIH ou souffrent de probl\u00e8mes thyro\u00efdiens pour le reste de leur vie \u2014 ainsi que l\u2019ont souvent constat\u00e9 les m\u00e9decins face aux victimes de viols en temps de guerre, et ce ne sont pas les seuls troubles physiques. Les violences sexuelles peuvent avoir un impact sur la sant\u00e9 de la victime pour la vie enti\u00e8re.<\/p>\n\n\n\n

Les violences sexuelles peuvent avoir un impact sur la sant\u00e9 de la victime pour la vie enti\u00e8re.<\/p>Sofi Oksanen<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

Les viols sont d\u2019autant plus difficiles \u00e0 chiffrer que les femmes ne sont pas toujours en mesure de dire combien de fois l\u2019acte a \u00e9t\u00e9 commis, combien \u00e9taient les agresseurs. Les violeurs peuvent \u00eatre si nombreux qu\u2019elles perdent la facult\u00e9 de compter. Les actes peuvent s\u2019encha\u00eener pendant des jours, des semaines, des mois, des ann\u00e9es. Les victimes ne sont pas forc\u00e9ment conscientes, elles peuvent \u00eatre drogu\u00e9es ou enferm\u00e9es dans une cave. Elles peuvent avoir la t\u00eate dans un sac ou sous une capuche. Malgr\u00e9 cela, les chercheurs, les autorit\u00e9s et les journalistes veulent conna\u00eetre les chiffres. Toujours. L\u2019avocate en droits humains et prix Nobel Oleksandra Matvi\u00eftchouk documente les crimes de guerre dans le cadre de son travail. Pourtant, elle ne se demande pas de quel article de loi rel\u00e8ve quel crime : \u00ab Ce que nous documentons, c\u2019est la douleur des gens. \u00bb<\/p>\n\n\n\n

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Victor Hugo (1802-1885),La ville morte<\/em>, Plume et lavis d’encre brune. Paris, maison de Victor Hugo.<\/figcaption>\n <\/a>\n<\/figure>\n\n\n

Je ne minimise pas l\u2019importance des chiffres, mais il y en aurait d\u2019autres \u00e0 mesurer : combien d\u2019ann\u00e9es ou de d\u00e9cennies la victime a perdues avant d\u2019arriver \u00e0 ne plus repenser \u00e0 ce qui s\u2019\u00e9tait pass\u00e9. Combien de jours, de semaines, d\u2019ann\u00e9es, de d\u00e9cennies elle a perdus avant de pouvoir se livrer \u00e0 des relations intimes sans repenser \u00e0 ce qui lui \u00e9tait arriv\u00e9. Combien d\u2019ann\u00e9es ou de d\u00e9cennies il faut pour que les corps gu\u00e9rissent… et les \u00e2mes. On pourrait poser les m\u00eames questions aux proches, aux parents, conjoints et enfants, \u00e0 tous ceux qui ont assist\u00e9 \u00e0 ces crimes ou qui ont \u00e9t\u00e9 contraints d\u2019y participer d\u2019une mani\u00e8re ou d\u2019une autre. Peut-\u00eatre l\u2019habitude de compter les soldats tomb\u00e9s ou bless\u00e9s a-t-elle fait du nombre de cadavres et de membres amput\u00e9s une valeur par d\u00e9faut, si bien que l\u2019on n\u2019a pas \u00e9prouv\u00e9 le besoin d\u2019\u00e9laborer un autre indicateur pour \u00e9valuer les dommages caus\u00e9s par la guerre. Peut-\u00eatre les quantit\u00e9s d\u2019armes et de munitions recens\u00e9es aux actualit\u00e9s sont-elles devenues la seule jauge. Les viols laissent rarement des cadavres \u00e0 d\u00e9nombrer. Rares aussi sont ceux qu\u2019il est possible de mentionner aux nouvelles en temps r\u00e9el. Peut-\u00eatre cela explique-t-il que l\u2019\u00e9tude des cons\u00e9quences \u00e0 long terme des crimes sexuels n\u2019en soit qu\u2019\u00e0 ses premiers balbutiements. Peut-\u00eatre n\u2019a-t-on pas jug\u00e9 n\u00e9cessaire de financer la recherche car on estime que cela ne \u00ab nous \u00bb concerne pas vraiment, ne \u00ab nous \u00bb concerne plus \u2014 \u00ab nous \u00bb, c\u2019est-\u00e0-dire le monde occidental blanc.<\/p>\n\n\n\n

Peut-\u00eatre les quantit\u00e9s d\u2019armes et de munitions recens\u00e9es aux actualit\u00e9s sont-elles devenues la seule jauge. Les viols laissent rarement des cadavres \u00e0 d\u00e9nombrer.<\/p>Sofi Oksanen<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

Le silence des victimes est compr\u00e9hensible. Les prisonniers de guerre ukrainiens lib\u00e9r\u00e9s peuvent craindre des repr\u00e9sailles sur leurs proches ou sur leurs camarades encore d\u00e9tenus. Dans une interview au Toronto Star<\/em>, l\u2019offici\u00e8re ukrainienne Ioulia Gorochanska a rapport\u00e9 ce que les repr\u00e9sentants de la Russie lui avaient dit \u00e0 l\u2019issue de sa d\u00e9tention : \u00ab Si je r\u00e9v\u00e9lais la v\u00e9rit\u00e9 sur ce qui s\u2019\u00e9tait pass\u00e9, ils iraient mettre la main sur tous ceux que j\u2019aime. \u00bb Malgr\u00e9 cela, Gorochanska encourage les autres \u00e0 raconter ce qu\u2019ils ont v\u00e9cu. D\u2019autre part, favoriser une atmosph\u00e8re de discussion exempte de reproches et de menaces est un devoir qui nous incombe, de m\u00eame que veiller \u00e0 ce que les exp\u00e9riences des femmes figurent dans les d\u00e9bats sur la Russie et dans les prises de d\u00e9cision. C\u2019est seulement en traitant la question publiquement, en engageant des moyens pour enqu\u00eater sur les crimes et en ne perdant pas le sujet de vue que nous montrerons aux victimes que nous ne sommes pas indiff\u00e9rents \u00e0 ce qu\u2019elles ont subi. Que leurs histoires sont importantes. Que la Russie n\u2019atteindra pas son but en s\u2019armant de tout le spectre des violences sexuelles. Que l\u2019agresseur n\u2019obtiendra pas le silence escompt\u00e9.<\/p>\n\n\n\n

Du point de vue de l\u2019Ukraine, la condamnation de la Russie pour ses crimes de guerre est une condition sine qua non <\/em>aux n\u00e9gociations de paix. Parmi eux, la violence sexuelle est le plus n\u00e9glig\u00e9, historiquement sous-estim\u00e9. Il est donc \u00e0 craindre que ces crimes-l\u00e0 soient rel\u00e9gu\u00e9s en arri\u00e8re-plan. Jusqu\u2019\u00e0 l\u2019\u00e9t\u00e9 2023, on a beaucoup parl\u00e9 de n\u00e9gociations de paix, mais la participation des femmes et les \u00e9preuves qu\u2019elles ont subies n\u2019ont pas \u00e9t\u00e9 sp\u00e9cialement \u00e9voqu\u00e9es.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"

En Ukraine, le viol est devenu une arme de guerre. Pourtant, il est rel\u00e9gu\u00e9 \u00e0 l’arri\u00e8re-plan des nombreux crimes de ce conflit. Comment faire pour que l\u2019agresseur n’obtienne pas le silence escompt\u00e9  ?<\/p>\n

Une pi\u00e8ce de doctrine essentielle \u2014 sign\u00e9e Sofi Oksanen.<\/p>\n","protected":false},"author":10,"featured_media":220061,"comment_status":"closed","ping_status":"closed","sticky":false,"template":"templates\/post-editorials.php","format":"standard","meta":{"_acf_changed":false,"_trash_the_other_posts":false,"footnotes":""},"categories":[1733,3712],"tags":[],"geo":[1917],"class_list":["post-220052","post","type-post","status-publish","format-standard","hentry","category-genre","category-ukraine-la-guerre-deux-ans-apres","staff-sofi-oksanen","geo-europe"],"acf":[],"yoast_head":"\nLa guerre de Poutine contre les femmes | Le Grand Continent<\/title>\n<meta name=\"robots\" content=\"index, follow, max-snippet:-1, max-image-preview:large, max-video-preview:-1\" \/>\n<link rel=\"canonical\" href=\"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2024\/02\/25\/la-guerre-de-poutine-contre-les-femmes-x\/\" \/>\n<meta property=\"og:locale\" content=\"fr_FR\" \/>\n<meta property=\"og:type\" content=\"article\" \/>\n<meta property=\"og:title\" content=\"La guerre de Poutine contre les femmes | Le Grand Continent\" \/>\n<meta property=\"og:description\" content=\"En Ukraine, le viol est devenu une arme de guerre. 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