{"id":206387,"date":"2023-11-01T06:30:00","date_gmt":"2023-11-01T05:30:00","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=206387"},"modified":"2023-11-01T11:32:53","modified_gmt":"2023-11-01T10:32:53","slug":"israel-comment-la-guerre-de-kippour-a-dessine-une-nouvelle-carte-energetique","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2023\/11\/01\/israel-comment-la-guerre-de-kippour-a-dessine-une-nouvelle-carte-energetique\/","title":{"rendered":"Isra\u00ebl : comment la guerre de Kippour a dessin\u00e9 une nouvelle carte \u00e9nerg\u00e9tique"},"content":{"rendered":"\n

Le choc p\u00e9trolier provoqu\u00e9 par la guerre du Kippour a, plus que tout autre \u00e9v\u00e9nement, contribu\u00e9 \u00e0 faire des ann\u00e9es 1970 une d\u00e9cennie de crise \u00e9nerg\u00e9tique. Alors que les troupes \u00e9gyptiennes franchissent le canal de Suez le 6 octobre 1973 dans une attaque coordonn\u00e9e avec celle de la Syrie sur le plateau du Golan, la marine \u00e9gyptienne bloque le d\u00e9troit de Bab al-Mandeb \u2014 l’\u00e9troite \u00e9tendue d’eau qui relie la mer Rouge au golfe d’Aden \u2014 coupant l’acc\u00e8s d’Isra\u00ebl \u00e0 sa principale source d’approvisionnement en p\u00e9trole, l’Iran. Une semaine et demie plus tard, les six pays du golfe Persique membres du cartel p\u00e9trolier de l’OPEP ont augment\u00e9 le prix affich\u00e9 du p\u00e9trole de 3 \u00e0 5,12 dollars<\/a>. D\u00e9termin\u00e9s \u00e0 augmenter \u00e9galement le prix du march\u00e9, les membres arabes de l’OPEP (OPAEP) ont commenc\u00e9 le lendemain \u00e0 r\u00e9duire leur production. Alors que ces deux mesures ont affect\u00e9 la plupart des importateurs, l\u2019OPAEP a ensuite r\u00e9pondu \u00e0 la demande du pr\u00e9sident Richard Nixon au Congr\u00e8s d\u2019une aide militaire de 2,2 milliards de dollars pour Isra\u00ebl en interdisant la vente de p\u00e9trole aux \u00c9tats-Unis et aux Pays-Bas. Bien que la guerre se soit termin\u00e9e par un cessez-le-feu le 25 octobre, l’OPAEP a de nouveau r\u00e9duit la production en novembre et les membres de l’OPEP du golfe Persique ont augment\u00e9 le prix affich\u00e9 \u00e0 11,60 dollars le mois suivant. L’embargo est rest\u00e9 en vigueur jusqu’en mars 1974, apr\u00e8s avoir \u00e9t\u00e9 \u00e9tendu \u00e0 l’Afrique du Sud, au Portugal et \u00e0 la Rhod\u00e9sie. Sous l’effet cumul\u00e9 de ces actions, les prix du march\u00e9 du p\u00e9trole ont plus que doubl\u00e9 entre le d\u00e9but de la guerre et la fin de l’embargo.<\/p>\n\n\n\n

Les effets imm\u00e9diats sur la vie quotidienne ont \u00e9t\u00e9 dramatiques<\/a>. Tous les \u00c9tats occidentaux ont introduit une forme ou une autre de rationnement de l’\u00e9nergie. Plusieurs gouvernements europ\u00e9ens ont interdit de conduire le dimanche. Au Japon, les ministres ont r\u00e9duit d’un cinqui\u00e8me la fourniture de p\u00e9trole et d’\u00e9lectricit\u00e9 \u00e0 l’industrie. De l’autre c\u00f4t\u00e9 du Pacifique, l’administration Nixon l\u00e9gif\u00e8re en faveur d’une limitation de vitesse \u00e0 55 miles par heure sur les autoroutes du pays et prolonge l’heure d’\u00e9t\u00e9. Le 7 novembre 1973, Nixon, qui n’\u00e9tait pas psychologiquement en mesure de faire face \u00e0 la crise, sa pr\u00e9sidence \u00e9tant simultan\u00e9ment boulevers\u00e9e par le Watergate, pronon\u00e7a un discours national t\u00e9l\u00e9vis\u00e9, d\u00e9clarant que \u00ab jusqu’\u00e0 ce que nous fournissions de nouvelles sources d’\u00e9nergie pour demain, nous devons \u00eatre pr\u00eats \u00e0 nous serrer la ceinture aujourd’hui \u00bb.<\/p>\n\n\n\n

Les effets imm\u00e9diats du choc p\u00e9trolier sur la vie quotidienne ont \u00e9t\u00e9 dramatiques. Tous les \u00c9tats occidentaux ont introduit une forme ou une autre de rationnement de l’\u00e9nergie.<\/p>Helen Thompson<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

Sur le plan g\u00e9opolitique, il semble qu’un monde ait pris fin et, avec lui, toute notion d’unit\u00e9 occidentale. Par moments, Henry Kissinger, \u00e0 la fois conseiller \u00e0 la s\u00e9curit\u00e9 nationale et secr\u00e9taire d’\u00c9tat de Nixon, a pu parler comme si Washington avait le pouvoir de prendre le contr\u00f4le des champs p\u00e9trolif\u00e8res du Moyen-Orient<\/span>1<\/sup><\/a><\/span>. \u00c0 une occasion, il a d\u00e9clar\u00e9 que si les \u00c9tats arabes ne s’accommodaient pas des \u00c9tats importateurs de p\u00e9trole, ils \u00ab suivraient la voie des cit\u00e9s-\u00c9tats grecques \u00bb. Il \u00e9tait tout aussi m\u00e9content des gouvernements britanniques et fran\u00e7ais, qui avaient conclu des accords bilat\u00e9raux avec les membres de l’OPAEP et refus\u00e9 de laisser les \u00c9tats-Unis utiliser leurs bases militaires en cas de guerre avec l’Union sovi\u00e9tique. Ils agissaient, selon Kissinger, \u00ab comme si l’alliance n’existait pas \u00bb. Lors des pourparlers men\u00e9s par les Am\u00e9ricains en 1974 pour cr\u00e9er l’Agence internationale de l’\u00e9nergie, Nixon, presque bris\u00e9, mena\u00e7a de retirer ses troupes d’Europe occidentale si les gouvernements qui la composent n’acceptaient pas un cadre institutionnel dans lequel les grands pays importateurs de p\u00e9trole coop\u00e9reraient les uns avec les autres.<\/p>\n\n\n\n

Le choc p\u00e9trolier de 1973-1974 a \u00e9t\u00e9 autant le sympt\u00f4me que la cause de la crise \u00e9nerg\u00e9tique des ann\u00e9es 1970. Bien avant le d\u00e9but de la guerre du Kippour, la politique p\u00e9troli\u00e8re \u00e9tait en plein bouleversement. Dans l’ancien monde, dont les contours, en dehors de l’Union sovi\u00e9tique, s’\u00e9taient dessin\u00e9s au d\u00e9but du XXe<\/sup> si\u00e8cle, les \u00c9tats-Unis \u00e9taient largement autosuffisants et l’approvisionnement provenait de compagnies p\u00e9troli\u00e8res ind\u00e9pendantes centr\u00e9es au Texas. Dans le m\u00eame temps, sept compagnies p\u00e9troli\u00e8res internationales, constitu\u00e9es par les successeurs de la Standard Oil de John Rockefeller, de la British Petroleum et de la Shell, dominaient la production au Moyen-Orient, en Afrique et en Am\u00e9rique latine. Dans la version post-Seconde Guerre mondiale de ce syst\u00e8me, l’approvisionnement \u00e9tait clairement d\u00e9limit\u00e9 : sauf en cas d’urgence, le p\u00e9trole de l’h\u00e9misph\u00e8re occidental \u00e9tait destin\u00e9 aux Am\u00e9riques, tandis que le p\u00e9trole du Moyen-Orient, compl\u00e9t\u00e9 \u00e0 partir des ann\u00e9es 1960 par les exportations sovi\u00e9tiques, \u00e9tait destin\u00e9 \u00e0 l’Europe occidentale, \u00e0 l’Asie et \u00e0 l’Australasie. Cette division d\u00e9pendait \u00e0 la fois de la volont\u00e9 des \u00c9tats producteurs de p\u00e9trole non sovi\u00e9tiques et non am\u00e9ricains d’accepter la fixation des prix par les compagnies p\u00e9troli\u00e8res internationales, du gouvernement f\u00e9d\u00e9ral am\u00e9ricain agissant pour emp\u00eacher le p\u00e9trole \u00e9tranger \u2014 \u00e0 moins qu’il ne soit mexicain ou canadien \u2014 d’entrer aux \u00c9tats-Unis<\/a> et de la capacit\u00e9 imp\u00e9riale de la Grande-Bretagne \u00e0 utiliser sa marine pour maintenir ouvertes les eaux autour du Moyen-Orient.<\/p>\n\n\n\n

Le choc p\u00e9trolier de 1973-1974 a \u00e9t\u00e9 autant le sympt\u00f4me que la cause de la crise \u00e9nerg\u00e9tique des ann\u00e9es 1970.<\/p>Helen Thompson<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

Au d\u00e9but de 1973, aucune de ces conditions n’\u00e9tait remplie. Alors que les compagnies p\u00e9troli\u00e8res internationales avaient repouss\u00e9 la cr\u00e9ation de l’OPEP en 1960, l’arriv\u00e9e du colonel Kadhafi au pouvoir en Libye en 1969 annon\u00e7ait le d\u00e9but de la fin de leur supr\u00e9matie sur l’Eurasie et l’Am\u00e9rique latine. Contraintes par Kadhafi d’augmenter leurs prix apr\u00e8s avoir ordonn\u00e9 l’arr\u00eat de la production, elles ont vu leurs actifs de plus en plus souvent nationalis\u00e9s, notamment en 1972 par le gouvernement baasiste, qui avait pris le pouvoir \u00e0 Bagdad en 1968. Lorsque leurs actifs sont rest\u00e9s intacts,elles durent accepter les nouvelles conditions de partage des revenus pr\u00e9vues par les accords de Tripoli et de T\u00e9h\u00e9ran de 1971, qui accordaient aux \u00c9tats 55 % des b\u00e9n\u00e9fices r\u00e9alis\u00e9s sur les prix plus \u00e9lev\u00e9s. Un mois avant que l’\u00c9gypte et la Syrie n’attaquent Isra\u00ebl, les compagnies p\u00e9troli\u00e8res internationales avaient entam\u00e9 \u00e0 Vienne des n\u00e9gociations avec l’OPEP en vue d’une nouvelle hausse des prix.<\/p>\n\n\n\n

Aux \u00c9tats-Unis, la production nationale de p\u00e9trole a atteint son maximum en 1970 et, l’ann\u00e9e suivante, Nixon a mis en place un syst\u00e8me de contr\u00f4le f\u00e9d\u00e9ral des prix int\u00e9rieurs du p\u00e9trole. Le pays ayant d\u00e9sormais besoin de plus de p\u00e9trole \u00e9tranger, Nixon a \u00e9galement d\u00e9mantel\u00e9, en avril 1973, le r\u00e9gime strict de quotas d’importation, qui avait privil\u00e9gi\u00e9 les exportations mexicaines et canadiennes, instaur\u00e9 par le pr\u00e9sident Eisenhower quatorze ans plus t\u00f4t. Pour sa part, le gouvernement britannique dirig\u00e9 par Harold Wilson \u00e9tait parvenu \u00e0 la conclusion, d\u00e8s la fin de 1967, que la Grande-Bretagne \u00e9tait trop faible financi\u00e8rement et trop vuln\u00e9rable militairement pour rester une puissance imp\u00e9riale au Moyen-Orient et, en 1971, Edward Heath avait largement ex\u00e9cut\u00e9 le plan de retrait \u00e0 l’est de Suez \u00e9labor\u00e9 par son pr\u00e9d\u00e9cesseur<\/span>2<\/sup><\/a><\/span>.<\/p>\n\n\n\n

Dans le monde de l’\u00e9nergie d’avant 1973, les \u00c9tats arabes avaient utilis\u00e9 les embargos et le transit du p\u00e9trole comme une arme g\u00e9opolitique. Ce qui a chang\u00e9 avec la guerre du Kippour, c’est leur capacit\u00e9 \u00e0 d\u00e9ployer cette tactique efficacement contre les \u00c9tats-Unis. En revanche, pour Isra\u00ebl, la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne de l’Ouest, l’ins\u00e9curit\u00e9 \u00e9nerg\u00e9tique li\u00e9e au conflit isra\u00e9lo-arabe \u00e9tait d\u00e9j\u00e0 une r\u00e9alit\u00e9 ; pour Isra\u00ebl, elle \u00e9tait en permanence existentielle car aucun \u00c9tat arabe n’avait jamais \u00e9t\u00e9 dispos\u00e9 \u00e0 lui vendre du p\u00e9trole.<\/p>\n\n\n\n

Dans le monde de l’\u00e9nergie d’avant 1973, les \u00c9tats arabes avaient utilis\u00e9 les embargos et le transit du p\u00e9trole comme une arme g\u00e9opolitique. Ce qui a chang\u00e9 avec la guerre du Kippour, c’est leur capacit\u00e9 \u00e0 d\u00e9ployer cette tactique efficacement contre les \u00c9tats-Unis.<\/p>Helen Thompson<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

Lors de la crise de Suez en 1956, le pr\u00e9sident \u00e9gyptien Gamal Abdel Nasser a bloqu\u00e9 l’acc\u00e8s d’Isra\u00ebl au d\u00e9troit de Tiran \u2014\u00a0qui relie la mer Rouge au golfe d’Aqaba sur le c\u00f4t\u00e9 est de la p\u00e9ninsule du Sina\u00ef \u2014\u00a0alors qu’Isra\u00ebl avait construit un port \u00e0 Eilat, \u00e0 l’extr\u00e9mit\u00e9 sud du golfe, pour permettre aux importations de p\u00e9trole iranien en provenance du golfe Persique d’arriver sans que les p\u00e9troliers n’aient \u00e0 passer par le cap de Bonne-Esp\u00e9rance<\/span>3<\/sup><\/a><\/span>. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’Isra\u00ebl s’est joint \u00e0 la Grande-Bretagne et \u00e0 la France dans une guerre contre l’\u00c9gypte, qui a conduit \u00e0 la fermeture du canal de Suez par Nasser en 1956. Tout au long de cette guerre, l’Arabie saoudite a impos\u00e9 un embargo sur les ventes de p\u00e9trole \u00e0 la Grande-Bretagne et \u00e0 la France, tandis que la Syrie interrompait l’acheminement du p\u00e9trole par l’ol\u00e9oduc de l’Iraq Petroleum Company, propri\u00e9t\u00e9 d’un groupe de compagnies p\u00e9troli\u00e8res internationales. Eisenhower a pu contraindre le Premier ministre britannique Anthony Eden \u00e0 battre en retraite en grande partie parce qu’il ne voulait pas d\u00e9bloquer les approvisionnements en p\u00e9trole du programme d’urgence am\u00e9ricain, d\u00e9clarant \u00e0 l’un de ses conseillers que la Grande-Bretagne et la France pouvaient \u00ab faire bouillir leur propre p\u00e9trole \u00bb. Alors qu’Isra\u00ebl s’\u00e9tait empar\u00e9 de Charm el-Cheikh, \u00e0 l’extr\u00e9mit\u00e9 Sud de la p\u00e9ninsule du Sina\u00ef, ce qui lui conf\u00e8re un contr\u00f4le strat\u00e9gique sur le d\u00e9troit de Tiran, Tel Aviv dut aussi battre en retraite en \u00e9change d’une promesse mal tenue de l’\u00c9gypte de maintenir ces eaux ouvertes sous la surveillance d’une force d’urgence des Nations unies.<\/p>\n\n\n\n

La fermeture par Nasser du d\u00e9troit de Tiran \u00e0 toute navigation isra\u00e9lienne en mai 1967 a servi de justification \u00e0 Isra\u00ebl pour justifier une attaque pr\u00e9ventive contre l’\u00c9gypte lors de la guerre des Six Jours. \u00c0 cette \u00e9poque, 90 % de toutes les importations isra\u00e9liennes de p\u00e9trole passaient par le d\u00e9troit de Tiran et provenaient d’Iran. Furieux contre T\u00e9h\u00e9ran pour sa complicit\u00e9 avec Isra\u00ebl, Nasser a explicitement d\u00e9clar\u00e9 que son objectif strat\u00e9gique en 1967 \u00e9tait de \u00ab servir la cause de la Palestine […] en emp\u00eachant Isra\u00ebl d’\u00eatre approvisionn\u00e9 en p\u00e9trole \u00bb. Dans la pratique, Isra\u00ebl a tir\u00e9 un grand profit \u00e9nerg\u00e9tique de la guerre qui a suivi, puisqu’en s’emparant de la p\u00e9ninsule du Sina\u00ef, il a acquis les champs p\u00e9trolif\u00e8res d’Abou Rudeis, ainsi que la capacit\u00e9 de maintenir ouvert le d\u00e9troit de Tiran. N\u00e9anmoins, il n’a pas pu emp\u00eacher Nasser de fermer \u00e0 nouveau le canal de Suez et de le maintenir ferm\u00e9 pendant huit ans.<\/p>\n\n\n\n

[D\u00e9couvrez toute notre couverture de la guerre de Soukkot.<\/a>]<\/em><\/p>\n\n\n\n

La vuln\u00e9rabilit\u00e9 \u00e9nerg\u00e9tique d’Isra\u00ebl apr\u00e8s 1956 a \u00e9galement constitu\u00e9 un risque pour les \u00c9tats d’Europe occidentale \u00e0 la fin des ann\u00e9es 1950 et dans les ann\u00e9es 1960. Apr\u00e8s le d\u00e9but de la guerre des Six Jours, les principaux \u00c9tats arabes producteurs de p\u00e9trole ont impos\u00e9 un embargo \u00e0 la Grande-Bretagne, \u00e0 l’Allemagne de l’Ouest et aux \u00c9tats-Unis. Si les restrictions impos\u00e9es \u00e0 Washington \u00e9taient purement symboliques, puisque les \u00c9tats-Unis n’importaient pas de p\u00e9trole du Moyen-Orient, elles ont nui aux deux \u00c9tats europ\u00e9ens. Bien que les \u00c9tats-Unis et le Venezuela puissent fournir des approvisionnements d’urgence, la pression financi\u00e8re li\u00e9e \u00e0 l’importation de p\u00e9trole libell\u00e9 en dollars en provenance de l’h\u00e9misph\u00e8re occidental, ainsi que de p\u00e9trole iranien provenant du cap de Bonne-Esp\u00e9rance, exerce une telle pression sur la livre sterling qu’elle pousse le gouvernement de Wilson \u00e0 annoncer, en janvier 1968, que la Grande-Bretagne devra se retirer du golfe Persique. Cette d\u00e9cision est intervenue quelques mois seulement apr\u00e8s le retrait pr\u00e9cipit\u00e9 des Britanniques d’Aden. En 1969, un groupe marxiste avait pris le contr\u00f4le du Y\u00e9men du Sud, d\u00e9sormais ind\u00e9pendant, laissant en place un r\u00e9gime soutenu par l’Union sovi\u00e9tique qui pouvait contr\u00f4ler l’acc\u00e8s \u00e0 la mer Rouge depuis l’oc\u00e9an Indien par le d\u00e9troit de Bab el-Mandeb.<\/p>\n\n\n\n

Ce qui avait chang\u00e9 de mani\u00e8re cruciale en octobre 1973 \u00e9tait la position des \u00c9tats-Unis<\/span>4<\/sup><\/a><\/span>. Ayant d\u00e9sormais besoin d’un volume important de p\u00e9trole import\u00e9 qui ne pouvait pas provenir uniquement de l’h\u00e9misph\u00e8re occidental, ils risquaient d’\u00eatre frapp\u00e9s par des embargos du type de ceux que les Europ\u00e9ens de l’Ouest et Isra\u00ebl avaient d\u00e9j\u00e0 subis. Lorsque les Am\u00e9ricains ne furent pas en mesure de fournir un approvisionnement d’urgence aux \u00c9tats d’Europe occidentale pendant la guerre du Kippour, l’Allemagne de l’Ouest et plus spectaculairement la Grande-Bretagne ont dit \u00e0 Isra\u00ebl qu’il devait renoncer aux territoires gagn\u00e9s en 1967, afin d’\u00e9viter un nouvel embargo arabe.<\/p>\n\n\n\n

Ce qui avait chang\u00e9 de mani\u00e8re cruciale en octobre 1973 \u00e9tait la position des \u00c9tats-Unis.\u00a0<\/p>Helen Thompson<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

Pendant ce temps, Isra\u00ebl \u00e9tait d\u00e9sormais contraint par le d\u00e9sir am\u00e9ricain d\u2019un cessez-le-feu pour mettre fin \u00e0 l\u2019embargo auquel Washington \u00e9tait soumis. Sous la pression de l’administration Nixon, le gouvernement de Golda Meir \u00e0 Tel Aviv accepte un cessez-le-feu sans que l’\u00c9gypte ne mette d’abord fin au blocus du d\u00e9troit de Bab el-Mandeb qui emp\u00eache les p\u00e9troliers d’atteindre Eilat. Ses successeurs, Yitzhak Rabin et Menachem Begin, ont ensuite d\u00fb conclure une paix p\u00e9troli\u00e8re, d’abord dans l’accord pr\u00e9liminaire de 1975, puis dans les accords de Camp David de 1978, pr\u00e9lude au trait\u00e9 de 1979 qui a normalis\u00e9 les relations avec l’\u00c9gypte. Ils \u00e9chang\u00e8rent les champs p\u00e9troliers d’Abu Rudeis et les nouveaux puits qu’Isra\u00ebl avait commenc\u00e9 \u00e0 forer dans le Sina\u00ef \u2014 qui, au milieu des ann\u00e9es 1970, fournissaient plus de la moiti\u00e9 de la consommation isra\u00e9lienne \u2014 contre l’acc\u00e8s au canal de Suez et des garanties sur les d\u00e9troits de Tiran et de Bab al-Mandeb.<\/p>\n\n\n\n

Les retomb\u00e9es cumul\u00e9es de ces \u00e9v\u00e9nements avant et apr\u00e8s octobre 1973 ont \u00e9t\u00e9 telles que la r\u00e9volution iranienne du d\u00e9but de l’ann\u00e9e 1979 a caus\u00e9 plus qu’un simple deuxi\u00e8me choc p\u00e9trolier<\/span>5<\/sup><\/a><\/span>. La perte de l’Iran en tant qu’alli\u00e9 am\u00e9ricain, suivie \u00e0 la fin de l’ann\u00e9e par l’invasion sovi\u00e9tique de l’Afghanistan, a transform\u00e9 la g\u00e9opolitique de l’\u00e9nergie dans et autour du Moyen-Orient. D\u00e9sormais, les pr\u00e9sidents am\u00e9ricains ne pouvaient plus consid\u00e9rer qu\u2019il \u00e9tait possible pour les \u00c9tats-Unis de d\u00e9pendre des importations de p\u00e9trole du Moyen-Orient sans avoir une pr\u00e9sence militaire dans le golfe Persique. Depuis janvier 1980, les \u00c9tats-Unis respectent la doctrine Carter, qui stipule que \u00ab toute tentative par une force ext\u00e9rieure de prendre le contr\u00f4le du golfe Persique sera consid\u00e9r\u00e9e comme une agression contre les int\u00e9r\u00eats vitaux des \u00c9tats-Unis d’Am\u00e9rique, et une telle agression sera r\u00e9prim\u00e9e par tous les moyens n\u00e9cessaires \u00bb.<\/p>\n\n\n\n

La perte de l’Iran en tant qu’alli\u00e9 am\u00e9ricain, suivie \u00e0 la fin de l’ann\u00e9e par l’invasion sovi\u00e9tique de l’Afghanistan, a transform\u00e9 la g\u00e9opolitique de l’\u00e9nergie dans et autour du Moyen-Orient.<\/p>Helen Thompson<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

Si cette nouvelle position refl\u00e9tait la position des \u00c9tats-Unis en tant que premier importateur mondial de p\u00e9trole jusqu’aux ann\u00e9es 2010, la situation difficile dans laquelle se trouvait Isra\u00ebl apr\u00e8s la r\u00e9volution iranienne a pouss\u00e9 Carter \u00e0 accorder une garantie formelle d’approvisionnement d’urgence en p\u00e9trole \u00e0 Tel-Aviv, alors que l’exportation de p\u00e9trole am\u00e9ricain \u00e9tait par ailleurs interdite. Apr\u00e8s le d\u00e9part du Shah de T\u00e9h\u00e9ran en janvier 1979, l’Iran a impos\u00e9 un embargo p\u00e9trolier \u00e0 Isra\u00ebl, trois mois seulement apr\u00e8s la signature des accords de Camp David qui pr\u00e9voyaient l’\u00e9change des champs p\u00e9trolif\u00e8res du Sina\u00ef contre la paix avec l’\u00c9gypte. En 1980, Isra\u00ebl ne pouvait acheter du p\u00e9trole qu’\u00e0 l’\u00c9gypte et au Mexique, dans le cadre de contrats publics. Sachant que les Am\u00e9ricains ne pouvaient \u00eatre sollicit\u00e9s qu’en cas d’urgence absolue, Isra\u00ebl devait, en pratique, compter sur les march\u00e9s au comptant et sur un commerce clandestin via l’ol\u00e9oduc terrestre construit apr\u00e8s la guerre de 1967 entre Eilat et Ashkelon sur la M\u00e9diterran\u00e9e, organis\u00e9 par le n\u00e9gociant en mati\u00e8res premi\u00e8res Marc Rich. Heureusement pour Isra\u00ebl, au moment o\u00f9 il a envahi le Liban en 1982 pour chasser l’Organisation de lib\u00e9ration de la Palestine du pays, de nouveaux approvisionnements en provenance de l’Alaska, du Mexique et de la mer du Nord avaient mis fin \u00e0 la crise p\u00e9troli\u00e8re g\u00e9n\u00e9rale de 1979-1980, laissant l’OPEP impuissante face \u00e0 Isra\u00ebl, alors m\u00eame que la divergence entre l\u2019Iran et les \u00c9tats arabes venaient paradoxalement de toucher \u00e0 sa fin.<\/p>\n\n\n\n

Cinquante ans plus tard, l’ins\u00e9curit\u00e9 \u00e9nerg\u00e9tique pour les \u00c9tats importateurs est \u00e0 nouveau monnaie courante, notamment \u00e0 la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie<\/span>6<\/sup><\/a><\/span>. Mais la vuln\u00e9rabilit\u00e9 d’Isra\u00ebl face au pogrom d\u00e9vastateur du Hamas dans le Sud d’Isra\u00ebl, \u00e0 l’occasion de l’anniversaire de l’attaque de l’\u00c9gypte et de la Syrie en 1973, ne constitue pas une r\u00e9p\u00e9tition dans l’histoire de l’\u00e9nergie<\/span>7<\/sup><\/a><\/span>. Gr\u00e2ce aux gisements offshore de Leviathan, Tamar et Karish, Isra\u00ebl est autosuffisant en gaz, m\u00eame si l’exploitation du gisement de Tamar a \u00e9t\u00e9 suspendue le lendemain du d\u00e9but de l’attaque terroriste du Hamas<\/span>8<\/sup><\/a><\/span>. Plus de la moiti\u00e9 de ses importations de p\u00e9trole proviennent de l’Azerba\u00efdjan, avec en contrepartie d’importantes exportations militaires, et les \u00c9tats-Unis et le Br\u00e9sil, riches en schiste, sont ses deux autres principaux fournisseurs.<\/p>\n\n\n\n

Cinquante ans apr\u00e8s la guerre de Kippour, l’ins\u00e9curit\u00e9 \u00e9nerg\u00e9tique pour les \u00c9tats importateurs est \u00e0 nouveau monnaie courante, notamment \u00e0 la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie.<\/p>Helen Thompson<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

Isra\u00ebl a \u00e9galement conclu des partenariats \u00e9nerg\u00e9tiques importants avec plusieurs \u00c9tats arabes. Il a commenc\u00e9 \u00e0 exporter du gaz vers la Jordanie en 2017 et vers l’\u00c9gypte en 2020. Apr\u00e8s les accords d’Abraham \u2014\u00a0qui ont normalis\u00e9 les relations avec les \u00c9mirats arabes unis (EAU), Bahre\u00efn, le Maroc et le Soudan \u2014 il a convenu d’une strat\u00e9gie \u00e9nerg\u00e9tique commune avec les \u00c9mirats, qui permettra au royaume du Golfe de vendre du p\u00e9trole par l’interm\u00e9diaire de l’ol\u00e9oduc Eilat-Ashkelon. L’un des fonds souverains d’Abu Dhabi d\u00e9tient une participation de 22 % dans le champ gazier de Tamar. En octobre 2022, Isra\u00ebl a sign\u00e9 un accord maritime avec le Liban, qui a m\u00eame \u00e9t\u00e9 soutenu par le Hezbollah, pour permettre la poursuite de l’exploration gazi\u00e8re dans les eaux de la M\u00e9diterran\u00e9e orientale. Ironiquement, c’est maintenant l’Iran qui, au nom de la solidarit\u00e9 islamique, appelle les \u00c9tats arabes \u00e0 imposer des sanctions p\u00e9troli\u00e8res \u00e0 Isra\u00ebl, alors m\u00eame que l’\u00c9tat h\u00e9breu s’approvisionne \u00e0 l’ext\u00e9rieur du Moyen-Orient.<\/p>\n\n\n\n

Une guerre totale entre l’Iran et Isra\u00ebl changerait n\u00e9anmoins la donne pour tout le monde<\/span>9<\/sup><\/a><\/span>. Le fait que la Chine, qui a remplac\u00e9 les \u00c9tats-Unis en tant que premier importateur mondial de p\u00e9trole, soit d\u00e9pendante de l’Iran, rend difficile pour Washington de renforcer, voire d’appliquer strictement, les sanctions existantes \u00e0 l’encontre de T\u00e9h\u00e9ran sans provoquer une confrontation avec P\u00e9kin<\/span>10<\/sup><\/a><\/span>. Plusieurs \u00c9tats europ\u00e9ens, dont la Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne et l’Italie, d\u00e9pendent d\u00e9sormais pour leur gaz du Qatar, qui soutient le Hamas, mais au moins certains des dirigeants arabes ont vu un avenir fond\u00e9 sur la coop\u00e9ration \u00e9nerg\u00e9tique avec Isra\u00ebl et ont quelque chose \u00e0 perdre \u00e0 laisser l’Iran agir librement au nom de la cause palestinienne<\/span>11<\/sup><\/a><\/span>. Personne n’aurait pu le pr\u00e9dire \u00e0 l’automne 1973.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"

L\u2019embargo des pays arabes exportateurs de p\u00e9trole apr\u00e8s la crise de 1973 a transform\u00e9 tous les \u00e9quilibres et toutes les doctrines g\u00e9opolitiques, une tendance renforc\u00e9e en 1979. Si la normalisation progressive d\u2019Isra\u00ebl dans la r\u00e9gion pouvait laisser esp\u00e9rer une simplification de la carte \u00e9nerg\u00e9tique, la guerre avec le Hamas et la menace d\u2019embrasement r\u00e9gional rebat toutes les cartes. 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