{"id":219090,"date":"2024-02-19T11:54:08","date_gmt":"2024-02-19T10:54:08","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=219090"},"modified":"2024-02-19T12:24:27","modified_gmt":"2024-02-19T11:24:27","slug":"draghi-leurope-dans-les-fractures-de-la-mondialisation-x","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2024\/02\/19\/draghi-leurope-dans-les-fractures-de-la-mondialisation-x\/","title":{"rendered":"Draghi : l\u2019Europe dans les fractures de la mondialisation"},"content":{"rendered":"\n
Nous publions en int\u00e9gralit\u00e9 le discours prononc\u00e9 par Mario Draghi<\/a> le 15 f\u00e9vrier dernier, lors de l\u2019\u00e9dition 2024 de la Policy Conference de la National Association for Business Economics \u00e0 Washington. L\u2019ancien banquier central europ\u00e9en y d\u00e9ploie une th\u00e8se en deux temps : 1\u00b0) le paradigme de la mondialisation \u00e9conomique s\u2019est totalement transform\u00e9 et nous vivons encore au milieu de cette transformation ; 2\u00b0) dans l\u2019interr\u00e8gne, la politique \u00e9conomique devra plus compter sur les mesures budg\u00e9taires que sur les mesures mon\u00e9taires.\u00a0<\/p>\n\n\n\n Face aux transitions, les d\u00e9mocraties doivent revenir \u00e0 leur vocation fondamentale : prot\u00e9ger les citoyens des effets \u00e9conomiques sur leurs vies caus\u00e9s par les chocs externes \u2014 de la g\u00e9opolitique au climat<\/a>. Le plus urgent de ces effets est l\u2019inflation. Pour y faire face, Draghi d\u00e9veloppe une approche originale fond\u00e9e sur l\u2019articulation entre politique mon\u00e9taire et politique budg\u00e9taire et sur la coop\u00e9ration entre agences : \u00ab Dans les ann\u00e9es \u00e0 venir, la politique mon\u00e9taire sera confront\u00e9e \u00e0 un environnement difficile, dans lequel elle devra plus que jamais faire la distinction entre l\u2019inflation temporaire et l\u2019inflation permanente, entre les pouss\u00e9es de croissance des salaires et les spirales auto-r\u00e9alisatrices, et entre les cons\u00e9quences inflationnistes de bonnes ou de mauvaises d\u00e9penses publiques. \u00bb<\/p>\n\n\n\n Il n’y a pas si longtemps encore, tous les gouvernements attendaient beaucoup de la mondialisation \u2014 entendue comme l\u2019instrument d\u2019int\u00e9gration dynamique de l’\u00e9conomie mondiale.<\/p>\n\n\n\n On pensait que la mondialisation augmenterait la croissance et la prosp\u00e9rit\u00e9 mondiales gr\u00e2ce \u00e0 une organisation plus efficace des ressources de la plan\u00e8te. Les pays devenant plus riches, plus ouverts et plus orient\u00e9s vers le march\u00e9, les valeurs d\u00e9mocratiques se r\u00e9pandraient, de m\u00eame que l’\u00c9tat de droit. Tout cela aurait rendu les \u00e9conomies \u00e9mergentes plus productives au sein des institutions multilat\u00e9rales, l\u00e9gitimant ainsi davantage l’ordre mondial.<\/p>\n\n\n\n L’\u00e9tat d’esprit qui pr\u00e9vaut a \u00e9t\u00e9 bien saisi par George H. W. Bush en 1991, lorsqu’il a d\u00e9clar\u00e9 \u00ab qu\u2019aucune nation sur Terre n’a encore d\u00e9couvert le moyen d’importer des biens et services du monde entier tout en arr\u00eatant les id\u00e9es \u00e0 la fronti\u00e8re \u00bb.<\/p>\n\n\n\n Ce cercle vertueux aurait \u00e9galement conduit \u00e0 une \u00ab \u00e9galit\u00e9 par d\u00e9faut \u00bb, au sens o\u00f9 aucune politique gouvernementale sp\u00e9cifique n\u2019aurait \u00e9t\u00e9 n\u00e9cessaire pour y parvenir. Il se serait plut\u00f4t agi d’une convergence harmonieuse vers des niveaux de vie plus \u00e9lev\u00e9s, des valeurs universelles et un \u00c9tat de droit international. <\/p>\n\n\n\n Il ne fait aucun doute que certaines de ces attentes se sont concr\u00e9tis\u00e9es.<\/p>\n\n\n\n L’ouverture des march\u00e9s mondiaux a permis \u00e0 des dizaines de pays d’entrer dans l’\u00e9conomie mondiale et \u00e0 des millions de personnes de sortir de la pauvret\u00e9 \u2014 800 millions rien qu’en Chine au cours des 40 derni\u00e8res ann\u00e9es. Elle a g\u00e9n\u00e9r\u00e9 l’am\u00e9lioration la plus importante et la plus rapide de la qualit\u00e9 de vie jamais observ\u00e9e dans l’histoire.<\/p>\n\n\n\n Mais notre mod\u00e8le de mondialisation comportait aussi une faiblesse fondamentale.<\/p>\n\n\n\n La persistance du libre-\u00e9change entre les pays n\u00e9cessite des r\u00e8gles internationales et un mode de r\u00e8glement des diff\u00e9rends accept\u00e9 par tous les pays participants. Or dans ce nouveau monde globalis\u00e9, l’engagement de certains grands partenaires commerciaux \u00e0 respecter les r\u00e8gles \u00e9tait ambigu d\u00e8s le d\u00e9part. Contrairement au march\u00e9 unique de l’Union, o\u00f9 le respect des r\u00e8gles est inh\u00e9rent et assur\u00e9 par la Cour europ\u00e9enne de justice, les organisations internationales cr\u00e9\u00e9es pour veiller \u00e0 l’\u00e9quit\u00e9 du commerce mondial n’ont jamais \u00e9t\u00e9 dot\u00e9es d’une ind\u00e9pendance et de pouvoirs \u00e9quivalents.<\/p>\n\n\n\n Ainsi, l’ordre commercial mondial globalis\u00e9 a toujours \u00e9t\u00e9 vuln\u00e9rable<\/a> face \u00e0 la situation dans laquelle un pays ou un groupe de pays d\u00e9cide que le respect des r\u00e8gles ne sert finalement pas ses int\u00e9r\u00eats \u00e0 court terme.<\/p>\n\n\n\n Pour ne citer qu’un exemple, au cours des 15 premi\u00e8res ann\u00e9es de son adh\u00e9sion \u00e0 l’Organisation mondiale du commerce (OMC), la Chine n’a notifi\u00e9 \u00e0 l’OMC aucune subvention du gouvernement d\u00e9centralis\u00e9, bien que la plupart des subventions soient accord\u00e9es par les gouvernements provinciaux et locaux. Cet \u00e9chec \u00e9tait connu depuis des ann\u00e9es : d\u00e8s 2003, il a \u00e9t\u00e9 not\u00e9 que les efforts de mise en \u0153uvre des r\u00e8gles de l\u2019OMC par la Chine avaient \u00ab perdu un \u00e9lan consid\u00e9rable \u00bb. Mais l’indiff\u00e9rence a pr\u00e9valu \u2014 et rien de concret n’a \u00e9t\u00e9 fait pour y rem\u00e9dier.<\/p>\n\n\n\n Les cons\u00e9quences de ce manque de conformit\u00e9 aux r\u00e8gles communes ont \u00e9t\u00e9 \u00e9conomiques, sociales et politiques.<\/p>\n\n\n\n La mondialisation a entra\u00een\u00e9 d’importants d\u00e9s\u00e9quilibres commerciaux et les d\u00e9cideurs politiques ont \u00e9t\u00e9 lents \u00e0 en reconna\u00eetre les cons\u00e9quences. Ces d\u00e9s\u00e9quilibres sont dus en partie au fait que l’ouverture des \u00e9changes s’est faite entre des pays ayant des niveaux de d\u00e9veloppement tr\u00e8s diff\u00e9rents, ce qui a limit\u00e9 la capacit\u00e9 des pays pauvres \u00e0 absorber les importations des pays riches et les a incit\u00e9s \u00e0 prot\u00e9ger les industries nationales naissantes de la concurrence \u00e9trang\u00e8re.<\/p>\n\n\n\n Mais elles refl\u00e8tent \u00e9galement des choix politiques d\u00e9lib\u00e9r\u00e9s dans de nombreuses r\u00e9gions du monde pour accumuler des exc\u00e9dents commerciaux et limiter l’ajustement du march\u00e9. Apr\u00e8s la crise de 1997, les \u00e9conomies d’Asie orientale ont utilis\u00e9 les exc\u00e9dents commerciaux pour accumuler d’importantes r\u00e9serves de change et s’auto-assurer contre les chocs de la balance des paiements, principalement en emp\u00eachant l’appr\u00e9ciation du taux de change, tandis que la Chine a poursuivi une strat\u00e9gie d\u00e9lib\u00e9r\u00e9e \u00e0 long terme pour se lib\u00e9rer de sa d\u00e9pendance \u00e0 l’\u00e9gard de l’Occident en mati\u00e8re de biens d’\u00e9quipement et de technologie.<\/p>\n\n\n\n Apr\u00e8s la crise de la zone euro de 2011, l’Europe a \u00e9galement poursuivi une politique d’accumulation d\u00e9lib\u00e9r\u00e9e d’exc\u00e9dents de la balance courante \u2014 m\u00eame si, dans ce cas, elle l\u2019a fait par le biais de politiques budg\u00e9taires pro-cycliques malavis\u00e9es inscrites dans nos r\u00e8gles qui ont d\u00e9prim\u00e9 la demande int\u00e9rieure et les co\u00fbts de la main-d’\u0153uvre. Dans une situation o\u00f9 les m\u00e9canismes de solidarit\u00e9 de l’Union \u00e9taient limit\u00e9s, cette position aurait encore pu \u00eatre compr\u00e9hensible pour les pays d\u00e9pendant d’un financement ext\u00e9rieur. Mais m\u00eame ceux qui b\u00e9n\u00e9ficiaient d’une position ext\u00e9rieure forte, comme l’Allemagne, ont suivi cette tendance. Gr\u00e2ce \u00e0 ces politiques, le compte courant de la zone euro est pass\u00e9 d’un \u00e9quilibre substantiel avant la crise \u00e0 un pic de plus de 3 % du PIB en 2017. \u00c0 ce moment-l\u00e0, il s’agissait, en termes absolus, de l’exc\u00e9dent de la balance courante le plus important au monde. En pourcentage du PIB mondial, seuls la Chine en 2007-2008 et le Japon en 1986 ont enregistr\u00e9 des exc\u00e9dents plus importants.<\/p>\n\n\n\n L’accumulation des exc\u00e9dents a conduit \u00e0 une augmentation de l’\u00e9pargne exc\u00e9dentaire mondiale et \u00e0 une baisse des taux r\u00e9els mondiaux<\/a>, un ph\u00e9nom\u00e8ne relev\u00e9 par Ben Bernanke d\u00e8s 2005. Or cette tendance ne s’est pas accompagn\u00e9e d’une augmentation de la demande d’investissement. L’investissement public a chut\u00e9 de pr\u00e8s de deux points de pourcentage dans les pays du G7 entre les ann\u00e9es 1990 et 2010, tandis que l’investissement du secteur priv\u00e9 s’est arr\u00eat\u00e9 lorsque les entreprises se sont d\u00e9sendett\u00e9es apr\u00e8s la grande crise financi\u00e8re.<\/p>\n\n\n\n Cette baisse des taux r\u00e9els a largement contribu\u00e9 aux d\u00e9fis auxquels la politique mon\u00e9taire a \u00e9t\u00e9 confront\u00e9e dans les ann\u00e9es 2010, lorsque les taux d’int\u00e9r\u00eat nominaux ont \u00e9t\u00e9 comprim\u00e9s jusqu’\u00e0 la limite inf\u00e9rieure. La politique mon\u00e9taire est rest\u00e9e capable de cr\u00e9er de l’emploi gr\u00e2ce \u00e0 des mesures non conventionnelles et a produit de meilleurs r\u00e9sultats que ce \u00e0 quoi beaucoup s’attendaient. Mais ces mesures n’ont pas suffi \u00e0 \u00e9liminer compl\u00e8tement le ralentissement du march\u00e9 du travail. Les cons\u00e9quences sociales se sont manifest\u00e9es par une perte historique du pouvoir de n\u00e9gociation dans les \u00e9conomies avanc\u00e9es \u2014 les emplois \u00e9tant d\u00e9plac\u00e9s par les d\u00e9localisations et les revendications salariales contenues par la menace de d\u00e9localisation. Dans les \u00e9conomies du G7, les exportations et importations totales de biens ont augment\u00e9 d’environ 9 % entre le d\u00e9but des ann\u00e9es 1980 et la grande crise financi\u00e8re, tandis que la part du revenu du travail a diminu\u00e9 d’environ 6 % au cours de cette p\u00e9riode. Il s’agit de la baisse la plus importante depuis que les donn\u00e9es relatives \u00e0 ces \u00e9conomies ont commenc\u00e9 \u00e0 \u00eatre collect\u00e9es en 1950.<\/p>\n\n\n\n Des cons\u00e9quences politiques s’en sont, \u00e9videmment, suivies. Face \u00e0 l’atonie des march\u00e9s du travail, \u00e0 la baisse des investissements publics, \u00e0 la diminution de la part de la main-d’\u0153uvre et \u00e0 la d\u00e9localisation des emplois, de larges pans de l’opinion publique des pays occidentaux se sont sentis, \u00e0 juste titre, \u00ab laiss\u00e9s pour compte \u00bb par la mondialisation.<\/p>\n\n\n\n En cons\u00e9quence, contrairement aux attentes initiales, la mondialisation a non seulement \u00e9chou\u00e9 \u00e0 diffuser les valeurs lib\u00e9rales, car la d\u00e9mocratie et la libert\u00e9 ne voyagent pas n\u00e9cessairement avec les biens et les services, mais elle les a \u00e9galement affaiblies dans les pays qui en \u00e9taient les plus fervents d\u00e9fenseurs, alimentant au contraire la mont\u00e9e de forces repli\u00e9es sur elles-m\u00eames<\/a>. L’opinion publique occidentale a fini par consid\u00e9rer que les citoyens ordinaires participaient \u00e0 un jeu imparfait, qui avait entra\u00een\u00e9 la perte de millions d’emplois, tandis que les gouvernements et les entreprises restaient indiff\u00e9rents.<\/p>\n\n\n\n Au lieu des canons traditionnels de l’efficacit\u00e9 et de l’optimisation des co\u00fbts, les gens ont voulu une r\u00e9partition plus \u00e9quitable des b\u00e9n\u00e9fices de la mondialisation et une plus grande attention \u00e0 la s\u00e9curit\u00e9 \u00e9conomique<\/a>. Pour atteindre ces r\u00e9sultats, on s’attendait \u00e0 un recours plus actif \u00e0 \u00ab l\u2019art de gouverner \u00bb \u2014 qu’il s’agisse de politiques commerciales affirm\u00e9es, de protectionnisme ou de redistribution.<\/p>\n\n\n\n Une s\u00e9rie d’\u00e9v\u00e9nements a par la suite renforc\u00e9 cette tendance. <\/p>\n\n\n\n Tout d’abord, la pand\u00e9mie a mis en \u00e9vidence les risques li\u00e9s \u00e0 l’extension des cha\u00eenes d’approvisionnement mondiales pour des biens essentiels tels que les produits pharmaceutiques et les semi-conducteurs. Cette prise de conscience a conduit de nombreuses \u00e9conomies occidentales \u00e0 relocaliser des industries strat\u00e9giques et \u00e0 rapprocher les cha\u00eenes d’approvisionnement essentielles. La guerre d’agression en Ukraine nous a ensuite amen\u00e9s \u00e0 r\u00e9examiner non seulement o\u00f9 nous achetons des marchandises, mais aussi aupr\u00e8s de qui. Elle a mis en \u00e9vidence les dangers d’une d\u00e9pendance excessive \u00e0 l’\u00e9gard de partenaires commerciaux importants et peu fiables qui menacent nos valeurs. Aujourd’hui, nous constatons partout que la s\u00e9curit\u00e9 de l’approvisionnement \u2014 en \u00e9nergie, en terres rares et en m\u00e9taux \u2014 occupe une place de plus en plus importante dans l’agenda politique. Cette \u00e9volution se traduit par l’\u00e9mergence de blocs de nations largement d\u00e9finis par leurs valeurs communes et entra\u00eene d\u00e9j\u00e0 des changements significatifs dans les sch\u00e9mas de commerce et d’investissement mondiaux. Depuis l’invasion de l’Ukraine, par exemple, le commerce entre alli\u00e9s g\u00e9opolitiques a augment\u00e9 de 4 \u00e0 6 % de plus que le commerce avec les adversaires g\u00e9opolitiques. La part des investissements directs \u00e9trangers r\u00e9alis\u00e9s entre les pays g\u00e9opolitiquement align\u00e9s est \u00e9galement en augmentation.<\/p>\n\n\n\n Entre-temps, l’urgence de la lutte contre le changement climatique s’est accrue. Atteindre le net z\u00e9ro dans un d\u00e9lai de plus en plus court n\u00e9cessite des approches politiques radicales dans lesquelles la signification du commerce durable est red\u00e9finie. L\u2019<\/em>Inflation Reduction Act<\/em> am\u00e9ricain<\/a> et, \u00e0 l’avenir, le m\u00e9canisme d’ajustement frontalier pour le carbone de l’Union europ\u00e9enne donnent tous deux la priorit\u00e9 aux objectifs de s\u00e9curit\u00e9 climatique sur ce qui \u00e9tait auparavant consid\u00e9r\u00e9 comme des effets de distorsion des \u00e9changes.<\/p>\n\n\n\n Cette p\u00e9riode de profonds changements dans l’ordre \u00e9conomique mondial<\/a> entra\u00eene des d\u00e9fis tout aussi profonds pour la politique \u00e9conomique.<\/p>\n\n\n\n Tout d’abord, elle modifiera la nature des chocs auxquels nos \u00e9conomies sont expos\u00e9es. Au cours des trois derni\u00e8res d\u00e9cennies, les principales sources de perturbation de la croissance ont \u00e9t\u00e9 les chocs de demande, souvent sous la forme de cycles de cr\u00e9dit. La mondialisation a provoqu\u00e9 un flux constant de chocs positifs au niveau de l’offre, notamment en ajoutant chaque ann\u00e9e des dizaines de millions de travailleurs au secteur des entreprises des \u00e9conomies \u00e9mergentes. Mais ces changements ont \u00e9t\u00e9 le plus souvent harmonieux et continus.<\/p>\n\n\n\n Aujourd’hui, alors que la Chine remonte dans la cha\u00eene de valeur, elle ne sera pas remplac\u00e9e par un autre exportateur du march\u00e9 du travail mondial. Au contraire, des chocs d’offre n\u00e9gatifs plus fr\u00e9quents, plus graves et m\u00eame plus importants sont susceptibles de se produire \u00e0 mesure que nos \u00e9conomies s’adaptent \u00e0 ce nouvel environnement.<\/p>\n\n\n\n Ces chocs risquent d\u2019aggraver non seulement les nouvelles frictions dans l’\u00e9conomie mondiale \u2014 telles que les conflits g\u00e9opolitiques ou les catastrophes naturelles \u2014 mais plus encore notre r\u00e9ponse politique pour att\u00e9nuer ces frictions. Pour restructurer les cha\u00eenes d’approvisionnement et d\u00e9carboner nos \u00e9conomies, nous devons investir des sommes consid\u00e9rables dans un d\u00e9lai relativement court, avec le risque que le capital soit d\u00e9truit plus vite qu’il ne peut \u00eatre remplac\u00e9.<\/p>\n\n\n\n Dans de nombreux cas, nous investissons non pas tant pour augmenter le stock de capital que pour remplacer le capital rendu obsol\u00e8te par un monde en mutation. <\/p>\n\n\n\n Pour illustrer ce point, on peut prendre l’exemple des terminaux GNL construits en Europe au cours des deux derni\u00e8res ann\u00e9es<\/a> pour att\u00e9nuer la d\u00e9pendance excessive \u00e0 l’\u00e9gard du gaz russe. Ces investissements ne sont pas destin\u00e9s \u00e0 accro\u00eetre le flux d’\u00e9nergie dans l’\u00e9conomie, mais plut\u00f4t \u00e0 le maintenir.<\/p>\n\n\n\n Les investissements dans la d\u00e9carbonation et les cha\u00eenes d’approvisionnement devraient accro\u00eetre la productivit\u00e9 \u00e0 long terme, surtout s’ils conduisent \u00e0 une adoption accrue des technologies. <\/p>\n\n\n\n Le deuxi\u00e8me changement clef dans le paysage macro\u00e9conomique est que la politique budg\u00e9taire sera appel\u00e9e \u00e0 jouer un r\u00f4le plus important, ce qui signifie \u2014 je m’y attends \u2014 des d\u00e9ficits publics toujours plus \u00e9lev\u00e9s. Le r\u00f4le de la politique budg\u00e9taire est classiquement divis\u00e9 en trois : allocation, distribution et stabilisation. Sur ces trois fronts, les exigences en mati\u00e8re de d\u00e9penses publiques sont susceptibles d’augmenter.<\/p>\n\n\n\n La politique budg\u00e9taire aura tendance \u00e0 augmenter les investissements publics pour r\u00e9pondre aux nouveaux besoins d’investissement. Les gouvernements devront s’attaquer aux in\u00e9galit\u00e9s de richesse et de revenu. Dans un monde de chocs d’offre, cette politique devra probablement jouer un r\u00f4le stabilisateur plus important, un r\u00f4le que nous avions auparavant attribu\u00e9 principalement \u00e0 la politique mon\u00e9taire.<\/p>\n\n\n\n Or nous avons assign\u00e9 ce r\u00f4le \u00e0 la politique mon\u00e9taire pr\u00e9cis\u00e9ment parce que nous \u00e9tions confront\u00e9s \u00e0 des chocs de demande que les banques centrales peuvent g\u00e9rer. Mais un monde de chocs d’offres rend la stabilisation mon\u00e9taire bien plus difficile. Les d\u00e9lais de cette politique sont g\u00e9n\u00e9ralement trop longs pour freiner l’inflation induite par l’offre ou pour compenser la contraction \u00e9conomique qui en r\u00e9sulte \u2014 ce qui signifie que la politique mon\u00e9taire peut au mieux se concentrer sur la limitation des effets secondaires.<\/p>\n\n\n\n Par cons\u00e9quent, la politique budg\u00e9taire sera naturellement appel\u00e9e \u00e0 jouer un r\u00f4le plus important dans la stabilisation de l’\u00e9conomie en ce qu\u2019elle sera plus \u00e0 m\u00eame d\u2019amortir les effets des chocs d’offre sur le PIB, avec un d\u00e9lai de transmission plus court. Nous l’avons d\u00e9j\u00e0 constat\u00e9 lors du choc \u00e9nerg\u00e9tique en Europe, o\u00f9 les subventions ont permis aux m\u00e9nages de compenser environ un tiers de leur perte de bien-\u00eatre \u2014 dans certains pays de l’Union, comme l’Italie, elles ont compens\u00e9 jusqu’\u00e0 90 % de la perte de pouvoir d’achat des m\u00e9nages les plus pauvres.<\/p>\n\n\n\n Dans l’ensemble, ces changements laissent pr\u00e9sager une croissance potentielle plus faible \u00e0 mesure que les processus d’ajustement se d\u00e9roulent et des perspectives d’inflation plus volatiles, avec de nouvelles pressions \u00e0 la hausse dues aux transitions \u00e9conomiques et \u00e0 la persistance des d\u00e9ficits budg\u00e9taires. <\/p>\n\n\n\n Nous assistons \u00e0 un troisi\u00e8me changement : si nous entrons dans une \u00e8re de plus grande rivalit\u00e9 g\u00e9opolitique et de relations \u00e9conomiques internationales plus transactionnelles, les mod\u00e8les \u00e9conomiques bas\u00e9s sur d’importants exc\u00e9dents commerciaux pourraient ne plus \u00eatre politiquement viables. Les pays qui veulent continuer \u00e0 exporter des biens devront peut-\u00eatre se montrer plus dispos\u00e9s \u00e0 importer d’autres biens ou services pour gagner ce droit, faute de quoi les mesures de r\u00e9torsion se multiplieront.<\/p>\n\n\n\n Ce changement dans les relations internationales affectera l’offre mondiale d’\u00e9pargne, qui devra \u00eatre r\u00e9affect\u00e9e \u00e0 l’investissement int\u00e9rieur ou r\u00e9duite par une baisse du PIB. Dans un cas comme dans l’autre, la pression \u00e0 la baisse sur les taux r\u00e9els mondiaux qui a caract\u00e9ris\u00e9 la majeure partie de l’\u00e8re de la mondialisation devrait s’inverser.<\/p>\n\n\n\n Ces changements ont des cons\u00e9quences encore tr\u00e8s incertaines pour nos \u00e9conomies. L’architecture de nos politiques macro\u00e9conomiques est l’un des domaines susceptibles de changer<\/a>.<\/p>\n\n\n\n