{"id":215598,"date":"2024-01-18T16:23:30","date_gmt":"2024-01-18T15:23:30","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=215598"},"modified":"2024-01-18T17:28:28","modified_gmt":"2024-01-18T16:28:28","slug":"milei-a-davos-le-discours-integral","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2024\/01\/18\/milei-a-davos-le-discours-integral\/","title":{"rendered":"Milei \u00e0 Davos : le discours int\u00e9gral"},"content":{"rendered":"\n

C\u2019est vers la Suisse que le pr\u00e9sident argentin Javier Milei a entrepris son premier voyage \u00e0 l’\u00e9tranger depuis son entr\u00e9e en fonction le 10 d\u00e9cembre. Il atterrit \u00e0 Davos apr\u00e8s avoir lanc\u00e9 un m\u00e9ga-d\u00e9cret qui r\u00e9forme ou abroge plus de 300 lois et menace de supprimer l’\u00c9tat \u2014 et transmis au Congr\u00e8s une \u00ab loi omnibus \u00bb tout aussi ambitieuse. Avec peu de pouvoir institutionnel et une faible pr\u00e9sence parlementaire, le pr\u00e9sident lib\u00e9ral-libertarien cherche \u00e0 utiliser son capital \u00e9lectoral \u2014 il a gagn\u00e9 avec plus de 55 % des voix \u2014 pour faire passer un programme de lib\u00e9ralisation \u00e9conomique radicale. Ce radicalisme d\u00e9coule non seulement de ses id\u00e9es maximalistes, mais aussi du bilan de l’\u00e8re Macri : tant l’ancien pr\u00e9sident Mauricio Macri que Milei affirment que l’\u00e9chec du gouvernement Macri (2015-2019) serait d\u00fb au \u00ab gradualisme \u00bb. Une grande partie des mesures r\u00e9dig\u00e9es par l’\u00e9conomiste Federico Sturzenegger, qui sont \u00e0 la base des r\u00e9formes de Milei, \u00e9taient en effet destin\u00e9es \u00e0 la candidate de droite Patricia Bullrich, qui est finalement arriv\u00e9e en troisi\u00e8me position. Si le gouvernement actuel est donc le premier de Milei, il est aussi, en partie, le second de Macri, compte tenu de la pr\u00e9sence de personnalit\u00e9s du parti de l’ancien pr\u00e9sident dans cette administration. Mais au-del\u00e0 de ces \u00e9l\u00e9ments de continuit\u00e9, il existe une dimension messianique chez Milei<\/a> \u2014 qui \u00e9voque souvent des \u00ab forces du ciel \u00bb qui le soutiendraient dans sa mission de refondation et de lib\u00e9ration. Celle-ci inclut le fantasme de refonder le pays par d\u00e9crets, qui rencontrera des r\u00e9sistances, m\u00eame si, pour l’instant, le pr\u00e9sident b\u00e9n\u00e9ficie des divisions de l’opposition et du pragmatisme d’un secteur centriste pr\u00eat \u00e0 n\u00e9gocier une partie de ses r\u00e9formes.<\/p>\n\n\n\n

Juste avant son intervention, le pr\u00e9sident du Forum \u00e9conomique mondial, Klaus Schwab, a pr\u00e9sent\u00e9 Milei au panel pr\u00e9sent \u00e0 Davos en disant qu’il s’agissait d’une personne extraordinaire \u2014 peut-\u00eatre beaucoup moins radicale qu’on ne le pense \u2014 qui cherchait \u00e0 remettre l’Argentine sur la voie de l’\u00c9tat de droit. Le pr\u00e9sident argentin encha\u00eene : il lit l’ensemble de son discours tr\u00e8s rapidement, sans quitter ses notes des yeux. Au fur et \u00e0 mesure de sa lecture, le public se tend. \u00c0 la fin \u2014 \u00ab vive la libert\u00e9, putain ! \u00bb \u2014 les applaudissements ne sont pas tr\u00e8s nourris.<\/p>\n\n\n\n

Bonjour, merci beaucoup : je suis ici aujourd’hui pour vous dire que l’Occident est en danger. Il est en danger parce que ceux qui sont cens\u00e9s d\u00e9fendre les valeurs de l’Occident sont coopt\u00e9s par une vision du monde qui \u2014 inexorablement \u2014 conduit au socialisme, et par cons\u00e9quent \u00e0 la pauvret\u00e9. Malheureusement, au cours des derni\u00e8res d\u00e9cennies, motiv\u00e9s par certains d\u00e9sirs bienveillants d’aider les autres et d’autres par le d\u00e9sir d’appartenir \u00e0 une caste privil\u00e9gi\u00e9e, les principaux dirigeants du monde occidental ont abandonn\u00e9 le mod\u00e8le de la libert\u00e9 pour diff\u00e9rentes versions de ce que nous appelons le collectivisme. <\/p>\n\n\n\n

Milei insiste dans son discours sur plusieurs de ses habituels clich\u00e9s id\u00e9ologis\u00e9s \u00e0 outrance. Il est frappant de constater qu\u2019il n’y a absolument aucun \u00e9l\u00e9ment nouveau et qu\u2019il r\u00e9p\u00e8te m\u00eame, presque mot pour mot, un TED Talk <\/span>1<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Le pr\u00e9sident argentin reproduit un point de vue, typique de l’\u00e9cole \u00e9conomique autrichienne de Mises et Hayek, selon lequel toute r\u00e9glementation \u00e9tatique ne pr\u00e9senterait qu\u2019une diff\u00e9rence de degr\u00e9 par rapport au socialisme exp\u00e9riment\u00e9 dans le bloc communiste. Dans le m\u00eame temps, il se pose en d\u00e9fenseur d’un \u00ab Occident en crise \u00bb \u2014 dont les alli\u00e9s seraient les \u00c9tats-Unis et Isra\u00ebl \u2014 et \u00e9tend sa critique de la \u00ab caste politique \u00bb \u2014 pi\u00e8ce ma\u00eetresse de son discours de campagne \u2014 \u00e0 la sph\u00e8re mondiale, ou du moins occidentale. Sans exp\u00e9rience internationale pr\u00e9alable, Milei lit, avec une certaine h\u00e9sitation, un discours id\u00e9ologique abstrait, sans aborder aucun des d\u00e9fis du monde actuel comme il est g\u00e9n\u00e9ralement d\u2019usage \u00e0 Davos \u2014 qu’il s’agisse de l’\u00e9conomie, de la politique internationale ou de la gouvernance mondiale.<\/p>\n\n\n\n

Nous sommes ici pour vous dire que les exp\u00e9riences collectivistes ne sont jamais la solution aux probl\u00e8mes qui affligent les citoyens du monde, mais qu’elles en sont au contraire la cause. Croyez-moi, il n’y a personne de mieux plac\u00e9 que nous, Argentins, pour t\u00e9moigner de ces deux questions. Lorsque nous avons adopt\u00e9 le mod\u00e8le de la libert\u00e9 \u2014 en 1860 \u2014 nous sommes devenus en 35 ans la premi\u00e8re puissance mondiale, tandis que lorsque nous avons embrass\u00e9 le collectivisme, au cours des cent derni\u00e8res ann\u00e9es, nous avons vu comment nos citoyens ont commenc\u00e9 \u00e0 s’appauvrir syst\u00e9matiquement, jusqu’\u00e0 tomber au 140e rang mondial. Mais avant d’entamer cette discussion, il serait important, tout d’abord, d’examiner les donn\u00e9es qui montrent que non seulement le capitalisme de libre entreprise est un syst\u00e8me possible pour mettre fin \u00e0 la pauvret\u00e9 dans le monde, mais qu’il est aussi le seul syst\u00e8me moralement souhaitable pour y parvenir. <\/p>\n\n\n\n

Milei fait souvent appel \u00e0 des concepts tels que le \u00ab collectivisme \u00bb, que l’on retrouve chez les \u00e9conomistes autrichiens ou dans les essais et les romans de l’\u00e9crivaine russo-am\u00e9ricaine Ayn Rand ; le monde serait divis\u00e9 de mani\u00e8re binaire entre producteurs et pilleurs. Sur cette base, le pr\u00e9sident argentin a construit une vision d\u00e9cadente de l’histoire argentine. Comme le rappelle l’historienne Camila Perochena, pour Milei, \u00ab le tournant de cette d\u00e9cadence co\u00efncide avec la mise en \u0153uvre de la loi S\u00e1enz Pe\u00f1a, qui \u00e9tablit le suffrage universel, secret et obligatoire et conduit \u00e0 la participation active des \u00ab masses \u00bb dans l’ar\u00e8ne politique […]. Ce n’est pas la formule sur les maux des \u00ab 70 ans de p\u00e9ronisme \u00bb, r\u00e9p\u00e9t\u00e9e par l’espace politique de centre-droit dirig\u00e9 par Mauricio Macri, mais celle des \u00ab 100 ans de d\u00e9mocratie \u00bb. Pour le libertarien, la \u00ab caste \u00bb serait arriv\u00e9e au pouvoir par la main de la d\u00e9mocratie, bien qu’il ne le formule pas de mani\u00e8re explicite \u00bb. Milei n’est pas un d\u00e9mocrate. Il parle sans cesse de libert\u00e9, mais jamais de d\u00e9mocratie, qu’il associe \u00e0 la \u00ab caste \u00bb politique, \u00e0 la d\u00e9magogie et \u00e0 l’irrationalit\u00e9, \u00e0 l’instar des n\u00e9o-r\u00e9actionnaires am\u00e9ricains qui ont th\u00e9oris\u00e9 la n\u00e9cessit\u00e9 d’une sorte de n\u00e9o-monarchie comme base d’un capitalisme plus \u00ab libre \u00bb, plus innovant et plus efficace. Le discours officiel du \u00ab mileisme \u00bb est que la discussion parlementaire est une perte de temps face \u00e0 l’urgence de la crise.<\/p>\n\n\n\n

L’affirmation d\u00e9cadentiste selon laquelle l’Argentine aurait \u00e9t\u00e9 le pays le plus riche du monde se fonde sur des donn\u00e9es du Maddison Project, selon lesquelles l’Argentine \u00e9tait en t\u00eate de cet indicateur en 1895. Elles ont donn\u00e9 lieu \u00e0 diverses r\u00e9futations de la part d’historiens de l’\u00e9conomie. M\u00eame en admettant qu\u2019elles soient vraies, une puissance ne se r\u00e9sume pas \u00e0 l’importance de son PIB par habitant. Quoi qu’il en soit, Milei semble faire sienne la r\u00e9tro-utopie d’un retour \u00e0 l’Argentine du XIXe si\u00e8cle \u2014 un pays avec peu de droits et pas de suffrage universel \u2014 dans une sorte de variante trumpiste sur le th\u00e8me du \u00ab Make Argentina Great Again \u00bb.<\/p>\n\n\n\n

Si l’on regarde l’histoire du progr\u00e8s \u00e9conomique, on constate que, de l’an 1 \u00e0 l’an 1800 environ, le PIB mondial par habitant est rest\u00e9 pratiquement constant pendant toute la p\u00e9riode de r\u00e9f\u00e9rence. Si l’on regarde un graphique de l’\u00e9volution de la croissance \u00e9conomique au cours de l’histoire de l’humanit\u00e9, on obtient un graphique en forme de crosse de hockey, une fonction exponentielle, qui est rest\u00e9e constante pendant 90 % du temps et qui augmente de mani\u00e8re exponentielle \u00e0 partir du XIXe si\u00e8cle. La seule exception \u00e0 cette histoire de stagnation se situe \u00e0 la fin du XVe si\u00e8cle avec la d\u00e9couverte de l’Am\u00e9rique. Mais \u00e0 part cette exception, pendant toute la p\u00e9riode comprise entre l’an 1 et l’an 1800, le PIB mondial par habitant a stagn\u00e9. <\/p>\n\n\n\n

Or non seulement le capitalisme a g\u00e9n\u00e9r\u00e9 une explosion de richesses d\u00e8s son adoption en tant que syst\u00e8me \u00e9conomique, mais si l’on examine les donn\u00e9es, on constate que la croissance s’est acc\u00e9l\u00e9r\u00e9e tout au long de la p\u00e9riode. <\/p>\n\n\n\n

Pendant toute la p\u00e9riode comprise 1 et 1800, le taux de croissance du PIB par habitant est rest\u00e9 stable, autour de 0,02 % par an. \u00c0 partir du XIXe si\u00e8cle, avec la r\u00e9volution industrielle, le taux de croissance passe \u00e0 0,66 %. \u00c0 ce rythme, le doublement du PIB par habitant n\u00e9cessiterait 107 ann\u00e9es de croissance<\/p>\n\n\n\n

Maintenant, si l’on consid\u00e8re la p\u00e9riode entre 1900 et 1950, le taux de croissance s’acc\u00e9l\u00e8re pour atteindre 1,66 % par an. Et si nous prenons la p\u00e9riode entre 1950 et l’an 2000, nous constatons que le taux de croissance est de 2,1 % par an, ce qui signifie que nous pourrions doubler le PIB mondial par habitant en seulement 33 ans. Cette tendance, loin de s’arr\u00eater, est toujours d’actualit\u00e9. Si nous prenons la p\u00e9riode entre 2000 et 2023, le taux de croissance s’est encore acc\u00e9l\u00e9r\u00e9 pour atteindre 3 % par an, ce qui signifie que nous pourrions doubler notre PIB par habitant dans le monde en seulement 23 ans.<\/p>\n\n\n\n

Si l’on consid\u00e8re le PIB par habitant de 1800 \u00e0 nos jours, on constate qu’apr\u00e8s la r\u00e9volution industrielle, le PIB mondial par habitant a \u00e9t\u00e9 multipli\u00e9 par plus de 15 \u2014 g\u00e9n\u00e9rant une explosion de richesse qui a permis \u00e0 90 % de la population mondiale de sortir de la pauvret\u00e9. N’oublions jamais qu’en 1800, pr\u00e8s de 95 % de la population mondiale vivait dans une pauvret\u00e9 abjecte, alors que ce chiffre est tomb\u00e9 \u00e0 5 % en 2020, avant la pand\u00e9mie.<\/p>\n\n\n\n

La conclusion est \u00e9vidente : loin d’\u00eatre la cause de nos probl\u00e8mes, le capitalisme de libre entreprise en tant que syst\u00e8me \u00e9conomique est le seul outil dont nous disposons pour mettre fin \u00e0 la faim, \u00e0 la pauvret\u00e9 et \u00e0 la mis\u00e8re dans le monde. Les preuves empiriques sont incontestables. C’est pourquoi, parce qu’il ne fait aucun doute que le capitalisme de libre march\u00e9 est sup\u00e9rieur en termes de production, la doxa<\/em> de gauche a attaqu\u00e9 le capitalisme pour ses probl\u00e8mes de moralit\u00e9, parce qu’il est, disent ses d\u00e9tracteurs, injuste.<\/p>\n\n\n\n

Ils disent que le capitalisme est mauvais parce qu’il est individualiste et que le collectivisme est bon parce qu’il est altruiste, avec l’argent des autres, et qu’ils luttent donc pour la \u00ab justice sociale \u00bb. Mais ce concept, qui est devenu \u00e0 la mode dans le premier monde au cours de la derni\u00e8re d\u00e9cennie, est une constante du discours politique dans mon pays depuis plus de 80 ans. Le probl\u00e8me est que la justice sociale n’est pas seulement injuste, mais qu’elle ne contribue pas non plus au bien-\u00eatre g\u00e9n\u00e9ral. Au contraire, c’est une id\u00e9e intrins\u00e8quement<\/em> injuste, parce qu’elle est violente. Elle est injuste parce que l’\u00c9tat est financ\u00e9 par les imp\u00f4ts et que les imp\u00f4ts sont pr\u00e9lev\u00e9s de mani\u00e8re coercitive : est-ce que l’un d’entre nous peut dire qu’il paie des imp\u00f4ts volontairement ? Cela signifie que l’\u00c9tat est financ\u00e9 par la coercition et que plus la charge fiscale est \u00e9lev\u00e9e, plus la coercition est grande \u2014 et moins il y a de libert\u00e9. <\/p>\n\n\n\n

Milei adopte un discours de d\u00e9fense id\u00e9ologique du capitalisme, avec parfois des accents de guerre froide. Depuis ses apparitions publiques autour de 2016, il a \u00e9rig\u00e9 en grand ennemi l’\u00e9conomiste britannique John M. Keynes, qu’il accuse, avec virulence, d’avoir con\u00e7u un syst\u00e8me \u00e9conomique au service de la caste politique \u2014 il a qualifi\u00e9 son livre le plus connu, la Th\u00e9orie g\u00e9n\u00e9rale de l’emploi, de l’int\u00e9r\u00eat et de la monnaie<\/em> \u00ab d\u2019ordure g\u00e9n\u00e9rale \u00bb. Le nouveau pr\u00e9sident argentin consid\u00e8re la justice sociale comme quelque chose d’aberrant, un vol, pour prendre \u00e0 ceux qui r\u00e9ussissent et donner \u00e0 ceux qui ne r\u00e9ussissent pas. Depuis 2013, il se consid\u00e8re comme anarcho-capitaliste et r\u00e9p\u00e8te que l’\u00c9tat est le mal absolu, reprenant des id\u00e9es de livres comme La route de la servitude<\/em> de Hayek \u2014 selon lequel la planification \u00e9conomique conduirait n\u00e9cessairement au totalitarisme et \u00e0 la perte des libert\u00e9s individuelles \u2014 dont il tire une grande partie du contenu de ses discours, et de l’Am\u00e9ricain Murray Rothbard. \u00ab L’\u00c9tat est un p\u00e9dophile dans un jardin d’enfants, avec les enfants encha\u00een\u00e9s et baign\u00e9s de vaseline \u00bb, a-t-il d\u00e9clar\u00e9 un jour dans une interview t\u00e9l\u00e9vis\u00e9e<\/a>. <\/p>\n\n\n\n

L’anarcho-capitaliste espagnol Jes\u00fas Huerta de Soto a f\u00e9licit\u00e9 avec enthousiasme le dirigeant argentin : \u00ab Non seulement vous avez donn\u00e9 une le\u00e7on d’\u00e9conomie autrichienne aux \u00e9lites les plus arrogantes et interventionnistes du monde, mais vous avez \u00e9galement abord\u00e9 l’immoralit\u00e9 intrins\u00e8que de leurs plans grandioses d’ing\u00e9nierie sociale \u00e9tatiste… \u00bb, a-t-il d\u00e9clar\u00e9 dans un message sur X (ex-Twitter) que Milei a retweet\u00e9.<\/p>\n\n\n\n

Les partisans de la justice sociale partent de l’id\u00e9e que l’ensemble de l’\u00e9conomie est un g\u00e2teau qui peut \u00eatre partag\u00e9 diff\u00e9remment, mais ce g\u00e2teau n’est pas donn\u00e9, c’est une richesse qui est g\u00e9n\u00e9r\u00e9e dans ce qu’Isra\u00ebl Kirzner appelle un \u00ab processus de d\u00e9couverte \u00bb. Si le bien ou le service offert par une entreprise n’est pas d\u00e9sir\u00e9, cette entreprise fait faillite, \u00e0 moins qu’elle ne s’adapte \u00e0 la demande du march\u00e9. Si elle fabrique un produit de bonne qualit\u00e9 \u00e0 un prix attractif, elle se portera bien et produira davantage. Le march\u00e9 est donc un processus de d\u00e9couverte dans lequel le capitaliste trouve la bonne direction au fur et \u00e0 mesure. Mais si l’\u00c9tat punit le capitaliste pour avoir r\u00e9ussi et le bloque dans ce processus de d\u00e9couverte, il d\u00e9truit ses incitations, ce qui a pour cons\u00e9quence qu’il produira moins et que le g\u00e2teau sera plus petit, au d\u00e9triment de la soci\u00e9t\u00e9 dans son ensemble. Le collectivisme, en inhibant ces processus de d\u00e9couverte et en entravant l’appropriation de ce qui a \u00e9t\u00e9 d\u00e9couvert, lie les mains de l’entrepreneur et l’emp\u00eache de produire de meilleurs biens et d’offrir de meilleurs services \u00e0 un meilleur prix.<\/p>\n\n\n\n

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\u00a9 AP Photo\/Markus Schreiber<\/figcaption>\n <\/a>\n<\/figure>\n\n\n

Comment se fait-il alors que le monde acad\u00e9mique, les organisations internationales, la politique et la th\u00e9orie \u00e9conomique diabolisent un syst\u00e8me \u00e9conomique qui a non seulement sorti 90 % de la population mondiale de la pauvret\u00e9 la plus extr\u00eame, et ce de plus en plus rapidement, mais qui est aussi juste et moralement sup\u00e9rieur ?<\/p>\n\n\n\n

Gr\u00e2ce au capitalisme de libre entreprise, le monde est aujourd’hui au mieux de sa forme. Dans toute l’histoire de l’humanit\u00e9, il n’y a jamais eu de p\u00e9riode de plus grande prosp\u00e9rit\u00e9 que celle que nous vivons aujourd’hui. Le monde d’aujourd’hui est plus libre, plus riche, plus pacifique et plus prosp\u00e8re qu’\u00e0 n’importe quel autre moment de notre histoire.<\/p>\n\n\n\n

C’est vrai pour tout le monde, mais c’est particuli\u00e8rement vrai pour les pays libres \u2014 ceux qui respectent la libert\u00e9 \u00e9conomique et les droits de propri\u00e9t\u00e9 des individus. Les pays libres sont en effet douze fois plus riches que les pays r\u00e9pressifs, le d\u00e9cile inf\u00e9rieur de la distribution des pays libres vit mieux que 90 % de la population des pays r\u00e9pressifs, ils comptent 25 fois moins de pauvres dans le format standard et 50 fois moins dans le format extr\u00eame, et, comme si cela ne suffisait pas, les citoyens des pays libres vivent 25 % plus longtemps que les citoyens des pays r\u00e9pressifs. <\/p>\n\n\n\n

Au forum de Davos, Milei pr\u00e9tend donner une conf\u00e9rence sur le capitalisme. Il le fait, comme d’habitude, en r\u00e9p\u00e9tant les m\u00eames phrases, sans densit\u00e9 philosophique, ni densit\u00e9 id\u00e9ologique ; ses discours sont bourr\u00e9s d’accroches, efficaces dans de courtes interviews et dans des \u00e9v\u00e9nements de campagne, mais moins efficaces dans des \u00e9v\u00e9nements comme Davos. Lorsqu’il ne rev\u00eat pas les habits d\u2019un personnage flamboyant \u2014 un \u00ab Lion \u00bb comme il se d\u00e9crit lui-m\u00eame \u2014 les discours de Milei combinent le ton fatigu\u00e9 d’une monographie de premier cycle avec la rh\u00e9torique \u00ab \u00e9pic\u00e9e \u00bb de X (ex-Twitter), \u00e0 des doses variables. Comme le dit l\u2019\u00e9conomiste et candidat de l’Union civique radicale Mart\u00edn Tetaz, qui a vot\u00e9 pour Milei, sur son compte X : \u00ab Le pr\u00e9sident a fait \u00e0 Davos la m\u00eame pr\u00e9sentation que celle qu’il fait depuis des ann\u00e9es (il existe m\u00eame un discours TED qui en est une exacte r\u00e9plique). Il insiste sur l’homme de paille du socialisme et a manqu\u00e9 une occasion unique de pr\u00e9senter les entreprises que l’Argentine peut offrir au monde \u00bb. Les libertariens se sont tout de m\u00eame f\u00e9licit\u00e9s du \u00ab discours historique \u00bb de leur leader.<\/p>\n\n\n\n

L’homme de droite chilien Alex Kaiser s’est quant \u00e0 lui enthousiasm\u00e9 : \u00ab Successeur de Ronald Reagan et de Margaret Thatcher, il amorce un changement d’\u00e8re in\u00e9dit depuis la guerre froide en faveur de la libert\u00e9 comme pilier essentiel de la civilisation occidentale, menac\u00e9e par le collectivisme. Il \u00e9crit l’histoire. \u00bb En v\u00e9rit\u00e9, le discours de Milei comporte des \u00e9l\u00e9ments de la R\u00e9volution conservatrice, mais le contexte est diff\u00e9rent et ce m\u00e9lange de n\u00e9olib\u00e9ralisme et d’antimondialisme semble plus en phase avec ce moment de crise de l’avenir \u2014 et d’interr\u00e8gne \u2014 qu’avec l’optimisme de la fin de la guerre froide et de la \u00ab fin de l’histoire \u00bb.<\/p>\n\n\n\n

Cependant, pour comprendre ce que nous d\u00e9fendons ici, il est important de d\u00e9finir ce dont nous parlons lorsque nous parlons de libertarianisme. Pour le d\u00e9finir, je reprends les mots du plus grand h\u00e9ros de la libert\u00e9 de notre pays, Alberto Benegas Lynch, qui dit : \u00ab Le libertarianisme est le respect sans restriction du projet de vie d’autrui, fond\u00e9 sur le principe de non-agression, en d\u00e9fense de la vie, de la libert\u00e9 et de la propri\u00e9t\u00e9 des individus. Ses institutions fondamentales sont la propri\u00e9t\u00e9 priv\u00e9e, les march\u00e9s libres de toute intervention de l’\u00c9tat, la libre concurrence, la division du travail et la coop\u00e9ration sociale. O\u00f9 l’on ne peut r\u00e9ussir qu’en servant son prochain avec des biens de meilleure qualit\u00e9 ou \u00e0 meilleur prix. \u00bb <\/p>\n\n\n\n

En d’autres termes, le capitaliste, l’entrepreneur qui r\u00e9ussit, est un bienfaiteur social qui, loin de s’approprier la richesse des autres, contribue au bien-\u00eatre g\u00e9n\u00e9ral. En bref, un entrepreneur qui r\u00e9ussit est un h\u00e9ros. <\/p>\n\n\n\n

Milei cite souvent le lib\u00e9ral-conservateur argentin Benegas Lynch \u2014 un auteur moins influent que ses autres f\u00e9tiches \u2014 comme son mentor. Contrairement \u00e0 la plupart de ses discours, dans lesquels il parle g\u00e9n\u00e9ralement du lib\u00e9ralisme de mani\u00e8re g\u00e9n\u00e9rique, il revendique \u00e0 plusieurs reprises cette fois-ci le terme de libertarianisme, qui d\u00e9finit plus pr\u00e9cis\u00e9ment son identit\u00e9, dans la lign\u00e9e des libertariens am\u00e9ricains. Le mil\u00e9isme a introduit des symboles tels que le drapeau de Gadsden, issus du libertarianisme et de la droite am\u00e9ricaine.<\/p>\n\n\n\n

C’est le mod\u00e8le que nous proposons pour l’Argentine du futur. Un mod\u00e8le bas\u00e9 sur les principes fondamentaux du libertarianisme : la d\u00e9fense de la vie, de la libert\u00e9 et de la propri\u00e9t\u00e9. Si le capitalisme de libre entreprise et la libert\u00e9 \u00e9conomique ont \u00e9t\u00e9 des outils extraordinaires pour mettre fin \u00e0 la pauvret\u00e9 dans le monde, et si nous sommes aujourd’hui au meilleur moment de l’histoire de l’humanit\u00e9, il convient de se demander pourquoi je dis que l’Occident est en danger.<\/p>\n\n\n\n

Je dis que l’Occident est en danger pr\u00e9cis\u00e9ment parce que dans les pays o\u00f9 nous devrions d\u00e9fendre les valeurs du march\u00e9 libre, de la propri\u00e9t\u00e9 priv\u00e9e et des autres institutions du libertarianisme, des sections de l’establishment politique et \u00e9conomique, certaines \u00e0 cause d’erreurs dans leur cadre th\u00e9orique et d’autres par ambition pour le pouvoir, sont en train de saper les fondements du libertarianisme, d’ouvrir la porte au socialisme et de les condamner potentiellement \u00e0 la pauvret\u00e9, \u00e0 la mis\u00e8re et \u00e0 la stagnation. Car il ne faut jamais oublier que le socialisme est toujours et partout un ph\u00e9nom\u00e8ne appauvrissant, qui a \u00e9chou\u00e9 dans tous les pays o\u00f9 il a \u00e9t\u00e9 tent\u00e9. Ce fut un \u00e9chec \u00e9conomique, un \u00e9chec social, un \u00e9chec culturel. Il a tu\u00e9 plus de 100 millions d’\u00eatres humains. <\/p>\n\n\n\n

Le probl\u00e8me essentiel pour l’Occident aujourd’hui est que nous devons non seulement affronter ceux qui, m\u00eame apr\u00e8s la chute du mur [de Berlin] et les preuves empiriques accablantes, continuent \u00e0 lutter pour un socialisme appauvrissant, mais aussi nos propres dirigeants, penseurs et universitaires qui, dans un cadre th\u00e9orique erron\u00e9, sapent les fondements du syst\u00e8me qui nous a donn\u00e9 la plus grande expansion de la richesse et de la prosp\u00e9rit\u00e9 de notre histoire. <\/p>\n\n\n\n

Milei r\u00e9p\u00e8te le m\u00eame discours qu’il utilise en boucle depuis 2016 : celui qui oppose en bloc le capitalisme au socialisme. Il a r\u00e9p\u00e9t\u00e9 que le capitalisme est \u00e9conomiquement, productivement et moralement sup\u00e9rieur. Et avant de se lancer en politique, il a d\u00e9fendu la privatisation absolue de la vie sociale, y compris des rues, a d\u00e9fendu un march\u00e9 pour les organes humains et a admis \u2014 au moins en tant que \u00ab d\u00e9bat philosophique \u00bb \u2014 la possibilit\u00e9 d’un march\u00e9 pour les enfants<\/a>. Ad nauseam<\/em> revient l’id\u00e9e de l’entrepreneur qui, en recherchant son propre profit, contribue au profit de la soci\u00e9t\u00e9 et est donc un bienfaiteur social qui devrait \u00eatre autoris\u00e9 \u00e0 agir librement \u2014 sur le mod\u00e8le d\u2019Ayn Rand qui consid\u00e9rait les entrepreneurs comme le v\u00e9ritable groupe opprim\u00e9 aux \u00c9tats-Unis, en raison de la m\u00e9diocrit\u00e9 sociale dominante.<\/p>\n\n\n\n

Le cadre th\u00e9orique auquel je fais r\u00e9f\u00e9rence est celui de la th\u00e9orie \u00e9conomique n\u00e9oclassique, qui con\u00e7oit un instrument qui, sans le vouloir, finit par servir \u00e0 l’ing\u00e9rence de l’\u00c9tat, au socialisme et \u00e0 la d\u00e9gradation de la soci\u00e9t\u00e9. Le probl\u00e8me des n\u00e9oclassiques est que, puisque le mod\u00e8le dont ils sont tomb\u00e9s amoureux ne correspond pas \u00e0 la r\u00e9alit\u00e9, ils attribuent l’erreur \u00e0 de pr\u00e9tendues d\u00e9faillances du march\u00e9 au lieu de revoir les pr\u00e9misses de leur mod\u00e8le. Sous pr\u00e9texte d’une pr\u00e9tendue d\u00e9faillance du march\u00e9, on met en place des r\u00e9glementations qui ne font que g\u00e9n\u00e9rer des distorsions dans le syst\u00e8me des prix, qui entravent le calcul \u00e9conomique, et donc l’\u00e9pargne, l’investissement et la croissance.<\/p>\n\n\n\n

Ce probl\u00e8me r\u00e9side essentiellement dans le fait que m\u00eame les \u00e9conomistes pr\u00e9tendument libertariens ne comprennent pas ce qu’est le march\u00e9, car s’ils le comprenaient, il deviendrait rapidement \u00e9vident qu’il n’y a pas de d\u00e9faillance du march\u00e9. Le march\u00e9 n’est pas une courbe d’offre et de demande sur un graphique. Le march\u00e9 est un m\u00e9canisme de coop\u00e9ration sociale o\u00f9 les droits de propri\u00e9t\u00e9 sont \u00e9chang\u00e9s volontairement. Par cons\u00e9quent, compte tenu de cette d\u00e9finition, la d\u00e9faillance du march\u00e9 est un oxymore. La d\u00e9faillance du march\u00e9 n’existe pas.<\/p>\n\n\n\n

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\u00a9 AP Photo\/Markus Schreiber<\/figcaption>\n <\/a>\n<\/figure>\n\n\n

Si les transactions sont volontaires, le seul contexte dans lequel il peut y avoir une d\u00e9faillance du march\u00e9 est celui de la coercition. Et le seul \u00e0 pouvoir exercer une coercition g\u00e9n\u00e9ralis\u00e9e est l’\u00c9tat, qui a le monopole de la violence. Par cons\u00e9quent, si quelqu’un consid\u00e8re qu’il y a une d\u00e9faillance du march\u00e9, je lui recommande de v\u00e9rifier s’il y a une intervention de l’\u00c9tat au milieu. Et s’il constate qu’il n’y a pas d’intervention de l’\u00c9tat au milieu, je lui sugg\u00e8re de refaire l’analyse parce qu’elle est d\u00e9finitivement erron\u00e9e. La d\u00e9faillance du march\u00e9 n’existe pas.<\/p>\n\n\n\n

Les structures concentr\u00e9es de l’\u00e9conomie sont un exemple des pr\u00e9tendues d\u00e9faillances du march\u00e9 d\u00e9crites par les n\u00e9oclassiques. Cependant, sans les fonctions de rendements d’\u00e9chelle croissants, dont les structures concentr\u00e9es de l’\u00e9conomie sont la contrepartie, nous ne pourrions pas expliquer la croissance \u00e9conomique de 1800 \u00e0 aujourd’hui. C’est int\u00e9ressant. \u00c0 partir de 1800, alors que la population a \u00e9t\u00e9 multipli\u00e9e par plus de 8 ou 9, le produit par habitant a \u00e9t\u00e9 multipli\u00e9 par plus de 15. En d’autres termes, il existe des rendements croissants qui ont permis de ramener l’extr\u00eame pauvret\u00e9 de 95 % \u00e0 5 %. Cependant, cette pr\u00e9sence de rendements croissants implique des structures concentr\u00e9es, ce que l’on pourrait appeler un monopole.<\/p>\n\n\n\n

Comment se fait-il que quelque chose qui a g\u00e9n\u00e9r\u00e9 tant de bien-\u00eatre pour la th\u00e9orie n\u00e9oclassique soit une d\u00e9faillance du march\u00e9 ? \u00c9conomistes n\u00e9oclassiques, sortez de votre bo\u00eete : lorsque le mod\u00e8le \u00e9choue, ne vous f\u00e2chez pas contre la r\u00e9alit\u00e9, mais contre le mod\u00e8le \u2014 et changez-le.<\/p>\n\n\n\n

Le dilemme auquel est confront\u00e9 le mod\u00e8le n\u00e9oclassique est qu’il pr\u00e9tend vouloir perfectionner le fonctionnement du march\u00e9 en s’attaquant \u00e0 ce qu’il consid\u00e8re comme des d\u00e9faillances mais, ce faisant, non seulement il ouvre la porte au socialisme, mais il compromet \u00e9galement la croissance \u00e9conomique. Par exemple, r\u00e9glementer les monopoles, d\u00e9truire leurs profits et d\u00e9truire les rendements croissants d\u00e9truirait automatiquement la croissance \u00e9conomique.<\/p>\n\n\n\n

En d’autres termes, chaque fois que l’on veut corriger une suppos\u00e9e d\u00e9faillance du march\u00e9, inexorablement, parce que l’on ne sait pas ce qu’est le march\u00e9 ou parce que l’on est tomb\u00e9 amoureux d’un mod\u00e8le qui a \u00e9chou\u00e9, on ouvre la porte au socialisme et on condamne les gens \u00e0 la pauvret\u00e9.<\/p>\n\n\n\n

Cependant, face \u00e0 la d\u00e9monstration th\u00e9orique que l’intervention de l’\u00c9tat est n\u00e9faste et \u00e0 la preuve empirique qu’elle a \u00e9chou\u00e9 \u2014 parce qu’il ne pouvait en \u00eatre autrement \u2014 la solution que les collectivistes proposeront n’est pas plus de libert\u00e9, mais plus de r\u00e9glementation, g\u00e9n\u00e9rant une spirale descendante de r\u00e9glementation jusqu’\u00e0 ce que nous finissions tous plus pauvres et que la vie de chacun d’entre nous d\u00e9pende tout \u00e0 fait d’un bureaucrate assis dans un bureau luxueux. <\/p>\n\n\n\n

Comme il l’a racont\u00e9 \u00e0 plusieurs reprises, Milei aurait lu en 2013 un article de Murray Rothbard qui lui aurait \u00ab cass\u00e9 la t\u00eate \u00bb et l’aurait amen\u00e9 \u00e0 revoir ses convictions. Il s’agit d’un texte de 140 pages intitul\u00e9 Monopole et concurrence<\/em>. Selon lui, \u00e0 l\u2019issue de la lecture de Rothbard, il se serait dit : \u00ab Pendant plus de vingt ans, j’ai tromp\u00e9 mes \u00e9tudiants. Tout ce que j’ai enseign\u00e9 sur les structures de march\u00e9 est faux, c’est faux ! \u00bb C’est alors que Milei aurait compris que les arguments n\u00e9oclassiques de la \u00ab concurrence pure et parfaite \u00bb contre les monopoles ne tenaient pas la route et que \u00ab la concurrence parfaite est tellement stupide qu’elle aboutit \u00e0 l’absence totale de concurrence \u00bb. Pour Rothbard, au contraire, les monopoles ne sont pas mauvais en soi : ils peuvent m\u00eame \u00eatre bons s’ils sont le produit d’une action entrepreneuriale ; ils sont n\u00e9fastes, en revanche, s’ils sont cr\u00e9\u00e9s par le pouvoir de l’\u00c9tat. C’est \u00e0 partir de ce moment que Milei devient un pr\u00e9dicateur de l’\u00e9conomie autrichienne dans sa version la plus radicale : l’anarcho-capitalisme. Il abandonne l’\u00e9conomie n\u00e9oclassique \u2014 le courant dominant \u2014 qu’il accuse, comme il le rappelle dans ce discours, d’ouvrir la porte au socialisme en parlant de \u00ab d\u00e9faillances du march\u00e9 \u00bb. Mais si les \u00ab Autrichiens \u00bb ont rejet\u00e9 la modernisation math\u00e9matique, Milei est rest\u00e9 un \u00e9conomiste math\u00e9maticien, qui pr\u00e9tend penser non seulement l’\u00e9conomie, mais aussi les relations sociales et personnelles \u2014 et m\u00eame l’amour \u2014 sur la base de mod\u00e8les math\u00e9matiques.<\/p>\n\n\n\n

Face \u00e0 l’\u00e9chec retentissant des mod\u00e8les collectivistes et aux avanc\u00e9es ind\u00e9niables du monde libre, les socialistes ont \u00e9t\u00e9 contraints de changer de programme. Ils ont abandonn\u00e9 la lutte des classes fond\u00e9e sur le syst\u00e8me \u00e9conomique et l’ont remplac\u00e9e par d’autres pr\u00e9tendus conflits sociaux tout aussi nuisibles \u00e0 la vie collective et \u00e0 la croissance \u00e9conomique. La premi\u00e8re de ces nouvelles batailles fut la lutte ridicule et contre nature entre les hommes et les femmes.<\/p>\n\n\n\n

Le libertarianisme a d\u00e9j\u00e0 \u00e9tabli l’\u00e9galit\u00e9 entre les sexes. La pierre angulaire de notre credo<\/em> dit que tous les hommes sont cr\u00e9\u00e9s \u00e9gaux, que nous avons tous les m\u00eames droits inali\u00e9nables accord\u00e9s par le cr\u00e9ateur, parmi lesquels la vie, la libert\u00e9 et la propri\u00e9t\u00e9. La seule chose que cet agenda du f\u00e9minisme radical a engendr\u00e9e, c’est une plus grande intervention de l’\u00c9tat pour entraver le processus \u00e9conomique, en donnant des emplois \u00e0 des bureaucrates qui n’ont rien apport\u00e9 \u00e0 la soci\u00e9t\u00e9, que ce soit sous la forme de minist\u00e8res de la Femme ou d’organismes internationaux d\u00e9di\u00e9s \u00e0 la promotion de cet agenda.<\/p>\n\n\n\n

Un autre conflit soulev\u00e9 par les socialistes est celui de l’homme contre la nature. Ils affirment que les \u00eatres humains endommagent la plan\u00e8te et qu’elle doit \u00eatre prot\u00e9g\u00e9e \u00e0 tout prix, allant m\u00eame jusqu’\u00e0 pr\u00e9coniser des m\u00e9canismes de contr\u00f4le de la population ou l’agenda sanglant de l’avortement.<\/p>\n\n\n\n

Malheureusement, ces id\u00e9es n\u00e9fastes ont impr\u00e9gn\u00e9 notre soci\u00e9t\u00e9. Les n\u00e9o-marxistes ont r\u00e9ussi \u00e0 coopter le bon sens occidental. Ils y sont parvenus en s’appropriant les m\u00e9dias, la culture, les universit\u00e9s et, bien s\u00fbr, les organisations internationales. Ce dernier cas est le plus grave car il s’agit d’institutions qui ont une \u00e9norme influence politique et \u00e9conomique sur les pays qui composent ces organisations multilat\u00e9rales.<\/p>\n\n\n\n

En passant \u00e0 la politique, Milei \u2014 qui auparavant ne parlait que d’\u00e9conomie \u2014 a d\u00fb \u00e9largir son r\u00e9pertoire de sujets. Pour ce faire, il a puis\u00e9  clef en main dans le r\u00e9pertoire de l’alt-right<\/em> mondiale. Il a \u00e9galement emprunt\u00e9 une partie de son discours \u00e0 Agust\u00edn Laje, un \u00e9crivain et youtuber argentin qui offre \u00e0 la droite radicale latino-am\u00e9ricaine un discours d\u00e9j\u00e0 dig\u00e9r\u00e9 contre le \u00ab marxisme culturel \u00bb dans une vis\u00e9e pol\u00e9mique. Ainsi, Milei reprend l’id\u00e9e que la gauche aurait perdu la bataille socio-\u00e9conomique et se serait r\u00e9fugi\u00e9e dans la culture, d’o\u00f9 elle est devenue forte \u2014 au point qu’aujourd’hui, m\u00eame le forum de Davos serait proto-socialiste. Il a \u00e9galement int\u00e9gr\u00e9 le n\u00e9gationnisme du changement climatique et a m\u00eame li\u00e9 la l\u00e9galisation de l’avortement \u2014 il est \u00ab pro-vie \u00bb \u2014 \u00e0 l’environnementalisme, qui chercherait \u00e0 d\u00e9peupler la plan\u00e8te. Sur la question du changement climatique, il exprime ses positions les plus complotistes.<\/p>\n\n\n\n

L’extr\u00eame droite a particuli\u00e8rement c\u00e9l\u00e9br\u00e9 ces passages anti-progressistes ; nombre de ses repr\u00e9sentants sont en effet souvent plut\u00f4t ennuy\u00e9s par la version plus \u00e9conomiste de Milei. \u00ab Enthousiasm\u00e9 par le colossal discours de @JMilei au monde entier depuis le repaire de la caste corporatiste mondialiste, sociale-d\u00e9mocrate et philo chr\u00e9tienne de Davos. Fier que ce discours d’une telle v\u00e9rit\u00e9 ait \u00e9t\u00e9 prononc\u00e9 en espagnol \u00bb, a par exemple tweet\u00e9 l’eurod\u00e9put\u00e9 de Vox Hermann Tertsch. Ce discours anti-progressiste r\u00e9p\u00e8te partout la m\u00eame id\u00e9e : les \u00e9lites seraient d\u00e9sormais \u00e0 gauche \u2014 et contr\u00f4leraient le sens commun mondial \u2014 alors que la droite repr\u00e9senterait les gens du peuple qui luttent contre le n\u00e9o-totalitarisme woke<\/em>. <\/p>\n\n\n\n

\u00ab Ils y sont parvenus en s’appropriant les m\u00e9dias, la culture, les universit\u00e9s et, oui, les organisations internationales \u00bb\u2026 r\u00e9p\u00e8te Milei dans une variation sur ce que les n\u00e9o-r\u00e9actionnaires am\u00e9ricains appellent \u00ab La Cath\u00e9drale \u00bb. Dans le langage des complotistes, Milei est all\u00e9 vendre des \u00ab pilules rouges \u00bb (red pills<\/em>, qui permettent d\u2019avoir acc\u00e8s \u00e0 la Matrice) \u00e0 Davos m\u00eame. Il est loin le temps o\u00f9 ce forum \u00e9tait l’ennemi jur\u00e9 du mouvement altermondialiste, semble dire le nouveau pr\u00e9sident argentin. Au point que le \u00ab premier pr\u00e9sident libertarien de l’histoire de l’humanit\u00e9 \u00bb \u2014 Milei parle de lui-m\u00eame \u2014 s’y rend, en avion de ligne, pour \u00e9vang\u00e9liser les \u00e9lites sur les vertus du capitalisme et des march\u00e9s.<\/p>\n\n\n\n

Heureusement, nous sommes de plus en plus nombreux \u00e0 oser \u00e9lever la voix. Parce que nous voyons que, si nous ne combattons pas ces id\u00e9es de front, le seul destin possible est que nous aurons de plus en plus d’\u00c9tat, de r\u00e9glementation, de socialisme, de pauvret\u00e9, de libert\u00e9 et, par cons\u00e9quent, un niveau de vie plus bas.<\/p>\n\n\n\n

L’Occident s’est malheureusement d\u00e9j\u00e0 engag\u00e9 dans cette voie. Je sais qu’il peut sembler ridicule \u00e0 beaucoup de dire que l’Occident s’est tourn\u00e9 vers le socialisme. Mais ce n’est ridicule que dans la mesure o\u00f9 l’on se limite \u00e0 la d\u00e9finition \u00e9conomique traditionnelle du socialisme, qui stipule qu’il s’agit d’un syst\u00e8me \u00e9conomique dans lequel l’\u00c9tat poss\u00e8de les moyens de production. Cette d\u00e9finition devrait, \u00e0 mon avis, \u00eatre adapt\u00e9e aux circonstances actuelles. Aujourd’hui, les \u00c9tats n’ont pas besoin de contr\u00f4ler directement les moyens de production pour contr\u00f4ler tous les aspects de la vie des individus. Avec des outils tels que l’\u00e9mission mon\u00e9taire, l’endettement, les subventions, le contr\u00f4le des taux d’int\u00e9r\u00eat, le contr\u00f4le des prix et les r\u00e9glementations visant \u00e0 corriger les pr\u00e9tendues \u00ab d\u00e9faillances du march\u00e9 \u00bb, ils peuvent contr\u00f4ler le destin de millions d’\u00eatres humains.<\/p>\n\n\n\n

C’est ainsi que nous en arrivons au point o\u00f9, sous des noms ou des formes diff\u00e9rents, la plupart des offres politiques g\u00e9n\u00e9ralement accept\u00e9es dans la plupart des pays occidentaux deviennent des variantes collectivistes. Qu’ils se d\u00e9clarent ouvertement communistes fascistes, nazis, socialistes, sociaux-d\u00e9mocrates, nationaux-socialistes, d\u00e9mocrates-chr\u00e9tiens, n\u00e9o-keyn\u00e9siens, progressistes, populistes, nationalistes ou mondialistes. <\/p>\n\n\n\n

Milei se positionne ici en dehors des syst\u00e8mes politiques \u00e9tablis en mettant tout le monde dans le m\u00eame sac : m\u00eame les droites traditionnelles seraient ainsi complices du socialisme et du d\u00e9clin de l’Occident. Il se rapproche ce faisant de l’extr\u00eame droite, dont la plupart des repr\u00e9sentants ne partagent cependant pas l’anarcho-capitalisme de Milei. Nombre d’entre eux, comme les ultraconservateurs de Viktor Orban, pr\u00e9sents \u00e0 Buenos Aires pour son investiture, font un usage intensif de l’appareil d’\u00c9tat dans la poursuite de leur \u00ab contre-r\u00e9volution \u00bb politique et culturelle \u00ab illib\u00e9rale \u00bb. Mais de telles expressions, de la part de Milei, amalgamant d\u00e9mocrates-chr\u00e9tiens et nazis, semblent une strat\u00e9gie plus apte \u00e0 devenir populaire dans les milieux ultras qu’\u00e0 placer l’Argentine dans une position pertinente \u00e0 l’\u00e9chelle mondiale. Il appartient alors \u00e0 ses fonctionnaires de temp\u00e9rer les propos du pr\u00e9sident : \u00ab Milei est un peu capricieux, mais il n’est pas aussi radical qu’il en a l’air \u00bb, ont tendance \u00e0 r\u00e9p\u00e9ter, peu ou prou, ses ministres les plus \u00ab mod\u00e9r\u00e9s \u00bb.<\/p>\n\n\n\n

Au fond, il n’y a pas de diff\u00e9rences substantielles : tous d\u00e9fendent l’id\u00e9e que l’\u00c9tat devrait diriger tous les aspects de la vie des individus. Tous d\u00e9fendent un mod\u00e8le contraire \u00e0 celui qui a conduit l’humanit\u00e9 aux progr\u00e8s les plus spectaculaires de son histoire.<\/p>\n\n\n\n

\n \n \r\n \r\n \r\n \r\n \r\n <\/picture>\r\n \n
\u00a9 AP Photo\/Markus Schreiber<\/figcaption>\n <\/a>\n<\/figure>\n\n\n

Nous sommes venus ici aujourd’hui pour inviter les autres pays occidentaux \u00e0 retrouver le chemin de la prosp\u00e9rit\u00e9. La libert\u00e9 \u00e9conomique, un gouvernement limit\u00e9 et le respect sans restriction de la propri\u00e9t\u00e9 priv\u00e9e sont des \u00e9l\u00e9ments essentiels \u00e0 la croissance \u00e9conomique. Ce ph\u00e9nom\u00e8ne d’appauvrissement provoqu\u00e9 par le collectivisme n’est pas un fantasme. Il ne s’agit pas non plus d’un fatalisme. C’est une r\u00e9alit\u00e9 que nous, Argentins, connaissons tr\u00e8s bien depuis au moins cent ans.<\/p>\n\n\n\n

Parce que nous l’avons d\u00e9j\u00e0 v\u00e9cue. Nous l’avons v\u00e9cue. Parce que, comme je l’ai d\u00e9j\u00e0 dit, depuis que nous avons d\u00e9cid\u00e9 d’abandonner le mod\u00e8le de libert\u00e9 qui nous avait rendus riches, nous sommes pris au pi\u00e8ge d’une spirale descendante qui nous appauvrit chaque jour davantage.<\/p>\n\n\n\n

Nous le vivons d\u00e9j\u00e0. Et nous sommes ici pour vous avertir de ce qui pourrait arriver si les pays occidentaux qui se sont enrichis gr\u00e2ce au mod\u00e8le de libert\u00e9 continuent sur cette route de la servitude. <\/p>\n\n\n\n

Le cas argentin est la d\u00e9monstration empirique que, quelle que soit votre richesse, quelles que soient les ressources naturelles dont vous disposez, quel que soit le niveau de qualification de la population, quel que soit son niveau d’\u00e9ducation, quels que soient les lingots d’or qui se trouvent dans les coffres de la banque centrale, si vous prenez des mesures qui entravent le d\u00e9veloppement de l’\u00e9conomie, vous risquez de vous retrouver dans une impasse. Si vous prenez des mesures qui entravent le libre fonctionnement des march\u00e9s, la libre concurrence, les syst\u00e8mes de prix libres, si vous entravez le commerce, si vous portez atteinte \u00e0 la propri\u00e9t\u00e9 priv\u00e9e, la seule destination possible est la pauvret\u00e9.<\/p>\n\n\n\n

C’est pourquoi, pour conclure, je voudrais laisser un message \u00e0 tous les hommes d’affaires pr\u00e9sents ici et \u00e0 ceux qui nous suivent depuis le monde entier.<\/p>\n\n\n\n

Ne vous laissez pas intimider ni par la caste politique ni par les parasites qui vivent de l’\u00c9tat. Ne vous soumettez pas \u00e0 une classe politique qui ne cherche qu’\u00e0 se perp\u00e9tuer au pouvoir et \u00e0 maintenir ses privil\u00e8ges. <\/p>\n\n\n\n

Vous \u00eates des bienfaiteurs sociaux. Vous \u00eates des h\u00e9ros. Vous \u00eates les cr\u00e9ateurs de la p\u00e9riode de prosp\u00e9rit\u00e9 la plus extraordinaire que nous ayons jamais connue. Que personne ne vous dise que votre ambition est immorale. Si vous gagnez de l’argent, c’est parce que vous offrez un meilleur produit \u00e0 un meilleur prix, contribuant ainsi au bien-\u00eatre g\u00e9n\u00e9ral.<\/p>\n\n\n\n

Ne c\u00e9dez pas \u00e0 l’avanc\u00e9e de l’\u00c9tat. L’\u00c9tat n’est pas la solution. L’\u00c9tat est le probl\u00e8me lui-m\u00eame. <\/p>\n\n\n\n

Vous \u00eates les v\u00e9ritables protagonistes de cette histoire, et sachez qu’\u00e0 partir d’aujourd’hui, vous avez l’Argentine comme alli\u00e9e inconditionnelle.<\/p>\n\n\n\n

Le sort de l’Argentine attend le monde entier si elle n’abandonne pas le socialisme. Les hommes d’affaires sont des h\u00e9ros. L’\u00c9tat est le probl\u00e8me. Voil\u00e0 en substance la conclusion. Les applaudissements ne sont pas tr\u00e8s nourris. Quelques sourires \u00e9tonn\u00e9s sont visibles dans le public \u2014 expliqu\u00e9s, peut-\u00eatre, par la vulgarit\u00e9 de la phrase finale.<\/p>\n\n\n\n

Merci beaucoup et vive la libert\u00e9, putain.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"

\u00ab  Ne vous laissez pas intimider par les parasites qui vivent de l\u2019\u00c9tat  \u00bb. \u00c0 Davos, dans un discours d\u00e9bit\u00e9 \u00e0 toute vitesse face \u00e0 Klaus Schwab, Javier Milei a voulu sauver \u00ab  l\u2019Occident  \u00bb des dangers d\u2019un capitalisme trop r\u00e9gul\u00e9. Il a suscit\u00e9 beaucoup de r\u00e9actions \u2014 et quelques applaudissements g\u00ean\u00e9s. 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