{"id":213233,"date":"2023-12-26T17:00:00","date_gmt":"2023-12-26T16:00:00","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=213233"},"modified":"2023-12-26T18:22:50","modified_gmt":"2023-12-26T17:22:50","slug":"1923-1924-un-tournant-dans-le-long-vingtieme-siecle","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2023\/12\/26\/1923-1924-un-tournant-dans-le-long-vingtieme-siecle\/","title":{"rendered":"1923-1924 : un tournant dans le \u00ab long \u00bb vingti\u00e8me si\u00e8cle"},"content":{"rendered":"\n
Comment expliquer un tournant ? Pour y voir clair sur les macro-crises, il faut parfois augmenter l\u2019\u00e9chelle d\u2019analyse \u2014 jusqu\u2019\u00e0 celle de la fin d\u2019ann\u00e9e. Pour nous aider \u00e0 passer de 2023 \u00e0 2024, nous avons demand\u00e9 \u00e0\u00a0<\/em>Pierre Grosser<\/em><\/a>\u00a0de commissionner 10 textes, un par d\u00e9cennie, pour \u00e9tudier et mettre en contexte des tournants plus amples. Apr\u00e8s le premier \u00e9pisode sur 1913-1914<\/a>, voici le second sur 1923-1924. <\/em><\/p>\n\n\n\n D\u00e9couvrez nos autres s\u00e9ries de 2023 \u2014 de <\/em>Strat\u00e9gies<\/em><\/a> \u00e0 <\/em>Oppenheimer<\/em><\/a> en passant par <\/em>Kaboul<\/em><\/a> \u2014 et profitez des f\u00eates pour <\/em>vous abonner ou offrir le Grand Continent<\/em><\/a>.<\/em><\/p>\n\n\n\n Les lendemains de la Grande Guerre sont souvent per\u00e7us comme une p\u00e9riode de d\u00e9sordre, voire de paix illusoire, situ\u00e9e entre deux guerres mondiales majeures : le conflit cataclysmique de la Premi\u00e8re Guerre mondiale et la Seconde Guerre mondiale, encore plus destructrice et soi-disant in\u00e9vitable <\/span>1<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Dans un contexte plus large, les ann\u00e9es 1920 ont \u00e9t\u00e9 consid\u00e9r\u00e9es comme une phase de formation de ce qu\u2019Eric Hobsbawm a appel\u00e9 le \u00ab court \u00bb vingti\u00e8me si\u00e8cle (1914-1991) et son conflit d\u00e9terminant : la lutte mondiale entre le capitalisme lib\u00e9ral domin\u00e9 par les \u00c9tats-Unis et le communisme domin\u00e9 par l’Union sovi\u00e9tique, qui avait commenc\u00e9 avec la bataille \u00ab Wilson contre L\u00e9nine \u00bb <\/span>2<\/sup><\/a><\/span><\/span>.\u00a0<\/p>\n\n\n\n Ces interpr\u00e9tations sont encore largement r\u00e9pandues, mais elles sont profond\u00e9ment trompeuses. La d\u00e9cennie qui a suivi la Grande Guerre doit \u00eatre consid\u00e9r\u00e9e sous un angle tout \u00e0 fait diff\u00e9rent. Elle a marqu\u00e9 un tournant diff\u00e9rent, bien plus orient\u00e9 vers l’avenir, dans l’histoire moderne. Il s’agit d’une rupture dans un processus de transformation plus fondamental qui s’est d\u00e9roul\u00e9 au cours de ce que nous appellerons ici le \u00ab long \u00bb vingti\u00e8me si\u00e8cle (1860-2022) et qui a remodel\u00e9 le monde : l’\u00e9laboration du premier ordre international moderne, qui a \u00e9merg\u00e9 en tant que \u00ab nouvel ordre atlantique \u00bb <\/span>3<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n Les ann\u00e9es 1920 ont \u00e9t\u00e9 une rupture dans l’\u00e9laboration du premier ordre international moderne, qui a \u00e9merg\u00e9 en tant que nouvel ordre atlantique.<\/p>Patrick O. Cohrs<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Pour l’essentiel, les ann\u00e9es 1920 ne sont donc pas une \u00ab d\u00e9cennie d’illusions \u00bb mais plut\u00f4t une nouvelle \u00e8re remarquable de r\u00e9orientation, de progr\u00e8s et d’apprentissage dans l’histoire de la politique europ\u00e9enne, transatlantique et mondiale. C’est une p\u00e9riode au cours de laquelle les responsables politiques et les d\u00e9cideurs d\u00e9mocratiquement \u00e9lus qui ont succ\u00e9d\u00e9 aux protagonistes de 1919 ont tir\u00e9 les cons\u00e9quences des insuffisances de la conf\u00e9rence de paix de Paris, ont d\u00e9velopp\u00e9 des visions politiques plus prospectives et ont propos\u00e9 une r\u00e9forme importante et globalement stabilisatrice de l’ordre international<\/a>. Ce qu’ils ont mis en avant a de facto<\/em> supplant\u00e9 le syst\u00e8me de Versailles. Elles ont trouv\u00e9 leur expression dans les accords de la conf\u00e9rence de Washington sur le contr\u00f4le des armements navals mondiaux et un nouveau statu quo<\/em> en Asie de l’Est en 1922 et, surtout, dans les accords de r\u00e9paration de Londres en 1924 et le pacte de s\u00e9curit\u00e9 de Locarno en 1925. Ces deux accords ont remplac\u00e9 la paix impos\u00e9e par les vainqueurs de 1919 par un concert euro-atlantique reconfigur\u00e9 d’\u00c9tats d\u00e9mocratiques, incluant d\u00e9sormais l’Allemagne de Weimar et pr\u00e9figurant la communaut\u00e9 euro-atlantique qui a vu le jour apr\u00e8s 1945 <\/span>4<\/sup><\/a><\/span><\/span>.\u00a0<\/p>\n\n\n\n En r\u00e9alit\u00e9, ce qui a \u00e9t\u00e9 accompli apr\u00e8s les premiers efforts de r\u00e9organisation \u00e0 Paris, qui ont pos\u00e9 des bases de paix tr\u00e8s fragiles \u2014 et, par certains aspects, peu l\u00e9gitimes \u2014 ne se limite pas simplement \u00e0 d\u00e9passer le \u00ab syst\u00e8me de Versailles \u00bb. Il s\u2019agit d\u2019une premi\u00e8re tentative, bien que limit\u00e9e et finalement non viable, de construire pour le long XXe si\u00e8cle le socle d’un ordre atlantique et mondial fonctionnel compos\u00e9 d’\u00c9tats d\u00e9mocratiques ou en voie de d\u00e9mocratisation. H\u00e9las, les avanc\u00e9es du milieu des ann\u00e9es 1920 n’ont pas \u00e9t\u00e9 suffisamment solides pour r\u00e9sister aux ondes de choc de la crise \u00e9conomique mondiale. Mais elles sont toujours d’actualit\u00e9. Dans une perspective \u00e0 long terme, elles ont initi\u00e9 un processus de r\u00e9organisation et d’apprentissage beaucoup plus long et d\u00e9terminant au cours de la seconde moiti\u00e9 du long vingti\u00e8me si\u00e8cle. Ce processus a non seulement pr\u00e9figur\u00e9, mais aussi fourni des le\u00e7ons d\u00e9cisives \u00e0 ceux qui ont cherch\u00e9 \u00e0 cr\u00e9er un nouvel ordre apr\u00e8s 1945, fond\u00e9 sur le plan Marshall et l’Alliance de l’Atlantique Nord \u2014\u00a0et \u00e0 ceux qui ont cherch\u00e9 \u00e0 \u00e9tendre cet ordre \u00e0 l’Europe de l’Est et au reste du monde apr\u00e8s la guerre froide. En r\u00e9alit\u00e9, la c\u00e9sure du milieu des ann\u00e9es 1920 s\u2019inscrit dans la longue histoire de progr\u00e8s qui, petit \u00e0 petit, structurent la politique internationale, confront\u00e9e \u00e0 des conflits et des d\u00e9fis massifs \u2014\u00a0progr\u00e8s qui, \u00e0 la fin de ce long XXe si\u00e8cle, sont de nouveau menac\u00e9s dans leur existence <\/span>5<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n Qu’entend-on exactement par \u00ab long \u00bb vingti\u00e8me si\u00e8cle ? Et quels furent les principaux processus transformateurs du si\u00e8cle ?\u00a0<\/p>\n\n\n\n Selon moi, ce si\u00e8cle a commenc\u00e9 dans les ann\u00e9es 1860, lorsqu’une nouvelle constellation mondiale a \u00e9merg\u00e9 suite \u00e0 la d\u00e9sint\u00e9gration, aux lendemains de la guerre de Crim\u00e9e, de la superstructure globale de renforcement de la paix de l’ordre europ\u00e9en et mondial du XIXe si\u00e8cle \u2014 le syst\u00e8me de Vienne de 1815. \u00c0 partir des ann\u00e9es 1860, un syst\u00e8me international fondamentalement diff\u00e9rent et propice aux conflits est apparu : le \u00ab (d\u00e9s)ordre \u00bb du grand imp\u00e9rialisme. C’est \u00e0 ce moment-l\u00e0 que se sont form\u00e9s, ou consolid\u00e9s les \u00c9tats modernes de plus en plus industrialis\u00e9s et imp\u00e9rialistes, qui se sont finalement affront\u00e9s lors de la Grande Guerre : la pentarchie europ\u00e9enne reconfigur\u00e9e des puissances imp\u00e9riales, y compris le Reich de Bismarck, un Japon Meiji en pleine modernisation et une puissance mondiale am\u00e9ricaine montante dont l’union int\u00e9rieure avait \u00e9t\u00e9 sauv\u00e9e par Lincoln en 1865. Dans le contexte de la premi\u00e8re v\u00e9ritable mondialisation, non seulement du capitalisme mais aussi de la politique de puissance \u00e0 l’europ\u00e9enne, ces \u00c9tats et ces soci\u00e9t\u00e9s se sont engag\u00e9s dans une comp\u00e9tition sans pr\u00e9c\u00e9dent, dynamique, globale et par essence illimit\u00e9e, qui allait affecter le monde entier et soumettre la majeure partie de celui-ci \u00e0 la domination imp\u00e9rialiste. Cette comp\u00e9tition est rapidement devenue ins\u00e9parable d’une v\u00e9ritable lutte politique au sein de l’Europe, dont les enjeux \u00e9taient de plus en plus importants. Elle \u00e9tait motiv\u00e9e non seulement par des id\u00e9ologies nationalistes et imp\u00e9rialistes rivales, mais aussi par des notions darwinistes civilisationnelles de \u00ab lutte pour la survie de la puissance mondiale la plus apte \u00bb. La lutte interconnect\u00e9e qui s’en est suivie a rendu une \u00e9ventuelle guerre g\u00e9n\u00e9rale non pas in\u00e9vitable, mais toujours plus difficile \u00e0 \u00e9viter.<\/p>\n\n\n\n La c\u00e9sure du milieu des ann\u00e9es 1920 s\u2019inscrit dans la longue histoire de progr\u00e8s qui, petit \u00e0 petit, structurent la politique internationale.<\/p>Patrick O. Cohrs<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Les principaux d\u00e9cideurs de cette p\u00e9riode critique n’ont pas \u00ab somnambul\u00e9 \u00bb dans l’ab\u00eeme, comme a pu le sugg\u00e9rer Christopher Clark<\/a>. Au contraire, lorsque la crise de juillet s’est aggrav\u00e9e en 1914, le ministre britannique des Affaires \u00e9trang\u00e8res, Sir Edward Grey, et ses homologues ne disposaient plus d’un m\u00e9canisme efficace de r\u00e9solution des conflits pour emp\u00eacher une guerre totale, ni d’ailleurs de l’\u00e9tat d’esprit et de la marge de man\u0153uvre politique n\u00e9cessaires pour faire ce qu’il fallait pour sauver la paix <\/span>6<\/sup><\/a><\/span><\/span>. \u00c0 la suite de cette escalade se produisit une guerre non seulement totale, mais aussi terriblement destructrice. Elle ne d\u00e9clencha pas un processus lin\u00e9aire mais plut\u00f4t dialectique qui s’est \u00e9tendu sur plus de cinq d\u00e9cennies \u2014 et qui a atteint une premi\u00e8re \u00e9tape d\u00e9cisive au milieu des ann\u00e9es 1920. Il s’agissait d’un processus d’essais, d’erreurs et d’apprentissages successifs \u00e0 plus long terme, en r\u00e9ponse \u00e0 deux guerres mondiales et \u00e0 une crise \u00e9conomique globale massive entre les deux. C’est au cours de ce processus que le syst\u00e8me international a \u00e9t\u00e9 fondamentalement remodel\u00e9, non seulement en ce qui concerne la r\u00e9partition du pouvoir et de l’influence, mais aussi, \u00e0 un niveau plus profond, en ce qui concerne les r\u00e8gles, normes, principes et pratiques qui r\u00e9gissent la politique internationale, rendant ainsi possible la construction d\u2019un ordre mondial plus durable <\/span>7<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n Le syst\u00e8me international qui a finalement remplac\u00e9 le \u00ab d\u00e9sordre \u00bb de l’imp\u00e9rialisme mondialis\u00e9 d’avant 1914 n’a pu acqu\u00e9rir ses premiers contours qu’apr\u00e8s la Premi\u00e8re Guerre mondiale. Pourtant, ce qui a \u00e9t\u00e9 conceptualis\u00e9 et d\u00e9battu \u00e0 l’\u00e9poque allait prendre forme apr\u00e8s 1945. Il s’agissait essentiellement d’une nouvelle Pax Atlantica<\/em> \u2014\u00a0un ordre atlantique sans pr\u00e9c\u00e9dent fond\u00e9 sur la paix, la s\u00e9curit\u00e9 et le d\u00e9veloppement. Dans une perspective globale, ce syst\u00e8me a \u00e9galement form\u00e9 le noyau constitutif d’un nouvel ordre mondial bas\u00e9 sur des r\u00e8gles pour le long vingti\u00e8me si\u00e8cle, qui s’est d’abord incarn\u00e9 dans le syst\u00e8me naissant des Nations unies et des institutions de Bretton Woods, mais qui s’est ensuite d\u00e9velopp\u00e9 au-del\u00e0 de ces derniers. Fond\u00e9 sur une coop\u00e9ration plus globale entre le nouvel h\u00e9g\u00e9mon am\u00e9ricain et les \u00c9tats d’Europe occidentale, y compris l’Allemagne de l’Ouest, ce nouveau syst\u00e8me d’ordre a \u00e9t\u00e9 cr\u00e9\u00e9 sur la base de deux piliers fondamentaux, le Programme de relance europ\u00e9en et l’Alliance de l’Atlantique Nord. Cela s’est fait sous la pression de l’escalade de la Guerre froide, mais aussi, et essentiellement, sur des bases plus anciennes qui remontent au moins \u00e0 1919. Ce qui s’est d\u00e9velopp\u00e9 est devenu une v\u00e9ritable communaut\u00e9 atlantique, un syst\u00e8me de s\u00e9curit\u00e9 collective, de r\u00e9solution pacifique des conflits, de gouvernement d\u00e9mocratique, de droits de l’homme, de capitalisme lib\u00e9ral limit\u00e9 par la d\u00e9mocratie sociale et de d\u00e9veloppement. Ce syst\u00e8me a \u00e9t\u00e9 renforc\u00e9 par d’innombrables r\u00e9seaux transnationaux et a fourni des conditions vitales pour le nouveau processus d’int\u00e9gration de l’Europe de l’Ouest. Bien que souvent contest\u00e9 et malgr\u00e9 les cas o\u00f9 ces normes furent outrepass\u00e9es ou m\u00eame viol\u00e9es, ce syst\u00e8me a acquis un impressionnant degr\u00e9 de stabilit\u00e9 et de l\u00e9gitimit\u00e9. Apr\u00e8s 1989, cela a ouvert des perspectives sans pr\u00e9c\u00e9dent pour tirer parti de ces avanc\u00e9es, en les \u00e9tendant non seulement \u00e0 l’Europe de l’Est, mais aussi pour \u0153uvrer \u00e0 un ordre mondial plus complet et plus l\u00e9gitime <\/span>8<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Mais les perspectives de cr\u00e9ation d’un tel ordre, sur la base des pr\u00e9misses atlantiques, ont \u00e9t\u00e9 s\u00e9rieusement remises en question, en particulier depuis l’av\u00e8nement de l’autoritarisme populiste \u00e0 la Trump et la guerre d’agression de la Russie de Poutine contre l’Ukraine et l’Occident \u2014 ce qui pourrait \u00eatre soit la fin, soit un point de renouveau formateur de l’ordre international du long vingti\u00e8me si\u00e8cle.<\/p>\n\n\n\n \u00c0 la lumi\u00e8re de tout cela, la Premi\u00e8re Guerre mondiale doit \u00eatre comprise, non pas comme la \u00ab catastrophe originelle \u00bb de la courte dur\u00e9e, mais plut\u00f4t comme le creuset du \u00ab long \u00bb XXe si\u00e8cle. Ce qui a rendu si \u00e9minemment n\u00e9cessaire et si redoutable la recherche plus globale de la paix et de l’ordre apr\u00e8s la guerre ne peut \u00eatre pleinement saisi qu’en reconnaissant non seulement les d\u00e9fis mondiaux sans pr\u00e9c\u00e9dent que la guerre elle-m\u00eame a cr\u00e9\u00e9s, mais aussi les d\u00e9fis plus profonds et \u00e0 plus long terme laiss\u00e9s par la concurrence imp\u00e9rialiste mondialis\u00e9e des d\u00e9cennies d’avant-guerre. C’est \u00e0 ces d\u00e9fis que les artisans de la paix ont d\u00fb faire face simultan\u00e9ment. La guerre a pr\u00e9cipit\u00e9 non seulement l’effondrement des empires wilhelminien, habsbourgeois, tsariste et ottoman, mais aussi, plus fondamentalement, la disparition de l’ensemble du syst\u00e8me \u00e9tatique europ\u00e9en et de l’\u00ab ordre \u00bb mondial de l’\u00e8re du grand imp\u00e9rialisme. Dans le m\u00eame temps, elle a propuls\u00e9 les \u00c9tats-Unis dans un nouveau r\u00f4le mondial auquel ils n’\u00e9taient gu\u00e8re pr\u00e9par\u00e9s, celui de nouvelle puissance \u00e9conomique et cr\u00e9anci\u00e8re pr\u00e9\u00e9minente, mais aussi celui de puissance politique d\u00e9cisive. Elle a \u00e9galement marqu\u00e9 un tournant dans une lutte mondiale beaucoup plus large entre les int\u00e9r\u00eats des puissances imp\u00e9riales restantes, en particulier la Grande-Bretagne et la France, et les revendications d’\u00ab autod\u00e9termination \u00bb des nationalistes anti-imp\u00e9riaux dans le \u00ab monde colonis\u00e9 \u00bb. Cependant, la Grande Guerre a \u00e9galement donn\u00e9 lieu \u00e0 une \u00ab guerre dans la guerre \u00bb politique et id\u00e9ologique d’une f\u00e9rocit\u00e9 sans pr\u00e9c\u00e9dent, qui s’est surtout transform\u00e9e en un conflit transatlantique portant non seulement sur la signification de la guerre elle-m\u00eame, mais aussi sur la forme de l’ordre international qui allait \u00e9merger \u00e0 la suite de celle-ci. Tout d’abord, les \u00ab id\u00e9es de 1776 et 1789 \u00bb occidentales se sont heurt\u00e9es aux \u00ab id\u00e9es de 1914 \u00bb allemandes. Puis, \u00e0 partir de 1917, la lutte s’est intensifi\u00e9e lorsque les aspirations de Wilson \u00e0 une \u00ab paix qui mettrait fin \u00e0 toutes les guerres \u00bb et \u00e0 une nouvelle Ligue des nations autonomes se sont heurt\u00e9es non seulement aux objectifs de guerre des principaux bellig\u00e9rants europ\u00e9ens, mais aussi \u00e0 l’appel de L\u00e9nine en faveur d’une r\u00e9volution bolchevique mondiale. Cette situation a suscit\u00e9 des attentes massives, voire exag\u00e9r\u00e9es et contradictoires, quant au type de paix et d’ordre \u00e0 instaurer apr\u00e8s cette catastrophe sans pr\u00e9c\u00e9dent.<\/p>\n\n\n\n La Premi\u00e8re Guerre mondiale doit \u00eatre comprise, non pas comme la \u00ab catastrophe originelle \u00bb de la courte dur\u00e9e, mais plut\u00f4t comme le creuset du \u00ab long \u00bb XXe si\u00e8cle.<\/p>Patrick O. Cohrs<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Dans ce contexte, le d\u00e9fi le plus important auquel les artisans de la paix de 1919 ont \u00e9t\u00e9 confront\u00e9s n’\u00e9tait ni de cr\u00e9er un \u00ab nouvel ordre mondial \u00bb radical ancr\u00e9 dans une Soci\u00e9t\u00e9 des Nations dot\u00e9e d’une autorit\u00e9 consid\u00e9rable, ni, comme on l’a souvent pr\u00e9tendu, d’\u00e9tablir un nouvel \u00e9quilibre mondial viable, avant tout en imposant des conditions restrictives aux puissances vaincues, puis en les faisant respecter <\/span>9<\/sup><\/a><\/span><\/span>. L’une ou l’autre de ces aspirations s’est av\u00e9r\u00e9e non seulement insaisissable, mais aussi contre-productive. La paix \u00e9conomique et financi\u00e8re n’\u00e9tait pas non plus la t\u00e2che la plus importante, m\u00eame si elle \u00e9tait incontestablement vitale <\/span>10<\/sup><\/a><\/span><\/span>. La seule voie r\u00e9aliste vers un ordre d’apr\u00e8s-guerre plus durable pouvait \u00eatre ouverte en s’engageant dans un processus de n\u00e9gociation et de r\u00e9organisation inclusif et, dans la mesure du possible, \u00e9quilibr\u00e9. En effet, seul ce choix aurait pu jeter les bases de ce qui \u00e9tait le plus important : un ordre de paix r\u00e9form\u00e9, essentiellement int\u00e9grateur, n\u00e9goci\u00e9 dans des conditions qui auraient pu \u00eatre consid\u00e9r\u00e9es comme l\u00e9gitimes par tous les acteurs concern\u00e9s, et pas seulement par les vainqueurs. Ce n’est que dans le cadre d’un tel processus que les int\u00e9r\u00eats et les attentes pourront \u00eatre pris en compte dans la mesure du possible. En termes syst\u00e9miques, il s’agissait avant tout de construire un concert atlantique in\u00e9dit d’\u00c9tats d\u00e9mocratiques au c\u0153ur du nouveau syst\u00e8me mondial et de l’institution in\u00e9dite qu’est la SDN. Pour \u00eatre efficace, ce concert devait inclure non seulement les \u00c9tats-Unis, la Grande-Bretagne et la France, mais aussi la jeune R\u00e9publique de Weimar. Et il pourrait \u00e9ventuellement \u00eatre \u00e9tendu au Japon et \u00e0 d’autres puissances clefs, alors que l’avenir du r\u00e9gime bolchevique est encore impr\u00e9visible \u00e0 ce stade <\/span>11<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n Ce qui s’est pass\u00e9 \u00e0 la Conf\u00e9rence de paix de Paris a marqu\u00e9 une premi\u00e8re tentative, \u00e0 certains \u00e9gards frustr\u00e9e, de cr\u00e9er un nouvel ordre mondial atlantique : celui-ci ne pouvait plus \u00eatre eurocentrique, mais il ne pouvait pas encore \u00eatre v\u00e9ritablement mondial. Il devait donc s’articuler autour d’un nouveau noyau atlantique. Domin\u00e9s par les objectifs, les int\u00e9r\u00eats et les contraintes des dirigeants d\u00e9mocratiquement l\u00e9gitim\u00e9s des principaux vainqueurs occidentaux \u2014\u00a0le pr\u00e9sident am\u00e9ricain Wilson, le premier ministre britannique Lloyd George et le premier ministre fran\u00e7ais Clemenceau \u2014\u00a0les processus de r\u00e9tablissement de la paix de Paris ont remodel\u00e9 le monde. Mais 1919 n’a pas vu l’av\u00e8nement d’un nouvel ordre mondial. Les n\u00e9gociations de Paris ont eu des effets aussi massifs qu’ambivalents sur les sph\u00e8res d’ordre r\u00e9gionales. Elles ont affect\u00e9 l’Asie de l’Est, comme l’illustre de la mani\u00e8re la plus frappante l’accord politique r\u00e9el conclu par Wilson avec la d\u00e9l\u00e9gation japonaise, qui a accord\u00e9 \u00e0 Tokyo l’autorit\u00e9 sur la province de Shandong et a frustr\u00e9 les aspirations de la Chine \u00e0 recouvrer sa souverainet\u00e9. Elle a \u00e9galement eu des r\u00e9percussions dramatiques au Moyen-Orient, o\u00f9 les violents processus de r\u00e9organisation apr\u00e8s l’effondrement de l’Empire ottoman n’ont eu lieu que de mani\u00e8re pr\u00e9liminaire, par le biais de l’accord de Lausanne de 1923. D’un point de vue mondial, il s’agissait d’un moment critique o\u00f9 les attentes plus larges de surmonter la domination imp\u00e9riale et de mondialiser l’autod\u00e9termination, que la rh\u00e9torique de Wilson avait particuli\u00e8rement suscit\u00e9es, entraient en conflit avec le pouvoir encore dominant et les int\u00e9r\u00eats particuliers de ceux qui, notamment en Grande-Bretagne et en France, cherchaient m\u00eame \u00e0 \u00e9tendre les pr\u00e9rogatives imp\u00e9riales. Les structures imp\u00e9rialistes essentielles d’influence et de pouvoir n’ont pas \u00e9t\u00e9 fondamentalement remani\u00e9es. Aucun nouveau principe ou norme de validit\u00e9 universelle n’a \u00e9t\u00e9 \u00e9tabli. Des gradations hi\u00e9rarchiques et des doubles standards ont \u00e9t\u00e9 maintenus, en Inde et au-del\u00e0, en particulier en ce qui concerne l’autod\u00e9termination. Cela s’est notamment manifest\u00e9 dans le syst\u00e8me de mandat n\u00e9o-imp\u00e9rial de la Ligue. La conf\u00e9rence de Paris a n\u00e9anmoins pr\u00e9par\u00e9 le terrain pour le processus plus long et violent qui allait finalement \u00e9roder la l\u00e9gitimit\u00e9 de l’imp\u00e9rialisme formel et informel et culminer dans les luttes de d\u00e9colonisation apr\u00e8s 1945 <\/span>12<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n Ce qui s’est pass\u00e9 \u00e0 la Conf\u00e9rence de paix de Paris a marqu\u00e9 la premi\u00e8re tentative, mais aussi, \u00e0 certains \u00e9gards, la tentative frustr\u00e9e de cr\u00e9er un nouvel ordre mondial atlantique \u2014 un ordre qui ne pouvait plus \u00eatre eurocentrique et qui ne pouvait pas encore \u00eatre v\u00e9ritablement mondial, mais qui devait essentiellement s’articuler autour d’un nouveau noyau atlantique.<\/p>Patrick O. Cohrs<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Pourtant, c’est en Europe que les artisans de la paix ont eu \u00e0 accomplir les t\u00e2ches de r\u00e9organisation les plus cruciales et redoutables. Et parce que leurs approches de la paix et de l’ordre restaient inconciliables sur des points essentiels, parce que leurs besoins de l\u00e9gitimation restaient si disparates et parce que les d\u00e9fis auxquels ils \u00e9taient confront\u00e9s \u00e9taient si vastes, ils n’ont pu parvenir qu’\u00e0 des compromis t\u00e9nus sur les questions les plus fondamentales. Cela vaut pour la question cl\u00e9 de la s\u00e9curit\u00e9 d’apr\u00e8s-guerre \u2014\u00a0o\u00f9 seule une architecture t\u00e9nue de garanties anglo-am\u00e9ricaines sp\u00e9cifiques et de s\u00e9curit\u00e9 collective bas\u00e9e sur la Ligue a pu \u00eatre \u00e9labor\u00e9e. Il en va de m\u00eame pour les probl\u00e8mes interd\u00e9pendants des r\u00e9parations allemandes et de la reconstruction de l’Europe, ainsi que pour la t\u00e2che gigantesque de r\u00e9organisation de l’Europe de l’Est apr\u00e8s l’effondrement des empires orientaux. Compte tenu des m\u00e9langes ethniques complexes et des revendications nationales contradictoires, il s’est av\u00e9r\u00e9 impossible de cr\u00e9er une nouvelle configuration stable d’\u00c9tats sur la base de l\u2019\u00ab autod\u00e9termination \u00bb. La perspective de trouver un v\u00e9ritable modus vivendi avec le r\u00e9gime bolchevique au milieu de la guerre civile russe n’\u00e9tait pas moins insaisissable. Le plus important, cependant, fut la mauvaise gestion par les vainqueurs de la question cruciale de l’Allemagne. La principale puissance vaincue n’a pas \u00e9t\u00e9 radicalement punie ou diminu\u00e9e, mais elle n’a pas non plus \u00e9t\u00e9 accommod\u00e9e. En fin de compte, une paix des vainqueurs a \u00e9t\u00e9 impos\u00e9e de mani\u00e8re humiliante, et l’Allemagne de Weimar est rest\u00e9e exclue du nouvel ordre naissant <\/span>13<\/sup><\/a><\/span><\/span>.\u00a0<\/p>\n\n\n\n [Lire plus : les autres \u00e9pisodes de notre s\u00e9rie sur le XXe si\u00e8cle en dix fins d’ann\u00e9e<\/a>]<\/em>. <\/p>\n\n\n\n Ainsi, l’ordre atlantique et mondial naissant qui prend forme en 1919 est un syst\u00e8me nettement inachev\u00e9, domin\u00e9 par les vainqueurs et d\u00e9pourvu de l\u00e9gitimit\u00e9 aux yeux des vaincus, des bolcheviks et de tous ceux dont les demandes d’autod\u00e9termination ont \u00e9t\u00e9 rejet\u00e9es. Dans le m\u00eame temps, la SDN a vu le jour, non pas en tant qu’organisation inclusive et v\u00e9ritablement mondiale, mais en tant qu’institution exclusive des vainqueurs <\/span>14<\/sup><\/a><\/span><\/span>. En raison de ces d\u00e9ficiences, la conf\u00e9rence de paix de Paris ne pouvait que marquer le \u00ab d\u00e9but d’un d\u00e9but \u00bb des tentatives d’instauration d’un ordre de paix viable pour le \u00ab long \u00bb vingti\u00e8me si\u00e8cle. L’issue de la conf\u00e9rence a \u00e9t\u00e9 encore plus compromise par la d\u00e9faite de Wilson dans la \u00ab bataille du trait\u00e9 \u00bb avec le S\u00e9nat domin\u00e9 par les R\u00e9publicains et par l’abstention subs\u00e9quente des \u00c9tats-Unis au sein de la SDN <\/span>15<\/sup><\/a><\/span><\/span>. C’est la raison pour laquelle les ann\u00e9es 1920, et en particulier les ann\u00e9es 1923-1925, qui ont marqu\u00e9 un tournant, ont acquis une telle importance.<\/p>\n\n\n\n La constellation originale de l’apr\u00e8s-Versailles avait cr\u00e9\u00e9 un antagonisme structurel entre une Allemagne isol\u00e9e, susceptible de s’engager dans la voie revendiqu\u00e9e du r\u00e9visionnisme pour se d\u00e9barrasser du \u00ab joug \u00bb de Versailles, et une France inqui\u00e8te qui cherchait des moyens toujours plus affirm\u00e9s de contenir la menace allemande qui se profilait \u00e0 l’horizon. Apr\u00e8s la disparition de la garantie de s\u00e9curit\u00e9 anglo-am\u00e9ricaine de 1919, la \u00ab guerre froide \u00bb franco-allemande s’est transform\u00e9e en conflit ouvert lorsque le premier ministre fran\u00e7ais de l’apr\u00e8s-guerre, Raymond Poincar\u00e9, s’est senti oblig\u00e9 d’aller au-del\u00e0 du statu quo de 1919 afin de renforcer la s\u00e9curit\u00e9 de la France. Cherchant \u00e0 prendre le contr\u00f4le des ressources strat\u00e9giques allemandes, en particulier dans la r\u00e9gion industrielle cl\u00e9 de la Ruhr, il n’a pas seulement amen\u00e9 l’Allemagne de Weimar au bord de la d\u00e9sint\u00e9gration. Il a \u00e9galement provoqu\u00e9 la crise cruciale de la Ruhr en 1923, qui allait conduire \u00e0 la cr\u00e9ation du nouvel ordre international euro-atlantique des ann\u00e9es 1920, le syst\u00e8me de Londres et de Locarno, m\u00eame s’il n’\u00e9tait pas encore consolid\u00e9.<\/p>\n\n\n\n L’ordre atlantique et mondial naissant qui prend forme en 1919 est un syst\u00e8me nettement inachev\u00e9.<\/p>Patrick O. Cohrs<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n En r\u00e9ponse au conflit de la Ruhr, le successeur de Wilson \u00e0 la t\u00eate de la politique \u00e9trang\u00e8re am\u00e9ricaine, le secr\u00e9taire d’\u00c9tat r\u00e9publicain Charles Hughes, a initi\u00e9 une r\u00e9orientation marqu\u00e9e de la strat\u00e9gie am\u00e9ricaine vis-\u00e0-vis de l’Europe. D\u00e9passant l’isolationnisme \u00e9troitement d\u00e9fini et la diplomatie \u00e9conomique, il proposa sa propre doctrine, d\u00e9clarant que ses principes directeurs seraient \u00ab l’ind\u00e9pendance \u00bb \u2014\u00a0qui ne signifiait pas \u00ab l’isolement \u00bb \u2014\u00a0et \u00ab la coop\u00e9ration \u00bb \u2014\u00a0qui ne s’\u00e9tendait pas aux \u00ab alliances et aux enchev\u00eatrements politiques \u00bb. Sur la base de ces principes, Hughes aspirait \u00e0 promouvoir, non pas l’expansion unilat\u00e9rale d’un empire commercial, mais une nouvelle Pax Americana<\/em> : une \u00ab communaut\u00e9 \u00bb internationale d’id\u00e9aux et d’int\u00e9r\u00eats au sein de laquelle le gouvernement am\u00e9ricain jouait le r\u00f4le d’arbitre informel, mais toujours engag\u00e9. Son noyau devait comprendre les \u00c9tats-Unis, l’Europe occidentale et, surtout, l’Allemagne de Weimar. Selon Hughes, le plus important pour l’Europe d’apr\u00e8s-guerre \u00e9tait d’initier un processus de pacification politique et \u00e9conomique efficace. Et il a effectivement trouv\u00e9 un moyen de favoriser une \u00ab coop\u00e9ration internationale efficace \u00bb en encourageant la \u00ab d\u00e9politisation \u00bb et le r\u00e8glement \u00ab rationnel \u00bb du conflit de la Ruhr par l’interm\u00e9diaire d’un comit\u00e9 international d’experts. L’initiative de Hughes a finalement donn\u00e9 naissance au plan Dawes de 1924. S’associant au premier gouvernement travailliste britannique de Ramsay MacDonald et aux financiers anglo-am\u00e9ricains, le secr\u00e9taire d’\u00c9tat am\u00e9ricain a ensuite contribu\u00e9 \u00e0 transformer le plan Dawes en un accord politique complexe, mais globalement l\u00e9gitime, lors de la conf\u00e9rence sur les r\u00e9parations qui s’est tenue \u00e0 Londres <\/span>16<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n L’accord de Londres d’ao\u00fbt 1924 a \u00e9t\u00e9 salu\u00e9 en Europe comme l’av\u00e8nement d’une \u00ab paix am\u00e9ricaine \u00bb. Il ne r\u00e9solvait pas encore le diff\u00e9rend sur les r\u00e9parations allemandes qui pesait sur la politique d’apr\u00e8s-guerre depuis Versailles. Cependant, il s’agissait du premier accord n\u00e9goci\u00e9 entre les vainqueurs et les vaincus de la guerre. Il a enfin cr\u00e9\u00e9 un instrument permettant de r\u00e9gler le probl\u00e8me le plus aigu de l’apr\u00e8s-Versailles. Prenant en compte la \u00ab capacit\u00e9 r\u00e9elle de paiement \u00bb de l’Allemagne, le r\u00e9gime Dawes a r\u00e9duit les obligations annuelles de l’Allemagne et a conduit au pr\u00eat initial de 800 millions de florins accord\u00e9 \u00e0 l’Allemagne par un syndicat dirig\u00e9 par la maison J.P. Morgan and Co. en octobre 1924. Le r\u00e9gime Dawes a ainsi initi\u00e9 un cycle asym\u00e9trique de stabilisation financi\u00e8re : L’Allemagne comptait principalement sur les capitaux am\u00e9ricains pour payer les r\u00e9parations \u00e0 la France et \u00e0 la Grande-Bretagne, et ces derni\u00e8res \u2014\u00a0toutes deux d\u00e9bitrices des \u00c9tats-Unis apr\u00e8s 1918\u2014\u00a0pouvaient \u00e0 leur tour utiliser les fonds des r\u00e9parations pour honorer leurs obligations vis-\u00e0-vis de Washington, bien que la France ne ratifie qu’en juillet 1929 le r\u00e8glement de la dette Mellon-B\u00e9renger. Il convient de souligner qu’une crise massive du r\u00e9gime des r\u00e9parations et de la dette n’\u00e9tait pas in\u00e9vitable. Dans ces conditions, le r\u00e8glement de 1924 offrait le meilleur cadre possible pour consolider l’Allemagne de Weimar. Il a engag\u00e9 l’Europe sur la voie de la pacification dans les ann\u00e9es \u00ab dor\u00e9es \u00bb de la fin des ann\u00e9es 1920. Mais il devait \u00eatre maintenu <\/span>17<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n Auparavant, Hughes avait \u00e9galement jou\u00e9 un r\u00f4le cl\u00e9 dans les avanc\u00e9es vers un contr\u00f4le mondial des armements navals et un \u00ab nouvel ordre \u00bb plus tourn\u00e9 vers l’avenir en Asie de l’Est. Cherchant \u00e0 \u00e9tablir un nouveau bloc r\u00e9gional viable de l’ordre mondial, il avait pris l’initiative de cr\u00e9er le syst\u00e8me de Washington de 1922, qui \u00e9tablissait le premier r\u00e9gime mondial de contr\u00f4le des armements navals et une \u00ab Magna Carta \u00bb prot\u00e9geant l’int\u00e9grit\u00e9 de la Chine. Les accords de Washington ne pouvaient pas encore \u00e9tablir un statu quo tenable en Asie de l’Est. Ils ont \u00e9t\u00e9 conclus au cours d’une p\u00e9riode de transition o\u00f9 les revendications europ\u00e9ennes et am\u00e9ricaines de longue date, les int\u00e9r\u00eats du Japon et les aspirations rivales des nationalistes et des communistes chinois, finalement d\u00e9fendues par Tchang Ka\u00ef-chek et Mao, \u00e9taient difficilement conciliables. Le syst\u00e8me de Washington n’en constitue pas moins une avanc\u00e9e importante. Il a stabilis\u00e9 une constellation complexe pendant pr\u00e8s d’une d\u00e9cennie et ouvrait la voie \u00e0 un ordre post-imp\u00e9rial en Asie de l’Est. En incluant le Japon, il renfor\u00e7ait aussi les partisans d’une nouvelle orientation lib\u00e9rale et occidentale \u00e0 Tokyo, comme le futur ministre des Affaires \u00e9trang\u00e8res Shidehara Kijuro et le futur premier ministre Hamaguchi Osachi <\/span>18<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n L’Allemagne comptait principalement sur les capitaux am\u00e9ricains pour payer les r\u00e9parations \u00e0 la France et \u00e0 la Grande-Bretagne.<\/p>Patrick O. Cohrs<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Cependant, le probl\u00e8me crucial de la politique internationale qui devait encore \u00eatre abord\u00e9 apr\u00e8s 1919, non seulement en Asie de l’Est \u2014\u00a0et \u00e0 l’\u00e9chelle mondiale\u2014 mais aussi et surtout en Europe, \u00e9tait sans aucun doute la question cardinale et de plus en plus complexe de la s\u00e9curit\u00e9. Dans la sph\u00e8re euro-atlantique, ce probl\u00e8me est devenu encore plus urgent apr\u00e8s les accords de Londres, pr\u00e9cis\u00e9ment parce que l’Allemagne avait commenc\u00e9 \u00e0 se revitaliser. C’est l\u00e0 qu’un autre tournant s’est produit au milieu des ann\u00e9es 1920 : les avanc\u00e9es les plus significatives ont \u00e9t\u00e9 r\u00e9alis\u00e9es en faveur d’une nouvelle architecture de s\u00e9curit\u00e9 internationale, plus durable et plus d\u00e9mocratique. Au c\u0153ur de ces avanc\u00e9es se trouve le deuxi\u00e8me accord historique de cette \u00e9poque, non seulement europ\u00e9en mais aussi essentiellement euro-atlantique : le pacte de Locarno d’octobre 1925. Cet accord a \u00e9t\u00e9 n\u00e9goci\u00e9 entre les nouveaux acteurs clefs de la politique europ\u00e9enne \u2014\u00a0le ministre fran\u00e7ais des Affaires \u00e9trang\u00e8res Aristide Briand, son homologue allemand Gustav Stresemann et, dans le r\u00f4le d’ \u00ab honn\u00eate courtier \u00bb de l’Europe, le ministre britannique des Affaires \u00e9trang\u00e8res, Austen Chamberlain. Les accords de Locarno ont non seulement consacr\u00e9 l’acceptation par l’Allemagne du statu quo d’apr\u00e8s-guerre \u00e0 ses fronti\u00e8res occidentales, mais aussi, par le biais de trait\u00e9s d’arbitrage distincts, l’engagement allemand en faveur d’une \u00e9volution pacifique en Europe de l’Est. Plus pr\u00e9cis\u00e9ment, le gouvernement allemand s’est engag\u00e9, malgr\u00e9 une opposition int\u00e9rieure tangible, \u00e0 ne chercher \u00e0 modifier les fronti\u00e8res contest\u00e9es de l’apr\u00e8s-Versailles avec la Pologne et la Tch\u00e9coslovaquie que par des moyens pacifiques. Plus important encore, Locarno a jet\u00e9 les bases d’un nouveau concert europ\u00e9en de puissances d\u00e9mocratiques dont le noyau comprenait la Grande-Bretagne, la France et la R\u00e9publique de Weimar. L’accord de paix d\u00e9mocratique de Locarno a revitalis\u00e9 la Soci\u00e9t\u00e9 des Nations en ouvrant la voie \u00e0 l’adh\u00e9sion de l’Allemagne \u00e0 l’automne 1926. Il a \u00e9galement fourni le cadre inter\u00e9tatique essentiel aux remarquables efforts de pacification, de r\u00e9conciliation et de d\u00e9sarmement militaire et mental que des r\u00e9seaux de plus en plus importants d’activistes et d’intellectuels non gouvernementaux ont poursuivis \u00e0 ce moment-l\u00e0. Il a enfin cr\u00e9\u00e9 des conditions pr\u00e9alables essentielles \u00e0 ce qui s’est d\u00e9roul\u00e9, malgr\u00e9 de nombreux obstacles et oppositions de part et d’autre : un processus de paix franco-allemand naissant et tout \u00e0 fait remarquable, qui a pr\u00e9figur\u00e9 le rapprochement historique de l’apr\u00e8s-1945.<\/p>\n\n\n\n \u00c0 l’\u00e9poque, et avec encore plus de ferveur depuis les ann\u00e9es 1930, des critiques ont d\u00e9nigr\u00e9 le pacte de Locarno comme une manifestation dangereusement illusoire d’\u00ab apaisement \u00bb <\/span>19<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Pour sa part, Staline, qui venait de se lancer dans l’industrialisation brutale et la refonte de l’Union sovi\u00e9tique, le qualifia avec m\u00e9pris d’\u00ab exemple de l’hypocrisie sans pareille de la diplomatie bourgeoise \u00bb qui ne faisait que couvrir \u00ab les pr\u00e9paratifs d’une nouvelle guerre \u00bb <\/span>20<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Dans une perspective \u00e0 long terme, cependant, l’accord de compromis de 1925 peut \u00eatre consid\u00e9r\u00e9 comme une r\u00e9alisation fondamentale, une \u00e9tape d\u00e9cisive dans un processus de transformation \u00e0 plus long terme qui, h\u00e9las, pouvait ne pouvait favoriser une paix plus durable qu\u2019apr\u00e8s une deuxi\u00e8me guerre mondiale. Il est toutefois important de reconna\u00eetre que seules les avanc\u00e9es transatlantiques de 1924 avaient cr\u00e9\u00e9 les conditions pr\u00e9alables essentielles \u00e0 la r\u00e9ussite du processus de Locarno \u2014\u00a0et que le soutien des \u00c9tats-Unis \u00e9tait alors \u00e9galement crucial pour son succ\u00e8s. Le gouvernement am\u00e9ricain n’\u00e9tait toujours pas dispos\u00e9 \u00e0 prendre des engagements strat\u00e9giques directs en Europe. Le d\u00e9partement d’\u00c9tat soulignait au contraire que la responsabilit\u00e9 de la mise en place d’un nouveau m\u00e9canisme de s\u00e9curit\u00e9 incombait aux puissances europ\u00e9ennes. Cependant, consid\u00e9rant le pacte de Locarno comme un pas important dans cette direction, l’administration Coolidge et les principaux banquiers de Wall Street ont fait jouer l’influence financi\u00e8re et politique des \u00c9tats-Unis en sa faveur. En m\u00eame temps, l’approche de Locarno avait la vertu de lib\u00e9rer Washington de toute obligation officielle que ni le S\u00e9nat ni l’\u00e9lectorat am\u00e9ricain n’auraient sanctionn\u00e9e. Contrairement au \u00ab syst\u00e8me de Versailles \u00bb, qui a en fait aggrav\u00e9 les calamit\u00e9s europ\u00e9ennes de l’apr\u00e8s-guerre, le syst\u00e8me de Londres et de Locarno a cr\u00e9\u00e9 le cadre essentiel pour la reconstruction politique et \u00e9conomique de l’Europe. En m\u00eame temps, il a jet\u00e9 les bases de la stabilisation et de l’int\u00e9gration internationale d’une Allemagne d\u00e9mocratique, tout en jetant les bases d’un nouveau syst\u00e8me de s\u00e9curit\u00e9 indispensable \u00e0 cette fin, m\u00eame s’il est encore loin d’\u00eatre consolid\u00e9. Pris ensemble, les compromis de Londres et de Locarno ont r\u00e9alis\u00e9 ce qui s’\u00e9tait av\u00e9r\u00e9 impossible \u00e0 Versailles : ils ont ouvert la seule voie r\u00e9aliste vers un ordre d’apr\u00e8s-guerre durable gr\u00e2ce \u00e0 des principes et des r\u00e8gles de base qui permettaient aux vainqueurs et aux vaincus de la Grande Guerre de n\u00e9gocier des accords \u00e9quilibr\u00e9s et r\u00e9ciproques qui s’accordaient avec l’ordre lib\u00e9ral fond\u00e9 sur des r\u00e8gles et le r\u00e9gime de droit international symbolis\u00e9s par la SDN \u2014\u00a0les renfor\u00e7ant m\u00eame de fait <\/span>21<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n La fin des ann\u00e9es 1920 a \u00e9t\u00e9 marqu\u00e9e par une v\u00e9ritable aube nouvelle en Europe et au-del\u00e0, ainsi que par une consolidation remarquable du nouvel ordre transatlantique. Une p\u00e9riode d’espoir pour la d\u00e9mocratie lib\u00e9rale et la paix semble s’ouvrir, non seulement en Europe et aux \u00c9tats-Unis. Cependant, le successeur de Hughes, Frank Kellogg, le futur pr\u00e9sident Herbert Hoover et d’autres d\u00e9cideurs clefs \u00e0 Washington avaient tir\u00e9 des le\u00e7ons \u00e0 courte vue des succ\u00e8s de Londres et de Locarno. Ils en ont conclu que la promotion par l’Am\u00e9rique du plan Dawes et du pacte de s\u00e9curit\u00e9 europ\u00e9en avait suffi \u00e0 mettre le Vieux Continent sur la voie de la paix, marquant ainsi les limites essentielles de l’engagement officiel des \u00c9tats-Unis dans l’Europe de l’apr\u00e8s-guerre. Il n’y avait donc aucune perspective r\u00e9elle \u00e0 m\u00eame de r\u00e9aliser ce qui aurait \u00e9t\u00e9 essentiel : \u00e9largir le concert europ\u00e9en naissant de 1925 pour en faire un syst\u00e8me de s\u00e9curit\u00e9 euro-atlantique plus robuste et plus efficace. C’est au cours des n\u00e9gociations sur le pacte Kellogg-Briand que cette situation est devenue la plus \u00e9vidente.\u00a0<\/p>\n\n\n\n Au printemps 1927, le ministre fran\u00e7ais des Affaires \u00e9trang\u00e8res, Aristide Briand, a propos\u00e9 \u00e0 Washington un pacte bilat\u00e9ral de paix perp\u00e9tuelle, engageant les deux nations \u00e0 \u00ab renoncer \u00e0 la guerre comme instrument de politique nationale \u00bb. L’initiative de Briand a d\u00e9clench\u00e9 un processus complexe de n\u00e9gociations transatlantiques qui a abouti \u00e0 un trait\u00e9 sans pr\u00e9c\u00e9dent mais finalement inefficace. Press\u00e9 par le mouvement am\u00e9ricain de \u00ab proscription de la guerre \u00bb, dont l’un des champions \u00e9tait son mentor politique, le s\u00e9nateur r\u00e9publicain William Borah, globalement isolationniste, Kellogg a essentiellement dirig\u00e9 ce processus en fonction des int\u00e9r\u00eats am\u00e9ricains et des contraintes strat\u00e9giques qu’il s’\u00e9tait impos\u00e9es dans une phase d’isolationnisme s\u00e9lectif. En fin de compte, l’administration Coolidge n’a pas conclu avec Paris un \u00ab trait\u00e9 d\u00e9fensif \u00bb bilat\u00e9ral qui aurait engag\u00e9 les \u00c9tats-Unis \u00e0 respecter le statu quo de l’apr\u00e8s-guerre en Europe. Au lieu de cela, le 27 ao\u00fbt 1928, elle s’est jointe \u00e0 la Grande-Bretagne, \u00e0 la France et \u00e0 l’Allemagne, ainsi qu’\u00e0 la Pologne, \u00e0 la Tch\u00e9coslovaquie et au Japon, pour signer un pacte g\u00e9n\u00e9ral de renonciation \u00e0 la guerre, auquel ont \u00e9galement souscrit de nombreux autres \u00c9tats, et m\u00eame, \u00e0 terme, l’Union sovi\u00e9tique. Pourtant, ce qui est devenu le pacte Briand-Kellogg ne comportait aucun m\u00e9canisme international permettant de faire respecter les dispositions essentielles du trait\u00e9 ou d’imposer des sanctions \u00e0 ceux qui s’\u00e9cartaient de l’engagement de renoncer \u00e0 la guerre en tant que moyen de politique internationale <\/span>22<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n Plus important encore, l’administration Hoover a d\u00e9cid\u00e9 de s’abstenir de tout r\u00f4le de direction politique dans l’\u00e9laboration du plan Young et des n\u00e9gociations qui ont abouti \u00e0 l’accord euro-atlantique le plus important avant la Grande D\u00e9pression : l’accord global, mais pas encore d\u00e9finitif, sur les r\u00e9parations conclu lors de la premi\u00e8re conf\u00e9rence de La Haye en ao\u00fbt 1929. Le compromis \u00e9labor\u00e9 \u00e0 La Haye \u2014\u00a0par les puissances de Locarno, mais sans aucun participant am\u00e9ricain \u2014\u00a0a \u00e9galement r\u00e9gl\u00e9 l’aspect le plus critique de la question cardinale de la Rh\u00e9nanie qui avait divis\u00e9 la France et l’Allemagne. Il a \u00e9t\u00e9 convenu que l’occupation franco-belge prendrait fin en juin 1930, bien avant la date limite de 1935 fix\u00e9e par le trait\u00e9 de Versailles. R\u00e9trospectivement, toutefois, ce r\u00e8glement n’est pas seulement arriv\u00e9 trop tard pour anticiper l’effondrement de l’ordre international qui s’en est suivi. Il \u00e9tait \u00e9galement moins important qu’il n’aurait pu l’\u00eatre. Les limites des politiques am\u00e9ricaines, notamment celles de l’administration Hoover nouvellement inaugur\u00e9e, ont eu une influence significative sur ce r\u00e9sultat, avec des cons\u00e9quences finalement d\u00e9sastreuses pour l’ordre naissant de l’apr\u00e8s-guerre des ann\u00e9es 1920. Il ne fait aucun doute que les d\u00e9cideurs am\u00e9ricains ont opt\u00e9 pour le d\u00e9sengagement en partie parce qu’ils ne voulaient pas \u00eatre impliqu\u00e9s dans des n\u00e9gociations politiques susceptibles de faire resurgir le spectre de l’all\u00e9gement de la dette. Toutefois, leur attitude distante \u00e9tait \u00e9galement motiv\u00e9e par des consid\u00e9rations plus fondamentales. Hoover, en particulier, restait convaincu que le recours \u00e0 une diplomatie europ\u00e9enne d\u00e9pass\u00e9e faisait partie du probl\u00e8me, et non de la solution. Il s’en tenait \u00e9galement \u00e0 son credo selon lequel une v\u00e9ritable solution au diff\u00e9rend sur les r\u00e9parations et aux probl\u00e8mes plus vastes de l’Europe dans l’apr\u00e8s-guerre devait \u00eatre fond\u00e9e uniquement sur des \u00ab bases \u00e9conomiques \u00bb, sans tenir compte outre mesure des \u00ab consid\u00e9rations politiques \u00bb. C’est pr\u00e9cis\u00e9ment parce qu’ils ont d\u00e9fendu une attitude progressiste sur ces bases que les d\u00e9cideurs am\u00e9ricains n’ont pas vu la n\u00e9cessit\u00e9 de ce que leurs homologues europ\u00e9ens, en particulier Stresemann et Briand, consid\u00e9raient comme essentiel pour faire progresser la stabilisation de l’Europe : de nouveaux r\u00e8glements globaux comprenant \u00e0 la fois des \u00e9l\u00e9ments financiers et des \u00e9l\u00e9ments politiques <\/span>23<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n Hoover restait convaincu que le recours \u00e0 une diplomatie europ\u00e9enne d\u00e9pass\u00e9e faisait partie du probl\u00e8me, et non de la solution.\u00a0<\/p>Patrick O. Cohrs<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n H\u00e9las, ces r\u00e9alisations durement acquises n’ont pas pu \u00eatre rendues suffisamment solides pour r\u00e9sister aux ondes de choc de la crise \u00e9conomique mondiale. Cette calamit\u00e9 politico-\u00e9conomique sans pr\u00e9c\u00e9dent, destructrice et dont l’impact fut mondial, s’est transform\u00e9e en une spirale vicieuse de crises successives que les responsables politiques internationaux n’ont finalement plus pu contr\u00f4ler. Alors que les \u00c9tats europ\u00e9ens avaient beaucoup de mal \u00e0 contenir les cons\u00e9quences de l’effondrement financier et \u00e9conomique et la mont\u00e9e en fl\u00e8che du ch\u00f4mage, les r\u00e9ponses de l’administration Hoover \u00e0 ce qui \u00e9tait devenu un processus de d\u00e9t\u00e9rioration rapide ont \u00e9t\u00e9 tardives et se sont r\u00e9v\u00e9l\u00e9es insuffisantes pour emp\u00eacher la d\u00e9sint\u00e9gration de la paix euro-atlantique naissante des ann\u00e9es 1920. Une fois que la Grande D\u00e9pression a \u00e9clips\u00e9 tout le reste, les \u00c9tats-Unis n’ont pas eu les moyens de pr\u00e9venir l’effondrement de l’ordre international. De plus, les d\u00e9cideurs am\u00e9ricains disposaient de moins en moins d’incitations ou de pouvoirs de sanction pour contrer \u2014\u00a0et encore moins pour inverser \u2014 la d\u00e9sint\u00e9gration de la R\u00e9publique de Weimar et le virage militariste et autoritaire du Japon. Il est toutefois important de comprendre que la crise mondiale du d\u00e9but des ann\u00e9es 1930 n’a en rien prouv\u00e9 que le syst\u00e8me de Londres et de Locarno aurait \u00e9t\u00e9 intrins\u00e8quement d\u00e9fectueux ou encore que les progr\u00e8s r\u00e9alis\u00e9s depuis 1923 auraient en r\u00e9alit\u00e9 pr\u00e9par\u00e9 le terrain pour les calamit\u00e9s qui ont englouti l’Europe et le monde apr\u00e8s 1929. Mais ce que l’on peut affirmer c’est que la r\u00e9ticence des d\u00e9cideurs politiques et financiers am\u00e9ricains \u00e0 promouvoir une architecture internationale plus efficace en mati\u00e8re de politique et de finance a eu des r\u00e9percussions tangibles \u2014\u00a0elle a jou\u00e9 un r\u00f4le d\u00e9cisif dans le fait que le krach de Wall Street a fini par se transformer en une crise mondiale de grande ampleur en 1931. Le comportement des \u00c9tats-Unis a en fait acc\u00e9l\u00e9r\u00e9 un revirement fondamental vers des politiques d’\u00ab auto-assistance \u00bb qui ont \u00e9galement touch\u00e9 l’Europe, l’Asie de l’Est et d’autres r\u00e9gions du monde et qui ont finalement corrod\u00e9 le syst\u00e8me international des ann\u00e9es 1920. Le syst\u00e8me financier et commercial mondial s’est dissous dans des blocs protectionnistes et des sph\u00e8res d’influence nationales ferm\u00e9es. Le processus de \u00ab renationalisation \u00bb, qui a entra\u00een\u00e9 des cons\u00e9quences encore plus d\u00e9sastreuses, a \u00e9galement refondu la politique internationale. En dissolvant le concert europ\u00e9en, il a \u00e9galement rendu vaines les tentatives tardives et limit\u00e9es de gestion de la crise par l’administration Hoover <\/span>24<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n Dans le domaine crucial de la s\u00e9curit\u00e9 internationale, la politique am\u00e9ricaine a \u00e9t\u00e9 fortement limit\u00e9e par la r\u00e9ticence de Hoover \u00e0 d\u00e9fendre, dans un contexte int\u00e9rieur essentiellement isolationniste, des engagements strat\u00e9giques plus larges visant \u00e0 sauver l’ordre euro-atlantique de l’apr\u00e8s-guerre. Lorsque la derni\u00e8re conf\u00e9rence de Gen\u00e8ve sur le d\u00e9sarmement a commenc\u00e9 ses travaux en f\u00e9vrier 1932, l’administration Hoover \u00e9tait revenue \u00e0 un non-engagement strict, prenant ses distances par rapport aux efforts de la Ligue visant \u00e0 \u00e9tablir un r\u00e9gime g\u00e9n\u00e9ral de limitation des armements. L’\u00e9chec de la conf\u00e9rence de Gen\u00e8ve qui s’ensuivit a pratiquement achev\u00e9 la d\u00e9sint\u00e9gration du syst\u00e8me de Londres et de Locarno. Ce processus et la dissolution parall\u00e8le de la R\u00e9publique de Weimar allaient finalement permettre \u00e0 Hitler de lancer son assaut contre l’ordre mondial. L’exemple le plus frappant de l’incapacit\u00e9 des \u00c9tats-Unis \u00e0 faire respecter l’ordre international \u00e0 l’\u00e9poque de la d\u00e9pression ne s’est \u00e9videmment pas produit en Europe, mais apr\u00e8s l’invasion japonaise de la Mandchourie en septembre 1931, qui a conduit \u00e0 l’instauration du r\u00e9gime fantoche du Mandchoukouo en f\u00e9vrier 1932. L’administration Hoover a refus\u00e9 de participer aux sanctions internationales contre le Japon et n’a jamais protest\u00e9 avec force contre les violations japonaises du trait\u00e9 des neuf puissances du syst\u00e8me de Washington et de ses garanties pour l’int\u00e9grit\u00e9 de la Chine. La r\u00e9ponse am\u00e9ricaine s’est finalement limit\u00e9e \u00e0 la doctrine Stimson, qui stipulait que les \u00c9tats-Unis ne reconna\u00eetraient ni le r\u00e9gime du Mandchoukouo ni aucun autre changement forc\u00e9 du statu quo en Asie de l’Est. Le secr\u00e9taire d’\u00c9tat Stimson avait lui-m\u00eame pr\u00e9conis\u00e9 une politique plus ferme. Mais Hoover n’\u00e9tait pas pr\u00eat \u00e0 accepter des mesures militaires ou \u00e9conomiques pour faire appliquer la nouvelle doctrine, notamment parce qu’il craignait l’opposition du Congr\u00e8s. L’expansion de la crise a \u00e9galement scell\u00e9 le destin du syst\u00e8me de Washington. Malgr\u00e9 le compromis naval de la conf\u00e9rence de Londres de 1930, cette pierre angulaire de l’ordre de paix naissant des ann\u00e9es 1920 avait d\u00e9j\u00e0 \u00e9t\u00e9 \u00e9rod\u00e9e par la rivalit\u00e9 sous-jacente entre les puissances anglo-am\u00e9ricaines et les objectifs agressifs de l’arm\u00e9e japonaise et de ses alli\u00e9s politiques.<\/p>\n\n\n\n L’\u00e9chec de la conf\u00e9rence de Gen\u00e8ve a pratiquement achev\u00e9 la d\u00e9sint\u00e9gration du syst\u00e8me de Londres et de Locarno.<\/p>Patrick O. Cohrs<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Tragiquement, les remarquables r\u00e9alisations de l’\u00e8re de Washington, Londres et Locarno allaient donc \u00eatre d\u00e9truites au cours des ann\u00e9es 1930, d’abord par l’expansionnisme du Japon militariste et autoritaire, ensuite par la politique fasciste de Mussolini et enfin, de mani\u00e8re d\u00e9cisive, par la descente sans pr\u00e9c\u00e9dent de l’Allemagne hitl\u00e9rienne dans la barbarie, plongeant le monde dans un second conflit mondial \u2014\u00a0encore plus abominable que le premier. Pourtant, ce qui avait \u00e9t\u00e9 conceptualis\u00e9 et poursuivi dans les ann\u00e9es 1920 a, \u00e0 bien des \u00e9gards, pr\u00e9par\u00e9 le terrain pour le syst\u00e8me de paix et la communaut\u00e9 euro-atlantique qui allaient \u00eatre construits apr\u00e8s cette guerre, sur les bases du Programme de relance europ\u00e9en et de l’Alliance de l’Atlantique Nord, et qui allaient \u00eatre d\u00e9velopp\u00e9s au cours de la seconde moiti\u00e9 du long vingti\u00e8me si\u00e8cle. Dans un sens plus large, tant les avanc\u00e9es de l’apr\u00e8s-Premi\u00e8re Guerre mondiale que l’incapacit\u00e9 \u00e0 les pr\u00e9server pendant la Grande D\u00e9pression sont porteuses de le\u00e7ons fondamentales pour le pr\u00e9sent \u2014\u00a0des le\u00e7ons qui semblent particuli\u00e8rement pertinentes aujourd’hui, \u00e0 un moment o\u00f9 l’approximation la plus proche d’un ordre mondial fond\u00e9 sur des r\u00e8gles est soumise \u00e0 une pression si \u00e9minente, \u00e0 la fois de l’ext\u00e9rieur et de l’int\u00e9rieur.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":" Pas d\u2019ann\u00e9es folles. Pas de Roaring Twenties<\/em>. Les ann\u00e9es 1920 inaugurent une recomposition profonde de l\u2019ordre mondial selon une logique atlantique. Dans une perspective \u00e9rudite et inform\u00e9e par la longue dur\u00e9e, Patrick O. Cohrs revient sur cette \u00e9tape clef de l\u2019histoire europ\u00e9enne et globale qui, \u00e0 bien des \u00e9gards, a fa\u00e7onn\u00e9 tout le XXe si\u00e8cle. Deuxi\u00e8me \u00e9pisode de notre s\u00e9rie dirig\u00e9e par Pierre Grosser.<\/p>\n","protected":false},"author":10,"featured_media":213266,"comment_status":"closed","ping_status":"closed","sticky":false,"template":"templates\/post-studies.php","format":"standard","meta":{"_acf_changed":false,"_trash_the_other_posts":false,"footnotes":""},"categories":[3679],"tags":[],"geo":[2163],"class_list":["post-213233","post","type-post","status-publish","format-standard","hentry","category-le-xxe-siecle-en-dix-fins-dannee","staff-patrick-o-cohrs","geo-monde"],"acf":[],"yoast_head":"\n
\r\n <\/picture>\r\n \n Les transformations formatives du long XXe si\u00e8cle et le creuset de la Grande Guerre<\/strong><\/h2>\n\n\n\n
Les difficult\u00e9s de la paix de 1919 et la n\u00e9cessit\u00e9 d’un ordre plus durable et plus l\u00e9gitime<\/strong><\/h2>\n\n\n\n
\r\n <\/picture>\r\n \n Le tournant : les processus d’apprentissage et les r\u00e8glements transformateurs des ann\u00e9es 1920<\/strong><\/h2>\n\n\n\n
\r\n <\/picture>\r\n \n L’aube nouvelle de la fin des ann\u00e9es 1920 et l’impact d\u00e9vastateur de la crise \u00e9conomique mondiale<\/strong><\/h2>\n\n\n\n